Chabot et Entreprises forestières Chabot & Frères |
2011 QCCLP 1873 |
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[1] Le 24 février 2010, monsieur Mario Chabot (le travailleur) dépose une requête devant la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 4 février 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision initialement rendue le 9 juin 2009 et déclare que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008 de l’événement initial du 24 novembre 1995. De ce fait, il n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] Le travailleur est présent et représenté à l’audience qui a lieu devant la Commission des lésions professionnelles siégeant à Lévis le 4 mars 2011. Entreprises forestières Chabot & Frères (l'employeur) a cessé ses activités en 1999 et n’est donc pas représenté à l’audience. La CSST est également représentée à l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008 de l’événement initial du 24 novembre 1995, soit une réactivation de son état de stress post-traumatique avec symptômes anxieux et dépressifs importants.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008.
[6] Pour en venir à cette conclusion, il se base notamment sur le témoignage non contredit du docteur Alexis Auger-Dufour, psychiatre, qui suit le travailleur depuis 2004. Selon lui, ce médecin a démontré la détérioration de la condition du travailleur à compter de novembre 2008 et le lien entre cette détérioration et la lésion professionnelle initiale de 1995.
[7] Le membre issu des associations syndicales est donc d’avis d’accueillir la requête déposée par le travailleur le 24 février 2010 et d’infirmer la décision rendue par la CSST le 4 février 2010 à la suite d’une révision administrative.
[8] Pour sa part, le membre issu des associations d’employeurs est plutôt d’avis que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008.
[9] Il base son opinion sur le fait que, jusqu’en 2008, le travailleur allait relativement bien. Selon lui, la détérioration de son état est directement reliée au non-respect des limitations fonctionnelles, soit l’achat et l’utilisation d’une mini-excavatrice qui vont à l’encontre de ce qu’avait énoncé le docteur Ronald Ouellet, psychiatre, en 2005, lorsqu’il avait évalué les séquelles permanentes que conservait le travailleur à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 1er décembre 2004 de l’événement initial du 24 novembre 1995.
[10] Le membre issu des associations d’employeurs accorde peu de valeur probante au témoignage du docteur Auger-Dufour sur ce volet, ne comprenant pas la recommandation favorable de ce dernier à l’égard de l’achat et l’utilisation d’un tel équipement à des fins professionnelles.
[11] Selon lui, c’est uniquement cet élément qui a contribué à la réactivation de l’état de stress post-traumatique et il ne s’agit pas là d’une cause donnant droit à la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation.
[12] De ce fait, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête déposée par le travailleur le 24 février 2010 et de confirmer la décision rendue par la CSST le 4 février 2010 à la suite d’une révision administrative.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[13] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008 de l’événement initial du 24 novembre 1995.
[14]
En vue de se prononcer à cet effet, le tribunal est lié par le
diagnostic émis par le médecin qui a charge, soit le docteur Auger-Dufour,
psychiatre, soit celui de rechute (réactivation) de l’état de stress
post-traumatique avec symptômes anxieux et dépressifs importants. En effet, ce
diagnostic n’a fait l’objet d’aucune référence au Bureau d'évaluation médicale
et lie le tribunal conformément à l’article
[15] C’est donc sur cette base que le tribunal entend procéder à l’analyse de la réclamation du travailleur.
[16]
L’article
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[17] Cependant, la loi ne définit pas la notion de récidive, rechute ou aggravation. À cette fin, le tribunal croit donc utile de s’en remettre aux paramètres élaborés par la jurisprudence du présent tribunal et de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles[2].
[18] Selon ces paramètres, il faut retenir le sens courant de ces termes, soit une réapparition, une recrudescence ou une aggravation de la lésion survenue lors de l’événement initial. En d’autres termes, il faut rechercher une modification de l’état de santé du travailleur depuis la consolidation de sa lésion professionnelle.
[19] De plus, dans l’affaire Boisvert et Halco inc.[3], la Commission d’appel détermine certains paramètres permettant de conclure à la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation. Ces paramètres sont :
- la gravité de la lésion initiale;
- la continuité de la symptomatologie;
- l’existence ou non d’un suivi médical;
- le retour au travail avec ou sans limitations fonctionnelles;
- la présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
- la présence ou l’absence d’une condition personnelle;
- la compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la récidive, rechute ou aggravation avec la nature de la lésion initiale;
- le délai entre la récidive, rechute ou aggravation et cette lésion initiale.
[20] Le tribunal tient à rappeler qu’aucun de ces paramètres n’est à lui seul déterminant. C’est plutôt la combinaison de plusieurs éléments qui permet ou non de conclure à l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation.
[21] Par ailleurs, concernant le lien de causalité entre la récidive, rechute ou aggravation et la lésion initiale, il doit être démontré, de manière prépondérante, par le travailleur. Cette relation ne peut être présumée ni reposer uniquement sur son témoignage[4].
[22] Bien que ces critères jurisprudentiels aient été élaborés principalement dans des cas de lésions physiques, le tribunal est d’opinion qu’ils trouvent également application en les adaptant à des situations impliquant des lésions psychologiques.
[23] Sur la base de ces paramètres, le tribunal croit utile de résumer les faits les plus pertinents du présent dossier basés notamment sur la preuve documentaire dont il dispose de même que les témoignages du travailleur et du docteur Auger-Dufour livrés lors de l’audience.
