Royal & Sun Alliance du Canada, société d'assurances c. Toitures Qualitoit inc. |
2015 QCCS 4080 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-17-020614-145 |
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DATE : |
Le 31 juillet 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
FRANÇOIS HUOT, j.c.s. |
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ROYAL & SUN ALLIANCE DU CANADA, SOCIÉTÉ D’ASSURANCES,
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Demanderesse |
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c. |
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TOITURES QUALITOIT INC., et/ SEAN MURPHY, en sa qualité de fondé de pouvoir au Canada pour les SOUSCRIPTEURS DU LLOYD’S
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Défenderesses |
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JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE DE TYPE WELLINGTON ET SUR UNE REQUÊTE DE BENE ESSE POUR ÊTRE AUTORISÉ À PRÉSENTER UNE PREUVE (Articles |
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[1] Toitures Qualitoit inc. (ci-après « Qualitoit ») demande qu’il soit ordonné à la codéfenderesse Les Souscripteurs du Lloyd’s de Londres (ci-après « Lloyd’s ») d’assumer, à ses seuls frais, la défense de Qualitoit dans le cadre d’une poursuite intentée contre celle-ci par la demanderesse Royal & Sun Alliance du Canada, Société d’assurances (ci-après « Royal & Sun Alliance ») suite à l’incendie d’un immeuble assuré par cette dernière.
[2] Qualitoit souhaite également être représentée par un procureur distinct de celui de sa codéfenderesse.
[3] Par sa requête De bene esse, Lloyd’s sollicite l’autorisation de produire en preuve l’intégralité d’une police d’assurance et deux déclarations écrites pour faire échec à la requête de type « Wellington ».
I- LES FAITS
[4] En janvier 2014, la demanderesse assurait l’immeuble Les Jardins de la Côte appartenant à Gestion BPH inc. (ci-après « BPH ») et situé sur la rue de L’Érablière, à Beaupré.
[5] La défenderesse Lloyd’s assurait à la même époque la responsabilité civile de Qualitoit aux termes d’une police d’assurance portant le numéro MCL10827. Cette dernière était en vigueur depuis le 30 septembre 2013.
[6] Toujours au mois de janvier 2014, les services de Qualitoit sont retenus pour imperméabiliser le joint du mur coupe-feu situé entre deux toitures de l’immeuble précité.
[7] Le 24 du même mois, un incendie fait rage aux Jardins de la Côte, endommageant sérieusement la résidence de même que divers biens appartenant à BPH.
[8] Ce sinistre aurait causé des dommages totalisant plus de 2 000 000 $.
[9] Du 29 janvier au 4 février 2014, Lloyd’s reçoit cinq mises en demeure en rapport avec les pertes qu’auraient subies d’autres propriétaires voisins de l’immeuble sinistré.
[10] Le 25 mars, Lloyd’s informe Qualitoit que sa couverture d’assurance aurait fait l’objet d’une suspension au moment du déclenchement de l’incendie.
[11] Les 25 juillet et 4 août suivants, la demanderesse signifie aux défenderesses une requête introductive d’instance (dossier 200-17-020614-145) leur réclamant 1 500 000 $ (somme à parfaire) avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à la loi à compter du 28 janvier 2014.
[12] Royal & Sun Alliance impute ainsi l’entière responsabilité du sinistre aux travaux de soudure réalisés par les employés de Qualitoit. Elle soutient également avoir indemnisé BPH pour un montant de 1 500 000 $ et être légalement subrogée dans les droits et recours de son assurée.
[13] Le 11 décembre 2014, Lloyd’s signifie quant à elle à sa codéfenderesse Qualitoit une requête en jugement déclaratoire dans un dossier de Cour distinct (numéro 200-17-021359-146), laquelle concerne les mêmes faits que ceux énoncés dans la poursuite intentée par Royal & Sun Alliance.
[14] Dans sa requête, Lloyd’s demande à la Cour supérieure de déclarer que Qualitoit ne bénificie pas d’une assurance couvrant les dommages réclamés par Royal & Sun Alliance du fait que la police d’assurance MCL10827 était suspendue au moment de l’incendie.
