Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

comitÉ de dÉontologie policiÈre

 

 

 

quÉbec       

           

            montrÉal, LE 17 FÉVRier 2000

 

dossier :     

           

C-99-2734-3  

(98-0353-1,2

                                                               devant :  Me  riCHARD W. IUTICONE

 

 

 

audiences tenues les :                5 et 6 janvier 2000

 

 

 

À :                                                           montréal

 

 

 

 

 

 

 

le commissaire À la dÉontologie policiÈre

 

Représenté par :

Me Danielle Simoneau

 

c.

 

L’agente stéphanie trudeau, matricule 728

L’agent ROBERT ELLIOTT, matricule 4519

Membres du Service de police

de la Communauté urbaine de Montréal

 

Représentés par :

Me Yves Clermont

 

 

 

d É c i s i o n

 


citation

 

 

Le 11 février 1999, le Commissaire à la déontologie policière dépose au Comité de déontologie policière la citation suivante :

 

«          Le Commissaire à la déontologie policière cite devant le Comité de déontologie policière, les agents Stéphanie Trudeau, matricule 728, et Robert Elliott, matricule 4519, membres du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal :

 

Lesquels, sur le territoire de la Communauté urbaine de Montréal, le ou vers le 9 mars 1998, alors qu'ils étaient dans l'exercice de leurs fonctions, ne se sont pas comportés de manière à préserver la confiance et la considération que requiert leur fonction à l'égard de madame Lana Smith, commettant ainsi autant d'actes dérogatoires prévus à l'article 5 du Code de déontologie des policiers du Québec      (R.R.Q., c. 0-8.1, r. 1) :

 

1.                  En lui manquant de respect ou de politesse;

 

2.                  En lui tenant des propos injurieux fondés sur la couleur.

 

 

Lesquels, sur le territoire de la Communauté urbaine de Montréal, le ou vers le 9 mars 1998, alors qu'ils étaient dans l'exercice de leurs fonctions, ont abusé de leur autorité à l'égard de madame Lana Smith, commettant ainsi autant d'actes dérogatoires prévus à l'article 6 du Code de déontologie des policiers du Québec (R.R.Q., c. 0-8.1, r.1) :

 

3.                  En ayant recours à une force plus grande que celle nécessaire pour accomplir ce qui leur est enjoint ou permis de faire;

 

4.                  En portant sciemment une accusation contre elle sans justification.»

 

 

faits

 

La preuve présentée devant le Comité peut se résumer comme suit.

 

Le Commissaire

 

Le 9 mars 1998, madame Lana Smith fait des achats dans un supermarché. Elle prend un sac de friandises sur une tablette, l’ouvre, en consomme quelques-unes et en met dans ses poches.  À la caisse, elle paie pour ses achats mais s'en tenir compte des bonbons.

 

En quittant le supermarché, madame Smith est interceptée par un agent de sécurité qui l’accuse de vol. Elle le suit au bureau de la sécurité d'où il appelle la police.

 

Les agents Stéphanie Trudeau et Robert Elliott se rendent sur les lieux. Madame Smith leur remet son permis de conduire de l’Ontario (elle est originaire de Toronto et demeure à Montréal depuis seulement trois mois).  La policière l’informe qu’un mandat d’arrestation a été émis contre elle et qu’ils doivent la conduire à un centre de détention. Elle proteste à l'effet qu'il est impossible qu'un mandat existe contre elle. 

 

Pendant le transport, l’agente Trudeau immobilise le véhicule de patrouille puisqu'un véhicule est en panne en bordure de la route. Les policiers dirigent la circulation. Madame Smith s’impatiente parce qu'elle doit nourrir son bébé.  Elle est ennuyée mais ne crie pas. 

 

L’agent Elliott monte dans le véhicule de patrouille et s’adresse à madame Smith : « You have the right to remain silent, so shut the fuck up».  Les deux policiers rient. 

 

Au centre de détention, madame Smith est escortée au comptoir par l’agente Trudeau. Elle ignore où est l’agent Elliott.  La policière lui dit d’enlever ses bijoux et ses lacets.  Elle s'informe du motif de son incarcération.  La policière, d'un ton arrogant, rétorque qu’elle sera conduite à la prison des femmes en soirée. 

