Compagnie A et D.B. |
2007 QCCLP 1608 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 17 octobre 2006, monsieur D... B... (le travailleur) dépose une requête en révocation à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles du 5 septembre 2006.
[2] Par cette décision du 5 septembre 2006, la Commission des lésions professionnelles déclare que 10 % des coûts reliés à la lésion professionnelle du travailleur du 15 octobre 2003 doivent être imputés au dossier financier de l’employeur et que 90 % des coûts à l’ensemble des employeurs.
[3] À l’audience tenue le 27 février 2007 à Trois-Rivières, le travailleur est présent mais non représenté. [La Compagnie A] (l’employeur) est absent mais représenté.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur demande la révocation de la décision de la première commissaire du 5 septembre 2006 car il n’a pu se faire entendre.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] Le tribunal doit déterminer s’il y a lieu de révoquer la décision de la première commissaire rendue le 5 septembre 2006.
[6] Le pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de révoquer une décision qu’elle a rendue est prévu à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), lequel se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[7] Le pouvoir de révocation prévu à l’article 429.56 de la loi doit être considéré comme une procédure d’exception. Ce pouvoir que possède la Commission des lésions professionnelles s’inscrit dans le contexte de l’article 429.49 de la loi. À cet article, le législateur indique bien qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et que toute personne visée doit s’y conformer. Par conséquent, lorsqu’une personne soumet une requête pour demander à la Commission des lésions professionnelles de révoquer une décision qu’elle a rendue, cette requête doit s’appuyer sur des motifs précis et sérieux.
[8] Le législateur prévoit d’ailleurs trois motifs précis pouvant donner ouverture à une révocation d’une décision. Premièrement, une décision de la Commission des lésions professionnelles peut être révoquée lorsqu’est découvert un fait nouveau lequel, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente. Deuxièmement, il peut y avoir révocation lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre. Troisièmement, il peut y avoir révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles lorsqu’il y a présence d’un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision faisant l’objet de la requête.
[9] Le législateur a voulu limiter le recours prévu à l’article 429.56 de la loi aux seuls cas qui y sont spécifiés. Il manifeste ainsi son intention de restreindre la portée de ce recours[2].
[10] Tenant compte des éléments que soulève le travailleur dans sa requête, le tribunal estime qu’il y a lieu de référer particulièrement au second paragraphe de l’article 429.56 de la loi. Il s’agit du cas où une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre.
[11] C’est donc en ayant à l’esprit ces principes de droit que le tribunal entend procéder à l’analyse des différents éléments mis de l’avant par le travailleur pour faire révoquer la décision de la première commissaire du 5 septembre 2006. Et pour comprendre le contexte dans lequel s’inscrit cette requête, il convient de rappeler certains faits. Le tribunal tient à mentionner qu’il ne s’agit pas de faire une revue exhaustive de la preuve, mais bien de rappeler les faits pertinents permettant de comprendre le contexte ayant mené au dépôt de la requête en révocation du travailleur.
[12] Le 15 octobre 2003, le travailleur subit une lésion professionnelle. Alors qu’il conduit un chariot élévateur, il roule dans un nid-de-poule. Il s’inflige alors une entorse lombaire. La CSST reconnaît l’existence d’une lésion professionnelle en appliquant la présomption prévue à l’article 28 de la loi.
[13] Dans le cadre du suivi médical, le travailleur subit plusieurs examens paracliniques, dont une radiographie, une tomodensitométrie, une résonance magnétique et une scintigraphie osseuse. Ces examens révèlent entre autres la présence de phénomènes dégénératifs à la colonne lombaire. On observe aussi une petite hernie discale L4-L5, laquelle comprime la racine L5 gauche. Ce nouveau diagnostic est accepté en relation avec la lésion professionnelle du 15 octobre 2003.
[14] Le travailleur est examiné par différents spécialistes à la demande de l’employeur, de la CSST ou de son médecin qui a charge. Certains mettent en lumière une condition personnelle d’arthrose lombaire.
[15] Le 19 janvier 2004, l’employeur formule une demande de partage de l’imputation.