[15] Le 16 janvier 2015, la demanderesse signifie une déclaration d’intervention dans le dossier en jugement déclaratoire (200-17-021359-146).
[16] Le 4 février suivant, Lloyd’s dépose au dossier 200-17-020614-145 une requête en jugement déclaratoire identique à celle préalablement signifiée dans le dossier 200-17-021359-146.
[17] Toujours au début février, Qualitoit avise les parties de son intention de présenter une requête de type « Wellington » pour forcer sa codéfenderesse Lloyd’s à prendre fait et cause.
[18] Le 17 février, Qualitoit signifie à Lloyd’s deux requêtes en irrecevabilité des requêtes pour jugement déclaratoire produites dans les dossiers 200-17-020614-145 et 200-17-021359-146.
[19] Le même jour, elle signifie également à Lloyd’s sa requête « Wellington » dans le dossier 200-17-020614-145.
[20] Le 19 mars 2015, la défenderesse Qualitoit présente au soussigné sa requête de type « Wellington » de même que ses deux requêtes en irrecevabilité. Lloyd’s plaide quant à elle sa requête De bene esse.
II- PRÉTENTIONS DES PARTIES
[21] Qualitoit fait valoir que la simple possibilité qu’une requête introductive d’instance relève d’une police d’assurance en vigueur est suffisante pour obliger l’assureur à prendre fait et cause en faveur de son assuré. Lorsque les allégations contenues dans la requête et les pièces déposées au soutien de cette dernière démontrent une telle potentialité, le Tribunal doit accueillir la requête « Wellington ».
[22] En réplique, Lloyd’s souligne que la jurisprudence de la Cour suprême en semblable matière ne traite que de cas de clauses d’exclusion, suggérant ainsi qu’une distinction doive être établie lorsque, comme en l’espèce, l’assureur prétend qu’une des conditions souscrites par l’assuré dans le cadre d’un « engagement formel » n’a pas été respectée.
[23]
Pour Lloyd’s, il existe une différence fondamentale entre la violation
d’un engagement formel, qui entraîne la suspension du contrat d’assurance
par l’effet de l’article
[24] Pour démontrer la contravention à l’engagement formel souscrit par Qualitoit, Lloyd’s soutient au surplus qu’elle devrait être autorisée à soumettre au soussigné, à titre de preuve extrinsèque, l’engagement formel prévu à l’Avenant No. 1 de la police d’assurance, de même que deux déclarations écrites émanant respectivement de messieurs Michel Bolduc et Gaston Tremblay, employés de Qualitoit. La jurisprudence actuelle confirmerait, selon l’assureur, l’ouverture des tribunaux à permettre une telle preuve extrinsèque, tant en demande qu’en défense.
[25] Qualitoit argue pour sa part qu’une preuve extrinsèque ne peut avoir pour but que de clarifier le contenu d’actes de procédure. Elle ne peut servir à contredire une demande principale par l’introduction d’une preuve additionnelle. Les éléments considérés ne doivent donc découler que des allégations de la requête introductive ou des pièces déposées au soutien de cette dernière. De plus, il n’existe aucune autorité justifiant le dépôt de déclarations assermentées provenant de la partie défenderesse.
[26] Qualitoit avance finalement qu’en raison du conflit l’opposant à Lloyd’s, il lui est désormais impossible de faire confiance aux procureurs de l’assureur. Il devrait donc lui être permis de retenir les services d’un procureur indépendant, et ce, aux frais de sa codéfenderesse.
III- QUESTIONS EN LITIGE
[27] Les trois questions suivantes sont soumises à l’attention du Tribunal :
1) La requête de type « Wellington » rencontre-t-elle les critères établis par la jurisprudence?
2) Lloyd’s devrait-elle être autorisée à présenter sa preuve extrinsèque pour justifier son refus de défendre Qualitoit?
3) Lloyd’s a-t-elle perdu le droit de choisir l’avocat devant représenter sa codéfenderesse?
