Masse et Abattoir les Cèdres ltée (Fermée) |
2014 QCCLP 1706 |
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Dossier 503574-07-1303
[1] Le 3 mars 2013, monsieur Pierre Masse (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 6 février 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 13 décembre 2012 et déclare que l’emploi de préposé au service à la clientèle (commerce de détail) constitue un emploi convenable que le travailleur est capable d’exercer à compter du 10 décembre 2012, selon un revenu annuel estimé à 20 647,44 $. Elle déclare également que le montant de l’indemnité de remplacement du revenu sera réduit quand le travailleur occupera le poste convenu ou au plus tard le 10 décembre 2013. L’indemnité sera révisée le 10 décembre 2014 et la CSST enjoint le travailleur à l’aviser de tout emploi occupé afin qu’elle ajuste son indemnité en conséquence.
Dossier 510302-07-1305
[3] Le 1er mai 2013, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 24 avril 2013, à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 1er mars 2013 et déclare que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 11 décembre 2012 (dépression et trouble d’adaptation) et qu’il n’a donc pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[5] L’audience s’est tenue à Gatineau le 4 décembre 2013, en présence du travailleur et de son procureur. La CSST est également présente et représentée. L’entreprise Abattoir les Cèdres ltée (l’employeur) n’est plus en affaires. Le dossier est mis en délibéré le même jour.
L’OBJET DES REQUÊTES
Dossier 503574-07-1303
[6] Le travailleur demande au tribunal de reprendre le processus de réadaptation afin que soit déterminé un nouvel emploi convenable, puisque celui de préposé au service à la clientèle déterminé par la CSST ne convient pas à sa condition.
Dossier 510302-07-1305
[7] Le travailleur demande au tribunal de reconnaitre la causalité professionnelle du diagnostic de dépression avec trouble d’adaptation. En l’occurrence, il s’agirait d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle initiale du 12 juin 1989.
LES FAITS
[8] Le travailleur subit une blessure au dos dans l’exercice de son travail le 12 juin 1989. À l’époque de cet accident, il occupe un poste de désosseur dans un abattoir. Sa réclamation indique qu’il a glissé sur le plancher avec une carcasse de bœuf.
[9] Le diagnostic de la lésion est une myalgie dorsale traumatique. Par la suite, il est surtout question d’une entorse lombaire. Cette dernière lésion est consolidée au mois de novembre 1989, avec une atteinte permanente de 2 % ainsi que des limitations fonctionnelles prohibant essentiellement les postures contraignantes du rachis lombaire ainsi que la manutention de lourdes charges.
[10] Au mois d’août 1992, la CSST consigne la note suivante :
Accident mineur provoquant 1 entorse lombaire consolidée après 5 mois et aucun traitement depuis nov 89 qu’un peu d’anti inflammatoire. […]
Depuis 89, est resté inactif; se perçoit comme « fini ». Était très actifs physiquement avant et se valorisait de sa performance physique; […]. Vit forte anxiété face à l’échéance du retour au travail et de subvenir aux besoins de sa famille, vit une dépression situationnelle dans laquelle il s’enlise et tourne à vide entretenant son anxiété. […]
[sic]
[11] L’emploi pré-lésionnel de désosseur étant incompatible avec les limitations fonctionnelles du travailleur, la CSST entreprend un processus de réadaptation visant à déterminer un emploi convenable. On décrit le travailleur comme étant une personne vulnérable et à tendance dépressive-anxieuse. En raison de sa faible scolarisation, il est intégré dans un programme d’alphabétisation.
[12] Le formateur en charge du programme note des carences importantes en lecture et en écriture. Il fixe au travailleur l’objectif suivant : « Être moins angoissé par ce handicap en lecture et écriture. Confiance personnelle ». Dans un rapport d’évaluation et d’orientation réalisé le 11 septembre 1992, on peut lire ceci :
Au terme de sa formation, M. Massé rapporte des difficultés importantes au niveau de l’écriture et de la lecture. Aujourd’hui, il s’avère incapable d’écrire lorsqu’il est en présence d’une autre personne; il a donc développé au cours des mois des méthodes compensatoires pour arriver à s’adapter. Il présente actuellement beaucoup d’anxiété lorsque confronté à ses tâches.
[…]
[…] S’il reconnaît l’utilité d’améliorer le niveau de ses connaissances en français, il n’en démontre pas moins un niveau d’anxiété très sévère en relation avec les apprentissages académiques.
[notre soulignement]
[13] Incidemment, ce processus de réadaptation conduit la CSST à déterminer un emploi convenable de gardien de sécurité, que le travailleur est capable d’exercer à compter du mois de septembre 1993.
[14] Dans les mois suivants, le travailleur rapporte une douleur lombaire avec irradiation au membre inférieur droit. L’examen physique montre des amplitudes de mouvement très limitées ainsi qu’une réaction positive à la manœuvre du tripode. La CSST reconnait que cette condition constitue une récidive, rechute ou aggravation dont le diagnostic est une hernie discale L4-L5 avec lombosciatalgie. Au bilan des séquelles, l’incapacité permanente du travailleur s’établie dorénavant à 16 % pour l’ankylose sévère du rachis lombaire avec augmentation correspondante de ses limitations fonctionnelles.