 

L’agent Léon Bernier s’approche, avise madame Smith qu’elle peut garder ses bijoux et donne instruction à l’agente Trudeau de l’escorter à la cellule.  La policière rougit, place madame Smith en cellule et lui dit : « You think you’re Queen Elizabeth?  You’re nothing but a fat black bitch ».  Elle réplique : « I’d rather be a fat black bitch than look like a dyke » (le mot dyke signifie une femme qui ressemble à un homme).  La policière quitte la cellule.

 

Une trentaine de minutes s’écoule.  L’agente Trudeau retourne à la cellule et informe madame Smith que le mandat d’arrestation émis contre elle réfère à un billet de stationnement émis en 1987.  Elle est escortée par la policière dans une pièce avec téléphone mural.  Elle lui donne le numéro de l'amie chez qui elle habite et qui garde son bébé.  La policière compose le numéro à trois ou quatre reprises avant de s’entretenir avec la dame et lui dire qu’une somme de 200 $ est exigée afin que madame Smith soit libérée. 

 

Madame Smith crie à plusieurs reprises de lui remettre l’appareil. La policière sort alors de la pièce avec l’appareil dans les mains et referme la porte. L’agent Elliott rentre dans le local. « Shut the fuck up and be quiet », dit-il.  Elle se fait de plus en plus bruyante. Elle admet être en colère mais non hystérique.  Elle donne trois coups de pied dans la porte et tire sur le fil du téléphone. 

 

L’agent Elliott agrippe le bras droit de madame Smith, en lui disant:  « Who do you think you are, you fucking nigger ».  Le policier fait une clé de bras et appuie son corps sur elle pour la faire tomber. L’agente Trudeau lâche l’appareil et porte assistance à son collègue en effectuant une prise d’encolure. Madame Smith tente de se défaire de leur emprise. 

 

Un policier se joint aux deux agents déjà présents dans la pièce et ils entraînent madame Smith en direction de la cellule. Elle crie « police brutality », les invective et résiste en se raidissant pour ne pas aller en cellule. 

 

Après avoir été mise en cellule, madame Smith les avise qu’elle portera des accusations contre eux.  L’agent Elliott réplique qu'en ce cas, elle sera accusée de voies de fait contre des policiers. 

 

Madame Smith nie avoir donné un coup de poing à l’agente Trudeau ou à l’agent Elliott ou même de les avoir touchés.

 

L’agent Bernier rentre dans la cellule, s’identifie et dit de l’appeler si elle a besoin d’assistance car, à son avis, il est évident que l’agente Trudeau lui en veut.

 

Madame Ikema Karanjah, amie de madame Smith, se présente au centre de détention et effectue le paiement d’une somme de 171 $.  Madame Smith est alors libérée. Elle témoigne à l'effet que madame Karanjah lui dit avoir entendu black bitch alors qu'elle se trouvait au téléphone avec l'agente Trudeau.

 

Le 29 avril 1998, madame Smith loge une plainte contre les agents Trudeau et Elliott au bureau du Commissaire à la déontologie policière.  Elle allègue que la policière menait une vendetta contre elle, vu son attitude.

 

Madame Smith apprend qu’elle est accusée de voies de fait sur les agents Trudeau et Elliott.  Elle est acquittée à son procès après avoir témoigné en défense. 

 

 

Les policiers

 

Le 9 mars 1998, vers 18h, monsieur Markengton Fonrose, agent de sécurité, est en poste dans un supermarché.  Il aperçoit une dame, qui s'avère être madame Smith qui ouvre une boite de cornets, en consomme et en met dans ses poches. À la caisse, elle ne paie pas pour les friandises. 

 

Monsieur Fonrose s’approche de madame Smith, s’identifie, la met en état d’arrestation pour vol et fait lecture de ses droits.  Elle le suit au bureau de sécurité.  Il lui demande une pièce d’identité.  Elle lui remet son permis de conduire de l’Ontario.  Vu qu’elle n’a aucune pièce d’identité avec adresse au Québec et ayant donné une adresse de passage ici, il appelle la police. 

