Droit de la famille — 182048 |
2018 QCCS 4195 |
|||||
|
||||||
|
||||||
CANADA |
||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
|||||
|
||||||
N° : |
500-04-066225-153 |
|||||
|
|
|||||
|
||||||
DATE : |
Le 9 octobre 2018 |
|||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ROBERT MONGEON, J.C.S. |
||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
A |
||||||
Demanderesse |
||||||
c. |
||||||
B |
||||||
Défendeur |
||||||
|
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
JUGEMENT DE RECTIFICATION |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
[1] VU le jugement du 18 septembre rendu en l’instance;
[2] VU les lettres des avocats des 27 septembre 2018 et 3 octobre 2018;
[3] VU la présence d’une coquille au paragraphe 57, avant-dernière ligne et de deux erreurs matérielles nécessitant la rectification des conclusions énoncées aux paragraphes 212(a) et 213 dudit jugement;
LE TRIBUNAL
[4] CORRIGE la coquille au paragraphe 57 en remplaçant le mot « qi » par le mot « qui »;
[5] CORRIGE l’adresse de la résidence familiale apparaissant au paragraphe 212(a) en remplaçant le numéro civique « [...] » par le numéro civique « [...] » de la rue A à Ville A; et
[6] AJOUTE les mots « au titre de la provision pour frais » à la suite du mot « Défendeur » à la troisième ligne du paragraphe 213;
[7] LE TOUT, selon le texte du jugement rectifié ci-joint;
[8] SANS FRAIS de justice.
|
||
|
__________________________________ ROBERT MONGEON, J.C.S. |
|
|
||
Me Diana Soukriddy |
||
Pringle Avocats |
||
Procureure de la Demanderesse |
||
|
||
Me Luc Arnault |
||
Me Caroline Bourbonnais |
||
Arnault, Thibault, Cléroux |
||
Procureurs du Défendeur |
||
|
||
Dates d’audience : |
Les 25, 26, 29 et 30 janvier 2018 |
|
Droit de la famille — 182048 |
2018 QCCS 4195 |
|||||
COUR SUPÉRIEURE |
||||||
|
||||||
CANADA |
||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
|||||
|
||||||
N° : |
500-04-066225-153 |
|||||
|
|
|||||
|
||||||
DATE : |
Le 18 septembre 2018 |
|||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ROBERT MONGEON, J.C.S. |
||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
|
||||||
A |
||||||
Demanderesse |
||||||
c. |
||||||
B |
||||||
Défendeur |
||||||
|
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
JUGEMENT |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
INTRODUCTION
[1]
Le droit d’obtenir une compensation du conjoint de fait enrichi pendant
l’union au bénéfice du conjoint appauvri au cours de la même période a beaucoup
évolué au cours des dernières années. Ce droit, basé sur la théorie de
l’enrichissement injustifié, codifié aux articles
[2]
Même si ces décisions traitent de demandes de compensation sur la base
des principes de la prestation compensatoire en matière de divorce, on ne peut
nier leur influence lorsqu’il sera question de l’application des articles
[3] Doit-on y voir une évolution normale des choses alors que, traditionnellement, on ne pouvait penser à de telles obligations qu’entre gens liés par les liens sacrosaints du mariage, et qu’aujourd’hui force est de constater que la majeure partie des unions entre personnes évoluent à l’extérieur d’un cadre marital ou d’une union civile? Cela est fort possible.
[4] L’assouplissement des critères d’octroi d’une compensation entre conjoints de fait n’a qu’un seul but : trouver un moyen de faire coller le droit à la réalité socio-économique du XXIe siècle. Ainsi, la création jurisprudentielle des présomptions d’enrichissement et d’appauvrissement corrélatifs, la nécessité d’une preuve forte et déterminante pouvant renverser le jeu de telles présomptions et l’institution d’une approche large souple et généreuse face à une telle demande d’indemnisation permettent aujourd’hui aux tribunaux québécois de suppléer jusqu’à un certain point à la lenteur du législateur à adopter des règles claires et précises applicables aux unions entre conjoints de fait.
[5] Kerr c. Baranow[3] a ouvert la porte à un tel régime. Même si cette décision émane de l’application de critères de Common Law, notre Cour d’appel y a fait écho depuis 2013 avec suffisamment de clarté pour que l’on puisse aujourd’hui importer les principes de cet arrêt dans notre droit québécois.
[6] Ainsi, après une union de fait de quelques seize années et deux enfants, madame A pourra réclamer et obtenir une indemnisation de la part de son conjoint de fait B malgré le refus obstiné de ce dernier de lui accorder le crédit et l’apport qu’elle mérite dans ce qui a fait sa fortune accumulée au cours de cette même union.
[7] Voici pourquoi.
LES FAITS
[8] A et B ont vécu en union de fait pendant 16 ans. Au début de leur relation, ils étaient tous deux employés, elle auprès de [la Compagnie A], lui dans [le domaine A], chacun gagnant un salaire plutôt modeste mais leur permettant de bien vivre. Au début de leur union, ils n’avaient, pour ainsi dire, que fort peu d’actifs nets. Lors de leur séparation, madame A pourra compter sur certains actifs principalement constitués de la moitié indivise de la résidence familiale, d’un régime de retraite, d’une gratification de quelques 160 000,00$ que lui versera monsieur B en plus d’un salaire annuel d’environ 45 000,00 $, tandis que monsieur B pourra constater qu’il est devenu multimillionnaire durant cette même union suite à la création d’une société qui a révolutionné [le secteur A]. Cette société (dont il était propriétaire à 40%) a été vendue en 2011 pour un montant de plus de 60 millions $. Monsieur B a donc reçu au début 2012 un capital important de 17 millions $ qu’il a su faire fructifier et qui valait, en date du début de l’instruction, environ 25 millions $. Trois mois après avoir touché le produit de la vente de l’entreprise, il a informé madame A qu’il la quittait. Aujourd’hui, B est totalement indépendant de fortune et n’a plus besoin de travailler.
