Décision

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Chabot et Entreprises forestières Chabot & Frères

2011 QCCLP 1873

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

10 mars 2011

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

403959-03B-1002

 

Dossier CSST :

127407922

 

Commissaire :

Ann Quigley, juge administratif

 

Membres :

Jean-Guy Verreault, associations d’employeurs

 

Yves Racette, associations syndicales

 

 

Assesseure :

Johanne Gagnon, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Mario Chabot

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Entreprises forestières Chabot & Frères (fermé)

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 24 fĂ©vrier 2010, monsieur Mario Chabot (le travailleur) dĂ©pose une requĂŞte devant la Commission des lĂ©sions professionnelles Ă  l’encontre d’une dĂ©cision rendue par la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail (la CSST) le 4 fĂ©vrier 2010 Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative.

[2]           Par cette dĂ©cision, la CSST confirme la dĂ©cision initialement rendue le 9 juin 2009 et dĂ©clare que le travailleur n’a pas subi de rĂ©cidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008 de l’évĂ©nement initial du 24 novembre 1995. De ce fait, il n’a pas droit aux prestations prĂ©vues Ă  la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           Le travailleur est prĂ©sent et reprĂ©sentĂ© Ă  l’audience qui a lieu devant la Commission des lĂ©sions professionnelles siĂ©geant Ă  LĂ©vis le 4 mars 2011. Entreprises forestières Chabot & Frères (l'employeur) a cessĂ© ses activitĂ©s en 1999 et n’est donc pas reprĂ©sentĂ© Ă  l’audience. La CSST est Ă©galement reprĂ©sentĂ©e Ă  l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le travailleur demande Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles de reconnaĂ®tre qu’il a subi une rĂ©cidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008 de l’évĂ©nement initial du 24 novembre 1995, soit une rĂ©activation de son Ă©tat de stress post-traumatique avec symptĂ´mes anxieux et dĂ©pressifs importants.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis que le travailleur a subi une rĂ©cidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008.

[6]           Pour en venir Ă  cette conclusion, il se base notamment sur le tĂ©moignage non contredit du docteur Alexis Auger-Dufour, psychiatre, qui suit le travailleur depuis 2004. Selon lui, ce mĂ©decin a dĂ©montrĂ© la dĂ©tĂ©rioration de la condition du travailleur Ă  compter de novembre 2008 et le lien entre cette dĂ©tĂ©rioration et la lĂ©sion professionnelle initiale de 1995.

[7]           Le membre issu des associations syndicales est donc d’avis d’accueillir la requĂŞte dĂ©posĂ©e par le travailleur le 24 fĂ©vrier 2010 et d’infirmer la dĂ©cision rendue par la CSST le 4 fĂ©vrier 2010 Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative.

[8]           Pour sa part, le membre issu des associations d’employeurs est plutĂ´t d’avis que le travailleur n’a pas subi de rĂ©cidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008.

[9]           Il base son opinion sur le fait que, jusqu’en 2008, le travailleur allait relativement bien. Selon lui, la dĂ©tĂ©rioration de son Ă©tat est directement reliĂ©e au non-respect des limitations fonctionnelles, soit l’achat et l’utilisation d’une mini-excavatrice qui vont Ă  l’encontre de ce qu’avait Ă©noncĂ© le docteur Ronald Ouellet, psychiatre, en 2005, lorsqu’il avait Ă©valuĂ© les sĂ©quelles permanentes que conservait le travailleur Ă  la suite de la rĂ©cidive, rechute ou aggravation du 1er dĂ©cembre 2004 de l’évĂ©nement initial du 24 novembre 1995.

[10]        Le membre issu des associations d’employeurs accorde peu de valeur probante au tĂ©moignage du docteur Auger-Dufour sur ce volet, ne comprenant pas la recommandation favorable de ce dernier Ă  l’égard de l’achat et l’utilisation d’un tel Ă©quipement Ă  des fins professionnelles.

[11]        Selon lui, c’est uniquement cet Ă©lĂ©ment qui a contribuĂ© Ă  la rĂ©activation de l’état de stress post-traumatique et il ne s’agit pas lĂ  d’une cause donnant droit Ă  la reconnaissance d’une rĂ©cidive, rechute ou aggravation.

[12]        De ce fait, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requĂŞte dĂ©posĂ©e par le travailleur le 24 fĂ©vrier 2010 et de confirmer la dĂ©cision rendue par la CSST le 4 fĂ©vrier 2010 Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[13]        La Commission des lĂ©sions professionnelles doit dĂ©terminer si le travailleur a subi une rĂ©cidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008 de l’évĂ©nement initial du 24 novembre 1995.

[14]        En vue de se prononcer Ă  cet effet, le tribunal est liĂ© par le diagnostic Ă©mis par le mĂ©decin qui a charge, soit le docteur Auger-Dufour, psychiatre, soit celui de rechute (rĂ©activation) de l’état de stress post-traumatique avec symptĂ´mes anxieux et dĂ©pressifs importants. En effet, ce diagnostic n’a fait l’objet d’aucune rĂ©fĂ©rence au Bureau d'Ă©valuation mĂ©dicale et lie le tribunal conformĂ©ment Ă  l’article 224 de la loi.

[15]        C’est donc sur cette base que le tribunal entend procĂ©der Ă  l’analyse de la rĂ©clamation du travailleur.

[16]        L’article 2 de la loi dĂ©finit la notion de lĂ©sion professionnelle comme suit :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

[17]        Cependant, la loi ne dĂ©finit pas la notion de rĂ©cidive, rechute ou aggravation. Ă€ cette fin, le tribunal croit donc utile de s’en remettre aux paramètres Ă©laborĂ©s par la jurisprudence du prĂ©sent tribunal et de la Commission d'appel en matière de lĂ©sions professionnelles[2].

[18]        Selon ces paramètres, il faut retenir le sens courant de ces termes, soit une rĂ©apparition, une recrudescence ou une aggravation de la lĂ©sion survenue lors de l’évĂ©nement initial. En d’autres termes, il faut rechercher une modification de l’état de santĂ© du travailleur depuis la consolidation de sa lĂ©sion professionnelle.