 

Les agents Robert Elliott et Stéphanie Trudeau, à bord de leur véhicule de patrouille, reçoivent un appel pour vol à l’étalage. Ils se présentent au bureau de la sécurité. Vu le montant nominal de 3$ pour le vol, les policiers décident de ne pas porter d’accusation contre madame Smith. 

 

L’agente Trudeau informe madame Smith qu’elle ne sera pas accusée mais qu’une poursuite civile pourrait être intentée contre elle par l’épicerie.  Celle-ci s’inquiète pour son bébé, est impatiente et parle à haute voix.

 

L’agent Elliott appelle au poste et est informé par le répartiteur qu’un mandat d’emprisonnement existe contre madame Smith pour un billet de stationnement qui reste impayé depuis plusieurs années. Celle-ci lui dit que c’est possible. 

 

L’agente Trudeau informe madame Smith qu’elle est en état d’arrestation pour le mandat d’emprisonnement, lui fait la mise en garde et l’informe de son droit à l’avocat.  Il est 18h15.  Elle effectue une fouille sommaire, passe les menottes, lui dit qu’elle doit les suivre et qu’au centre de détention, on lui donnera plus de détails.

 

Pendant le transport, l’agente Trudeau immobilise le véhicule de patrouille.  Un véhicule est en panne.  Elle sort du véhicule mais demeure près de la portière.  Son collègue dirige la circulation dans l’attente de la remorqueuse.  Madame Smith se plaint.  Dix minutes s’écoulent avant qu’ils ne poursuivent leur trajet. 

 

L’agent Elliott s’entretient avec le répartiteur mais a de la difficulté à saisir ce qu’il dit, vu les cris de madame Smith.  Le véhicule de patrouille s’immobilise.  Il ouvre la fenêtre du séparateur, répète le motif de l’arrestation à madame Smith et ajoute : « You have the right to keep silent, so why don’t you keep it? »  L’agente Trudeau rapporte les paroles de son collègue : « You have the right to keep silent, so shut up»Madame Smith traite le policier de « fucking frog ».  Les deux policiers discutent mais madame Smith est certaine qu’ils parlent contre elle. 

 

Vers 19h, au centre de détention, les policiers escortent madame Smith au comptoir d’écrou.  L’agent Elliott inscrit l’information sur ordinateur. L’agente Trudeau enlève les menottes et avise madame Smith qu’elle doit enlever ses bijoux et lacets avant qu’elle ne procède à sa fouille.  Madame Smith monte le ton.  L’agent Elliott déclare que madame Smith traite la policière de lesbienne.

 

L’agent Léon Bernier est à son bureau, à une dizaine de pieds du comptoir d’écrou.  Son attention est attirée par Madame Smith qui se plaint, à haute voix, et insulte les deux policiers.  Il s’approche et avise la policière de lui laisser ses bijoux.  Il explique la procédure d’écrou à madame Smith, qui se calme. Il la conduit à la cellule.  Les agents Trudeau et Elliott continuent leur travail au comptoir d’écrou.

 

L’agent Elliott appelle la section des mandats et apprend que madame Smith doit la somme de 171 $, à défaut de quoi elle devra purger 5 jours d’emprisonnement.  Il s’agit à l’origine d’un constat d’infraction au montant de 25 $ ayant été émis à Montréal le 20 septembre 1993 pour un billet de stationnement interdit. 

 

L’agente Trudeau se présente devant la cellule et informe madame Smith du montant dudit mandat.  Celle-ci veut loger un appel.  Elle l’escorte dans une pièce avec une table et téléphone mural, suivie de l’agent Elliott. 

 

L’agente Trudeau doit composer deux numéros fournis par madame Smith avant d’avoir la communication avec son amie.  Elle s’identifie auprès de la dame.  Madame Smith tire le fil de téléphone, crie et traite la policière de « bitch », « dyke » et de « fucking lesbian », entre autres noms. Elle doit sortir de la pièce avec l'appareil en main et referme la porte. Madame Smith tire le fil de nouveau.  Le téléphone lui échappe des mains.  Elle le reprend et avise la dame qu’elle la rappellera.