[24] Il ressort de ces éléments que lors de l’événement initial, soit le 24 novembre 1995, le travailleur occupait un emploi d’opérateur de bûcheuse au sein de l’entreprise détenue par l’un de ses frères.
[25] Le travailleur n’ayant pas repris en détail le descriptif de l’événement initial lors de l’audience en raison des sentiments que lui occasionne un tel retour en arrière, le tribunal croit opportun de s’en remettre au résumé qui en a été fait par une collègue du présent tribunal dans le cadre d’une audience tenue le 17 juillet 2007. On peut y lire ce qui suit :
[9]       Le 24 novembre 1995, le travailleur, âgé de 32 ans, occupe la fonction d’opérateur de bûcheuse sur la Côte-Nord au moment où il écrase, par accident, la jambe de son propre frère. Le travailleur, sous le choc, doit se ressaisir et porter assistance à son frère grièvement blessé puisqu’ils se trouvent seuls et éloignés de tout au cœur de la forêt. Le trajet pour atteindre la route principale prend deux heures au cours desquelles le travailleur doit transporter son frère à bord de sa machine, puis d’une camionnette, tout en constatant l’état de ses blessures. Le frère du travailleur subit une amputation de sa jambe par la suite.
[10]     Le travailleur poursuit tant bien que mal ses fonctions prélésionnelles au cours des quatre années suivantes. Il craint constamment d’écraser à nouveau quelqu’un avec sa machine. À compter du 9 juillet 1999, le travailleur qui effectue alors un contrat sur l’île d’Anticosti à titre d’opérateur d’abatteuse doit revenir chez lui, étant paniqué et incapable de poursuivre le travail dans un milieu aussi isolé et comparable à celui où s’est produit l’accident de son frère en 1995.
[11]     Le travailleur tente en vain de reprendre le travail en forêt alors que revient sans cesse le sentiment de panique et de désarroi dès qu’il doit opérer la machinerie. L’anxiété du travailleur persiste même si ce dernier demeure éloigné de son milieu de travail. Le 16 février 2000, le docteur Carrier fait état d’une fibrillation auriculaire paroxystique récidivante avec anxiété très marquée chez le travailleur qu’il incite à revoir son propre médecin en rapport avec le trouble d’anxiété. Le 14 mars 2000, le docteur Carrier suspecte un trouble de l’adaptation découlant de l’anxiété du travailleur qu’il réfère en psychiatrie. Au moment de prendre rendez-vous avec le psychiatre, le travailleur ne dort plus qu’une à deux heures malgré la prise d’une médication anxiolytique. Il dit être nerveux et avoir de la difficulté à fonctionner depuis l’accident où il conduisait un véhicule lourd avec lequel il a écrasé la jambe de son frère. Le travailleur ne se présente toutefois pas au rendez-vous avec le docteur Girard le 11 mai 2000.
[12]     À la même époque, le travailleur tente plutôt de reprendre un travail dans un moulin à scie où il est appelé à opérer un autre type de machinerie. Après quelques mois, le travailleur doit abandonner cet emploi, car il demeure nerveux tout en éprouvant de grosses chaleurs alors qu’il a toujours peur d’écraser quelqu’un. Il démissionne de son emploi en novembre 2000, la panique étant telle qu’il craint un problème de nature cardiaque. Tout son comportement s’en trouve affecté même au plan familial et social alors qu’il n’a plus d’énergie et qu’il n’a plus le goût de faire quoi que ce soit.
[13]     À compter du 30 janvier 2001, le travailleur obtient une évaluation avec suivi psychiatrique de la part de la docteure Caron. Cette psychiatre retient un diagnostic provisoire de dépression majeure. En cours de suivi, soit le 16 août 2001, elle constate que la dépression majeure est en rémission presque complète. Elle indique désormais que le travailleur présente fort possiblement un état de stress post-traumatique de survenue différée ou ayant été masqué par la dépression majeure. La docteure Caron note une conduite d’évitement plus marquée chez le travailleur par rapport au lieu de travail. Elle constate l’apparition d’attaques de panique en plus d’une augmentation des cauchemars reliés à l’accident du travail, et ce, après une tentative de retour au travail effectuée le 6 août 2001. Elle prescrit au travailleur un arrêt de travail complet et une psychothérapie d’exposition graduelle en rapport avec un état de stress post-traumatique différé. Cette psychiatre ne remplit aucune attestation médicale sur un formulaire de la CSST. Ses notes de consultation ne font pas non plus mention de précisions qu’elle aurait données au travailleur concernant la relation de cause à effet entre l’état de stress post-traumatique et l’événement de 1995.
[14]     À compter du mois de mars 2002, la docteure Caron recommande un retour au travail progressif avec suivi médical mensuel et poursuite de la médication qui est alors augmentée. Le travailleur occupe un emploi pour le compte de son frère amputé, dans le domaine du laminage. Il opère désormais un petit « lift » lorsqu’il n’y a personne dans l’usine. La docteure Caron note une amélioration de la condition du travailleur qui connaît une baisse du sentiment de culpabilité et un grand soulagement qu’elle attribue à la dynamique de rapprochement avec son frère. Le travailleur se sent revivre. Sa problématique conjugale est également résolue.