[19]        De plus, dans l’affaire Boisvert et Halco inc.[3], la Commission d’appel dĂ©termine certains paramètres permettant de conclure Ă  la survenance d’une rĂ©cidive, rechute ou aggravation. Ces paramètres sont :

-         la gravitĂ© de la lĂ©sion initiale;

-         la continuitĂ© de la symptomatologie;

-         l’existence ou non d’un suivi mĂ©dical;

-         le retour au travail avec ou sans limitations fonctionnelles;

-         la prĂ©sence ou l’absence d’une atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique ou psychique du travailleur;

-         la prĂ©sence ou l’absence d’une condition personnelle;

-         la compatibilitĂ© de la symptomatologie allĂ©guĂ©e au moment de la rĂ©cidive, rechute ou aggravation avec la nature de la lĂ©sion initiale;

-         le dĂ©lai entre la rĂ©cidive, rechute ou aggravation et cette lĂ©sion initiale.

[20]        Le tribunal tient Ă  rappeler qu’aucun de ces paramètres n’est Ă  lui seul dĂ©terminant. C’est plutĂ´t la combinaison de plusieurs Ă©lĂ©ments qui permet ou non de conclure Ă  l’existence d’une rĂ©cidive, rechute ou aggravation.

[21]        Par ailleurs, concernant le lien de causalitĂ© entre la rĂ©cidive, rechute ou aggravation et la lĂ©sion initiale, il doit ĂŞtre dĂ©montrĂ©, de manière prĂ©pondĂ©rante, par le travailleur. Cette relation ne peut ĂŞtre prĂ©sumĂ©e ni reposer uniquement sur son tĂ©moignage[4].

[22]        Bien que ces critères jurisprudentiels aient Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s principalement dans des cas de lĂ©sions physiques, le tribunal est d’opinion qu’ils trouvent Ă©galement application en les adaptant Ă  des situations impliquant des lĂ©sions psychologiques.

[23]        Sur la base de ces paramètres, le tribunal croit utile de rĂ©sumer les faits les plus pertinents du prĂ©sent dossier basĂ©s notamment sur la preuve documentaire dont il dispose de mĂŞme que les tĂ©moignages du travailleur et du docteur Auger-Dufour livrĂ©s lors de l’audience.

[24]        Il ressort de ces Ă©lĂ©ments que lors de l’évĂ©nement initial, soit le 24 novembre 1995, le travailleur occupait un emploi d’opĂ©rateur de bĂ»cheuse au sein de l’entreprise dĂ©tenue par l’un de ses frères.

[25]        Le travailleur n’ayant pas repris en dĂ©tail le descriptif de l’évĂ©nement initial lors de l’audience en raison des sentiments que lui occasionne un tel retour en arrière, le tribunal croit opportun de s’en remettre au rĂ©sumĂ© qui en a Ă©tĂ© fait par une collègue du prĂ©sent tribunal dans le cadre d’une audience tenue le 17 juillet 2007. On peut y lire ce qui suit :

[9]        Le 24 novembre 1995, le travailleur, âgé de 32 ans, occupe la fonction d’opérateur de bûcheuse sur la Côte-Nord au moment où il écrase, par accident, la jambe de son propre frère. Le travailleur, sous le choc, doit se ressaisir et porter assistance à son frère grièvement blessé puisqu’ils se trouvent seuls et éloignés de tout au cœur de la forêt. Le trajet pour atteindre la route principale prend deux heures au cours desquelles le travailleur doit transporter son frère à bord de sa machine, puis d’une camionnette, tout en constatant l’état de ses blessures. Le frère du travailleur subit une amputation de sa jambe par la suite.

 

[10]      Le travailleur poursuit tant bien que mal ses fonctions prélésionnelles au cours des quatre années suivantes. Il craint constamment d’écraser à nouveau quelqu’un avec sa machine. À compter du 9 juillet 1999, le travailleur qui effectue alors un contrat sur l’île d’Anticosti à titre d’opérateur d’abatteuse doit revenir chez lui, étant paniqué et incapable de poursuivre le travail dans un milieu aussi isolé et comparable à celui où s’est produit l’accident de son frère en 1995.

 

[11]      Le travailleur tente en vain de reprendre le travail en forêt alors que revient sans cesse le sentiment de panique et de désarroi dès qu’il doit opérer la machinerie. L’anxiété du travailleur persiste même si ce dernier demeure éloigné de son milieu de travail. Le 16 février 2000, le docteur Carrier fait état d’une fibrillation auriculaire paroxystique récidivante avec anxiété très marquée chez le travailleur qu’il incite à revoir son propre médecin en rapport avec le trouble d’anxiété. Le 14 mars 2000, le docteur Carrier suspecte un trouble de l’adaptation découlant de l’anxiété du travailleur qu’il réfère en psychiatrie. Au moment de prendre rendez-vous avec le psychiatre, le travailleur ne dort plus qu’une à deux heures malgré la prise d’une médication anxiolytique. Il dit être nerveux et avoir de la difficulté à fonctionner depuis l’accident où il conduisait un véhicule lourd avec lequel il a écrasé la jambe de son frère. Le travailleur ne se présente toutefois pas au rendez-vous avec le docteur Girard le 11 mai 2000.

 

[12]      À la même époque, le travailleur tente plutôt de reprendre un travail dans un moulin à scie où il est appelé à opérer un autre type de machinerie. Après quelques mois, le travailleur doit abandonner cet emploi, car il demeure nerveux tout en éprouvant de grosses chaleurs alors qu’il a toujours peur d’écraser quelqu’un. Il démissionne de son emploi en novembre 2000, la panique étant telle qu’il craint un problème de nature cardiaque. Tout son comportement s’en trouve affecté même au plan familial et social alors qu’il n’a plus d’énergie et qu’il n’a plus le goût de faire quoi que ce soit.

 

[13]      À compter du 30 janvier 2001, le travailleur obtient une évaluation avec suivi psychiatrique de la part de la docteure Caron. Cette psychiatre retient un diagnostic provisoire de dépression majeure. En cours de suivi, soit le 16 août 2001, elle constate que la dépression majeure est en rémission presque complète. Elle indique désormais que le travailleur présente fort possiblement un état de stress post-traumatique de survenue différée ou ayant été masqué par la dépression majeure. La docteure Caron note une conduite d’évitement plus marquée chez le travailleur par rapport au lieu de travail. Elle constate l’apparition d’attaques de panique en plus d’une augmentation des cauchemars reliés à l’accident du travail, et ce, après une tentative de retour au travail effectuée le 6 août 2001. Elle prescrit au travailleur un arrêt de travail complet et une psychothérapie d’exposition graduelle en rapport avec un état de stress post-traumatique différé. Cette psychiatre ne remplit aucune attestation médicale sur un formulaire de la CSST. Ses notes de consultation ne font pas non plus mention de précisions qu’elle aurait données au travailleur concernant la relation de cause à effet entre l’état de stress post-traumatique et l’événement de 1995.