[15] Cette nouvelle lésion professionnelle demeure toutefois compatible avec l’emploi convenable de gardien de sécurité. De fait, le travailleur occupe successivement un emploi saisonnier de constable spécial dans une municipalité et dans un parc faunique, tout en poursuivant des traitements de physiothérapie. Aux notes évolutives, il est question d’une intolérance à la station assise ou debout prolongée ainsi que d’une douleur lombaire exacerbée à l’effort et irradiant au membre inférieur droit. De fait, les emplois occupés par le travailleur lui permettent de marcher et d’alterner entre la station assise et debout lors de ses rondes de patrouille.
[16] Au mois de mai 1998, la CSST refuse la nouvelle réclamation soumise par le travailleur pour une aggravation de sa condition lombaire. Au tournant de l’année 2000, celui-ci travaille comme contremaitre dans un séchoir à bois et opérateur de chargeuse pour une coopérative forestière.
[17] Suivant la référence de son médecin traitant, le travailleur consulte en physiatrie le 25 mai 2004. Les doléances du travailleur concernent toujours une douleur lombaire basse avec irradiation au membre inférieur droit. Dans une attestation médicale remplie au mois de mars 2006, le médecin traitant parle d’une lombosciatalgie droite sévère qu’il considère être une récidive, rechute ou aggravation de la lésion initiale. Le travailleur revient à la charge et dépose une nouvelle réclamation que refuse également la CSST. On peut lire que celui-ci est sans travail depuis l’automne 2005. Il dit avoir été incapable de reprendre le travail à cause de ses problèmes lombaires et d’engourdissements à la jambe droite. Nous y reviendrons.
[18] Le 2 décembre 2007, le médecin traitant diagnostique une aggravation de hernie discale L4-L5 avec radiculopathie à la racine L5. La contestation initiée par le travailleur à l’encontre du refus de cette autre réclamation fait l’objet d’un accord intervenu devant la Commission des lésions professionnelles le 20 novembre 2009. Le dispositif pertinent se lit comme suit : « DÉCLARER que, le 5 janvier 2009, le travailleur a subi une rechute, récidive, ou aggravation de la lésion professionnelle du 12 juin 1989. ».
[19] À la suite de cette décision, la CSST demande une évaluation des capacités fonctionnelles du travailleur. À son rapport de juillet 2010, l’ergothérapeute mandatée à cette fin note une faible tolérance à la station assise « monsieur ne semble pas trouver de posture confortable car il bougeait fréquemment afin d’ajuster sa posture ». La station debout est aussi limitée, car le travailleur évite de mettre en charge son membre inférieur droit. Globalement, la performance du travailleur est qualifiée de faible : « En comparant les limitations fonctionnelles de monsieur ainsi que ses capacités résiduelles et les exigences de base de n’importe quel emploi rémunérateur; il apparait nettement que monsieur ne pourrait pas retourner à un travail exigeant physiquement. » [notre soulignement].
[20] L’ergothérapeute note un manque d’endurance aux postures communes telles que la station assise ou debout ainsi que la présence d’une douleur continuelle venant perturber la concentration du travailleur, limiter sa capacité fonctionnelle et affecter son humeur. Le travailleur confesse que sa condition douloureuse chronique l’a rendu irascible et qu’il devait parfois demeurer coucher une partie de la journée pour soulager son dos.
[21] Elle recommande des limitations fonctionnelles de classe 3 ainsi qu’une réorientation professionnelle permettant au travailleur d’alterner entre les stations assise et debout et la marche. Elle souligne l’importance de respecter sa formation et ses champs d’intérêts. Incidemment, le travailleur exprime le désir d’exercer un travail autonome de manière à pouvoir respecter ses limites et il mentionne être incapable de travailler à plein temps.
[22] Le 30 novembre 2010, le docteur Jacques Demers, neurochirurgien et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur afin d’établir les séquelles découlant de l’aggravation de sa condition lombaire. Il est toujours question d’une lombosciatalgie droite chronique avec engourdissement au membre inférieur droit. Le travailleur rapporte une diminution marquée de son endurance à la station assise ou debout prolongée. Il demeure cependant capable de conduire son automobile en espaçant ses déplacements par des pauses.
