Décision

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Accurso c. R.

2022 QCCA 752

 

 

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-006789-182, 500-10-006790-180

(540-01-059861-131 SEQ. 016)

 

DATE :

26 MAI 2022

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

GUY GAGNON, J.C.A.

BENOÎT MOORE, J.C.A.

GUY COURNOYER, J.C.A.

 

 

ANTONIO ACCURSO

APPELANT – accusé 

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE – poursuivante

 

 

ARRÊT

 

MISE EN GARDE : une ordonnance a été rendue par la Cour d’appel le 1er juin 2020 interdisant de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’identifier ou de mettre à jour des informations personnelles sur les membres du jury.

[1]                Dans le dossier 500-10-006789-182, l’appelant Antonio Accurso se pourvoit contre des verdicts de culpabilité prononcés le 25 juin 2018 par un jury présidé par le juge James L. Brunton au terme d’un procès tenu à la suite d’accusations de complot pour commettre des actes de corruption dans les affaires municipales et abus de confiance (art. 465(1)c), 123(1)c) et 122 C.cr.), de complot pour commettre des fraudes (art. 465(1)c) et 380(1)a) C.cr.), de fraudes de plus de 5 000 $ (art. 380(1)a) C.cr.), pour la commission d’actes de corruption dans les affaires municipales (art. 123(1)c) C.cr.) et d’abus de confiance (art. 122 C.cr.).

[2]                Dans le dossier 500-10-006790-180, l’appelant demande à la Cour l’autorisation d’interjeter appel de la sentence rendue le 5 juillet 2018 qui le condamne à des peines d’incarcération de 30 et de 48 mois à être purgées de manière concurrente.

[3]                Pour les motifs du juge Cournoyer, auxquels souscrivent les juges Gagnon et Moore, LA COUR :

[4]                ACCUEILLE la requête de l’appelant pour la présentation d’une preuve nouvelle;

[5]                ACCUEILLE en partie la requête de l’intimée pour la présentation d’une preuve nouvelle;

[6]                DÉCLARE inadmissible à titre de preuve nouvelle l’arrêt Solomon c. Québec (Procureur général), 2008 QCCA 1832;

[7]                ACCUEILLE la requête de l’appelant pour autorisation d’appeler des verdicts de culpabilité pour des motifs comportant des questions de droit et de fait;

[8]                REJETTE l’appel à l’encontre des verdicts de culpabilité;

[9]                ACCUEILLE la demande d’autorisation d’appeler à l’encontre des peines;

[10]           REJETTE l’appel des peines;

[11]           ORDONNE à l’appelant Antonio Accurso de se livrer aux autorités carcérales avant le 1er juin 2022 entre 9 h et 15 h.

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY COURNOYER, J.C.A.

Me Marc Labelle

Me Kim Hogan

LABELLE, CÔTÉ, TABAH & ASSOCIÉS

Pour l’appelant

 

Me Magalie Cimon

Me Martin Duquette

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

20 mai 2021


 

 

MOTIFS DU JUGE COURNOYER

 

 

 

L’APPEL DE LA CULPABILITÉ..............................5

I - INTRODUCTION..............................................5

II - CONTEXTE................................................6

III - L’HISTORIQUE JUDICIAIRE...................................7

A) L’avortement du premier procès...............................7

B) Le deuxième procès.........................................8

IV - LES MOYENS D’APPEL......................................8

A) L’avortement de procès......................................9

B) Les erreurs de droit qui auraient été commises durant le procès.....13

1. La production du contrat d’immunité de cinq témoins de la poursuite....13

2. L’admissibilité de la preuve par ouï-dire des coconspirateurs...........16

3. L’omission de la poursuite de faire entendre certains témoins..........18

4. Directives au sujet de l’infraction de complot et de l’application de l’exception relative aux coconspirateurs              24

C) L’enquête policière après la dissolution du jury...................31

1. Contexte....................................................31

2. L’audition des requêtes en première instance.......................33

a) Divulgation des documents caviardés..............................33

(i) Positions des parties..............................................33

L’appelant........................................................33

La poursuite......................................................34

(ii) Décision sur la requête en divulgation.................................34

b) Rejet sommaire de la requête en arrêt des procédures.................35

(i) Positions des parties..............................................35

L’appelant........................................................35

La poursuite......................................................36

(ii) Décision sur l’arrêt des procédures...................................36

3. La preuve nouvelle............................................37

a) Cheminement procédural.......................................37

b) La déclaration sous serment de M. Capone..........................38

c) Interrogatoire de M. Capone.....................................39

d) Position des parties en appel....................................40

(i) L’appelant......................................................40

1- La conduite de l’enquête........................................41

2- L’accès à des informations qui ne devaient pas être divulguées............41

3- La communication de la preuve...................................42

4- Le caviardage des renseignements................................42

5- L’équité du deuxième procès.....................................42

(ii) La poursuite....................................................43

1- Le bien-fondé de l’enquête......................................43

2- L’information recueillie par l’enquête...............................44

3- La communication de la preuve...................................44

4- La preuve nouvelle............................................45

4. Analyse....................................................46

a) La communication de la preuve..................................46

b) Le rejet sommaire de la requête en arrêt des procédures................50

c) L’abus de procédure et la preuve nouvelle..........................55

(i) L’enquête a-t-elle compromis l’équité du procès de l’appelant?................57

(ii) L’enquête porte-t-elle atteinte à l’intégrité du système judiciaire?..............59

L’APPEL DE LA PEINE...................................65

I - Le jugement................................................65

II - La position des parties......................................66

A) L’appelant...............................................66

B) La poursuite..............................................68

III - Analyse.................................................69

A) La peine infligée n’est pas excessive...........................70

B) Le respect de l’alinéa 11i) de la Charte..........................74

C) L’évaluation de l’impact de la médiatisation sur la peine............74

D) La comparaison avec les peines infligées à certains coconspirateurs..75

L’APPEL DE LA CULPABILITÉ

I -       INTRODUCTION

[12]           Le pourvoi concerne les verdicts de culpabilité prononcés par un jury contre l’appelant et les peines qui lui ont été infligées. Celles-ci résultent des accusations portées contre lui après la mise au jour d'un système de collusion et de corruption entourant, entre 1996 et 2010, l'octroi à la Ville de Laval de contrats publics de construction et des mandats auprès des firmes de génie-conseil, système qui a été décrit comme l’un des pires exemples de corruption municipale au Canada.

[13]           Le premier procès de l’appelant se termine abruptement après qu’une membre du jury eut révélé avoir été informée par son oncle que celui-ci avait vu des valises pleines d’argent dans les bureaux d’un témoin présenté par la poursuite.

[14]           Peu de temps avant la tenue du deuxième procès, l’appelant est informé de l’existence d’une enquête policière qui visait à déterminer si l’avortement du procès résultait d’une entrave à la justice.

[15]           Il présente alors une requête en arrêt des procédures dans laquelle il attaque l’enquête policière. Plus précisément, il formule des allégations d’abus à l’encontre de l’enquête elle-même, mais aussi de la manière dont elle a été supervisée et gérée. Le juge rejette cette requête sommairement, car il estime qu’elle n’avait aucune chance de succès d’entraîner un arrêt des procédures.

[16]           Cela soulève une question nouvelle, complexe et inusitée en raison de l’intrusion illégale de l’enquête policière dans le secret des délibérations du jury dont la révélation inopinée, voire fortuite, révèle un manque de transparence de la poursuite.

[17]           Est-ce que l’enquête policière au sujet des événements entourant la dissolution du jury, même si elle était légitime, a fourni à la poursuite des informations qui lui ont permis de réorienter sa stratégie de procès d’une manière inéquitable? Même si ce n’est pas le cas, est-ce que cette conduite est telle que l’arrêt des procédures à l’encontre de l’appelant est justifié, car, dans ces circonstances, le maintien de sa condamnation risque de miner l’intégrité du processus judiciaire?

[18]           Lors du deuxième procès, l’appelant sera déclaré coupable des infractions suivantes : complot pour commettre des actes de corruption dans les affaires municipales et des abus de confiance; complot pour commettre des fraudes de plus de 5 000 $; commission d’actes de corruption dans les affaires municipales et abus de confiance.

[19]           Le juge inflige à l’appelant des peines de 30 et de 48 mois à l’égard des différents chefs d’accusation, peines à être purgées de manière concurrente.

[20]           Outre les moyens qui visent l’enquête policière à la suite de l’avortement du procès, l’appelant propose plusieurs moyens d’appel qui reprochent au juge ayant présidé le procès un certain nombre d’erreurs de droit justifiant la tenue d’un nouveau procès ou l’intervention de la Cour à l’égard des peines qui lui ont été infligées.

[21]           Pour les motifs qui suivent, je propose de rejeter l’appel à l’encontre des verdicts de culpabilité et des peines.

II -     CONTEXTE

[22]           Je brosse à grands traits le portrait du dossier. Par la suite, il sera plus commode de décrire les faits particuliers à chaque moyen d'appel en procédant à leur analyse.

[23]           Les accusations portées contre l’appelant s’inscrivent dans le cadre d’une vaste opération policière nommée « Honorer » menée, dans un premier temps, par l'escouade Marteau et ensuite par l’Unité permanente anticorruption (« l’UPAC »). Cette opération policière visait principalement à faire la lumière sur l'existence d'un système de collusion et de corruption entourant l'octroi des contrats publics de construction et des mandats auprès des firmes de génie-conseil à la Ville de Laval.

[24]           Les complots allégués visent une longue période de temps, soit de 1996 à 2010.

[25]           En 2013, l’appelant et 37 autres personnes ont été arrêtés et accusés d’infractions de fraude, de corruption et de complot.

[26]           L’enquête policière révèle que l’ancien maire de la Ville de Laval, Gilles Vaillancourt, était à la tête de ce système de collusion. Avec la collaboration de certains fonctionnaires et élus de la Ville, M. Vaillancourt opérait un marché fermé d’attribution de contrats publics. Le stratagème permettait aux firmes et entrepreneurs participants de profiter, moyennant une ristourne de 2 % payée au maire et à ses associés, de contrats lucratifs conclus avec la Ville sans concurrence.

[27]           Selon le système mis en place par l’ex-maire Vaillancourt, le directeur de l’ingénierie de la Ville de Laval, Claude Deguise, communiquait avec les « gagnants » des contrats de construction avant l’ouverture officielle des soumissions. Les entrepreneurs « gagnants » avaient la responsabilité de communiquer avec tous les autres soumissionnaires potentiels afin qu’ils réclament un prix supérieur au sien, leur permettant ainsi de présenter la soumission la plus basse et de gagner l’appel d’offres.

[28]           La collecte des ristournes auprès des entrepreneurs était effectuée par Marc Gendron et Roger Desbois. Sous la direction de l’ex-maire, ceux-ci recueillaient les ristournes auprès des entrepreneurs et déposaient l’argent chez des individus proches du maire.

[29]           Entre 1996 et 2010, deux compagnies de construction appartenant à l’appelant, soit Construction Louisbourg et la société Simard-Beaudry, ont obtenu des contrats auprès de la Ville de Laval en raison de l’existence de ce système de fraude et de corruption.

[30]           L’appelant avait confié la gestion opérationnelle quotidienne de Construction Louisbourg et de la société Simard-Beaudry aux présidents de ces deux compagnies, respectivement Giuseppe Molluso et Frank Minicucci. Selon la théorie de la poursuite, ces derniers avaient la charge de la préparation des soumissions de complaisance et de la remise des ristournes de 2 %.

[31]           La poursuite a fait entendre trois témoins au procès afin de démontrer l’implication directe de l’appelant dans le stratagème frauduleux.

[32]           Mario Desrochers, un ancien représentant d’une importante compagnie impliquée dans le complot, a témoigné que M. Accurso était présent lors d’une réunion tenue en 2002 afin de le convaincre de demeurer dans le système de collusion.

[33]           Un autre témoin, Gilles Théberge, raconte avoir rencontré l’appelant avec M. Molluso lorsqu’une impasse est survenue après la désignation du « gagnant » d’un contrat en 2005. M. Accurso s’était alors engagé à discuter avec le maire Vaillancourt pour régler la situation.

[34]           Finalement, Marc Gendron, un des collecteurs d’argent du maire, a témoigné qu’il a rencontré M. Accurso dans le stationnement d’un bar en 2001 ou en 2002 afin de récolter une ristourne de 200 000 $ de ce dernier.

[35]           Lors de son témoignage au procès, l’appelant affirme qu’il ignorait, avant son arrestation en 2013, l’existence du système de collusion et de fraude dans l’attribution des contrats de la Ville de Laval. Il nie toute responsabilité en lien avec les ristournes payées par ses compagnies ainsi que la préparation des soumissions arrangées. Les présidents de ses entreprises auraient participé à ce système à son insu.

III -   L’HISTORIQUE JUDICIAIRE

A)      L’avortement du premier procès

[36]           Le premier procès de l’appelant se termine le 17 novembre 2017 en raison d’un incident impliquant une membre du jury. En effet, le lendemain des plaidoiries finales de la défense, la jurée no 6 transmet une note au juge, qui précise ce qui suit :

Bonjour. Pour vous signifier qu’un membre de ma famille, oncle par alliance, a déjà travaillé pour Marc Gendron. Me dit avoir déjà vu des valises avec de l’argent sur son lieu de travail en faisant référence à la corruption, collusion à Laval. Selon vos directives, je vous en informe. Je tiens à vous préciser que je ne tiendrai pas compte de ce qu’on m’a raconté lors des délibérations pour rendre le jugement. Merci. Jurée numéro six.

[37]           Le juge lui demande si elle a partagé cette information avec d’autres membres du jury, elle explique en avoir parlé avec deux autres membres du jury, soit les jurées nos 1 et 7.

[38]           Le juge questionne ensuite les jurées nos 1 et 7. La jurée no 1 affirme ne pas avoir de souvenir d’une telle discussion avec la jurée no 6. Par contre, la jurée no 7 confirme que la jurée no 6 lui a raconté, sans plus de précision, avoir reçu de l’information de la part de son oncle à propos d’un témoin entendu au procès.

[39]           Après avoir entendu les observations des parties, le juge décide qu’il doit mettre fin au procès puisque les trois jurées ont donné des versions irréconciliables au sujet des faits. Le juge insiste sur l’importance que le verdict rendu n’ait pas été influencé par des informations qui ne ressortent pas de la preuve. Il estime que cela n’est pas possible en l’espèce.

B)      Le deuxième procès

[40]           Le deuxième procès de l'appelant se tient entre le 18 mai 2018 et le 25 juin 2018.

[41]           Après des délibérations qui durent sept jours, le jury rend un verdict de culpabilité sur tous les chefs d'accusation portés contre l’appelant.

IV -  LES MOYENS D’APPEL

[42]           L’appelant formule ses moyens d’appel de la manière suivante :

1)      Le juge de première instance a-t-il erré, lors du procès, en rejetant la Requête en divulgation de la preuve relative à l’enquête sur les jurées 1, 6 et 7 ?

2)      Le juge de première instance a-t-il erré, lors du procès, en refusant de décaviarder les documents divulgués dans le cadre de la Requête en divulgation de la preuve relative à l’enquête sur les jurées ?

3)      Le juge de première instance a-t-il erré, lors du procès, en rejetant sommairement la Requête en arrêt de procédures considérant le comportement abusif et illégal de l’État ?

4)      Le juge de première instance a-t-il erré, lors du procès, en permettant la production en preuve principale des contrats d’immunités de cinq (5) des témoins de la poursuite, ce qui contrevenait à la règle prohibant le « oath helping » ?

5)      Le juge de première instance a-t-il erré, lors du procès, en permettant une preuve massive par ouï-dire alors que les critères de fiabilité et de nécessité n’étaient pas rencontrés ?

6)      Le juge de première instance a-t-il erré, lors du procès, en interdisant aux parties de traiter des témoins absents, privant ainsi l’appelant d’un argument majeur et vital ?

7)      Le juge de première instance a-t-il erré lorsqu’il a avorté le premier procès après la plaidoirie de la défense ?

8)      Le juge de première instance a-t-il erré, lors de ses directives, en instruisant le jury de telle façon que ce dernier ne pouvait décider d’acquitter l’appelant à la deuxième étape de l’exception Carter à l’exclusion du ouï-dire, allant ainsi à l’encontre des enseignements de cette honorable Cour dans l’affaire Proulx ?

[43]           Les trois premiers moyens concernent la demande en arrêt des procédures fondée sur l’abus de procédure découlant de l’enquête policière sur les circonstances entourant l’avortement du premier procès. Un moyen vise le caractère approprié de l’avortement du premier procès alors que les autres moyens visent des erreurs de droit qu’aurait commises le juge du procès et qui justifieraient la tenue d’un nouveau procès.

[44]           J’aborde les moyens d’appel dans l’ordre qui suit : 1) le caractère approprié de l’avortement du premier procès; 2) les erreurs de droit qu’aurait commises le juge durant le deuxième procès; et 3) l’examen des allégations concernant le comportement abusif de l’État durant l’enquête policière à la suite de l’avortement du procès et la demande d’arrêt des procédures.

A)    L’avortement de procès

[45]           Les faits entourant l’avortement du procès ont été précédemment décrits.

[46]           L’appelant prétend que le juge disposait d’alternatives à l’avortement du procès qui permettaient de préserver l’équité de son procès. Il avance que le juge pouvait libérer la jurée no 6 et continuer le procès avec dix jurés (un juré avait déjà été libéré pour des raisons personnelles).

[47]           Quant aux propos rapportés par les autres jurées au sujet de l’oncle de la jurée no 6, l’appelant soutient que des directives additionnelles auraient suffi.

[48]           Il ajoute que l’avortement du procès a avantagé la poursuite et lui a permis de bonifier sa preuve en vue du deuxième procès, car il avait complètement dévoilé sa stratégie et ses arguments, mais sans connaître ceux de la poursuite.

[49]           La poursuite a donc été en mesure d’ajuster sa théorie, sa stratégie et la présentation de sa preuve lors du deuxième procès, facilitant ainsi sa condamnation. De manière plus précise, il affirme que la poursuite a réussi à colmater certaines brèches dans sa preuve, parce qu’elle a eu le bénéfice d’observer le contre-interrogatoire subi par ses témoins, la présentation de la défense de l’appelant et l’exposition des faiblesses de sa preuve lors de la plaidoirie finale de l’avocat de l’appelant.

[50]           Pour l’appelant, la reprise des procédures a perpétué une iniquité, car le jury initialement choisi a été empêché de décider de son sort.

[51]           À première vue, la contestation par l’appelant d’une décision rendue pour préserver l’équité de son procès semble surprenante et vouée à l’échec.

[52]           En effet, le juge du procès jouit d’un pouvoir discrétionnaire étendu dans son rôle de gardien de l’équité du procès. Lorsque des incidents imprévisibles mettent en péril l’équité du procès ou l’impartialité du jury, le juge peut, s’il l’estime nécessaire, prononcer un avortement de procès afin de les préserver[1]. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire appelle la déférence[2]. De plus, la décision du juge de prononcer un avortement de procès n’était pas révisable en vertu de la common law[3].

[53]           Toutefois, le juge Martin de la Cour d’appel de l’Ontario reconnaissait dans l’arrêt R. v. D.(T.C.)[4] que l’article 7 de la Charte protège les droits de l’accusé de ne pas subir un deuxième procès lorsque la tenue de celui-ci porterait atteinte aux principes de justice fondamentale.

[54]           Dans l’arrêt R. c. Pan, la juge Arbour adopte cette conclusion du juge Martin[5]. Elle convient, ce qui est la position de l’appelant, qu’il est possible de contester un avortement de procès qui aurait été prononcé d’une manière injustifiée :

112 Le droit est clair, le simple fait de tenir un troisième procès ne constitue pas à lui seul un abus de procédure : Keyowski, précité; R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659.  Il est également clair que l’arrêt des procédures ne doit être accordé que dans les « cas les plus manifestes » : R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128; Conway, précité; Keyowski, précité; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411; R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80; R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680; et R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565.  En cas de plainte d’abus de procédure, il faut examiner les faits particuliers de l’espèce afin de déterminer si, eu égard à toutes les circonstances, la poursuite des procédures violerait les principes de justice fondamentale.  Dans le cas de l’appelant Pan, on ne reproche pas de conduite fautive de la poursuite ou de manquement d’ordre systémique.  L’abus de procédure invoqué par Pan repose uniquement sur le fait que, selon lui, le juge O’Connell aurait eu tort de prononcer la nullité du deuxième procès et que la tenue du troisième procès a enfreint le principe de la protection contre la double incrimination, atteinte à l’égard de laquelle la réparation convenable est l’arrêt des procédures.

113 À mon avis, l’annulation injustifiée d’un procès par un juge pourrait, selon les circonstances de l’affaire, amener à conclure que la tenue d’un autre procès contreviendrait aux principes de justice fondamentale.  Je souscris entièrement aux remarques suivantes du juge Martin de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt D. (T.C.), précité, p. 447-448 :

[TRADUCTION]  L’alinéa 11h) de la Charte consacre les principes à la base des moyens de défense d’autrefois acquit et d’autrefois convict qui, comme il a été indiqué plus tôt, ne s’appliquent que dans les cas où le premier procès a abouti à un verdict, et pas dans ceux où le premier procès a avorté.  Toutefois, je suis d’avis que l’art. 7 de la Charte – qui constitutionnalise l’obligation de respect de la « justice fondamentale » – pourrait, dans certaines circonstances, faire obstacle à la tenue d’un deuxième procès lorsqu’il a été mis fin au premier  procès de façon injustifiée.  À titre d’exemple seulement, je considère que si, par suite de l’effondrement de la cause du ministère public, un juge prononçait l’annulation du procès afin de donner au ministère public la possibilité d’étoffer sa preuve contre l’accusé en tentant de trouver d’autres témoins et qu’il privait ainsi l’accusé d’un acquittement, dans un cas où le ministère public a été négligent dans sa préparation initiale, la tenue d’un deuxième procès en pareilles circonstances violerait les principes de justice naturelle.


114 Le principe de la protection contre la double incrimination pourrait aussi empêcher la tenue d’un nouveau procès si le ministère public privait de façon inéquitable l’accusé d’un verdict.  Par exemple, si le ministère public ordonnait l’inscription d’un arrêt des procédures tard dans le procès afin d’empêcher le jury d’acquitter l’accusé en raison de lacunes dans la preuve à charge, il me semble que les principes de justice fondamentale feraient obstacle à l’engagement d’autres procédures, malgré le fait que la protection contre la double incrimination prévue par l’al. 11h) de la Charte puisse ne pas s’appliquer.  Toutefois, bien que la protection contre la double incrimination soit un principe de justice fondamentale qui pourrait être invoqué dans certaines circonstances avant qu’un verdict ne soit rendu au sens de l’al. 11h), ces circonstances ne sont pas présentes dans le cas de l’appelant.

[Les soulignements sont ajoutés]

[55]           Premièrement, il est important de rappeler que le juge avait conclu qu’il n’était pas possible de continuer le premier procès en raison des réponses irréconciliables données par les trois jurées. Difficile de le blâmer d’avoir voulu préserver l’équité du procès et l’impartialité du jury qui devait juger l’appelant. Son évaluation doit être respectée.

[56]           Deuxièmement, même l’avocat de l’appelant admettait qu’il hésitait, indiquant que le procès pouvait continuer, « qu’on est correct, mais du bout des lèvres ». Il dira finalement qu’il n’est pas sûr, mais qu’il pense que le procès peut continuer. Sa candide circonspection appuie celle finalement adoptée par le juge.

[57]           Troisièmement, la question des ajustements apportés par la poursuite à la preuve présentée lors du deuxième procès, laquelle fait l’objet d’un autre moyen de l’appelant examiné plus loin, ne se distingue en rien de tous les autres cas où un avortement de procès survient et cela peu importe le degré d’avancement du procès. Elle existe aussi lorsqu’un nouveau procès est ordonné par une cour d’appel.

[58]           S’il fallait conclure dans le sens proposé par l’appelant, la tenue de tout nouveau procès serait en péril même dans les cas où la poursuite n’a rien à se reprocher et n’est pas responsable de l’avortement de procès. Il ne faut pas perdre de vue que dans le cadre d’un procès, la poursuite « a le droit d’avoir une stratégie de procès et de la modifier en cours de route, pourvu que la modification n’entraîne aucune inéquité pour l’accusé »[6].