 

[14]      À compter du mois de mars 2002, la docteure Caron recommande un retour au travail progressif avec suivi médical mensuel et poursuite de la médication qui est alors augmentée. Le travailleur occupe un emploi pour le compte de son frère amputé, dans le domaine du laminage. Il opère désormais un petit « lift » lorsqu’il n’y a personne dans l’usine. La docteure Caron note une amélioration de la condition du travailleur qui connaît une baisse du sentiment de culpabilité et un grand soulagement qu’elle attribue à la dynamique de rapprochement avec son frère. Le travailleur se sent revivre. Sa problématique conjugale est également résolue.

 

[15]      La docteure Caron met fin au suivi psychiatrique du travailleur en juin 2002. Elle précise toutefois que l’état de stress post-traumatique sévère datant de quelques années n’est que partiellement rétabli alors que persistent certains éléments d’anxiété chez le travailleur qui a toujours tendance à adopter des conduites d’évitement. Ce dernier fonctionne bien depuis qu’il travaille pour son frère qui a été blessé lors de l’accident ayant causé l’état de stress post-traumatique. Le travailleur demeure cependant plus ou moins accessible à une introspection relative aux facteurs inconscients de culpabilité au niveau psychologique concernant cet accident et aux conduites de réparation possible en choisissant de travailler pour son frère.

 

[16]      L’entreprise de Laminage fait faillite en novembre 2002. Le travailleur reprend le travail dans le cadre d’une autre entreprise familiale peu après le début de l’année 2003. Il n’opère désormais aucune machinerie. Il est appelé à diriger les employés à l’intérieur de l’usine qui fermera ses portes à la fin de l’année 2003.

 

[17]      À compter de 2004, le travailleur n’occupe aucun emploi. Il tente à nouveau, mais sans succès de reprendre un emploi sur la machinerie lourde qu’il considère être le seul travail qu’il sache faire. Son état psychologique se détériore peu à peu. C’est ainsi que son médecin le réfère à nouveau en psychiatrie. Le docteur Auger-Dufour, que consulte le travailleur le 1er décembre 2004, informe ce dernier que son état de stress post-traumatique est relié directement à l’accident du travail qu’a subi son frère en 1995 et qu’il a lui-même besoin d’aide à la suite de cet accident. Une première attestation médicale est alors remplie par ce psychiatre sur un formulaire de la CSST. Selon le témoignage du travailleur, aucun autre médecin ne lui avait fait état d’un tel lien entre sa propre condition et l’accident du travail de son frère.

 

[18]      Le 3 janvier 2005, le travailleur adresse à la CSST une réclamation en invoquant avoir subi une lésion professionnelle en relation avec l’accident du travail survenu le 24 novembre 1995.

[26]        Dans les faits, la CSST accepte la rĂ©clamation du travailleur pour une rĂ©cidive, rechute ou aggravation Ă  compter du 1er dĂ©cembre 2004 Ă  l’égard du diagnostic d’état de stress post-traumatique chronique que prĂ©sente le travailleur depuis 1995.

[27]        La lĂ©sion professionnelle est consolidĂ©e le 11 mai 2005 par le docteur Ronald Ouellet, psychiatre mandatĂ© par la CSST afin d’évaluer la condition du travailleur.

[28]        Il appert de cette Ă©valuation que le docteur Ouellet conclut au diagnostic suivant :

Axe I :      SymptĂ´mes rĂ©siduels d’un trouble de stress post-traumatique chronique.

Axe II :     Trait de personnalitĂ© du groupe C, peu contributif.

Axe III :    Aucun problème physique documentĂ©.

Axe IV :   L’évĂ©nement de novembre 1995 est imputable.

Axe V :    EGF se situant aux environs de 75.

[29]        Bien que le docteur Ouellet considère que la condition du travailleur soit consolidĂ©e en date de son examen, soit le 11 mai 2005, il est d’avis qu’il faut maintenir encore quelque temps les traitements et recommande de clore le dossier en procĂ©dant Ă  la rĂ©adaptation.

[30]        Le docteur Ouellet dresse le bilan suivant des sĂ©quelles :

CODE               DESCRIPTION                                                              DAP

 

222547              névrose de groupe I (mineure)                                          5 %

[31]        De plus, il est d’avis que le travailleur conserve les limitations fonctionnelles suivantes :

Monsieur ne pourra retravailler à titre d’opérateur de machines, quel qu’en soit le type, y compris les camions et autres véhicules.

[32]        Ă€ la suite de cette Ă©valuation mĂ©dicale, le docteur Auger-Dufour complète un rapport complĂ©mentaire Ă  la demande de la CSST oĂą il se dit en accord avec l’ensemble des conclusions du docteur Ouellet, considĂ©rant que la lĂ©sion est effectivement consolidĂ©e et que les limitations fonctionnelles et le bilan des sĂ©quelles lui apparaissent adĂ©quats. Il est d’avis que la rĂ©adaptation assistĂ©e est recommandĂ©e et qu’elle devrait ĂŞtre thĂ©rapeutique.

[33]        Dès lors, le travailleur bĂ©nĂ©ficie d’un processus de rĂ©adaptation professionnelle au terme duquel l’emploi convenable de commis de quincaillerie est dĂ©terminĂ©. La CSST rend une dĂ©cision en vertu de laquelle elle considère que le travailleur a la capacitĂ© d’exercer cet emploi Ă  compter du 27 juin 2006 et prĂ©cise qu’il continuera de recevoir l’indemnitĂ© de remplacement du revenu tant qu’il ne se sera pas trouvĂ© un emploi ou, au plus tard, le 26 juin 2007.

[34]        Il appert du dossier que malgrĂ© la consolidation de sa lĂ©sion professionnelle, le travailleur continue de faire l’objet d’un suivi mĂ©dical rĂ©gulier auprès du docteur Auger-Dufour.

[35]        Le 27 novembre 2008, le travailleur consulte le docteur Auger-Dufour qui rĂ©dige une note de consultation oĂą il inscrit que le travailleur a recommencĂ© Ă  travailler depuis l’étĂ© dernier Ă  l’aide d’un tracteur qui lui permet d’accepter divers contrats d’amĂ©nagement sur des terrains de particuliers. Malheureusement, il constate que le travailleur se montre dĂ©couragĂ© de la situation, dit n’avoir aucune confiance en lui, craint de se tromper, hĂ©site Ă  accepter des contrats d’étrangers, a l’impression de ne pas ĂŞtre Ă  la hauteur, devient très anxieux et peut mĂŞme pleurer lorsqu’il commence Ă  conduire son tracteur.

