R. c. Desgens | 2023 QCCQ 197 | ||||||
COUR DU QUÉBEC | |||||||
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CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | BEDFORD | ||||||
LOCALITÉ DE | GRANBY | ||||||
« Chambre criminelle et pénale » | |||||||
N° : | 460-01-038922-211 | ||||||
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DATE : | 13 janvier 2023 | ||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | JULIE BEAUCHESNE, J.C.Q. | |||||
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LE ROI | |||||||
Poursuivant | |||||||
c. | |||||||
BERTRAND DESGENS | |||||||
Accusé | |||||||
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JUGEMENT SUR LA PEINE | |||||||
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NOTE : Ce jugement fait l’objet d’une ordonnance de non-publication rendue en vertu de l’article 486.4 du Code criminel. Cette ordonnance interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité du plaignant.
[1] Le 25 mai 2022, Bertrand Desgens reconnait sa culpabilité d’avoir, entre le 1er décembre 2019 et le 31 mars 2020, eu des contacts sexuels à l’égard de X, un mineur.
[2] Le ministère public suggère l’imposition d’une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour ainsi qu’une probation.
[3] La défense demande au Tribunal d’imposer une peine d’emprisonnement de 15 à 20 mois de détention à être purgée dans la collectivité compte tenu des modifications récentes au Code criminel.
Contexte factuel
[4] L’accusé et la victime font connaissance via l’application de rencontre Grindr, destinée aux personnes homosexuelles de plus de 18 ans.
[5] X se présente comme ayant 18 ans, mais avant leur première rencontre il indique plutôt avoir 15 ans. L’accusé décide tout de même de le rencontrer. Dès cette première rencontre, il fait une fellation à la victime.
[6] Il admet avoir eu des contacts sexuels à quatre reprises, incluant des fellations et une pénétration anale faite par la victime.
[7] À travers ces diverses rencontres, la victime demande de l’argent à l’accusé en menaçant de dévoiler ses gestes à la police s’il ne reçoit pas l’argent réclamé. Plusieurs transferts d’argents sont faits.
[8] Dans sa déclaration vidéo, la victime admet qu’il recherchait des « sugar daddy » en vue d’obtenir des sommes monétaires. Il a procédé de cette manière avec l’accusé.
[9] L’accusé lui finance un cellulaire iPhone, que la victime devait lui rembourser. Le remboursement n’a jamais eu lieu, la victime sachant que l’accusé ne peut le lui réclamer, car il pourrait le dénoncer.
[10] Lorsque l’accusé est arrêté et interrogé, il offre une bonne collaboration. Dans sa déclaration incriminante, il affirme regretter avoir poursuivi des contacts sexuels avec la victime alors qu’il savait qu’il avait 15 ans.
[11] Les échanges par messages texte ont été déposés à la suite de questions de la soussignée. Ils n’ont pas été expliqués par le plaignant ou l’accusé.
[12] Cependant en déchiffrant les messages[1] le Tribunal ne constate pas de situation d’abus où l’adulte négocie des faveurs sexuelles.
[13] On retrouve plutôt un ton badin entre deux individus. On discute de sexualité, d’ITS[2], de dormir ensemble, de la permission de conduire l’auto de l’accusé, de son chien et de ses horaires de travail. Le plaignant obtient régulièrement de la bière, de l’argent et de la nourriture.
[14] La preuve est faible quant à l’obtention de faveurs sexuelles moyennant rémunération, ce qui serait un facteur aggravant.
[15] Le plaignant écrit qu’il doit beaucoup d’argent à l’accusé qui répond de manière humoristique que ça vaut plusieurs nuits.[3]
[16] Le plaignant utilise cette relation pour obtenir des avantages. Face à un refus, il lui fait un chantage émotif : « T’as dit que t’aimais me gâter hier ». Il demande des transports au milieu de la nuit pour lui, une amie ou des amis.
[17] Alors que le plaignant menace de le dénoncer[4], l’accusé lui demande de cesser ces menaces qui pourraient miner leur amitié.
