COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Yamaska

SAINT-HYACINTHE, le 8 février 2002

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

118220-62B-9906

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Nicole Blanchard, avocate

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DES MEMBRES :

Jacques Lesage

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

Gilles Robidoux

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR :

Jacques Potvin, médecin

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

113013239

AUDIENCES TENUES LES :

20 avril 2000

6 décembre 2000

15 février 2001

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER BR :

62734548

À :

SAINT-HYACINTHE

 

 

 

 

 

 

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BEAULIEU CANADA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SOPHIE GUAY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 7 juin 1999, Beaulieu Canada (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 12 mai 1999 à la suite d’une révision administrative.

[2]               Par cette décision, la CSST confirme celles qu’elle a initialement rendues les 2 et 5 février 1998, où donnant suite à l’avis du comité spécial des présidents, lequel conclut que madame Sophie Guay (la travailleuse) est porteuse d’asthme professionnel, elle accepte sa réclamation et déclare qu’elle en conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique de 3,3 %, lui donnant droit à une indemnité de 2197,54 $. Aucune limitation fonctionnelle n’est toutefois reconnue, mais une intolérance aux irritants respiratoires et aux émanations de la compagnie Tapis Perless (devenue maintenant Beaulieu Canada) est identifiée.

L'OBJET DE LA CONTESTATION

[3]               L’employeur demande de déclarer que la travailleuse n’est pas porteuse d’une maladie professionnelle pulmonaire et qu’en conséquence aucune indemnité pour dommages corporels ne doit lui être reconnue.

LES FAITS

[4]               La travailleuse, née le 23 juin 1969, occupe un poste de journalière chez l’employeur, depuis avril 1994, à l’usine de Wickham. Elle est assignée dans le département de la filature, plus précisément au retordage sur la machine nommée « murata ». Son horaire de travail est de 24 heures par semaine, soit les samedis et dimanches, de midi à minuit. Sa tâche consiste à remplacer des bobines de fils au fur et à mesure qu’elles se vident. Durant ce temps, un robot muni d’un boyau, semblable à celui d’une balayeuse, se promène constamment pour pousser la poussière qui pourrait s’y accumuler et bloquer la machine. Si malgré tout, la machine bloque, une lumière s’allume pour le signaler et la travailleuse doit alors enlever ce qui obstrue. Le boyau n’aspirant toutefois pas les poussières, c’est elle qui le fait avec un balai, et ce, à trois reprises durant la journée, soit au début de son quart de travail, vers 6h00 et à la fin du quart. Aussi, elle profite de ces trois occasions pour enlever la poussière accumulée sur la machine en utilisant un fusil à air. Chaque ménage dure une quinzaine de minutes. Chaque fois, elle dit ramasser un gros tas de poussière.

 

[5]               Les 15 et 16 mars 1997, n’ayant plus d’ouvrage à faire à sa machine, elle déclare avoir fait exclusivement du grand ménage durant toute la fin de semaine avec l’aide d’une autre travailleuse. La compagnie devant être vendue sous peu, tout devait alors être bien propre. Contrairement, à son ménage quotidien, cette fois-ci, elle a nettoyé en dessous des machines. Elle était étendue sur un buggy et avec le fusil à air, elle soufflait la poussière. Elle a ainsi fait sortir de gros mottons de poussières accumulés à cet endroit avec le temps. Selon elle, c’était la première fois qu’un tel nettoyage était fait à l’usine. De grosses poubelles de poussières auraient été remplies. Elle précise qu’elle ne portait pas de masque lors de cette opération ni d’ailleurs lorsqu’elle travaille normalement.

[6]               C’est à compter de ce grand ménage que ses symptômes d’asthme ont débuté, précise - t‑elle. Certes, la fin de semaine précédente, elle toussait beaucoup, mais elle associe cela à une mauvaise grippe, alors que les 16 et 17 mars, elle râle, le cœur lui lève, elle vomit. Elle éprouve même de la difficulté à respirer et c’est pourquoi, le dimanche soir, elle appelle info santé pour savoir quoi faire.