[9] Ce n’est pas le cas de madame A, dont les ressources nettes ne dépassent pas 500 000,00 $.
[10] Voyons tout cela plus en détail.
[11] Les parties se rencontrent au cours de l’été 1996. Ils se fréquentent alors assidûment.
[12] Un an plus tard, en juillet 1997, madame A emménage chez monsieur B qui habite alors un petit condominium situé au [adresse 1] à Ville A. A l’époque, Madame est employée à titre [...] auprès [de la Compagnie B] et son salaire est de l’ordre de 30 000,00 $ par an. Monsieur B bénéficie d’un revenu qui se situe entre 60 et 75 000,00 $ par an. Leur revenu brut annuel combiné n’est donc d’à peine 100 000,00 $ par an.
[13] Au début, les deux parties sont donc employées auprès d’importantes sociétés dans lesquelles ils n’ont aucun intérêt financier. Ils n’ont pas de responsabilités familiales, étant tous deux célibataires sans enfant. Ils travaillent [dans la région A], voyagent ensemble, séparent les dépenses relatives à leur vie commune grosso-modo sur la base d’un prorata de leurs revenus respectifs.
[14] En 2000, les parties font l’acquisition d’une propriété (P-35) située au [adresse 2] à Ville A. Il s’agit d’une résidence de type cottage en rangée. L’achat s’effectue le 7 juillet 2000. Le prix d’achat est de 188 923,00 $ financé par une hypothèque de l’ordre de 118 000,00 $ et d’une mise de fonds de plus ou moins 70 000,00 $ à laquelle Madame contribue 10 000,00 $ et monsieur B assume le solde de la mise de fonds de l’ordre de 60 000,00 $.[4]
[15] Les deux parties sont copropriétaires de cette résidence, à raison de 50% indivis chacun.
[16] A l’époque, Madame travaille à plein temps. Monsieur, pour sa part, décide alors de quitter son emploi (qui le rémunérait, semble-t-il, à hauteur de 90 000,00 $ annuellement) pour partir sa propre compagnie [dans le secteur A]. Pendant un certain temps, Monsieur ne génère que des revenus de moins de la moitié de ce qu’il gagnait précédemment et même, pour certaines années, il n’est pas en mesure de préciser ses revenus[5].
[17] Néanmoins, le couple décide de fonder une famille et d’avoir des enfants. Madame devient enceinte de son premier fils, X, le [...] 2001. Un second fils, prénommé Y, naîtra le [...] 2003.
[18] Ainsi, la période 2000-2004 constitue une période fort importante dans la vie du couple. Monsieur, qui travaillait pour une entreprise [dans le domaine A][6] décide de lancer sa propre entreprise du nom de [la Compagnie C], avec son ami et associé C. Cette société s’implique dans le développement et la distribution [du produit A] servant au fonctionnement [du secteur A].
[19] En mars 2001, un mois avant la naissance de X, madame A prend un premier congé de maternité qui se terminera en mars 2002. Monsieur travaille beaucoup, et Madame s’occupe de la maisonnée et prend soin du nouveau bébé du couple.
[20] Madame devient enceinte du second enfant du couple vers le mois de novembre 2002. Vers le mois de juin 2003, quelques semaines avant l’accouchement, Madame commencera son second congé de maternité.
[21] Les débuts de [la Compagnie C] ne sont, semble-t-il, pas glorieux. Monsieur retourne donc sur le marché du travail comme consultant chez [la Compagnie D].
[22] Avec la naissance du second fils du couple en juillet 2003, Madame en a plein les bras. Avec X qui n’a que 27 mois et un nouveau bébé, madame A s’occupe à peu près seule de la maisonnée. Monsieur travaille beaucoup à la création de ses nouvelles sociétés au point où il ne peut se payer le luxe de prendre un congé de paternité. Ses revenus sont réduits, sinon pour certaines périodes inexistants, et donc la participation financière de Madame à la vie de famille s’en trouve forcément augmentée.
[23] [La Compagnie C], par le travail soutenu de Monsieur, a alors mis au point [le produit A] [du secteur A] qui est fort prometteur mais qui ne se vend pas très bien. Les deux associés B et C décident alors de créer une nouvelle entreprise nommée [la Compagnie E], capable d’opérer un centre [dans le secteur A] à même le [produit A] [de la Compagnie C]. C et B travaillent alors très fort et passent de longues heures à peaufiner le [produit A] qu’ils ont mis au point.
[24] Le 7 septembre 2004, madame A retourne travailler à plein temps, ayant terminé son second congé de maternité. X a 3 ans et 5 mois et Y a 14 mois.
[25] Ainsi, de 2000 à 2004, Madame donnera naissance à deux enfants et Monsieur lancera deux entreprises. Les deux sont fort occupés, chacun dans la sphère d’activité qui leur est propre. Madame assure le confort de la famille, d’une part, et Monsieur, d’autre part, cherche à développer ses [...]. Au surplus, pendant cette même période, les revenus de Madame sont nécessaires au soutien financier de la famille car les revenus de Monsieur sont particulièrement bas, compte tenu du fait qu’il lance ses nouvelles entreprises.
[26] Pour bien saisir comment monsieur B voit la situation à l’époque et comment il apprécie le rôle de madame A alors qu’il consacre ses énergies à créer [la Compagnie C] puis [la Compagnie E], il faut consulter ce qu’il écrit, d’une part (voir pièce P-8) et ce qu’on écrit sur lui, d’autre part (voir pièce P-9).
[27] B écrit effectivement que pendant ces années, il n’a pas eu de vie de famille parce qu’il se consacrait corps et âme à la création du [produit A] qui fera sa fortune quelques années plus tard. Il reconnaît qu’alors, il fallait bien que sa conjointe soit disponible à 100% pour prendre soin de la famille. N’eût été de la présence de madame A et de son engagement envers son conjoint, ses enfants et la maison, il est clair, à n’en pas douter que, monsieur B n’aurait pu consacrer autant de temps et d’énergie à créer l’outil qui le rendra multimillionnaire en 2012.