IV- ANALYSE
A) La requĂŞte de type « Wellington »     Â
[28] Les obligations de l’assureur à l’égard de son assuré comportent un double volet : défendre celui-ci et l’indemniser. Ces deux obligations sont distinctes.
[29]
L’article
[30] L’assuré poursuivi peut donc exiger de son assureur qu’il assume sa défense dans toute poursuite intentée à son égard.
[31] En assurance de responsabilité, l’obligation de défendre de l’assureur est considérée comme étant plus large que son obligation d’indemniser. Dans Progressive Homes Ltd. c. Cie Canadienne d’assurances générales Lombard[1], l’honorable juge Rothstein explique ainsi la portée de la première de ces deux obligations :
« L’assureur est tenu d’opposer une défense si les actes de procédure énoncent des faits qui, s’ils se révélaient véridiques, exigeraient qu’il indemnise l’assuré relativement à la demande [ … ] Il n’est pas pertinent de savoir si les allégations contenues dans les actes de procédure peuvent être prouvées. Autrement dit, l’obligation de défendre ne dépend ni du fait que l’assuré soit réellement responsable ni du fait que l’assureur soit réellement tenu de l’indemniser. Ce qu’il faut, c’est la simple possibilité que la demande relève de la police d’assurance. Lorsqu’il ressort clairement que la demande ne relève pas de la portée de la police, soit parce qu’elle n’est pas visée par la protection initiale, soit en raison d’une clause d’exclusion, il n’y a pas d’obligation de défendre. »[2] (Notre soulignement)
[32] Ainsi, la « simple possibilité » de l’existence d’une protection suffit à engager l’obligation de défendre de l’assureur.[3] À cette étape, le Tribunal n’a donc pas à évaluer les chances de succès du recours du demandeur. Il n’est pas davantage pertinent d’estimer les chances de l’assuré de prouver que son assureur sera éventuellement tenu de l’indemniser.[4] Dans Progressive Homes Ltd., la Cour suprême identifie deux situations où l’obligation de défendre de l’assureur ne sera pas engagée :
1) lorsque la demande ne relève pas de la portée de la police parce qu’elle n’est pas visée par la protection initiale;
2) lorsque la demande ne relève pas de la portée de la police en raison d’une clause d’exclusion.
[33] Pour déterminer la véritable nature du recours exercé contre l’assuré, le Tribunal n’est pas tenu de se limiter à un examen des allégations telles que formulées dans la procédure écrite.[5] Il convient en effet de prendre en considération la preuve extrinsèque mentionnée explicitement dans les actes de procédure[6] et les pièces[7]. Les parties au contrat ne sont donc pas liées par la terminologie employée par le demandeur dans sa requête introductive d’instance. C’est la véritable nature de la demande qui importe.[8]
[34] Dans Société d’assurances générales Northbridge c. Cirvek Fund 1, la Cour d’appel précise qu’il faut, dans cette analyse, attribuer à la demande formulée contre l’assuré « la portée la plus large possible ».[9] Le doute ou l’ambiguïté jouent ici en faveur de l’assuré.[10]
[35] Dans Lloyd’s of London Canada c. Entreprises de rénovations Pareco inc., la Cour d’appel déclare, sous la plume de l’honorable François Doyon :
« Quant à la présence d’un surveillant, il est vrai, à tout le moins à première vue, que la clause dont il est question ne semble pas avoir été respectée. Par contre, le juge de première instance a rappelé, à bon droit, qu’il faut faire preuve de prudence avant de relever l’assureur de son obligation de défendre son assuré. »[11] (Notre soulignement)
[36] Lorsque la demande figurant dans les actes de procédure bénéficie de la protection initiale, il demeure néanmoins possible pour l’assureur de prouver que la protection est écartée par une clause d’exclusion, à charge pour lui d’en faire la démonstration de manière claire et sans équivoque.[12]
[37] Ni dans Progressive Homes Ltd. ni dans quelque autre arrêt la Cour suprême n’identifie-t-elle le manquement à un engagement formel comme étant un motif d’opposition à une requête de type « Wellington ».