[7]               Le mardi 18 mars, elle s’est présentée à l’urgence du centre hospitalier Ste-Croix à Drummondville, où elle rencontre un médecin. Elle a été traitée pour une crise d’asthme avec des stéroïdes et des bronchodilatateurs. Elle a quitté l’hôpital après 48 heures avec de la Prédnisone orale pour 2-3 mois.

[8]               Le 14 juillet 1997, elle remplit un formulaire de réclamation auprès de la CSST, afin de faire reconnaître qu’elle est porteuse d’un asthme professionnel. À l’usine de Wickham, il s’agit de la première réclamation déposée par un travailleur pour cette affection. La travailleuse écrit ceci à l’annexe de sa réclamation :

Décrivez vos tâches :

 

Mayer : mettre plusieurs bobines de fil pour en fabriquer une grosse. A fait le ménage 2 fois le samedi avec air pression. 1 fois dimanche aussi avec air pression. Alors cela lève plusieurs petites poussières de fibre et la fin de semaine avant que je tombe malade j’ai fait du ménage samedi, dimanche de 12h00 am à 12h00 pm. Lundi, mardi, mercredi, jeudi, j’ai été malade je n’avais plus de souffle et le vendredi matin, je suis allée à l’hôpital. C’est là qu’il m’a dit que c’est une crise d’asthme avec une infection du poumon.

 

Quels sont les facteurs (produits ou substances, etc.) susceptibles d’avoir causé votre maladie ?

 

Je dirais que c’est la poussière de fibre (lors du ménage) ou bien l’air qui n’est pas bonne. Je ne peux pas savoir.

 

 

 

[9]               Le 23 septembre 1997, le comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke procède à une évaluation de la travailleuse. Il rapporte que le travail de la patiente consiste au bobinage des fils, fibres et du coton, et qu’occasionnellement elle fait du dépoussiérage. Le début des problèmes respiratoires est indiqué comme faisant suite à un grand nettoyage, où elle a dû faire un travail de dépoussiérage avec une souffleuse durant plusieurs jours. Le comité suspecte un asthme professionnel aux poussières de l’usine où elle travaille. Il procède à une investigation pulmonaire de base et demande à la CSST de céduler avec l’employeur un retour au travail afin de procéder à des tests de provocation spécifique en usine, selon le protocole habituel.

[10]           Le 14 novembre 1997, le test de provocation en usine a démontré une chute de 50 % du volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) lors de la première journée de retour au travail et conséquemment, le comité retient que la travailleuse est porteuse d’asthme professionnel. Il recommande un déficit anatomo-physiologique de 3 %, que la travailleuse ne doit faire que des efforts légers et qu’elle ne doit pas être exposée à des irritants respiratoires.

[11]           Le 19 décembre 1997, le comité spécial des présidents entérine les conclusions et les recommandations du comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke et reconnaît que la travailleuse est porteuse d’asthme professionnel. Le 2 février 1998, la CSST étant liée par les conclusions de ce comité spécial, et ce, en vertu de l’article 233 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1], elle accepte la réclamation de la travailleuse et reconnaît que celle-ci est porteuse d’une maladie professionnelle pulmonaire et qu’elle a droit à une indemnité pour dommages corporels. Le 5 février 1998, elle décide que l’atteinte permanente est de l’ordre de 3,3 %, laquelle lui donne droit à une indemnité de 2 197,54 $. Le 12 février, l’employeur conteste ces deux décisions de la CSST. Le 12 mai 1999, la révision administrative de la CSST, se disant toujours liée aux conclusions émises par le comité spécial des présidents, confirme ces deux décisions, d’où la présente requête de l'employeur, datée du 7 juin 1999.

