Cusson et Planchers Bois-Francs Wickham |
2009 QCCLP 4110 |
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[1] Le 19 novembre 2008, madame Mado Cusson (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 12 novembre 2008 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST conclut que la réclamation de la travailleuse a été produite à l’extérieur du délai prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et conclut que la travailleuse n’a pas démontré un motif raisonnable permettant de la relever de son défaut d’avoir respecté le délai prévu à la loi. Par conséquent, elle confirme la décision rendue initialement le 23 juillet 2008 et déclare irrecevable la réclamation de la travailleuse.
[3] La travailleuse est présente et représentée, tout comme Les planchers Bois-Francs Wickham (l'employeur), à l’audience qui a lieu devant la Commission des lésions professionnelles le 25 mai 2009.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que sa réclamation est recevable puisqu’elle a été produite dès qu’elle a eu un intérêt né et actuel à déposer une telle réclamation.
[5] Subsidiairement, si le tribunal en vient à la conclusion que la réclamation a été produite à l’extérieur des délais prévus à la loi, la travailleuse soumet qu’elle a un motif raisonnable lui permettant d’être relevée de son défaut d’avoir respecté ledit délai.
LES FAITS
[6] De l’ensemble de la preuve offerte et notamment des témoignages de la travailleuse, de monsieur Dave Côté et de madame Guylaine Sarrazin, de même que de la preuve documentaire versée au dossier, le tribunal retient les faits suivants.
[7] La travailleuse occupe un emploi de journalière chez l'employeur depuis le 9 octobre 2007.
[8] Le 18 octobre 2007, elle allègue avoir été victime d’un accident du travail au moment où elle se rendait à la salle de bain. Elle aurait trébuché sur une plaque de métal qui recouvrait des fils. La travailleuse affirme que monsieur Gilles Poisson a été témoin de l’événement. Elle se serait percuté le genou gauche au sol et aurait ressenti une douleur immédiate.
[9] La travailleuse prétend qu’à la suite de cet accident, elle en aurait immédiatement avisé sa superviseure, soit madame Guylaine Sarrazin, et aurait rempli un registre des accidents le jour même.
[10] Cependant, cette affirmation est contredite par la preuve de l'employeur et plus précisément par les témoignages de monsieur Dave Côté, directeur des ressources humaines depuis le 9 juin 2003 et madame Guylaine Sarrazin, contremaître au vernissage et au contrôle de la qualité sur le quart de jour chez l'employeur.
[11] En effet, madame Sarrazin affirme que la travailleuse n’a pas voulu compléter le registre des blessures après lui avoir déclaré l’accident, insistant sur le fait qu’elle était nouvelle et qu’elle ne voulait pas avoir de problème avec l’employeur.
[12] La travailleuse poursuit son témoignage en disant qu’elle s’est présentée à l’urgence dans la nuit du 19 au 20 octobre 2007 et a été vue par le docteur Hébert qui a posé le diagnostic d’hémarthrose traumatique au genou gauche et a autorisé un arrêt de travail jusqu’au 30 octobre 2007.
[13] La travailleuse mentionne qu’à la suite de cette consultation médicale, elle est retournée chez l'employeur afin de lui remettre une copie de l’attestation médicale complétée par le docteur Hébert. Encore là, les versions divergent. La travailleuse affirme que monsieur Côté n’a pas voulu prendre l’original de l’attestation médicale et a simplement pris une photocopie. De plus, la travailleuse affirme que monsieur Côté lui aurait dit « on n’en parle plus ».
[14] Pour sa part, monsieur Côté est affirmatif à l’effet que la travailleuse n’a pas voulu lui remettre l’original du certificat médical complété par le docteur Hébert et qu’il a dû insister pour faire une photocopie du document. Lors de cette rencontre, monsieur Côté affirme qu’il aurait offert à la travailleuse de compléter une réclamation à la CSST, mais elle lui aurait dit qu’elle aimait mieux prendre le congé à ses frais. D’ailleurs, monsieur Côté dépose à l’audience une photocopie des annotations qu’il a faites sur un document qu’il a transmis à madame Johanne Dubé de la CSST, le 8 juillet 2008, en lien avec cet événement. Cette annotation se lit comme suit :
Elle a manqué du 22 au 26 octobre 2007, mais elle ne voulait pas me donner ses papiers (elle avait peur de perdre son emploi, car elle vient de rentrer). Je lui ai expliqué que je ne pouvais pas terminer son emploi à cause de ça, mais elle préférait prendre la semaine à ses frais de façon purement volontaire. Je n’étais pas tellement à l’aise avec ça, mais elle a gardé son papier alors… (j’ai réussi à avoir une copie) [sic]
[15] Interrogée à ce sujet, la travailleuse dit qu’elle a assumé personnellement le coût de la médication prescrite par le docteur Hébert le 19 octobre 2007, de même que la semaine d’absence du travail au cours de laquelle aucun salaire ne lui a été versé.
