Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

 

 

 
R. c. Machouf-Khadir

2015 QCCQ 924

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre criminelle et pénale »

Nº :

500-01-071481-128

 

 500-01-074128-122

 500-01-074129-120

 

DATE :

16 FÉVRIER 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JEAN-PIERRE BOYER, J.C.Q.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

LA REINE

Poursuivante

c.

Yalda MACHOUF-KHADIR

Accusée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉTERMINATION DE LA PEINE

ART. 718 et suivants C. cr.

______________________________________________________________________

 

 

I.    INTRODUCTION

[1]           Le 17 mars 2014, Yadla Machouf-Khadir se déclarait coupable devant moi des accusations suivantes :

500-01-071481-128

Chef 1             Le ou vers le 16 février 2012, à Montréal, district de Montréal, a commis un méfait à l'égard d'un bien d'une valeur ne dépassant pas 5000,00 $, soit : une machine distributrice, commettant ainsi l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l'article 430 (1)a) (4)b) du Code criminel.

500-01-074128-122

Chef 2             Le ou vers le 12 avril 2012, à Montréal, district de Montréal, a comploté avec Zachary Daoust, Simon Langlois et Xavier Philippe-Beauchamp afin de commettre un méfait commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 465 (i)c  C. cr.

Chef 4             Le ou vers le 12 avril 2012, à Montréal, district de Montréal, était déguisée dans l'intention de commettre un acte criminel, le tout contrairement à l'article 351 (2) du Code criminel.

500-01-074129-120

Chef 1 Le ou vers le 13 avril 2012, à Montréal, district de Montréal, s’est introduit par effraction dans un endroit autre qu'une maison d'habitation et y a commis un méfait, le tout contrairement à l'article 348 (1)b)e) du Code criminel.

Chef 4             Le ou vers le 13 avril 2012, à Montréal, district de Montréal, était déguisée dans l'intention de commettre un acte criminel, le tout contrairement à l'article 351 (2) du Code criminel.

[2]           À l’exception de l’infraction sommaire pour laquelle elle est passible d’une amende maximale de 5000.00 $ et d’un emprisonnement maximal de 6 mois, ou de l’une de ces peines, elle encourt pour toutes les autres infractions une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans.

II.    LES FAITS

[3]           Les infractions pour lesquelles elle a reconnu sa culpabilité ont été commises au cours d’évènements malheureux qui se sont produits lors du « printemps étudiant 2012 ».

[4]           Le 16 février 2012, par solidarité avec les manifestants qui occupaient le Cégep du Vieux-Montréal, elle a renversé une machine distributrice.

[5]           Le 12 avril 2012, alors qu’elle était masquée, elle a entravé le travail des agents de sécurité en leur obstruant la vue lors du saccage des locaux de l’Université de Montréal.

[6]           Et finalement le 13 avril 2012, elle a participé au saccage du bureau de la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp.

III.    LA POSITION DES PARTIES

[7]           Le procureur de la poursuite demande au Tribunal de surseoir au prononcé de la peine et d’ordonner que l’accusée se conforme aux conditions d’une ordonnance de probation dont la durée d’application serait deux (2) ans.

[8]           Il suggère que cette ordonnance comporte l’obligation pour l’accusée d’accomplir deux cent quarante heures (240) de services communautaires.

[9]           Le procureur de l’accusée suggère qu’il y va de l’intérêt véritable de sa cliente, sans nuire à l’intérêt public, que le Tribunal prescrive par ordonnance que Yadla Machouf-Khadir soit absoute conditionnellement.

IV.    SITUATION PERSONNELLE DE L’ACCUSÉE

[10]        Actuellement âgée de 21 ans, Yadla Machouf-Khadir poursuit ses études à la faculté de science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal; elle est inscrite sous le régime d’études à temps plein au certificat en droit social et du travail depuis le trimestre d’automne 2014.

[11]        L’avocat de l’accusée a déposé une série de lettres d’appui et de références ainsi que divers documents qui attestent de la participation active de sa cliente dans la société québécoise.

[12]        Que ce soit par son engagement social ou par son cheminement personnel au plan éducationnel, la qualité et la détermination de Yadla Machouf-Khadir ne font aucun doute et le Tribunal se dit impressionné par une telle démonstration.

[13]        À titre d’exemple de lettres de références, le Tribunal croit utile de reproduire en annexe celle que rédigeait le Dr. Réjean Thomas, président-directeur général de la clinique médicale A et celle de M. Luc Ferrandez, maire du Plateau Mont-Royal.