[16] Le dossier du travailleur est acheminé au Bureau d’évaluation médicale. Le 25 août 2004, un membre du Bureau d’évaluation médicale examine le travailleur. À la suite de son examen, il retient un diagnostic d’entorse dorsolombaire greffée sur une discopathie dégénérative L4-L5, L5-S1 et une hernie discale L5 gauche. La lésion n’est pas consolidée au moment de son examen.
[17] La lésion professionnelle est plutôt consolidée le 22 novembre 2004. On prévoit l’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles. Le 7 décembre 2004, le travailleur est examiné par la docteure Josée Fortier, physiatre. Elle produit un rapport d’évaluation médicale. Elle détermine des limitations fonctionnelles et un déficit anatomo-physiologique de 5 %.
[18] Le 14 décembre 2004, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la demande de partage de l’employeur. Ce dernier en demande la révision.
[19] Le 23 décembre 2004, la CSST statue sur le droit à la réadaptation du travailleur.
[20] Le 24 mars 2005, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 5,75 % en regard de la lésion professionnelle du 15 octobre 2003. Le travailleur demande la révision de cette décision.
[21] Le travailleur revoit la docteure Fortier, laquelle diagnostique une lombalgie et une dorsalgie chronique. Elle prescrit une médication.
[22] Le travailleur soumet une réclamation à la CSST pour faire reconnaître une récidive, rechute ou aggravation en date du 13 mars 2005.
[23] Le 4 avril 2005, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît l’existence d’une relation entre la récidive, rechute ou aggravation du 13 mars 2005 et la lésion professionnelle du 15 octobre 2003. L’employeur demande la révision de cette décision.
[24] Le 26 avril 2005, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle confirme sa décision initiale du 14 décembre 2004 concernant le refus de la demande du partage de l’imputation. Le 2 mai 2005, l’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision (261130-04-0505).
[25] Le 4 mai 2005, la Commission des lésions professionnelles envoie un accusé réception de la requête du 2 mai 2005 à l’employeur et à son procureur. Quant au travailleur, il reçoit plutôt la lettre suivante :
« Le 04 mai 2005
D... B...
[...]
[...] (Québec)
[...]
Dossier (s) CLP Dossier (s) CSST/DRA
Q-261130-04-0505 125016436-1
TRAVAILLEUR (EUSE) : D... B...
RÉCEPTION D’UNE CONTESTATION CONCERNANT L’IMPUTATION
Les documents que vous recevez présentement concernent une contestation produite par votre employeur actuel ou un employeur précédent.
La décision qu’il conteste porte sur le coût que lui applique la C.S.S.T. à la suite de la ou des lésions professionnelles que vous avez subie (s) alors que vous étiez à son emploi. Ce coût influence UNIQUEMENT la cotisation que votre employeur doit verser à chaque année à la C.S.S.T. pour l’ensemble de ses employés. Ainsi, cette démarche de l’employeur n’a aucune influence sur l’indemnité qui vous est accordée.
Cependant, si vous désirez intervenir dans cette cause car vous considérez avoir un intérêt, vous devez nous transmettre un avis écrit.
Vous serez alors considéré (e) comme une partie au litige et vous recevrez une copie de tous les documents qui seront produits à la Commission des lésions professionnelles dans ce dossier. Ainsi, si une audience est tenue, vous serez convoqué (e) par la Commission des lésions professionnelles.
Pour toute information additionnelle sur le sujet, n’hésitez pas à communiquer avec nous en composant l’un des numéros de téléphone mentionnés au bas de cette lettre. Par ailleurs, vous pouvez retrouver de l’information générale sur la CLP en visitant notre site internet à l’adresse suivante :
www.clp.gouv.qc.ca
Recevez nos salutations distinguées
[…] » [sic]
(nos soulignements)
[26] Le 28 juin 2005, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. D’une part, elle confirme sa décision initiale du 24 mars 2005 portant sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique. D’autre part, elle infirme sa décision initiale du 4 avril 2005 portant sur l’admissibilité de la récidive, rechute ou aggravation du 13 mars 2005. Le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision (267171-04-0507).