[15]     La docteure Caron met fin au suivi psychiatrique du travailleur en juin 2002. Elle précise toutefois que l’état de stress post-traumatique sévère datant de quelques années n’est que partiellement rétabli alors que persistent certains éléments d’anxiété chez le travailleur qui a toujours tendance à adopter des conduites d’évitement. Ce dernier fonctionne bien depuis qu’il travaille pour son frère qui a été blessé lors de l’accident ayant causé l’état de stress post-traumatique. Le travailleur demeure cependant plus ou moins accessible à une introspection relative aux facteurs inconscients de culpabilité au niveau psychologique concernant cet accident et aux conduites de réparation possible en choisissant de travailler pour son frère.
[16]     L’entreprise de Laminage fait faillite en novembre 2002. Le travailleur reprend le travail dans le cadre d’une autre entreprise familiale peu après le début de l’année 2003. Il n’opère désormais aucune machinerie. Il est appelé à diriger les employés à l’intérieur de l’usine qui fermera ses portes à la fin de l’année 2003.
[17]     À compter de 2004, le travailleur n’occupe aucun emploi. Il tente à nouveau, mais sans succès de reprendre un emploi sur la machinerie lourde qu’il considère être le seul travail qu’il sache faire. Son état psychologique se détériore peu à peu. C’est ainsi que son médecin le réfère à nouveau en psychiatrie. Le docteur Auger-Dufour, que consulte le travailleur le 1er décembre 2004, informe ce dernier que son état de stress post-traumatique est relié directement à l’accident du travail qu’a subi son frère en 1995 et qu’il a lui-même besoin d’aide à la suite de cet accident. Une première attestation médicale est alors remplie par ce psychiatre sur un formulaire de la CSST. Selon le témoignage du travailleur, aucun autre médecin ne lui avait fait état d’un tel lien entre sa propre condition et l’accident du travail de son frère.
[18]     Le 3 janvier 2005, le travailleur adresse à la CSST une réclamation en invoquant avoir subi une lésion professionnelle en relation avec l’accident du travail survenu le 24 novembre 1995.
[26] Dans les faits, la CSST accepte la réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation à compter du 1er décembre 2004 à l’égard du diagnostic d’état de stress post-traumatique chronique que présente le travailleur depuis 1995.
[27] La lésion professionnelle est consolidée le 11 mai 2005 par le docteur Ronald Ouellet, psychiatre mandaté par la CSST afin d’évaluer la condition du travailleur.
[28] Il appert de cette évaluation que le docteur Ouellet conclut au diagnostic suivant :
Axe I :     Symptômes résiduels d’un trouble de stress post-traumatique chronique.
Axe II :    Trait de personnalité du groupe C, peu contributif.
Axe III :   Aucun problème physique documenté.
Axe IV :  L’événement de novembre 1995 est imputable.
Axe V :Â Â Â EGF se situant aux environs de 75.
[29] Bien que le docteur Ouellet considère que la condition du travailleur soit consolidée en date de son examen, soit le 11 mai 2005, il est d’avis qu’il faut maintenir encore quelque temps les traitements et recommande de clore le dossier en procédant à la réadaptation.
[30] Le docteur Ouellet dresse le bilan suivant des séquelles :
CODEÂ Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â DESCRIPTIONÂ Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â DAP
222547             névrose de groupe I (mineure)                                         5 %
[31] De plus, il est d’avis que le travailleur conserve les limitations fonctionnelles suivantes :
Monsieur ne pourra retravailler à titre d’opérateur de machines, quel qu’en soit le type, y compris les camions et autres véhicules.
[32] À la suite de cette évaluation médicale, le docteur Auger-Dufour complète un rapport complémentaire à la demande de la CSST où il se dit en accord avec l’ensemble des conclusions du docteur Ouellet, considérant que la lésion est effectivement consolidée et que les limitations fonctionnelles et le bilan des séquelles lui apparaissent adéquats. Il est d’avis que la réadaptation assistée est recommandée et qu’elle devrait être thérapeutique.
[33] Dès lors, le travailleur bénéficie d’un processus de réadaptation professionnelle au terme duquel l’emploi convenable de commis de quincaillerie est déterminé. La CSST rend une décision en vertu de laquelle elle considère que le travailleur a la capacité d’exercer cet emploi à compter du 27 juin 2006 et précise qu’il continuera de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu tant qu’il ne se sera pas trouvé un emploi ou, au plus tard, le 26 juin 2007.
[34] Il appert du dossier que malgré la consolidation de sa lésion professionnelle, le travailleur continue de faire l’objet d’un suivi médical régulier auprès du docteur Auger-Dufour.
[35] Le 27 novembre 2008, le travailleur consulte le docteur Auger-Dufour qui rédige une note de consultation où il inscrit que le travailleur a recommencé à travailler depuis l’été dernier à l’aide d’un tracteur qui lui permet d’accepter divers contrats d’aménagement sur des terrains de particuliers. Malheureusement, il constate que le travailleur se montre découragé de la situation, dit n’avoir aucune confiance en lui, craint de se tromper, hésite à accepter des contrats d’étrangers, a l’impression de ne pas être à la hauteur, devient très anxieux et peut même pleurer lorsqu’il commence à conduire son tracteur.