 

L’agent Elliott témoigne à l'effet que madame Smith tente d’ouvrir en donnant des coups de pied dans la porte.  Madame Smith s’assoit sur le bout de la table et croise les bras.  Elle refuse de suivre les policiers à la cellule.

 

L’agente Trudeau prend le bras gauche de madame Smith et son collègue agrippe l’autre bras.  Madame Smith ne bouge pas.  Il doit lui faire une clé de bras.  Elle se débat.  Ils sont dans le cadrage de la porte.  Elle recule et pousse sur le policier.  Celui-ci doit lâcher prise, son dos étant appuyé à une fontaine fixe au mur.   Il crie de douleur et pousse madame Smith.  Celle-ci lui donne un coup de coude au menton. 

 

L’agent Martin Albert est au comptoir d’écrou.  Il entend des bruits provenant de la pièce où les agents Elliott et Trudeau semblent avoir de la difficulté à contrôler madame Smith.  Celle-ci a une stature imposante.  Il agrippe le bras droit de madame Smith et tire. 

 

Le sergent Daniel Joanisse, officier en charge du centre de détention, entend des cris en revenant de la cuisine.  Les agents Trudeau et Elliott sont aux prises avec madame Smith et tentent de la maîtriser.  Celle-ci gesticule et crie.  Un autre policier porte assistance à ses collègues. 

 

L’agent Bernier entend des cris.  Madame Smith est dans le corridor avec les agents Trudeau et Elliott.  L’agent Landry, assis près de l’agent Bernier, se lève et porte assistance aux deux policiers mais se fait coincer par madame Smith dans le cadrage de la porte. 

 

Les agents Trudeau, Elliott et Albert doivent pousser madame Smith jusqu’à la cellule.  L’agent Albert se retire et quitte le bloc.  Madame Smith ne veut pas aller en cellule.  La policière doit la pousser dans la cellule.  La policière reçoit un coup de poing de madame Smith au cou et un deuxième coup à la tête. 

 

L’agent Elliott a vu madame Smith donner un coup de coude au niveau de l’oreille de l’agente Trudeau et un deuxième coup mais ne sait pas où ce deuxième coup l'a atteinte. On referme la porte et le policier avise madame Smith qu’elle est en état d’arrestation pour voies de fait sur des policiers.  Les deux agents quittent le bloc cellulaire et s’entretiennent avec le sergent Joanisse. 

 

Une vingtaine de minutes après l’incarcération de madame Smith, l’agent Bernier fait une visite aux cellules.  Elle veut loger un appel et il l’escorte au local. 

 

L’agente Trudeau rédige un rapport complémentaire pour les voies de fait et le rapport d’exécution du mandat d’emprisonnement pendant que son collègue rédige le rapport d’événement.  L’agent Elliott a mal au dos et la policière se plaint de douleurs au bras gauche et au cou.  Un sergent-détective est avisé de l’événement et suite à sa demande, les deux agents se présentent à l’hôpital. 

 

Madame Smith est libérée sur sommation.  Elle est accusée de voies de fait contre les agents Elliott et Trudeau. 

 

Le 2 juin 1998, madame Smith comparaît à la Cour municipale de Montréal et son procès a lieu le 25 novembre 1998.  Jugement est rendu peu après et elle est acquittée. 

 

Madame Smith loge une plainte criminelle contre les agents Elliott et Trudeau.  Le 19 octobre 1998, le substitut en chef adjoint au bureau des substituts du procureur général avise par écrit le sergent-détective Gaétan Bigras, aux enquêtes internes du S.P.C.U.M., qu’aucune accusation criminelle ne sera portée contre les agents Elliott et Trudeau.  Le substitut est d’avis que les deux policiers ont utilisé une force raisonnable dans l’exercice de leur fonction, compte tenu des circonstances. 

 

 


argumentation des parties

 

Le Commissaire

 

Le témoignage de madame Smith, dans son ensemble, est corroboré par la preuve des policiers.  Elle n’a pas exagéré dans son témoignage.  Sa version est plus plausible que celle des policiers.  La procureure cite le jugement Langevin [1] en rapport avec la règle de la prépondérance de la preuve.