[27] Les parties sont convoquées en audience le 14 mars 2006 à 13 h 30. Dans un premier temps, la première commissaire tient une audience pour disposer de la requête 267171-04-0507. Il s’agit de la requête déposée par le travailleur. Cette audience se tient en présence du travailleur, de sa procureure et du procureur de l’employeur. La première commissaire est accompagnée de membres issus et d’un assesseur. Au cours de cette audience, la première commissaire entend le témoignage du travailleur et de l’expert de l’employeur, le docteur Mario Giroux. Après avoir entendu le témoignage du travailleur, la première commissaire demande le dépôt de notes de médecins spécialistes consultés par le travailleur. La procureure du travailleur présente ses arguments. Elle se réserve le droit de rajouter une argumentation écrite en fonction des documents demandés. Quant au procureur de l’employeur, il demande de soumettre une argumentation écrite.
[28] L’audience du dossier 267171-04-0507 se termine. Le travailleur, sa procureure ainsi que les membres issus quittent la salle. La première commissaire procède alors à l’audience pour disposer de la requête 261130-04-0505. Il s’agit de la requête déposée par l’employeur le 2 mai 2005 et qui porte sur la demande de partage de l’imputation. Cette audience se tient en présence du procureur de l’employeur et de son expert. La première commissaire est accompagnée d’un assesseur. Au cours de l’audience, la première commissaire entend le témoignage du docteur Giroux et l’argumentation du procureur.
[29] Pour connaître ce déroulement des faits, le tribunal a écouté l’intégrale des enregistrements numériques effectués au cours de l’après-midi du 14 mars 2006 pour chaque requête (267171-04-0507 et 261130-04-0505). Il faut mentionner qu’en tout début d’audience, la première commissaire avise les parties du déroulement de l’après-midi, soit qu’une audience serait d’abord tenue pour le dossier 267171-04-0507 et que par la suite, elle entendrait le dossier 261130-04-0505.
[30] Le 11 août 2006, la première commissaire rend une décision dans le dossier 267171-04-0507. Elle conclut que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 13 mars 2005.
[31] Le 5 septembre 2006, elle rend une décision concernant le dossier 261130-04-0505. Elle conclut que l’employeur a droit à un partage de l’imputation de l’ordre de 10 % à son dossier et de 90 % aux employeurs de toutes les unités.
[32] Le 12 octobre 2006, le travailleur fait parvenir la lettre suivante :
« […]
Objet : M. D... B...
No de dossier CSST : 125 016 436
No de dossier CLP : 261130-04-0505
Madame, Monsieur,
Je demande à voir mon dossier car il y a un jugement qui a été fait me concernant, sans ma présence, ce qui n’est pas normal au point de vue des lois.
Dans toutes condamnations d’une personne, ladite personne a le droit d’être présente à son procès. Madame la Commissaire Carignan a rendu une sentence bafouant toutes lois protégeant le travailleur qui n’a jamais fait appel à un médecin pour ladite maladie dont on fait mention dans ce dossier. J’espère également obtenir des réponses pour toutes les questions que je me pose et celles que j’aimerais poser.
Comment peut-on m’enlever le privilège de me défendre? Le but de la Commission des lésions professionnelles n’est pas d’écouter le travailleur?
J’aimerais tout de même vous remercier pour avoir pris le temps de m’entendre, par une lettre si je ne peux parler quand on me juge.
En espérant, que mes droits seront enfin respectés, veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.
[…] »
[33] Cette lettre, interprétée comme une requête en révocation, concerne le dossier 261130-04-0505, soit celui ayant trait au partage de l’imputation en regard de l’article 329 de la loi. Le tribunal comprend que le travailleur reproche à la Commission des lésions professionnelles d’avoir procédé à l’audience concernant le dossier 261130-04-0505, sans sa présence. En ce sens, il réfère donc au droit d’être entendu.
[34] Devant le présent tribunal, le travailleur soumet différents éléments au soutien de sa requête que le tribunal résume comme suit :
[35] Le travailleur s’est procuré l’enregistrement de l’audience 261130-04-0505. Après l’avoir écouté, il constate que cet enregistrement ne comporte aucune mention concernant la demande de partage de l’imputation. Il se demande en vertu de quelle preuve la première commissaire a pu statuer comme elle l’a fait dans sa décision du 5 septembre 2006.
[36] Ensuite, il soumet qu’il aurait aimé assister à l’audience concernant la demande de partage de l’imputation. Par contre, sur les conseils de sa procureure de l’époque, il a quitté la salle après l’audience portant sur sa demande de récidive, rechute ou aggravation. Il suspecte qu’il y a eu entente secrète entre sa procureure de l’époque et le procureur de l’employeur pour l’écarter de l’audience sur la demande de partage de l’imputation.