Le droit
[18] L’imposition d’une peine est une tâche délicate qui doit répondre aux objectifs et aux principes définis par le Code criminel.
[19] Dans R. c. L.M.[5], le juge Lebel énonce le rôle du Tribunal en matière de détermination de la peine en ces termes :
[17] (…) Dans sa recherche d’une sentence adéquate, devant la complexité des facteurs relatifs à la nature de l’infraction commise et à la personnalité du contrevenant, le juge doit pondérer les principes normatifs prévus par le législateur dans le Code criminel :
- Les objectifs de dénonciation, de dissuasion, d’isolation des délinquants, leur réinsertion sociale, ainsi que la reconnaissance et la réparation des torts qu’ils ont causés (art. 718 C. cr.) (voir annexe);
- le principe fondamental de la proportionnalité de la peine au regard de la gravité de l’infraction et du degré de responsabilité du délinquant (art. 718.1 C. cr.);
- les principes d’adaptation de la peine aux circonstances aggravantes et atténuantes, d’harmonisation des peines, d’identification des sanctions moins contraignantes et des sanctions substitutives applicables (art. 718.2 C. cr.).
[20] Dans R. c. M. (C.A.)[6], la Cour suprême s’exprime ainsi:
[80] (…) La légitimité du châtiment en tant que principe de détermination de la peine a souvent été mise en doute en raison de l'assimilation malheureuse de ce mot au mot "vengeance" dans le langage populaire. (…) En contexte criminel, par contraste, le châtiment se traduit par la détermination objective, raisonnée et mesurée d'une peine appropriée, reflétant adéquatement la culpabilité morale du délinquant, compte tenu des risques pris intentionnellement par le contrevenant, du préjudice qu'il a causé en conséquence et du caractère normatif de sa conduite. (…)
[81] (…) Bref, une peine assortie d'un élément réprobateur représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu'elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel. (…)
[21] Dans R. c. Nasogaluak[7], la Cour suprême ajoute : « le principe de proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine (…) [et qu]’à l’optique axée sur l’existence de droits et leur protection correspond également une approche relative à la philosophie du châtiment fondée sur le juste dû. (…) [afin] que les délinquants soient tenus responsables de leurs actes et que les peines infligées reflètent et sanctionnent adéquatement le rôle joué dans la perpétration de l’infraction ainsi que le tort qu’ils ont causé ».
[22] Cette peine doit ainsi être proportionnelle à la gravité de l'infraction et être adaptée à toutes les circonstances, aggravantes ou atténuantes, liées à la situation spécifique du prévenu. Mais elle doit également prendre en compte l'harmonisation des peines, soit l'imposition de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables. La détermination de la peine demeure un processus individualisé qui entraîne nécessairement un certain degré de disparité[8].
Analyse
[23] L’accusé faisait connaissance auparavant avec ses partenaires sexuels via des amis à Montréal. Depuis 2017, il se sentait plus isolé de son réseau social. Les mesures sanitaires liées à la COVID-19 ont complexifiées la possibilité de faire des rencontres.
[24] C’est dans ce contexte qu’il utilise le site de rencontre (Grindr) pour répondre à ses besoins sexuels et affectifs.
[25] Il entre en contact avec le jeune homme de 15 ans alors que lui a 50 ans. Il reconnait avoir rapidement appris qu’il était mineur. Cela ne l’empêche pas d’avoir un contact sexuel, dès leur premier rendez-vous.
[26] C’est le caractère utilitaire qui définit leur relation, soit de combler des besoins sexuels. Il mentionne avoir voulu aider financièrement le jeune homme qui semblait rencontrer des difficultés.
[27] L’agente de probation indique que cela a pu répondre à des besoins de valorisation, bien qu’en fait les difficultés vécues par l’adolescent le rendaient encore plus vulnérable.
[28] Bien que l’accusé reconnaisse les faits et comprenne sa responsabilité, les regrets sont orientés sur les répercussions de la judiciarisation et la honte d’avoir succombé à ce type d’interdit.