[36]        De plus, le docteur Auger-Dufour note que le travailleur a de la difficultĂ© Ă  dormir, a des vellĂ©itĂ©s suicidaires sans intention de passage Ă  l’acte, craint de refaire des attaques de panique, se dĂ©valorise, se sent coupable et est anxieux face Ă  la situation financière de la famille. Il indique Ă©galement qu’il lui est arrivĂ© d’avoir une reviviscence reliĂ©e Ă  son Ă©tat de stress post-traumatique et il fait toujours beaucoup d’évitement.

[37]        Ă€ l’examen mental, le docteur Auger-Dufour note que le travailleur pleure et sanglote au cours de l’entrevue, qu’il semble un peu abattu, que les affects sont tristes, anxieux et non mobilisables. De mĂŞme, il constate que le discours est empreint d’autodĂ©valorisation, de sentiment de culpabilitĂ© et d’une diminution de l’espoir. Le travailleur ne prĂ©sente cependant pas d’idĂ©e dĂ©lirante ni d’idĂ©e hĂ©tĂ©ro-agressive. Il n’a pas repris la consommation de la cigarette et sa maladie coronarienne est stable.

[38]        Au terme de son Ă©valuation, le docteur Auger-Dufour pose le diagnostic suivant :

Axe I :      Trouble dĂ©pressif majeur rĂ©current avec rechute des sĂ©quelles chroniques de l’état de stress post-traumatique.

Axe II :     Traits obsessionnels compulsifs et Ă©vitants de la personnalitĂ©.

Axe III :    Maladie coronarienne, dyslipidĂ©mie, hypertension artĂ©rielle.

[39]        Le docteur Auger-Dufour recommande au travailleur de remplir un formulaire de la CSST justifiant une demande pour rĂ©cidive, rechute ou aggravation liĂ©e Ă  l’évĂ©nement initial. Il lui donne Ă©galement des conseils comportementaux et ajuste la mĂ©dication en y ajoutant du Risperdal, en augmentant le Desyrel et le Rivotril en cas d’anxiĂ©tĂ©. Il maintient Ă©galement l’Effexor et le Wellbutrin.

[40]        Ce mĂŞme jour, le docteur Auger-Dufour complète une attestation mĂ©dicale destinĂ©e Ă  la CSST oĂą il pose le diagnostic de rechute (rĂ©activation) de l’état de stress post-traumatique avec symptĂ´mes anxieux et dĂ©pressifs importants. En lien avec cette consultation mĂ©dicale, le 30 mars 2009, le travailleur produit une nouvelle rĂ©clamation Ă  la CSST pour rĂ©cidive, rechute ou aggravation. Au soutien de sa rĂ©clamation, le travailleur Ă©crit ce qui suit :

Bonjour. Je vais vous expliquer du mieux que je peux. À chaque fois que je pense à un travail et que je veux aller rencontrer un employeur je deviens très anxieux et je fais des crises de paniques car je n’ai pas confiance en moi suite à ces essais pour rencontrer des employeurs et toujours sans résultat. Alors, moi et ma blonde on a décidé d’investir sur l’achat d’une mini-excavatrice pour créer mon propre emploi. J’ai investi une somme de 50 000 dollars. Vu l’expérience de travail que j’avais sur ces genres d’excavatrice et j’aimais vraiment le travail avec cette petite machine. Alors la même choses se produisait quand j’avais des téléphone pour un travail, crise de paniques, anxieux, ne dors plus et même en pleurer. Mais j’ai été sur certain petits travaux chez de la parenté et c’était l’enfer pour faire le travaux. Je devenais trempe et très anxieux que même des travaux que je ne pouvais même pas terminer, je devais demander à mon fils d’aller terminer les travaux.

 

J’espère que vous comprendrez mes explications. Sinon j’aimerais mieux avoir un rendez-vous pour pouvoir vous expliquer du mieux que je peux. Merci.

 

Mario Chabot [sic]

[41]        Après analyse de la rĂ©clamation, la CSST la refuse. Comme principal motif du refus, elle conclut Ă  l’absence de dĂ©tĂ©rioration objective de l’état de santĂ© du travailleur.

[42]        Ă€ la lecture des notes de l’agente d’indemnisation qui a procĂ©dĂ© Ă  l’analyse de la rĂ©clamation, le tribunal comprend qu’elle retient que le travailleur dĂ©montre une difficultĂ© Ă©vidente Ă  accepter de devoir changer de mĂ©tier comme les limitations fonctionnelles l’ont suggĂ©rĂ© depuis le dĂ©part et que les symptĂ´mes qu’il prĂ©sente lors de sa consultation auprès du docteur Auger-Dufour en novembre 2008 ne sont pas en lien avec le fait accidentel initial, mais plutĂ´t en lien avec sa difficultĂ© Ă  accepter de changer de mĂ©tier ou de profession. La rĂ©vision administrative confirme ce refus en concluant que les principaux Ă©lĂ©ments Ă  l’origine du trouble psychologique observĂ© chez le travailleur, le 28 novembre 2008, sont le manque de confiance en soi, les questionnements face Ă  son orientation professionnelle et l’incertitude face Ă  l’avenir, l’anxiĂ©tĂ© sociale et les inquiĂ©tudes au plan financier. Selon la rĂ©vision administrative, ces Ă©lĂ©ments sont Ă©trangers aux circonstances propres Ă  l’évĂ©nement survenu le 24 novembre 1995 et ont entraĂ®nĂ© un Ă©tat de stress post-traumatique. La CSST croit qu’ils sont davantage d’ordre personnel et la lĂ©sion qui en a dĂ©coulĂ© le 28 novembre 2008 ne peut, selon elle, ĂŞtre assimilĂ©e Ă  une lĂ©sion professionnelle. Le tribunal est actuellement saisi d’une requĂŞte Ă  l’encontre de cette dĂ©cision.

[43]        Ă€ l’audience, le travailleur tĂ©moigne qu’au moment oĂą il a Ă©tĂ© Ă©valuĂ© par le docteur Ouellet en 2005, il prĂ©sentait toujours de l’anxiĂ©tĂ© et ressentait du stress, mais sa condition Ă©tait, selon ses dires, « pas si pire Â». Il avait des prĂ©occupations au quotidien liĂ©es Ă  des cauchemars qu’il faisait oĂą il revivait l’évĂ©nement du 24 novembre 1995 et des prĂ©occupations Ă  l’égard de ce qu’il ferait dans la vie. MalgrĂ© tout, le travailleur tĂ©moigne que le processus de rĂ©adaptation professionnelle s’est bien passĂ© et croyait sincèrement qu’il rĂ©ussirait Ă  se dĂ©nicher un emploi Ă  la suite de celui-ci. Il dit qu’il Ă©tait d’ailleurs d’accord avec l’emploi convenable de commis de quincaillerie dĂ©terminĂ© par la CSST.