[16] Interrogée sur les raisons pour lesquelles elle n’a pas, à ce moment, complété de réclamation à la CSST, la travailleuse affirme que dans son esprit, le fait d’avoir rempli le registre des accidents le 18 octobre 2007, allié au fait que l’hôpital ait conservé une copie de son attestation médicale, signifiait pour elle qu’elle avait complété en bonne et due forme une réclamation à la CSST.
[17] Confrontée aux faits que la travailleuse n’en est pas à sa première réclamation à la CSST puisqu’elle aurait déclaré un accident du travail chez son employeur antérieur, soit Olymel, la travailleuse fait une distinction entre ce dossier et le présent dossier en ce qu’elle affirme que chez Olymel, c’est l'employeur qui a complété tous les papiers et s’est assuré qu’elle serait indemnisée, ce que l'employeur n’a pas fait dans le présent dossier.
[18] Le 29 octobre 2007, la travailleuse voit le docteur Lacroix qui complète un rapport final où il pose le diagnostic de contusion du genou gauche et considère que la lésion professionnelle est consolidée en date du 29 octobre 2007.
[19] De plus, il est d’avis que la travailleuse ne conserve aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ou limitations fonctionnelles. La travailleuse confirme qu’elle a repris son emploi régulier le 29 octobre 2007.
[20] La travailleuse poursuit son témoignage en disant qu’elle continuait de ressentir des douleurs au genou gauche, mais puisqu’elle voulait travailler, elle endurait le mal et mettait de la glace le soir chez elle. En fin de journée, son pantalon était très serré du côté gauche puisque son genou était enflé.
[21] La travailleuse informe le tribunal qu’entre octobre 2007 et mars 2008, elle a pris plusieurs journées de congé lorsque la douleur au genou gauche était trop importante.
[22] À compter du 24 mars 2008, la travailleuse a pris un congé prolongé en raison des douleurs qu’elle avait au genou gauche. Elle aurait insisté, selon le témoignage de monsieur Côté, pour préciser à l'employeur qu’il s’agissait d’une absence indemnisée par l’assurance-emploi maladie et non par la CSST.
[23] En appui à son témoignage, monsieur Côté dépose le relevé d’emploi complété le 8 avril 2008 où apparaît comme code d’absence celui de maladie. Monsieur Côté produit également une note qu’il dit provenir de l’une de ses collègues de travail, madame Marjolaine Aubé, qui n’a malheureusement pas pu venir témoigner à l’audience puisqu’elle était hospitalisée. On peut lire ce qui suit sur la note de madame Aubé :
Madame Cusson te rappelle qu’elle n’est pas sur la CSST, mais bien sur le chômage maladie. [sic]
[24] Cette note n’est toutefois pas signée.
[25] Le 9 avril 2008, la travailleuse consulte le docteur Lafleur qui pose un diagnostic de tendinite de la patte d’oie du genou droit probable. Ce même jour, la travailleuse consulte également le docteur Lacroix qui parle de douleurs au genou droit à préciser et demande une radiographie.
[26] Le 23 avril 2008, la travailleuse consulte le docteur Lemaire qui parle de myalgie des adducteurs de la cuisse droite, prescrit de la médication, réfère la travailleuse en orthopédie et autorise un arrêt de travail pour une période indéterminée.
[27] Le 15 mai 2008, le docteur Lemaire revoit la travailleuse et réitère le diagnostic de myalgie des adducteurs du membre inférieur droit. Il prescrit des traitements de physiothérapie et maintient l’arrêt de travail. Par la suite, la travailleuse fait l’objet d’un suivi médical régulier auprès du docteur Lemaire qui, notamment, le 8 juillet 2008, ajoute le diagnostic possible de lombosciatalgie et dit être en attente d’une consultation en urologie et d’un CT-scan lombaire. C’est d’ailleurs au début de juillet que la travailleuse débute des traitements de physiothérapie.