[38]
L’engagement formel peut se définir comme une clause de police
d’assurance obligeant l’assuré à poser ou à s’abstenir de poser certains
actes. La violation d’un tel engagement entraîne, conformément à l’article
[39] Tel que déjà mentionné, la jurisprudence des tribunaux supérieurs établit clairement que dans le cadre d’une requête de type « Wellington », tout doute doit jouer en faveur de l’assuré. Le soussigné en infère donc qu’il serait inapproprié d’accorder aux deux scénarios d’exception identifiés dans Progressive Homes Ltd  une portée plus large que celle dictée par les termes choisis par le juge Rothstein.
[40] Or, Lloyd’s reconnaît en l’espèce que la demande de Royal & Sun Alliance vise la protection initiale et ne concerne aucune clause d’exclusion.
[41] Pour ce seul motif, le soussigné est d’avis que la requête de type « Wellington » doit être accueillie.
[42] Mais il y a plus.
[43] Pour les raisons exprimées dans les quelques paragraphes qui suivent, la preuve extrinsèque qu’entend introduire Lloyd’s par le biais de se requête De bene esse ne saurait être admissible.
B) La preuve extrinsèque
[44] D’entrée de jeu, Lloyd’s reconnaît que le Tribunal ne pourrait conclure en une violation de l’engagement formel à la simple lecture des allégations contenues dans la requête introductive d’instance et des pièces déposées à son soutien.
[45] Se pose donc la question de savoir si le soussigné peut prendre connaissance d’éléments de preuve soumis par l’assureur dans le cadre de la requête de type « Wellington ».
[46] La requête De bene esse de Lloyd’s vise la production de l’intégralité de la police d’assurance, incluant son Avenant no. 1, de même que celle des déclarations écrites de messieurs Michel Bolduc et Gaston Tremblay, datées du 11 février 2014.
[47] Qualitoit ne conteste pas l’admissibilité de l’Avenant no. 1, qui fut produit et signifié au soutien d’une « requête en jugement déclaratoire » déposée par Lloyd’s le 4 février 2015.
[48] Cet avenant comporte l’engagement formel suivant, souscrit par Qualitoit :
ENGAGEMENT FORMEL - OPÉRATION DE COUVREUR
Il est convenu, sous peine de déchéance, que lors de travaux de couvreur impliquant l’application de chaleur ou l’usage de torches, vous vous conformerez aux conditions suivantes :
1. Pendant et après les travaux, des extincteurs chimiques en état de fonctionnement seront maintenus sur le site même des travaux;
2. L’usage de détecteurs de chaleur approuvés seront utilisés pendant et après les travaux pour une période de 2 heures afin de détecter toute anomalie et prendre les mesures appropriées.
[49] Lloyd’s cherche à mettre en preuve les déclarations écrites de deux employés de Qualitoit à l’effet qu’aucun détecteur de chaleur n’aurait été utilisé pendant et après les travaux du 24 janvier 2014.
[50] Pour Lloyd’s, ces déclarations sont opposables à Qualitoit à titre d’aveux[13] et établissent clairement et sans équivoque le non-respect de l’engagement formel, l’aggravation du risque qui en découle et donc la suspension de la garantie au moment pertinent[14].
[51] Toujours selon l’assureur, la jurisprudence permet l’introduction d’une preuve extrinsèque, et ce, tant en demande qu’en défense, notamment sous forme de déclarations, d’expertises, de défense et de preuves déposées au dossier. Au soutien de cette prétention, Lloyd’s cite l’extrait suivant d’une décision rendue par notre collègue, l’honorable Jean Frappier, j.c.s. dans Zurich Insurance Company c. Construction Albert Jean Ltée :
« En définitive, pour déterminer l’obligation de défendre, il y a lieu de procéder à une analyse des allégations contenues à la procédure, de la nature véritable de la demande et à un examen des pièces produites au dossier de la Cour. Si cette analyse révèle la seule possibilité que la réclamation puisse faire l’objet de la couverture d’assurance, il faut alors enclencher l’obligation de défendre.