[59]           Quatrièmement, la poursuite n’est aucunement responsable de la situation qui a nécessité l’avortement du procès.

[60]           Cinquièmement, la lecture des commentaires de la juge Arbour permet de bien cerner la portée limitée du corridor d’intervention lorsque la décision du juge du procès de mettre fin au procès est contestée en appel.

[61]           L’intervention judiciaire nécessite la démonstration d’un abus de procédure qui ne justifie l’arrêt des procédures que dans les cas les plus manifestes, par exemple une conduite fautive de la poursuite ou un manquement systémique, tous deux absents en l’espèce. La juge Arbour prend bien soin de préciser que la tenue d’un troisième procès n’établit pas, en soi, un abus de procédure. On voit difficilement comment la tenue d’un deuxième procès pourrait en faire la preuve en soi.

[62]           Même si on accepte le fait que « la grande force de persuasion que peuvent avoir dans un procès devant jury des observations bien préparées et habilement présentées »[7] et que la poursuite avait entendu celles de l’avocat de l’appelant avant même la tenue du deuxième procès, il demeure que l’incident à l’origine de l’avortement du procès était imprévisible.

[63]           Pour conclure à un abus de procédure, la preuve d’une conduite de l’État qui porte atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable qui sera révélée, perpétuée ou aggravée par le déroulement du procès ou par son issue s’avère nécessaire[8]. Or, en l’absence, comme en l’espèce, d’une telle conduite, l’arrêt des procédures ne se justifie pas. La situation créée par l’incident ayant donné lieu à l’avortement du procès n’empêchait pas la tenue d’un second procès juste et équitable et ne portait pas atteinte à l’intégrité du système judiciaire.

B)      Les erreurs de droit qui auraient été commises durant le procès

1.     La production du contrat d’immunité de cinq témoins de la poursuite

[64]           Le juge du procès a permis à la poursuite de déposer en preuve, lors du deuxième procès de l’appelant, une version caviardée des contrats d’immunité de ses cinq témoins collaborateurs.

[65]           L’appelant soutient que le juge a erré en se considérant lié par l’arrêt de la Cour dans Thresh[9], puisque les témoins collaborateurs en l’espèce n’ont aucuns antécédents judiciaires. Il prétend que l’admission en preuve de leurs contrats d’immunité constitue une preuve justificative (« oath helping ») puisque cette preuve pouvait être utilisée pour rehausser leur crédibilité. Ainsi, il demande à la Cour d’énoncer que l’arrêt Thresh ne s’applique pas lorsque les témoins n’ont aucuns antécédents judiciaires.

[66]           La poursuite plaide que l’arrêt Thresh ne permet pas de faire la distinction que l’appelant invite la Cour à faire. De plus, elle plaide que les directives finales du juge sur l’évaluation de la crédibilité des témoins ont correctement instruit le jury quant à l’utilisation qui peut être faite de ces contrats.

[67]           Dans l’arrêt Thresh, le juge Proulx analyse la recevabilité du contrat de délation d’un témoin lors de son interrogatoire principal.

[68]           S’appuyant sur les observations du professeur Fortin selon lesquelles « la poursuite citant un complice a avantage à dissiper chez le juge des faits toute idée de collusion entre elle et son témoin ou de collaboration intéressée de la part de ce dernier. Elle peut aussi montrer que le témoin ne bénéficie pas d'une promesse de clémence ou qu'il n'a eu aucun traitement de faveur »[10], le juge Proulx formule la règle applicable à la preuve d’un contrat entre un témoin et l’État :

[28] Appliquant ce principe au cas à l'étude, j'estime que c'est fondamentalement une question de transparence dans le traitement des témoins-délateurs qui légitime la preuve du contrat de délation en interrogatoire principal.  Il n'y a pas si longtemps, les conditions de l'entente entre l'État et le délateur étaient gardées secrètes, si bien que toutes les spéculations sur l'intérêt du témoin étaient possibles.  Pourtant, comme l'avait souligné le juge McIntyre dans l'arrêt Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, p. 779, il est de la responsabilité des tribunaux de s'assurer qu'en accordant une protection à ce type de témoin, on ne fasse rien qui puisse influencer les témoins à charge, nuire de quelque façon au procès ou entraîner un déni de justice.  Pour ma part, je crois qu'il serait assez paradoxal d'exiger du ministère public une totale transparence dans ses ententes avec les délateurs et de ne pas lui permettre de mettre cartes sur table si ce délateur témoigne.   Le contraire laisserait croire au juge des faits, si seule la défense pouvait y référer, que la transparence est à sens unique.

[…]

[31] Pour conclure sur ce premier volet de la discussion, j'estime que le dépôt en preuve du contrat de délation lors de l'interrogatoire principal ne visait qu'indirectement à rehausser la crédibilité du délateur Bastien et se justifiait par d'autres objectifs légaux10: 1) faire preuve de transparence à l'égard des ententes prises avec le témoin, 2) anticiper toute question en contre-interrogatoire de nature à mettre en doute cette transparence, 3) éviter de présenter au jury une image déformée du témoin[11].

[69]           L’appelant propose une distinction lorsque le témoin n’a aucuns antécédents judiciaires, mais il ne soutient celle-ci par aucune source jurisprudentielle ou doctrinale.

[70]             Le juge Proulx justifie l’admissibilité de la preuve d’un contrat entre la poursuite et un témoin en fonction d’une exigence de transparence. Je peine à comprendre comment celle-ci perdrait sa raison d’être simplement parce que le témoin possède ou non des antécédents judiciaires.

[71]           Les règles de preuve ont évolué pour favoriser la recherche de la vérité selon « un principe d'inclusion en vertu duquel il est permis de produire en preuve tout ce qui sert logiquement à prouver un fait en litige, sous réserve des règles d'exclusion reconnues et des exceptions à cellesci »[12].

[72]           Par ailleurs, l’appelant formule dans son mémoire un argument qui étonne au sujet de l’obligation des cinq témoins de dire la vérité:

137- Lorsque l'on conjugue cette absence de casier judiciaire à l'obligation contenue au contrat d'immunité de dire la vérité, il en résulte une bonification de la crédibilité de ces cinq (5) témoins aux yeux du jury;

138- Cette façon de faire comporte un grand risque parce que le jury peut conclure que le témoin a une obligation contractuelle de dire la vérité;

[73]           L’appelant n’identifie pas le risque posé par le fait que le jury puisse conclure que le témoin a l’obligation de dire la vérité au-delà du rehaussement de la crédibilité.

[74]           Quel préjudice pour l’accusé peut comporter la communication de l’obligation contractuelle des témoins de dire la vérité alors qu’ils sont assujettis à la même obligation lorsqu’ils témoignent? Il est difficile de supposer que cette preuve soit véritablement susceptible de détourner le jury de l'analyse rationnelle et objective sur laquelle doit reposer le processus criminel[13] ou de l'objet premier de ses délibérations. Cette preuve ne comporte aucun préjudice moral ou par raisonnement[14]. Finalement, comme l’explique le juge Proulx, elle ne rehausse qu’indirectement la crédibilité des témoins[15].

[75]           Le fait que l’obligation de dire la vérité résulte d’un contrat, d’un serment ou d’une simple déclaration est sans importance. Il me semble inconcevable qu’on puisse s’étonner, comme le suggère l’appelant, du fait que les jurés puissent utiliser d’une manière indue l’obligation d’un témoin de dire la vérité. Il s’agit d’une valeur si intrinsèque à tout système de justice que l’engagement contractuel d’un témoin de dire la vérité ne peut que rehausser marginalement sa crédibilité, car il ne s’agit que du point de départ de l’analyse du jury. En effet, ce dernier devra évaluer la crédibilité et la fiabilité de chacun des témoins à la lumière de l’ensemble de la preuve[16]. Il appartient au jury de décider si les témoins savent de quoi ils parlent et s’ils disent la vérité.

[76]           La distinction proposée par l’appelant s’avère incompatible avec la transparence recherchée par la règle nuancée formulée dans l’arrêt Thresh et l’objectif de recherche de la vérité. Un accusé ne dispose pas du « droit de bénéficier de procédures qui dénatureraient la fonction de recherche de la vérité d’un procès »[17]. L’arrêt Thresh favorise l’exactitude dans l’établissement des faits sans préjudice au droit de l’accusé à l’équité du procès et à son droit à une défense pleine et entière. D’ailleurs, cet arrêt a été suivi par notre Cour dans l’arrêt Boucher[18].

[77]           La preuve des contrats signés par les témoins était admissible.

2.     L’admissibilité de la preuve par ouï-dire des coconspirateurs

[78]           Ce moyen concerne l’application de l’exception relative aux coconspirateurs reconnue dans l’arrêt Carter[19].

[79]           Dans une décision subséquente, l’arrêt Mapara, la Cour suprême a confirmé que cette exception énoncée dans l’arrêt Carter satisfait aux exigences en matière de fiabilité et de nécessité selon la méthode d’analyse raisonnée de la règle du ouïdire[20].

[80]           L’appelant soutient que le juge du procès a permis la présentation d’une preuve massive par ouï-dire, alors que les critères de fiabilité et de nécessité n’étaient pas satisfaits.

[81]           Bien que cette preuve provienne de plusieurs sources et soulève de sérieuses préoccupations quant à l’équité procédurale, l’appelant n’identifie pas cette preuve de manière précise, sauf une longue liste de personnes présumées complices et coaccusées, qui auraient dû être assignées par la poursuite.

[82]           Cette question avait fait l’objet d’un débat à la fin du témoignage de l’appelant lors du premier procès.

[83]           Dans le cadre de ce débat, la poursuite avait admis que Gilles Vaillancourt, Claude Asselin, Claude Deguise, Jean Gauthier, Joe Mulluso et Frank Minucci étaient disponibles pour rendre témoignage.

[84]           L’appelant avait fait valoir, d’une part, que le critère de nécessité n’était pas satisfait, car les témoins étaient disponibles. Selon lui, la poursuite avait fait le choix tactique de ne pas les faire entendre. D’autre part, il soutenait, en utilisant certains exemples, que les risques associés à la preuve par ouï-dire étaient amplement démontrés.

[85]           Ainsi, l’appelant reprochait à la poursuite d’utiliser de manière stratégique l’exception relative aux coconspirateurs pour contourner la nécessité de faire témoigner les témoins qu’il avait identifiés. Cette tactique aurait empêché le jury de connaître « la vraie histoire », car celui-ci n’aurait eu essentiellement comme élément de preuve qu’une preuve par ouï-dire plutôt qu’une preuve directe.

[86]           Le juge rejette l’objection formulée par l’appelant. Il conclut que le critère de nécessité est satisfait en raison du fait que les principaux éléments de preuve admissibles, en application de l’exception relative aux coconspirateurs, proviennent de témoins dont on ne pouvait s’attendre à ce qu’ils soient francs et honnêtes, car ils avaient un préjugé en faveur de M. Accurso.

[87]           Lors du deuxième procès, la décision rendue par le juge liait les parties selon les termes de l’article 653.1 C.cr.[21]. Lors de celui-ci, l’appelant a renouvelé son objection à cette preuve.

[88]           Il n’est pas nécessaire de procéder à une longue analyse pour jauger la validité du moyen soulevé par l’appelant.

[89]           Je suis d’avis que l’appelant se contente d’énoncer des généralités et qu’il remet plutôt en cause l’arrêt de la Cour suprême Mapara, qui a confirmé l’exception relative aux coconspirateurs énoncée par l’arrêt Carter.

[90]           L’appelant se plaint aussi de l’absence d’un voir-dire.

[91]           À cet égard, il faut savoir que les parties ont choisi de débattre de cette question sur la base de leurs observations, choix qu’elles pouvaient faire[22].

[92]           D’autre part, selon l’arrêt Mapara, il appartenait à l’appelant de démontrer qu’il s’agissait « d’un des rares cas où la preuve relevant d’une exception valide à la règle du ouïdire [celle relative aux coconspirateurs] ne saurait néanmoins être admise, car les indices de nécessité et de fiabilité requis nexist[aient] pas dans les circonstances particulières de lespèce »[23].

[93]           Le juge pouvait tenir compte du fait que bien que les témoins soient théoriquement disponibles, on ne pouvait s’attendre à ce qu’ils soient francs et honnêtes.

[94]           Or, l’appelant s’appuyait uniquement sur la disponibilité des témoins. En évaluant s’il s’agissait d’un rare cas pour refuser l’application de l’exception au ouï-dire relative aux coconspirateurs, le juge pouvait certainement évaluer le caractère intéressé du témoignage attendu de ces témoins proches de l’appelant[24].

[95]           En effet, comme l’explique la juge Bélanger dans l’arrêt Proulx[25], cette détermination comporte une analyse des circonstances :

[61] Il n’y a donc pas de réponse unique à la question de savoir si le fait qu’un coconspirateur est contraignable constitue un des « rares cas » à l’application de l’exception des conspirateurs.  Il faut examiner la situation selon chaque cas d’espèce[26].

[96]           En cette matière, « il faut faire preuve de déférence à l’égard du juge de première instance si sa décision sur l’admissibilité se fonde sur les principes juridiques pertinents »[27]. C’est le cas en l’espèce. Ce moyen est rejeté.

3.     L’omission de la poursuite de faire entendre certains témoins

[97]           Cette question exige une brève mise en contexte.

[98]           Dans sa plaidoirie lors du premier procès, l’avocat de l’appelant a traité de l’absence du témoignage de certains coconspirateurs comme témoins de la poursuite au procès. Ces personnes sont : Gilles Vaillancourt, Claude Asselin, Claude Deguise, Jean Gauthier, Joe Molluso, Frank Minicucci et René Mergl.

[99]           Voici comment il s’exprimait :

Et vous avez les silences dans la preuve qui sont importants aussi. Je m’apprête à vous faire … à commenter les témoins importants absents et là, on s’en remet au fardeau de preuve.

Les témoins importants absents, je vous propose que ce sont les suivants; Gilles Vaillancourt, Claude Asselin, Claude Deguise, c’est les meilleurs témoins ça pour venir dire si oui ou non, monsieur Accurso était là dedans. René Mergl, Frank Minicucci, Joe Molluso et Jean Gauthier.

Un Juge juge sur la preuve qu’il entend. Monsieur le Juge va vous donner des instructions sur qui a le fardeau de faire quoi. Le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la Poursuite, nous.

Vous pouvez penser que monsieur Molluso, c’est l’ami du frère de monsieur Accurso pourquoi il ne vient pas, pourquoi il ne vient pas témoigner pour lui? Ce n’est pas ça la question, la question c’est: Comment ça se fait que la Poursuite ne l’a pas fait entendre?

C’est une absence que vous constatez, c’est leur fardeau et ça, c’est vrai pour tous les témoins que je viens d’énumérer.

 

[100]      On notera que la plaidoirie de l’avocat de l’appelant dépasse le simple commentaire qui identifie les failles de la preuve et le fardeau de la poursuite. Cette plaidoirie s’exprime d’une manière plus soutenue sur l’absence de certains témoins alors qu’en règle générale, comme l’explique la Cour suprême dans son récent arrêt Samaniego, « les parties devraient pouvoir présenter leur cause comme bon leur semble »[28].

[101]      Hors jury, la poursuite avait fait valoir qu’une directive correctrice devait être donnée en réponse à cette plaidoirie, puisqu’elle estimait que l’appelant invitait le jury à tirer une inférence défavorable contre elle.

[102]      Les discussions entre le juge et les avocats permettent de comprendre que le juge partageait la position de la poursuite sur cette question, sauf en ce qui concerne Gilles Vaillancourt.

[103]      Puisque le juge prononce l’avortement du procès dès le lendemain, on ignore quelle était la directive correctrice qu’il avait envisagée.

[104]      Lors du deuxième procès, le juge indique aux parties qu’il désire aborder cette question avant les plaidoiries.

[105]      Conformément aux propos tenus lors du premier procès, il permet à l’avocat de l’appelant d’aborder l’absence de Gilles Vaillancourt en lien avec le témoignage de Mme Josiane Pesant, adjointe de M. Vaillancourt, au sujet des rencontres secrètes entre M. Vaillancourt et M. Accurso.

[106]      Toutefois, il interdit aux parties d’aborder en plaidoirie l’absence d’autres personnes comme témoins.

[107]      Le juge justifie notamment sa décision en expliquant que s’il autorisait l’avocat de l’appelant à plaider que la poursuite n’avait pas fait entendre certains témoins, la situation qui en résulterait constituerait l’un des rares cas où il pourrait, et même devrait, instruire le jury de tenir compte du fait que l’appelant n’avait pas fait lui-même entendre ces témoins.

[108]      L’appelant prétend que cette décision du juge l’a privé de son droit de plaider de soulever ainsi un doute raisonnable quant à sa culpabilité en raison de l’absence de preuve.

[109]      Normalement, l’accusé peut soulever un doute raisonnable en se fondant sur l’absence de preuve[29], les failles de la preuve[30] et l’absence d’un témoin[31].

[110]      Cela dit, la distinction qui existe entre le commentaire qui vise l’absence de preuve ou les failles dans la preuve de la poursuite, et celui invitant le jury à tirer une inférence défavorable contre la poursuite ou la défense, au sujet de l’omission de faire entendre un témoin, peut parfois être fine[32].

[111]      La question des inférences défavorables s’avère encore plus difficile d’application lors d’un procès devant un jury. Elle exige la formulation d’une directive qui fournit au jury les outils pour décider s’il est approprié ou non de tirer une inférence défavorable, compte tenu du droit des parties de conduire un procès comme elles le souhaitent. Le cas échéant, la directive doit préciser la nature de l’inférence autorisée dans le cas d’espèce[33]. Pour ces raisons, il n’est généralement pas approprié de commenter la conduite d’un dossier par les parties et les témoins assignés[34], ce qui s’avère différent des observations qui visent plutôt la qualité ou la suffisance de la preuve présentée par la poursuite.

[112]      L’arrêt Jolivet examine plusieurs des questions de principe soulevées par l’appelant. Cela dit, dans cette affaire, le contexte est particulier. La poursuite avait annoncé le témoignage d’un témoin qui devait corroborer les dires d’un autre témoin, mais elle avait finalement choisi de ne pas le faire entendre en raison de doutes au sujet de sa sincérité.

[113]      Le juge Binnie formule la question qui devait être résolue dans cette affaire : « dans quels cas l’omission du ministère public de faire entendre un témoin important lors d’un procès criminel peut faire l’objet de commentaires dans l’exposé de la défense au jury ou constituer le fondement d’une directive du juge au jury quant à l’absence du témoin annoncé »[35].

[114]      Il estime que « le juge du procès aurait dû autoriser l’avocat de la défense à commenter l’omission du ministère public de citer le témoin corroborant »[36]. Ainsi, « le juge du procès a commis une erreur lorsqu’il a de fait (voire de façon explicite) empêché l’avocat de la défense de commenter l’absence du témoin annoncé »[37].

[115]      Dans ces circonstances, le juge Binnie croit que la disposition réparatrice devait être appliquée dans ce dossier, car le verdict aurait été le même.

[116]      Il explique néanmoins que l’accusé pouvait commenter l’absence du témoin annoncé pour soulever un doute raisonnable :

34 Compte tenu de l’importance de la «corroboration» prévue de Bourgade et du fait que le ministère public a insisté sur celleci dans son exposé préliminaire, il était loisible à la défense de commenter labsence du témoin annoncé et tout autre aspect de la preuve du ministère public pouvant susciter un doute raisonnable.  Il faut rappeler que la défense voulait simplement faire remarquer au jury «qu’on aurait peutêtre été davantage éclairés si le ministère public avait fait témoigner monsieur Bourgade qui, selon monsieur Riendeau, était présent lorsque StPierre est retourné sur les lieux».  Le droit de la défense de faire un tel commentaire ne dépendait pas de la démonstration que le ministère public avait agi selon un «motif inavoué» en omettant de faire entendre le témoin prévu.  Dans son exposé préliminaire, le ministère public considérait apparemment nécessaire de faire entendre Bourgade pour établir sa preuve, mais ensuite ne l’a pas cité comme témoin, reconnaissant peutêtre par son changement de stratégie que la preuve présentée contre lintimé ne reposait pas sur un fondement aussi large que ce quil avait initialement prévu.  Il s’agissait là de renseignements pertinents à porter à l’attention du jury.  C’est le ministère public, et non pas la défense, qui a informé le jury de l’existence de Bourgade et du fait qu’il le citerait comme témoin.  La défense avait le droit de faire valoir au jury que l’omission de faire entendre Bourgade avait laissé un vide dans la preuve du ministère public.

[Les soulignements sont ajoutés]

[117]      Selon l’arrêt Jolivet, il importe donc de faire les distinctions qui s’imposent entre une plaidoirie qui fait ressortir les failles dans la preuve de la poursuite et celle qui invite le jury à tirer une inférence défavorable que le témoin absent aurait été, par exemple, favorable à la position de l’accusé[38].

[118]      Le juge Binnie prend soin de préciser que « [l]e droit de la défense de parler au jury de ce que le ministère public choisit de lui soumettre est fondamental pour le caractère équitable du procès et ne doit être limité que pour des motifs valables et suffisants »[39].

[119]      Là est toute la question posée par l’appelant. Existait-il des motifs valables et suffisants de limiter les commentaires de son avocat au sujet des témoins qui n’avaient pas été entendus?

[120]      Comme l’explique le juge Binnie dans l’arrêt Jolivet, le juge du procès doit être prudent lorsqu’il détermine s’il peut lui-même commenter la conduite du procès par la poursuite ou la défense, prudence accrue, cela va de soi, dans ce dernier cas :

37 Dans l’arrêt Cook, précité, le juge L’HeureuxDubé dit, «dans les cas qui s’y prêtent», consisterait pour le juge du procès à commenter dans son exposé au jury l’absence du témoin annoncé (par. 39). Une directive du juge du procès est plus importante qu’un commentaire de la défense parce qu’elle confère l’autorité du juge à ce qui ne serait autrement qu’un argument de la défense.  Comme l’a souligné le juge Robert en l’espèce, la mention dans l’arrêt Cook des «cas qui s’y prêtent» s’appuie sur les arrêts antérieurs mettant en garde contre les dangers que comportent les commentaires du juge du procès sur ce qui est, en fait, la conduite de l’affaire par les avocats.  Dans l’arrêt R. c. Zehr (1980), 54 C.C.C. (2d) 65 (C.A. Ont.), le juge Brooke a souligné ce point (à la p. 68): 

[TRADUCTION]  Bien qu’ils puissent être permis dans certains cas, les commentaires sur l’omission de faire entendre un témoin ne doivent être utilisés qu’avec beaucoup de prudence.  Ce genre de commentaires de la part du juge du procès peut influencer grandement ce qui autrement pourrait être l’évaluation, par le jury, de la crédibilité des témoins et peutêtre, ce qui est plus important, de l’intégrité de la preuve.  Qu’ils se rapportent à la poursuite ou à la défense, les commentaires de cette nature portent en réalité sur la conduite de l’affaire et la directive leur confère de l’importance au niveau de la preuve.

38 Une mise en garde similaire a été faite par le juge Martin dans R. c. Koffman and Hirschler (1985), 20 C.C.C. (3d) 232 (C.A. Ont.); et par le juge Esson dans Rooke, précité, aux pp. 517 et 518.

39 Il ressort de ces arrêts que les cas «se prêteront» rarement à ce que le juge du procès commente l’omission du ministère public de faire entendre un témoin donné et, encore plus rarement, à ce qu’il le fasse dans le cas de la défense.  Comme le juge Brooke l’a ajouté dans l’arrêt Zehr, précité (aux pp. 68 et 69):

[TRADUCTION]  Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles un avocat peut décider de ne pas faire entendre un témoin, et nos tribunaux remettront rarement en question la décision de l’avocat puisque le système repose sur le fondement que l’avocat est maître de sa preuve.  Il arrive souvent qu’un témoin ne soit pas entendu et que, si la raison en était connue, cela ne justifierait pas une directive selon laquelle une inférence défavorable pourrait être tirée de ce fait.  Chose importante dans notre système, l’avocat n’est pas tenu, et n’a même pas le droit, d’expliquer sa conduite de l’affaire [au jury]. 