[12]           Lors de l’audience, madame Guay dit ne plus fumer depuis 6 ans. Certes à l’occasion, elle grille une cigarette, mais elle ne s’achète plus de paquet. Quant à son mari, il fumerait 2 paquets par jour. Il n’y aurait pas de tapis ni d’animaux dans sa résidence. Elle dit qu’avant mars 1997, elle ne savait pas qu’elle faisait de l’asthme, n’en connaissant même pas les symptômes. Certes, elle se savait allergique aux animaux domestiques, aux pissenlits, au pollen, éprouvait aussi les symptômes de la fièvre des foins, mais jamais, n’aurait-elle fait d’asthme avant mars 1997. Elle affirme n’avoir jamais consulté ni avoir été hospitalisée pour cette condition, tout comme elle n’aurait jamais utilisé de bronchodilatateurs avant mars 1997.

[13]           Si à des rapports médicaux antérieurs, déposés par le représentant de l’employeur, des médecins ont posé le diagnostic d’asthme, elle affirme que c’est parce que c’est elle qui se disait asthmatique au médecin. Pour elle, il s’agissait d’une façon de se distinguer des autres, surtout lorsqu’elle était petite. En fait, elle spécifie qu’il s’agissait plutôt de crise d’anxiété ou d’hyperventilation qu’elle faisait. Après mars 1997, elle a consulté plusieurs fois pour son asthme qu’elle dit dû à son travail. Elle ajoute qu’avant, elle était très sportive, mais maintenant, elle est plus restreinte pour la pratique des sports en raison de son état.

[14]           Selon les dossiers médicaux de la travailleuse au centre médical Drummond, aux Cliniques médicales St-Nicéphore et d’Acton, à l’hôpital Ste-Croix et aux notes de consultations du docteur Gatien Arsenault, tous déposés lors de l’audience, il est démontré qu’à plusieurs reprises, et ce, depuis 1986, des médecins ont posé un diagnostic d’asthme décompensé. Même quelques jours avant le 18 mars 1997, la travailleuse a consulté le docteur Arsenault soit, plus précisément, le 13 mars 1997. Ce dernier avait alors posé le diagnostic d’asthme bronchique surinfecté.

[15]           En plus de témoignage de la travailleuse, la Commission des lésions professionnelles a entendu celui de monsieur Daniel Beaulieu, gérant de l’usine de Wickham depuis novembre 1994 et employé de la compagnie depuis octobre 1980. Il dépose les fiches de temps quotidiennes du département de retordage pour les 2, 8, 9, 15 et 16 mars 1997, lesquelles démontrent, contrairement à ce que la travailleuse a témoigné, que durant la fin de semaine des 8 et 9 mars, elle n’a pas fait de grand ménage et que ce dernier n’a eu lieu que le 16 mars, pour une durée de 6 heures. Aussi, il explique les différentes étapes du processus avant que les bobines de fils arrivent à la travailleuse ainsi que les recettes employées pour la teinture des fils. Il précise que jamais il n’y a de coton utilisé dans tout le déroulement des opérations. Les fils sont faits soit de nylon ou de polyester et non de coton. Une copie de toutes les fiches signalétiques des produits utilisés chez l’employeur a été déposée. Il confirme le fait que c’est très important qu’il n’y ait pas de poussière accumulée à la machine « murata », sinon le fil peut se casser. Ce n’est toutefois pas une seule poussière qui provoque l’arrêt de la machine, précise-t-il. Il en faut une certaine accumulation.

[16]           Le docteur Paolo Renzi, pneumologue, a témoigné à la demande de l’employeur. Il explique ce qu’est l’asthme, à savoir une maladie respiratoire causée par une réaction inflammatoire des bronches se manifestant par des symptômes tels que la difficulté à respirer (appelée la dyspnée ou essoufflement anormal), la toux et une respiration sifflante (appelée « wheezing » ou sibilance).

