______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
DOSSIER 225935-71-0401
[1] Le 28 janvier 2004, monsieur Gilles Montigny (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 23 décembre 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a déjà rendue le 26 novembre 2003 donnant suite à l’avis du Bureau d'évaluation médicale et déclare que le travailleur conserve, à la suite de sa lésion professionnelle, les limitations fonctionnelles décrites par le docteur Hubert Laflamme, membre du Bureau d'évaluation médicale, à son avis du 28 octobre 2003.
DOSSIER 237864-71-0406
[3] Le 23 juin 2004, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une seconde requête par laquelle il conteste une décision rendue le 17 juin 2004 par la révision administrative de la CSST.
[4] Par cette décision, la CSST maintient la décision qu’elle a initialement rendue le 29 avril 2004 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement du coût d’achat d’un lit orthopédique.
[5] L’audience s'est tenue le 14 février 2005 à Montréal en présence du travailleur et de son représentant. La CSST ainsi que l’entreprise Nettoyeurs professionnels de conduits d’air (l’employeur) y sont absentes.
[6] La présente cause a été prise en délibéré le 16 mars 2005, soit après la réception d’une argumentation présentée par le travailleur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
DOSSIER 225935-71-0401
[7] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la procédure utilisée par la CSST pour requérir l’avis du Bureau d'évaluation médicale concernant les limitations fonctionnelles est irrégulière. Dans une lettre datée du 16 mars 2005, il demande au tribunal, s’il en arrivait à la conclusion que la procédure utilisée par la CSST est régulière, d’être convoqué à nouveau afin de lui permettre de présenter une preuve médicale.
DOSSIER 237864-71-0406
[8] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déterminer qu’il a droit au remboursement du coût relié à l’achat d’un lit orthopédique.
LA PREUVE
DOSSIER 225935-71-0401
[9] Le travailleur exerce le métier de technicien de nettoyage de système de ventilation. Le 6 mai 2002, il prend place sur un escabeau de 1,8 mètre (6 pieds). Alors qu’il maintient un objet de 22,6 kilogrammes (50 livres) dans ses mains, l’escabeau glisse et le travailleur effectue une chute sur le dos. Il ne consulte pas de médecin immédiatement malgré les douleurs ressenties.
[10] Toutefois, le 23 mai 2002, devant l’augmentation des douleurs, il consulte le docteur Tinco Tran qui pose les diagnostics d’entorses lombaire et cervicale probablement discogéniques. La CSST reconnaît que la présence d’une lésion professionnelle et procède au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[11] Le dossier médical nous indique qu’une radiographie de la colonne cervicale, de la colonne dorsale et lombaire ainsi que du sacrum est prise le 23 mai 2002 et démontrera la présence d’une arthrose interpophysaire étagée à la colonne cervicale ainsi qu’une discarthrose modérée C5-C6. Au niveau dorsal, on rapporte une légère scoliose droite avec spondylose.
[12] Le 27 mai 2002, un Ct-Scan est effectué. Les résultats démontrent la présence d’une dégénérescence discale importante à l’espace L5-S1 ainsi que la présence de phénomènes d’arthrose interpophysaire multi-étagée avec réduction du calibre des trous de conjugaison des niveaux C3-C4, C4-C5 et C5-C6.
[13] Au terme de l’évolution médicale, le 27 janvier 2003, le docteur Tran consolide la lésion sous le diagnostic de hernie discale lombaire et de radiculopathie. Sur le rapport d’évaluation médicale qu’il signe le 28 janvier 2003, il indique les diagnostics de hernie discale cervicale, d’entorse lombaire greffée sur une discopathie cicatricielle pathologique et de radiculopathie lombaire. Il émet les limitations fonctionnelles ainsi que le déficit anatomo-physiologique qui suivent :
Le travailleur doit éviter:
- de forcer, tirer, pousser ou lever des charges excédant 10 livres,
- garder les mêmes postures (assis, debout) ou de marcher pendant plus de 30 à 45 minutes,
- grimper ou ramper, utiliser les escaliers, se mettre en position à genoux ou accroupie,
- travailler avec les bras levés plus haut que les épaules,
- effectuer des mouvements répétitifs au cou, au dos ou aux membres,
- travailler dans une position instable ou en hauteur,
- marcher sur les terrains accidentés ou glissants,
- subir des vibrations constantes à basse fréquence.