Des cas nécessitant des commentaires de la part du juge se présenteront néanmoins.  En l’espèce, par exemple, si l’avocat de la défense ne s’était pas contenté de faire ressortir les failles que comporte la preuve de la poursuite et avait été jusqu’à prétendre qu’on aurait pu à juste titre tirer l’inférence défavorable que le témoignage de Bourgade (si ce dernier avait été entendu) aurait appuyée l’intimé, une directive corrective aurait été justifiée.  De même, un commentaire inapproprié du substitut du procureur général sur l’absence d’un témoin annoncé par la défense aurait justifié une correction de la part du juge: R. c. Dupuis (1995), 98 C.C.C. (3d) 496 (C.A. Ont.). 

40 Le juge du procès doit naturellement jouir d’une grande latitude, car il est bien en mesure d’apprécier les nuances du procès lors de son déroulement et est le mieux placé pour en assurer le caractère équitable.  En l’espèce, on a effectivement empêché l’avocat de la défense de faire allusion à l’absence du témoin annoncé, Bourgade.  Ni la défense ni la poursuite n’ont fait de commentaire, de sorte qu’aucune «correction» n’était requise.

[Tous les soulignements sont ajoutés]

[121]      À mon avis, le juge du procès a bien évalué la dynamique du dossier, la théorie de la poursuite et son pouvoir discrétionnaire de choisir les témoins qui devaient être entendus, la défense présentée par l’appelant (le système de collusion était à son insu), le fait que les témoins identifiés étaient tous des coaccusés/coconspirateurs et la nature de l’accès des parties à ces témoins.

[122]      Il a conclu qu’il était préférable, voire plus équitable pour l’appelant, qu’il ne donne pas une directive au jury qui aurait attiré l’attention sur son omission de les faire témoigner en défense et qu’il valait mieux interdire aux deux parties de faire des commentaires sur l’absence de certains témoins.

[123]      Il ressort de l’ensemble du dossier que le juge du procès a tout simplement considéré que l’appelant ne pouvait faire de reproches à la poursuite alors qu’il avait lui-même un accès équivalent sinon supérieur à celui de la poursuite pour assigner les témoins[40]. D’ailleurs, deux d’entre eux, les plus importants pour la défense, messieurs Molluso et Minicucci, étaient les présidents d’entreprises appartenant à l’appelant, ceux-là mêmes qui auraient participé au système de collusion à l’insu de l’appelant selon son témoignage.

[124]      Dans ces circonstances, on comprend pourquoi le juge a été d’opinion que si l’avocat de l’appelant commentait l’absence de témoins d’une manière similaire à sa plaidoirie lors du premier procès, il aurait dû expliquer au jury que l’appelant n’avait pas lui-même assigné ces témoins.

[125]      Dans l’affaire Jolivet, on a considéré que « la décision du juge du procès de régler le problème soulevé par le ministère public dans son exposé préliminaire par une mise en garde de type Vetrovec plutôt que d’aborder précisément la question de l’absence du témoin annoncé, Bourgade, relevait de son pouvoir discrétionnaire »[41].

[126]      Dans le présent dossier, j’estime que la décision du juge du procès d’interdire aux parties tout commentaire sur l’absence de témoins, afin d’éviter un commentaire défavorable visant la conduite de la défense de l’accusé, relevait de son pouvoir discrétionnaire.

[127]      Je précise qu’il n’y a aucune règle rigide ou immuable en cette matière. Dans un autre dossier et dans un contexte différent, la défense pourrait sans problème évoquer l’absence d’un témoin pour soulever un doute raisonnable.

[128]      La mesure choisie par le juge dans ce dossier où les témoins absents étaient des coaccusés/coconspirateurs justifie la déférence. La décision qu’il avait rendue au sujet de l’application de l’exception au ouï-dire relative aux coconspirateurs supporte aussi sa décision. Il lui appartenait de pondérer l’ensemble des facteurs pour assurer l’équité du procès pour les deux parties[42].

[129]      En conséquence, ce moyen d’appel est rejeté.

4.     Directives au sujet de l’infraction de complot et de l’application de l’exception relative aux coconspirateurs

[130]      L’appelant soutient que le juge a erré en formulant ses directives d’une façon telle que le jury ne pouvait décider d’acquitter l’appelant à la dernière étape de la démarche formulée dans l’arrêt Carter. Aux dires de l’appelant, les directives données allaient à l’encontre des enseignements de la Cour dans l’affaire Proulx[43].

[131]      Dans le cadre de la préparation des directives finales, un débat a eu lieu quant au résumé à donner au jury en lien avec les directives de type Carter.

[132]      La règle est bien connue, mais je rappelle ses paramètres et les objectifs qu’elle poursuit.

[133]      L’exception relative aux coconspirateurs permet de recevoir en preuve les déclarations extrajudiciaires faites par des coconspirateurs dans le but de réaliser l'objet du complot. Celles-ci sont admissibles contre tous les coconspirateurs pour faire preuve de leur contenu si les conditions suivantes sont réunies : 1) en considérant l'ensemble de la preuve, le jury est convaincu hors de tout doute raisonnable de l'existence d'un complot; 2) en considérant uniquement la preuve directement admissible contre l'accusé, le jury est convaincu qu'il est probable que l'accusé a participé à ce complot.

[134]      La démarche issue de l’arrêt Carter vise à expliquer au jury comment la preuve, hors de tout doute raisonnable, de l'adhésion de l'accusé à l'entente peut être établie en considérant les déclarations visant à faire avancer le complot entre les coconspirateurs, tout en s'assurant que le jury soit d’abord satisfait de l’existence de deux conditions préalables, soit l'existence de l'entente elle-même et l'adhésion probable de l'accusé à celle-ci[44].

[135]      Le juge avait préparé une annexe contenant certains extraits de la preuve qui concernent des actes et déclarations des coconspirateurs que le jury pouvait considérer s’il concluait que l’appelant était probablement membre du complot.

[136]      L’appelant voulait que le juge traite de la preuve de la défense dans ce résumé. Selon l’avocat de l’appelant, il y avait un danger de présenter uniquement la preuve de la poursuite puisque le jury doit considérer l’ensemble de la preuve directe, y compris la preuve favorable à l’accusé.

[137]      Dans l’arrêt Proulx, s’appuyant sur certaines décisions de la Cour d’appel de l’Ontario, la juge Bélanger formule les observations qui suivent sur lesquelles se fonde l’appelant :

[54]         L’appelante a en partie raison sur ce point. Lorsqu’un juge examine la preuve directement admissible contre un accusé dans un dossier de complot, il doit, avant de conclure à la preuve probable de sa participation à ce complot, examiner l’ensemble de la preuve directe et non seulement les éléments défavorables à l’accusé tout en écartant ceux qui lui sont favorables. Ne considérer qu’une partie de la preuve directe pourrait être indûment préjudiciable à un accusé.

[55]         Dans l’arrêt Carter, le juge McIntyre indique que pour chaque accusé la question de sa participation au complot doit être tranchée « en fonction d’éléments de preuve directement recevables contre lui » avant de permettre l’application de l’exception, en vue d’arriver à une conclusion sur la question plus importante de sa culpabilité ou de son innocence. Un juge pourrait décider, dès la deuxième étape, qu’il croit l’accusé et l’acquitter en l’absence d’autre preuve. Par contre, dans le présent cas, les trois conversations interceptées étaient suffisantes pour lui permettre de conclure à une preuve directe de la participation de l’appelante au complot, selon la prépondérance de la preuve.

[Le soulignement est ajouté; renvois omis] 

[138]      Or, comme l’envisage le passage que je souligne, le risque évoqué par l’appelant ne pouvait se matérialiser, car le juge avait bien pris soin dans le présent dossier de structurer ses directives à l’aune de la directive proposée dans l’arrêt W.(D.).

[139]      Sur cet élément, le juge du procès avait bien raison de conclure qu’à la dernière étape de la démarche de l’arrêt Carter, le jury n’avait pas à considérer le témoignage de l’appelant, car la substance de son témoignage avait été rejetée hors de tout doute raisonnable (la collusion était à son insu) et que le jury devait décider s’il était convaincu hors de tout doute raisonnable par la preuve de sa culpabilité.

[140]      J’ajoute que la bonne compréhension de ce moyen exige une mise en contexte afin de saisir toute la subtilité de l’argument présenté par l’appelant. Je précise que ma qualification ne se veut aucunement péjorative.

[141]      Comme le notent les auteurs de l’ouvrage McWilliams' Canadian Criminal Evidence, 5th Edition, les directives doivent expliquer au jury la distinction qui existe entre la conclusion concernant le fait que l’accusé est probablement membre du complot et la conclusion hors de tout doute qu’il était membre du complot :

Second, the jury must be clear on the distinction between their conclusion at stage two (that the accused was probably a member of the common enterprise) and their ultimate duty — determining whether the accused was, beyond a reasonable doubt, guilty of the very offence charged in the indictment[45].

[142]      L’appelant ne reproche pas au juge de ne pas avoir donné une directive conforme à l’arrêt W.(D.), mais plutôt d’avoir choisi de le faire au moment où il explique au jury la deuxième étape de la démarche de l’arrêt Carter. Ce choix aurait privé l’appelant du bénéfice du doute sur l’ensemble de la preuve, soit à la troisième étape de l’arrêt Carter, lorsque le jury devait considérer les déclarations des coconspirateurs avant de conclure hors de tout doute raisonnable à la participation de l’appelant au complot.

[143]      Une description précise des directives données par le juge et remises par écrit au jury est nécessaire[46].

[144]      Dans celles-ci, le juge instruit le jury au sujet du fardeau de la poursuite et du doute raisonnable[47]. Conformément à l’arrêt Villaroman, il informe le jury que la culpabilité de M. Accurso doit être la seule conclusion raisonnable[48]. Il résume aussi à plus d’une reprise la substance de la défense de l’appelant : il ne connaissait pas l’existence des complots et n’en faisait pas partie[49].

[145]      À l’égard du premier chef d’accusation, soit un complot pour commettre des actes de corruption dans les affaires municipales et des abus de confiance, il explique les trois éléments essentiels qui doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable : 1) l’existence du complot; 2) la participation de M. Accurso au complot; et 3) l’intention de M. Accurso de commettre des actes de corruption dans les affaires municipales ou des actes d’abus de confiance.

[146]      Le juge informe le jury que l’existence du complot ne leur posera probablement pas de difficultés, mais que le cœur de leur analyse concerne la participation de M. Accurso à ce complot[50].

[147]      Pour ce faire, il explique aux jurés qu’ils doivent se poser trois questions.

[148]      Voici comment le juge s’exprime :

[99] La première question à poser est :

Est-ce que je crois Antonio Accurso lorsqu’il a témoigné à l’effet qu’il ne connaissait pas l’existence d’un complot avant son arrestation, et en conséquence, n’en a jamais fait partie?

[100] Pour répondre à cette question vous devez considérer toute la preuve qui a été présentée devant vous. Si vous répondez oui à cette question, il sera de votre devoir d’acquitter monsieur Accurso. Il ne sera pas nécessaire de considérer les questions 2 ou 3, ou l’élément essentiel 3, vos délibérations seront terminées sur le chef 1. Si vous répondez non à la première question, vous procédez à considérer la question numéro 2.

2. Même si je ne crois pas Antonio Accurso, est-ce que son témoignage soulève néanmoins un doute raisonnable dans mon esprit?

[101] Pour répondre à cette question, vous devez considérer toute la preuve. Cette question peut notamment s’adresser à la situation où, après une analyse de toute la preuve, vous ne savez pas qui croire. Alors que la poursuite a l’obligation de prouver que monsieur Accurso a participé au complot hors de tout doute raisonnable, c’est-à-dire qu’il est sûr et certain qu’il ait participé, il peut y avoir des cas où le jury, malgré le rejet du témoignage de l’accusé, demeure avec un doute raisonnable n’ayant pas atteint la certitude nécessaire pour prononcer un verdict de culpabilité.

[102] Si vous répondez oui à la deuxième question, vous devez prononcer un verdict de non-culpabilité. Il ne sera pas nécessaire de considérer la troisième question ni le troisième élément essentiel. Vos délibérations seront terminées sur le chef 1. Si vous répondez non à la deuxième question, vous procéderez à considérer la troisième question.

3. Malgré que je ne crois pas monsieur Accurso et que son témoignage n’a pas soulevé un doute raisonnable dans mon esprit, est-ce que la poursuite a prouvé son membership dans le complot hors de tout doute raisonnable?

[103] Cette question témoigne des principes fondamentaux que je vous ai décrits plus tôt. Un accusé est présumé innocent. Un accusé n’a aucun fardeau pour prouver son innocence. Le fardeau repose toujours sur la poursuite pour prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Ce n’est pas parce que la défense est rejetée, qu’une déclaration de culpabilité s’en suit automatiquement. Il faut examiner toute la preuve pour confirmer si la poursuite a bel et bien prouvé chacun des éléments essentiels du chef d’accusation hors de tout doute raisonnable. Pour répondre à cette question, vous devez considérer toute la preuve. Vous vous souviendrez qu’au début du procès, la défense a formulé une objection demandant qu’une preuve soit déclarée inadmissible parce qu’elle consistait en du ouï-dire. Je vous ai expliqué que ce sera à vous de décider, à la fin de la preuve, si un élément de preuve consistant en du ouï-dire pourrait être considéré. Votre décision doit être rendue après une analyse en trois étapes.

[149]      Comme on le constate aisément, au moment où il énonce ses directives au sujet de la participation de l’appelant au complot, le juge rappelle prudemment au jury que s’il considère cette question, le jury a déjà décidé qu’il ne croyait pas M. Accurso lorsqu’il avait témoigné qu’il ne faisait pas partie du complot et que son témoignage n’avait pas soulevé de doute à ce sujet.

[150]      Par ailleurs, je note que le juge réitère une directive de type W.(D.) lorsqu’il instruit le jury au sujet de tous les chefs d’accusation : complot pour commettre une fraude[51]; fraude[52]; actes de corruption dans les affaires municipales[53] et avoir aidé des fonctionnaires à commettre des actes de corruption[54].

[151]      En résumé, le juge a donné une directive conforme à l’arrêt W.(D.) à cinq reprises. Je ne vois pas comment le jury aurait pu être induit en erreur sur les principes applicables. Comme l’avait expliqué le juge en réponse à l’argument présenté par l’avocat de l’appelant, le jury n’allait pas considérer les déclarations des coconspirateurs que s’il avait conclu que l’appelant était probablement membre du complot.

[152]      Ainsi, si le jury croyait l’appelant qui affirmait ne pas connaître l’existence des complots ou si son témoignage soulevait un doute raisonnable à cet égard, il ne pouvait certainement pas conclure que l’appelant était probablement membre du complot selon la deuxième étape du cadre d’analyse prescrit par l’arrêt Carter.

[153]      De plus, le juge a clairement instruit le jury sur le fait que l’appelant ne pouvait être coupable que si la preuve établissait hors de tout doute raisonnable sa participation au complot[55].

[154]      De toute façon, toute incertitude a été clairement écartée par la directive qui suit :

[122]  Qu'on se place en contexte. Si vous êtes arrivés à considérer le troisième élément essentiel, c'est parce que vous avez déjà décidé que :

i. vous ne croyez pas M. Accurso; et

ii. même si vous ne croyez pas M. Accurso, son témoignage n'a pas soulevé un doute raisonnable dans votre esprit; et

iii. la poursuite a prouvé, hors de tout doute raisonnable, que M. Accurso était membre du complot.

[155]      En ce sens, je ne vois pas comment il est concevable dans le présent dossier que les directives aient privé l’appelant de la possibilité que le jury entretienne un doute raisonnable de l’ensemble de la preuve en raison de l’ordre dans lequel le juge a abordé la question du doute raisonnable.

[156]      Dans l’arrêt C.L.Y., la juge Abella formule des observations pertinentes à l’égard de cette question : « [j]e vois difficilement comment l’on peut affirmer que l’ordre dans lequel la juge du procès a exposé ses conclusions sur la crédibilité mine son énoncé juste et cohérent de l’état du droit ou démontre qu’elle a perdu de vue un principe de droit prépondérant comme celui du doute raisonnable »[56]. Les mêmes principes encadrent les directives au jury.

[157]      Dans un dossier où, comme en l’espèce, l’accusé témoigne, la troisième étape de la directive W.(D.) vise un objectif bien précis : s’assurer que le jury comprenne « que le manque de crédibilité de l’accusé n’équivaut pas à la preuve de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable » [57].

[158]      Dans un article intitulé Doubt about Doubt: Coping with R. v. W. (D.) and Credibility Assessment, l’auteur Paciocco explique le bien-fondé et la raison d’être de cet élément de la directive W.(D.) :

This third component differs from the other two W. (D.) rules. They focus solely on the “inconsistent” or exculpatory evidence, whereas this component of the W. (D.) framework examines the sufficiency of the remaining evidence after the inconsistent or exculpatory evidence is rejected in its entirety, or “totally rejected” as untrue, beyond a reasonable doubt. In this sense, this rule reflects a proposition that applies in all criminal cases, even if no exculpatory evidence had ever been presented; the accused should not be convicted unless the evidence that is credited proves the guilt of the accused beyond a reasonable doubt.

In the W. (D.) contextwhere exculpatory evidence has been presentedexpress reference to this principle nonetheless adds value. First, it discourages trial fact-finders from basing their decisions on credibility assessments, without specifically considering whether the evidence they are prepared to credit is compelling enough to prove guilt beyond a reasonable doubt. For this reason, in R. v. H. (J.M.), the Prince Edward Island Court of Appeal overturned the conviction of the accused even though the trial judge explained why he accepted the credibility of the complainant and rejected the evidence of the accused. The trial judge had failed to mention this third leg of the W. (D.) framework, and had not demonstrated that he had questioned whether the complainant's evidence was compelling enough to remove all reasonable doubt.

Second, this third W. (D.) rule is meant to make clear that, ordinarily, “the lack of credibility on the part of the accused [or their evidence] does not equate to proof of [their] guilt beyond a reasonable doubt.” This proposition is meant to confirm that even after the total rejection of defence evidence, guilt is to be determined on the affirmative evidence that is credited, not on the simple fact that defence evidence has been rejected[58].

[Les soulignements sont ajoutés; renvois omis]

[159]      Ce qui précède suffit pour rejeter ce moyen d’appel.

C)    L’enquête policière après la dissolution du jury

1.     Contexte

[160]      Dans les jours qui suivent la dissolution du jury, une enquête policière débute au sujet des circonstances entourant une rencontre entre une jurée et son oncle.

[161]      Il s’agissait de déterminer s’il y a eu une tentative d'entrave à l'administration de la justice en contaminant les autres jurés du procès à la suite des propos de son oncle. Celui-ci avait affirmé avoir vu de l’argent dans des valises au bureau de Marc Gendron, l’un des témoins entendus lors du procès.

[162]      L’enquête se termine en janvier 2018. Les enquêteurs signent leur rapport le 18 janvier 2018.

[163]      L’enquête conclut qu’aucune infraction criminelle n’a été commise et que l’oncle de la jurée n’avait fait qu’une mauvaise blague alors qu’il n’avait jamais vu de valises remplies d’argent dans le bureau de Marc Gendron.

[164]      Le rapport comporte la conclusion qui suit : « l’avortement du procès est survenu au moment des plaidoiries et que selon au moins deux jurés, le procès se dirigeait vers un acquittement, donc ce n’était pas un moment opportun pour faire avorter le procès pour la défense ».

[165]      L’existence de cette enquête ne sera confirmée par la poursuite qu’en mars 2018, à la suite d’une demande de communication de la preuve présentée par le procureur de l’appelant.

[166]      Le 21 mars 2018, l’avocat de l’appelant demande, par courriel à la poursuite, la communication des fruits de l’enquête sur l’avortement du premier procès :

Considérant l’avortement du premier procès dans l’affaire mentionnée en titre et considérant les conversations entendues en deux (2) de vos enquêteurs au Palais de justice de Joliette, lors de la gestion de l’affaire Gravier, je crois qu’une enquête a été faite relativement à l’intervention d’une tierce personne auprès de la jurée n. 6 dans cette affaire.

Je vous demande donc, à titre de divulgation de la preuve, de me transmettre les fruits de cette enquête.

[167]      Le 23 mars 2018, la poursuite répond à cette demande dans un courriel qui concerne plusieurs sujets :

Enfin, nous accusons réception de votre demande de communication de la preuve du 21 mars dernier concernant l’enquête effectivement instituée suite à l’avortement du premier procès.  Nous vous ferons part de notre position à cet égard en début de semaine prochaine.

[168]      Le 28 mars 2018, la poursuite communique à l’appelant une partie des fruits de cette enquête ainsi qu’un tableau énumérant la preuve qui a été recueillie lors de celle-ci.

[169]      Le 6 avril 2018, l’appelant produit une requête en divulgation de la preuve afin d’obtenir la communication de l’ensemble des fruits de l’enquête sur l’avortement du premier procès.

[170]      Le 18 avril 2018, la poursuite répond à la requête de l’appelant en procédant à une divulgation supplémentaire, mais incomplète, car en partie caviardée.

[171]      Le 22 avril 2018, l’appelant dépose une requête en arrêt des procédures pour abus de procédure.

[172]      Le 24 avril, la procureure chargée du dossier de l’enquête policière écrit à l’avocat de l’appelant :

La présente fait suite à votre requête en arrêt des procédures signifiée hier dans le dossier mentionné en objet. En regard de certains éléments qui sont y sont allégués, les soussignés jugent nécessaire d'apporter des précisions relativement au traitement du dossier de l'enquête parallèle Jurée No. 6.

Nous tenons a réitéré que l'équipe composée des procureurs soussignés a été chargée exclusivement du traitement du dossier en lien avec l'enquête dans le projet intitulé Jurée No. 6. De par le fait même, et afin de dissiper tout doute à ce sujet, aucun procureur attaché au dossier projet Honorer n'a contribué, à quelque étape que ce soit, à l'analyse ou au traitement de la preuve dans le cadre du projet Jurée No. 6. Les soussignés sont les seuls procureurs à avoir pris connaissance de la preuve émanant de l'enquête jurée #6.

À cet égard nous tenons à vous rappeler la réponse que Me Richard Rougeau vous a transmise le 3 avril dernier (pièce R-5 de votre requête) en réponse à votre demande du 29 mars (pièce R-4 de votre requête) suite à la divulgation des éléments de preuve de l'enquête parallèle. Me Rougeau y précise que tant les enquêteurs qui ont pilotés le dossier que les procureurs assignés à l'analyse de celui-ci étaient différents et étrangers au dossier Honorer et que les seules informations qu'il a lui-même reçu au terme de ce processus d'enquête et d'analyse (et par extension cette affirmation s'applique à ses co-équipiers Me Philippe-Pierre Langevin et Me Martin Duquette) sont celles qui vous ont été transmises dans le cadre de la divulgation des éléments de l'enquête parallèle.

Par conséquent, aucun élément du secret des délibérés des jurés ne s'est retrouvé entre les mains des procureurs impliqués dans le dossier de votre client. Les procureurs chargés du projet Jurée No. 6 y ont eu accès dans le cadre d'une procédure ayant trait à de possibles accusations d'entrave à la justice.

Pour terminer, veuillez prendre note qu'une réponse formelle à votre requête en arrêt de procédures et pièces au soutien le cas échéant vous sera transmise prochainement.

Soulignement dans le texte

[173]      Le 26 avril 2018, la poursuite divulgue l'entièreté des fruits de l'enquête, mais certaines informations demeurent caviardées.

[174]      Le même jour, la poursuite signifie une requête en rejet sommaire de la requête en arrêt des procédures de l’appelant.

[175]      Les requêtes en rejet sommaire et en divulgation de la preuve sont entendues le 27 avril 2018 par le juge du procès.

2.     L’audition des requêtes en première instance

a)     Divulgation des documents caviardés
(i)                 Positions des parties

L’appelant

[176]      L’appelant cherche à obtenir la divulgation des parties caviardées de la preuve, notamment les déclarations des membres du jury interrogés par les enquêteurs quant à leurs opinions préliminaires sur l’issue du procès.