Enfin, il est évidemment permis à l’assureur d’opposer à l’applicabilité de la police d’assurance une clause d’exclusion. Dans ce cas, l’assureur assume le fardeau de démontrer que les allégations et la preuve extrinsèque mentionnées dans les actes de procédure établissent clairement que l’exclusion doit recevoir application et qu’ainsi les actes ou omissions reprochés ne sont pas couverts :
Pour que l’assureur soit dégagé de son obligation de représenter, il doit ressortir clairement des actes de procédure que la réclamation n’est pas couverte par le contrat d’assurance [ … ].
[ … ]
Bien conscient du fait que l’allégation 12 c) n’est pas de nature spécifique et rédigée en termes généraux et que les mesures de protection que Tardif n’aurait pas prises en vertu de 12 c) peuvent ne pas correspondre exactement à celles prévues à la condition 3 de l’avenant qui est rédigée en termes spécifiques, le procureur de Lombard veut amener le Tribunal à considérer le rapport d’expertise P-9 et le rapport des pompiers P-12, soit une preuve extrinsèque, ce qui, d’ailleurs, lui est permis principalement du fait qu’il peut à ce stade établir clairement qu’une exclusion écarterait l’application de la police d’assurance. »[15] (Notre soulignement)
[52] Dans un récent article du Barreau du Québec, les auteurs Larocque et Lacoste-Jobin nient à l’assureur la possibilité d’introduire lui-même des éléments de preuve pour convaincre un tribunal qu’il n’a pas l’obligation de défendre son assuré :
« [ … ] ce sont les actes de procédure rédigés par le tiers demandeur qui détermineront si l’assureur a ou non l’obligation de défendre. Les pièces alléguées au soutien de la procédure introductive d’instance peuvent également être prises en considération [ … ] parfois même, certaines procédures ou pièces émaneront de l’assuré lui-même. À notre avis, peu importe l’étape où en est rendu le litige, seules les procédures émanant du tiers ou de la victime doivent être prises en considération pour déterminer si l’assureur a l’obligation de défendre. »[16] (Notre soulignement)
[53] Cette opinion paraît non seulement conforme à la jurisprudence de la Cour d’appel[17], mais également aux observations suivantes de l’honorable juge Iacobucci dans l’arrêt Monenco :
« Il convient de se rappeler que la question de savoir si un assureur est tenu d’opposer une défense dans une action intentée contre l’assuré a été soulevée à titre préliminaire. Il est évident qu’il peut se révéler, au terme du procès, que la responsabilité de l’assureur n’est pas engagée et qu’il n’a, par conséquent, aucune indemnité à verser. Mais cette question ne se pose pas lorsqu’il s’agit de déterminer l’existence de l’obligation de défendre. Nous ne pouvons donc pas préconiser une méthode qui fera de la demande relative à l’obligation de défendre « un procès à l’intérieur d’un procès ». À cet égard, la cour saisie d’une telle demande ne peut pas examiner une preuve « prématurée », c’est-à -dire une preuve qui, si elle était prise en considération, exigerait que des conclusions susceptibles d’influer sur le litige sous-jacent soient tirées avant le procès. »[18] (Notre soulignement)
[54] En l’espèce, permettre l’examen de la preuve extrinsèque n’aurait certainement pas pour but de clarifier le contenu des actes de procédure, ceux-ci ne faisant aucunement mention d’un quelconque engagement formel.[19] Lloyd’s cherche donc manifestement ici à introduire en preuve les « aveux » de deux employés de Qualitoit pour échapper à son obligation de défendre sa codéfenderesse. Cette tentative pose deux problèmes.