SEQUELLES ACTUELLES : CODES DAP
Hernie discale cervicale 230693 2%
Raideur cervicale:
Flexion antérieure limitée à 30o 207387 1%
Extension à 20o 207412 1%
Flexion latérale droite à 30º 207449 1%
Flexion latérale gauche à 30º 207476 1%
Entorse lombaire greffée sur discopathie 204004 2%
Radiculopathie Iombaire S1 1112434 1%
[14] Le 28 février 2003, la CSST propose au docteur Tran de modifier le bilan des séquelles afin de le rendre conforme Règlement sur le barème des dommages corporels (le barème). Dans les notes évolutives de la CSST, on peut lire qu’un rappel sera fait au docteur Tran afin qu’il réponde à la demande de renseignements afin de rendre le rapport d’évaluation médicale conforme et que le travailleur puisse recevoir l’indemnité corporelle reliée à l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique. C’est ainsi que le docteur Tran produit un nouveau bilan sur lequel il ajoute ce qui suit :
« A ajouter Discoïdectomie lombaire L5-S1 204219 3% aux séquelles actuelles et Discoïdectomie L5-S1 204219 3% comme séquelles antérieures. »
[15] Le 9 avril 2003, faisant suite à une demande de renseignements de la CSST, le docteur Tran précise que la hernie discale cervicale est située à l’espace C3-C4. Par ailleurs, il réitère la limitation fonctionnelle qui veut que le travailleur évite d’effectuer des mouvements répétitifs impliquant le cou, le dos et les membres. Il mentionne que cette restriction est causée par les lésions discales cervicales et lombaires.
[16] Dans ses notes évolutives du 17 avril 2003, la CSST détermine que l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique décrite par le docteur Tran est conforme et réfère le dossier à un agent de réadaptation concernant les limitations fonctionnelles. Sur ses notes évolutives du 30 avril 2003, l’agent de la CSST indique que le rapport d’évaluation médicale conforme et, le 1er mai 2003, la CSST détermine que la lésion a laissé une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 11,10%. Elle précise aussi que le travailleur a droit à une indemnité de 5 850,37 $.
[17] Dès le 8 mai 2003, monsieur René Bouchard, agent de réadaptation, rencontre le travailleur et son frère. Le but de cette rencontre est de suivre l’évolution de la psychothérapie du travailleur.
[18] À la demande de la CSST, le 8 août 2003, le docteur John. R. Sutton procède à l’examen médical du travailleur. Parce que son examen est dans les limites de la normale, le docteur Sutton n’identifie aucune limitation fonctionnelle.
[19] Les notes évolutives de la CSST datées du 21 août 2003 font état du rapport final émis par le docteur Tran le 27 janvier 2003 et sur lequel il identifiait les diagnostics de hernie discale lombaire et de radiculopathie.
[20] Sur un rapport complémentaire qu’il signe le 26 août 2003, le docteur Tran se dit en désaccord avec les conclusions du docteur Sutton. Il indique notamment que les « valeurs normales » auxquelles ce médecin fait référence pour les mouvements du rachis cervical et lombaire sont obtenues passivement avec provocation de douleurs intenses et durables au travailleur.
[21] Le 9 septembre 2003, la CSST écrit à nouveau au docteur Tran et lui demande de transmettre une copie du rapport final. Le docteur Tran fait parvenir cette copie le 11 septembre 2003.
[22] Le 28 octobre 2003, c’est au tour du docteur Hubert Labelle, membre du Bureau d’évaluation médicale, d’examiner le travailleur et de donner son avis quant à l’existence et à l’évaluation des limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion. Il conclut ceci :
Pour la colonne cervicale :
Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :
- Soulever, porter, pousser, tirer des charges supérieures à 25 kilos;
- Ramper;
- Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne cervicale;
- Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale.
En ce qui concerne la colonne lombaire :
Éviter :
- De soulever, porter ou pousser, de façon répétitive ou fréquente, des charges de plus de 15 kilos;
- D’effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire;
- D’avoir à marcher en terrain glissant ou accidenté.