[28] Après 2004, Madame fera éventuellement le choix de recommencer à travailler à temps partiel (3 jours/semaine puis 4 jours/semaine) ce qui, selon le procureur de monsieur B, serait « pénalisant » pour son client, Madame refusant, semble-t-il et sans raison valable, de ne pas travailler sur une base de cinq jours par semaine… Cet argument n’impressionne pas le Tribunal. Une maison à entretenir, un conjoint qui consacre toutes ses énergies à créer une nouvelle entreprise et deux jeunes garçons d’âge préscolaire constituent une tâche déjà fort lourde. Ajouter à cela 3 puis 4 jours de travail à l’extérieur devient encore plus lourd au point que peu d’hommes seraient capables de l’assumer.
[29] La pièce D-18 préparée par les procureurs de Monsieur est révélatrice à plus d’un égard. Elle se voudrait être un tableau de la rémunération des parties de 1996 à 2016.
[30] Cette pièce révèle que les revenus de Madame ont été constants de 1996 à 2007 et ce, même si elle a dû prendre des congés de maternité suite à la naissance de ses deux enfants.
[31] De 2008 à 2012, la rémunération annuelle de Madame a diminué ou n’a pas augmenté, celle-ci choisissant de consacrer plus de temps à la famille.
[32] De son côté, Monsieur n’indique aucun revenu au cours des années 1996 à 2000. Cela est étrange pour un homme d’affaires qui se veut être accompli et efficace[7].
[33] De 2001 à 2004, Monsieur déclare des revenus moyens de plus ou moins 50 000,00 $ tandis que Madame déclare des revenus de plus ou moins 36 000,00 $, soit une proportion de 60%/40% pour chacune des parties.
[34] Pour les années 2005, 2006 et 2007, Monsieur ne déclare aucun revenu pour 2005 et 2007 tandis qu’il déclare 227 348,00 $ de revenus en 2006. Madame, pour sa part, continue à déclarer des revenus d’environ 30 000,00 $ par an.
[35] A compter de 2008, les entreprises de monsieur B commencent à connaître un essor fulgurant et deviennent hautement profitables. Les revenus de monsieur B oscillent alors autour de 200 000,00 $ annuellement.
[36] Par contre, les déclarations de revenus de Monsieur ne sont pas fiables. Par exemple, en 2016, Monsieur déclare un revenu de 163 000,00 $ alors qu’il sait pertinemment qu’il a gagné beaucoup plus. Confronté à la signature d’une déclaration assermentée sur l’état de ses revenus de 2016, Monsieur finira par admettre que ce chiffre était totalement inexact et s’est empressé d’ « admettre » un revenu de 300 000,00 $ sans toutefois ne produire aucune pièce justificative. On aurait voulu induire Madame - et la Cour - en erreur que l’on n’aurait pas procédé autrement!... Il est inacceptable que Monsieur signe une telle déclaration alors que la réalité est à ce point différente.
[37] Il est, cependant, fort clair qu’à compter de 2007, B sait qu’il possède en partie une entreprise qui vaut plusieurs dizaines de millions de dollars. Lui et ses associés recevront d’ailleurs une offre en 2007 qu’ils étaient prêts à accepter et qui se chiffrait à 35 millions $, ce qui aurait donné environ 15 millions $ (brut avant impôts) à monsieur B. Cette offre ne s’est pas concrétisée faute d’un financement adéquat de la part de l’acheteur.
[38] En 2012, les propriétaires de l’entreprise vendront [la Compagnie C] pour 65 millions $. La part nette de monsieur B sera de 17 millions $.
[39] Une longue partie de la preuve a porté sur la question de savoir si, à compter de 2007, monsieur B a été disponible pour s’occuper des activités parascolaires des enfants.
[40] Effectivement, monsieur B a pu consacrer beaucoup plus de temps à s’occuper de ses enfants et à les accompagner à leurs diverses activités parascolaires ou sportives qu’avant 2007. Cela est dû au fait qu’il a alors considérablement réduit ses heures de travail. Madame, par contre, était disponible avant et a continué d’être disponible après 2007. Il faut noter, cependant, que les activités des deux garçons inscrits à plusieurs activités parascolaires ont aussi considérablement augmenté, surtout à partir du moment où ils ont commencé à fréquenter l’école. De toute façon, ce volet de la preuve n’apparaît pas concluant sur la question de savoir si Monsieur a, ou non, convenablement accompli ses tâches familiales. Le Tribunal a pris note de toute cette preuve mais sa décision sur les conclusions recherchées par Madame ne se fonde pas particulièrement sur la disponibilité des parents postérieurement à 2007. Avant cette date, Monsieur admettra par écrit qu’il n’était pas ou très peu disponible pour s’occuper des enfants et de la maison (voir P-8 et P-9) et après cette date, il semble que les deux parents ont assumé tour à tour leur présence auprès des enfants selon les besoins de ces derniers.
[41] 2007 marque donc le début de la nouvelle vie de Monsieur qui en est une de loisirs, plutôt que de travail. A partir du moment où monsieur B sait que son entreprise vaut beaucoup d’argent et que ses revenus annuels augmentent considérablement, Monsieur décide de moins travailler et de jouir de la vie, compte tenu de ses nouveaux moyens financiers.
[42] La période de 2007 à 2012 en est une au cours de laquelle les parties ne sont plus vraiment sur la même longueur d’onde. Monsieur recherche la belle vie axée sur les loisirs, s’occupe des enfants lorsque cela est requis et fait la cuisine non pas par obligation mais par plaisir, et Madame tient à continuer à assumer son rôle de mère, d’éducatrice et de première responsable de la famille et de la maisonnée.