[14]        Suite à son arrestation, l’accusée a été détenue pendant une période de 6 jours avant de reprendre sa liberté et elle a respecté toutes les conditions qui lui avaient été imposées.

[15]        Lors des représentations sur la peine, elle s’est adressée au Tribunal et a fait la lecture d’une lettre (SD-2) dans laquelle elle se dit peinée des torts causés à des tierces personnes, elle avoue avoir pris conscience que certaines personnes ont pu se sentir menacées par des incidents qui se sont produits au cours de la grève étudiante de 2012 et elle exprime des regrets sincères pour sa participation aux dérapages survenus lors de ces évènements.

V.    ANALYSE

[16]        L'article 730 (1) du Code criminel prévoit qu'une absolution peut être accordée lorsque l'infraction commise ne comporte pas de peine minimale et que le contrevenant n'est pas passible d'une sentence d'emprisonnement de 14 ans ou à perpétuité; la Cour doit alors déterminer « s'il y va de l'intérêt véritable de l'accusée sans nuire à l'intérêt public ».

[17]        L'article 730 (1) du Code criminel ne vise pas uniquement les contraventions triviales ou techniques, il ne constitue pas une alternative à la probation ou au sursis de sentence et il ne doit pas être appliqué d'une manière routinière à certaines catégories d'infractions; en d'autres termes, il ne s'agit pas d'une mesure exceptionnelle[1].

[18]        Par ailleurs, l'intérêt véritable de l'accusée qui n'a jamais eu de démêlés judiciaires, suppose qu'il est dans son intérêt que cet épisode puisse se terminer sans qu'elle en subisse des conséquences démesurées tant dans sa vie personnelle que professionnelle.

[19]     L'intérêt véritable de l'accusée s’apprécie à la lumière de la réalité de chaque individu; notre Cour d'appel a précisé qu'il n'est pas nécessaire de démontrer que les conséquences négatives suite à une condamnation se manifesteront réellement. Voici comment s'exprimait le juge Rothman de notre Cour d'appel dans R. c. Moreau où le juge de première instance et celui de la Cour supérieure avaient rejeté la demande d'absolution d'un professeur qui avait plaidé coupable au vol d'une pièce de vêtement, au motif que cette dernière n'avait pas prouvé que son emploi serait en danger ou affecté :

“I don’t think we can presume that a conviction will have no effect on appellant's career. After 19 years of teaching, she probably does have considerable seniority and security of tenure, but that does not mean that she would be unscathed professionally by a conviction. Persons who have been convicted of criminal offences are not always considered the best role models for children or for younger colleagues. Her ability to attend professional conferences outside of Canada, could easily be restricted, and her chances of promotion could easily be diminished[2]”.

[20]        L'absolution ne doit pas être contraire à l'intérêt public et la sentence ne doit pas aller à l'encontre de l'objectif de dissuasion générale; elle n'est pas réservée à une catégorie d'infractions, mais plus l'infraction est grave, moins il pourrait être opportun de l'accorder. Le caractère trivial de l'infraction ou les circonstances particulières de l'accusé peuvent justifier dans certains cas l'octroi d'une absolution. R. c. Sanchez-Pino, (1973), 11 C.C.C. 2d, 53 C.A. Ont.

[21]        L'article 730 du Code fait partie du chapitre du Code criminel consacré à la détermination de la peine; l'intérêt public doit donc envisager, et l'individu qui doit recevoir une peine et les circonstances de la perpétration de l'infraction dont il s'est rendu coupable.

[22]        C'est donc à la lumière de ces critères que doit s'apprécier la demande de l'accusée.

[23]     Dans R. c. L.M., (2008) 2 R.C.S. 163. le juge LeBel énonce le rôle du Tribunal en matière de détermination de la peine en ces termes :

¨           loin d'être une science exacte ou une procédure inflexiblement prédéterminée, la détermination de la peine relève d'abord de la compétence et de l'expertise du juge du procès. Ce dernier dispose d'un vaste pouvoir discrétionnaire en raison de la nature individualisée du processus. Dans sa recherche d'une sentence adéquate, devant la complexité des facteurs relatifs à la nature de l'infraction commise et à la personnalité du contrevenant, le juge doit pondérer les principes normatifs prévus par le législateur dans le Code criminel :

1)    les objectifs de dénonciation, de dissuasion, d'isolation des délinquants, leur réinsertion sociale, ainsi que la reconnaissance et la réparation des torts qu'ils ont causés (art. 718 C. cr.);

2)    le principe fondamental de la proportionnalité de la peine au regard de la gravité de l'infraction et du degré de responsabilité du délinquant (art. 718.1 C.cr.);

3)    les principes d'adaptation de la peine aux circonstances aggravantes et atténuantes, d'harmonisation des peines, d'identification des sanctions moins contraignantes et des sanctions substitutives applicables (art. 718.2 C.cr.)