[23] L’évaluation des amplitudes articulaires de la colonne lombaire montre un important déficit des mouvements de flexion et d’extension. Le signe du tripode est positif bilatéralement, alors que le Lasègue provoque une forte lombalgie, le phénomène étant plus prononcé à droite. Le docteur Demers met en évidence une neuropathie sensitive L5 droite donnant droit à l’ajout de 1 % à l’atteinte permanente supplémentaire déjà évaluées. Il accorde des limitations fonctionnelles de classe 3, détaillées comme suit :
Colonne dorso-lombo-sacrée :
Classe 3 : restrictions sévères :
Éviter les activités qui impliquent de :
- soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive, et fréquente des charges de plus de 5 kg;
- marcher longtemps;
- garder la même posture (debout, assise) plus de 30 à 60 minutes;
- travailler dans une position instable (ex. : échafaudages, échelles, escaliers);
- effectuer des mouvements répétitifs des membres inférieurs
- (ex. : actionner des pédales)
- effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire même de faible amplitude;
- monter fréquemment plusieurs escaliers;
- marcher en terrain accidenté ou glissant.
Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :
- travailler en position accroupie;
- ramper, grimper;
- subir des vibrations de basse fréquente ou des contrecoups à la colonne vertébrale (ex : provoquées par du matériel roulant sans suspension).
[24] Au cours de l’année 2010, la CSST débute un nouveau processus de réadaptation, puisqu’il est acquis que le travailleur n’est plus en mesure d’exercer l’emploi convenable d’agent de sécurité. La CSST écrit : « Monsieur a émis le vœu d’exercer un travail autonome cela lui permettrait de respecter ses limites et de trouver un travail compte tenu du peu d’activité économique dans sa région […] » [notre soulignement]. De fait, le travailleur verbalise vouloir occuper un emploi autonome lui permettant de rester actif et de travailler à son rythme.
[25] Avant d’amorcer la prospection des opportunités d’emplois pouvant convenir au travailleur, la CSST demande une évaluation de son potentiel de réadaptation. Une rencontre à cet effet est prévue pour le 7 avril 2011 avec une équipe multidisciplinaire. Les notes consignées par la CSST indiquent que le travailleur a rebroussé chemin après avoir subi une crise de panique. Les circonstances de cet épisode sont les suivantes :
- il aurait vécu une crise de panique aigue une fois rendu à Montréal la veille en après-midi et jusqu’au stationnement de l’hôtel où il devait passer une nuit en vue du rendez-vous d’aujourd’hui.
- il eut un accueil agressif d’un agent de stationnement de l’hôtel ayant fait suite à des attitudes agressives de conducteurs qui le pressaient de circuler sur la rue alors qu’il s’affairait à chercher l’adresse de son hôtel;
- pris de panique au pied de l’ascenseur de l’hôtel (gorge serrée, problème respiratoire, palpitation), il a décidé en concertation avec sa conjointe de quitter les lieux;
[26] Suivant la référence de son médecin, le travailleur entreprend plutôt un suivi avec un naturopathe. Ces traitements améliorent son sommeil et son moral. Il dort mieux et ressent moins de spasmes lombaires. La CSST note l’absence de composante psychique sévère chez le travailleur.
[27] Au début de l’année 2012, le travailler réitère son intérêt à occuper un travail autonome adapté à sa condition. Il vise l’exploitation d’un commerce de fruits et légumes en bordure de la route bordant sa résidence et menant à l’entrée du village. Il souligne la rareté des opportunités d’emploi dans son environnement géographique, constitué principalement de commerces saisonniers reliés à l’industrie touristique. Il fait aussi valoir que sa condition restreint ses possibilités de déplacement. La CSST écrit en mars 2012 : « M. Massé déclare se sentir motivé et encouragé par ce projet qui correspond à un intérêt personnel qui lui semble réalisable ».
[28] Ce projet est agréé par la CSST, car « Il s’agit d’une solution de création d’emploi autonome visant l’utilisation des capacités résiduelles, compte tenu de l’impact des limitations fonctionnelles liées à la douleur lombaire chronique. ». Concernant l’employabilité du travailleur, l’agent de réadaptation note que « les limitations lombaires empêcheraient l’exercice d’un emploi compétitif à plein temps sur le marché ». À son avis, un tel emploi autonome permettrait au travailleur « une gestion de son seuil de tolérance à la douleur chronique » [notre soulignement]. Il considère également que la perspective défavorable d’embauche liée au contexte géographique justifie d’appuyer et de subventionner ce projet d’emploi autonome.
[29] Dès lors, le travailleur s’affaire à obtenir les autorisations de la municipalité lui permettant d’exploiter son commerce. Il déniche aussi un fournisseur pour ses produits et demande des soumissions pour l’achat d’une remorque. Il distribue également de la publicité auprès des résidents et des commerces environnants. Le travailleur témoigne avoir bénéficié du support de son conseiller en réadaptation tout au long de la période de démarrage de son projet. Il m’encourageait, j’avais confiance, je me suis lancé « 100 miles à l’heure », dit-il. Les notes de la CSST démontrent effectivement un suivi attentif de la part du conseiller en réadaptation lors de la mise sur pied du projet de travail autonome.