[28] À l’audience, la travailleuse témoigne à l’effet qu’entre les mois de mars et juillet 2008, elle n’a reçu aucune indemnité de la CSST et n’a fait aucune démarche auprès de cet organisme afin de s’enquérir de la situation.
[29] La travailleuse dit qu’elle a reçu 16 semaines d’indemnités de l’assurance-emploi maladie qui lui avait d’abord été refusées. Elle a cependant contesté ce refus et a obtenu gain de cause auprès de l’assurance-emploi qui l’a finalement indemnisée.
[30] La travailleuse affirme que c’est au moment où elle a eu son premier traitement de physiothérapie, soit le 3 juillet 2008, que le physiothérapeute s’est informé auprès d’elle s’il s’agissait d’un cas visé par la CSST. La travailleuse lui aurait confirmé que oui. Le physiothérapeute lui aurait alors demandé si elle avait rempli un formulaire de réclamation à la CSST. Selon la travailleuse, il a mis un doute dans son esprit et elle aurait alors communiqué avec son syndicat et plus précisément monsieur Pierre Renaud, puisqu’elle devait de toute façon le voir, ayant été l’objet d’un congédiement le 11 juin précédent.
[31] La travailleuse affirme que c’est à la suite de la rencontre qu’elle a eue avec monsieur Pierre Renaud, le 7 juillet 2008, qu’elle aurait rempli le formulaire de réclamation à la CSST.
[32] Cependant, le tribunal constate que le formulaire a été daté et signé par la travailleuse le 4 juillet 2008.
[33] Par ailleurs, contrairement à ce qui apparaît au registre des blessures où il était question d’une blessure au genou gauche, sur le formulaire de réclamation produit à la CSST, la travailleuse dit qu’elle est tombée durement sur les deux genoux.
[34] Le 7 juillet 2008, la travailleuse complète une plainte en vertu de l’article 32 de la loi invoquant que l'employeur l’a congédiée en raison de ses absences pour un accident du travail. Il appert de ce formulaire que la travailleuse dit qu’elle est tombée au travail et se serait blessée aux deux genoux et au bas du dos.
[35] Le 23 juillet 2008, la CSST refuse la réclamation de la travailleuse au motif qu’elle n’a pas produit cette réclamation dans le délai de six mois prévu à la loi et compte tenu du fait qu’elle n’a pas présenté de motif raisonnable pour justifier son retard à réclamer. La révision administrative confirme cette décision et le tribunal est actuellement saisi d’une requête à l’encontre de celle-ci.
[36] Parmi les autres éléments faisant l’objet d’une preuve contradictoire, il y a la connaissance par la travailleuse de la procédure de déclaration d’accident.
[37] Dans le cadre de son interrogatoire principal, la travailleuse affirme qu’elle n’est pas au courant de la procédure de déclaration d’accident. Cependant, dans le cadre du témoignage de monsieur Dave Côté, ce dernier rappelle que c’est lui qui a rédigé la procédure de déclaration d’accident qui a été approuvée par le Comité de santé et sécurité du travail chez l'employeur et qui est entrée en vigueur en mars ou avril 2004. Lors de son entrée en vigueur, tous les employés ont été rencontrés afin que la procédure leur soit présentée. De plus, les contremaîtres font des rappels périodiques et la politique est affichée sur le babillard SST dans chaque département.
[38] De plus, la superviseure immédiate de la travailleuse, madame Guylaine Sarrazin, affirme qu’à son embauche, elle lui a parlé de la procédure de déclaration d’accident et lui a présenté les feuilles de registre tout comme elle lui a montré la procédure. Ceci fait partie de la procédure d’accueil selon le témoignage de monsieur Côté.
[39] En ce qui a trait au témoignage de monsieur Côté, il confirme que la travailleuse a été congédiée le 11 juin 2007 pour absentéisme excessif, et ce, de toute nature, et non seulement relié à l’accident du travail que la travailleuse allègue avoir subi chez l'employeur.
L’AVIS DES MEMBRES
[40] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis.
[41] Ils considèrent que la travailleuse avait un intérêt né et actuel à réclamer dès la consultation médicale du 19 octobre 2007 puisqu’elle a alors eu à débourser pour des frais reliés à l’achat de médicaments et elle a, de plus, assumé la perte d’une semaine de salaire au cours de laquelle elle s’est absentée en lien avec la blessure subie.