 

 

[17]           Il identifie les deux facteurs pouvant provoquer l’asthme soit des facteurs non spécifiques (asthme non allergique) et des facteurs spécifiques (asthme allergique). Les premiers ne causent pas l’asthme, ils la déclenchent alors que les deuxièmes, les facteurs spécifiques, la causent. Les premiers peuvent être, entre autres, l’air froid, l’humidité, les irritants inhalés, les perturbations émotionnelles, telle une crise d’hyperventilation, et l’exercice alors que les inducteurs ou causes de l’asthme sont les allergènes tels, entre autres, le pollen et les infections virales de l’appareil respiratoire, comme la grippe, le rhume etc. Les symptômes causés par les déclencheurs, précise-t-il, ont tendance à survenir dans les 24 heures de l’inhalation. Ils ne laissent pas de séquelles et sont de courte durée alors que les inducteurs entraînent des symptômes qui durent plus longtemps

[18]           L’asthme, poursuit-il, est aujourd’hui une maladie courante chez les enfants. Elle affecte la personne durant toute sa vie avec des hauts et des bas. Durant l’enfance, elle touche plus les garçons que les filles, dans un rapport d’un sur six. Cependant, à l’adolescence, souvent les symptômes s’en vont pour revenir à l’âge de 30-40 ans, touchant alors plus les femmes que les hommes.

[19]           À la question « Comment peut-on différencier l'asthme professionnel de l'asthme personnel ? », le docteur Renzi répond que dans les deux situations se sont les mêmes symptômes tels que décrits précédemment. L'asthme professionnel pour sa part est causé par certains agents sensibilisants ou contaminants présents dans le milieu du travail. Il donne l'exemple des isocyanates utilisés dans les peintures. Même en très petite quantité et en absence de tout antécédent d'asthme personnel, ce produit est un agent sensibilisant qui peut provoquer des symptômes d'asthme chez certains travailleurs. Ces travailleurs doivent être indemnisés par la CSST. Même en présence d'antécédent d'asthme personnel, un travailleur exposé durant son travail à un agent sensibilisant suspecté peut tout de même être compensé par la CSST. Pour démontrer la présence d'un asthme professionnel, il faudrait alors analyser les fiches signalétiques des produits utilisés et identifier le cas échéant le produit sensibilisant. Par contre, lorsqu'un individu a des antécédents d'asthme personnel et qu'il est exposé en milieu du travail à des substances irritantes telles que la poussière, l'air froid, la fumée, etc., il indique qu'il s'agit alors d'un asthme personnel aggravé temporairement, lequel ne serait pas compensable.

[20]           Il ajoute que la plupart du temps dans les cas d’asthme professionnel, on identifie l’agent sensibilisant responsable de l’asthme. Ce n’est que dans de très rares cas (1 %) des compensations, que l’agent n’a pas été identifié, mais alors ajoute-t-il, dans ce cas cela ne touchera pas qu’un seul travailleur. Entre 5 et 20 % du personnel éprouveront alors les symptômes de l’asthme. Dans le présent dossier, il fait remarquer qu’aucun agent sensibilisant n’a été identifié dans l’environnement de travail de madame Guay et qu’elle est la seule, à l’usine de Wickham, a avoir déposé une réclamation à la CSST pour son asthme.