[44]        Le travailleur prĂ©cise qu’il n’a pas dĂ©butĂ© ses dĂ©marches pour trouver un tel emploi dès le dĂ©but de la recherche d’emploi puisqu’il Ă©tait alors en convalescence pour une maladie coronarienne, mais il a Ă©ventuellement fait un essai de travail sans rĂ©munĂ©ration chez un ami qui possĂ©dait une quincaillerie de pièces d’automobiles, soit Ă  l’étĂ© 2007. Cet essai a durĂ© trois jours et s’est avĂ©rĂ© non concluant. Selon le travailleur, dès que le tĂ©lĂ©phone sonnait, il devenait anxieux, avait peur de commettre une erreur et que les gens lui en veuillent. Cette condition se traduisait par un niveau Ă©levĂ© d’anxiĂ©tĂ©, une sudation importante, des palpitations, etc.

[45]        Devant l’échec de cet essai, le travailleur a dĂ©cidĂ© d’acquĂ©rir une mini-excavatrice. Il prĂ©cise cependant que cet achat ne s’est pas fait sur un coup de tĂŞte mais bien après avoir discutĂ© longuement de la situation avec son mĂ©decin traitant, le docteur Auger-Dufour, qui trouvait que c’était une bonne idĂ©e.

[46]        Ă€ l’audience, le travailleur insiste sur le fait qu’il s’agissait d’un petit Ă©quipement, soit une mini-excavatrice qui peut ĂŞtre transportĂ©e dans la boĂ®te d’une camionnette. L’objectif de cet achat Ă©tait d’offrir des services tant pour le paysagement en Ă©tĂ© que le dĂ©neigement en hiver. Il espĂ©rait gagner sa vie en utilisant cet Ă©quipement.

[47]        InterrogĂ© Ă  ce sujet, le travailleur Ă©tait d’opinion que l’achat et l’utilisation de cette machinerie respectaient ses limitations fonctionnelles puisqu’il ne s’agissait pas de machinerie lourde. Dans les faits, il a dĂ©crochĂ© certains contrats, mais lorsqu’il devait offrir les services, il devenait anxieux, pleurait en se rendant avec l’équipement chez le client, avait peur de rencontrer des Ă©trangers, que ceux-ci ne soient pas satisfaits de lui, etc.

 

[48]        Par ailleurs, lorsqu’il utilisait la mini-excavatrice Ă  des fins personnelles, cela se passait relativement bien. Comme il le dit en toute transparence, il se sentait Ă  l’aise avec l’équipement et le problème n’était pas lĂ , mais plutĂ´t dans ses relations avec les gens qui n’étaient pas des proches.

[49]        InterrogĂ© sur les raisons pour lesquelles il a consultĂ© le docteur Auger-Dufour le 28 novembre 2008, le travailleur dit qu’il se sentait alors dĂ©moli, ne sachant plus quoi faire pour gagner sa vie puisque l’initiative qu’il avait prise avec l’achat de la mini-excavatrice ne constituait pas un succès et ne fonctionnait pas pour lui.

[50]        AppelĂ© Ă  dĂ©crire les symptĂ´mes qu’il prĂ©sentait alors, le travailleur parle d’anxiĂ©tĂ© « terrible Â», de crises de panique, d’idĂ©es suicidaires, etc.

[51]        Il insiste sur le fait qu’avant de vivre la situation du 24 novembre 1995, il n’avait pas de problèmes avec la clientèle ayant mĂŞme eu Ă  superviser des travailleurs, et ce, sans difficultĂ©.

[52]        InterrogĂ© sur son Ă©tat actuel, le travailleur dit qu’il n’a plus d’idĂ©es suicidaires et que les choses vont un peu mieux. Il signale notamment qu’il a Ă©tĂ© rĂ©fĂ©rĂ© par son mĂ©decin traitant Ă  un organisme, soit le SEMO (service externe de main-d’œuvre), qui s’occupe de la rĂ©intĂ©gration au travail des gens souffrant de troubles psychiatriques incapacitants ou de handicaps physiques et qu’il a bon espoir que cet organisme pourra lui venir en aide. Il attend actuellement un rendez-vous.

[53]        Le travailleur dit qu’il n’a pas effectuĂ© d’autre essai de retour au travail au poste de commis Ă  la quincaillerie compte tenu de l’échec vĂ©cu Ă  l’étĂ© 2007.

[54]        Le tribunal a Ă©galement entendu le tĂ©moignage du docteur Auger-Dufour. Il a obtenu son diplĂ´me de mĂ©decine de l’UniversitĂ© Laval en 1998. Il a fait sa rĂ©sidence en psychiatrie Ă  MontrĂ©al, rĂ©sidence qu’il a complĂ©tĂ©e en 2003. Depuis ce temps, il est psychiatre Ă  l’HĂ´pital de Montmagny. Le docteur Auger-Dufour confirme qu’il suit le travailleur depuis dĂ©cembre 2004.

[55]        Il appert du dossier que le 1er mars 2011, en vue de l’audience devant la Commission des lĂ©sions professionnelles, le docteur Auger-Dufour a rĂ©digĂ© un rapport dĂ©crivant les Ă©lĂ©ments qui lui permettent de conclure Ă  l’existence d’une aggravation objective de la lĂ©sion professionnelle du travailleur. Il rĂ©fère Ă  ce document dans le cadre de son tĂ©moignage en dĂ©crivant notamment les symptĂ´mes prĂ©sents Ă  l’automne 2008, soit des attaques de panique, de l’hypervigilance, des troubles de concentration, des symptĂ´mes dissociatifs, des idĂ©es suicidaires et de l’insomnie.

[56]        Selon les constatations faites par le docteur Auger-Dufour en novembre 2008, le symptĂ´me le plus important Ă©tait le sentiment d’un avenir sans issue. Le docteur Auger-Dufour insiste sur le fait qu’il s’agit d’un symptĂ´me que l’on voit souvent dans les cas d’état de stress post-traumatique, symptĂ´me qui s’accompagne habituellement de celui d’évitement qui Ă©tait très prĂ©sent chez le travailleur en novembre 2008.