 

[177]      Il fait mention notamment d’un cahier de notes contenant beaucoup de caviardage, mais qui contient les passages suivants : « Les deux jurés sont d’avis que la Couronne s’en allait dans le mur » et « La jurée no 6 pense que monsieur Accurso allait être acquitté ».

[178]      Il reproche également à l’enquêteur Larochelle de ne pas avoir respecté une directive orale qui aurait été formulée par le juge d’instance, celle-ci rapportée par la shérif, laquelle imposait d’avoir une ordonnance de communication pour obtenir les coordonnées des jurées. L’enquêteur aurait utilisé les bases de données policières pour obtenir les coordonnées afin de joindre les jurées qui devaient être rencontrées dans le cadre de l’enquête.

[179]      Lors de l’audition sur la requête, l’appelant demande d’entendre les policiers responsables de l’enquête policière.

[180]      Finalement, l’appelant exige la communication des notes non caviardées de M. Rodrigue qui démontreraient, selon lui, qu’il a continué l’enquête tout en sachant qu’aucun crime n’avait été commis par la jurée no 6, et ce, dès le début de l’enquête.

La poursuite

[181]      Selon la poursuite, il n’était pas nécessaire de divulguer les fruits de l’enquête puisque celle-ci ne concernait pas le dossier de M. Accurso, mais concernait plutôt des tiers. Le régime de communication de la preuve était donc celui prévu dans l’arrêt de la Cour suprême O’Connor[59].

[182]      Cela étant dit, la poursuite soutient qu’elle a fait le choix de divulguer l’entièreté des fruits de l’enquête, incluant les notes administratives de M. Larochelle et le plan d’enquête. Pour ce faire, la poursuite a dû faire des démarches auprès des policiers pour obtenir certains renseignements qu’elle n’avait pas en sa possession. La poursuite considère qu’elle est allée au-delà de son obligation de divulgation dans le but d’œuvrer à la saine administration de la justice.

[183]      La poursuite explique que certains passages de l’enquête sont caviardés, car ils touchent le secret des délibérés ou concernent des informations nominatives des témoins rencontrés.

(ii)                Décision sur la requête en divulgation

[184]      Après avoir pris connaissance des documents caviardés, le juge fait un résumé aux parties des passages caviardés.

[185]      Il indique ainsi que certains passages concernent des enquêtes autres que celle sur l’avortement du procès, ce qui explique le caviardage. Les noms de personnes tierces sont également caviardés.

[186]      D’autres portions sont caviardées, car elles rapportent l’opinion de la jurée no 6 et de la jurée no 7 sur le verdict qu’elles allaient potentiellement rendre, l’opinion de la jurée no 6 sur un possible verdict d’acquittement et une phrase prononcée par le procureur de la défense lors de sa plaidoirie qui avait particulièrement marqué la jurée no 7.

[187]      Le juge d’instance refuse d’ordonner la divulgation des portions caviardées de la preuve.

[188]      Le juge affirme que la poursuite aurait pu communiquer à l’appelant l’existence de l’enquête, mais que sa conduite n’était pas malveillante, puisque l’enquête ne révèle rien de pertinent sur le procès de M. Accurso. En ce qui a trait aux passages caviardés de l’enquête, le juge affirme qu’il n’y avait aucune obligation pour la poursuite de « décaviarder » quoi que ce soit, car le résumé fourni suffit.

b)     Rejet sommaire de la requête en arrêt des procédures
(i)                 Positions des parties

L’appelant

[189]      Selon l’appelant, l’enquête policière à la suite de la dissolution du jury était un prétexte afin de découvrir des éléments pertinents pour la poursuite dans le cadre du second procès. Cela se démontre par le fait qu’il était évident qu’il n’y avait pas de crime de commis.

[190]      Dès le début, les enquêteurs ont compris que l’oncle de la jurée no 6 avait seulement fait une mauvaise blague. Il n’y avait donc pas de raison de continuer l’enquête. Par ailleurs, même s’ils pouvaient continuer l’enquête, rien ne justifiait qu’ils posent des questions aux jurées sur leur opinion quant au premier procès. L’appelant estime que cette conduite de l’État est inacceptable.

[191]      Qu’il y ait une enquête sur les raisons de l’avortement du procès n’étonne pas l’appelant. Cependant, c’est la manière dont cette enquête a été menée qui le préoccupe : les enquêteurs ont contourné l’exigence d’obtenir une ordonnance de la Cour, ont déclenché une enquête sans avoir de motifs suffisants pour le faire, ont continué l’enquête alors qu’ils savaient dès la fin novembre 2017 qu’il n’y avait pas de crime commis et ont posé des questions qui touchaient le secret du délibéré. Pour l’appelant, tout cela entache l’apparence de justice.

 

[192]      Un autre problème pour l’appelant est le fait que les enquêteurs qui posent les questions sur la conduite du premier procès appartiennent au même corps d’enquête que celui impliqué dans le second procès. À cet égard, même si rien dans les renseignements qui n’ont pas été divulgués n’empêche une défense pleine et entière, le droit de l’appelant à un procès juste et équitable est malgré tout transgressé.

[193]      De plus, la façon dont les fruits de l’enquête ont été divulgués fait également entorse à l’équité du procès. D’abord, la poursuite n’a pas dévoilé de son propre chef l’enquête qui concernait un procès en cours. Ensuite, les informations sont parvenues au compte-gouttes.

[194]      Bref, la connaissance par la poursuite des informations recueillies lors de cette enquête a désavantagé l’appelant, puisque la poursuite a pu se préparer en vue du nouveau procès en connaissant l’impression du jury quant au déroulement du premier procès et s’ajuster en conséquence. Un arrêt des procédures s’avère nécessaire afin de contrer l’avantage indu de la poursuite et de préserver tant l’équité du procès que l’intégrité du processus judiciaire.

La poursuite

[195]      La position de la poursuite est succincte.

[196]      Selon elle, les questions posées par les enquêteurs aux jurées étaient légitimes dans le contexte de l’enquête. Concernant l’une des jurées, c’est elle qui a dévoilé de son propre chef son impression sur le verdict. Quant à l’autre jurée, la question du verdict s’inscrivait dans l’objectif de déterminer si un motif l’avait poussée à faire avorter le procès.

(ii)                Décision sur l’arrêt des procédures

[197]      Le juge rejette sommairement la requête en arrêt des procédures de l’appelant.

[198]      Selon lui, l’équipe d’enquêteurs de l’UPAC était différente de celle responsable du dossier de M. Accurso, des murailles de Chine ont été établies entre ces équipes et rien ne démontre qu’elles n’aient pas été respectées.

[199]      Par ailleurs, il était tout à fait normal qu’une enquête soit menée et que les jurées no 1, 6 et 7 soient rencontrées. La question de l’opinion des jurées sur le verdict à rendre n’était peut-être pas pertinente, mais il n’y a pas de lien entre ces questions et le procès à venir. De plus, les réponses ne concernent pas un élément de preuve en particulier qui pourrait influencer la poursuite dans le second procès. Il n’y a aucun élément qui prouve que les renseignements recueillis au cours de l’enquête ont servi à la poursuite pour modifier la présentation de leur preuve.

[200]      Le juge conclut que la requête en arrêt des procédures ne présente aucune chance raisonnable de succès.

3.     La preuve nouvelle

a)     Cheminement procédural

[201]      Tout d’abord, un peu de contexte.

[202]      Le mémoire de l’appelant est déposé à la Cour le 16 janvier 2020 et celui de la poursuite, le 19 mai 2020.

[203]      Parmi ses moyens d’appel, trois concernent l’enquête menée par l’UPAC à la suite de l’avortement de son procès le 17 novembre 2017. Il considère que le juge d’instance a erré en rejetant la requête en divulgation de la preuve relative à cette enquête, en refusant de « décaviarder » certains documents divulgués et en rejetant sommairement la requête en arrêt des procédures considérant le comportement abusif et illégal de l’État.

[204]      Le 27 mars 2020, l’appelant dépose une requête demandant la permission de présenter une nouvelle preuve.

[205]      Le 4 mai 2020, la Cour autorise l’appelant à constituer la preuve nouvelle, soit l’interrogatoire et le contre-interrogatoire du sergent-enquêteur Roberto Capone sur sa déclaration sous serment du 2 février 2020.

[206]      En réponse à cette demande, la poursuite produit une requête pour mettre à l’épreuve la preuve nouvelle. La Cour l’autorise à déposer les déclarations sous serment de M. Laval Fillion (enquêteur principal), M. Pierre-Luc Morin (enquêteur), Mme Manon Thomassin (enquêteuse) et Me Richard Rougeau (avocat principal de la poursuite lors des procès de l’appelant) et permet l’interrogatoire et le contre-interrogatoire de ces témoins. La Cour autorise aussi la poursuite à déposer les notes sténographiques des témoignages de Gilles Théberge lors des deux procès de l’appelant[60].

[207]      La question de l’admissibilité de cette preuve est déférée à la formation qui entendra le pourvoi sur le fond de l’appel[61].

[208]      Les parties déposent à la Cour un exposé supplémentaire quant à l’admissibilité de la preuve nouvelle au printemps 2021 peu de temps avant l’audition.

[209]      Je résume maintenant les éléments saillants de la preuve nouvelle.

b)     La déclaration sous serment de M. Capone

[210]      Roberto Capone est sergent-enquêteur au sein de l’UPAC depuis 2011. De 2009 à 2011, il occupait un poste de sergent-détective à l’escouade Marteau chargée d'enquêter sur les crimes en matière de corruption.

[211]      M. Capone a travaillé comme sergent-enquêteur dans le cadre de l’enquête Honorer. Il a notamment rencontré des témoins, interrogé des suspects et procédé à l’écoute électronique. Il dit avoir acquis une connaissance approfondie de la preuve recueillie dans cette enquête.

[212]      Lors du premier procès de l’appelant, M. Capone est affecté à l’équipe d’enquêteurs qui devait s’assurer du bon déroulement du procès. Il est alors responsable de la gestion des témoins à la Cour, ce qui implique une présence quotidienne au tribunal.

[213]      Selon lui, une impression générale se dégageait tout au long du procès selon laquelle l’appelant avait de fortes chances d’être acquitté tant en raison du contre-interrogatoire des témoins de la poursuite que de la présentation des témoins de la défense.

[214]      À la suite de l’avortement du procès, la Direction de l’UPAC décide de déclencher une enquête relativement à l’avortement du procès, qui sera menée par M. Vincent Rodrigue. Ceci étonne M. Capone puisqu’il n’y a aucune urgence à faire cette enquête. Il trouve également surprenant que l’enquête soit menée par l’UPAC et encore plus par le bureau de l’UPAC à Québec, alors qu’elle relève plutôt du bureau de Montréal.

[215]      M. Capone manifeste son désaccord et sa préoccupation face à un conflit d’intérêts.

[216]      L’enquête poursuit son cours et, selon lui, les fruits de l’enquête menée par l’équipe de l’UPAC de Québec sont connus de plusieurs enquêteurs de l’équipe de Montréal. C’est ainsi qu’il apprend que l’enquête portait tant sur les raisons ayant mené à l’avortement du procès que sur la performance des avocats, le verdict que les jurés allaient rendre et la valeur du témoignage de l’appelant.

[217]      Il avait la perception que l’enquêteur Rodrigue était convaincu que l’appelant avait fait avorter le procès et que l’enquêteur n’était pas objectif (« tunnel vision »). Il affirme que l’enquête menée « cherchait à obtenir des renseignements permettant aux procureurs de corriger le tir lors du deuxième procès ».

[218]      Au sujet de la préparation du deuxième procès, il affirme que toute l’équipe, policiers et procureurs, était au courant que le jury du premier procès allait acquitter M. Accurso. Plusieurs rencontres ont été organisées afin de combler les lacunes de la preuve du premier procès et de nombreux ajustements ont été faits.

[219]      M. Capone termine en affirmant qu’il n’est pas en mesure de vérifier que seulement trois jurées ont été rencontrées, puisqu’il n’a pas accès aux détails de l’enquête sur l’avortement du procès.

c)     Interrogatoire de M. Capone

[220]      M. Capone explique qu’il a décidé de faire cette déclaration sous serment, car il trouvait injuste la façon dont l’enquête policière et le deuxième procès s’étaient déroulés.

[221]      Selon lui, les procureurs assignés au deuxième procès de M. Accurso de même que toute l’équipe des enquêteurs travaillant au bureau de Montréal étaient au courant de l’enquête sur l’avortement du procès. Il nie la mise en place de mesures pour éviter que l’information soit partagée entre les différentes équipes de l’UPAC.

[222]      M. Capone affirme qu’il n’a jamais eu accès à la documentation de l’enquête. Il reconnaît également qu’il n’a jamais vu les questions posées aux jurées comme telles. Cependant, il explique qu’il peut déduire ces questions, puisqu’il connaissait les réponses données par les jurées. Il savait donc que le jury allait acquitter M. Accurso lors du premier procès; que le jury trouvait que M. Accurso était crédible et qu’il considérait que les procureurs de la poursuite n’avaient pas bien performé.

[223]      En ce qui a trait à son affirmation selon laquelle M. Rodrigue cherchait à obtenir des renseignements permettant aux procureurs de la poursuite de convaincre le jury du deuxième procès, M. Capone explique que :

Mais y m'a jamais dit, y m'a jamais dit : On va, une enquête secrète pour, pour essayer de découvrir toutes nos faiblesses, puis voir, t'sais, on va, on va faire exprès. Jamais, y a pas fait ça. Mais le résultat est évident, c'est que c'est ça, à ça que ç'a servi. Je m'en, je m'en suis servi. On s'en est servi, moi-même.

[224]      Bref, selon M. Capone, M. Rodrigue partageait les réponses données par les jurées et toutes les informations qui ressortaient de l’enquête. Deux enquêteurs de Québec, MM. Larochelle et Veilleux, auraient également partagé de l’information. Cela aurait permis à la poursuite de se réajuster lors du deuxième procès.

[225]      Cela dit, M. Capone admet que, lors de l’une de ces rencontres, Me Rougeau l’a interrompu pour qu’il ne parle pas des informations qui avaient été glanées par l’enquête. Après cet incident, un autre policier lui a dit qu’on « dira pas à Richard la partie que t’sais, la poursuite a pas été bonne ».

[226]      M. Capone insiste également sur le fait qu’il pensait que toute l’enquête avait été divulguée à l’appelant.

[227]      Le contre-interrogatoire de M. Capone fait ressortir qu’il n’a pas participé à la confection du deuxième cahier de procès de la poursuite; que les policiers de Québec enquêtant sur le jury n’ont jamais été impliqués dans le projet Honorer et que les policiers de Québec ne lui ont jamais demandé d’information par rapport à la preuve présentée au premier procès.

[228]      Selon M. Capone, la condamnation de l’appelant était importante pour l’UPAC, « c’était important d’avoir Accurso », « c’est un trophée à l’UPAC ».

[229]      M. Capone est incapable de se défaire de l’intime conviction que l’enquête ne respectait pas le « fair play », car il « était illogique, inconcevable de penser que ça n’a pas aidé lors du deuxième procès », même s’il reconnaît que tous admettaient que des ajustements devaient être apportés en vue de celui-ci. Ces événements provoquent chez lui une perte de confiance envers l’UPAC, même s’il a « travaillé toute [s]a vie dans des dossiers qui impliquaient M. Accurso » et qu’il a « la Sûreté du Québec tatouée sur le cœur! ». Même si cela ne lui faisait pas plaisir, il s’est senti obligé de dénoncer la situation.

d)     Position des parties en appel

[230]      Je résume maintenant la position des parties, celle-ci plus élaborée que celle développée devant le juge du procès, à la lumière de leurs mémoires originaux et supplémentaires, le plan de plaidoirie de l’appelant et la volumineuse preuve nouvelle qui a été produite par les parties.

(i)                 L’appelant

[231]      Selon l’appelant, l’État a eu un comportement abusif et illégal en enquêtant sur la jurée no 6 de façon à avoir des renseignements privilégiés, et ce, dans le dessein de les cacher à l’appelant, en ne respectant pas les exigences de l’arrêt Stinchcombe.

[232]      L’appelant avance que le juge a erré en rejetant sommairement la requête en arrêt des procédures, alors que celle-ci s’appuyait sur une trame factuelle suffisante. Le juge aurait également erré en rejetant la requête en divulgation de preuve relative à l’enquête policière, de même qu’en refusant de « décaviarder » les documents divulgués. En appel, l’appelant nous demande d’admettre la preuve nouvelle afin d’appuyer ses prétentions et de permettre de trancher les questions qu’elle soulève.

[233]      L’argumentation de l’appelant porte sur cinq éléments : 1) la conduite de l’enquête policière; 2) l’obtention de renseignements privilégiés; 3) le processus de communication de la preuve; 4) le caviardage des renseignements; et 5) l’utilisation des renseignements dans la conduite du second procès et son équité.

 

 

1-     La conduite de l’enquête

[234]      Selon l’appelant, la conduite de l’enquête pose plusieurs problèmes.

[235]      Premièrement, il apparaît évident que les policiers ayant mené l’enquête sur les jurées étaient en conflit d’intérêts. En effet, l’UPAC s’est chargée d’enquêter sur l’avortement du premier procès, alors qu’elle était responsable de l’enquête Honorer et que les policiers de cette unité étaient assignés au deuxième procès.

[236]      De plus, les procureurs ayant analysé les fruits de l’enquête appartiennent au même bureau que les procureurs assignés au second procès, soit le Bureau de la grande criminalité. Il est inévitable que ces avocats qui travaillent ensemble aient échangé des informations. Aucune mesure d’étanchéité entre ces deux équipes n’a été prouvée par la poursuite.

[237]      Deuxièmement, l’État a enquêté sur les jurées no 1, 6 et 7 même s’il était évident dès la rencontre avec l’oncle de la jurée no 6 que la thèse d’entrave à la justice n’était pas fondée. Il s’agissait clairement d'une façon détournée d’avoir accès à des informations privilégiées relevant du secret des délibérations du jury au bénéfice de la poursuite. Cela est également démontré par la nature des questions posées aux jurées qui n’avaient aucun lien avec une possible accusation d’entrave.

[238]      Par ailleurs, l’UPAC a délibérément contourné l’exigence d’obtenir une ordonnance de la Cour afin d’avoir accès aux coordonnées des jurées. La conséquence directe de cette façon de faire est de maintenir l’appelant dans l’ignorance de l’enquête en cours.

2-     L’accès à des informations qui ne devaient pas être divulguées

[239]      Cette enquête a permis à l’État d’avoir illégalement des informations confidentielles.

[240]      D’emblée, ces informations sont protégées par le secret des délibérations, lequel est garanti par l’article 649 C.cr.

[241]      Selon l’appelant, l’État n’aurait pas dû recueillir les renseignements des membres du jury comme il l’a fait. Premièrement, cela va à l’encontre du secret des délibérations du jury, celui de la protection de la vie privée des jurés et de la protection contre le harcèlement, la censure et les représailles.

[242]      Deuxièmement, ayant eu accès à ces informations, l’État aurait dû les lui révéler par souci de transparence et d’équité.

[243]      Or, l’État récolte ces renseignements sur l’avortement du procès dans l’intention de les garder secrètes. L’objectif était d’abord de cacher l’existence même de l’enquête. N’eût été l’intuition de son procureur, l’appelant n’aurait jamais eu connaissance de l’enquête menée.

[244]      Selon l’appelant, la seule raison pour laquelle l’État n’a pas dévoilé l’existence de l’enquête et les fruits qui en découlaient est la connaissance que ce comportement était fautif.

3-     La communication de la preuve

[245]      Selon l’appelant, le processus de divulgation de la preuve a également entaché l’apparence de justice du procès.

[246]      Apprenant qu’une enquête avait été menée, l’appelant a dû présenter quatre demandes de divulgation de la preuve. Malgré ces demandes répétées, l’appelant n’a pu obtenir que certaines des informations caviardées.

[247]      Il estime que cette situation est problématique dans la mesure où l’appelant a dû forcer l’obtention de ces renseignements, alors qu’il s’agit d’une responsabilité de la poursuite. La réponse tardive à sa demande de divulgation démontre l’absence de transparence de la part de la poursuite. Ce faisant, la poursuite agit à l’encontre de son rôle quasi judiciaire, lequel lui impose d’agir, en matière de communication de la preuve, en respectant les principes de modération et d’impartialité, de manière à assurer la bonne administration du procès.

4-     Le caviardage des renseignements

[248]      Le caviardage des renseignements communiqués mine aussi l’équité du procès.

[249]      Même lorsque la poursuite a finalement accepté de communiquer les fruits de l’enquête policière, elle a laissé une grande portion caviardée. Les renseignements caviardés procurent nécessairement un avantage à la poursuite.

[250]      L’appelant aurait dû avoir accès aux mêmes renseignements. Sans la connaissance des portions de l’enquête caviardée, les deux parties ne pouvaient se trouver à armes égales lors du second procès.

5-     L’équité du deuxième procès

[251]      Pour l’appelant, la preuve nouvelle vient renforcer tous ses arguments, en plus de prouver un élément essentiel dans la démonstration de la violation de l’équité du procès : les renseignements privilégiés recueillis lors de l’enquête sur l’avortement du premier procès ont servi à la poursuite dans le cadre du second procès afin d’augmenter les chances d’une condamnation de l’appelant.

[252]      Le témoignage de M. Capone confirme de nombreux manquements de la part de la poursuite envers le système de justice déjà allégués dans le mémoire de l’appelant. Ainsi, il confirme notamment que l’État a enquêté sur les jurées en l’absence d’une ordonnance de la Cour et sans égard à leur vie privée. Il révèle également que les policiers ont effectivement posé des questions portant sur des sujets protégés par le secret des délibérations.

[253]      Qui plus est, le témoignage de M. Capone démontre que l’État a agi dans l’intention de cacher ces informations à l’appelant et a utilisé les fruits de l’enquête dans la préparation du second procès.

[254]      Sur la question de l’admissibilité de la preuve nouvelle, l’appelant fait valoir que la Cour devrait admettre cette preuve. Tant la pertinence, le caractère plausible que la valeur probante militent pour son admissibilité.

[255]      En premier lieu, l’appelant affirme qu’il a été diligent dans la présentation de cette preuve nouvelle. En effet, cette preuve n’était pas disponible au moment de présenter les requêtes en appel en 2018. M. Capone s’est manifesté après avoir pris connaissance de l’avis d’appel.

[256]      En deuxième lieu, l’appelant considère que cette preuve est pertinente quant à la réparation demandée en appel, puisqu’elle porte sur le comportement inéquitable de l’État.

[257]      Concernant le caractère plausible de la preuve nouvelle, l’appelant estime qu’il provient du caractère du sergent-détective Capone. Il s’agit d’un policier expérimenté, dont l’honnêteté et l’intégrité sont établies. Les trois policiers appelés par la poursuite ont d’ailleurs souligné que M. Capone était un homme de confiance.

[258]      Finalement, l’appelant est d’avis que cette preuve est susceptible d’influer sur le résultat de l’appel. En effet, cette preuve appuie la position de l’appelant selon laquelle ses droits ont été violés, plus particulièrement ceux garantis par les articles 7 et 11d) de la Charte, par le comportement abusif et probablement illégal de l’État.

(ii)                La poursuite

[259]      Pour la poursuite, le comportement de l’État relativement à l’enquête policière faite à la suite de l’avortement du procès est exempt de fautes.

1-     Le bien-fondé de l’enquête

[260]      En ce qui a trait à l’enquête en elle-même, la poursuite considère, à l’instar du juge de première instance, qu’elle était motivée par la nécessité de s’assurer qu’il n’y avait pas eu d’entrave à la justice auprès de la jurée no 6 et non par un désir d’obtenir des informations privilégiées. C’est donc dans l’intérêt de la justice que cette enquête a été mise en branle. Le juge d’instance a considéré que l’enquête était opportune et il n’y a aucune raison d’usurper son rôle de décideur.

[261]      De plus, la poursuite avance qu’il n’y a eu aucun conflit d’intérêts dans le processus de l’enquête. Elle rappelle que les policiers de l’UPAC responsables de l’enquête étaient affiliés à l’équipe de Québec. Cette distanciation est suffisante pour assurer une enquête objective. Les cônes de silence mis en place sont également suffisants afin de préserver la confidentialité des renseignements confidentiels. Puis, le juge du procès a déterminé que les déclarations des procureurs et des policiers repoussaient les présomptions de conflit d’intérêts.