 

La procureure n’excuse pas la conduite de madame Smith, qui a commis un vol à l’étalage.  Celle-ci admet avoir été mécontente et avoir insulté les agents Trudeau et Elliott.  Certes, son attitude n’a pas aidé sa cause sauf que ce n’est pas sa conduite qui est en cause, mais celle des deux policiers cités.  Leur comportement était injuste à son égard. 

 

Même si le Comité retient la version de l’agente Trudeau, quant aux paroles prononcées par l’agent Elliott à madame Smith, soit : « you have the right to keep silent, so shut up », il s’agirait d’un manque de respect à l’égard de madame Smith.

 

L’agente Trudeau a changé d’attitude au centre de détention, après que l’agent Bernier ait permis à madame Smith de garder ses bijoux.  Il est tout à fait plausible que la policière ait traité madame Smith de « fat black bitch » et que madame Smith ait répondu : « I’d rather be a fat black bitch than a fucking dyke ».  Madame Smith s’est calmée dès que l’agent Bernier s’en soit occupé.

 

Madame Smith souligne dans son témoignage que son amie a entendu « black bitch » lorsqu'elle étaitau téléphone avec l'agent Trudeau.

 

Aucun geste n’a été posé par madame Smith à l’égard de la policière avant que celle-ci ne l’agrippe par le cou, ce qui constitue l’utilisation d’une force excessive dans les circonstances.

 

Quant au témoignage des policiers Albert, Joanisse et Bernier, il en ressort qu'ils n’ont presque rien vu ni entendu. 

 

Les policiers

 

Le témoignage de madame Smith, autant devant la Cour municipale que devant le Comité, n’est pas crédible.  Celle-ci a exagéré et menti devant le Comité.  Le Commissaire ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve. 

 

Il convient de rappeler que madame Smith a commis un vol, peu importe la valeur de l’objet. 

 

Vu le mandat d’emprisonnement émis contre madame Smith, les agents Elliott et Trudeau devaient procéder à son arrestation puis à son incarcération au centre de détention. 

 

L’agent Elliott a peut-être dit « shut up » à madame Smith dans le véhicule de patrouille, mais ces paroles ne constituent pas un manque de respect.  Le procureur réfère à quelques décisions, sans les préciser, où le Comité a dit que certains propos, dans certaines circonstances, ne constituent pas un manque de respect ou de politesse. 

 

Les agents Trudeau et Elliott n’ont pas tenu des propos injurieux fondés sur la couleur à l’égard de madame Smith.  La version de madame Smith n’est pas crédible.  C’est l’agent Bernier, et non la policière, qui a conduit madame Smith du comptoir d’écrou jusqu’à la cellule.  Madame Smith admet avoir insulté les agents Trudeau et Elliott alors qu’elle était en cellule. 

 

L’amie de madame Smith, madame Ikema Karanjah, n’a pas rendu témoignage devant le Comité et ce dernier doit en tenir compte.

 

Madame Smith admet qu’elle était agitée et criait afin d'attirer l’attention.  Elle admet avoir donné des coups de pied dans la porte de la pièce et avoir tiré sur le fil du téléphone.  Elle a mal agi en tirant sur le fil du téléphone. L’agent Elliott se devait d'intervenir et l’agent Albert se devait de porter assistance à ses collègues. 

 

Les policiers ont agi selon les règles et de bonne foi.  Le procureur réfère aux jugements Boivin et Pelletier [2] et Rhéaume [3] et à la décision Gagnon [4].

 

Dans la cellule, madame Smith a frappé les deux policiers.  La version des policiers est plus crédible que celle de madame Smith.

 

La force utilisée par les agents Trudeau et Elliott à l’égard de madame Smith était justifiée et non excessive.  Ils n’ont utilisé que la force nécessaire.  À cet effet, le procureur nous réfère à l’arrêt Cluett [5] et à plusieurs décisions du Comité, dont les affaires Bouchard et Croteau, Rivard, Gagnon, Jobin, Bussière, Simard, Roy, Verret, Beaudin, Beaudoin, Racine et Dufour [6].