[23] Le 2 décembre 2003, la CSST rend une décision en accord avec les conclusions du docteur Labelle. C’est la décision rendue à la suite d’une révision administrative, et qui maintient la décision initiale, qui est contestée par le travailleur et qui a généré le dossier 225935-71-0401.
[24] Au chapitre des antécédents, on note qu’en 1990, le travailleur a subi un accident du travail qui a entraîné une période d’arrêt de travail de deux années et pour lequel il a subi une discoïdectomie L5-S1.
DOSSIER 237864-71-0406
[25] En cours d’audience, le travailleur témoigne qu’avant de subir son accident du travail, il s’entraînait régulièrement en gymnase. Or, depuis cet accident, la douleur l’empêche d’exercer toute activité.
[26] Il précise qu’il vit seul et qu’il lui est impossible de procéder à l’entretien ménager de son domicile : il ne peut laver les fenêtres ni procéder au nettoyage de la salle de bain et des planchers. Il en est de même de l’aspirateur qu’il ne peut passer. Il ne peut transporter les déchets que s’ils sont légers. Il doit prendre sa douche à genoux. Il est dans l’obligation de faire livrer son épicerie parce qu’il est incapable de transporter les paquets. Il ne peut cuisiner et se contente de plats congelés.
[27] Il précise que sa douleur lombaire est constante et irradie jusqu’à la jambe droite.
[28] Lorsqu’il commente la qualité de son sommeil, il précise qu’il dort mal, que son sommeil est morcelé et que ses douleurs le réveillent de 5 à 6 fois chaque nuit. Il demeure alors réveillé environ 30 minutes chaque fois. Enfin, il est incapable de dormir le jour.
[29] Le 6 septembre 2003, le docteur Tran prescrit l’utilisation d’un lit orthopédique en relation avec des hernies discales cervicales et une radiculopathie lombaire.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
DOSSIER 225935-71-0401
[30] Le représentant du travailleur argumente que la procédure utilisée par la CSST pour requérir l’avis du Bureau d’évaluation médicale est irrégulière et doit être invalidée. Pour en arriver à une telle conclusion, il rappelle qu’à la suite du rapport d'évaluation médicale rédigé le 28 janvier 2003 par le docteur Tran, médecin qui a charge du travailleur, la CSST détermine sur ses notes évolutives du 1er mai 2003 que ce rapport est conforme. Elle rend alors une décision quant à l’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique dont le travailleur est porteur.
[31] Il estime qu’en reconnaissant l’atteinte permanente déterminée par le docteur Tran, la CSST a rendu une décision par laquelle elle était liée.
[32] Le représentant du travailleur émet l’opinion qu’après avoir déterminé que le rapport d'évaluation médicale du docteur Tran est conforme, la CSST ne pouvait valablement faire appel au docteur Sutton et, par la suite, au docteur Labelle du Bureau d’évaluation médicale, pour évaluer les limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion.
[33]
Il souligne que la loi n’impose aucun délai à la
CSST pour soumettre ses contestations au Bureau d’évaluation médicale. Toutefois,
il estime qu’elle a l’obligation d’agir avec diligence. Il argumente qu’il y a
lieu de déterminer qu’un délai raisonnable de 45 jours doit lui être accordé
pour lui permettre d’obtenir l’avis d’un médecin désigné en vertu de l'article
[34] Il opine que la CSST est functus officio lorsqu’elle rend sa décision du 26 novembre 2003 et qui statuait sur les limitations fonctionnelles découlant de la lésion. Parce que la CSST avait épuisé sa compétence, il demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la procédure qui a mené à l’avis du Bureau d’évaluation médicale est irrégulière.
DOSSIER 237864-71-0406
[35] Concernant l’utilisation d’un lit orthopédique, le travailleur explique que cet équipement est rendu nécessaire en raison de sa lésion professionnelle et doit être accordé dans le cadre du plan de réadaptation. Il dépose une jurisprudence abondant dans ce sens.