[30] Le travailleur débute ses activités vers la fin du mois de mai 2012. L’inventaire de départ ainsi que le coût d’acquisition de la remorque et de la caisse enregistreuse sont subventionnés par la CSST. À raison de 7 jours par semaine, le travailleur offre ses fruits et légumes dans un petit kiosque aménagé en bordure de la route devant sa résidence. Suivant la suggestion de son conseiller, il s’adjoint aussi les services d’un jeune homme du voisinage qui vient l’aider à charger les produits dans la remorque et pour garder le kiosque lorsqu’il doit reposer son dos. Le travailleur témoigne qu’il s’agissait d’un emploi sur mesure lui permettant de travailler à son rythme et de prendre des pauses selon ses besoins. Au cours d’une journée, il pouvait ainsi aller s’étendre chez lui pour de courtes périodes de repos.
[31] Son conseiller en réadaptation garde contact avec lui et l’encourage. Voici ce qu’il note au mois de juin 2012 : « Le travailleur démontre jusqu’ici une bonne maîtrise des opérations, mettant à profit ses expériences antérieures de gestion dans le domaine de la rénovation résidentielle. ».
[32] Même si les ventes vont relativement bien, le travailleur subit des pertes importantes en raison des chaleurs de l’été. Celui-ci peine à garder ses produits au frais. Il tente sans succès d’aménager une chambre froide de fortune en y installant des climatiseurs domestiques. Mis au courant de la situation, le conseiller en réadaptation n’exclut pas l’idée d’une remorque réfrigérée ou l’installation d’un compresseur : « Suivant l’estimé, une décision suivra quant la pertinence de soutenir ou non le projet, à titre de réintégration dans un emploi. ». Malgré ces embûches, le travailleur garde foi en son projet comme le montre la note suivante :
- Quant à la rentabilisation, il a des signes intéressants; par exemple, malgré les pertes de produits enregistrées par manque de réfrigération, le renouvellement du stock se poursuit depuis 6 semaines avec un même investissement de 500$. Par ailleurs, des établissements de villégiature de la région commencent tour à tour à se montrer intéressés à s’approvisionner de façon régulière. Les particuliers font de plus en plus le va et vient.
- Et le travailleur maintient de plus belle se détermination à développer cette activité qu’il considère comme une solution sur mesure pour sa capacité fonctionnelle ainsi que son désir de sortir de son isolement par l’inaction.
Le travailleur dit être devenu convaincu qu’il vaut mieux pour lui s’activer selon sa capacité que de se détruire à petit feu à gérer sa douleur quotidienne. Vaut mieux pâtir dans l’action qu’à ne rien faire, dira-t-il.
[33] Le travailleur constate une diminution significative de ses ventes à la fin de l’été, soit à la rentrée des classes. Il dit qu’il pouvait encore compter sur les commerces et les établissements de la région pour continuer ses activités pendant la saison morte. Il reconnait cependant que pendant la période d’été, sa petite entreprise couvrait certes ses frais, mais ne générait pas de bénéfices, et que l’absence de chambre froide compromettait la poursuite des affaires. Les choses en restent là pendant plusieurs semaines au cours desquelles le travailleur ne reçoit plus de nouvelle de son conseiller en réadaptation.
[34] Le projet du travailleur prend fin abruptement au cours du mois de novembre 2012, lorsque son conseiller l’informe qu’il doit vendre la remorque. Il dit que le ton a radicalement changé et qu’il devenait impératif de déterminer sans délai un emploi convenable. Le tribunal rapporte la note suivante consignée le 27 novembre 2012 à la suite d’un entretien avec le représentant du travailleur : « Le représentant du travailleur dit avoir remarqué que, quoi qu’il dise ou dira, la position de la CSST est déjà prise de statuer sur un emploi convenable ».
[35] Le travailleur témoigne s’être senti bousculé et abandonné : « T souligne qu’il sent qu’on l’a laissé tomber. T dit qu’avant le conseiller l’appelait mais que tout d’un coup, il n’a plu eu de nouvelles. […] T dit qu’il a paniqué car il s’est senti abandonné. » [sic].
[36] Dans ses notes, le conseiller en réadaptation indique que le projet a permis « de valider la capacité résiduelle de travail de Monsieur Massé dans le secteur du service à la clientèle et de la vente ». Le travailleur argumente en vain que son expérience a plutôt démontré son incapacité à travailler une journée complète. Résigné, le travailleur baisse les bras. Son conseiller l’informe qu’il retient un emploi convenable de préposé au service à la clientèle ou de vendeur. Voici ce qu’il écrit :
Monsieur massé mentionnait qu’il n’avait plus rien à ajouter dans la conversation et il a demandé de rendre la décision que je lui ai annoncée concernant un emploi convenable. Il fait savoir que ce n’est pas sa décision et qu’il s’agit de la décision de la CSST, car lui c’est un emploi à temps partiel qu’il peut exercer en raison de la perte de tolérance à la douleur.