[57]        Le docteur Auger-Dufour poursuit son tĂ©moignage en rĂ©fĂ©rant aux critères du DSM-IV qui dĂ©finit le trouble d’état de stress post-traumatique comme suit :

A)         Le sujet a Ă©tĂ© exposĂ© Ă  un Ă©vĂ©nement traumatique dans lequel les deux Ă©lĂ©ments suivants Ă©taient prĂ©sents :

            1)   Le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des événements durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de graves blessures ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée;

 

            2)   La réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur.

 

B)         L’évĂ©nement traumatique est constamment revĂ©cu, de l’une (ou de plusieurs) des façons suivantes :

 

            1)   Souvenir répétitif et envahissant de l’événement provoquant un sentiment de détresse et comprenant des images, des pensées ou des perceptions.

            2)   Rêves répétitifs de l’événement provoquant un sentiment de détresse.

            3)   Impression ou agissement soudain (« comme si Â» l’évĂ©nement traumatique allait se reproduire (incluant le sentiment de revivre l’évĂ©nement, des illusions, des hallucinations et des Ă©pisodes dissociatifs (flash back), y compris ceux qui surviennent au rĂ©veil ou au cours d’une intoxication.

            4)   Sentiment intense de détresse psychique lors de l’exposition à des indices internes ou externes évoquant ou ressemblant à un aspect de l’événement traumatique en cause.

            5)   Réactivité physiologique lors de l’exposition à des indices internes ou externes pouvant évoquer ou ressembler à un aspect de l’événement traumatique en cause.

 

C)         Évitement persistant des stimulus associĂ©s au traumatisme et Ă©moussement de la rĂ©activitĂ© gĂ©nĂ©rale (ne prĂ©existant pas au traumatisme), comme en tĂ©moigne la prĂ©sence d’au moins trois des manifestations suivantes :       

 

            1)   Effort pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associés au traumatisme.

            2)   Effort pour éviter les activités, les endroits ou les gens qui éveillent des souvenirs du traumatisme.

            3)   Incapacité de se rappeler d’un aspect important du traumatisme.

            4)   Réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien réduction de la participation à ces mêmes activités.

            5)   Sentiments de détachement d’autrui ou bien de devenir étranger par rapport aux autres.

            6)   Restriction des affects (par exemple incapacité à éprouver des sentiments tendres).

                        7)   Sentiments d’avenir « bouchĂ© Â» (par exemple pense ne pas pouvoir faire carrière, se marier, avoir des enfants ou avoir un cours normal de la vie).

 

D)         PrĂ©sence de symptĂ´mes persistants traduisant une activation neurovĂ©gĂ©tative (ne prĂ©existant pas au traumatisme) comme en tĂ©moigne la prĂ©sence d’au moins deux des manifestations suivantes :

                        1)   Difficulté d’endormissement ou sommeil interrompu.

                        2)   Irritabilité ou accès de colère.

                        3)   Difficulté de concentration.

                        4)   Hypervigilance.

                        5)   Réaction de sursaut exagérée.

 

            E)         La perturbation (symptômes des critères B, C et D (durant plus d’un mois)

 

            F)         La perturbation entraîne une souffrance uniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

[58]        Sur la base de ces critères, le docteur Auger-Dufour soutient qu’en novembre 2008, le travailleur a commencĂ© Ă  revivre les sentiments d’impuissance vĂ©cus lors de l’évĂ©nement initial dans des situations moins menaçantes et dramatiques, soit celles oĂą il Ă©tait confrontĂ© au besoin de performer, d’être productif ou de fournir du rendement.

[59]        Ă€ titre d’exemple, il donne l’épisode de commis Ă  la quincaillerie oĂą, pendant trois jours, il devait rĂ©pondre aux demandes des clients et les servir adĂ©quatement. Cette situation lui a fait revivre de l’anxiĂ©tĂ© importante qui l’a amenĂ© Ă  recommencer Ă  faire de l’évitement.

[60]        Ă€ ce sujet, le docteur Auger-Dufour rappelle que l’accident du 24 novembre 1995 a créé chez le travailleur un sentiment Ă©norme de culpabilitĂ© puisqu’il Ă©tait aux commandes et qu’il avait la conviction d’avoir commis une erreur. Or, dès qu’il a Ă  prendre des dĂ©cisions, notamment d’ordre professionnel, le travailleur revit les sentiments d’impuissance, de culpabilitĂ© et d’incompĂ©tence liĂ©s Ă  la situation initiale de 1995.

[61]        Parmi les symptĂ´mes qui se sont aggravĂ©s, le docteur Auger-Dufour insiste particulièrement sur les comportements d’évitement qui sont plus prĂ©sents et l’hyperrĂ©activitĂ© physiologique. Il s’attarde particulièrement aux symptĂ´mes dissociatifs qui n’étaient pas prĂ©sents avant novembre 2008, et ce, bien qu’il le suit depuis dĂ©cembre 2004. Il dĂ©crit ces symptĂ´mes dissociatifs comme Ă©tant des symptĂ´mes de dĂ©personnalisation et de dĂ©rĂ©alisation qui constituent en quelque sorte des mesures de protection du cerveau face Ă  des situations oĂą le travailleur n’est pas en mesure de rĂ©agir adĂ©quatement. Dans les faits, le docteur Auger-Dufour dit que ces symptĂ´mes dissociatifs se traduisaient par l’impression du travailleur que les choses s’arrĂŞtaient autour de lui.

[62]        InterrogĂ© quant Ă  savoir ce qui lui permet de conclure Ă  une rĂ©activation de l’état de stress post-traumatique plutĂ´t qu’à une rĂ©activation d’un trouble dĂ©pressif, le docteur Auger-Dufour rĂ©fère aux symptĂ´mes qu’il considère plus spĂ©cifiques Ă  l’état de stress post-traumatique dont l’hyperrĂ©activitĂ© physiologique se traduisant par de l’hypervigilance, de l’insomnie, etc.; ce qui est plutĂ´t rare dans le cas de dĂ©pression, le patient Ă©tant alors plutĂ´t dans une condition ralentie au niveau psychomoteur. De plus, il note de la reviviscence bien que le travailleur n’ait pas eu plusieurs Ă©pisodes, mais il y a fait allusion lors des premières consultations en novembre 2008. le travailleur a Ă©galement souffert d’attaques de panique plus intenses.

[63]        Le docteur Auger-Dufour rappelle que bien qu’en 2005, la lĂ©sion professionnelle ait Ă©tĂ© consolidĂ©e, il n’en demeure pas moins que le docteur Ouellet, tout comme lui, Ă©tait d’opinion qu’il s’agissait bien d’une stabilisation de la condition du travailleur et non d’une guĂ©rison.