L’AVIS DES MEMBRES
DOSSIER 225935-71-0401
[36] Le membre issu des associations syndicales estime qu’en rendant une décision quant à l’atteinte permanente retenue par le médecin qui a charge du travailleur, la CSST devenait liée par l’ensemble des autres sujets inclus au rapport d'évaluation médicale rédigé par ce médecin. Il conclut que c’est de manière irrégulière que la CSST a requis l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale.
[37] Le membre issu des associations d’employeurs constate qu’avant d’obtenir l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale, la CSST n’a émis aucune décision relativement aux limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion professionnelle subie par le travailleur. Il note que la décision qu’elle a rendue le 1er mai 2003 ne concernait que l’atteinte permanente et ne traitait aucunement des limitations fonctionnelles. Devant l’absence de décision traitant des limitations fonctionnelles, il estime que la CSST avait le pouvoir de demander au Bureau d’évaluation médicale de rendre son avis sur ce sujet.
DOSSIER 237864-71-0406
[38] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que le travailleur a droit au remboursement du prix d’achat d’un lit orthopédique parce que cette aide est nécessaire à sa réadaptation.
[39] Pour sa part, le membre issu des associations d’employeurs constate que les diverses expertises qu’on retrouve au dossier ne relatent que des douleurs subjectives et qui n’ont pas été objectivées. Il en conclut que le travailleur n’a pas droit au coût d’achat d’un lit orthopédique.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
DOSSIER 225935-71-0401
[40] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer quelles sont les limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 6 mai 2002.
[41] Afin de répondre a cette question, le tribunal doit d’abord déterminer si c’est de manière régulière que la CSST a demandé au Bureau d’évaluation médicale d’évaluer les limitations fonctionnelles laissées par la lésion professionnelle subie par le travailleur.
[42] La loi précise ce qui suit :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
__________
1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.
__________
1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
__________
1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
217. La Commission soumet sans délai les contestations prévues aux articles 205.1, 206 et 212.1 au Bureau d'évaluation médicale en avisant le ministre de l'objet en litige et en l'informant des noms et adresses des parties et des professionnels de la santé concernés.
__________
1985, c. 6, a. 217; 1992, c. 11, a. 19; 1997, c. 27, a. 6.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[43] On le voit, la loi n’impose aucun délai à la CSST pour contester les conclusions émises par le médecin qui a charge d’un travailleur. Toutefois, le tribunal estime qu’elle doit faire preuve de diligence et célérité. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en arrive la jurisprudence consultée par le soussigné, notamment dans la cause Mitchell Inc. et CSST-Laval[2] alors qu’on y mentionne ceci :
[43] La Commission
d'appel en matière de lésions professionnelles a déjà déterminé, dans un
contexte où elle devait décider de la régularité de la procédure de
contestation des questions d'ordre médical, que l'expression « sans délai »
introduite à l'article
[44] Plus récemment, dans l'affaire Blais5, la Commission des lésions professionnelles s'exprime ainsi sur cette question:
« Même si cette disposition traduit la volonté du législateur pour que la CSST agisse avec célérité lorsqu'une contestation semblable prend naissance, il faut observer que la LATMP ne fixe explicitement aucune sanction si le délai qui y est énoncé n'est pas respecté. Dans ces circonstances, comme il s'agit d'une disposition procédurale, l'irrespect de cette règle ne devrait pas être interprétée de façon à faire perdre l'exercice d'un droit qu'elle encadre. Conséquemment, la Commission des lésions professionnelles doit se garder d'intervenir en cette matière à moins qu'il lui soit démontré qu'elle est confrontée à un délai injustifiable qui devient la source d'une injustice. »
_____________
4 Tremblay
et Les Coffrages C.C.C. Ltée,
C.A.L.P.
5 Daniel
Blais, C.L.P.
[44] Par ailleurs, dans la cause Denise Morin et José & George inc.[3], le commissaire Robert Daniel s’exprime ainsi :
[60] Il est à noter
également que le législateur fait part, dans l’article
[45] Le présent tribunal fait siens les commentaires du commissaire Daniel qui estime qu’à cause du terme « sans délai » utilisé par le législateur, la CSST doit faire preuve de diligence et de célérité. Par ailleurs, retenant les principes énoncés dans l’affaire Blais dont il a été question plus avant, la Commission des lésions professionnelles doit intervenir s’il lui est démontré qu’elle est confrontée à un délai injustifiable qui devient source d’une injustice.