[37] Et quant à cette demande de partage de l’imputation, il aurait aimé faire part de certains faits. Il aurait voulu indiquer entre autres que pendant plusieurs années, il a travaillé avec un chariot élévateur inadéquat. L’utilisation de cet équipement inadéquat a contribué à l’usure de sa colonne lombaire. Il rajoute aussi qu’il trouve injuste que les coûts de sa lésion professionnelle soient répartis entre plusieurs employeurs.
[38] Avant de traiter de façon plus particulière de ces différents arguments mis de l’avant par le travailleur, le tribunal croit pertinent de revenir sur certains principes de droit. D’une part, il convient de rappeler le cadre légal à l’intérieur duquel la première commissaire pouvait rendre sa décision concernant les dossiers 261130-04-0505 et 267171-04-0507 et d’autre part, il y a lieu de revenir sur la notion de partie intéressée et particulièrement dans le contexte d’un recours relatif à l’application de l’article 329 de la loi.
[39] En ce qui a trait au cadre légal, les articles pertinents sont les suivants :
369. La Commission des lésions professionnelles statue, à l'exclusion de tout autre tribunal:
1° sur les recours formés en vertu des articles 359, 359.1, 450 et 451;
2° sur les recours formés en vertu des articles 37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).
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1985, c. 6, a. 369; 1997, c. 27, a. 24.
370. La Commission des lésions professionnelles siège en divisions. Les divisions sont les suivantes:
1° la division du financement;
2° la division de la prévention et de l'indemnisation des lésions professionnelles.
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1985, c. 6, a. 370; 1997, c. 27, a. 24.
371. Les recours formés en vertu de l'article 359 et qui ont pour objet une décision rendue en application des chapitres IX ou X sont décidés par la division du financement.
__________
1985, c. 6, a. 371; 1997, c. 27, a. 24.
372. Les recours formés en vertu de l'article 37.3 ou 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), les recours formés en vertu de l'article 359 autres que ceux visés dans l'article 371 et les recours formés en vertu des articles 359.1, 450 et 451 sont décidés par la division de la prévention et de l'indemnisation des lésions professionnelles.
__________
1985, c. 6, a. 372; 1997, c. 27, a. 24.
373. Dans chacune des divisions de la Commission des lésions professionnelles, les recours sont instruits et décidés par un commissaire.
__________
1985, c. 6, a. 373; 1988, c. 21, a. 66; 1997, c. 27, a. 24.
374. Dans la division de la prévention et de l'indemnisation des lésions professionnelles, deux membres, l'un issu des associations d'employeurs et l'autre des associations syndicales, siègent auprès du commissaire et ont pour fonction de le conseiller.
Le membre issu des associations d'employeurs est nommé conformément au quatrième alinéa de l'article 385. Le membre issu des associations syndicales est nommé conformément au cinquième alinéa de cet article.
__________
1985, c. 6, a. 374; 1997, c. 27, a. 24.
375. Les commissaires peuvent siéger dans l'une et l'autre des divisions.
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1985, c. 6, a. 375; 1997, c. 27, a. 24.
[40] La Commission des lésions professionnelles statue de façon exclusive sur les recours formés notamment en vertu des articles 359, 359.1, 450 et 451 de la loi. Aux fins du présent litige, le tribunal se concentre particulièrement sur les recours formés en regard de l’article 359 de la loi :
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
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1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[41] Si la contestation soumise en regard de l’article 359 de la loi concerne un dossier de financement, elle est entendue par la division du financement. Si la contestation concerne l’indemnisation des lésions professionnelles, elle est entendue par la division de la prévention et de l’indemnisation des lésions professionnelles. Dans chacune des divisions, les recours sont instruits et décidés par un commissaire. Lorsque la contestation concerne une question de prévention et d’indemnisation des lésions professionnelles, un membre issu des associations d'employeurs et un membre issu des associations syndicales siègent avec le commissaire. Ils ont pour fonction de le conseiller. Un commissaire est habilité à siéger dans l’une ou l’autre des divisions. Par conséquent, le même commissaire peut d’une part instruire et décider d’un recours visant le financement et d’autre part, d’un recours visant la prévention et l’indemnisation des lésions professionnelles.