2-     L’information recueillie par l’enquête

[262]      Concernant l’information recueillie par l’enquête, la poursuite estime qu’elle ne vise aucun témoignage ou élément de preuve en particulier. Le juge d’instance conclut que ces renseignements sont de nature extrinsèque et ne procurent aucun avantage à la poursuite. Sur ce point, la poursuite mentionne que le cahier de procès datant du 20 mars 2018 faisait déjà état des quelques ajustements à la preuve en vue du nouveau procès. Ainsi, il est démontré que la poursuite n’a pas ajusté sa preuve en fonction d’informations provenant de l’enquête.

[263]      En outre, le secret des délibérations n’est pas en jeu ici, puisque l’opinion donnée par les jurées sur le verdict est préliminaire au délibéré. Par ailleurs, le juge conclut à bon droit que les questions sur le secret des délibérations n’ont pas d’impact sur le second procès et rien dans les informations recueillies lors de l’enquête n’est pertinent à une défense pleine et entière. Selon la poursuite, la connaissance d’une opinion préliminaire d’un autre jury ne procure aucun avantage quant à un procès distinct. Ainsi, le deuxième procès demeure à armes égales.

3-     La communication de la preuve

[264]      Le processus de divulgation de la preuve n’entache pas l’équité du procès non plus. Les fruits de l’enquête n’avaient pas à être divulgués, puisqu’ils n’ont aucune pertinence quant au second procès; ils ne concernent ni le projet Honorer ni les accusations auxquelles fait face l’appelant.

[265]      Malgré la non-pertinence de l’enquête, la poursuite décide de divulguer l’ensemble de l’enquête dans l’objectif de convaincre l’appelant que ses prétentions sont mal fondées. L’appelant essaie alors en plus d’obtenir la divulgation des parties caviardées portant sur les échanges préliminaires du jury.

[266]      Selon la poursuite, le caviardage de la preuve ne cause aucun préjudice à l’appelant. D’abord, le caviardage est limité et le résumé judiciaire détaillé donne l’information pertinente.

[267]      Puis, les parties caviardées de la preuve ne sont pas à la connaissance des procureurs assignés au procès en raison des cônes de silence établis entre les équipes. Les procureurs affirment ne pas avoir transgressé cette mesure. En somme, ces parties caviardées n’ont donné aucun avantage à la poursuivante dans la préparation du deuxième procès.

[268]      Cependant, la poursuite invoque la disposition réparatrice, dans l’éventualité où la Cour en viendrait à la conclusion que la divulgation des parties caviardées était nécessaire.

4-     La preuve nouvelle

[269]      En ce qui a trait à la preuve nouvelle, la poursuite considère qu’elle ne devrait pas être admise par la Cour.

[270]      La mise à l’épreuve de cette preuve a permis de fermer la porte aux conjectures formulées par M. Capone à l’égard du second procès de l’appelant. Les trois enquêteurs affectés à ce procès ont déclaré n’avoir reçu aucune information des fruits de l’enquête policière. Bien que l’existence de cette enquête ait été connue des procureurs, des murailles de Chine et des cônes de silence ont été mis en place.

[271]      La poursuite soutient également que les opinions et croyances de M. Capone ne constituent pas de la preuve, que ce dernier n’avait pas la charge de la conduite du second procès et n’a assisté qu’à une semaine d’audition de ce procès.

[272]      Selon elle, l’appelant ne satisfait pas le fardeau d’établir que la preuve nouvelle est probante ni qu’elle est de nature à influer sur le résultat de l’appel, compte tenu des autres éléments de preuve présentés au procès.

[273]      Premièrement, la poursuite est d’avis que le témoignage de M. Capone contient plusieurs éléments inadmissibles, car il porte notamment sur la notion de conflit d’intérêts, l’opportunité de déclencher une enquête policière, le bien-fondé de l’avortement du procès et le caviardage des notes de M. Rodrigue. Or, tous ces éléments ont été tranchés par le juge de première instance. Son témoignage contient également du ouï-dire inadmissible.

[274]      Deuxièmement, la preuve n’est pas suffisamment convaincante pour qu’on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ait influé sur le verdict. En effet, considérant l’ensemble des circonstances, on ne peut conclure que l’État ait utilisé les fruits de l’enquête policière dans le cadre du second procès de l’appelant.

[275]      De plus, même en tenant pour avérés certains propos de M. Capone, l’appelant ne fait pas la démonstration que ses droits ont été violés et que l’issue du procès en aurait nécessairement été affectée. En effet, même si les enquêteurs avaient dévoilé certaines informations périphériques obtenues lors de l’enquête à M. Capone, cela ne démontre pas qu’ils agissaient pour des motifs illégitimes et ne change rien au fait qu’aucun renseignement avantageux n’a été utilisé lors du second procès.

[276]      La poursuite estime que le témoignage de M. Capone est un témoignage d’opinion qui est affaibli à plusieurs égards. Par exemple, il est contredit par les quatre témoins appelés par la poursuite qui affirment que les ajustements du second procès n’ont aucun lien avec l’enquête policière. De plus, M. Capone souscrit sa déclaration sous serment sans connaître l’ensemble des circonstances, l’enquête policière, les requêtes présentées au premier procès et la préparation du second procès.

[277]      En conclusion, la poursuite est d’avis que cette preuve nouvelle devrait être rejetée, car l’appelant rencontre le fardeau de présentation, mais non celui de persuasion : le témoignage de M. Capone ne soutient pas la thèse la plus probable. Les prétentions de l’appelant ne sont donc pas fondées.

4.     Analyse

[278]      J’aborde maintenant l’analyse des trois moyens soulevés par l’appelant qui entourent l’enquête déclenchée à la suite de l’avortement du premier procès.

[279]      J’estime nécessaire et préférable de trancher toutes les questions soulevées[62]. En effet, la réponse à chacune de celles-ci est susceptible d’influencer la question de savoir si, à la lumière de la nouvelle preuve, la Cour doit ordonner la tenue d’une nouvelle audience sur la seule question de l’abus de procédure ou est-il plutôt possible de trancher en appel la demande en arrêt des procédures selon le dossier constitué par les parties?

a)     La communication de la preuve

[280]      Certaines questions concernant la divulgation de la preuve n’étaient toujours pas résolues à l’aube de l’audition du pourvoi au fond. Pour cette raison, la Cour a entendu, dans un premier temps, la demande de l’appelant pour que lui soient communiquées les informations caviardées qui avaient fait l’objet d’un résumé par le juge le 27 avril 2018.

[281]      Il a été ordonné à la poursuite de communiquer à l’appelant l’ensemble des informations caviardées pertinentes afin de lui divulguer la nature de l’intrusion précise dans le secret des délibérations du jury[63].

[282]      Afin de bien cerner la portée du débat en première instance et devant la Cour, il me faut revenir sur le contexte qui l’entoure.

[283]      Le rapport d’enquête sur les circonstances entourant la dissolution du jury est signé le 18 janvier 2018.

[284]      La poursuite ne communique jamais cette information à l’avocat de l’appelant.

[285]      Cette omission de communication est troublante.

[286]      Je comprends des observations de la poursuite lors de l’audition de la requête devant le juge du procès le 27 avril 2018 que la question de la communication des fruits de cette enquête policière faisait l’objet d’opinions divergentes au sein de l’équipe des procureurs.

[287]      La divergence de vues est surprenante.

[288]      Tout d’abord, l’arrêt Stinchcombe[64] pose des principes clairs au sujet de la pertinence de l’information en possession de la poursuite. Certes, la poursuite exerce un pouvoir discrétionnaire relativement à la pertinence de renseignements. Mais le juge Sopinka précise que si la poursuite « pèche, ce doit être par inclusion »[65], même si elle « n'est toutefois pas tenu[e] de produire ce qui n'a manifestement aucune pertinence »[66].

[289]      Dans les arrêts McNeil et Quesnelle, la Cour suprême précise que l’obligation de communication englobe non seulement les fruits de l’enquête, mais aussi les autres renseignements qui se rapportent manifestement à la poursuite engagée contre l’accusé. Le juge Karakatsanis résume ces principes dans l’arrêt Quesnelle[67] :

[12] Dans l’arrêt R. c. McNeil, 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66, notre Cour reconnaît que le ministère public ne peut se contenter de recevoir passivement des renseignements. Des vérifications raisonnables lui incombent lorsqu’il apprend que la police ou d’autres composantes de l’État ont en leur possession des éléments susceptibles d’être utiles à la poursuite ou à la défense. Notre Cour reconnaît aussi l’obligation de la police de communiquer, sans qu’il soit nécessaire de lui en faire la demande, « tous les renseignements se rapportant à son enquête sur l’accusé » (par. 14), ainsi que les autres renseignements qui « se rapportent manifestement à la poursuite engagée contre l’accusé » (par. 59).

[290]      L’enquête sur les circonstances entourant la dissolution du procès de l’appelant concerne manifestement la poursuite engagée contre lui[68], car elle vise la fin du procès au sujet de cette poursuite. Il est difficile de concevoir que les fruits d’une enquête policière visant les circonstances entourant l’avortement du procès d’un accusé ne doivent pas lui être divulgués, en soutenant la position que cette preuve ne concerne pas les fruits de l’enquête au sujet des infractions criminelles qui lui sont reprochées.

[291]      Il ne convient pas d’adopter une interprétation restrictive incompatible avec l’esprit du régime de communication de la preuve consacrée par l’arrêt Stinchcombe. En effet, le « concept de pertinence favorise la divulgation de preuve »[69] et « [p]eu de renseignements seront soustraits à l’obligation de communication de la preuve imposée à la poursuite »[70]. En outre, la jurisprudence établit clairement que l’obligation de communication de la preuve s’étend également aux informations qui concernent un abus de procédure[71].

[292]      Les fruits d’une enquête qui vise à élucider les circonstances qui entraînent l’avortement du procès de l’appelant en raison d’une possible entrave à la justice devaient lui être communiqués.

[293]      Je rappelle, comme l’explique le juge Sopinka, que les renseignements en possession de l’État « n’appartiennent pas au ministère public pour qu’il s’en serve afin d’obtenir une déclaration de culpabilité, mais sont plutôt la propriété du public qui doit être utilisée de manière à s’assurer que justice soit rendue »[72]. La poursuite « n’est pas une partie comme les autres »[73], elle ne peut demeurer passive[74].

[294]      Par ailleurs, même si la poursuite était d’avis que le régime applicable était celui relatif aux dossiers en possession de tiers, une proposition que j’estime particulièrement hardie, elle avait minimalement l’obligation d’en informer l’appelant pour que celui-ci puisse présenter une demande de communication de cette information.

[295]      Comme l’explique le juge Doyon dans l’arrêt Tshiamala, « ce n'est pas parce que l'information doit être protégée que la poursuite ne doit pas informer la défense de l'existence d'une preuve pertinente. Au contraire, elle doit l'en informer, sans en préciser la teneur, pour que celle-ci puisse agir en conséquence, notamment en présentant les requêtes nécessaires »[75].

[296]      Il est vrai que le contenu du rapport d’enquête établissait que certaines informations obtenues dans le cadre de l’enquête concernaient le secret des délibérations du jury. L’obtention de ces informations relevait, à tout le moins, d’une imprudence inouïe.

[297]      Une fois l’intrusion établie, l’information devenait pertinente et devait être communiquée afin de déterminer si l’exception prévue à l’article 649 C.cr. pouvait être valablement invoquée.

[298]      Les questions au sujet du verdict éventuel du jury se justifient difficilement par l’objectif de l’enquête, soit l’établissement des faits au sujet d’une entrave à la justice.

[299]      Elles constituaient, à première vue, une transgression de l’interdiction de la divulgation de « tout renseignement relatif aux délibérations du jury, alors que celui-ci ne se trouvait pas dans la salle d’audience » selon l’article 649 C.cr. En effet, cette interdiction vise tant les discussions préliminaires durant le procès que les délibérations finales du jury[76]. Cette interprétation s’avère compatible avec le fait que les jurys ne reçoivent plus de nos jours une directive leur interdisant de discuter du dossier, mais seulement de le faire lorsqu’ils sont tous réunis, avec un esprit ouvert et sans tirer de conclusions définitives avant les délibérations finales[77].

[300]      À l’égard de l’omission de communication, je tiens à préciser que je n’impute aucune mauvaise foi à qui que ce soit. D’une part, il existe une présomption que les pouvoirs de la poursuite sont exercés de bonne foi[78]. D’autre part, il faut être conscient que « [l]a nature même du processus de divulgation l’expose à l’erreur humaine et à la contestation »[79].

[301]      Cela dit, il est tout de même étonnant que confrontée à une situation inusitée, celle d’une enquête criminelle auprès de certains membres du jury après sa dissolution, l’incertitude au sujet de l’obligation de communication ait entraîné la non-communication des fruits de cette enquête plutôt que sa communication. Il me semble que les principes généraux permettaient de résoudre toute hésitation, soit par la communication de l’information ou au minimum celle de l’existence de l’enquête elle-même, ce qui aurait permis à l’appelant de présenter les demandes qu’il estimait nécessaires[80].

[302]      Toute préoccupation au sujet du fait que la communication des fruits de l’enquête puisse contrevenir à l’article 649 C.cr. pouvait se résoudre après la divulgation de l’existence de l’enquête elle-même.

[303]      D’ailleurs, la position adoptée par la poursuite au sujet des informations qui devaient être caviardées en raison du fait que les informations glanées ne pouvaient être révélées, vu l’interdiction prévue à l’article 649 C.cr., confirme le fait que les questions n’auraient pas dû être posées par les policiers ayant procédé à cette enquête, même si ceux-ci menaient une enquête concernant une possible entrave à la justice, une exception reconnue au terme de l’article 649 C.cr. et de l’arrêt Pan[81].

[304]      Le problème, s’il y en avait un, n’était pas l’enquête elle-même qui était nécessaire, mais sa portée et son exécution. Sa mise en œuvre exigeait prudence et doigté pour éviter de transgresser les dispositions impératives de l’art. 649 C.cr. à moins que les exigences de l’enquête ne le justifient.

[305]      Le manque de transparence de la poursuite a nourri des inquiétudes légitimes chez l’appelant. Dans les circonstances, il ne faut guère se surprendre que l’appelant ait présenté une requête en arrêt des procédures fondée sur l’allégation que cette information avait avantagé la poursuite dans la préparation du deuxième procès et que l’enquête elle-même ou la manière dont elle a été déployée portaient atteinte à l’intégrité du système judiciaire.

[306]      Cependant, comme je l’expliquerai, la prétention de l’appelant selon laquelle la poursuite a bénéficié d’un avantage indu, en utilisant l’information contenue dans le rapport d’enquête afin de réajuster sa preuve lors du second procès, n’est pas fondée. L’obligation de communication a été satisfaite lorsque la poursuite lui a communiqué l’essentiel des fruits de l’enquête le 26 avril 2018, et ce, même s’il subsistait encore certaines informations caviardées.

[307]      Même si j’estime que le juge aurait dû décaviarder complètement les informations révélées par les jurées, y compris leur opinion préliminaire (le seul moyen de mettre les parties sur le même pied), cela n’a pas enfreint l’équité du procès, car l’appelant possédait la substance de celles-ci peu de temps avant le début du deuxième procès. Le résumé du juge lui permettait de connaître, ni plus ni moins, les mêmes informations que la poursuite.

b)     Le rejet sommaire de la requête en arrêt des procédures

[308]      L’appelant soutient que le juge ne devait pas rejeter sommairement sa requête sans l’entendre au fond. Je suis d’accord avec l’appelant.

[309]      Il est vrai que, depuis la décision du juge, plusieurs décisions de notre Cour[82] ont discuté spécifiquement du rejet sommaire et de la prudence nécessaire dans sa mise en œuvre. Nul doute que cette jurisprudence apporte un regard plus complet sur la question et que la solution retenue par le juge aurait été autre si elle avait été portée à sa connaissance.

[310]      Le pouvoir de rejeter sommairement une requête selon la Charte a été reconnu au début des années 1990 d’abord dans l’arrêt Kutynec[83] de la Cour d’appel de l’Ontario et, plus tard, dans l’arrêt Vukelich[84] de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

[311]      En 2017, la Cour suprême entérine cette approche dans l’arrêt Cody[85].

[312]      Dans l’arrêt Kutynec, le juge Finlayson explique qu’une audition ne doit pas être tenue lorsque la demande ne révèle aucun fondement pour conclure à une violation de la Charte « no basis for a finding of a Charter infringement »[86]. Le juge Finlayson ajoute que le juge doit écarter les demandes sans aucun fondement et trancher seulement celles qui possèdent un mérite potentiel « with potential merit »[87].

[313]      Au nom de la même formation, dans l’arrêt Loveman rendu le même jour, le juge Doherty précise que la prudence est de mise : « Clearly, where a Charter right is at stake, a trial judge will be reluctant to foreclose an inquiry into an alleged violation »[88].

[314]      Dans l’arrêt Brûlé, mon collègue le juge Vauclair décrit la circonspection qui encadre le rejet sommaire d’une demande en vertu de la Charte :

[31] D’abord, je rappelle que la prudence est toujours de mise avant de rejeter sommairement une requête a priori légitime : Directrice des poursuites criminelles et pénales c. Grich, 2019 QCCA 6, par. 25; R. c. M.G., 2019 QCCA 1170, par. 35; R. c. Greer, 2020 ONCA 795; R. c. Kazman, 2020 ONCA 22, par. 15; R. c. Abdulkadir, 2020 ABCA 214, par. 21-23 et 90-93. Dans l’arrêt Valcourt, la Cour a précisé qu’une demande ne peut pas être jugée abusive, c’est-à-dire manifestement mal fondée et frivole, sans une considération de l’ensemble des circonstances : R. c. Valcourt, 2019 QCCA 903; R. c. Jordan, [2016] 1 R.C.S. 631, par. 63; R. c. Rice, 2018 QCCA 198, par. 63-65; R. c. Dupuis, 2016 QCCA 1930. La Cour a déjà désapprouvé la stratégie consistant à présenter de telles demandes en rejet, sauf lorsque la requête visée est manifestement frivole : R. c. Ouellet, 2021 QCCA 386, par. 12. Cela dit, le demandeur doit être prêt à résumer la preuve qu’il prévoit présenter lors du voir-dire et le juge peut rejeter sommairement la requête qui ne présente aucune chance raisonnable de succès : R. c. Cody, [2017] 1 R.C.S. 659, par. 38. Dans l’arrêt Rice, la Cour rappelle que la souplesse est requise puisque le demandeur ignore parfois le contenu précis des renseignements demandés ou ce que les témoins viendront dire : R. c. Rice, 2018 QCCA 198, par. 64, citant R. c. Kutynec (1992), 70 C.C.C. (3d) 289, 302 (C.A.O.)[89].

[315]      La précaution qui entoure l’exercice du pouvoir de rejeter sommairement une demande fondée sur la Charte repose sur la conséquence qui en découle : cette décision prive l’accusé d’une audition pour tenter d’établir la violation de ses droits constitutionnels.

[316]      Or, il ne faut pas perdre de vue que « la décision historique d'enchâsser la Charte dans notre Constitution a été prise non pas par les tribunaux, mais par les représentants élus de la population canadienne. Ce sont ces représentants qui ont étendu la portée des décisions constitutionnelles et confié aux tribunaux cette responsabilité à la fois nouvelle et lourde »[90].

[317]      À cet égard, la « Charte a apporté un changement de philosophie important quant à la réception de la preuve obtenue de façon irrégulière ou illégale »[91], car elle « accorde une importance prépondérante aux droits de la personne ainsi qu'à l'équité et à l'intégrité du système judiciaire »[92].

[318]      Parlant du pouvoir d’exclure la preuve selon le paragraphe 24(2) de la Charte, la Cour suprême explique dans l’arrêt Grant que « [l]’existence d’une violation de la Charte signifie que l’administration de la justice a déjà été mise à mal »[93] et que ce pouvoir comporte un objet sociétal et une portée systémique[94]. L’objet du paragraphe 24(2) « se rapporte aux importantes répercussions de l’utilisation d’éléments de preuve sur la considération à long terme portée au système de justice »[95].

[319]      Les garanties juridiques prévues aux articles 7 à 14 « poursuivent un double objet, celui de protéger les droits de la personne détenue et celui de préserver l’intégrité de notre système de justice et la considération dont il jouit »[96].

[320]      La reconnaissance de ces droits constitutionnels comprend le droit de saisir les tribunaux pour en assurer le respect. La protection des droits constitutionnels peut devenir purement illusoire si l’accès aux tribunaux est gêné ou nié indûment[97], même si cet accès n’est pas absolu[98]. À mon avis, le principe de l’accès à la justice commande que les règles en matière de rejet sommaire « soient interprétées avec souplesse de manière à ne pas empêcher les [accusés] de faire valoir leurs droits constitutionnels »[99].

[321]      Comme l’explique le juge Lamer dans l’arrêt Nelles c. Ontario[100], « il est indispensable pour assurer la sanction »[101] d’une violation de la Charte « que [l’accusé] puisse s'adresser au tribunal compétent afin d'obtenir réparation »[102], car « [c]réer un droit sans prévoir de redressement heurte de front l'un des objets de la Charte qui permet assurément aux tribunaux d'accorder une réparation en cas de violation de la Constitution »[103].

[322]      Il est aussi d’intérêt de noter que dans l’arrêt Pires (une décision qui considère l’arrêt Vukelich), la juge Charron souligne que lorsque l’accusé cherche à obtenir l’autorisation de contre-interroger le déclarant au soutien d’une autorisation d’écoute électronique, il n’a pas à démontrer que le contre-interrogatoire envisagé sera fructueux[104] ou qu’il permettra de réfuter une ou plusieurs des conditions légales préalables à la délivrance de l’autorisation d’écoute. Il « suffit d’établir, […] la probabilité raisonnable que le contreinterrogatoire aidera le tribunal à trancher une question substantielle (a material issue) »[105].

[323]      Pour repousser une demande en rejet sommaire de la poursuite, l’accusé n’a pas à établir qu’il convaincra le juge de l’existence d’une violation de ses droits constitutionnels, mais seulement que celle-ci n’est pas manifestement frivole, car elle est susceptible d’être accueillie[106].

[324]      Par ailleurs, la requête en rejet sommaire exige, comme toutes les demandes de la nature d’une irrecevabilité, que les faits allégués soient tenus pour avérés[107]. À cette fin, le juge interprète les faits « de la manière la plus généreuse qui soit »[108]. Certes, le principe d’accès aux tribunaux n’est pas absolu. Malgré cela, le rejet sommaire d’une demande fondée sur la Charte devrait obéir aux mêmes exigences que celles encadrant l’irrecevabilité dans d’autres circonstances[109].

[325]      Pour conclure, la requête en rejet sommaire, notamment celle qui concerne la violation d’un droit constitutionnel, ne saurait donc être accueillie qu’avec circonspection[110]. Comme l’expliquait récemment la Cour suprême dans l’arrêt Samaniego, « le pouvoir de gestion de l’instance est un outil essentiel et versatile; il doit toutefois être exercé avec prudence »[111].

[326]      Évidemment, la Cour suprême encourage la souplesse quant à la présentation des faits lors de l’audition d’un voir-dire constitutionnel, notamment par l’utilisation des déclarations sous serment[112].

[327]      Le contre-interrogatoire s’avère indispensable lors du procès[113], mais il peut parfois être assujetti à une autorisation préalable lors d’un voir-dire constitutionnel. En effet, comme l’explique la Cour suprême dans l’arrêt Pires « [l]a mesure dans laquelle il devient un complément indispensable du droit à une défense pleine et entière dépend du contexte »[114].

[328]      Le juge ne pouvait pas rejeter sommairement la demande de l’appelant et conclure que les mesures mises en place (murailles de Chine et/ou cônes du silence) étaient satisfaisantes, tout en lui refusant le droit de contre-interroger les policiers ayant conduit l’enquête et qui faisaient état de certaines de ces mesures dans leurs déclarations sous serment.

[329]      La requête présentée par l’appelant n’était pas manifestement frivole.