 

Quant au 4e chef de la citation, les agents Trudeau et Elliott ont bien agi, suite à l’événement, en consultant le sergent Joanisse, le responsable du poste, et en portant les accusations appropriées en conséquence.

 

 

APPRÉCIATION DE LA PREUVE ET MOTIFS DE LA DÉCISION

 

1er chef

 

Le Commissaire cite les agents Trudeau et Elliott pour avoir manqué de respect ou de politesse à l'égard de madame Smith.

 

Madame Smith prétend que l'agente Trudeau aurait dit : « You think you're Queen Elizabeth? You're nothing but a fat black bitch ». Au local des appels, l'agent Elliott aurait dit : « Who do you think you are, you fucking nigger ». Le Comité analysera ces allégations au 2e chef de la citation.

 

Pendant le transport de madame Smith au centre de détention, l'agent Elliott aurait dit : « You have the right to remain silent, so shut the fuck up ». L'agent Elliott nie avoir prononcé les paroles que lui impute madame Smith.  Il admet toutefois avoir dit : « You have the right to remain silent, so why don't you keep it ». L'agente Trudeau témoigne avoir entendu : « You have the right to keep silent, so shut up ».

Les trois versions sont concordantes quant au début de la phrase qui réfère au droit de madame Smith de garder le silence.  C’est à la fin de la phrase qu’il y a divergence. 

 

La version de madame Smith est plausible. Elle admet avoir parlé à haute voix dans le véhicule de patrouille avant que l'agent Elliott ne lui adresse la parole. Il est évident que son discours a importuné le policier qui s’entretenait alors avec le répartiteur. 

 

La version de l'agent Elliott est également plausible, quoique peu probable.  Il aurait dit à madame Smith « so keep it », ce qui voulait dire de garder le silence. Entre les deux versions policières, le Comité préfère celle de l'agente Trudeau, qui aurait entendu son collègue dire « so shut up », ce qui est plus réaliste et probable.

 

Ceci étant dit, le Comité est devant deux versions; l'une qui rapporte les paroles « shut the fuck up » et l'autre qui dit « shut up ». Le Comité est d'avis que les deux versions sont également plausibles et il ne peut déterminer où se situe la vérité. Dans les circonstances, le Commissaire ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve.

 

Le Comité doit maintenant déterminer si la version policière rapportant les paroles « You have the right to remain silent, so shut up » constitue un manque de respect ou de politesse. Le comportement de madame Smith est à considérer; elle protestait du temps qu'elle est restée dans le véhicule de patrouille pendant que les policiers dirigeaient la circulation. L'agent Elliott pouvait difficilement comprendre le répartiteur avec qui il était en contact. Les paroles prononcées par le policier alors qu'il ordonnait à madame Smith de se taire, ont eu l'effet désiré; elle s'est calmée et le reste du trajet s'est déroulé sans incident. 

 

Le Comité conclut que les paroles prononcées par l'agent Elliott à l'égard de madame Smith ne constituent pas un manque de respect ou de politesse. 

 

Au local des appels, madame Smith affirme que l'agent Elliott aurait dit : « Shut the fuck up and be quiet ».  Le policier nie avoir invectivé madame Smith. Dans la preuve du Commissaire, les paroles du policier auraient été prononcées au moment où la policière est sortie du local avec le téléphone en main et que la porte était fermée. Les deux versions sont également plausibles et le Comité est d'avis que le Commissaire ne s'est pas déchargé de son fardeau de preuve pour cette séquence de l'événement.

 

Vu ce qui précède, le Comité conclut que les agents Stéphanie Trudeau et Robert Elliott n'ont pas manqué de respect ou de politesse à l'égard de madame Lana Smith. 

 

 

2e chef

 

Le Commissaire cite les agents Trudeau et Elliott pour avoir tenu des propos injurieux fondés sur la couleur à l'égard de madame Smith.

 

Madame Smith affirme que l'agente Trudeau l'a traitée de « black bitch », ce que l'agente Trudeau nie. Sa version est corroborée par l'agent Elliott.