[21]           Par ailleurs, il commente les conclusions du comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke. Il fait remarquer que les prémisses de base pour étayer leurs conclusions sont fausses, puisque l’histoire occupationnelle qui leur a été décrite, tout comme le début des symptômes respiratoires, ne reflète pas la réalité. En effet, à ce rapport, il est écrit que la travailleuse fait le rembobinage des fils, des fibres et du coton alors que ce n’est que le polyester et le nylon qui sont utilisés et non pas le coton, lequel est un agent sensibilisant qui peut causer l’asthme. Par ailleurs, le comité note que les problèmes respiratoires ont débuté suite à une opération de grand nettoyage où elle a dû faire un travail de dépoussiérage avec une souffleuse pendant plusieurs jours et qu’une crise de détresse respiratoire l’aurait alors emmenée à consulter à l’hôpital de Drummondville. Or, il indique que ce comité ne savait donc pas que la travailleuse était porteuse d’asthme bien avant mars 1997 et que le grand nettoyage n’a duré qu’au plus six heures. Selon lui, avec ces nouvelles données, le comité n’aurait certes pas retenu la même conclusion. Parce qu’il avait comme information qu’il y avait un agent sensibilisant présent dans le milieu de travail, soit le coton, cela explique pour lui, pourquoi le comité n’a pas poussé plus loin son étude. Lui, dit-il, a analysé les fiches signalétiques de tous les produits utilisés dans l’usine. Selon sa recherche, il n’a retrouvé aucun produit qui pourrait être un agent sensibilisant. Il fait aussi remarquer que les symptômes d’un travailleur atteint d’asthme professionnel doivent être présents chaque fois qu’il sera exposé à l’agent sensibilisant. Celui-ci sera alors en état de crise, il manquera de souffle alors que lorsqu’il est retiré de son milieu de travail, comme durant les fins de semaine, il ira mieux. Il indique que ce n’est pas le cas de madame Guay, puisque celle-ci, même retirée de l’usine après mars 1997, a éprouvé encore des symptômes d’asthme en septembre 1997, selon un certificat médical du docteur Gatien Arsenault et même encore aujourd’hui.

[22]           Dans un dernier temps, il fait la lecture une à une des différentes notes de consultation déposées lors de l’audience en expliquant leur contenu et il commente longuement les résultats obtenus lors des tests de provocation spécifique, lesquels, à son avis, ne sont pas fiables, puisqu’une trop grande variabilité (36 %) a été enregistrée lors de la journée contrôle alors que le VEMS ne doit pas varier de plus de 10 %.

[23]           Donc, après une étude très attentive du dossier, il affirme qu’une seule conclusion s’impose. La réclamation de la travailleuse pour un asthme professionnel ne peut être reconnue puisque celle-ci est porteuse d’un asthme personnel préexistant avant mars 1997, lequel a été aggravé ou rendu symptomatique temporairement par des irritants, donc un agent non spécifique au travail. Cet asthme n’a donc pas été causé ni aggravé par un agent sensibilisant, seule condition pour être acceptée à titre d’asthme professionnel, puisqu’à son travail aucun agent sensibilisant n’a été identifié.

 

L'AVIS DES MEMBRES

[24]           Conformément aux dispositions de l'article 429.50 de la loi, la commissaire soussignée a demandé aux membres qui ont siégé auprès d'elle leur avis sur la question faisant l'objet de la présente contestation, de même que les motifs de cet avis.

[25]           De façon unanime, les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis d’accueillir la requête de l’employeur. D’abord, ils considèrent que la travailleuse ne peut bénéficier des présomptions de lésion professionnelle et de maladie professionnelle prévues aux articles 28 et 29 de la loi, puisque l’asthme n’est pas une blessure et la preuve prépondérante est à l’effet que la travailleuse n’a pas été exposée à un agent spécifique sensibilisant. Par ailleurs, pour eux, la travailleuse n’a pas fait la démonstration qu’il est survenu un accident du travail le 17 mars ni dans les jours précédents, tout comme sa maladie ne peut être considérée caractéristique du travail qu’elle exerce ni reliée aux risques particuliers de ce travail.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[26]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 18 mars 1997.

[27]           La loi définit la lésion professionnelle comme suit :

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation ;

 

 

[28]           Donc, une lésion professionnelle peut être consécutive soit à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. Oublions, ici, la récidive, rechute ou aggravation d’une lésion professionnelle antérieurement reconnue, puisque tel n’est pas le présent cas. 