[42] Dans la présente cause, les parties sont convoquées en audience le 14 mars 2006 à 13 h 30 devant la première commissaire. Dans un premier temps, la première commissaire tient une audience pour disposer de la requête 267171-04-0507. Il s’agit d’un recours formé en vertu de l’article 359 de la loi ayant trait à l’indemnisation des lésions professionnelles. L’audience se tient en présence du travailleur, de sa procureure et du procureur de l’employeur. La première commissaire est accompagnée de membres issus et d’un assesseur médical. L’audience du dossier 267171-04-0507 se termine. Le travailleur, sa procureure ainsi que les membres issus quittent la salle. La première commissaire procède alors à l’audience pour disposer du recours de l’employeur formé en vertu de l’article 359 de la loi, mais ayant trait à une question de financement (261130-04-0505). Il s’agit de la requête déposée par l’employeur le 2 mai 2005 et qui porte sur sa demande de partage de l’imputation en regard de l’article 329 de la loi. Cette audience se tient en présence du procureur de l’employeur et de son expert. La première commissaire est accompagnée d’un assesseur.
[43] Ce mode de fonctionnement respecte donc les dispositions de la loi préalablement citées. Et l’absence du travailleur pour l’audience concernant le recours relatif à l’application de l’article 329 de la loi ne relève pas du fait que la première commissaire a enfreint son droit d’être entendu. L’absence du travailleur à cette audience est plutôt la conséquence de l’application du principe de partie intéressée, au sens juridique du terme.
[44] Tel que le mentionne l’article 359 de la loi, une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 de la loi peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification. Dans sa décision rendue dans l’affaire Prieur et Sûreté du Québec[3], la Commission des lésions professionnelles indique :
[…]
[19] Quant à la notion de « personne qui se croit lésée par une décision », il a été décidé qu’elle vise la personne qui est réellement lésée par la décision qu’elle conteste. Par exemple, dans l’affaire Boudreau, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles s’est exprimée comme ceci :
[...]
Une longue jurisprudence de la Commission d’appel a établi que les articles précités requéraient non seulement qu’une personne se croie lésée par une décision mais également que celle-ci soit effectivement lésée et qu’elle puisse en faire la preuve.
[...]4
[20] Or, la jurisprudence enseigne qu’une décision rendue en matière d’imputation n’est pas de nature à léser un travailleur. À cet effet, même si elle intervient en vertu de l’article 329 de la LATMP, il a été décidé qu’elle intéresse seulement l’employeur car elle influe sur le montant de sa cotisation alors qu’elle n’a aucun impact sur les droits du travailleur. (…)
_________________________
4 Claude Boudreau et Reynald Côté inc. (1994) C.A.L.P., p. 530, 533
[…] »
[45] Et comme le rappelle la Commission des lésions professionnelles dans sa décision Société immobilière du Québec et Centre jeunesse de Montréal[4], selon la définition du terme « lésée », c’est le préjudice subi par une personne qui lui confère l’intérêt nécessaire pour contester.
[46] Dans le dossier 261130-04-0505, ce n’est pas le travailleur qui conteste. C’est plutôt l’employeur qui, s’estimant lésé par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358, conteste devant la Commission des lésions professionnelles. Par contre, le tribunal est d’avis que les principes élaborés dans les affaires précitées et repris à plusieurs reprises, peuvent servir à l’analyse de la présente situation. Ils servent notamment à évaluer si une personne peut être considérée comme une partie intéressée à un litige. Ce faisant, pour être considérée comme une partie intéressée à un litige, une personne doit avoir un intérêt. L’intérêt de cette personne se mesure en regard du préjudice qu’elle peut subir en fonction de la nature de la décision contestée.