[42] Puisque la réclamation de la travailleuse a été produite à la CSST le 4 juillet 2008, ils sont d’avis qu’elle a été déposée à l’extérieur du délai de six mois prévu à l’article 271 de la loi.
[43] Dans ces circonstances, les membres sont d’avis que la travailleuse n’a pas démontré un motif raisonnable lui permettant d’être relevé du défaut d’avoir produit sa réclamation à l’intérieur du délai prescrit par la loi.
[44] Pour en venir à cette conclusion, les membres se basent notamment sur certaines incohérences relevées dans le cadre du témoignage de la travailleuse dont notamment le fait qu’au départ, elle affirme avoir réclamé à la CSST dès qu’elle a complété le registre des accidents du travail alors que sa représentante dit plutôt qu’au départ, elle n’avait pas d’intérêt né et actuel à réclamer.
[45] De plus, le registre des accidents n’étant pas daté et faisant l’objet d’une preuve contradictoire, les membres ne peuvent considérer qu’il a été complété le jour même de l’accident, tel que le prétend la travailleuse.
[46] Au surplus, même si les membres retenaient la version de la travailleuse selon laquelle elle croyait en toute bonne foi avoir réclamé à la CSST après avoir complété le registre des accidents, ce que les membres s’expliquent mal puisqu’elle n’en était pas à sa première réclamation à la CSST, il n’en demeure pas moins que la travailleuse a été négligente dans le suivi de son dossier puisqu’entre le mois d’octobre 2007 et le mois de juillet 2008, elle n’a effectué aucune démarche auprès de la CSST afin de s’enquérir de l’état de son dossier.
[47] Or, ils partagent la jurisprudence du présent tribunal selon laquelle la négligence d’un travailleur ou d’une travailleuse ne constitue en aucun cas un motif raisonnable lui permettant d’être relevé de son défaut d’avoir produit une réclamation à l’intérieur des délais impartis. Les membres s’étonnent du laxisme de la travailleuse compte tenu notamment du fait qu’à la même période, elle a contesté le refus de l’assurance-emploi de l’indemniser et a eu gain de cause.
[48] L’ensemble de la preuve amène plutôt les membres à conclure que la travailleuse a choisi sciemment de ne pas réclamer à la CSST à la suite de l’événement dont elle a été victime le 18 octobre 2007, préférant plutôt assumer elle-même les frais de son absence. Ce n’est qu’après son congédiement, que la travailleuse a déposé pour la première fois une réclamation à la CSST suivie d’une plainte en vertu de l’article 32 de la loi. À ce moment, le délai de réclamation était dépassé.
[49] Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, les membres sont d’avis que la travailleuse n’a pas satisfait au fardeau de la preuve qui lui incombait. Les membres sont donc d’opinion de rejeter la requête déposée par la travailleuse le 19 novembre 2008 et de confirmer la décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative le 12 novembre 2008.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[50] La Commission des lésions professionnelles doit statuer sur la recevabilité ou non de la réclamation produite par la travailleuse à la CSST le 4 juillet 2008 en lien avec un accident du travail du 18 octobre 2007.
[51] Les articles 270, 271 et 272 de la loi déterminent le délai dont bénéficie un travailleur pour produire une réclamation à la CSST. Ces articles se lisent comme suit :
270. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.
L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.
Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.
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1985, c. 6, a. 270.
271. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion ou celui à qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60, quelle que soit la durée de son incapacité, produit sa réclamation à la Commission, s'il y a lieu, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de sa lésion.
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1985, c. 6, a. 271.
272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.
Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.
La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.
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1985, c. 6, a. 272.
(Nos soulignements)
[52] Le tribunal est d’avis que, dans le présent dossier, c’est l’article 271 de la loi qui trouve application puisque la travailleuse n’a pas été dans l’incapacité d’exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets (article 270) et qu’elle n’est pas atteinte d’une maladie professionnelle (article 272).
[53] En l’espèce, la travailleuse allègue avoir subi une lésion professionnelle le 18 octobre 2007 tel qu’il appert de son témoignage, de même que du registre des accidents et du formulaire de réclamation destiné à la CSST qu’elle a complété le 4 juillet 2008.