[29]           Par ailleurs, il est bon de préciser, tout comme l’a fait la commissaire Joëlle L’Heureux dans Lavoie et C.U.M.[2], dont l’opinion a entre autres été reprise dans Lazaro  et CLSC Gaston Lessard et CSST[3] et Mercier et Garderie ses amis et CSST[4], que l’aggravation d’une condition personnelle n’est pas une catégorie de lésion professionnelle qui s’ajoute à celles décrites par le législateur. Il faut obligatoirement qu’un accident du travail se soit produit ou qu’une maladie professionnelle soit contractée pour reconnaître une lésion professionnelle.

[30]           Dans la présente affaire, le représentant de la travailleuse invoque principalement la maladie professionnelle. Il est d’avis que la travailleuse est porteuse d’un asthme professionnel. La notion de maladie professionnelle est définie comme suit à l’article 2 de la loi :

« maladie professionnelle » :une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail ;

 

 

[31]           Par contre, la loi prévoit des dispositions particulières lorsqu’un travailleur produit une réclamation à la CSST alléguant qu’il est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire. Celles-ci se retrouvent aux articles 226 à 233 de la loi. En l’espèce, cette procédure a été respectée par la CSST. Comme en vertu de l’article 233, la CSST est liée par le diagnostic et les autres constatations établies par le comité spécial des présidents, elle a rendu les 2 et 5 février 1998, ainsi que le 12 mai 1999, des décisions en conséquence. Cependant, contrairement à la CSST, la Commission des lésions professionnelles, en vertu de l’article 359 de la loi, n’est pas liée par cet avis et elle peut le modifier selon la preuve médicale prépondérante.

[32]           Ici, l’avis de tous les médecins est unanime. La travailleuse est porteuse d’asthme. Il n’est donc pas question pour le présent tribunal de modifier ce diagnostic. Reste à déterminer s’il s’agit d’un asthme professionnel.

[33]           Pour établir sa prétention, la loi offre à la travailleuse deux moyens de le faire : l’article 29, lequel prévoit une présomption de maladie professionnelle et l’article 30 lequel implique que la travailleuse doit faire la preuve que sa maladie est caractéristique de son travail ou reliée directement aux risques particuliers de celui-ci.

[34]           L’article 29 se lit comme suit :

29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

[35]           L’annexe I énumère les maladies qui sont jugées, par le législateur, comme étant caractéristiques de certaines activités professionnelles. Ainsi, on y retrouve l’asthme bronchique en rapport avec un travail impliquant une exposition à un agent spécifique sensibilisant.

 

[36]           Dans le présent dossier, en regard de l’existence de l’asthme bronchique chez la travailleuse, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve démontre que la travailleuse souffrait d’asthme avant le 18 mars 1997. Il en est fait mention dans les notes de consultation des médecins, déposées lors de l’audience. Le diagnostic d’asthme bronchique, retenu par le comité spécial des présidents, rencontre ainsi la première condition d'application de la présomption de maladie professionnelle. Mais, est-ce que le travail effectué par la travailleuse implique une exposition à un agent spécifique sensibilisant ?

[37]           Il a été mis en preuve, contrairement à l’information que possédait le comité des maladies professionnelles pulmonaires et le comité spécial des présidents, qu’il n’y a pas de coton utilisé dans tout le déroulement des opérations exécutées par la travailleuse. Les fils manipulés par la travailleuse sont faits de nylon ou de polyester et non de coton. Une copie de toutes les fiches signalétiques des produits utilisés chez l’employeur a été déposée et aucun n’a été identifié comme agent sensibilisant. La travailleuse ne peut donc pas bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi, puisque l’une des deux conditions de son application n’a pas été remplie.

[38]           Dans une telle situation, il revient à la travailleuse de démontrer que sa maladie est caractéristique de son travail ou reliée aux risques particuliers de son travail, et ce, tel que prévu à l’article 30 de la loi.