[55] Premièrement, bien que l’affirmation d’un préposé puisse être un aveu opposable à son commettant, tel ne sera le cas que lorsque cette affirmation porte « sur un fait relatif à l’exercice de ses fonctions et qu’elle est faite pendant sa durée ».[20] Selon le professeur Jean-Claude Royer :
« L’application de cette règle comporte un certain degré de subjectivité. Ceci explique des décisions relativement ambiguës et apparemment contradictoires. »[21]
[56] On comprend donc qu’il importe d’apprécier le contexte factuel dans lequel les aveux allégués auraient été formulés. Cette évaluation ne peut cependant être réalisée qu’à la lumière de l’interrogatoire des témoins concernés et de leur contre-interrogatoire par toutes les parties intéressées, soit, dans la présente affaire, Qualitoit et la demanderesse. En d’autres termes, l’utilisation des deux déclarations écrites au stade de la requête « Wellington » nécessiterait préalablement une conclusion de fait susceptible d’influer sur l’issue du litige.[22]
[57] Deuxièmement, il faut rappeler que l’aveu fait en dehors de l’instance où il est invoqué se prouve par les « moyens recevables » pour prouver le fait qui en est l’objet.[23] Qualitoit ne consentant pas au dépôt des déclarations[24], Lloyd’s n’aurait d’autre choix que d’appeler à la barre les deux déclarants, forçant ainsi la tenue d’« un procès à l’intérieur d’un procès ». Un tel scénario serait évidemment incompatible avec les enseignements de la Cour suprême dans Monenco[25].
[58] Comme le rappelle le juge Frappier, j.c.s., « il n’est pas opportun, dans le cadre d’une requête pour forcer l’assureur à défendre, que les parties puissent faire une preuve par témoins pour tenter de prouver les allégations. »[26]
[59] Dans l’arrêt 9039-5849 Québec inc. c. Renaud Lapointe expert conseil inc., l’honorable Julie Dutil, alors juge à la Cour supérieure du Québec, s’exprimait ainsi sur le même sujet :
« [ … ] l’obligation de défendre d’un assureur doit s’analyser à partir des allégations de la poursuite, à la lumière du contrat d’assurance. Il n’y a pas lieu de permettre une preuve plus élaborée puisque, comme nous l’enseigne la Cour suprême dans l’arrêt Nichols, l’obligation de défendre est déclenchée non pas par des actes ou des omissions réelles, mais bien par des allégations de la poursuite. »[27]
[60] Le Tribunal estime que tant et aussi longtemps que Michel Bolduc et Gaston Tremblay n’auront pas témoigné et été contre-interrogés sur leur déposition respective, ces dernières doivent être considérées comme du ouï-dire dépourvu de toute valeur probante. Les deux déclarations écrites ne sauraient donc justifier le refus de Lloyd’s de défendre son assuré.
[61] Considérant ce qui précède, Lloyd’s ne peut être autorisée à présenter sa preuve extrinsèque pour faire obstacle à la requête de type « Wellington ».
C) Le choix de l’avocat
[62] Habituellement, l’assureur conserve le choix du procureur chargé d’assumer la défense de l’assuré.
[63] Lloyd’s plaide cependant que Qualitoit aurait manqué à un engagement formel en omettant d’utiliser des détecteurs de chaleur lors des travaux à l’origine du sinistre.