[36] De plus, le docteur Auger-Dufour note que le travailleur a de la difficulté à dormir, a des velléités suicidaires sans intention de passage à l’acte, craint de refaire des attaques de panique, se dévalorise, se sent coupable et est anxieux face à la situation financière de la famille. Il indique également qu’il lui est arrivé d’avoir une reviviscence reliée à son état de stress post-traumatique et il fait toujours beaucoup d’évitement.
[37] À l’examen mental, le docteur Auger-Dufour note que le travailleur pleure et sanglote au cours de l’entrevue, qu’il semble un peu abattu, que les affects sont tristes, anxieux et non mobilisables. De même, il constate que le discours est empreint d’autodévalorisation, de sentiment de culpabilité et d’une diminution de l’espoir. Le travailleur ne présente cependant pas d’idée délirante ni d’idée hétéro-agressive. Il n’a pas repris la consommation de la cigarette et sa maladie coronarienne est stable.
[38] Au terme de son évaluation, le docteur Auger-Dufour pose le diagnostic suivant :
Axe I :     Trouble dépressif majeur récurrent avec rechute des séquelles chroniques de l’état de stress post-traumatique.
Axe II :    Traits obsessionnels compulsifs et évitants de la personnalité.
Axe III :   Maladie coronarienne, dyslipidémie, hypertension artérielle.
[39] Le docteur Auger-Dufour recommande au travailleur de remplir un formulaire de la CSST justifiant une demande pour récidive, rechute ou aggravation liée à l’événement initial. Il lui donne également des conseils comportementaux et ajuste la médication en y ajoutant du Risperdal, en augmentant le Desyrel et le Rivotril en cas d’anxiété. Il maintient également l’Effexor et le Wellbutrin.
[40] Ce même jour, le docteur Auger-Dufour complète une attestation médicale destinée à la CSST où il pose le diagnostic de rechute (réactivation) de l’état de stress post-traumatique avec symptômes anxieux et dépressifs importants. En lien avec cette consultation médicale, le 30 mars 2009, le travailleur produit une nouvelle réclamation à la CSST pour récidive, rechute ou aggravation. Au soutien de sa réclamation, le travailleur écrit ce qui suit :
Bonjour. Je vais vous expliquer du mieux que je peux. À chaque fois que je pense à un travail et que je veux aller rencontrer un employeur je deviens très anxieux et je fais des crises de paniques car je n’ai pas confiance en moi suite à ces essais pour rencontrer des employeurs et toujours sans résultat. Alors, moi et ma blonde on a décidé d’investir sur l’achat d’une mini-excavatrice pour créer mon propre emploi. J’ai investi une somme de 50 000 dollars. Vu l’expérience de travail que j’avais sur ces genres d’excavatrice et j’aimais vraiment le travail avec cette petite machine. Alors la même choses se produisait quand j’avais des téléphone pour un travail, crise de paniques, anxieux, ne dors plus et même en pleurer. Mais j’ai été sur certain petits travaux chez de la parenté et c’était l’enfer pour faire le travaux. Je devenais trempe et très anxieux que même des travaux que je ne pouvais même pas terminer, je devais demander à mon fils d’aller terminer les travaux.
J’espère que vous comprendrez mes explications. Sinon j’aimerais mieux avoir un rendez-vous pour pouvoir vous expliquer du mieux que je peux. Merci.
Mario Chabot [sic]
[41] Après analyse de la réclamation, la CSST la refuse. Comme principal motif du refus, elle conclut à l’absence de détérioration objective de l’état de santé du travailleur.
[42] À la lecture des notes de l’agente d’indemnisation qui a procédé à l’analyse de la réclamation, le tribunal comprend qu’elle retient que le travailleur démontre une difficulté évidente à accepter de devoir changer de métier comme les limitations fonctionnelles l’ont suggéré depuis le départ et que les symptômes qu’il présente lors de sa consultation auprès du docteur Auger-Dufour en novembre 2008 ne sont pas en lien avec le fait accidentel initial, mais plutôt en lien avec sa difficulté à accepter de changer de métier ou de profession. La révision administrative confirme ce refus en concluant que les principaux éléments à l’origine du trouble psychologique observé chez le travailleur, le 28 novembre 2008, sont le manque de confiance en soi, les questionnements face à son orientation professionnelle et l’incertitude face à l’avenir, l’anxiété sociale et les inquiétudes au plan financier. Selon la révision administrative, ces éléments sont étrangers aux circonstances propres à l’événement survenu le 24 novembre 1995 et ont entraîné un état de stress post-traumatique. La CSST croit qu’ils sont davantage d’ordre personnel et la lésion qui en a découlé le 28 novembre 2008 ne peut, selon elle, être assimilée à une lésion professionnelle. Le tribunal est actuellement saisi d’une requête à l’encontre de cette décision.
[43] À l’audience, le travailleur témoigne qu’au moment où il a été évalué par le docteur Ouellet en 2005, il présentait toujours de l’anxiété et ressentait du stress, mais sa condition était, selon ses dires, « pas si pire ». Il avait des préoccupations au quotidien liées à des cauchemars qu’il faisait où il revivait l’événement du 24 novembre 1995 et des préoccupations à l’égard de ce qu’il ferait dans la vie. Malgré tout, le travailleur témoigne que le processus de réadaptation professionnelle s’est bien passé et croyait sincèrement qu’il réussirait à se dénicher un emploi à la suite de celui-ci. Il dit qu’il était d’ailleurs d’accord avec l’emploi convenable de commis de quincaillerie déterminé par la CSST.