[39]           La Commission des lésions professionnelles élimine d’emblée le fait que la maladie de la travailleuse puisse être caractéristique de son travail. La preuve démontre qu’aucun autre travailleur n’a été affecté de la même maladie, dans les mêmes conditions auxquelles la travailleuse a été exposée. Aucune autre réclamation pour asthme professionnelle n’a d’ailleurs été déposée à la CSST par un travailleur de l’usine de Wickham où madame Guay est employée.

[40]           De ce fait, il s’agit maintenant de déterminer si l’asthme bronchique de la travailleuse est relié directement aux risques particuliers du travail effectué par la travailleuse. Dans le présent cas, il est vrai que le comité des maladies professionnelles pulmonaires et le comité spécial des présidents ont reconnu que la travailleuse était porteuse d’asthme professionnel, mais il est évident et reconnu par la jurisprudence que la relation avec le travail que semble indiquer un tel diagnostic ne lie pas la Commission des lésions professionnelles. Il s’agit tout simplement d’une opinion qu’ils expriment et on ne doit pas conclure, par conséquence, qu’ils reconnaissent par là que la maladie est reliée directement aux risques particuliers du travail exercé par la travailleuse. Bien au contraire, leurs conclusions reposent sur le fait qu’il y a présence d’un agent sensibilisant spécifique au travail, soit le coton et que la travailleuse a développé sa crise d’asthme lors d’une opération de grand nettoyage.

[41]           Or, la preuve présentée devant la Commission des lésions professionnelles est tout autre. Il n’y a aucun agent sensibilisant identifié à l’usine de Wickham où travaille madame Guay. Par ailleurs, les conclusions des comités apparaissent paradoxales puisqu’ils indiquent que la travailleuse ne doit pas être exposée aux irritants respiratoires.

[42]           La Commission des lésions professionnelles conclut donc que la travailleuse est affectée d’une condition personnelle préexistante d’asthme, sans relation avec le travail, laquelle a été exacerbée temporairement par son exposition à des substances irritantes au travail (les poussières), mais non pas par un agent spécifique sensibilisant. Il est donc impossible de reconnaître un asthme d’origine professionnelle par sensibilisation spécifique à une substance sur le site du travail. C’est d’ailleurs la conclusion du docteur Renzi, le seul médecin qui s’est prononcé dans le dossier en ayant toutes les réelles informations factuelles. L’apparition des symptômes dont se plaint la travailleuse s’est donc fait alors qu’elle était au travail, mais celui-ci n’en est pas pour autant la cause. La Commission des lésions professionnelles conclut qu’aucune preuve prépondérante n’a été apportée pour la convaincre que l’asthme bronchique dont souffre la travailleuse est relié directement aux risques particuliers du travail qu’elle a exercé chez l’employeur.

[43]           Ceci étant dit, la Commission des lésions professionnelles ne croit pas nécessaire de décider si le test de provocation est valable ou non et s’il a été fait selon le protocole habituel.

[44]           Reste maintenant à analyser le dossier sous l’angle de l’accident du travail, et ce, même si le représentant de la travailleuse n’a pas argumenté qu’il était survenu un événement imprévu et soudain le 17 mars 1997. La Commission des lésions professionnelles doit tout de même se prononcer sur cette dernière possibilité pour la travailleuse d’obtenir une compensation de la CSST.

[45]           La loi définit l’accident du travail comme suit à l’article 2 :

«accident du travail» : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

 

[46]           Qu’est qu’un événement imprévu et soudain ? La commissaire Suzanne Mathieu en donne la définition suivante dans Riendeau et Mécano-Plus[5]

La caractéristique de l’événement imprévu et soudain, c’est qu’il présente une telle évidence qu’il se distingue du travail régulier et des gestes coutumiers faits dans le cadre de ce travail normal, d’où son caractère d’imprévu et soudain.

[47]           Ici, est-ce que le fait pour la travailleuse d’avoir fait le grand ménage pendant six heures peut constituer un accident du travail ? De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cela ne peut constituer un événement imprévu et soudain.