[330]      À la lumière des faits présentés devant lui, le juge aurait dû autoriser l’appelant à contre-interroger les policiers impliqués dans l’enquête policière dont les déclarations sous serment avaient été produites par la poursuite dans le cadre du débat, car le fondement le justifiant était suffisant[115].

[331]      Sans aucune raison apparente ou pistes légitimes d’enquête qui rendaient cette intrusion nécessaire, le dossier établissait vraisemblablement que l’enquête policière avait transgressé le secret des délibérations du jury qui est protégé par l’article 649 C.cr. Cette intrusion illégale et inexplicable justifiait une audition au cours de laquelle l’appelant aurait pu contre-interroger les policiers.

[332]      La question n’était pas de savoir si l’appelant allait persuader le juge d’ordonner un arrêt des procédures, mais si une audition devait être tenue. J’estime que oui.

[333]      Je suis pleinement conscient que le juge du procès devait trancher ces questions à l’aube du début du deuxième procès. Par contre, la tardiveté du débat résulte de l’omission de la poursuite de communiquer la preuve à l’appelant. Malgré la proximité du commencement du deuxième procès, l’intrusion de l’enquête policière dans le secret des délibérations du jury imposait la tenue d’un voir-dire constitutionnel.

c)     L’abus de procédure et la preuve nouvelle

[334]      Normalement, une preuve nouvelle concerne des faits qui auraient pu influencer l’issue du procès à l’égard de la déclaration de culpabilité. Ainsi, lorsque la cour d’appel juge que la nouvelle preuve est admissible, probante et aurait eu un impact sur le résultat du procès, un nouveau procès est alors ordonné. Parfois, la nouvelle preuve concerne des éléments extrinsèques au procès lui-même. La représentation ineffective ou les omissions en matière de communication de la preuve en sont des exemples.

[335]      Dans le présent dossier, la nouvelle preuve concerne l’existence d’un abus de procédure qui, selon l’appelant, justifie l’arrêt des procédures ou, comme il l’a fait valoir devant nous, à tout le moins, la tenue d’une nouvelle audition sur cette question.

[336]      Il ne s’avère pas nécessaire de discuter longuement de la question de savoir si la preuve nouvelle satisfait les exigences reconnues. Puisque le juge avait rejeté sommairement la demande en arrêt des procédures de l’appelant, la preuve des circonstances entourant l’enquête policière déclenchée après l’avortement du premier procès était incomplète.

[337]      La preuve a été constituée et produite par les parties. Elle satisfait aux exigences jurisprudentielles et est admissible[116].

[338]      Une question demeure entière. Qui doit décider si la conduite de l’enquête policière et ses suites justifient un arrêt des procédures : la Cour ou un juge lors d’une nouvelle audition? En effet, comme on le sait, une cour d’appel dispose du pouvoir d’ordonner une nouvelle instruction restreinte à la question de l’abus de procédure selon le paragraphe 686(8) du Code criminel[117].

[339]      Même si la preuve testimoniale est en partie contradictoire, j’estime qu’il s’agit d’un cas « où l’observation et l’audition des témoins ne sont pas particulièrement indispensables pour statuer »[118] sur la demande d’arrêt des procédures.

[340]      En effet, compte tenu des arguments présentés, la preuve constituée par les parties permet de déterminer si la conduite de l’État est telle qu’elle constitue un abus de procédure justifiant un arrêt des procédures[119].

[341]      Au sujet de la preuve présentée, il est utile de faire ressortir que les policiers impliqués dans l’enquête policière déclenchée après l’avortement du procès n’ont pas été interrogés par les parties dans le cadre de la nouvelle preuve. Ceux-ci avaient tous souscrit le 26 avril 2018 des déclarations sous serment qui avaient été produites devant le juge, lors de l’audition de la requête en arrêt des procédures. Ils y affirmaient n’avoir « transmis aucune information ayant trait au contenu des déclarations ou en lien avec le secret des délibérés aux enquêteurs ou aux procureurs assignées au projet Honorer ».

[342]      Voyons d’abord la preuve présentée par l’appelant : la déclaration sous serment et le témoignage du policier Capone. La crédibilité et la fiabilité de ce témoignage doivent être évaluées à la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris la preuve documentaire, afin de déterminer si un arrêt des procédures est nécessaire au regard de la conduite répréhensible de l’État.

[343]      Cette analyse concerne les deux types de conduite de l’État qui peuvent justifier un arrêt des procédures : 1) la conduite qui compromet l’équité du procès d’un accusé (la catégorie « principale »); 2) la conduite qui ne présente aucune menace pour l’équité du procès, mais qui risque de miner l’intégrité du processus judiciaire (la catégorie « résiduelle »)[120].

(i)                 L’enquête a-t-elle compromis l’équité du procès de l’appelant?

[344]      Le policier Capone est un policier expérimenté que ses collègues décrivent dans le cadre de la nouvelle preuve comme une personne de confiance. Il est difficile d’identifier un intérêt quelconque pour expliquer son témoignage en faveur de M. Accurso. Il affirme d’ailleurs qu’il a couru après M. Accurso toute sa carrière.

[345]      Peu de facteurs semblent affecter la sincérité ou l’honnêteté de M. Capone[121]. À cet égard, la poursuite demande de considérer, à titre de preuve nouvelle[122], l’arrêt de notre Cour dans Solomon c. Québec (Procureur général)[123], affaire dans laquelle M. Capone a été condamné à payer 5 000 $ en dommages punitifs à deux plaignants à la suite d’une intervention policière. De manière plus pointue, la poursuite désire que la Cour considère les conclusions défavorables à l’encontre de la crédibilité et de la fiabilité du témoignage de M. Capone contenues dans cette décision.

[346]      J’estime que cette demande doit être rejetée pour trois raisons. M. Capone n’a pas été contre-interrogé sur cette affaire, la considérer serait hautement inéquitable pour le témoin. Par ailleurs, il est même loin d’être certain qu’un tel contre-interrogatoire soit possible ou utile pour nous permettre de tirer quelque conclusion que ce soit[124]. De plus, cette preuve n’est pas admissible, car on ne peut pas importer les conclusions de fait tirées dans un autre dossier ou au sujet de la crédibilité d’un témoin puisqu’il s’agit d’une preuve extrinsèque[125] et que, de toute façon, le témoignage d’un témoin peut ne pas être crédible ou fiable dans une affaire, mais l’être dans une autre.

[347]      À l’instar de la poursuite, je reconnais cependant que plusieurs facteurs affectent la fiabilité qu’on peut accorder au témoignage de M. Capone, en particulier sa capacité limitée d’observer les faits pertinents à la conduite de l’enquête qui a été menée[126].

[348]      En effet, le témoignage de M. Capone repose en partie sur ses impressions ou son opinion personnelle au sujet du bien-fondé de l’enquête et le moment où celle-ci devait être effectuée.

[349]      En outre, si l’enquête policière avait réellement eu pour objectif d’obtenir de ces jurées une opinion complète au sujet de la preuve présentée, les informations révélées par les jurées rencontrées ne se limiteraient pas à une impression générale sur la qualité de la preuve et la perspective d’un acquittement de l’appelant.

[350]      On ne trouve aucun indice, dans les déclarations et dans les notes des policiers, que des questions plus pointues ont été posées aux jurées pour identifier d’une manière plus ciblée les failles ou faiblesses particulières de la preuve de la poursuite.

[351]      Par ailleurs, les réflexions communiquées aux policiers par les jurées interrogées au sujet de la preuve et de la perspective de l’acquittement éventuel de l’appelant correspondent en tout point aux constats que les policiers et les procureurs affectés au dossier avaient eux-mêmes tirés durant le procès selon les dires mêmes du policier Capone. De plus, la nature des commentaires des jurées ne dépassait guère une impression générale que l’appelant allait être acquitté et que la cause présentée par la poursuite n’allait pas convaincre les jurés de sa culpabilité.

[352]      Ce constat me semble crucial. L’enquête déclenchée porte atteinte à l’équité du procès si elle a fourni un avantage à la poursuite ou lui a procuré des informations qui lui ont permis d’ajuster sa stratégie de procès d’une manière inéquitable pour l’appelant.

[353]      L’impression et la certitude qui habitent M. Capone que l’enquête a permis à la poursuite de s’ajuster ne font pas la preuve que cela était le cas ou que l’enquête visait cet objectif.

[354]      À cet égard, l’appelant n’identifie pas d’éléments précis pour établir que les fruits de l’enquête expliquent la réévaluation du dossier par la poursuite. Selon le témoignage de M. Capone, celle-ci s’imposait d’emblée pour tous.

[355]      À mon avis, les judicieuses observations du juge Binnie dans l’arrêt Rose au sujet de la stratégie ou la thèse de la poursuite scellent le sort du débat. Il affirme que « la thèse du ministère public est une cible mobile qui se déplace suivant les événements survenant au cours du procès, y compris la teneur de l’exposé final de la défense au jury »[127].

[356]      La sagesse de cette réflexion ne s’étiole pas lorsqu’un nouveau procès doit être tenu après l’avortement du premier procès. Les ajustements sont inévitables lors de la reprise de tout procès, que ce soit lorsqu’une cour d’appel l’ordonne ou après un avortement de procès.

[357]      Le résumé, préparé par le juge du procès lors de l’audition de la demande de communication de la preuve, a fourni à l’appelant la substance des informations révélées durant l’enquête. Tant l’exposé supplémentaire de l’appelant que son plan de plaidoirie devant nous démontrent que l’appelant en possède la substantifique moelle.

[358]      En l’absence d’autres éléments qui indiqueraient que les policiers ou les procureurs ont eu accès à des éléments particularisés expliquant certains aspects identifiables dans la réévaluation de la stratégie de la poursuite, je suis d’avis qu’il n’y a pas eu d’atteinte au droit de l’appelant à un procès équitable qui a été révélée, perpétuée ou aggravée par la tenue du deuxième procès, par son déroulement ou par son issue.

[359]      Même en interprétant la nouvelle preuve de la manière la plus favorable pour l’appelant, celle-ci ne justifie pas la conclusion que l’enquête a porté atteinte à l’équité de son procès ni même qu’une nouvelle audition restreinte à la seule question de l’abus de procédure s’avère nécessaire.

(ii)                L’enquête porte-t-elle atteinte à l’intégrité du système judiciaire?

[360]      L’appelant fait valoir plusieurs arguments qui concernent ce volet.

[361]      Tout comme le policier Capone, il estime qu’il n’y avait aucune urgence à la tenue de l’enquête.

[362]      Il soutient que le déclenchement de l’enquête était inexplicable, voire illogique.

[363]      Il fonde son argumentaire sur le fait qu’il n’est pas raisonnable de croire : 1) qu’il ait soudoyé une jurée pour faire avorter son procès plutôt que de rechercher un acquittement, compte tenu du fait que la tenue du nouveau procès a entraîné la présentation d’une preuve plus accablante contre lui; 2) qu’il aurait choisi de faire avorter son procès au moment le plus désavantageux pour lui, après la plaidoirie de son avocat, mais avant celle de la poursuite; 3) qu’il aurait soudoyé une jurée qui se disait parfaitement capable de faire abstraction des informations obtenues lors des délibérations; 4) pourquoi aurait-il voulu chercher à faire annuler son procès qui, de l’avis de tous, se déroulait bien pour lui?

[364]      Il ajoute que l’enquête avait un motif officiel et un motif oblique abusif que révèlent les questions posées et les commentaires sollicités par les policiers. Il soulève une possible contradiction sur l’origine de l’enquête, des doutes quant à l’existence même de murailles de Chine et il réitère que l’enquête policière révélait une volonté délibérée de plonger dans le secret des délibérations.

[365]      La thèse que développe l’appelant exige de se demander si l’enquête menée après l’avortement du procès a dépassé les limites acceptables d’une manière si importante qu’un arrêt des procédures est impérieux pour préserver l’intégrité du système judiciaire.

[366]      Voyons ce qu’il en est.

[367]      Quelles sont les limites à la recherche de la vérité lors de la conduite d’une enquête criminelle? Ont-elles été supplantées dans la présente affaire?

[368]      Dans l’arrêt Noël[128], la juge Arbour décrit les limites imposées à la quête de la recherche de la vérité dans la poursuite des infractions criminelles:

[N]otre système de justice pénale n’a jamais permis la recherche de la vérité à tout prix et par tout moyen.  C’est le vicechancelier Sir J. L. Knight Bruce qui a le mieux résumé ce principe dans l’énoncé classique qui suit :

[TRADUCTION] Les cours de justice ont sans contredit pour principal objectif la recherche, la défense et la découverte de la vérité; mais tous les moyens ne leur sont pas permis — et ne devraient pas leur être permis — pour réaliser cet objectif, si valable et important soit-il; elles ne peuvent chercher honorablement à l’atteindre sans faire preuve de modération, au prix de l’injustice ou par des moyens inéquitables. [. . .] La vérité est comme toute bonne chose : parfois on la chérit à l’excès, on la recherche trop ardemment, on la paie trop cher. [Pearse c. Pearse (1846), 1 De G. & Sm. 12, 63 E.R. 950, p. 957]

[369]      Autrement dit, comme l’explique la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Harrison, la fin ne justifie pas les moyens[129].

[370]      Dans l’arrêt Babos, le juge Moldaver aborde cette question lorsqu’il définit la portée de la catégorie résiduelle pouvant justifier un arrêt des procédures :

[L]orsque la catégorie résiduelle est invoquée, il s’agit de savoir si l’État a adopté une conduite choquant le sens du francjeu et de la décence de la société et si la tenue d’un procès malgré cette conduite serait préjudiciable à l’intégrité du système de justice.  Pour dire les choses plus simplement, il y a des limites au genre de conduite que la société tolère dans la poursuite des infractions.  Parfois, la conduite de l’État est si troublante que la tenue d’un procès — même un procès équitable — donnera l’impression que le système de justice cautionne une conduite heurtant le sens du francjeu et de la décence qu’a la société, et cela porte préjudice à l’intégrité du système de justice.

[371]      Est-ce que le déroulement de l’enquête et ses suites révèlent une conduite qui justifie l’arrêt des procédures contre l’appelant?

[372]      Je commence par la question de savoir s’il y avait urgence de procéder à l’enquête et si l’enquête elle-même était justifiée.

[373]      Selon les principes établis par l’arrêt CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général)[130], une enquête criminelle doit être prompte et approfondie. Elle vise à rassembler tous les éléments de preuve pertinents de manière à permettre une prise de décision judicieuse et éclairée sur l’opportunité de porter des accusations. L’enquête doit être objective. Celle-ci n'est pas restreinte aux seuls éléments de preuve qui incriminent le suspect visé, car ceci serait incompatible avec notre système de justice. Elle vise aussi la découverte des éléments de preuve disculpatoires.

[374]      Il ne fait pas de doute que l’enquête devait être menée avec célérité et je partage l’évaluation du juge du procès que celle-ci était justifiée.

[375]      Dans un procès qui concerne la corruption d’élus et de fonctionnaires municipaux, il aurait été bien naïf que les policiers ne considèrent pas la possibilité d’une intervention inappropriée, voire criminelle, et ce, même s’il est vrai que les informations communiquées par l’oncle de la jurée ne pouvaient que fortifier la conclusion que l’appelant était coupable.

[376]      Puisque l’enquête devait être complète, elle ne devait pas nécessairement se terminer après la rencontre avec l’oncle. D’une part, la version de sa nièce aurait pu être différente. D’autre part, il n’était pas déraisonnable de vouloir vérifier la nature des informations que celle-ci avait partagées avec ses collègues du jury.

[377]      Malgré tout, l’appelant soulève certaines préoccupations tout à fait légitimes.

[378]      En effet, même si une enquête criminelle à l’égard d’une possible entrave à la justice est une exception reconnue à l’article 649 C.cr. au principe du secret des délibérations, il fallait prendre toutes les précautions nécessaires pour minimiser toute intrusion inutile dans ce secret, ce qui n’a pas été le cas.

[379]      Par contre, le témoignage de M. Capone n’établit pas que l’enquête elle-même visait la préparation d’une meilleure preuve pour le deuxième procès.

[380]      Comme je l’ai indiqué auparavant, si cela avait été le cas, on trouverait dans les déclarations des témoins rencontrés ou dans les notes des policiers des traces qui établiraient ou trahiraient une telle intention.

[381]      Or, je le répète, les informations recueillies auprès des jurées concordent avec l’évaluation des policiers et des procureurs du premier procès.

[382]      Sans être banales, ces informations ne se distinguent pas d’une manière qui permet une réorientation de la preuve présentée par la poursuite d’une manière ciblée, si ce n’est que la volonté de la parfaire en fonction des faiblesses ou des failles qui étaient apparentes aux yeux de tous.

[383]      Que l’enquête ait été menée par des policiers de l’UPAC, mais de Québec, et supervisée par des procureurs du même bureau que ceux chargés du deuxième procès de l’appelant n’était pas optimal pour consacrer l’indépendance de celle-ci ou son apparence d’indépendance.

[384]      L’étanchéité des mesures mises en place pour que les informations recueillies ne filtrent pas jusqu’aux enquêteurs ou aux procureurs responsables du deuxième procès ne semble pas avoir été parfaite, selon l’impression de M. Capone.

[385]      Mais voilà tout le problème, la fiabilité des perceptions de ce dernier se bute aux déclarations sous serment des policiers ayant procédé à l’enquête et qui affirment le contraire (l’appelant n’a pas demandé à les contre-interroger dans le cadre de la nouvelle preuve) de même que le témoignage de tous ceux qui ont été entendus dans le cadre de la nouvelle preuve présentée par la poursuite.

[386]      De plus, comme le fait valoir avec raison la poursuite, M. Capone n’avait pas accès à plusieurs éléments d’information, ce qui l’empêchait de formuler autre chose qu’une impression.

[387]      Quant à l’allégation de l’appelant selon laquelle un enquêteur aurait contourné l’exigence qu’aurait formulée le juge de la nécessité d’une ordonnance avant de communiquer les coordonnées des jurées, la trame factuelle est mince et incertaine.

[388]      Le juge ne parle pas de cette question dans sa décision rejetant sommairement la requête de l’appelant. Si le juge avait été d’avis qu’on avait contourné la teneur d’une ordonnance qu’il avait rendue, il en aurait traité. Cela dit, je ne vois rien d’inconvenant à ce que les policiers aient utilisé les bases de données policières à leur disposition pour localiser des témoins, même s’il s’agissait de jurées[131].

[389]      La Cour suprême a été saisie de deux affaires qui mettaient en cause la conduite policière durant le processus de sélection du jury et la résolution de ces affaires nous aide à trancher les moyens que fait valoir l’appelant.

[390]      Dans l’affaire Latimer, l’avocat de la poursuite et un agent de la GRC « avaient préparé un questionnaire demandant aux candidats jurés quelle était leur opinion sur un certain nombre de questions, dont la religion, l’avortement et l’euthanasie »[132]. Or, des 30 candidats jurés qui avaient répondu au questionnaire, cinq faisaient partie du jury qui a déclaré M. Latimer coupable[133].

[391]      La Cour suprême conclut qu’il y avait « entrave au processus de formation du jury » d’une manière telle qu’il s’agissait d’un « abus de procédure flagrant et une entrave à l’administration de la justice » et que cela portait atteinte à l’apparence de justice justifiant la tenue d’un nouveau procès[134]. Dans cette affaire, où la conduite inspirait une crainte raisonnable de partialité « la réparation moindre consistant en un nouveau procès convenait »[135].

[392]      Dans l’arrêt Yumnu[136], la vérification des antécédents judiciaires des candidats jurés dans des bases de données policières était allée trop loin, car la poursuite « n’aurait pas dû demander à la police de se servir de ses bases de données pour repérer les […] « personnes peu recommandables », et « qu’[elle] aurait dû communiquer à la défense les renseignements obtenus qui pouvaient être pertinents pour le processus de sélection »[137] du jury.

[393]      Cependant, le juge Moldaver conclut que « la vérification des dossiers a été menée de bonne foi. Ni la police ni le ministère public n’ont tenté d’obtenir des renseignements au sujet des candidats jurés dans le but d’obtenir un jury favorable »[138].

[394]      Deux passages de l’opinion du juge Moldaver résument ses observations qui écartent la nécessité d’ordonner la tenue d’un nouveau procès :

[15] Quant à l’apparence d’iniquité et à l’argument selon lequel les verdicts sont le fruit d’une erreur judiciaire, je reconnais volontiers que certains aspects de la conduite du ministère public étaient inappropriés et ne devraient pas être répétés.  Néanmoins, je ne suis pas persuadé que ce qui s’est passé en l’espèce constituait une entrave sérieuse à l’administration de la justice, ni que cela heurtait le sens du francjeu et de la décence qu’a la société au point où la procédure devrait être annulée pour cause d’erreur judiciaire.

[89] Dans ces circonstances s’il est vrai que le ministère public n’aurait pas dû demander à la police de se servir de ses bases de données pour repérer les [traduction] « personnes peu recommandables », et qu’il aurait dû communiquer à la défense les renseignements obtenus qui pouvaient être pertinents pour le processus de sélection, je ne suis toutefois pas convaincu que ce qui s’est passé en l’espèce constituait une entrave sérieuse à l’administration de la justice, ni que cela heurtait le sens du francjeu et de la décence qu’a la société justifiant l’annulation de la procédure pour cause d’erreur judiciaire.

[395]      La conduite dans le dossier Latimer est plus sérieuse que dans la présente affaire, alors que celle examinée dans Yumnu présente certaines similitudes. En effet, il s’agit d’une enquête légitime dont certains aspects posaient problème et qui était accompagnée d’une omission de communication de la preuve recueillie.

[396]      En l’espèce, j’estime que la preuve est insuffisante pour établir une atteinte à l’intégrité du système judiciaire.

[397]      De plus, la demande d’arrêt des procédures de l’appelant ne peut satisfaire l’exigence de la mise en balance entre, d’une part, les intérêts militant en faveur de l’arrêt des procédures, comme le fait de dénoncer la conduite répréhensible et de préserver l’intégrité du système de justice et, d’autre part, l’intérêt que représente pour la société le jugement statuant sur la culpabilité de l’appelant[139].

[398]      Le fardeau de l’appelant à ce titre est lourd :

[44] La mise en balance nécessaire des intérêts de la société et le critère des « cas les plus manifestes » imposent sans aucun doute un lourd fardeau à l’accusé qui demande l’arrêt des procédures au titre de la catégorie résiduelle.  En fait, les cas faisant partie de la catégorie résiduelle qui justifient l’arrêt des procédures sont « exceptionnels » et « très rares » (Tobiass, par. 91).  Mais les choses sont comme elles doivent être.  Ce n’est que lorsque l’« atteinte au francjeu et à la décence est disproportionnée à l’intérêt de la société d’assurer que les infractions criminelles soient efficacement poursuivies » que l’arrêt des procédures est justifié (R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659, p. 1667). 

[399]      Il ne fait pas de doute que la portée de l’enquête a excédé ses fins légitimes et l’omission initiale de la poursuite de ne pas communiquer les fruits de l’enquête à l’appelant révèle une conduite qui doit être réprouvée.

[400]      Cependant, l’appelant ne satisfait pas le lourd fardeau qui lui incombait de prouver une conduite qui justifie un arrêt des procédures.

[401]      En somme, même en interprétant les faits le plus favorablement pour l’appelant, j’estime que la preuve ne permet pas d’établir l’existence d’une volonté oblique d’utiliser une enquête criminelle légitime pour parfaire la preuve de la poursuite ou pour percer d’une manière illégitime et inappropriée le secret des délibérations, même si celle-ci contrevenait à l’article 649 C.cr.

[402]      Quel que soit l’angle selon lequel on évalue la situation, et bien que l’on puisse regretter et condamner certains aspects de la conduite de l’affaire, la conduite de l’enquête policière et celle de la poursuite ne révèlent pas des circonstances qui peuvent être considérées comme l’un de ces cas les plus manifestes justifiant de priver la société du verdict rendu par le jury dans le dossier de l’appelant[140].

[403]      Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, je propose donc de rejeter l’appel.