[43] La preuve révèle aussi que Madame est moins encline à reprendre une pleine activité professionnelle à l’extérieur du domicile familial. De plus, les enfants commencent l’école primaire puis secondaire. Ses deux enfants sont aussi fort impliqués dans des activités sportives et parascolaires, ce qui mobilise les deux parents à être disponibles afin d’assurer que les deux garçons du couple puissent participer à toutes les activités dans lesquelles ils se sont inscrits.
[44] Madame ne recherche pas d’aide familiale, tenant à assurer elle-même l’entretien de la maison et l’éducation de ses enfants.
[45] Monsieur, de son côté, recherche dorénavant une vie plus « glamour » où les loisirs deviennent plus importants. Il travaille de moins en moins étant dorénavant assuré d’une confortable sécurité financière. Il voudrait que Madame se détache de ses responsabilités de maison et d’éducation des enfants mais celle-ci refuse. Elle dit : … « Je n’ai pas eu des enfants pour les faire élever par des gardiennes ou des bonnes »[8]… Elle tient à assurer elle-même la propreté de la maison.
[46] Monsieur constate alors que la vie commune avec Madame ne correspond plus à ses propres goûts et à ses propres ambitions. Il commence tranquillement à planifier la rupture qui se concrétisera dans les quelques mois suivant l’encaissement des 17 millions $ que lui donnera la vente de ses actions dans l’entreprise.
[47] Monsieur B a longuement décrit les premières années de l’union avec madame A, alors qu’il travaille pour plusieurs grandes entreprises sans pouvoir y trouver satisfaction. Il explique, en outre, que son désir a toujours été de devenir indépendant de fortune. Mais, lors de ces premières années, il semblait plus enclin à reconnaître les apports de sa conjointe[9].
[48] Aujourd’hui, Monsieur refuse systématiquement de reconnaître quelque contribution de Madame à son succès en affaires. Il prétend en être le seul bénéficiaire et minimise ce que Madame a pu faire pour lui donner la chance de créer [les produits A] qui feront éventuellement sa fortune. De fait, à partir du moment où il se rend compte que [la Compagnie E] vaut des millions de dollars, il est plus intéressé à changer de vie et à profiter de ses nouveaux moyens, sans toutefois vouloir continuer à y inclure madame A.
[49] Après avoir créé [la Compagnie E] en 2004, celle-ci « explosera » du jour au lendemain.
[50] Monsieur B reconnaît volontiers qu’à compter de 2007, il ne travaille presque plus :
… « Je m’entraîne, je fais la belle vie »…[10]
… « Je suis libre comme l’air »…[11]
[51] Mais il se plaint qu’en 2007, Madame veuille faire le choix de ralentir son rythme de travail à l’extérieur ou même cesser complètement de travailler. Elle aussi veut se la couler douce. Monsieur n’est pas d’accord. Il veut que Madame garde son emploi de fonctionnaire du gouvernement fédéral avec la sécurité d’emploi, le régime de retraite et le régime de soins de santé liés à son emploi. Monsieur craint que Madame ne devienne dépendante de lui financièrement. Monsieur dit : … « J’ai plié pour éviter des chicanes »…[12]
[52] Il devient évident que le succès financier de monsieur B correspond à sa diminution de l’intérêt qu’il porte à sa relation personnelle avec Madame. En fait, le Tribunal est convaincu qu’à compter du moment où il commence à faire beaucoup d’argent, Monsieur commence alors à penser sérieusement à se séparer de Madame.
[53] Cela arrivera en décembre 2011. Selon Monsieur, … « Ça fait des années que notre couple ne marche plus »…[13]
[54] En 2012, Madame annonce à Monsieur qu’elle ne veut plus travailler. Or, le plan de Monsieur est de vouloir la laisser « …dans quelque temps »…[14]
[55] Il ajoute … « Je freake »…, … « Je ne veux pas me réveiller avec le problème… », … « Je ne voulais pas qu’elle quête de l’argent… », suggérant par là que Monsieur ne voulait pour rien au monde que Madame devienne pour lui un fardeau financier.
[56] Monsieur tente de démontrer une certaine forme de générosité financière à l’endroit de Madame en rappelant le fait qu’il lui a versé 500,00 $ par semaine depuis 2007 jusqu’en décembre 2012 en plus de payer la carte Visa, la carte American Express et la carte Costco (Madame dira qu’avec cet argent, elle faisait rouler la maisonnée). La preuve démontre effectivement que la majorité, sinon la totalité, de ces sommes est destinée aux frais de la famille et de la maison et non à l’enrichissement ou à la « rémunération » de Madame. D’ailleurs les actifs de Madame ne montrent aucune augmentation substantielle reliée directement à ces paiements. Cette preuve n’est pas contredite par Monsieur et les comptes bancaires de Madame ne démontrent aucun enrichissement substantiel de ses actifs pendant cette période.
[57] Mais de salarié à quelques 60 000,00 $ par an, Monsieur est devenu multimillionnaire, notamment parce que lorsque cela a été nécessaire, Madame lui a laissé la latitude requise pour qu’il réussisse ses rêves. Sans le rôle de Madame auprès des enfants et de la maison jusqu’en 2007, Monsieur n’aurait sans doute pas pu travailler avec autant d’intensité et de sérénité dans la réalisation [des produits A] qi feront éventuellement sa fortune.
[58] Ainsi, en 2012, Monsieur vaut 17 millions $. En 2015, Monsieur vaut 22 millions $ et en 2018, Monsieur vaut 25 millions $.
[59] Monsieur admettra même que si le « cash in » avait eu lieu avant 2012, il aurait quitté Madame bien avant.
[60] En d’autres termes, Monsieur a bénéficié directement de la latitude que Madame lui a accordée de 2001 à 2007, période au cours de laquelle il a pu créer ce qui le rendra riche quelques années plus tard, et quand il a été temps d’encaisser le produit de son travail, Monsieur s’est empressé de se séparer de sa conjointe avec qui il a passé 16 ans, tout en prenant la position que Madame n’était pour rien dans son succès financier et donc qu’elle n’avait droit à rien. Or, le Tribunal s’interroge sérieusement sur la possibilité que monsieur B puisse effectivement créer ce qui le rendra riche, s’il avait fallu qu’il assume seul la responsabilité de deux enfants en bas âge au cours de la même période, plus toutes les tâches reliées au fonctionnement de la maison.