[46] Dans le cas sous étude, il appert que le 28 janvier 2003, le docteur Tran, médecin qui a charge du travailleur, rédige un rapport d'évaluation médicale dans lequel il précise notamment quel est le déficit anatomo-physiologique ainsi que les limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion du travailleur.
[47] La CSST demande au docteur Tran de modifier le bilan des séquelles afin de tenir compte d’une discoïdectomie que le travailleur a subi il y a quelques années. Elle l’interroge également quant aux erreurs qui se retrouveraient dans le libellé des limitations fonctionnelles. Le docteur Tran corrige le bilan des séquelles mais, dans un rapport daté du 9 avril 2003, il indique qu’il n’y a pas d’erreur dans la formulation des limitations fonctionnelles. Les notes évolutives de la CSST indiquent que quelques jours plus tard, soit le 17 avril 2003, elle estime que l’atteinte permanente déterminée par le docteur Tran est conforme. On inscrit également qu’il y aura une rencontre avec l’agent de réadaptation au sujet des limitations fonctionnelles. Par la suite, le 29 avril 2003, il est inscrit aux notes évolutives que le rapport d'évaluation médicale est conforme.
[48] Pourquoi la CSST n’a-t-elle pas réagi au moment où le docteur Tran soutient qu’il n’y a pas d’erreur à la formulation des limitations fonctionnelles? Le dossier est muet sur ce point.
[49] Le tribunal constate toutefois que durant toute cette période, même si aucune décision n’est rendue quant aux limitations fonctionnelles, la CSST a agi comme si elle acceptait celles-ci : les agents communiquent à plusieurs reprises avec le travailleur sans que le sujet des limitations fonctionnelles ne soit abordé. On inscrit aux notes évolutives que le rapport d'évaluation médicale du docteur Tran est conforme. Le dossier révèle aussi que le 8 mai 2003, l’agent de réadaptation rencontre le travailleur qui est accompagné de son représentant. Bien que l’agent n’aborde pas de manière spécifique la question des limitations fonctionnelles, il n’en demeure pas moins que cette démarche s’inscrit dans le cadre du plan de réadaptation qui fait suite aux limitations fonctionnelles.
[50] La conclusion qui s’impose est celle où la CSST n’avait pas l’intention de contester les limitations fonctionnelles émises par le docteur Tran.
[51] Or, sans que cette décision ne soit motivée au dossier, le 31 juillet 2003, la CSST demande au docteur Sutton d’examiner le travailleur et de rendre un avis quant à l’existence et à l’évaluation des limitations fonctionnelles.
[52] Parce que la CSST a attendu trois mois avant de référer le travailleur à un médecin désigné, sans qu’aucun motif ne vienne motiver ce délai, on ne peut conclure qu’elle a agi avec célérité.
[53] Le tribunal estime que le travailleur est victime d’une injustice alors que le processus de réadaptation était amorcé et que, sans raison apparente, la demande faite au Bureau d’évaluation médicale vient remettre en question les interventions de l’agent de réadaptation. Cette manière de faire s’oppose au principe même de la stabilité des décisions.
[54] Ce délai injustifié devient la source d’une injustice et la Commission des lésions professionnelles estime, devant le caractère particulier du présent dossier, qu’elle doit intervenir et déclarer que la procédure qui a conduit la CSST à demander au Bureau d’évaluation médicale d’évaluer les limitations fonctionnelles est irrégulière.
[55] Par ailleurs, la CSST ne peut prétendre, au soutien de ce délai, qu’elle n’a reçu une copie du rapport final du docteur Tran que le 11 septembre 2003 : la lecture des notes évolutives du 21 août 2003, nous indique que la CSST avait ce document en sa possession à ce moment.
[56] Puisque la procédure menant à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale est irrégulière, la décision rendue à la suite de cet avis doit être déclarée nulle. La Commission des lésions professionnelles devient alors liée par les conclusions du médecin qui a charge sous cet aspect. Ce sont donc les limitations fonctionnelles identifiées par le docteur Tran, telles qu’on les retrouve à son rapport d'évaluation médicale du 28 janvier 2003, qui s’appliquent.