 

La preuve révèle que madame Smith a été conduite à la cellule à deux reprises. Dans la preuve du Commissaire, la policière a traité madame Smith de « black bitch » après l'avoir escortée du comptoir d'écrou à la cellule.  Dans la preuve des policiers, c'est l'agent Bernier qui a escorté madame Smith du comptoir d'écrou à la cellule, pendant que les agents Trudeau et Elliott continuaient leur travail au comptoir d'écrou. Selon cette preuve, il aurait été impossible pour l'agente Trudeau d'injurier madame Smith.

 

Le Comité tient compte de l'absence de madame Ikema Karanjah qui n'a pas rendu témoignage pour le Commissaire. L'affirmation par madame Smith à l'effet que son amie lui rapporte avoir entendu les paroles « black bitch » au téléphone constitue du ouï-dire qui n'a pas été corroboré devant le Comité.

 

Pour tous ces motifs, le Comité est d'avis que le Commissaire ne s'est pas déchargé de son fardeau de preuve et conclut que l'agente Stéphanie Trudeau n'a pas tenu des propos injurieux fondés sur la couleur à l'égard de madame Lana Smith.

 

Madame Smith affirme que l'agent Elliott aurait dit : « Who do you think you are, you fucking nigger ». Le policier nie avoir injurié madame Smith et sa version est corroborée par l'agente Trudeau. Le Comité est d'avis que le Commissaire ne s'est pas déchargé de son fardeau de preuve.

 

Le Comité conclut que l'agent Robert Elliott n'a pas tenu des propos injurieux fondés sur la couleur à l'égard de madame Lana Smith.

 

 

3e chef

 

Le Commissaire cite les agents Trudeau et Elliott pour avoir utilisé une force plus grande que celle nécessaire à l'égard de madame Smith.

 

Madame Smith allègue des gestes excessifs posés par les deux policiers à son égard. Plus précisément, l'agent Elliott a fait une clé de bras et l'agente Trudeau une prise d'encolure et ils l'ont entraînée jusqu'à la cellule.

 

Les agents Trudeau et Elliott affirment avoir pris chacun un bras de madame Smith pour l'amener en cellule.

 

La preuve révèle que la situation a dégénéré dans la pièce pour les appels pendant que l'agente Trudeau s'entretenait au téléphone avec l'amie de madame Smith. 

 

Le Comité doit considérer le comportement de madame Smith à ce moment.  Celle-ci admet qu'elle était agitée, qu'elle criait, qu'elle faisait beaucoup de bruit, qu'elle tirait le fil de téléphone et qu'elle donnait des coups de pied dans la porte.  Elle admet également s'être débattue et s'être raidie pour ne pas aller en cellule.

 

Le Comité ne peut faire abstraction du témoignage de l'agent Albert. Celui-ci a agrippé le bras de madame Smith pour porter assistance à ses collègues qui étaient en difficulté. 

 

Le Comité considère également les témoignages des policiers Joanisse et Bernier qui ont vu leurs collègues Trudeau et Elliott avoir de la difficulté à contrôler madame Smith pour l'amener à la cellule.

 

Le Comité est d'avis que les gestes posés par les agents Trudeau et Elliott n'étaient pas excessifs et qu'ils n'ont utilisé que la force nécessaire afin de conduire madame Smith en cellule.

 

Vu ce qui précède, le Comité conclut que les agents Stéphanie Trudeau et Robert Elliott n'ont pas utilisé une force plus grande que celle nécessaire à l'égard de madame Lana Smith. 

 

 

4e chef

 

Le Commissaire cite les agents Trudeau et Elliott pour avoir porté sciemment une accusation contre madame Smith.

 

L'agente Trudeau affirme que madame Smith lui a donné deux coups lorsqu'elles étaient dans la cellule, le premier étant un coup de poing au cou et le deuxième un coup à la tête. 

 

L'agent Elliott affirme avoir vu madame Smith donner un coup de coude au niveau de l'oreille de l'agente Trudeau puis un deuxième coup, sauf qu'il ne peut pas préciser l'endroit exact. Madame Smith nie avoir donné un coup de poing à la policière.

 

L'agent Elliott affirme que madame Smith, dans le cadrage de la porte à la pièce des appels, reculait en le poussant, à tel point qu'il criait de douleur, son dos étant appuyé sur la fontaine. L'agente Trudeau témoigne avoir vu la scène.