[64] Dans une affaire similaire, l’honorable Yves Poirier, j.c.s, concluait qu’en de telles circonstances, « l’assuré ne peut plus avoir confiance en l’avocat choisi par l’assureur ».[28]
[65] Le présent conflit opposant Lloyd’s à Qualitoit entraîne inévitablement une rupture du lien de confiance entre l’assurée et les procureurs de l’assureur.[29]
[66] La solution logique consiste donc Ă ordonner Ă Lloyd’s de payer les dĂ©boursĂ©s, frais d’expertise et honoraires des nouveaux procureurs choisis par Qualitoit.Â
[67] Conformément à la jurisprudence, seuls les honoraires encourus pour la défense de Qualitoit à la suite du refus de l’assureur d’assumer sa défense seront opposables à Lloyd’s.[30]
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[68] ACCUEILLE la requête « Wellington » de la défenderesse Toitures Qualitoit inc.;
[69] AUTORISE Toitures Qualitoit inc. à retenir les services d’un cabinet d’avocats distinct de celui de la défenderesse Lloyd’s;
[70] ORDONNE à la défenderesse Lloyd’s d’assumer, à ses seuls frais, les honoraires d’avocats, déboursés et frais d’expertise afférents à la défense de Toitures Qualitoit inc. dans le cadre des présentes procédures, à l’exception des frais encourus par Qualitoit pour faire valoir sa requête de type « Wellington »;
[71] ORDONNE à la défenderesse Lloyd’s de désigner, pour les fins de Toitures Qualitoit inc., un représentant distinct de celui s’occupant du dossier pour assurer la confidentialité;
[72] REJETTE la requête De bene esse de la défenderesse Lloyd’s;
[73] PROLONGE le délai de l’inscription pour enquête et audition du présent dossier jusqu’au 1er octobre 2015;
[74] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ FRANÇOIS HUOT, j.c.s. |
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Me Marc Lemaire (Casier 4) TREMBLAY BOIS MIGNAULT |
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Procureurs de la demanderesse |
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Me Martin Pichette (Casier 3) Me Jérôme Bélanger LAVERY DE BILLY |
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Procureurs de la défenderesse Les Souscripteurs Lloyd’s |
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Me Éric Lemay (Casier 101) Me Andréanne Brosseau DUSSAULT GERVAIS THIVIERGE |
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Procureurs de la défenderesse Toitures Qualitoit inc. |
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Date d’audience : |
Le 19 mars 2015 |
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[1]
[2]
Id., par. 19; voir aussi : Nichols c. American Home Assurance
Co.,
[3] Promutuel Prairie-Valmont, société mutuelle d’assurance générale c. Cleary, QCCA 2155, par. 5.
[4] Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co., préc., note 2, par. 29.
[5] Co-Operators General Insurance Company c. Bi-Pro Marketing Ltd., préc., note 2, par. 6.
[6] Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co., préc., note 2, par. 36.
[7]
Compagnie canadienne d’assurances générales Lombard c. Roc-Teck Coatings
Inc.,
[8] Société d’assurances générales Northbridge c. Cirvek Fund 1, préc., note 2, par. 6; Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co., préc., note 2, par. 35.
[9] Société d’assurances générales Northbridge c. Cirvek Fund 1, préc., note 2, par. 35.
[10]
Id., par. 38-40; Velan inc. c. GCAN Insurance Company,
[11] [2010] QCCA 1613, par. 8; voir aussi : Compagnie canadienne d’assurances générales Lombard c. Roc-Teck Coatings Inc., préc., note 7, par. 27.
[12] Co-Operators General Insurance Company c. Bi-Pro Marketing Ltd., préc., note 2, par. 6 et 8.
[13]
Article
[14]
General Cable Industries Inc. c. Charles Steven Brock Export Inc.,
[15] 2006 QCCS 1023, par. 12-13 et 25.
[16] B. Larocque et J. Lacoste-Jobin, Obligation de défendre de l’assureur de responsabilité : quel rôle joue l’avocat?, Développements récents en droit des assurances, Barreau du Québec, Éditions Yvon Blais, Vol. 373, p. 45.
[17]
Kansa General International Insurance Co. Ltd
(Liquidation de),
[18] Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co., préc., note 2, par. 37.
[19]
Non-Marine Underwriters, Lloyd’s of London c. Scalera,
[20] J.-C. ROYER, La preuve civile, Éd. Yvon Blais (4e Éd.), p. 780.
[21] Id., p. 781.
[22] Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co., préc., note 2, par. 39.
[23]
Article
[24]
Article
[25] Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co., préc., note 2, par. 37.
[26] Zurich Insurance Company c. Construction Albert Jean Ltée , préc., note 15, par. 11.
[27] [2000] J.Q. No. 1356 (C.S.Q.), par. 17.
[28]
Charron c. Entreprises de rénovations Pareco inc.,
[29]
Lloyd’s of London Canada c. Entreprises de rénovations Pareco inc., préc.,
note 11, par. 10; Mathieu c. Gagnon,
[30]
Tamper Corp. c. Kansa General Insurance Co.,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.