DOSSIER 237864-71-0406
[57] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement du coût d’acquisition d’un lit orthopédique.
[58]
L’article
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
[…]
5 les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
________
1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23.
[59] Le Règlement sur l’assistance médicale[4] (le règlement) prévoit ce qui suit ;
18. La Commission assume le coût de location, d’achat et de renouvellement d’une aide technique prévue à l’annexe II, aux conditions et selon les montants prévus à la présente section et à cette annexe, lorsque cette aide technique sert au traitement de la lésion professionnelle ou qu’elle est nécessaire pour compenser des limitations fonctionnelles temporaires découlant de cette lésion.
La Commission assume également les frais prévus à l’annexe II, aux conditions et selon les montants indiqués à cette annexe sur présentation de pièces justificatives détaillant leur coût.
21. S’il s’agit de l’achat ou du renouvellement d’une aide technique dont le coût estimé est de 300 $ et plus, le travailleur doit de plus fournir à la Commission deux estimations, sauf dans les cas visés aux articles 20 et 27.
23. La Commission assume uniquement le coût de location d’une aide technique lorsque l’annexe II n’en prévoit que la location.
[60] Par ailleurs, l’annexe II prévoit ceci :
4º Lits d’hôpitaux et accessoires :
Le coût de location d’un lit d’hôpital et de ses accessoires soit les côtés de lit, la table de nuit, le cerceau, le trapèze et le tabouret d’utilité.
Le coût de location d’un lit d’hôpital électrique est assumé uniquement lorsque le travailleur n’a personne pouvant manœuvrer son lit au besoin et qu’il est capable de manœuvrer seul un lit électrique.
[61] Le règlement prévoit donc que la CSST ne peut assumer le coût de location d’un lit d’hôpital que si le travailleur ne dispose de personne pour manœuvrer son lit au besoin et qu’il est capable de manœuvrer seul son lit électrique. Or, le dans le cas en litige, le travailleur ne réclame pas le coût de location, mais plutôt le coût d’achat d’un lit orthopédique.
[62] Le tribunal conclut donc que la fourniture d’un lit orthopédique ne peut être accordée en vertu du règlement.
[63]
Toutefois, les articles
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
__________
1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment:
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
__________
1985, c. 6, a. 152.
[64] La lésion subie par le travailleur a laissé une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 11,10% et des limitations fonctionnelles qui sont sévères. On note également que l’utilisation d’un lit orthopédique a été prescrite par le médecin qui a charge du travailleur. Enfin, la preuve démontre que l’utilisation d’un tel lit orthopédique permettrait au travailleur d’avoir un sommeil réparateur, contribuerait à améliorer sa condition et lui permettrait de s’adapter à la situation qui découle de sa lésion professionnelle, répondant ainsi aux objectifs visés par la réadaptation sociale. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en arrive la jurisprudence consultée par le soussigné dans des cas similaires à celui en litige[5].
[65] C’est donc en vertu des dispositions relatives à la réadaptation sociale que le travailleur a droit au remboursement de l’achat d’un lit orthopédique.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DOSSIER 225935-71-0401
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Gilles Montigny ;
INFIRME la décision rendue le 23 décembre 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que la lésion subie par monsieur Montigny le 6 mai 2002 entraîne les limitations fonctionnelles identifiées par le docteur Tinco Tran à son rapport d'évaluation médicale du 28 janvier 2003.
DOSSIER 237864-71-0406
ACCUEILLE la requête de monsieur Montigny ;
INFIRME la décision rendue 17 juin 2004 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que monsieur Montigny a droit au remboursement du coût d’acquisition d’un lit orthopédique.
|
|
|
Robert Langlois |
|
Commissaire |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Alain Lachance |
|
F.A.T.A. - Montréal |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Me Marie-Claude Pilon PANNETON LESSARD |
|
Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Mitchell Inc.
et CSST-Laval, 128440-61-9912,
[3] Denise Morin et José & George inc,
[4] L.R.Q., c. A-3.001, a. 189, par. 5 et a. 454, par. 3.1.
[5] Leblanc et Société ingénierie Combustion
ltée,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.