[61] Monsieur B affirme qu’au moment de sa séparation, madame A était devenue anxieuse. Les chicanes, selon lui, étaient monnaie courante.
[62] Il ajoute que lui et elle n’ont jamais eu une vision de perrénité du couple. Pourtant, ils ont vécu ensemble, acheté une maison, eu deux enfants. Monsieur a pu se consacrer à la réalisation d’un important succès commercial pendant que Madame s’occupait de la maison et de la famille. Ces éléments démontrent le contraire de ce qu’il affirme.
[63] Le témoignage de madame A est notamment appuyé par celui de sa sœur, madame D, vice-présidente à la [Compagnie J]. Elle décrit sa sœur A comme une femme enjouée, aimable, responsable, charitable de sa personne et voulant aider tout le monde.
[64] Elle dresse un portrait moins flatteur de B, un homme indépendant, qui occupe beaucoup de place, très axé sur lui-même et sur sa carrière, plus conscient de sa personne que de celle des autres.
[65] Cette description des deux protagonistes correspond à l’impression de la personnalité des parties qu’en fait le Tribunal.
[66] En défense, monsieur B a fait entendre son principal associé, monsieur C. Celui-ci corrobore les qualités de monsieur B au niveau de la capacité de travail et de la concentration dont il est capable lorsqu’il se met en tête de résoudre un problème technique. Le temps et le reste de l’entourage de B cessait alors de fonctionner, voire d’exister, jusqu’à ce que la solution soit trouvée.
[67] Somme toute, les deux parties ont, chacune à leur tour et selon leurs qualités respectives, participé à la vie commune et à vivre environ seize ans ensemble, tout en fondant une famille. A la fin de l’exercice, B vaut (au moment de l’institution des procédures) un peu plus de 22 millions $ et Madame n’a que son salaire, la moitié d’une résidence et quelques économies dans un régime de retraite en vue de sa pension éventuelle.
[68] Les faits précités et l’écart considérable entre les actifs des parties fait en sorte que l’on doit ici réfléchir sérieusement à l’application des principes de l’affaire Kerr c. Baranow en Cour suprême et de l’évolution de la jurisprudence québécoise sur les droits et obligations réciproques des conjoints de fait depuis cet arrêt, déposé en 2011.
LES ARGUMENTS DE MADAME A
[69] Madame A plaide qu’elle a été directement impliquée dans la réussite de son conjoint à accumuler des actifs de 17 millions $ en date de la séparation. Madame a fait ce qu’elle devait faire pour elle-même et le bien-être présent et futur de monsieur B et de leurs deux enfants.
[70] Pourtant, lors de la séparation, monsieur B a implicitement admis que Madame avait des besoins, sinon des droits, lorsqu’il lui a remis un montant de 100 000,00 $ en liquide, une voiture de 43 000,00 $ plus une contribution de 16 000,00 $ à son régime de retraite, le tout totalisant 160 000,00 $
[71] Monsieur, lorsque confronté à ses propres admissions [...], prétend maintenant que [ce ne sont que] des mensonges « …pour faire vendre [...][15] »… . Le Tribunal n’en est pas convaincu. Au contraire, le Tribunal est d’avis que monsieur B a écrit ce qu’il pensait alors. Le Tribunal relatera, d’ailleurs ci-après, les textes où monsieur B reconnaît l’apport de Madame dans sa réussite personnelle.
[72] Madame prétend que l’élaboration d’un projet commun avec Monsieur est jalonnée au cours des années depuis le début de leur relation :
1996 : rencontre du couple;
1997 : Madame emménage chez Monsieur où les deux partagent les dépenses de la vie commune;
2000 : achat de la résidence en copropriété 50%/50%;
2001 : premier enfant du couple. Madame en est la figure parentale principale;
2003 : deuxième enfant du couple. Madame s’en occupe à plein temps;
[...]-[...] : Monsieur cesse d’occuper un emploi de type traditionnel chez [la Compagnie G]. Il lance sa première entreprise avec les efforts, les sacrifices et les exigences d’une telle aventure. Pendant ce temps, Madame s’occupe des enfants et de la maison. Monsieur, lui, est dans sa bulle;
[...] : [La Compagnie E] est fondée et connaîtra rapidement un succès fulgurant. Par contre, Monsieur est très occupé de 2004 à 2007. Ses activités professionnelles se font au détriment de sa vie de couple et de sa présence auprès des enfants;
[...] : Réception d’une offre non sollicitée de 35 millions $[16] pour [la Compagnie E]. La transaction ne se réalise pas mais Monsieur sait qu’il est dorénavant multimillionnaire. Il commence à ralentir ses heures de travail pour littéralement cesser de travailler en 2007;
2007 : Monsieur n’est plus d’accord pour que Madame reste à la maison. Il lui propose une gardienne pour les enfants et une aide domestique pour s’occuper de la maison. Madame n’est pas d’accord. Elle n’a pas envie de faire élever ses enfants par des tiers.
De fait, Monsieur a déjà commencé à penser à la séparation et il tient absolument à ce que Madame redevienne financièrement autonome afin qu’elle ne soit pas un fardeau financier pour lui lorsqu’il la quittera.
[...] : Vente [de la Compagnie E]. La part nette (après impôts et frais de vente) de Monsieur est de 17 millions $. Le jour de la transaction, il va s’acheter une Lamborghini de quelques centaines de milliers de dollars[17]. Trois mois plus tard, il annonce à Madame qu’il la quitte.
[73] La preuve a longuement porté sur la disponibilité de Monsieur à la maison de 2007 à 2012, Madame prétendant qu’il n’était peu ou pas disponible pour s’occuper des enfants, Monsieur prétendant le contraire.