[44] Le travailleur précise qu’il n’a pas débuté ses démarches pour trouver un tel emploi dès le début de la recherche d’emploi puisqu’il était alors en convalescence pour une maladie coronarienne, mais il a éventuellement fait un essai de travail sans rémunération chez un ami qui possédait une quincaillerie de pièces d’automobiles, soit à l’été 2007. Cet essai a duré trois jours et s’est avéré non concluant. Selon le travailleur, dès que le téléphone sonnait, il devenait anxieux, avait peur de commettre une erreur et que les gens lui en veuillent. Cette condition se traduisait par un niveau élevé d’anxiété, une sudation importante, des palpitations, etc.
[45] Devant l’échec de cet essai, le travailleur a décidé d’acquérir une mini-excavatrice. Il précise cependant que cet achat ne s’est pas fait sur un coup de tête mais bien après avoir discuté longuement de la situation avec son médecin traitant, le docteur Auger-Dufour, qui trouvait que c’était une bonne idée.
[46] À l’audience, le travailleur insiste sur le fait qu’il s’agissait d’un petit équipement, soit une mini-excavatrice qui peut être transportée dans la boîte d’une camionnette. L’objectif de cet achat était d’offrir des services tant pour le paysagement en été que le déneigement en hiver. Il espérait gagner sa vie en utilisant cet équipement.
[47] Interrogé à ce sujet, le travailleur était d’opinion que l’achat et l’utilisation de cette machinerie respectaient ses limitations fonctionnelles puisqu’il ne s’agissait pas de machinerie lourde. Dans les faits, il a décroché certains contrats, mais lorsqu’il devait offrir les services, il devenait anxieux, pleurait en se rendant avec l’équipement chez le client, avait peur de rencontrer des étrangers, que ceux-ci ne soient pas satisfaits de lui, etc.
[48] Par ailleurs, lorsqu’il utilisait la mini-excavatrice à des fins personnelles, cela se passait relativement bien. Comme il le dit en toute transparence, il se sentait à l’aise avec l’équipement et le problème n’était pas là , mais plutôt dans ses relations avec les gens qui n’étaient pas des proches.
[49] Interrogé sur les raisons pour lesquelles il a consulté le docteur Auger-Dufour le 28 novembre 2008, le travailleur dit qu’il se sentait alors démoli, ne sachant plus quoi faire pour gagner sa vie puisque l’initiative qu’il avait prise avec l’achat de la mini-excavatrice ne constituait pas un succès et ne fonctionnait pas pour lui.
[50] Appelé à décrire les symptômes qu’il présentait alors, le travailleur parle d’anxiété « terrible », de crises de panique, d’idées suicidaires, etc.
[51] Il insiste sur le fait qu’avant de vivre la situation du 24 novembre 1995, il n’avait pas de problèmes avec la clientèle ayant même eu à superviser des travailleurs, et ce, sans difficulté.
[52] Interrogé sur son état actuel, le travailleur dit qu’il n’a plus d’idées suicidaires et que les choses vont un peu mieux. Il signale notamment qu’il a été référé par son médecin traitant à un organisme, soit le SEMO (service externe de main-d’œuvre), qui s’occupe de la réintégration au travail des gens souffrant de troubles psychiatriques incapacitants ou de handicaps physiques et qu’il a bon espoir que cet organisme pourra lui venir en aide. Il attend actuellement un rendez-vous.
[53] Le travailleur dit qu’il n’a pas effectué d’autre essai de retour au travail au poste de commis à la quincaillerie compte tenu de l’échec vécu à l’été 2007.
[54] Le tribunal a également entendu le témoignage du docteur Auger-Dufour. Il a obtenu son diplôme de médecine de l’Université Laval en 1998. Il a fait sa résidence en psychiatrie à Montréal, résidence qu’il a complétée en 2003. Depuis ce temps, il est psychiatre à l’Hôpital de Montmagny. Le docteur Auger-Dufour confirme qu’il suit le travailleur depuis décembre 2004.
[55] Il appert du dossier que le 1er mars 2011, en vue de l’audience devant la Commission des lésions professionnelles, le docteur Auger-Dufour a rédigé un rapport décrivant les éléments qui lui permettent de conclure à l’existence d’une aggravation objective de la lésion professionnelle du travailleur. Il réfère à ce document dans le cadre de son témoignage en décrivant notamment les symptômes présents à l’automne 2008, soit des attaques de panique, de l’hypervigilance, des troubles de concentration, des symptômes dissociatifs, des idées suicidaires et de l’insomnie.
[56] Selon les constatations faites par le docteur Auger-Dufour en novembre 2008, le symptôme le plus important était le sentiment d’un avenir sans issue. Le docteur Auger-Dufour insiste sur le fait qu’il s’agit d’un symptôme que l’on voit souvent dans les cas d’état de stress post-traumatique, symptôme qui s’accompagne habituellement de celui d’évitement qui était très présent chez le travailleur en novembre 2008.