[29] Il mentionne que le processus judiciaire l’a dissuadé de recommencer.
[30] La criminologue conclue que l’intervention de la justice et le sentiment de honte peuvent s’avérer dissuasif, mais conclut à la nécessité d’une démarche thérapeutique afin de prendre conscience des facteurs internes qui l’ont mené au passage à l’acte. Il est ouvert à participer à un tel processus.
[31] Les infractions commises sont objectivement très graves. Le législateur a alourdi les peines applicables aux crimes sexuels contre des adolescents.
[32] La peine prévue pour l’infraction de contact sexuel (art.151a) C.cr.) est passée de 10 à 14 ans d’emprisonnement, témoignant ainsi de la gravité de l’infraction.
[33] Dans la décision Friesen[9], la Cour suprême invite les juges de première instance à plus de sévérité. Elle rappelle que le législateur a privilégié la dénonciation et la dissuasion pour les infractions d’ordre sexuel contre des enfants dans un contexte où aujourd’hui la société canadienne saisit mieux la gravité du préjudice qui découle de ce type d’infraction.
[34] Le Tribunal retient à titre de facteurs aggravants :
[35] Quant aux facteurs atténuants, le Tribunal souligne :
[36] Le « consentement de facto » n’est pas un facteur pertinent en droit, lors de la détermination de la peine. Dans un cas de consentement apparent, cela ne diminue en rien la responsabilité de l’adulte qui participe au geste sexuel. Il appartiendra toujours aux adultes de s’abstenir de se livrer à des contacts sexuels sur des enfants ou des adolescents.[10]
[37] La poursuite a soumis à titre de facteur aggravant le fait que X est une victime vulnérable.
[38] Le Tribunal ne partage pas cette prétention. La vulnérabilité doit s’analyser suivant les circonstances propres à chaque dossier.
[39] Ici, la preuve révèle la volonté du plaignant d’avoir des relations sexuelles, d’avoir un « sugar daddy ». Il s’inscrit sur un site à titre d’adulte. Son attitude afin d’obtenir de l’argent de l’accusé est regrettable.
[40] En l’absence d’une déclaration sur les impacts du crime ou d’un témoignage, le Tribunal ne peut présumer de séquelles à la suite des événements. Le Tribunal est conscient de la possibilité d’un préjudice non apparent chez ce jeune homme.
[41] Tel que mentionné dans la décision Londono[11], les infractions de contacts sexuels couvrent une grande gamme de comportements et également des périodes d’abus plus ou moins longues, avec ou sans abus d’autorité ou manipulation. L’âge des participants est très variable.
[42] Afin d’évaluer la peine à être imposée, huit critères devront être examinés[12] :
[43] En l’espèce, il n’y a aucune menace ou manipulation par l’accusé. Au contraire, la manipulation provient du plaignant qui comprend l’aspect délictuel des activités et qui en a profité pour obtenir des sommes d’argent.
[44] L’accusé n’était pas dans une situation d’abus de confiance ou d’autorité et les contacts sexuels étaient non coercitifs.
[45] L’accusé ne souffre d’aucun désordre d’ordre sexuel. Il s’agit de quatre contacts sexuels survenus en l’espace de quelques mois. L’accusé est sans antécédents judiciaires et est volontaire pour s’impliquer dans un traitement.
[46] Il a manifesté des remords à l’égard de la victime. Il représente un risque modéré de récidive. Finalement, le Tribunal n’a pas de preuve de séquelle ou de conséquence chez la victime.
[47] Certaines infractions sont à nouveaux admissibles à l’emprisonnement dans la collectivité. Le Tribunal doit donc faire cette analyse.
[48] Avant d’envisager la privation de liberté, le Tribunal a l’obligation d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes. La peine de détention peut-elle être purgée dans la communauté?
[49] La poursuite s’y oppose en plaidant que cela ne serait pas une peine suffisamment dissuasive, car l’accusé a exploité indument le corps d’un adolescent. Elle concède toutefois que l’accusé ne représente pas un danger pour la société.