[47] La contestation soumise par l’employeur dans le dossier 261130-04-0505 a trait à une demande de partage de l’imputation formulée en regard de l’article 329 de la loi. Cet article se lit comme suit :
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[48] À l’initiative de la CSST ou à la demande d’un employeur, la CSST peut imputer le coût des prestations d’une lésion professionnelle en tout ou en partie aux employeurs de toutes les unités. Pour ce faire, il doit s’agir d’un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste la lésion professionnelle en question. L'employeur qui présente une demande en vertu de l’article 329 doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
[49] Lorsqu’un employeur présente une telle demande, on comprend qu’elle s’inscrit dans un contexte où une lésion professionnelle est acceptée et que cette lésion professionnelle génère des coûts. Lorsque l’employeur formule une telle demande, l’admissibilité de la lésion professionnelle, le droit à l’indemnité de remplacement du revenu, l’indemnité pour dommages corporels, les limitations fonctionnelles, le droit à la réadaptation ou les mesures de réadaptation d’un travailleur ne sont pas remis en cause. L’enjeu du débat concerne plutôt les coûts engendrés par ces différents éléments et la façon de partager ces coûts. Pour ce faire, l’on doit prouver que le travailleur est déjà handicapé lorsque se manifeste la lésion professionnelle.
[50] Comme le rappelle la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Prieur et Sûreté du Québec[5], précitée, la reconnaissance d’un handicap au sens de l’article 329 de la loi intervient dans un contexte bien précis et la portée de cette reconnaissance demeure limitée à ce contexte précis. Il ne s’agit pas d’une reconnaissance générale de handicap affectant tous les aspects de la vie d’un travailleur ou d’éventuelles lésions professionnelles. Cette reconnaissance que le travailleur est déjà handicapé s’applique au contexte de la lésion professionnelle sous étude seulement. Et ceci, dans le but de déterminer si les coûts engendrés par la lésion professionnelle peuvent être partagés en tout ou en partie avec les employeurs de toutes les unités.
[51] Dans un tel contexte, on comprend que le travailleur ne soit pas considéré comme une partie intéressée, au sens juridique du terme.
[52] Par conséquent, lorsqu’il s’agit d’un débat instruit et décidé par la division de la prévention et de l’indemnisation des lésions professionnelles, il va de soi que le travailleur est une partie intéressée. Cet intérêt lui est conféré par le préjudice qu’il peut subir du fait que l’on discute notamment de l’admissibilité de la lésion professionnelle, de son droit à l’indemnité de remplacement du revenu, d’une autre forme d’indemnité prévue à la loi ou de questions reliées à la réadaptation. En matière de financement, la situation est tout autre. Il est plutôt question de classification, de cotisation ou de répartition du coût des prestations engendrées par des lésions professionnelles. On constate qu’un travailleur ne peut être considéré d’emblée une partie intéressée dans ce genre de litige. Et lorsqu’il s’agit d’un litige portant sur l’application de l’article 329 de la loi, ce constat est d’autant plus évident.
[53] Pour s’en convaincre, il importe de référer à l’article 429.16 de la loi, lequel se lit comme suit :
429.16. La Commission peut intervenir devant la Commission des lésions professionnelles à tout moment jusqu'à la fin de l'enquête et de l'audition.
Lorsqu'elle désire intervenir, elle transmet un avis à cet effet à chacune des parties et à la Commission des lésions professionnelles; elle est alors considérée partie à la contestation.
Il en est de même du travailleur concerné par un recours relatif à l'application de l'article 329.
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1997, c. 27, a. 24.
(nos soulignements)
[54] Le législateur y prévoit spécifiquement que le travailleur concerné par un recours relatif à l’application de l’article 329 de la loi peut intervenir devant la Commission des lésions professionnelles à tout moment jusqu'à la fin de l'enquête et de l'audition. Or, s’il fallait automatiquement considérer le travailleur comme une partie intéressée dans le cadre d’un recours portant sur l’article 329 de la loi, le tribunal comprend mal alors pour quelle raison le législateur aurait prévu qu’un travailleur puisse intervenir devant la Commission des lésions professionnelles dans ce genre de recours. C’est d’ailleurs le raisonnement qu’adopte la Commission des lésions professionnelles dans la décision Prieur et Sûreté du Québec, précitée.
[55] Et par souci de bien informer un travailleur dans ce genre de situation, la Commission des lésions professionnelles lui fait parvenir une lettre l’informant que la contestation de l’employeur concerne l’imputation et de la possibilité que le travailleur a d’intervenir s’il croit avoir un intérêt. Pour le cas sous étude, le tribunal a reproduit cette lettre datée du 4 mai 2005 envoyée au travailleur.