[57] Le docteur Auger-Dufour poursuit son témoignage en référant aux critères du DSM-IV qui définit le trouble d’état de stress post-traumatique comme suit :
A)        Le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents :
           1)  Le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des événements durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de graves blessures ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée;
           2)  La réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur.
B)        L’événement traumatique est constamment revécu, de l’une (ou de plusieurs) des façons suivantes :
           1)  Souvenir répétitif et envahissant de l’événement provoquant un sentiment de détresse et comprenant des images, des pensées ou des perceptions.
           2)  Rêves répétitifs de l’événement provoquant un sentiment de détresse.
           3)  Impression ou agissement soudain (« comme si » l’événement traumatique allait se reproduire (incluant le sentiment de revivre l’événement, des illusions, des hallucinations et des épisodes dissociatifs (flash back), y compris ceux qui surviennent au réveil ou au cours d’une intoxication.
           4)  Sentiment intense de détresse psychique lors de l’exposition à des indices internes ou externes évoquant ou ressemblant à un aspect de l’événement traumatique en cause.
           5)  Réactivité physiologique lors de l’exposition à des indices internes ou externes pouvant évoquer ou ressembler à un aspect de l’événement traumatique en cause.
C)        Évitement persistant des stimulus associĂ©s au traumatisme et Ă©moussement de la rĂ©activitĂ© gĂ©nĂ©rale (ne prĂ©existant pas au traumatisme), comme en tĂ©moigne la prĂ©sence d’au moins trois des manifestations suivantes :      Â
           1)  Effort pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associés au traumatisme.
           2)  Effort pour éviter les activités, les endroits ou les gens qui éveillent des souvenirs du traumatisme.
           3)  Incapacité de se rappeler d’un aspect important du traumatisme.
           4)  Réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien réduction de la participation à ces mêmes activités.
           5)  Sentiments de détachement d’autrui ou bien de devenir étranger par rapport aux autres.
           6)  Restriction des affects (par exemple incapacité à éprouver des sentiments tendres).
                       7)  Sentiments d’avenir « bouché » (par exemple pense ne pas pouvoir faire carrière, se marier, avoir des enfants ou avoir un cours normal de la vie).
D)        Présence de symptômes persistants traduisant une activation neurovégétative (ne préexistant pas au traumatisme) comme en témoigne la présence d’au moins deux des manifestations suivantes :
                       1)  Difficulté d’endormissement ou sommeil interrompu.
                       2)  Irritabilité ou accès de colère.
                       3)  Difficulté de concentration.
                       4)  Hypervigilance.
                       5)  Réaction de sursaut exagérée.
           E)        La perturbation (symptômes des critères B, C et D (durant plus d’un mois)
           F)        La perturbation entraîne une souffrance uniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
[58] Sur la base de ces critères, le docteur Auger-Dufour soutient qu’en novembre 2008, le travailleur a commencé à revivre les sentiments d’impuissance vécus lors de l’événement initial dans des situations moins menaçantes et dramatiques, soit celles où il était confronté au besoin de performer, d’être productif ou de fournir du rendement.
[59] À titre d’exemple, il donne l’épisode de commis à la quincaillerie où, pendant trois jours, il devait répondre aux demandes des clients et les servir adéquatement. Cette situation lui a fait revivre de l’anxiété importante qui l’a amené à recommencer à faire de l’évitement.
[60] À ce sujet, le docteur Auger-Dufour rappelle que l’accident du 24 novembre 1995 a créé chez le travailleur un sentiment énorme de culpabilité puisqu’il était aux commandes et qu’il avait la conviction d’avoir commis une erreur. Or, dès qu’il a à prendre des décisions, notamment d’ordre professionnel, le travailleur revit les sentiments d’impuissance, de culpabilité et d’incompétence liés à la situation initiale de 1995.
[61] Parmi les symptômes qui se sont aggravés, le docteur Auger-Dufour insiste particulièrement sur les comportements d’évitement qui sont plus présents et l’hyperréactivité physiologique. Il s’attarde particulièrement aux symptômes dissociatifs qui n’étaient pas présents avant novembre 2008, et ce, bien qu’il le suit depuis décembre 2004. Il décrit ces symptômes dissociatifs comme étant des symptômes de dépersonnalisation et de déréalisation qui constituent en quelque sorte des mesures de protection du cerveau face à des situations où le travailleur n’est pas en mesure de réagir adéquatement. Dans les faits, le docteur Auger-Dufour dit que ces symptômes dissociatifs se traduisaient par l’impression du travailleur que les choses s’arrêtaient autour de lui.
[62] Interrogé quant à savoir ce qui lui permet de conclure à une réactivation de l’état de stress post-traumatique plutôt qu’à une réactivation d’un trouble dépressif, le docteur Auger-Dufour réfère aux symptômes qu’il considère plus spécifiques à l’état de stress post-traumatique dont l’hyperréactivité physiologique se traduisant par de l’hypervigilance, de l’insomnie, etc.; ce qui est plutôt rare dans le cas de dépression, le patient étant alors plutôt dans une condition ralentie au niveau psychomoteur. De plus, il note de la reviviscence bien que le travailleur n’ait pas eu plusieurs épisodes, mais il y a fait allusion lors des premières consultations en novembre 2008. le travailleur a également souffert d’attaques de panique plus intenses.