[24]        Le degré de responsabilité de l’accusée n’est pas comparable à celui de certains individus que l’on pourrait qualifier de fauteurs de trouble.

[25]        Loin de cautionner cette fronde de la rue, le Tribunal constate tout de même que les objectifs poursuivis par l’accusée ne peuvent s’apparenter à ceux de certains voyous patentés qui ont profité du chaos pour se livrer à des actes de vandalisme.

[26]        Le principe de l'individualisation de la peine codifié à l’article 718.2 a) C. cr. requiert que la peine soit adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à  la perpétration de l'infraction ou à la situation du délinquant.

[27]        Les éléments suivants sont considérés à titre de facteurs aggravants :

-        Le comportement de l’accusée s’apparente à une certaine forme de désobéissance civile;

-        Elle a fait preuve d’un manque de jugement en investissant les locaux d’une personne démocratiquement élue;

-        Même si la participation de l’accusée est moins importante que celle de certains membres de son entourage, elle a tout de même été en contact avec quelques organisateurs de ce désordre.

[28]        Au chapitre des circonstances atténuantes liées à la situation de l’accusée sont retenues :

-        Les plaidoyers de culpabilité ;

-        L’impacte du processus judiciaire ;

-        Les nombreux appuis favorables à l’accusée ;

-        Le respect des conditions de remise en liberté depuis 2012 ;

-        La détention préventive de 6 jours ;

-        L’expression de regrets sincères pour les gestes posés.

[29]        Les circonstances atténuantes liées tant à la perpétration de l'infraction qu'à la situation de la délinquante l'emportent très nettement, tant en nombre qu'en importance et en pertinence, sur les circonstances aggravantes.

[30]        L’insupportable calendrier des procédures fait souvent en sorte que le temps judiciaire est parfois bien long mais qu’il peut aussi être salutaire; c’est du moins ce que l’avocat de l’accusée fait remarquer au Tribunal lorsqu’il conclut son plaidoyer par la désormais célèbre expression « le temps a fait son œuvre ».

[31]        Le Tribunal est d'avis qu'il est dans le meilleur intérêt tant de la justice que de la société en générale, que Yadla Machouf-Khadir   qui représente un élément productif de la société, puisse poursuivre sa vie étudiante et professionnelle après cet épisode malheureux; un public bien informé comprendra que personne ne tirera avantage du fait qu'une condamnation fasse obstacle au parcours de l'accusée.

[32]        La Cour estime qu'en prenant en considération l'intérêt de l'accusée et celui de la société, une absolution est appropriée mais elle devra être assortie d'une probation.

VI.    CONCLUSION

POUR CES MOTIFS, LA COUR

-        ABSOUT conditionnellement l’accusée dans tous les dossiers;

-        ORDONNE que Yadla Machouf-Khadir soit soumise à une ordonnance de probation d’une durée de 3 ans aux conditions obligatoires mentionnées à l’article 732.1 (2) C. cr. et à la condition supplémentaire suivante :

·        Se présenter à la salle 11.09 du Palais de justice (bureau de la probation) aujourd’hui même et prendre entente avec ce service afin d’effectuer 240 heures de service communautaire dans un délai de 18 mois;

 

 

-        DISPENSE l’accusée du paiement des suramendes compensatoires dans tous dossiers ainsi que des frais dans le dossier 500-01-071481-128.

 

 

 

________________________

JEAN-PIERRE BOYER, J.C.Q.

 

Me Martin Chalifour

Procureur de la poursuite

 

Me Pierre Poupart

Procureur de l’accusée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXES

 

 

 

¨     Lettre du Dr. Réjean Thomas, président-directeur général de la clinique médicale A.

¨     Lettre de M. Luc Ferrandez, maire du Plateau Mont-Royal.

 



[1] R. c. Fallofield, (1974) 13 C.C.C.(2d) 450 et R. c. Moreau, (1993) 76 C.C.C. (3d) 181

[2] Précité note 1

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.