L’APPEL DE LA PEINE

I -       Le jugement

[404]      Le juge de la peine résume d’abord les positions des parties. La poursuite demande une peine totale de cinq ans d’emprisonnement en plus d’une ordonnance de dédommagement de 1 654 789, 60 $ envers la Ville de Laval[141]. La poursuite invite la Cour à s’éloigner de la peine d’emprisonnement de 18 mois infligée à l’égard d’un autre conspirateur entrepreneur, René Mergl, puisque ce dernier a plaidé coupable[142].

[405]      Pour sa part, la défense propose une peine d’emprisonnement de 18 à 24 mois moins un jour. Elle soutient cette position en considérant les peines imposées aux coconspirateurs[143] et sa responsabilité morale moindre résultant d’une tolérance passive à l’égard du système de collusion[144]. La défense est d’avis que la peine maximale des chefs 2 et 3 devrait être de 10 ans, soit celle qui existait lors du début de la période infractionnelle, afin de respecter la garantie constitutionnelle prévue à l’alinéa 11i) de la Charte[145]. Quant à la demande d’ordonnance de dédommagement, la défense argue qu’elle devrait plutôt être laissée à la division civile de la Cour supérieure, où un recours a été intenté[146].

[406]      Par la suite, le juge d’instance revient sur la preuve du rôle de M. Accurso dans les complots de « l’un des pires, sinon le pire, exemple de corruption municipale qui s’est retrouvé devant un tribunal canadien »[147]. Le juge retient que l’appelant a été consulté et impliqué dans des moments clés des complots et qu’il avait une réelle influence sur le système de collusion[148].

[407]      Le juge d’instance débute ensuite son analyse. Premièrement, il tranche la question de la peine maximale devant être imposée aux chefs 2 et 3; la peine maximale a été modifiée en 2004 par le Parlement passant de 10 à 14 ans[149]. Se considérant lié par l’arrêt de la Cour dans Pouliot, le juge considère que l’alinéa 11i) de la Charte ne peut s’appliquer en l’espèce, puisqu’il s’agit d’une infraction continue qui a perduré à la suite des changements législatifs[150]. En conséquence, il conclut que les chefs 2 et 3 sont punissables par un maximum de 14 ans d’emprisonnement. Le juge ajoute que cette conclusion a une importance « bien relative » dans ce dossier[151].

[408]      Deuxièmement, le juge se tourne vers l’ordonnance de dédommagement. Il donne raison à l’appelant en déclarant que le dossier criminel en l’espèce n’est pas le forum approprié pour déterminer la somme que doit verser l’appelant à la Ville de Laval[152].

[409]      Finalement, le juge d’instance examine les peines imposées aux coconspirateurs de l’appelant. Il souligne que toutes ces peines résultent d’un plaidoyer de culpabilité et d’une suggestion commune[153]. Il note les peines de Gilles Vaillancourt et de deux fonctionnaires, allant de 24 mois moins un jour à 6 ans d’emprisonnement de même que les peines de 7 entrepreneurs, parmi lesquelles on retrouve de l’emprisonnement avec sursis[154].

[410]      Au chapitre des facteurs atténuants, le juge reconnaît notamment l’âge de l’appelant, l’absence d’antécédents judiciaires et le fait qu’il a contribué à la société en engageant jusqu’à 4 500 personnes. À titre de facteurs aggravants, il retient notamment la gravité des infractions, les montants importants et l’impact sur la confiance du public. Le juge considère la couverture médiatique comme un facteur neutre[155].

[411]      Au terme de son analyse, le juge impose une peine d’emprisonnement de quatre ans. Il explique qu’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans est de mise dans ce dossier, vu tous les facteurs considérés et les principes de détermination de la peine applicables[156]. Quant à l’écart avec les peines infligées à certains coconspirateurs, le juge estime que cela se justifie par le fait qu’ils bénéficient, contrairement à l’appelant, d’une réduction de leur peine en raison de leur plaidoyer de culpabilité[157].

II -     La position des parties

A)    L’appelant

[412]      L’appelant soulève quatre moyens d’appel.

[413]      Dans un premier temps, l’appelant estime que la peine imposée est excessive vu la gravité objective et subjective des infractions. Pour ce qui est de la gravité objective, l’appelant invoque qu’aucune peine minimale n’est prescrite pour les infractions visées. Concernant la gravité subjective, l’appelant considère que le juge a omis de prendre en considération le degré de responsabilité moindre de l’appelant comparativement à ses coaccusés. En effet, l’appelant n’était pas impliqué directement dans la gestion quotidienne du système de collusion; ce système lui était plutôt de facto imposé.

[414]      Dans un deuxième temps, l’appelant soutient que le juge a erré dans son analyse du principe de parité en examinant les peines imposées à ses coaccusés. D’abord, l’appelant argue que le juge a accordé une trop grande importance aux plaidoyers de culpabilité offerts par les coaccusés. Le message que la décision envoie est que les peines seront nécessairement plus sévères si un accusé exerce son droit d’exiger un procès.

[415]      Ensuite, il reproche au juge d’avoir infligé une peine semblable à celle des fonctionnaires plutôt qu’à celle des entrepreneurs. Ces derniers se sont tous vu imposer une peine provinciale. Huit des treize entrepreneurs ont reçu une peine avec sursis. L’emprisonnement avec sursis était également justifié dans le cas de l’appelant afin de réaliser les objectifs de la peine et le juge n’aurait pas dû l’écarter pour le seul motif qu’il y avait des circonstances aggravantes.

[416]      Finalement, le juge a erré en comparant le dossier de l’appelant avec celui de l’entrepreneur René Mergl alors que celui-ci avait un rôle plus important que l’appelant et que les gestes posés étaient beaucoup plus graves. Or, René Mergl a reçu une peine de 18 mois d’emprisonnement à la suite d'une suggestion commune. Le juge s’est écarté de cette peine en justifiant que l’appelant était essentiel au fonctionnement du système de collusion, ce que la preuve ne démontre pas.

[417]      Dans un troisième temps, l’appelant estime que le juge d’instance l’a privé de la garantie constitutionnelle prévue à l’alinéa 11i) de la Charte, celle de bénéficier de la peine la moins sévère, en déterminant que la peine maximale pour les chefs de complot de fraude et de fraude était de 14 ans, ce qui a influencé le quantum de la peine.

[418]      Selon l’appelant, le juge a erré en se basant sur l’arrêt Pouliot[158] de la Cour, car cet arrêt ne visait que l’infraction de confiscation de biens et ne se prononçait pas sur l’application de l’alinéa 11i) de la Charte. L’arrêt qui s’applique, de l’avis de l’appelant est Lalonde[159] de la Cour d’appel de l’Ontario. Cette décision définit que la peine maximale qui peut être infligée doit être établie au moment où la mens rea et l’actus reus se matérialisent, peu importe si l’infraction perdure dans le temps.

[419]      Qui plus est, le texte de l’alinéa 11i) de la Charte indique que la peine doit être déterminée au moment de la « perpétration » de l’infraction. L’équité et le principe de modération militent également pour une interprétation large de la garantie constitutionnelle.

[420]      De plus, l’appelant fait valoir que la forte médiatisation de l’affaire aurait dû être considérée comme un facteur atténuant. Ainsi, le juge aurait dû conclure que la médiatisation des procédures ne peut découler de la notoriété de l’appelant, puisque ce dernier n’est qu’un entrepreneur et n’a pas de rôle dans la vie publique. Le juge aurait également dû considérer le stigmate indélébile découlant de la couverture médiatique extrême et pancanadienne perdurant sur plusieurs années.

[421]      Finalement, le passage à travers le système de justice a contribué à l’atteinte des objectifs de la peine. Au soutien de son propos, l’appelant fournit plusieurs décisions dans lesquelles il a été reconnu que la ruine, l’humiliation et la publicité d’un procès peuvent être considérées comme une punition en soi et satisfaire les objectifs de dénonciation et de dissuasion.

B)      La poursuite

[422]      Pour sa part, la poursuite est d’avis que la peine est raisonnable et exempte d’erreurs.

[423]      Premièrement, la poursuite affirme que le juge d’instance n’a pas omis d’analyser le rôle de l’appelant et la gravité subjective de son crime. Les arguments avancés par l’appelant sont ceux plaidés en première instance, que le juge a rejetés. La preuve démontre un haut degré de culpabilité morale et le rôle important de l’appelant tant dans le complot que dans la fraude perpétrée.

[424]      Deuxièmement, la poursuite soutient que le juge a bien appliqué le principe de parité.

[425]      D’une part, les autres coaccusés ont bénéficié de facteurs atténuants en plaidant coupables. Ce faisant, ils ont démontré une amorce de réhabilitation de même que des remords et la reconnaissance de leurs torts, facteurs importants dans la détermination de la peine. Or, ces facteurs ne sont pas disponibles à l'appelant en l'espèce. De plus, toutes les peines des coaccusés découlent de recommandation conjointe, recommandation qui ne peut être écartée que si elle déconsidère l’administration de la justice ou est contraire à l’ordre public.

[426]      D’autre part, les différences importantes entre l’implication de M. Mergl et celle de l’appelant dans le système de collusion justifient la distinction entre les deux peines. La preuve démontre l’influence importante de l’appelant dans le complot, notamment en ce qu’il a été consulté et impliqué à des moments clés de l’infraction. Son influence s’apparente davantage à celle de Gilles Vaillancourt qu’à celle de René Mergl.

[427]      Par ailleurs, selon la poursuite, le juge a écarté à bon droit la peine d’emprisonnement avec sursis. La peine imposée devait envoyer un message clair à la population quant au détournement des règles de protection des deniers publics. De plus, l’appelant manque de conscientisation. Pour ces raisons, l’emprisonnement avec sursis ne devait pas être considéré.

[428]      Troisièmement, le juge a bien analysé l’alinéa 11i) de la Charte. Cette disposition ne s’applique pas en l’espèce puisque la peine n’a pas changé entre le moment de la commission des infractions et la décision sur la peine. La poursuite souligne que les différentes infractions ont été perpétrées de 1996 à 2010. L’appelant a donc continué à commettre des infractions après les changements législatifs en 2004. De plus, le juge n’a commis aucune erreur en suivant la décision Pouliot de cette Cour, plutôt qu’une décision de la Cour d’appel de l’Ontario. D’une part, l’arrêt Pouliot se penche sur l’application de l’alinéa 11i) de la Charte. D’autre part, la règle du stare decisis le contraignait à suivre cette décision, telle que l’exige la décision Piazza[160].

[429]      Finalement, la poursuite est d’avis que la couverture médiatique ne peut être un facteur atténuant en l’espèce. D’abord, l’appelant n’a pas témoigné lors des observations sur la peine. Il n’y a donc aucune preuve d’une « extrême médiatisation » ni de l’impact ni du stigmate qui pourraient en découler. Or, cette preuve est nécessaire pour faire bénéficier un accusé d’une circonstance atténuante sur la peine.

[430]      De surcroît, les décisions fournies par l’appelant à ce sujet présentent toutes des circonstances particulières et des preuves de l’impact de la médiatisation sur les accusés. En l’espèce, la médiatisation de l’affaire résulte de la médiatisation du dossier au complet, soit un crime de corruption de grande envergure, et pas seulement de celle de l’appelant. Le juge a donc bien fait de ne pas considérer la médiatisation de l’affaire comme une circonstance atténuante.

III -   Analyse

[431]      Le corridor d’intervention d’une cour d’appel à l’égard de la peine est limité. Les cours d’appel ne peuvent modifier à la légère les décisions relatives à la peine[161], cela est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, le juge soupèse méticuleusement les facteurs qui doivent être considérés.

[432]      Le juge qui prononce la peine dispose d’une grande latitude, et ses décisions commandent un degré élevé de déférence en appel[162].

[433]      Le cadre d’intervention est résumé dans l’arrêt Friesen[163]. Une cour d’appel ne peut intervenir pour modifier une peine que si : 1) elle n’est manifestement pas indiquée ou 2) le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine. Les erreurs de principe comprennent : l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant. La manière dont le juge de première instance a soupesé ou mis en balance des facteurs peut constituer une erreur de principe seulement s’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre. Les erreurs de principe ne revêtent pas la même importance.

[434]      Cela dit, « une cour d’appel ne peut intervenir simplement parce qu’elle aurait attribué un poids différent aux facteurs pertinents »[164]. Elle ne peut intervenir que lorsqu’il ressort des motifs du juge de première instance que l’erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine. Si une erreur de principe n’a eu aucun effet sur la peine, cela met un terme à l’analyse de cette erreur et l’intervention de la cour d’appel ne se justifie que si la peine n’est manifestement pas indiquée[165].

[435]      L’analyse du caractère manifestement non indiqué est axée sur la question de savoir si la peine est proportionnée[166].

A)    La peine infligée n’est pas excessive

[436]      Toute l’analyse du caractère excessif de la peine qui a été infligée à l’appelant débute par la conclusion du juge qu’il s’agit « d’un des pires, sinon le pire, exemple de corruption municipale qui s’est retrouvé devant un tribunal canadien »[167] tant en raison du nombre de coconspirateurs que par la durée des infractions. Cette évaluation mérite la déférence.

[437]      Même si l’appelant reconnaît que les infractions sont objectivement graves, il tente de minimiser son implication et de la réduire à des interventions ponctuelles, ce qu’écarte avec raison le juge qu’il convient de citer :

[29]   M. Accurso était le propriétaire d’un consortium de compagnies de construction. L’une d’elles, Construction Louisbourg, était impliquée dans la criminalité durant toute la période pertinente. M. Accurso est devenu copropriétaire de Simard-Beaudry à l’automne 1999, et propriétaire unique en janvier 2008. Simard-Beaudry était impliquée dans la criminalité de 1999 à septembre 2010.

[30]   Le président de Construction Louisbourg était Giuseppe (Joe) Molluso. Le président de Simard-Beaudry était Frank Minicucci. Ces deux hommes ont été identifiés comme co-conspirateurs. La preuve révèle que M. Accurso ne s’occupait pas de la gestion opérationnelle quotidienne de ces deux compagnies, ayant confiance en ses présidents Molluso et Minicucci.

[31]   Le contact avec d’autres soumissionnaires, la préparation de soumissions de complaisance et la remise des ristournes de 2%, sauf à une occasion, étaient confiés aux présidents Molluso et Minicucci.

[32]   Cette réalité a motivé la défense à tenter de diminuer l’importance de la criminalité de M. Accurso. Soulignant qu’il n’a pas créé le système, qu’il ne distribuait pas les contrats, que sa participation était ponctuelle, on argumente que la criminalité de M. Accurso devrait être qualifiée de « … crime de tolérance et manque de prise de responsabilité ». Sa criminalité n’était pas motivée par l’appât du gain, mais était simplement une décision d’affaires ou « de business ».

[33]   Avec égard, la Cour ne peut pas accepter ce portrait de la criminalité de M. Accurso. Il est vrai qu’il n’y a pas de preuve qu’il a été impliqué dans la création du système de collusion. Il n’y a pas de preuve qu’il participait dans la désignation de la compagnie gagnante. Mais son rôle ne peut pas être décrit comme celui d’une personne dilettante, de quelqu’un qui, d’un air distrait, a simplement toléré, à distance, l’existence de la criminalité et qui a fait preuve d’un manque de prise de responsabilité.

[34]   La preuve directe démontre qu’il a été consulté et impliqué dans des moments clés des complots.

[35]   En 2002, Mario Desrochers, le représentant d’une importante compagnie impliquée dans la criminalité – Sintra – annonce qu’il ne désire plus participer dans le stratagème. Son niveau d’anxiété a augmenté dû à la présence de plus en plus de participants. Une réunion est tenue dans le bureau de M. Accurso. Plusieurs présidents de compagnies, dont M. Accurso, y ont participé. Le seul item à l’agenda était de convaincre Desrochers de demeurer dans le complot. La réunion a duré de 45 à 60 minutes. M. Accurso a participé, mais Desrochers ne se souvient plus, avec le passage du temps, de ses mots exacts. Les participants ont convaincu Desrochers de demeurer dans le complot.

[36]   Cette réunion était importante. Comme la Cour l’a déjà écrit, le stratagème illégal sera en péril si seulement une personne décidait de le dénoncer, ou si une compagnie importante décidait de ne plus participer. Alors, M. Accurso était l’un des participants actifs à ce moment crucial.

[37]   En 2005, lorsqu’une situation particulière est survenue, c’est vers M. Accurso qu’on s’est tourné. Construction Louisbourg et Valmont Nadon inc. ont tous deux été désignés gagnant d’un contrat (pièce P.2-102). Leurs représentants, Molluso et Gilles Théberge, n’ayant pas le pouvoir de dénouer l’impasse, se sont tournés vers M. Accurso. Il a accepté de parler au maire Vaillancourt pour tenter de régler la situation. Éventuellement, le contrat sera offert en libre concurrence.

[38]   Deux observations sont de mise. Premièrement, cette réunion démontre l’ascendant de M. Accurso sur Molluso. Dès qu’il a été confronté avec un problème relié à la criminalité qui sortait de l’ordinaire, Molluso s’est tourné vers M. Accurso. Il est erroné de prétendre que l’importance de Molluso était plus grande que celle de M. Accurso dans l’accomplissement du but commun. L’importance d’un acteur dans un complot n’est pas calculée en comparant seulement le nombre d’actes manifestes dans lesquels il est impliqué, comparé à un autre conspirateur. La seule inférence raisonnable est que chaque fois que Molluso a participé à un acte manifeste – contacter un soumissionnaire, préparer une soumission de complaisance, payer la ristourne de 2%, c’était avec l’approbation de M. Accurso – approbation qui a été donnée au début du complot, au moment où il a décidé que ses compagnies étaient pour participer dans le complot.

[39]   Deuxièmement, on peut tirer l’inférence que M. Accurso avait une influence sur le maire Vaillancourt. Gilles Théberge a témoigné que les travaux prévus dans le contrat P2.102 étaient pour avoir lieu sur des terrains appartenant à M. Valmont Nadon. Normalement, ce fait devrait faire en sorte que le contrat sera accordé à la compagnie de M. Nadon. Le fait que le contrait ait éventuellement été offert en libre soumission permet l’inférence que M. Accurso a eu un impact sur la décision de Vaillancourt.

[Les soulignements sont ajoutés]

[438]      L’appelant ne démontre aucune erreur justifiant une intervention à l’égard de l’évaluation de la preuve.

[439]      L’appelant reproche aussi au juge de lui avoir imposé une peine similaire à celles imposées aux fonctionnaires plutôt que celles imposées aux entrepreneurs. Je suis plutôt d’avis que la peine reflète notamment le rôle unique joué par l’appelant.

[440]      Par ailleurs, l’évaluation du caractère approprié de la peine infligée à l’appelant exige de considérer l’arrêt de la Cour dans le dossier Coffin[168]. Cette affaire, on s’en souviendra, concernait les fraudes criminelles perpétrées en marge du programme des commandites mis en place par le gouvernement du Canada en 1996.

[441]      Voici ce qu’écrivait la Cour au sujet de l’effet délétère pour la vie démocratique des fraudes perpétrées contre une institution publique dans l’arrêt Coffin :

 

[44] […] [D]e telles fraudes risquent d'entraîner chez les citoyens, particulièrement chez les contribuables, un désabusement à l'égard des institutions publiques qui sont à la base de la vie démocratique.

[45]  Les impôts sont prélevés pour recueillir les fonds nécessaires aux besoins des citoyens, particulièrement des plus démunis.

[46] On ne peut pas minimiser l'importance de ce crime sous le prétexte fallacieux que « voler le gouvernement, ce n'est pas voler ».  Le gouvernement du pays, en lui-même, n'a pas d'avoirs; il gère les sommes mises en commun par l'ensemble des citoyens.  Frauder le gouvernement consiste à s'approprier les biens de ses concitoyens.

[442]      Les infractions commises par l’appelant engendrent le cynisme et la désillusion des citoyens à l’égard des institutions publiques et de leur gestion efficace et équitable des impôts et des taxes. Elles nourrissent la désaffection des citoyens à l’endroit de tous les élus et fonctionnaires publics alors qu’une infime poignée de ceux-ci trahit la confiance placée en eux par les citoyens. Cette désillusion provoque une érosion du contrat social qui supporte les institutions publiques et, à terme, fragilise tant la démocratie que la primauté du droit.

[443]      Finalement, la collusion et la corruption affectant les contrats publics augmentent les coûts des fournitures et services et privent la société de sommes qui pourraient être affectées à d’autres missions de l’État.

[444]      Comme l’explique le juge : « le stratagème criminel a permis aux compagnies impliquées de faire des profits substantiellement plus élevés que dans un système légitime de soumissions libres »[169] et la perte pour la Ville de Laval se chiffre « dans les dizaines de millions de dollars »[170].

[445]      Il me semble qu’en semblables matières l’objectif de réprobation s’avère important[171].

[446]      À cet égard, le juge en chef Lamer tenait les propos qui suivent dans l’arrêt M.(C.A.) : « l'objectif de réprobation commande que la peine indique que la société condamne la conduite de ce contrevenant »[172]. À son avis, « une peine assortie d'un élément réprobateur représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu'elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel »[173].

[447]      Les principes formulés dans l’arrêt M.(C.A.) marquent une perspective importante de toute analyse à l’égard de ce type d’infraction. Cela dit, cette analyse ne se réduit pas uniquement à ce facteur, car il faut naturellement considérer l’ensemble des facteurs qui encadrent la détermination de la peine.

B)      Le respect de l’alinéa 11i) de la Charte

[448]      La question porte sur la modification apportée à la peine maximale pour l’infraction de fraude qui passe en 2004 de 10 ans à 14 ans.

[449]      Il est vrai que « [l]es peines maximales aident à déterminer la gravité de l’infraction et, partant, la peine proportionnelle à infliger »[174]. Cependant, il ne faut pas exagérer l’influence de ce facteur.

[450]      Il n’est pas nécessaire d’épiloguer longuement sur cette question, car le changement apporté à la peine maximale qui pouvait être infligée à l’appelant n’a pas eu l’impact que lui prête l’appelant. L’incidence de ce facteur est au mieux marginale.

[451]      Le juge dispose correctement de cet argument :

[51]   Ceci dit, la gravité objective basée sur la peine maximale a une importance bien relative dans ce dossier. La Cour a le bénéfice de 36 peines qui ont été prononcées contre les co-conspirateurs de M. Accurso. Ces peines sont un facteur de plus grande importance que la peine maximale quand vient le temps de déterminer quelle est la peine appropriée dans le cas de M. Accurso.

C)      L’évaluation de l’impact de la médiatisation sur la peine

[452]      Le juge estime que la couverture médiatique est un facteur neutre.

[453]      L’appelant esquisse diverses distinctions entre le fait qu’il n’est pas un personnage public au sens traditionnel du terme et l’ampleur inégalée de la couverture médiatique dont il a été l’objet. Dans une certaine mesure, cela est vrai.

 

 

[454]      Cependant, même si l’appelant s’appuie sur une revue fouillée de la jurisprudence, analysée par le juge Vauclair dans l’arrêt Harbour[175] et que cite le juge de première instance, je ne vois aucune raison d’intervenir. La médiatisation reflète l’ampleur de la criminalité qui a été mise à jour[176].

[455]      Le juge a pondéré le facteur relatif à la médiatisation comme il le devait. Je ne vois aucun motif d’intervention.

D)      La comparaison avec les peines infligées à certains coconspirateurs

[456]      Le dernier argument de l’appelant concerne l’importance accordée aux plaidoyers de culpabilité d’autres coconspirateurs. Il soutient que la peine le punit pour avoir exigé la tenue d’un procès.

[457]      Il réitère aussi l’argument selon lequel la peine qui lui a été infligée est plus sévère que celle imposée à M. Mergl qui aurait eu un rôle actif et prédominant dans le système de collusion.

[458]      À son avis, une peine d’emprisonnement avec sursis permettrait de satisfaire les objectifs de la détermination de la peine, y compris la dénonciation.

[459]      L’appelant n’a pas été puni plus sévèrement, parce qu’il a exigé la tenue d’un procès, ce qui ne constitue pas un facteur aggravant[177], mais en raison de la nature des infractions commises et de son rôle charnière.

[460]      Comme la Cour l’indique dans l’arrêt Fedele :

Les conséquences très graves, à la fois financières et sociales, d’un système organisé de collusion dans l’octroi de contrats de travaux publics requièrent l’imposition de peines qui démontrent que de tels systèmes ne seront ni banalisés ni tolérés par les tribunaux[178].