[notre soulignement]
[37] Les caractéristiques de l’emploi convenable retenu par la CSST sont tirées d’un extrait du répertoire Repères portant sur le poste de préposé au service à la clientèle et sur celui de commis aux fruits et aux légumes. On lit notamment que la formation se donne en cours d’emploi et que le candidat doit être capable de travailler en position assise et debout ou en marche. La CSST dépose une liste de 10 employeurs ayant leur place d’affaires dans la région où habite le travailleur, et susceptibles d’offrir du travail correspondant aux caractéristiques de l’emploi de préposé au service à la clientèle. On retrouve des commerces d’alimentation, de matériaux et de sport motorisé. Le travailleur soulève que tous ces emplois impliquent des tâches de manutention incompatibles avec ses limitations fonctionnelles. Il réitère son manque d’endurance et son incapacité à travailler à plein temps depuis son aggravation de 2009.
[38] Le travailleur consulte son médecin le 11 décembre 2012 pour une condition dépressive. Les notes cliniques réfèrent à la décision de la CSST portant sur la capacité du travailleur à exercer l’emploi convenable à compter du 10 décembre 2012. On peut aussi lire que celui-ci souffre toujours d’une hernie discale L4-L5 avec neuropathie à la racine L5. Le rapport médical rempli lors de cette visite indique que les « douleurs lombaires ont provoqué une dépression et un trouble d’adaptation ».
[39] Le tribunal rapporte l’extrait suivant tiré d’une note de consultation en psychiatrie du 17 janvier 2013 : « He is presently battling - CSST as they refuse to recognize his status of “invalidité”, claiming that he is too young. He is worried that he will have to return to work next year despite the fact that he was trouble coping - his pain at home. ». La CSST a refusé la réclamation portant sur la condition dépressive au motif qu’elle découlait principalement de l’insatisfaction du travailleur quant au processus de réadaptation et aux décisions administratives qui lui ont été défavorables.
[40] Le docteur Michel Gil, psychiatre, examine le travailleur le 2 octobre 2013. Il précise l’objet de son mandat comme suit dans son rapport (pièce T-1) : « Vous souhaitez mon opinion sur la relation entre le diagnostic de dépression et trouble d’adaptation et l’événement du 12 juin 1989 et ses conséquences. ».
[41] Le travailleur ne rapporte aucun antécédent psychiatrique personnel ou familial ni de problème de fonctionnement avant son accident. Il dit que son état psychologique s’est détérioré au fil du temps en raison de la persistance de ses douleurs lombaires. Il reconnait que ses démêlées administratifs avec la CSST ont aussi contribué à augmenter son stress et son anxiété. Il attribue ses deux ruptures conjugales à la détérioration de sa condition physique et psychologique.
[42] Le docteur Gil retient un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive chronicisée dans un contexte d’un syndrome douloureux chronique (pièce T-2)[2]. À son avis, il existe une relation causale probable entre la condition psychique du travailleur et la lésion professionnelle initiale du 12 juin 1989. Le docteur Gil ne retient pas de facteur personnel contributif.
[43] Les contestations initiées par le travailleur à l’encontre du refus de la CSST de reconnaitre la causalité professionnelle de sa condition dépressive et du trouble d’adaptation ainsi que celle portant sur sa capacité à exercer l’emploi convenable constituent les deux litiges soumis à l’attention du tribunal.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[44] La procureure du travailleur soumet d’abord que la condition dépressive de ce dernier découle du syndrome de douleur chronique et des séquelles fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle. Confronté au quotidien avec la douleur depuis une vingtaine d’années et à un avenir plus qu’incertain, le travailleur a développé un problème d’anxiété ayant conduit à son état dépressif. En l’absence de facteur personnel contributif, la preuve médicale démontre qu’il s’agit là de la cause probable de la détérioration du tableau psychique; les tracasseries administratives n’ayant joué qu’un rôle marginal. Comme la décision portant sur la capacité de travail a été rendue sans prendre en compte les conséquences de cette condition psychique, il y a lieu de retourner le dossier à la CSST pour que cette question soit réexaminée à la lumière du tableau d’ensemble.
[45] D’autre part, elle soumet que la CSST a unilatéralement modifié le plan de réadaptation élaboré au bénéfice du travailleur. Sans justification, la CSST a mis fin au projet de travail autonome pour déterminer un emploi convenable contrevenant aux limitations fonctionnelles du travailleur. En l’occurrence, il s’agit d’une modification illégale justifiant de reprendre le processus de réadaptation en collaboration avec le travailleur, tel que le prévoit l’article 146 de la loi.
[46] La procureure de la CSST est en désaccord avec cette solution. Selon elle, le projet d’emploi autonome constituait une mesure de réadaptation visant à évaluer la capacité fonctionnelle du travailleur en vue de sa réinsertion professionnelle. Le cinquième alinéa de l’article 184 de la loi prévoit expressément que le plan de réadaptation puisse comprendre une telle mesure. Comme le projet s’est avéré non rentable, la CSST pouvait y mettre fin et poursuivre ses démarches visant à déterminer un emploi convenable. Devant l’absence de collaboration du travailleur, la CSST n’a eu d’autre choix que de procéder unilatéralement. Par ailleurs, l’emploi convenable retenu de préposé au service à la clientèle respecte la condition globale du travailleur qui a démontré sa capacité à l’exercer au cours de l’été 2012. Il s’agit d’un emploi disponible et offrant des perspectives raisonnables d’embauche.