[64]        InterrogĂ© Ă  ce sujet, le docteur Auger-Dufour ne croit pas que l’utilisation de la mini-excavatrice peut ĂŞtre Ă  l’origine de la rĂ©cidive, rechute ou aggravation du 28 novembre 2008.

[65]        Pour en venir Ă  cette conclusion, il se base sur l’autre essai de travail que le travailleur a effectuĂ© Ă  la quincaillerie dĂ©tenue par l’un de ses amis oĂą il a prĂ©sentĂ© les mĂŞmes symptĂ´mes et le mĂŞme Ă©tat d’anxiĂ©tĂ© et d’impuissance Ă  l’égard de la tâche. C’est d’ailleurs pour cette raison que le docteur Auger-Dufour est d’opinion que le travailleur, Ă  la suite de la rĂ©cidive, rechute ou aggravation de novembre 2008, conservera des limitations fonctionnelles additionnelles dont celles qu’il identifie dans le cadre de son rapport du 1er mars 2011 oĂą il indique ce qui suit :

À la suite du rapport du docteur Ronald Ouellet et du début du processus de réadaptation, le pronostic apparaissait plus favorable mais malheureusement en novembre 2008, une aggravation s’est produite, si bien qu’il n’apparaît aujourd’hui non seulement plus apte à opérer des véhicules mais également effectuer plusieurs emplois demandant une certaine performance et productivité qu’il ne parvient plus à atteindre en raison de son intolérance au stress et à sa crainte de faire une erreur ou de ne pas être à la hauteur, ce qui correspond à une généralisation de sa peur antérieure de causer un accident. Il a été référé à l’organisme SEMO qui s’occupe de la réintégration au travail des gens souffrant de troubles psychiatriques incapacitants ou de handicaps physiques.

[notre soulignement]

[66]        AppelĂ© Ă  Ă©mettre un pronostic Ă  l’égard de la condition du travailleur, le docteur Auger-Dufour est d’avis que la rĂ©fĂ©rence Ă  l’organisme SEMO lui permettra peut-ĂŞtre d’accĂ©der Ă  un emploi rĂ©munĂ©rateur dans un contexte qui lui apportera une certaine protection. En effet, le travailleur se sent bien dans un milieu oĂą les gens sont informĂ©s de ce qu’il a vĂ©cu et sont indulgents Ă  l’égard de ses rĂ©actions Ă©motives compte tenu du bagage qu’il transporte au point de vue psychologique. Or, le soutien que l’organisme peut lui donner dans sa recherche d’emploi lui permettra peut-ĂŞtre de trouver un milieu de travail qui comportera des conditions favorables.

[67]        InterrogĂ© sur l’impact que les traits de personnalitĂ© obsessionnels compulsifs que prĂ©sente le travailleur ont pu avoir en lien avec des symptĂ´mes dĂ©veloppĂ©s en novembre 2008, le docteur Auger-Dufour est affirmatif Ă  l’effet que leur impact est peu ou pas contributif, rejoignant ainsi l’opinion Ă©mise par le docteur Ouellet en 2005. Insistant sur le fait qu’il s’agit de traits de personnalitĂ© et non de troubles de la personnalitĂ© qui, par le passĂ©, ne lui ont jamais causĂ© de problèmes et qui ne lui en causent pas plus maintenant compte tenu des symptĂ´mes spĂ©cifiques Ă  l’état de stress post-traumatique constatĂ©s.

[68]        Sur la base de ces faits, appliquant les paramètres jurisprudentiels mentionnĂ©s plus haut au prĂ©sent dossier, la Commission des lĂ©sions professionnelles rappelle que le travailleur a subi une lĂ©sion professionnelle Ă  la suite d’un Ă©vĂ©nement survenu le 24 novembre 1995 et qu’il s’est vu reconnaĂ®tre une lĂ©sion professionnelle le 1er dĂ©cembre 2004 pour un Ă©tat de stress post-traumatique chronique, laquelle a Ă©tĂ© consolidĂ©e le 11 mai 2005. Ă€ la suite de cette lĂ©sion professionnelle, le travailleur conserve une atteinte permanente Ă  l’intĂ©gritĂ© psychique de 5,75 % et des limitations fonctionnelles Ă©mises par le docteur Ouellet et confirmĂ©es par le docteur Auger-Dufour.

[69]        Il va sans dire que la lĂ©sion professionnelle initiale telle que dĂ©crite plus haut comporte un degrĂ© de gravitĂ© important compte tenu du contexte particulier oĂą se sont dĂ©roulĂ©s les Ă©vĂ©nements. Son caractère dramatique en regard des liens de filiation existant entre le travailleur et la victime de l’accident a augmentĂ© d’autant la gravitĂ© et les consĂ©quences de cette lĂ©sion.

[70]        De plus, il y a eu continuitĂ© de la symptomatologie tel que le dĂ©montre notamment le suivi mĂ©dical assurĂ© par le docteur Auger-Dufour depuis le 1er dĂ©cembre 2004.

[71]        Par ailleurs, le travailleur n’a pas rĂ©ussi un retour au travail Ă  la suite de la consolidation de sa lĂ©sion avec limitations fonctionnelles et il conserve une atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© psychique de 5,75 %.

[72]        De mĂŞme, la preuve dĂ©montre que bien qu’il possède des traits de personnalitĂ© de type obsessionnel compulsif, il ne s’agit pas lĂ  d’une condition personnelle qui a pu avoir quelque contribution que ce soit Ă  la condition psychologique du travailleur constatĂ©e en novembre 2008, tel que le confirme d’ailleurs le docteur Auger-Dufour dans le cadre de son tĂ©moignage Ă  l’audience et dans son rapport du 1er mars 2011.

[73]        Par ailleurs, il y a compatibilitĂ© entre la symptomatologie allĂ©guĂ©e au moment de la rĂ©cidive, rechute ou aggravation du 28 novembre 2008 et la lĂ©sion initiale. C’est d’ailleurs ce qui appert de l’ensemble du suivi mĂ©dical, des critères diagnostiques Ă©noncĂ©s au DSM-IV et du tĂ©moignage du docteur Auger-Dufour non contredit sur cet aspect.

[74]        Finalement, le dĂ©lai entre la rĂ©cidive, rechute ou aggravation est important, soit 13 ans. Cependant, le tribunal rappelle que pendant une pĂ©riode de près de 5 ans, le travailleur a niĂ© les problèmes d’ordre psychologique dont il souffrait et ce n’est qu’à compter de 2000 qu’il a commencĂ© Ă  faire l’objet d’un certain suivi mĂ©dical et, de façon plus sĂ©rieuse, Ă  compter de dĂ©cembre 2004. Ce dĂ©lai doit donc ĂŞtre mis en perspective compte tenu de la nature mĂŞme du dossier.