[63] Le docteur Auger-Dufour rappelle que bien qu’en 2005, la lésion professionnelle ait été consolidée, il n’en demeure pas moins que le docteur Ouellet, tout comme lui, était d’opinion qu’il s’agissait bien d’une stabilisation de la condition du travailleur et non d’une guérison.
[64] Interrogé à ce sujet, le docteur Auger-Dufour ne croit pas que l’utilisation de la mini-excavatrice peut être à l’origine de la récidive, rechute ou aggravation du 28 novembre 2008.
[65] Pour en venir à cette conclusion, il se base sur l’autre essai de travail que le travailleur a effectué à la quincaillerie détenue par l’un de ses amis où il a présenté les mêmes symptômes et le même état d’anxiété et d’impuissance à l’égard de la tâche. C’est d’ailleurs pour cette raison que le docteur Auger-Dufour est d’opinion que le travailleur, à la suite de la récidive, rechute ou aggravation de novembre 2008, conservera des limitations fonctionnelles additionnelles dont celles qu’il identifie dans le cadre de son rapport du 1er mars 2011 où il indique ce qui suit :
À la suite du rapport du docteur Ronald Ouellet et du début du processus de réadaptation, le pronostic apparaissait plus favorable mais malheureusement en novembre 2008, une aggravation s’est produite, si bien qu’il n’apparaît aujourd’hui non seulement plus apte à opérer des véhicules mais également effectuer plusieurs emplois demandant une certaine performance et productivité qu’il ne parvient plus à atteindre en raison de son intolérance au stress et à sa crainte de faire une erreur ou de ne pas être à la hauteur, ce qui correspond à une généralisation de sa peur antérieure de causer un accident. Il a été référé à l’organisme SEMO qui s’occupe de la réintégration au travail des gens souffrant de troubles psychiatriques incapacitants ou de handicaps physiques.
[notre soulignement]
[66] Appelé à émettre un pronostic à l’égard de la condition du travailleur, le docteur Auger-Dufour est d’avis que la référence à l’organisme SEMO lui permettra peut-être d’accéder à un emploi rémunérateur dans un contexte qui lui apportera une certaine protection. En effet, le travailleur se sent bien dans un milieu où les gens sont informés de ce qu’il a vécu et sont indulgents à l’égard de ses réactions émotives compte tenu du bagage qu’il transporte au point de vue psychologique. Or, le soutien que l’organisme peut lui donner dans sa recherche d’emploi lui permettra peut-être de trouver un milieu de travail qui comportera des conditions favorables.
[67] Interrogé sur l’impact que les traits de personnalité obsessionnels compulsifs que présente le travailleur ont pu avoir en lien avec des symptômes développés en novembre 2008, le docteur Auger-Dufour est affirmatif à l’effet que leur impact est peu ou pas contributif, rejoignant ainsi l’opinion émise par le docteur Ouellet en 2005. Insistant sur le fait qu’il s’agit de traits de personnalité et non de troubles de la personnalité qui, par le passé, ne lui ont jamais causé de problèmes et qui ne lui en causent pas plus maintenant compte tenu des symptômes spécifiques à l’état de stress post-traumatique constatés.
[68] Sur la base de ces faits, appliquant les paramètres jurisprudentiels mentionnés plus haut au présent dossier, la Commission des lésions professionnelles rappelle que le travailleur a subi une lésion professionnelle à la suite d’un événement survenu le 24 novembre 1995 et qu’il s’est vu reconnaître une lésion professionnelle le 1er décembre 2004 pour un état de stress post-traumatique chronique, laquelle a été consolidée le 11 mai 2005. À la suite de cette lésion professionnelle, le travailleur conserve une atteinte permanente à l’intégrité psychique de 5,75 % et des limitations fonctionnelles émises par le docteur Ouellet et confirmées par le docteur Auger-Dufour.
[69] Il va sans dire que la lésion professionnelle initiale telle que décrite plus haut comporte un degré de gravité important compte tenu du contexte particulier où se sont déroulés les événements. Son caractère dramatique en regard des liens de filiation existant entre le travailleur et la victime de l’accident a augmenté d’autant la gravité et les conséquences de cette lésion.
[70] De plus, il y a eu continuité de la symptomatologie tel que le démontre notamment le suivi médical assuré par le docteur Auger-Dufour depuis le 1er décembre 2004.
[71] Par ailleurs, le travailleur n’a pas réussi un retour au travail à la suite de la consolidation de sa lésion avec limitations fonctionnelles et il conserve une atteinte permanente à l'intégrité psychique de 5,75 %.
[72] De même, la preuve démontre que bien qu’il possède des traits de personnalité de type obsessionnel compulsif, il ne s’agit pas là d’une condition personnelle qui a pu avoir quelque contribution que ce soit à la condition psychologique du travailleur constatée en novembre 2008, tel que le confirme d’ailleurs le docteur Auger-Dufour dans le cadre de son témoignage à l’audience et dans son rapport du 1er mars 2011.
[73] Par ailleurs, il y a compatibilité entre la symptomatologie alléguée au moment de la récidive, rechute ou aggravation du 28 novembre 2008 et la lésion initiale. C’est d’ailleurs ce qui appert de l’ensemble du suivi médical, des critères diagnostiques énoncés au DSM-IV et du témoignage du docteur Auger-Dufour non contredit sur cet aspect.