[47] La procureure de la CSST considère pour le moins curieux que la condition dépressive apparaisse au moment même où l’on avise le travailleur de son aptitude à exercer l’emploi convenable, alors que le syndrome douloureux invoquée comme agent causal existe depuis plus de 20 ans. Elle rappelle l’aveu du travailleur voulant que ses démêlés avec la CSST aient contribué à augmenter son stress et son anxiété. Il y a lieu, dit-elle, de distinguer entre la condition psychologique découlant de la lésion professionnelle et celle reliée aux litiges et tracasseries administratives[3]. Selon elle, ce deuxième scénario expliquerait mieux la condition dépressive du travailleur de sorte que conformément à la jurisprudence, cette lésion ne constituerait pas une récidive, rechute ou aggravation.
L’AVIS DES MEMBRES
Dossier 503574-07-1303
[48] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales recommandent tous deux d’accueillir la requête du travailleur et de retourner le dossier à la CSST pour que soit déterminé un nouvel emploi convenable. Après avoir mis fin au projet d’emploi autonome en raison de sa non rentabilité, la CSST devait élaborer un nouveau plan de réadaptation en collaboration avec le travailleur. Elle s’est plutôt empressée de lui imposer unilatéralement l’emploi convenable de préposé au service à la clientèle. Outre le fait que cette volteface intempestive a privé le travailleur de son droit à un processus de réadaptation équitable, l’emploi convenable déterminé par la CSST contrevient aux limitations fonctionnelles du travailleur.
Dossier 510302-07-1305
[49] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que le diagnostic de dépression et de trouble d’adaptation ne découle pas de la lésion professionnelle initiale. D’une part, le travailleur présente une condition personnelle d’anxiété de longue date, abondamment documentée au dossier. D’autre part, sa réaction négative face à la décision ayant statué sur sa capacité de travail semble être à l’origine de la détérioration de sa condition psychique. Ces deux facteurs ainsi que le long délai d’apparition des symptômes, alors que le syndrome douloureux existe depuis plus de vingt ans ne permettent pas d’établir la causalité professionnelle probable du diagnostic de dépression et de trouble d’adaptation.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
Dossier 503574-07-1303
[50] Le diagnostic de la lésion professionnelle est une hernie discale L4-L5 avec radiculopathie sensitive L5 droite. Cette lésion a entrainé des séquelles permanentes majeures ainsi que des limitations fonctionnelles de classe 3. Tout au long de l’audience, le tribunal a observé que le travailleur variait fréquemment sa posture en alternant entre la station assise et debout. La mobilisation de la colonne lombaire est apparue sévèrement limitée et douloureuse. La station debout spontanée montre une déviation antalgique évidente pour éviter la mise en charge du membre inférieur droit. Le travailleur compose avec ce tableau douloureux depuis une vingtaine d’années.
[51] Le phénomène de radiculopathie L5 est apparu au cours de l’année 2006. Cette nouvelle pathologie coïncide avec le dernier emploi rémunérateur occupé par le travailleur. De fait, celui-ci n’a plus retravaillé par la suite. Aux dires de l’ergothérapeute ayant évalué sa capacité fonctionnelle, l’intolérance du travailleur à la station assise ou debout l’empêche de rencontrer les exigences de base de n’importe quel emploi rémunérateur et ne lui permet pas de « retourner à un travail exigeant physiquement ».
[52] L’aggravation consécutive à cette nouvelle pathologie a conduit le travailleur devant le Bureau d’évaluation médicale, dans le but d’établir le bilan définitif de ses séquelles. Outre une atteinte permanente évaluée à 16 %, le travailleur est assujetti à des limitations fonctionnelles de classe 3 consistant principalement à éviter la station assise ou debout plus de 30 à 60 minutes, les mouvements répétitifs ou fréquents de la colonne lombaire, même ceux de faible amplitude, ainsi que la manutention répétitive et fréquente de charges supérieures à 5 kg. Ces restrictions s’accordent avec les observations du tribunal, dont il a été question précédemment.
[53] Sans pour autant conclure que le travailleur présente un état d’invalidité le rendant inemployable, le tribunal partage l’opinion de l’ergothérapeute voulant que celui-ci demeure peu compétitif sur le marché de l’emploi, surtout chez un individu sous scolarisé, ayant toujours travaillé manuellement et ne possédant aucune spécialisation particulière. Dans un contexte de productivité, il semble illusoire d’espérer qu’un travailleur aussi restreint dans sa capacité de travail et devant modifier sa posture plusieurs fois par jour puisse fournir un rendement satisfaisant lui permettant de conserver son emploi.