[74] Cette preuve démontre qu’effectivement Monsieur a été disponible autant que Madame en ce qui a trait aux activités parascolaires et sportives des enfants pendant cette période.
[75] Cela n’empêche pas, cependant, que Monsieur a aussi occupé ses nombreux temps libres à bien d’autres activités qui lui plaisaient pendant cette période, soit l’aménagement d’une luxueuse résidence secondaire, la construction et l’exploitation d’une [entreprise] artisanale, l’achat de quelques condominiums à des fins d’investissement, etc… D’ailleurs, selon Madame, Monsieur a cherché à l’impliquer dans la perception des loyers des condos ou la vente (de bouche à oreille) de [produit B] mais sans que ces activités ne prennent une dimension considérable.
[76] Madame se plaint surtout du fait que de 2007 à 2012, soit depuis que Monsieur en avait les moyens financiers, celui-ci tendait beaucoup à se démarquer de toutes tâches ménagères. Il était libre alors que Madame ne l’était pas, cette dernière ne voulant ni d’une nounou pour élever ses enfants ni d’une femme de ménage pour nettoyer sa maison. Cette différence de vues ou de façon de vivre a fait en sorte de provoquer un clivage entre les deux conjoints.
[77] Madame reconnaît que pendant la majeure partie de la vie commune, elle a reçu la somme de 500,00 $ par semaine. Ce montant ne l’a nullement enrichie car sa totalité allait à la maisonnée (dépenses ménagères, nourriture, etc…).
[78] Monsieur n’a pas fait la preuve de l’inexactitude de ce qui précède quant à l’utilisation de cette allocation.
[79] Madame prétend donc que la notion de projet commun et de co-entreprise familiale mis de l’avant par la décision Kerr v. Baranow[18] en Cour suprême doit s’appliquer à l’instance. Elle allègue, en outre, que la présomption de corrélation entre l’enrichissement de monsieur B et son propre appauvrissement (voir Peter c. Beblow[19]) ainsi que l’absence de renversement de ce fardeau de preuve par Monsieur (Droit de la famille 132495[20]) doivent s’appliquer à sa situation. Selon Madame, Monsieur n’a soumis aucune preuve déterminante permettant de conclure au renversement de la présomption établie par Peter c. Beblow précité.
[80] En outre, Madame réclame une provision pour frais de 100 000,00 $, soit une partie seulement de l’ensemble de ses frais et honoraires extra-judiciaires.
[81] Madame demande donc un paiement forfaitaire de 3,5 millions $ basé sur l’enrichissement injustifié de Monsieur pendant l’union des parties jusqu’en 2012. Par ailleurs :
- la question de la garde des enfants est, à toutes fins pratiques, réglée, les parties s’étant mises d’accord avec une garde exclusive des enfants à Monsieur et des droits d’accès à Madame[21]; cependant, aucune convention formelle n’est signée.
- les arrérages dus par Monsieur au titre de la pension alimentaire pour les enfants ainsi que les sommes engagées par Madame au titre des dépenses afférentes à la résidence familiale sont aussi réglés à la somme de 10 000,00 $[22];
- les sommes dues par Monsieur au titre des frais particuliers des enfants sont aussi réglées[23] à la somme de 1 047,00$.
LES PRÉTENTIONS DE MONSIEUR B
[82]
Monsieur B, pour sa part, s’en remet à une interprétation stricte et
plus traditionnelle de l’article
[83] Les choix de Madame au niveau du travail, de la vie de couple, des enfants, etc… seraient, selon lui, « purement potestatifs ».
[84] Monsieur prétend que sa richesse ne dépend que de la vente du produit de son travail. Madame n’a aucunement contribué à ce succès.
[85] L’absence de « contribution importante » de la part de Madame (Peter c. Beblow précité) dans son enrichissement, plus les 500,00 $ par semaine qu’il lui a versés pendant la vie commune, plus le fait qu’elle a toujours le même emploi et un régime de retraite, font en sorte , selon Monsieur, qu’elle n’a rien perdu dans l’exercice.
[86] Monsieur nie aussi l’existence d’une « intention réelle » d’un « projet commun » ou d’une « co-entreprise familiale »[24] entre lui et Madame. En cela, comme nous le verrons ci-après, il contredit ses propres écrits!
[87] Outre ce qui précède, Monsieur réclame une indemnité locative de Madame, pour son occupation de la résidence familiale depuis 2012.
[88] Monsieur prétend enfin que le fait qu’il ait avantagé Madame de quelques 160 000,00 $ à la fin de la vie commune n’a aucune valeur de reconnaissance de quoi que ce soit.[25]
[89] Pendant les années 2000 à 2004, Monsieur a reconnu publiquement qu’il a pu alors compter sur la Demanderesse pour s’occuper de la famille.
[90] Les propres écrits de Monsieur témoignent de ses objectifs de vie et de la façon dont il voyait réellement le rôle et l’apport de Madame dans sa propre réussite. Voici ce qu’il écrit [...] sur la naissance [de la Compagnie E] en 2003[26] :
[...]
(soulignements ajoutés)
[91] Dans le cadre d’un article paru dans le [Journal A] en [...], la journaliste E rapporte ainsi les propos de monsieur B :
[...]
(soulignements ajoutés)
[92] Dans « [la revue A] » du [...] :
[...]
(soulignements ajoutés)
[93] Malgré les tentatives boiteuses de Monsieur visant à faire croire au Tribunal que ces déclarations ne sont que pour épater la galerie et faire vendre de la copie, le Tribunal est d’avis que ces écrits font plutôt état de la vérité.
LES QUESTIONS
[94] A la lumière de ce qui précède et compte tenu des autres éléments du dossier ayant fait l’objet d’un règlement, le Tribunal doit donc disposer des questions suivantes :
- Madame a-t-elle droit
o à une indemnité de 3,5 millions $?
o à une provision pour frais de 100 000,00 $?