[74] Finalement, le délai entre la récidive, rechute ou aggravation est important, soit 13 ans. Cependant, le tribunal rappelle que pendant une période de près de 5 ans, le travailleur a nié les problèmes d’ordre psychologique dont il souffrait et ce n’est qu’à compter de 2000 qu’il a commencé à faire l’objet d’un certain suivi médical et, de façon plus sérieuse, à compter de décembre 2004. Ce délai doit donc être mis en perspective compte tenu de la nature même du dossier.
[75] Bien qu’aucun des paramètres établis par la jurisprudence n’est à lui seul déterminant, le tribunal constate, en l’espèce, que la combinaison de plusieurs éléments permet de conclure à l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008 d’autant plus que la preuve est prépondérante en ce qui a trait au lien de causalité entre les symptômes vécus en novembre 2008 et la lésion professionnelle initiale ayant causé un état de stress post-traumatique chronique. À cet égard, la preuve est probante.
[76] Le tribunal conclut donc que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 28 novembre 2008 sous l’angle d’une récidive, rechute ou aggravation de l’événement initial du 24 novembre 1995, soit une réactivation de son état de stress post-traumatique avec symptômes anxieux et dépressifs importants.
[77] La procureure de la CSST a soutenu que la cause des symptômes d’ordre psychologique vécus par le travailleur en novembre 2008 n’est pas liée à la lésion professionnelle initiale découlant de l’accident du 24 novembre 1995.
[78] Au soutien de ses prétentions, elle a parlé de symptômes non spécifiques à l’état de stress post-traumatique, soit le manque de confiance en soi, les questionnements face à l’orientation professionnelle, l’incertitude face à l’avenir, l’anxiété sociale et les inquiétudes au plan financier qui, à son avis, résultent des préoccupations normales et habituelles chez un travailleur qui a de la difficulté à accepter le fait qu’il devra changer de métier ou de profession.
[79] Le tribunal ne retient pas ces prétentions qui sont contredites par la preuve offerte et notamment le témoignage du docteur Auger-Dufour qui démontre qu’il y a des symptômes spécifiques à un état de stress post-traumatique dont la réactivité physiologique, la reviviscence, l’évitement qui se traduit notamment par un sentiment d’avenir « bouché » tel que le spécifie le DSM-IV et les symptômes dissociatifs vécus pour la première fois de façon plus importante en novembre 2008. La CSST n’ayant fourni aucune preuve médicale à l’encontre de ces éléments, le tribunal ne peut retenir sa prétention.
[80] De plus, la procureure de la CSST soutient que la cause première des troubles d’ordre psychologique vécus par le travailleur en novembre 2008 est le fait qu’il n’a pas respecté les limitations fonctionnelles émises en conduisant une mini-excavatrice. Selon elle, cet état de fait joue un rôle majeur dans l’analyse du lien de causalité.
[81]
Le tribunal ne peut retenir cet argument rappelant qu’en l’espèce, il
n’est pas en présence d’un cas de négligence grossière et volontaire tel que
prévu à l’article
27. Une blessure ou une maladie qui survient uniquement à cause de la négligence grossière et volontaire du travailleur qui en est victime n'est pas une lésion professionnelle, à moins qu'elle entraîne le décès du travailleur ou qu'elle lui cause une atteinte permanente grave à son intégrité physique ou psychique.
__________
1985, c. 6, a. 27.
[82] En effet, la preuve offerte ne démontre pas que le travailleur a fait preuve de témérité ou d’insouciance déréglée, tel que le requiert la jurisprudence du tribunal[5].
[83] La preuve révèle plutôt que le travailleur, avant de se lancer dans cette nouvelle entreprise, a consulté et a longuement discuté avec le docteur Auger-Dufour afin d’obtenir son assentiment. Ce dernier considérait qu’il ne s’agissait pas d’une situation allant à l’encontre des limitations fonctionnelles, interprétant ces limitations comme interdisant plutôt la conduite de machinerie lourde.
[84]
Au surplus, le tribunal rappelle que le régime d’indemnisation des
lésions professionnelles est un régime sans faute tel que l’énonce clairement
l’article
25. Les droits conférés par la présente loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque.
__________
1985, c. 6, a. 25.
[notre soulignement]
[85] Vu ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 28 novembre 2008 de sa lésion professionnelle initiale du 24 novembre 1995.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par monsieur Mario Chabot, le travailleur, le 24 février 2010;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 4 février 2010 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Mario Chabot a subi une lésion professionnelle le 28 novembre 2008 sous l’angle d’une récidive, rechute ou aggravation de l’événement initial du 24 novembre 1995.
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Ann Quigley |
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Me Annie Noël |
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MÉNARD, MILLIARD, CAUX |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Lucie Rondeau |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, GIARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] Â Â Â Â Â Â Â Â Â L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Â Â Â Â Â Â Â Â Â Lapointe et
Cie minière Québec Cartier,
[3] Â Â Â Â Â Â Â Â Â
[4]          Saurel c. Commission des lésions professionnelles, C.S. Montréal,
[5] Â Â Â Â Â Â Â Â Â
2010 QCCLP 6274
;
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