[461]      En définitive, il ne peut « réclamer une identité de traitement avec ceux qui ont pu bénéficier de la clémence du tribunal pour avoir plaidé coupable »[179]. De plus, les peines imposées à d’autres coconspirateurs étaient le fruit de suggestions communes[180].

[462]      J’écarte aussi le dernier moyen présenté par l’appelant.

[463]      En conclusion, je propose de rejeter l’appel à l’égard des peines.

 

 

 

GUY COURNOYER, J.C.A.

 


[1]  Martin Vauclair et Tristan Desjardins, Traité général de preuve et de procédure pénales, 28e éd., Yvon Blais, 2021, paragr. 28.282, p. 1028.

[2]  Dejala c. R., 2021 QCCA 248, paragr. 197; R.B. c. R., 2018 QCCA 1761, paragr. 94; R. c. Lessard, [1992] R.J.Q. 1205 (C.A.), 14 C.R. (4th) 330.

[3]  R. v. D.(T.C.) (1987), 38 C.C.C. (3d) 434 (C.A. Ont.), p. 443.

[4]  Id.

[5]  2001 CSC 42, [2001] 2 R.C.S. 344.

[6]  R. c. Jolivet, [2000] 1 R.C.S. 751, paragr. 21; R. c. Pickton, 2010 CSC 32, [2010] 2 R.C.S. 198, paragr. 19; R. c. Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167, paragr. 60.

[7]  R. c. Rose, [1998] 3 R.C.S. 262, paragr. 104.

[8]  R. c. Babos, 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309, paragr. 31-32.

[9]    (2003), 17 C.R. (6th) 326, autorisation d’appel rejetée, [2003] 4 R.C.S. viii; Martin Vauclair et Tristan Desjardins, Traité général de preuve et de procédure pénales, 28e éd., Yvon Blais, 2021, paragr. 39.15, p. 1371; David M. Paciocco, « Confronting Disappointing, Hostile and Adverse Witnesses in Criminal Cases » (2012), 59 C.L.Q. 301, p. 314, note 32.

[10]  Jacques Fortin, Preuve pénale, Thémis, 1984, paragr. 330, p. 245.

[11]  R. c. Thresh (2003), 17 C.R. (6th) 326, autorisation d’appel rejetée, [2003] 4 R.C.S. viii.

[12]  R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670, p. 697 (le juge Dickson); p. 720 (le juge LaForest). David M. Paciocco, « “Truth and Proof”: The Basics of the Law of Evidence in a “Guilt-Based” System » (2001), 6 Can. Crim. L. Rev. 71, p. 85, 90 et 97. S. Casey Hill, David M. Tanovich & Louis P. Strezos, McWilliams Canadian Criminal Evidence, 5e éd., vol. 2, Thomson Reuters, 2013 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, février 2022), § 3:5; M. Gourlay, B. Jones, J. Makepeace, G. Crisp et R. Pomerance, Modern Criminal Evidence, Emond Publishing, 2021, p. 7-8; David Paciocco, Palma Paciocco and Lee Stuesser, The Law of Evidence, 8e éd., Irwin Law, 2020, p.39.

[13]  R. c. Handy, 2002 CSC 56, [2002] 2 R.C.S. 908, paragr. 145.

[14]  Id.

[15]  R. c. Thresh (2003), 17 C.R. (6th) 326 (C.A. Qué.), paragr. 31, autorisation d’appel rejetée, [2003] 4 R.C.S.viii.

[16]  R. v. Clark, 2012 CMAC 3, paragr. 40-42.

[17]  R. c. Darrach, [2000] 2 R.C.S. 443, paragr. 24.

[18]  Boucher c. R., 2006 QCCA 668, paragr. 108-110.

[19]  R. c. Carter, [1982] 1 R.C.S. 938.

[20]  R. c. Mapara, 2005 CSC 23, [2005] 1 R.C.S. 358, paragr. 31.

[21]  R. v. Victoria, 2018 ONCA 69; R. v. Badgerow, 2019 ONCA 374, paragr. 75.

[22]  Voir Walters c. R., 2012 QCCA 1417, paragr. 33; Jean c. R., 2020 QCCA 1455, paragr. 28; Zalat c. R., 2019 QCCA 1829, paragr. 27; R. v. Aragon, 2022 ONCA 244, paragr. 37; R. v. Evans, 2019 ONCA 715, paragr. 148.

[23]  Voir R. c. Mapara, 2005 CSC 23, [2005] 1 R.C.S. 358, paragr. 34; R. v. Kler, 2017 ONCA 64, paragr. 75; R. v. Nurse, 2019 ONCA 260, paragr. 110; David Paciocco, Palma Paciocco and Lee Stuesser, The Law of Evidence, 8e éd., Irwin Law, 2020, p. 155.

[24]  R. c. Mapara, 2005 CSC 23, [2005] 1 R.C.S. 358, paragr. 18; Poirier c. R., 2018 QCCA 1802, paragr. 177 et 184-185, autorisation d’appel rejetée [2019] 2 R.C.S. xii; R. v. Tsekouras, 2017 ONCA 290, paragr. 202-205; R. v. Magno, 2015 ONCA 111, paragr. 61; R. v. N.Y., 2012 ONCA 745, paragr. 76-79.

[25]  Proulx c. R., 2016 QCCA 1425.

[26]  Voir aussi Poirier c. R., 2018 QCCA 1802, paragr. 178; R. v. Magno, 2015 ONCA 111, paragr. 61.

[27]  R. c. Blackman, 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298, paragr. 36; R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720, paragr. 31; Lafrance c. R., 2017 QCCA 1642; paragr. 69; S.L. c. R., 2010 QCCA 124, paragr. 14.

[28]  2022 CSC 9, paragr. 22; voir aussi R. c. Jolivet, [2000] 1 R.C.S. 751, paragr. 14.

[29]  R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1000, paragr. 28, 30, 36, et 38.

[30]  R. c. Jolivet, [2000] 1 R.C.S. 751, paragr. 39; R. v. Bero (2000), 151 C.C.C. (3d) 545 (C.A. Ont.), paragr. 57-58; R. v. Hassanzada, 2016 ONCA 284, paragr. 69-73.

[31]  R. c. Cook, [1997] 1 R.C.S. 1113, paragr. 39; Peter Sankoff, The Law of Witnesses and Evidence in Canada, 2e éd., vol. 1, Thomson Reuters, 2019, feuilles mobiles (mise à jour no 2, juin 2021), paragr. 7:10, p. 7-42-7-45; S. Casey Hill, David M. Tanovich & Louis P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence, 5e éd., vol. 2, Thomson Reuters, 2013 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, février 2022), § 33:10; R. v. Michel, 2007 NWTCA 3, paragr. 12-17.

[32]  S. Casey Hill, David M. Tanovich & Louis P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence, 5e éd., vol. 2, Thomson Reuters, 2013 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, février 2022), § 33:10.

[33]  L’inférence défavorable recherchée découlant de « l’omission de faire entendre un témoignage peut équivaloir, selon le cas, [] « à l’aveu implicite que la déposition du témoin absent serait défavorable à la cause de la partie ou, du moins, qu’elle ne l’appuierait pas » ou comme dans certains ressorts où « il est admis que, dans de nombreux cas, on peut inférer au mieux que le témoignage n’aurait pas été à l’avantage de la partie, et non pas nécessairement qu’il aurait été défavorable » : R. c. Jolivet, [2000] 1 R.C.S. 751, paragr. 28.

[34]  R. c. Jolivet, [2000] 1 R.C.S. 751, paragr. 37-38; De Leto c. R., 2022 QCCA 413, paragr. 33.

[35]  R. c. Jolivet, [2000] 1 R.C.S. 751, paragr. 37-38.

[36]  Id.

[37]  Id., paragr. 43.

[38]  Id., paragr. 39.

[39]  R. c. Jolivet, [2000] 1 R.C.S. 751, paragr. 36.

[40] Selon l’arrêt R. c. Jolivet, [2000] 1 R.C.S. 751, paragr. 26, il s’agit d’un facteur pertinent à considérer avant d’inviter le jury à tirer une inférence défavorable contre la poursuite ou l’accusé. Voir aussi R. v. Lo, 2020 ONCA 622, paragr. 156.

[41]  R. c. Jolivet, [2000] 1 R.C.S. 751, paragr. 42.

[42]  R. c. Quesnelle, 2014 CSC 46, [2014] 2 R.C.S. 390, paragr. 64.

[43]  Proulx c. R., 2016 QCCA 1425.

[44]  R. v. Puddicombe, 2013 ONCA 506, paragr. 85-86; R. v. Dawkins, 2021 ONCA 113, paragr. 35-42; David Paciocco, Palma Paciocco and Lee Stuesser, The Law of Evidence, 8e éd., Irwin Law, 2020, p. 200-207.

[45]  Casey Hill, David M. Tanovich & Louis P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence, 5e éd., vol. 2, Thomson Reuters, 2013 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, février 2022), § 7:137.

[46]  Je souligne qu’en cela le juge du procès avait adopté la pratique favorisée par la Cour dans son arrêt récent Sorella c. R., 2022 QCCA 383, paragr. 132, où la Cour explique que la remise des directives au jury est une « pratique louable à encourager qui a de nombreux avantages, ne serait-ce que pour permettre aux jurés de s’y référer sans entrave pendant leurs délibérations et éviter ainsi une incompréhension du droit, particulièrement à la suite d’un long procès truffé de délicates questions de droit ».

[47]  Directives finales au jury, paragraphes 6 à 13 et paragr. 103.

[48]  Id., paragr. 96.

[49]  Id., paragraphes 40, 53, 71 et 199.

[50]  Lorsqu’un juge formule ses directives à l’égard de l’infraction de complot, il doit expliquer les éléments essentiels de cette infraction de même que la règle de preuve qui s’applique, soit celle issue de l’arrêt Carter.  Dans la présente affaire, les directives au sujet des trois étapes de l’arrêt Carter se retrouvent aux paragr. 110 à 118.

[51]  Directives finales au jury, paragr.141.

[52]  Id., paragr. 155.

[53]  Id., paragr. 181.

[54]  Id., paragr. 208.

[55]  Id., paragr. 114-115 et 120.

[56]  R. c. C.L.Y., 2008 CSC 2, [2008] 1 R.C.S. 5, paragr. 12.

[57]  R. c. J.H.S., 2008 CSC 30, [2008] 2 R.C.S. 152, paragr. 1.

[58]  David M. Paciocco, « Doubt about Doubt: Coping with R. v. W. (D.) and Credibility Assessment », (2017) 22 Can. Crim. L. Rev. 31, p. 45-46.

[59]  1995 4 R.C.S. 411.

[60]  Accurso c. R., 2020 QCCA 1116.

[61]  Accurso c. R., 2020 QCCA 646.

[62]  R. c. Ste-Marie, 2022 CSC 3, paragr. 14.

[63]  Accurso c. R., 2021 QCCA 896.

[64]  R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326.

[65]  Une position maintes fois rappelée: R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727, paragr. 18; R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244, paragr. 27; R. c. Taillefer; R. c. Duguay, [2003] 3 R.C.S. 307, 2003 CSC 70, paragr. 60.

[66]  R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, p. 339.

[67]  R. c. Quesnelle, 2014 CSC 46, [2014] 2 R.C.S. 390.

[68]  R. c. Gubbins, 2018 CSC 44, [2018] 3 R.C.S. 35, paragr. 21.

[69]  R. c. Taillefer; R. c. Duguay, [2003] 3 R.C.S. 307, 2003 CSC 70, paragr. 60.

[70]  Id.

[71]  R. v. Pearson (1994), 89 C.C.C. (3d) 535, p. 558, appel rejeté [1998] 3 R.C.S. 620, paragr. 3 (sans commentaires sur cette question toutefois); R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, paragr. 24 et 73-74; R. v. Creswell (2000), 149 C.C.C. (3d) 286 (C.A. C-B.); R. v. Castro (2001), 157 C.C.C. (3d) 255 (C.A. C-B.), autorisation d’appel rejetée [2002] 1 R.C.S. ix; Martin Vauclair et Tristan Desjardins, Traité général de preuve et de procédure pénales, 28e éd., Montréal, Yvon Blais, 2021, paragr. 21.26, p. 680; Halsbury’s Laws of Canada - Criminal Offences and Defences, Markham, LexisNexis, 2012, (LN/QL), HCR-509,p. 907; Robert J. Frater, Prosecutorial Misconduct, 2e éd., Canada Law Book, 2017, p. 88.

[72]  R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, p. 333; R. c. Quesnelle, 2014 CSC 46, [2014] 2 R.C.S. 390, paragr. 65.

[73]  R. c. McNeil, 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66, paragr. 49; R. c. Awashish, 2018 CSC 45, [2018] 3 R.C.S. 87, paragr. 25; Henry c. ColombieBritannique (Procureur général), 2015 CSC 24, [2015] 2 R.C.S. 214, paragr. 86.

[74]  R. c. McNeil, 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66, paragr. 48.

[75]  R. c. Tshiamala, 2011 QCCA 439, paragr. 109.

[76]  R. c. Pan, [2001] 2 R.C.S. 344, 2001 CSC 42, paragr. 123-126; R. v. Jojic, 2010 BCCA 577, paragr. 13; R. v. Barton, 2021 ABQB 442, paragr. 36; Steve Coughlan, Criminal Procedure, 4e éd., Irvwin Law, 2020, p. 544.

[77]  David Watt, Watt’s Manual of Criminal Jury Instructions, 2e éd., Carswell, 2015, p. 50, note en bas de page 1; David Watt, Helping Jurors Understand, Thomson Carswell, 2007, paragr. 21, p. 46-52.

[78]  R. c. Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167, paragr. 55.  Toutefois, la décision de communiquer des renseignements pertinents n’est pas de nature discrétionnaire : Henry c. ColombieBritannique (Procureur général), 2015 CSC 24, [2015] 2 R.C.S. 214, paragr. 59.

[79]  R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244, paragr. 37.

[80]  R. c. Tshiamala, 2011 QCCA 439, paragr. 109.

[81]  R. c. Pan, [2001] 2 R.C.S. 344, 2001 CSC 42, paragr. 55, 57, 59 et 60.

[82]  Directrice des poursuites criminelles et pénales c. Grich, 2019 QCCA 6; R. c. M.G., 2019 QCCA 1170; R. c. Valcourt, 2019 QCCA 903; R. c. Ouellet, 2021 QCCA 386; Brûlé c. R., 2021 QCCA 1334.

[83]  (1992), 70 C.C.C. (3d) 289 (C.A. Ont.).

[84]  (1996), 108 C.C.C. (3d) 193 (C.A. C.-B.).

[85]  R. c. Cody, 2017 CSC 31, [2017] 1 R.C.S. 659, paragr. 38; R. c. Durham Regional Crime Stoppers Inc., 2017 CSC 45, [2017] 2 R.C.S. 157, paragr. 43.

[86]  (1992), 70 C.C.C. (3d) 289 (C.A. Ont.), p. 301, paragr. b.-c.

[87]  Id., p. 302; R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, paragr. 21 : « Quoique très utile, la requête en radiation ne saurait être accueillie à la légère. […] L’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable ».

[88]  R. v. Loveman (1992), 71 C.C.C. (3d) 123 (C.A. Ont.), p. 125.

[89]  2021 QCCA 1334.

[90]  Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 497.

[91]  R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, p. 178.

[92]  Id.

[93]  R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, paragr. 69.

[94]  Id., paragr. 70.

[95]  Id.

[96]  R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, p. 179.

[97]  B.C.G.E.U. c. British Columbia (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214, p. 230.

[98]  ColombieBritannique (Procureur général) c. Christie, [2007] 1 R.C.S. 873, 2007 CSC 21, paragr. 17; Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, [2014] 3 R.C.S. 31, paragr. 41; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, p. 252.

[99]  Par analogie, voir Terre-Neuve-et-Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam), 2020 CSC 4, paragr. 50.

[100]  Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170.

[101]  Id., p. 196.

[102]  Id.

[103]  Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170, p. 196. Voir aussi Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, p. 249-252.

[104]  R. c. Pires, 2005 CSC 66, [2005] 3 R.C.S. 343, paragr. 40 : la version originale de l’arrêt rend mieux l’opinion de la juge Charron « it is not necessary for the defence to go further and demonstrate that cross-examination will be successful ».

[105]  Id. Voir aussi M.M. c. États-Unis d’Amérique, 2015 CSC 62, [2015] 3 R.C.S. 973, paragr. 77.

[106]  R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, paragr. 19.

[107]  Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, p. 455; R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, paragr. 17-25; Lacour c. Construction D.M. Turcotte TRO inc., 2019 QCCA 1023, paragr. 29. 

[108]  M.M. c. États-Unis d’Amérique, 2015 CSC 62, [2015] 3 R.C.S. 973, paragr. 77. Dans cette affaire, le juge Cromwell applique le raisonnement formulé par la juge Charron dans l’arrêt R. c. Pires, 2005 CSC 66, [2005] 3 R.C.S. 343, paragr. 31.  Par analogie, le critère de vraisemblance pour la présentation d’une défense au jury aborde l’évaluation dans la même perspective : R. c. Cairney, 2013 CSC 55, paragr. 22; R. c. Gauthier, 2013 CSC 32, paragr. 25; Sorella c. R., 2022 QCCA 383, paragr. 86-87; R. c. Alas, 2022 CSC 14.

[109]  Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux, 2014 CSC 49, [2014] 2 R.C.S. 477, paragr. 17-18; Bohémier c. Barreau du Québec, 2012 QCCA 308, paragr. 17.

[110]  R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, paragr. 21.

[111]  R. c. Samaniego, 2022 CSC 9, paragr. 21; R. v. Felderhof (2003), 180 C.C.C. (3d) 498 (C.A. Ont.), paragr. 38.

[112]  Voir l’arrêt R. c. L. (K.W.), [1991] 1 R.C.S. 1091, p. 1103.

[113]  R. c. R.V., 2019 CSC 41, [2019] 3 R.C.S. 237, paragr. 86.

[114]  R. c. Pires; 2005 CSC 66, [2005] 3 R.C.S. 343, paragr. 3.

[115]  Voir R. c. Pires, 2005 CSC 66, [2005] 3 R.C.S. 343, par. 40.

[116]  Martin Vauclair et Tristan Desjardins, Traité général de preuve et de procédure pénales, 28e éd., Yvon Blais, 2021, paragr. 51.163-51.164, p. 1809-1810; R. v. Shafia, 2016 ONCA 812, paragr. 157; R. v. Herntier, 2020 MBCA 95, paragr. 30-34.

[117]  R. c. Pearson, [1998] 3 R.C.S. 620; R. v. Johnston, 2021 BCCA 34, paragr. 430-434; Brousseau c. R., 2020 QCCA 1199, paragr. 57-65; R. v. Imola, 2019 ONCA 556, paragr. 30.

[118]  StJean c. Mercier, 2002 CSC 15, [2002] 1 R.C.S. 491, paragr. 42.

[119]  R. c. J.F., 2022 CSC 17, paragr. 40-41; R. c. Yumnu, 2012 CSC 73, [2012] 3 R.C.S. 777, paragr. 5-7, 17 et 82; R. c. W.E.B., 2014 CSC 2, [2014] 1 R.C.S. 34, paragr. 2.

[120]  R. c. Babos, 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309, paragr. 31.

[121]  R. c. G.F., 2021 CSC 20, paragr. 82.

[122]  Accurso c. R., 2021 QCCA 896.

[123]  2008 QCCA 1832.

[124]  R. v. Ghorvei (1999), 138 C.C.C. (3d) 340 (C.A. Ont.), paragr. 31.

[125]  Fort Théagène c. R., 2021 QCCA 637, paragr. 27 et 44; R. c. Lalancette, 2016 QCCA 1871, paragr. 6; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. 3095-2899 Québec inc., 2021 QCCA 1222, paragr. 88.

[126]  R. c. G.F., 2021 CSC 20, paragr. 82; David M. Paciocco, « Doubt about Doubt: Coping with R. v. W. (D.) and Credibility Assessment », (2017) 22 Can. Crim. L. Rev. 31, p. 68-70.

[127]  R. c. Rose, [1998] 3 R.C.S. 262, paragr. 27.

[128]  R. c. Noël, 2002 CSC 67, [2002] 3 R.C.S. 433, paragr. 58. Voir aussi Commission de réforme du droit, Notre procédure pénale, rapport 32, 1988, p.11-13; R. C. Peck, « The Adversarial System: A Qualified Search for the Truth » (2001), 80 R. du B. can. 456; D.  Paciocco, « Evidence about Guilt: Balancing the Rights of the Individual and Society in Matters of Truth and Proof » (2001), 80 R. du B. can. 433.

[129]  R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494, paragr. 40; R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215, paragr. 48.

[130]  [1999] 1 R.C.S. 743, paragr. 21-24; R. c. Média Vice Canada Inc., 2018 CSC 53, [2018] 3 R.C.S. 374, paragr. 47.

[131]  Voir R. c. Yumnu, 2012 CSC 73, [2012] 3 R.C.S. 777.

[132]  R. c. Latimer, [1997] 1 R.C.S. 217, paragr. 13.

[133]  Id., paragr. 14.

[134]  R. c. Latimer, [1997] 1 R.C.S. 217, paragr. 43.  

[135]  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, paragr. 105-106.

[136]  2012 CSC 73, [2012] 3 R.C.S. 777.

[137]  R. c. Yumnu, 2012 CSC 73, [2012] 3 R.C.S. 777, paragr. 89.

[138]  Id., paragr. 82.

[139]  R. c. Babos, 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309, paragr. 32.

[140]  Voir R. c. Brunelle, 2021 QCCA 1317, paragr. 88-89.

[141]  R. c. Accurso, 2018 QCCS 2900, paragr. 12-13.

[142]  Id., paragr. 8-11.

[143]  Id., paragr. 20.

[144]  Id., paragr.15-16.

[145]  Id., paragr. 14.

[146]  Id., paragr. 21-22.

[147]  Id., paragr. 23.

[148]  Id., paragr. 34-39.

[149]  Id., paragr. 45.

[150]  R. c. Accurso, 2018 QCCS 2900, paragr. 46-50.

[151]  Id., paragr. 50-51.

[152]  Id., paragr. 53-56.

[153]  Id., paragr. 65.

[154]  Id., paragr. 65-66.

[155]  Id., paragr. 67-70.

[156]  Id., paragr. 71.

[157]  Id., paragr. 73.

[158]  Pouliot c. R., 2006 QCCA 643.

[159]  Canada (Attorney General) v. Lalonde, 2016 ONCA 923.

[160]  R. c. Piazza, 2018 QCCA 948.

[161]  R. c. Parranto, 2021 CSC 46, paragr. 29.

[162]  Id.

[163]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9, paragr. 26.

[164]  R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089, paragr. 49.

[165]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9, paragr. 26.

[166]  R. c. Parranto, 2021 CSC 46, paragr. 30.

[167]  R. c. Accurso, 2018 QCCS 2900, paragr. 23.

[168]  R. c. Coffin, 2006 QCCA 471.

[169]  2018 QCCS 2900, paragr. 28.

[170]  Id.

[171]  R. c. Chicoine, 2012 QCCA 1621; R. c. Fedele, 2018 QCCA 1901, paragr. 52-53.

[172]  R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, paragr. 81.

[173]  R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, paragr. 81.

[174]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9, paragr. 96.

[175]  Harbour c. R., 2017 QCCA 204.

[176]  Id., paragr. 66.

[177]  Guité c. R., 2008 QCCA 1430, paragr. 17.

[178]  R. c. Fedele, 2018 QCCA 1901, paragr. 38.  Voir l’arrêt Vallières c. R., 2020 QCCA 372, paragr. 201, infirmé par 2022 CSC 10 (mais pas à l’égard de cette question) où la Cour note une fourchette de 6 à 10 ans pour les fraudes de plusieurs millions de dollars.

[179]  Cardona-Obando c. R., 2005 QCCA 627, paragr. 16; Deng c. R., 2003 CanLII 75168 (C.A.).

[180]  Michaud c. R., 2018 QCCA 1804, paragr. 57, Poirier c. R., 2018 QCCA 1803, paragr. 44.

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