[50] Premièrement, l’emprisonnement envisagé en est un de moins de deux ans.
[51] Deuxièmement, l’imposition de la peine d’emprisonnement avec sursis ne met pas en danger la sécurité de la collectivité compte tenu de l’absence d’antécédents judiciaires et de l’évaluation du risque de récidive.
[52] L’emprisonnement avec sursis a-t-il un caractère punitif suffisant? Dans la décision Proulx[13], on a reconnu le caractère punitif de l’emprisonnement avec sursis.
[53] Cette mesure sentencielle peut avoir un effet dénonciateur lorsqu’il est assorti de conditions rigoureuses.
[54] Malgré la nécessité d’un message clair de dénonciation et de dissuasion, le Tribunal doit continuer à appliquer les principes de proportionnalité et individualiser les peines.
[55] Nous sommes dans une situation de crime à caractère sexuel qui touche un adolescent. Cependant, les facteurs atténuants sont nombreux et les circonstances du présent dossier font qu’un emprisonnement dans la collectivité s’avère suffisamment dissuasif.
[56] En conséquence, une peine d’incarcération de 20 mois dans la collectivité apparait juste et raisonnable dans les circonstances.
[57] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[58] CONDAMNE l’accusé à une peine d’emprisonnement de 20 mois à être purgée dans la collectivité soumis aux conditions et exceptions qui seront élaborées à l’audience;
[59] INTERDIT à l’accusé en vertu de l’article 109(1)a) du Code criminel d’avoir en sa possession :
[60] ORDONNE à l’accusé en vertu de l’article 487.051(1) du Code criminel, de se soumettre au prélèvement du nombre d’échantillons de substances corporelles (ADN) jugé nécessaire pour analyse génétique;
[61] ORDONNE à l’accusé de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, pour une période de 20 ans, à compter de ce jour, et ce conformément aux dispositions de l’article en vertu de l’article 490.013(2)b) du Code criminel;
[62] INTERDIT à l’accusé en vertu de l’article 161 du Code criminel, pour une période de 10 ans à compter de sa mise en liberté :
i) pour communiquer, directement ou indirectement, avec des personnes d’âge mineur;
ii) pour accéder à tout contenu qui viole la loi;
iii) pour accéder directement ou indirectement à tout site de rencontre;
iv) en utilisant quelque logiciel de partage pair à pair que ce soit, y compris les Torrent.
[63] ASSUJETTIT l’accusé à une période de probation d’une durée de 2 ans aux conditions énumérées en salle d’audience.
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| __________________________________ JULIE BEAUCHESNE, J.C.Q. | |
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Me Valérie Simard Croteau | ||
Procureure du poursuivant | ||
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Me Rachel Mineau Bernatchez | ||
Procureure de l’accusé | ||
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Date d’audience : | 22 novembre 2022 | |
[1] Utilisant un jargon constitué d’abréviations, d’anglicismes et d’icônes.
[2] Infection transmissible sexuellement.
[3] Pièce S-2, page 53, « Lol une couple de nuit!! 😂😂😂 ».
[4] Pièce S-2, page 65, « Gros tu m’achètes une lambo ou jte snitch..ou tesla sa passe aussi ».
[5] R. c. L.M., 2008 CSC 31 (CanLII), par.17.
[6] R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), par. 80 et 81.
[7] R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6 (CanLII), par. 41 et 42.
[8] Voir notamment R. c. M.(C.A.), précité, note 3; R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), par. 86 et R. c. L.M., précité note 2, par. 36.
[9] R. c. Friesen, 2020 CSC 9 (CanLII).
[10] Précité note 6, par.154.
[11] R. c. Londono, 2022 QCCA 1097 (CanLII), par.68.
[12] Morasse c. R., 2015 QCCA 74 (CanLII); R. c. L.(J.J.), 1998 CanLII 12722 (QC CA).
[13] R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 RCS 61.
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