 

Le Comité tient compte du comportement de madame Smith qui s'est débattue et résistait pour ne pas aller en cellule, le témoignage des policiers Albert, Joanisse et Bernier qui ont vu les agents Trudeau et Elliott en difficulté avec madame Smith pour l’amener en cellule.

 

Vu ce qui précède, le Comité conclut que les agents Stéphanie Trudeau et Robert Elliott n'ont pas porté sciemment une accusation de voies de fait contre madame Lana Smith sans justification. 

 


par ces motifs, après avoir entendu les parties, pris connaissance des pièces déposées et délibéré, le Comité de déontologie policière décide :

 

1er chef

 

quela conduite de l’agente stéphanie trudeau, matricule 728, et de l'agent ROBERT ELLIOTT, matricule 4519, le 9 mars 1998, à l’égard de madame Lana Smith, ne constitue pas un acte dérogatoire à l’article 5 [en lui manquant de respect ou de politesse] du Code de déontologie des policiers du Québec;

 

2e chef

 

quela conduite de l’agente stéphanie trudeau, matricule 728, et de l'agent ROBERT ELLIOTT, matricule 4519, le 9 mars 1998, à l’égard de madame Lana Smith, ne constitue pas un acte dérogatoire à l’article 5 [en lui tenant des propos injurieux fondés sur la couleur] du Code de déontologie des policiers du Québec;

 

3e chef

 

quela conduite de l’agente stéphanie trudeau, matricule 728, et de l'agent ROBERT ELLIOTT, matricule 4519, le 9 mars 1998, à l’égard de madame Lana Smith, ne constitue pas un acte dérogatoire à l’article 6 [en ayant recours à une force plus grande que celle nécessaire pour accomplir ce qui lui est enjoint ou permis de faire] du Code de déontologie des policiers du Québec;

 

4e chef

 

quela conduite de l’agente stéphanie trudeau, matricule 728, et de l'agent ROBERT ELLIOTT, matricule 4519, le 9 mars 1998, à l’égard de madame Lana Smith, ne constitue pas un acte dérogatoire à l’article 6 [en portant sciemment une accusation contre elle sans justification] du Code de déontologie des policiers du Québec.

 

 

 

                                                           

Richard W. Iuticone, avocat



[1]             Claude Langevin c. Côté et Racicot, C.Q. Ville-Marie, 610-02-000088-957, le 20 mars 1998.

[2]             Nathalie Boivin et Michel Pelletier c. Côté et Racicot, C.Q. Hull 550-02-004618-963, le 9 avril 1998.

[3]             Gaétan Rhéaume c. Racicot, C.Q. Montréal 500-02-066041-984, le 14 juillet 1999.

[4]             Commissaire c. Robert Gagnon, C.D.P., C-98-2594-2, le 10 mai 1999.

[5]             Cluett c. R. (1985) 2 R.C.S. 216 .

[6]             Commissaire c. Martin Bouchard et Alain Croteau, C.D.P. C-98-2485-1, le 13 avril 1999; c. Jean-Pierre Rivard, C.D.P., C-98-2492-2, le 30 avril 1999; c. Jean - François Gagnon et Ramsey Jeddry, C.D.P., C-96-1781-2, le 26 septembre 1996; c. Serge Jobin et als, C.D.P., C-95-1723-3, le 10 mai 1996; c. Martin Bussières et al, C.D.P., C-96-1911-2, le 11 février 1997; c. Dany Simard et als, C.D.P., C-94-1488-2, le 22 novembre 1995; c.  Yvon Roy et Chantale Provost, C.D.P., C-92-1114-3, le 21 octobre 1992; c. Dominique Verret, C.D.P., C‑91‑1026‑3, le 16 janvier 1992; c. Marcel Beaudin et als, C.D.P., C-91-1015-2, le 30 septembre 1992; c. Luc Beaudoin, C.D.P., C-94-1445-2, le 13 octobre 1994; c. François Racine et als, C.D.P., C-94-1505-2, le 25 avril 1995; c. Éric Dufour et Marcel Blais, C.D.P., C‑94-1475-1, le 1er juin 1995.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.