- Monsieur a-t-il droit à une indemnité locative résultant de l’occupation par Madame de la résidence familiale (dont elle ne détient que 50% de la propriété)?
L’ANALYSE
A) Le droit de madame A à une indemnité
[95]
L’absence de législation applicable aux conjoints de fait au Québec ne
veut pas dire absence de droits ou d’obligations d’un conjoint envers l’autre.
C’est ce que la Cour suprême nous enseigne dans Kerr c. Baranow
Dans une série de décisions rendues dans les 30 dernières années, la Cour s’est heurtée aux questions de droits financiers et de droits des biens des parties à la rupture du mariage ou de la relation conjugale. Aujourd’hui, des lois exhaustives en matière de régimes matrimoniaux adoptées à la fin des années 1970 et dans les années 1980 prévoient le cadre juridique applicable aux époux. Cependant, en ce qui concerne les conjoints non mariés dans la plupart des provinces de common law, le recours au droit jurisprudentiel était et demeure la seule solution. Les principaux mécanismes juridiques auxquels les parties et les tribunaux peuvent avoir recours sont la fiducie résultoire et l’action en enrichissement injustifié.
(soulignements ajoutés)
[96] Il en va aussi des critères applicables aux solutions proposées, particulièrement celles qui procèdent ou découlent d’une intention commune de la doctrine de l’enrichissement injustifié. La Cour retient donc de Kerr que les droits et obligations des conjoints de fait l’un envers l’autre découlent d’un amalgame de concepts juridiques visant à régler certaines inéquités résultant notamment de la frilosité des gouvernements à légiférer sur la question. En effet, il est difficile d’imposer aux conjoints de fait un régime obligationnel qu’ils ont choisi de ne pas respecter en choisissant de ne pas se marier. A l’inverse, cela ne veut pas dire que les conjoints de fait n’ont aucune obligation légale l’un envers l’autre. L’absence de législation spécifique ne veut pas dire absence de droits.
[97] Ainsi, la vision d’ensemble de ces questions se doit d’évoluer. La plupart des unions entre personnes et des familles qui se constituent aujourd’hui vivent à l’extérieur du cadre juridique traditionnel du mariage ou de l’union civile. Les obligations légales réciproques des conjoints de fait varieront donc substantiellement si ces mêmes conjoints ont des enfants et si leur relation dure plus ou moins longtemps.
[98] En choisissant de vivre ensemble pendant plusieurs années et en décidant, après s’être donnés le temps d’y penser, d’avoir un premier enfant, puis un deuxième et de les avoir élevés jusqu’à ce qu’ils entrent dans l’adolescence, il est indéniable que deux adultes consentants n’aient pas (si non expressément, au moins implicitement) démontré leur engagement au niveau d’une « intention commune », un « projet commun », duquel découleront des attentes raisonnables de part et d’autre.
[99] En l’espèce, madame A et monsieur B ont agi comme si leur relation était plus permanente qu’éphémère, en recherchant et en établissant un contexte de vie commune et de vie familiale où leurs deux enfants pouvaient grandir et s’épanouir. Ils ont donc implicitement mis en place le concept de « projet commun » dont parle le juge Cromwell.
[100] L’affaire Kerr ne porte pas sur une seule situation factuelle mais sur deux. Il y a le dossier Kerr et il y aussi le dossier Vanasse.
[101] Le dossier Kerr repose sur une union de plus de 25 ans de vie commune. Les deux conjoints ont travaillé toute leur vie et ont contribué de diverses façons à leur bien-être commun. L’analyse de leurs droits se fait dans un contexte de recherche du « rôle » que peuvent jouer l’intention commune et les attentes raisonnables des parties[27].
[102] Le dossier Vanasse repose sur une union de fait de 12 ans seulement au cours de laquelle deux enfants sont nés. Se basant sur la théorie de l’enrichissement injustifié, le juge du procès, fort de l’admission de son conjoint[28] qu’il s’était effectivement enrichi suite aux contributions de sa conjointe, a reconnu à cette dernière un intérêt participatif résultant non pas d’un calcul de la valeur pécuniaire des services rendus mais plutôt d’une contribution à titre de « co-entrepreneure ».
[103] Le pourvoi Kerr/Vanasse porte donc sur deux situations factuelles différentes mais qui visent toutes deux à corriger la même inéquité résultant du déséquilibre financier dans lequel les membres de ces deux couples se retrouvent à la fin de la vie commune.
[104] Le juge Cromwell résume ainsi les questions soulevées par les deux dossiers précités :
[6] Les présents pourvois nous obligent à répondre à cinq questions principales. La première porte sur le rôle de la fiducie résultoire fondée sur l’intention commune dans les réclamations présentées par les partenaires vivant en union libre. À mon avis, il est temps de reconnaître que, dans l’examen de la fiducie résultoire, il ne faut plus accorder un rôle à l’« intention commune » lorsqu’il s’agit de trancher les réclamations fondées sur un droit de propriété présentées par des partenaires vivant en union libre au moment de la rupture de leur relation.
[7] La deuxième question porte sur la nature de l’indemnité pécuniaire pour enrichissement injustifié. Selon certains tribunaux, s’il est impossible d’établir un lien entre la contribution d’un demandeur et un bien précis, une réparation pécuniaire doit toujours être évaluée en fonction de la valeur des services rendus. D’autres tribunaux ont adopté une approche plus souple. À mon avis, si les deux parties ont travaillé ensemble dans un intérêt commun et ont fait des contributions importantes, mais différentes, au bien-être de l’autre et, de ce fait, elles ont accumulé des biens, la réparation pécuniaire pour enrichissement injustifié devrait refléter cette réalité. Dans ces circonstances, la réparation ne devrait pas être fondée sur un calcul détaillé des contributions et des concessions de la vie quotidienne; le demandeur devrait être traité comme un co-entrepreneur plutôt qu’un employé.