[48]           Cette journée du 17 mars ou les jours précédents, la travailleuse a plutôt accompli des gestes normaux, ordinaires, voulus et prévus. Elle n’a donc pas subi un accident du travail. Aussi, tel que déjà énoncé plus haut, l’aggravation d’une condition personnelle, en l’absence de fait accidentel, n’est pas en soi une catégorie de lésion professionnelle.

[49]           Subsidiairement, le représentant de la travailleuse soutient que le Règlement sur les maladies professionnelles adopté en vertu de l’ancienne loi soit la Loi sur les accidents du travail[6] continue de s'appliquer, et ce, en vertu de l'article 552 de la loi. Cet article se lit comme suit:

552. Tout règlement adopté en vertu de la Loi sur les accidents du travail (chapitre A-3), dans la mesure où il est conciliable avec la présente loi, demeure en vigueur et constitue un règlement adopté en vertu de celle-ci jusqu'à ce qu'il soit remplacé ou abrogé.

________

1985, c. 6, a. 552.

 

 

[50]           Contrairement à l’annexe I de la loi qui énumère les maladies qui sont jugées, par le législateur, comme étant caractéristiques de certaines activités professionnelles, tel que l’asthme bronchique en rapport avec un travail impliquant une exposition à un agent spécifique sensibilisant, ce règlement prévoit ceci à son article 1 :

1. En plus des maladies professionnelles mentionnées à l’annexe D de la Loi sur les accidents du travail, les maladies professionnelles énumérées à l’annexe I du présent règlement sont reconnues comme caractéristiques ou reliées directement aux risques particuliers d’un travail.

 

[…]

 Irritations et allergies respiratoires :

 

 Maladie                                                                   Genre de travail 

 

Asthme professionnel causé par des agents sensibilisants ou irritants reconnus comme tels et inhérents au type de travail.

Tout travail impliquant une exposition à des substances irritantes pour les voies respiratoires ou à des allergènes.

 

 

 

[51]           De l’avis du représentant de la travailleuse, l’asthme de madame Guay pourrait donc être qualifié de professionnel puisqu’à cette annexe, il est prévu que pour être reconnu professionnel l’asthme d’un travailleur peut aussi bien être causé par des agents sensibilisants qu’irritants.

[52]           Or, bien que ce règlement n’ait pas été abrogé, la Commission des lésions professionnelles considère qu’il est inconciliable avec la loi, puisque l’article 29 de la loi prévoit spécifiquement que ce sont les maladies énumérées dans l’annexe I qui doivent être considérées caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies et reliées aux risques particuliers de ce travail et en crée ainsi une présomption de maladie professionnelle. Cet article de loi est complet en soi et a préséance sur tout autre règlement. Il n’y a pas lieu d’aller se référer à un règlement qui prévoit d’autres maladies professionnelles reconnues comme étant caractéristiques d’un travail ou reliées directement aux risques particuliers d’un travail.

[53]           À la lumière de ces considérations, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’asthme bronchique dont est affecté la travailleuse n’est pas de nature professionnelle.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de l’employeur, Beaulieu Canada ;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 12 mai 1999 à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que madame Sophie Guay, la travailleuse, n’a pas subi une lésion professionnelle le 17 mars 1997 et qu’en conséquence, elle n’a pas droit à une indemnité pour dommages corporels.

 

 

 

Nicole Blanchard

 

Commissaire

 

 

 

LAVERY, DE BILLY

(Me Carl Lessard)

 

Représentant de la partie requérante

 

 

 

C.S.N.

(Me Robert Guimond)

 

Représentant de la partie intéressée

 

 

 



[1]          L.R.Q. c. A-3.001

[2]          48078-62-9212, 95-06-28

[3]          [1998] CLP 1285

[4]          108697, 99-05-10, S. Mathieu

[5]          114724-62-9904, 5-08-99

[6]          L.R.Q., c. A-3

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