[54] C’est d’ailleurs cette même conclusion qui a conduit la CSST à autoriser le projet d’emploi autonome, puisqu’elle était d’avis que « les limitations lombaires empêcheraient l’exercice d’un emploi compétitif à plein temps sur le marché ». Dans ces circonstances, l’incertitude entourant l’employabilité du travailleur justifiait de donner suite au projet d’emploi autonome souhaité par le travailleur. Rappelons que dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation, celui-ci avait exprimé le désir d’exercer un tel emploi afin de pouvoir travailler à son rythme et selon sa capacité.
[55] L’article 145 de la loi se lit comme suit :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
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1985, c. 6, a. 145.
[56] Cet article vise la réinsertion sociale et professionnelle d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle. Pour favoriser l’atteinte de cet objectif, le travailleur a droit aux mesures de réadaptation que requiert son état. À titre de mesure de réadaptation, la CSST considère que le projet d’emploi autonome constitue une « solution de création d’emploi autonome visant l’utilisation des capacités résiduelles, compte tenu de l’impact des limitations fonctionnelles liées à la douleur lombaire chronique. » En l’instance, ce projet constitue le plan de réadaptation prévu au premier alinéa de l’article 146 de la loi :
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
[…]
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1985, c. 6, a. 146.
[57] Le travailleur reproche essentiellement à la CSST d’avoir illégalement mis fin à son projet d’emploi autonome et d’avoir déterminé un emploi convenable incompatible avec sa condition. Le deuxième alinéa de l’article 146 se lit comme suit :
146. […]
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
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1985, c. 6, a. 146.
[58] La CSST a élaboré le plan de réadaptation en fonction des limitations fonctionnelles du travailleur, soit en l’intégrant dans une formule d’emploi autonome lui permettant de gérer son temps de travail compte tenu de sa tolérance limitée à l’effort. En plus de son indemnité de remplacement du revenu, le travailleur a bénéficié d’un suivi personnalisé et de subventions pour l’achat de son équipement et de son inventaire de départ. Hormis les démarches du travailleur pour recruter sa clientèle, il ne semble pas y avoir eu d’analyse préalable quant au potentiel commercial de ce projet. De bonne foi, le travailleur s’est improvisé avec le soutien de la CSST dans une aventure qui s’est malheureusement avérée déficitaire et non viable après quelques mois d’opération.
[59] Soit dit sans reproche, il était utopique de croire que la petite entreprise artisanale à caractère saisonnier fondée par le travailleur puisse constituer un emploi convenable selon l’objectif établi initialement au plan de réadaptation. C’est probablement la conclusion à laquelle en est arrivée la CSST lorsqu’elle a mis fin à ce projet au mois de novembre 2012.
[60] Un emploi, quel qu’il soit, constitue avant tout un moyen de subsistance permettant à son titulaire d’en faire son gagne-pain. Le tribunal doute que le travailleur aurait poursuivi ses activités s’il avait dû financer son projet à même ses fonds personnels. En l’instance, l’emploi autonome élaboré au plan de réadaptation s’est avéré non rentable. En tant que fiduciaire des deniers publics et considérant l’obligation de rechercher la solution la plus économique, la CSST était justifiée de mettre fin au projet après avoir réalisé que l’objectif de créer un emploi convenable était irréalisable. De l’avis du tribunal, l’improbabilité de pouvoir atteindre l’objectif fixé au plan de réadaptation constitue certes une circonstance nouvelle permettant d’en modifier le contenu. En effet, il apparait contraire au bon sens de poursuivre un projet voué à l’échec.
[61] Cela dit, le travailleur conserve néanmoins tous ses droits à la réadaptation que requiert son état. En mettant ainsi fin au projet initial, la CSST devait élaborer un nouveau plan de réadaptation en collaboration avec le travailleur. Rappelons que la sévérité de ses déficits ainsi que l’incertitude entourant son employabilité avaient nécessité la mise en œuvre d’une mesure d’accompagnement personnalisée dans le cadre d’un projet subventionné d’emploi autonome. Cette mesure illustre le type de relation d’aide requis par l’état du travailleur et témoigne de la lourdeur de son cas.
[62] À juste titre, celui-ci témoigne s’être senti abandonné, ce qui ne surprend guère chez un individu anxieux, physiquement diminué et n’ayant pas travaillé au cours des cinq dernières années. Dans ce contexte, son appréhension à affronter le marché du travail apparait bien légitime.
[63] En même temps qu’elle met fin au projet d’emploi autonome, la CSST cesse toute forme de relation d’aide avec le travailleur et lui impose un emploi convenable de préposé au service à la clientèle. En d’autres mots, la CSST s’est désintéressée du travailleur au moment où celui-ci avait le plus besoin de support quant à son avenir professionnel. Cette volteface contraste avec la prise en charge initiale et ne constitue certainement pas un plan de réadaptation acceptable eu égard à la condition du travailleur. Le tribunal ne note aucun défaut de collaboration de sa part justifiant la CSST d’avoir agi unilatéralement dans la détermination de l’emploi convenable. Le tribunal y voit plutôt un expédient pour terminer hâtivement un processus de réadaptation.