[54] L’article 271 de la loi prévoit que le travailleur victime d’une lésion professionnelle bénéficie d’un délai de six mois de sa lésion pour produire sa réclamation à la CSST.
[55] Cette disposition a fait l’objet d’interprétations par le présent tribunal, de même que par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles.
[56] Selon l’interprétation majoritaire de la Commission des lésions professionnelles, le délai de six mois commence à courir à compter du moment où la travailleuse a un intérêt né et actuel à réclamer à la CSST.
[57] Cette position se base notamment sur l’expression « s’il y a lieu » utilisée par le législateur, que l’on retrouve spécifiquement à l’article 271 de la loi et qui laisse entendre qu’un travailleur ou une travailleuse qui ne subit pas de préjudice pourrait ne pas avoir à réclamer à la CSST[2].
[58] Dans le présent dossier, le tribunal est d’avis que dès le 19 octobre 2007, la travailleuse avait un intérêt né et actuel à réclamer à la CSST puisque d’une part, elle devait se procurer des médicaments prescrits par le docteur Hébert et de plus, elle devait s’absenter du travail jusqu’au 29 octobre 2007, ce qu’elle a fait à ses frais. C’est donc à compter du 19 octobre 2007 que doit se computer le délai de six mois.
[59] Le tribunal conclut donc de la preuve offerte que la réclamation de la travailleuse pour lésion professionnelle produite à la CSST le 4 juillet 2008 l’a été à l’extérieur du délai prévu à la loi.
[60] L’article 352 de la loi permet à la CSST de prolonger un délai que la loi accorde pour l’exercice d’un droit ou de relever une personne du défaut de le respecter. Cet article se lit comme suit :
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
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1985, c. 6, a. 352.
[Notre soulignement]
[61] L’analyse du motif raisonnable permet de considérer un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer, à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture et des circonstances, si une personne a un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion[3].
[62] En l’espèce, la travailleuse prétend qu’à compter du moment où elle a complété le registre des accidents fourni par l'employeur, dans son esprit, elle avait complété les démarches requises afin d’être indemnisée par la CSST.
[63] Le tribunal accorde peu de crédibilité à cette affirmation de la travailleuse étant donné notamment que la preuve a révélé que la travailleuse n’en était pas à sa première réclamation à la CSST.
[64] En effet, l'employeur a mis en preuve que la travailleuse avait un autre dossier toujours actif à la CSST en lien avec un accident du travail dont elle aurait été victime chez son employeur antérieur, soit Olymel. Bien que la travailleuse prétende que chez Olymel, l'employeur a effectué toutes les démarches, il n’en demeure pas moins que, dans le présent dossier, en aucun temps, la travailleuse ne s’est enquise auprès de la CSST de l’état de la situation, et ce, même si elle s’est absentée du travail à compter du 24 mars 2008 et ne recevait alors aucune indemnité de la part de la CSST.
[65] De plus, le tribunal est un peu étonné du double discours que tient la travailleuse qui, d’une part, prétend qu’elle avait l’intention de réclamer dès le départ à la CSST et d’autre part, celui de sa représentante selon laquelle elle n’avait pas d’intérêt né et actuel à réclamer à ce moment.
[66] D’autant plus que la preuve révèle que la version de la travailleuse, selon laquelle elle avait l’intention de contester à la CSST, n’est aucunement appuyée par ses actions puisque la travailleuse semble plutôt avoir concentré son énergie sur sa demande d’assurance-emploi ayant même eu à contester le refus de cet organisme de l’indemniser au départ.
[67] De plus, les témoignages de monsieur Côté et de madame Sarrazin laissent croire que la travailleuse insistait plutôt pour que sa réclamation n’en soit pas une traitée par la CSST.
[68] La jurisprudence de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles tout comme celle de la Commission des lésions professionnelles considère que la négligence d’une travailleuse ne constitue en aucun temps un motif raisonnable lui permettant d’être relevée du défaut d’avoir réclamé à l’intérieur du délai prévu à la loi[4].
[69] Dans le présent dossier, le tribunal considère que les agissements de la travailleuse ne correspondent pas aux actions auxquelles on peut s’attendre d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.
[70] À cet égard, le tribunal réfère à l’affaire Lamontagne et Babcock et Wilcox Canada précitée[5].