[75]        Bien qu’aucun des paramètres Ă©tablis par la jurisprudence n’est Ă  lui seul dĂ©terminant, le tribunal constate, en l’espèce, que la combinaison de plusieurs Ă©lĂ©ments permet de conclure Ă  l’existence d’une rĂ©cidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008 d’autant plus que la preuve est prĂ©pondĂ©rante en ce qui a trait au lien de causalitĂ© entre les symptĂ´mes vĂ©cus en novembre 2008 et la lĂ©sion professionnelle initiale ayant causĂ© un Ă©tat de stress post-traumatique chronique. Ă€ cet Ă©gard, la preuve est probante.

[76]        Le tribunal conclut donc que le travailleur a subi une lĂ©sion professionnelle le 28 novembre 2008 sous l’angle d’une rĂ©cidive, rechute ou aggravation de l’évĂ©nement initial du 24 novembre 1995, soit une rĂ©activation de son Ă©tat de stress post-traumatique avec symptĂ´mes anxieux et dĂ©pressifs importants.

[77]        La procureure de la CSST a soutenu que la cause des symptĂ´mes d’ordre psychologique vĂ©cus par le travailleur en novembre 2008 n’est pas liĂ©e Ă  la lĂ©sion professionnelle initiale dĂ©coulant de l’accident du 24 novembre 1995.

[78]        Au soutien de ses prĂ©tentions, elle a parlĂ© de symptĂ´mes non spĂ©cifiques Ă  l’état de stress post-traumatique, soit le manque de confiance en soi, les questionnements face Ă  l’orientation professionnelle, l’incertitude face Ă  l’avenir, l’anxiĂ©tĂ© sociale et les inquiĂ©tudes au plan financier qui, Ă  son avis, rĂ©sultent des prĂ©occupations normales et habituelles chez un travailleur qui a de la difficultĂ© Ă  accepter le fait qu’il devra changer de mĂ©tier ou de profession.

[79]        Le tribunal ne retient pas ces prĂ©tentions qui sont contredites par la preuve offerte et notamment le tĂ©moignage du docteur Auger-Dufour qui dĂ©montre qu’il y a des symptĂ´mes spĂ©cifiques Ă  un Ă©tat de stress post-traumatique dont la rĂ©activitĂ© physiologique, la reviviscence, l’évitement qui se traduit notamment par un sentiment d’avenir « bouchĂ© Â» tel que le spĂ©cifie le DSM-IV et les symptĂ´mes dissociatifs vĂ©cus pour la première fois de façon plus importante en novembre 2008. La CSST n’ayant fourni aucune preuve mĂ©dicale Ă  l’encontre de ces Ă©lĂ©ments, le tribunal ne peut retenir sa prĂ©tention.

[80]        De plus, la procureure de la CSST soutient que la cause première des troubles d’ordre psychologique vĂ©cus par le travailleur en novembre 2008 est le fait qu’il n’a pas respectĂ© les limitations fonctionnelles Ă©mises en conduisant une mini-excavatrice. Selon elle, cet Ă©tat de fait joue un rĂ´le majeur dans l’analyse du lien de causalitĂ©.

[81]        Le tribunal ne peut retenir cet argument rappelant qu’en l’espèce, il n’est pas en prĂ©sence d’un cas de nĂ©gligence grossière et volontaire tel que prĂ©vu Ă  l’article 27 de la loi qui se lit comme suit :

27.  Une blessure ou une maladie qui survient uniquement Ă  cause de la nĂ©gligence grossière et volontaire du travailleur qui en est victime n'est pas une lĂ©sion professionnelle, Ă  moins qu'elle entraĂ®ne le dĂ©cès du travailleur ou qu'elle lui cause une atteinte permanente grave Ă  son intĂ©gritĂ© physique ou psychique.

__________

1985, c. 6, a. 27.

[82]        En effet, la preuve offerte ne dĂ©montre pas que le travailleur a fait preuve de tĂ©mĂ©ritĂ© ou d’insouciance dĂ©rĂ©glĂ©e, tel que le requiert la jurisprudence du tribunal[5].

[83]        La preuve rĂ©vèle plutĂ´t que le travailleur, avant de se lancer dans cette nouvelle entreprise, a consultĂ© et a longuement discutĂ© avec le docteur Auger-Dufour afin d’obtenir son assentiment. Ce dernier considĂ©rait qu’il ne s’agissait pas d’une situation allant Ă  l’encontre des limitations fonctionnelles, interprĂ©tant ces limitations comme interdisant plutĂ´t la conduite de machinerie lourde.

[84]        Au surplus, le tribunal rappelle que le rĂ©gime d’indemnisation des lĂ©sions professionnelles est un rĂ©gime sans faute tel que l’énonce clairement l’article 25 de la loi :

25.  Les droits confĂ©rĂ©s par la prĂ©sente loi le sont sans Ă©gard Ă  la responsabilitĂ© de quiconque.

__________

1985, c. 6, a. 25.

 

[notre soulignement]

[85]        Vu ce qui prĂ©cède, la Commission des lĂ©sions professionnelles conclut que le travailleur a subi une rĂ©cidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008 de sa lĂ©sion professionnelle initiale du 24 novembre 1995.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée par monsieur Mario Chabot, le travailleur, le 24 février 2010;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 4 février 2010 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Mario Chabot a subi une lĂ©sion professionnelle le 28 novembre 2008 sous l’angle d’une rĂ©cidive, rechute ou aggravation de l’évĂ©nement initial du 24 novembre 1995.

 

 

 

 

Ann Quigley

 

 

 

 

Me Annie Noël

MÉNARD, MILLIARD, CAUX

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Lucie Rondeau

VIGNEAULT, THIBODEAU, GIARD

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Lapointe et Cie minière Québec Cartier, [1989] C.A.L.P. 38 ; Millette et Communauté urbaine de Montréal, [1994] C.A.L.P. 853 .

[3]           [1995], C.A.L.P., 19.

[4]           Saurel c. Commission des lĂ©sions professionnelles, C.S. MontrĂ©al, 500-05-074874-023, 13 fĂ©vrier 2003, J. Frappier; Belleau Chabot et Commission scolaire Chomedey de Laval, [1995] C.A.L.P. 1341 .

[5]           2010 QCCLP 6274 ; 2008 QCCLP 1716 .

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