[64] L’article 167 de la loi offre les possibilités suivantes :
167. Un programme de réadaptation professionnelle peut comprendre notamment :
1° un programme de recyclage;
2° des services d'évaluation des possibilités professionnelles;
3° un programme de formation professionnelle;
4° des services de support en recherche d'emploi;
5° le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l'embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;
6° l'adaptation d'un poste de travail;
7° le paiement de frais pour explorer un marché d'emplois ou pour déménager près d'un nouveau lieu de travail;
8° le paiement de subventions au travailleur.
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1985, c. 6, a. 167.
[65] Les mesures de soutien et d’accompagnement prévues dans cet article rejoignent le type de relation d’aide dispensée au travailleur lors de la mise en œuvre de son plan initial de réadaptation. Comme la condition globale et les besoins du travailleur sont restés les mêmes après que la CSST ait terminé le projet d’emploi autonome, il n’y a pas de raison pour que le nouveau plan de réadaptation n’explore pas les possibilités offertes par l’article 167 de la loi. Pour être conséquente avec elle-même, la CSST devra donc préparer et mettre en œuvre, en collaboration avec le travailleur, un nouveau plan de réadaptation, de sorte que le dossier lui est retourné.
Dossier 510302-07-1305
[66] Ce litige concerne la condition dépressive et le trouble d’adaptation diagnostiqués au mois de décembre 2012. L’expertise psychiatrique déposée par le travailleur exclut d’emblée l’existence d’une condition personnelle contributive dans l’étiologie de cette pathologie. Ce n’est cependant pas ce que démontre la preuve soumise.
[67] En effet, le formateur responsable du programme d’alphabétisation initié à la suite de lésion professionnelle initiale rapportait déjà des traits d’anxiété sévère chez le travailleur. On notait alors que le travailleur était angoissé par son handicap en lecture et en écriture. Dans le cadre du processus ayant mené au premier emploi convenable d’agent de sécurité, la CSST décrivait le travailleur comme étant une personne vulnérable et à tendance dépressive et anxieuse. À l’audience, le travailleur a reconnu être de nature anxieuse. L’épisode concernant la crise de panique vécue au mois d’avril 2011 confirme cette propension à l’anxiété. Tout cela démontre l’existence probable d’une condition personnelle d’anxiété significative chez le travailleur.
[68] Par ailleurs, autant la preuve médicale soumise que le témoignage du travailleur montrent que les démêlées administratifs de ce dernier ont influé défavorablement sur sa condition psychique. Le tribunal y voit même la cause principale de sa condition dépressive, comme le suggèrent les notes cliniques du médecin traitant.
[69] En effet, dans les circonstances ayant mené le travailleur à consulter pour sa dépression, le médecin traitant réfère expressément à la décision de la CSST portant sur sa capacité à exercer l’emploi convenable. Si l’origine de cette condition dépressive était effectivement la douleur chronique présente depuis une vingtaine d’années, le tribunal présume que les symptômes de cette pathologie seraient apparus beaucoup plus tôt.
[70] Dans le cas présent, cette pathologie apparait tardivement et de façon contemporaine à la décision portant sur la capacité du travailleur à exercer l’emploi convenable. Cette condition dépressive semble donc découler de l’insatisfaction du travailleur face aux décisions administratives le concernant. Or, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles admet que la lésion psychique résultant de l’insatisfaction et des tracasseries administratives ne constitue pas une lésion professionnelle[4].
[71] L’ensemble de ces éléments ne permet pas de reconnaitre la causalité professionnelle probable du diagnostic de dépression avec trouble d’adaptation. Le travailleur n’a donc pas subi de récidive, rechute ou aggravation et sa requête est rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par monsieur Pierre Masse, le travailleur;
ANNULE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 6 février 2013, à la suite d’une révision administrative;
RETOURNE le dossier du travailleur à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin que soit déterminé, en collaboration avec celui-ci, un nouveau plan de réadaptation.
Dossier 510302-07-1305
REJETTE la requête déposée par monsieur Pierre Masse, le travailleur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 24 avril 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le diagnostic de dépression avec trouble d’adaptation, émis le 11 décembre 2012, ne constitue pas une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle initiale du 12 juin 1989.
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Michel Moreau |
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Me Brigitte Ducas |
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F.A.T.A. |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Abira Selvarasa |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Le diagnostic apparaissant sur le rapport final du médecin traitant est un trouble d’adaptation avec constat d’inaptitude au travail.
[3] Lataille et Sears Canada inc., C.L.P. 185807-64-0206, 30 mai 2003, C.-A. Ducharme; Blouin et Hôpital de L’Enfant-Jésus, C.L.P. 274879-03B-0511, 21 septembre 2007, M. Cusson; Racine et Fruiterie du Jardin inc. (La), 2011 QCCLP 7522.
[4] Voir jurisprudence de l’employeur, note 3.
AVIS :
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