[71] Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles devait se prononcer sur la recevabilité d’une réclamation pour maladie professionnelle. Après avoir analysé la preuve, le tribunal ne relève pas le travailleur de son défaut d’avoir produit sa réclamation dans le délai prévu à la loi en se basant notamment sur le fait qu’il n’a fait aucune démarche pour tenter de savoir ce qu’il en était des règles à suivre, de ses obligations et de la loi.
[72] Force est de constater que la situation est la même dans le présent dossier.
[73] De plus, la preuve prépondérante laisse entendre que la travailleuse a sciemment décidé de ne pas contester à la CSST au départ pour des raisons qui lui appartiennent. Avant d’en venir à une telle décision, la travailleuse avait la possibilité de consulter des personnes ressources, ce qu’elle n’a fait qu’après son congédiement. La travailleuse ne peut, après coup, revenir sur sa décision sans avoir à en justifier, de manière légitime, les raisons.
[74] Dans le présent dossier, le tribunal est d’avis que la travailleuse n’a pas posé les gestes permettant au tribunal de conclure qu’elle a agi avec diligence et célérité.
[75] Il est vrai que l’article 270 de la loi prévoit que l'employeur doit assister la travailleuse dans la rédaction de sa réclamation. Cet article se lit comme suit :
270. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.
L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.
Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.
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1985, c. 6, a. 270.
[notre soulignement]
[76] En l’espèce, la travailleuse prétend notamment que l'employeur n’a pas satisfait à son devoir d’assistance.
[77] Or, cette prétention est contredite par la preuve puisque monsieur Dave Côté affirme plutôt que la travailleuse ne voulait pas compléter de réclamation à la CSST, et ce, bien qu’il ait insisté pour le faire.
[78] Parmi les éléments qui amènent le tribunal à accorder une plus grande fiabilité au témoignage de monsieur Côté à cet égard se retrouve la copie des cartes de temps où apparaît lors de la première journée d’absence, soit le 19 octobre 2007, que la travailleuse s’est absentée pour consulter un médecin en raison d’un accident du travail.
[79] De plus, dans le cadre de son témoignage, monsieur Côté a dit qu’au départ, l'employeur avait géré cette absence comme une absence pour accident du travail mais à la suite de l’insistance de la travailleuse et malgré le malaise ressenti, l'employeur n’est pas allé plus loin dans la démarche puisque la travailleuse refusait de réclamer à la CSST.
[80] Il va sans dire que le devoir d’assistance de l'employeur ne soustrait pas la travailleuse à l’obligation d’effectuer elle-même ses démarches auprès de la CSST ou de mandater quelqu’un à cette fin[6], ce que la travailleuse n’a visiblement pas fait en temps utile dans le présent dossier.
[81] Or, rien dans la preuve offerte ne permet de conclure que la travailleuse a mandaté l'employeur afin qu’il transmette le formulaire ou qu’il assure le suivi de sa réclamation auprès de la CSST.
[82] Au contraire, la preuve révèle plutôt que la travailleuse a insisté auprès de l'employeur afin qu’il ne transmette pas de réclamation à la CSST en lien avec son absence du travail.
[83] Dans ces circonstances, le tribunal conclut que la réclamation de la travailleuse n’a pas été produite dans le délai prévu à l’article 271 de la loi et qu’elle n’a démontré aucun motif raisonnable permettant au tribunal de la relever de son défaut. Sa réclamation est donc irrecevable.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée par madame Mado Cusson, la travailleuse, le 19 novembre 2008;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 12 novembre 2008 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE irrecevable la réclamation déposée par la travailleuse le 4 juillet 2008 à la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
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Ann Quigley |
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Mme Victoire Dubé |
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CONSEIL QUÉBEC-UNITE HERE |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Hugo Bélisle |
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CLAIR, LAPLANTE, CÔTÉ & ASSOCIÉS |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Roy et CH affilié universitaire de Québec, C.L.P. 164012-32-0106, 6 juin 2002, G. Tardif.
[3] Roy et Communauté urbaine de Montréal, [1990] C.A.L.P. 916 .
[4] C.L.P. 192878-01A-0210, 11 mai 2005, L. Desbois; voir au même effet : Daigneault et Black & McDonald ltée, CALP 53431-62-9308, 25 août 1994, L. Boucher.
[5] Idem note 4.
[6] Valiquette et Bakor inc., 234575-71-0405, 21 novembre 2005, L. Crochetière.
AVIS :
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