[56] Par conséquent, si le travailleur n’a pas assisté à l’audience portant sur l’application de l’article 329 de la loi, il ne faut pas y voir le résultat d’une entente occulte entre sa procureure de l’époque et le procureur de l’employeur pour l’exclure volontairement du débat. Et si la première commissaire a instruit et décidé du recours ayant trait à l’application de l’article 329 de la loi comme elle l’a fait, ceci s’est fait en conformité avec la loi. Elle n’a pas enfreint le droit du travailleur d’être entendu.
[57] Et s’il avait été entendu, le travailleur indique qu’il aurait pu expliquer que sa condition lombaire découle de l’utilisation d’un équipement inadéquat. Or, sur cet aspect, le tribunal aimerait rappeler que la lésion professionnelle du 15 octobre 2003 est acceptée sous l’angle d’un accident du travail et non d’une maladie professionnelle. Par conséquent, lorsque la première commissaire doit examiner s’il s’agit d’un travailleur déjà handicapé au moment de la lésion professionnelle du 15 octobre 2003, elle le fait dans un contexte où cette lésion professionnelle survient par le fait d’un accident du travail. La preuve que voudrait faire le travailleur n’aurait été d’aucune pertinence devant la première commissaire. Et il en va de même quant au fait qu’il trouve injuste que les coûts de sa lésion professionnelle du 15 octobre 2003 soient répartis entre différents employeurs. Bien que le travailleur trouve la situation injuste, cette possibilité de partager les coûts est prévue spécifiquement à la loi.
[58] En ce qui a trait à l’enregistrement, il est possible que le travailleur n’ait pu avoir l’intégrale des enregistrements. Ceci découle toutefois d’une particularité administrative ou technique et non du fait que la première commissaire ait rendu une décision sans tenir d’audience et sans preuve aucune.
[59] Tel qu’expliqué au travailleur à l’audience pour la présente requête, il y a bel et bien un enregistrement concernant le dossier de la demande de partage de l’imputation. Puisque les dossiers 261130-04-0505 et 267171-04-0507 devaient être entendus un à la suite de l’autre, le rôle informatique permettant d’enclencher l’enregistrement numérique ne comportait que le premier numéro de la séquence, soit le 261130-04-0505. Par conséquent, tant l’enregistrement numérique pour le dossier concernant la récidive, rechute ou aggravation que celui concernant la demande de partage de l’imputation ont été versés dans le dossier 261130-04-0505. Et puisque, pour une question de commodité, la première commissaire a entendu le dossier de la récidive, rechute ou aggravation avant le dossier de la demande de partage de l’imputation, il est compréhensible que la première partie de l’enregistrement concerne le dossier de la récidive, rechute ou aggravation et que le dossier de la demande de partage vienne par la suite. Ceci peut donc expliquer le fait que lorsque le travailleur demande l’enregistrement de l’audience pour le dossier 261130-04-0505, il ne reçoit que la première partie, soit celle ayant trait au dossier concernant la récidive, rechute ou aggravation.
[60] Le tribunal, après écoute des enregistrements, tient à confirmer qu’il y a eu une audience concernant spécifiquement la demande de partage de l’imputation et qu’au cours de cette audience, la première commissaire a bel et bien reçu des éléments de preuve. Sa décision n’est donc pas rendue de façon arbitraire ou en l’absence de preuve.
[61] À la lumière de cette analyse, le tribunal conclut qu’il n’y a pas lieu de révoquer la décision du 5 septembre 2006, rendue par la première commissaire. Il n’y a pas de manquement aux règles de justice naturelle au sens du second paragraphe de l’article 429.56 de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révocation déposée le 17 octobre 2006 par monsieur D... B..., le travailleur.
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Me Sophie Sénéchal |
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Commissaire |
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Me Sylvain Lamontagne |
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LEBLANC LALONDE & ASS. |
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Procureur de la partie requérante |
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[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[3] C.L.P. 157921-05-0103, 10 juillet 2001, F. Ranger;
[4] [2000] C.L.P. 582 .
[5] Voir note 3; Voir aussi Milette et Les Transports Inter-cité, C.A.L.P. 9167-787, 12 juillet 1990, M. Paquin; Rucci et Les teinturiers Hubbard inc., C.A.L.P. 43025-60-9208, 2 février 1995, T. Giroux;
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