[8] La troisième question qui mérite clarification se rapporte aux avantages réciproques. Plusieurs relations conjugales supposent des avantages réciproques, dans le sens que chacune des parties contribue de diverses façons au bien-être de l’autre. La question est de savoir comment et à quel moment de l’analyse de l’enrichissement injustifié ces avantages réciproques devraient être pris en considération. Pour des raisons que je vais exposer plus loin, cette question devrait, à une exception près, être traitée à l’étape de la défense et de la réparation.
[9] La quatrième question concerne le rôle que jouent les attentes raisonnables ou légitimes des parties dans l’analyse de l’enrichissement injustifié. Je suis d’avis qu’elles ont un rôle limité et qu’elles doivent être examinées par rapport à la question de savoir s’il y a un motif juridique de l’enrichissement.
[10] Enfin, il reste la question de la date de prise d’effet de la pension alimentaire. À mon avis, dans l’affaire Kerr, la Cour d’appel a commis une erreur en annulant la décision du juge de première instance quant à la date de prise d’effet de la pension dans les circonstances.
(soulignements ajoutés)
[105] Le juge Cromwell analyse dans un premier temps l’approche découlant de l’application des fiducies résolutoires pour valider le droit d’un conjoint non-propriétaire de bénéficier d’une partie de la valeur d’un bien propriété de l’autre conjoint. Cependant, il n’insiste pas longtemps sur cette approche et l’écarte purement et simplement en matière de résolution de litiges familiaux[29].
[106] Aux paragraphes 30 et suivants, le juge Cromwell examine les règles relatives à l’enrichissement injustifié comme étant le principal moyen utilisé pour régler les réclamations relevant d’un partage inéquitable des biens après la rupture d’une relation conjugale.
[107] Pour le juge Cromwell, le recours à la doctrine de l’enrichissement injustifié est donc un moyen pour pouvoir corriger une inéquité qui autrement demeurerait non résolue.
[108] L’enrichissement injustifié dont fait état Kerr c. Baranow procède de trois éléments :
a) l’enrichissement du Défendeur;
b) l’appauvrissement corrélatif du Demandeur; et
c) l’absence de tout motif juridique à l’enrichissement.
[109] Le Tribunal est d’avis que dans la présente instance, l’enrichissement du Défendeur B n’est pas arrivé sans l’appauvrissement corrélatif de la Demanderesse qui a contribué directement à l’établissement d’un climat familial où monsieur B a pu avoir la marge de manœuvre nécessaire à la création [des produits A] qui l’ont rendu riche. Cela s’est passé pendant les années 2000 à 2007. Madame s’est alors totalement investie dans la maison et le bien-être des enfants alors que Monsieur s’est, de son côté, totalement investi dans la recherche et le développement de ce qui allait faire sa fortune.
[110] De plus, les attentes raisonnables de Madame étaient clairement celles d’une conjointe qui ne s’attendait pas à être laissée pour compte aussitôt que Monsieur a eu les moyens de se payer une « belle vie ». De l’admission même de Monsieur, Madame a tout fait ce qu’elle a fait « dans l’espoir d’une vie meilleure » et non en pensant qu’on la discarterait dès le moment où l’argent arrive. Rappelons que Madame n’avait aucun motif juridique d’agir comme elle l’a fait si cela n’était justement de s’attendre à une vie confortable à l’abri du besoin et avec son conjoint et les enfants heureux autour d’elle.
[111] Le juge Cromwell suggère, au surplus, que ces éléments doivent être analysés avec « souplesse et bon sens » :
[34] Bien que les principes juridiques demeurent constants dans tous les domaines, il faut les appliquer en fonction du contexte factuel et social particulier dans lequel les réclamations sont présentées. Dans Peter, la Cour a conclu à l’unanimité que les tribunaux « doivent faire preuve de souplesse et de bon sens lorsqu’ils appliquent les principes d’equity à des questions relevant du droit de la famille, tout en tenant bien compte des circonstances particulières de chaque cas » (p. 997, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef); voir aussi p. 1023, le juge Cory). Ainsi, bien que les principes juridiques qui sous-tendent les règles relatives à l’enrichissement injustifié soient les mêmes dans tous les cas, les tribunaux doivent appliquer ces principes communs en fonction du contexte particulier dans lequel ils doivent s’appliquer.
(soulignement ajouté)
[112] Le Tribunal ose penser que le but recherché étant de corriger, le cas échéant, une inéquité, le juge doit faire preuve de discrétion judiciaire, face à une absence de critères législatifs applicables étant donné que les gouvernements provinciaux en général - et celui du Québec en particulier - ont négligé ou refusé de légiférer en la matière.
[113] Il y aura donc enrichissement dans la mesure où une partie recevra sans motif juridique particulier, un bien ou un avantage provenant de l’autre partie qui le lui fournira, sans y être légalement obligé[30].
[114] La prestation de services domestiques peut donc constituer la base d’une action pour enrichissement injustifiée[31] :
[42] Dans les réclamations contre le conjoint, une question cruciale consistait au début à savoir si la prestation de services domestiques pouvait appuyer une action pour enrichissement injustifié. Après certaines hésitations, ce point a été définitivement réglé dans l’arrêt Peter, où la Cour a conclu que cela était possible. Généralement, un conjoint de fait n’est pas tenu en common law, en equity ou par la loi de travailler pour son conjoint ou de lui fournir des services. Par conséquent, selon une analyse économique simple, il n’y a aucune raison de distinguer les services domestiques des autres contributions (Peter, p. 991 et 993; Sorochan, p. 46). Ils constituent un enrichissement parce que de tels services sont fort utiles pour la famille et pour l’autre conjoint; toute autre conclusion dévalue les contributions apportées, principalement par les femmes, aux finances de la famille (Peter, p. 993). La prestation non rémunérée de services (y compris de services domestiques) ou le travail non rémunéré peuvent aussi constituer un appauvrissement parce qu’il n’y a aucune difficulté à considérer comme un appauvrissement la contribution à plein temps et sans compensation de son travail et de ses revenus. La Cour a rejeté l’argument selon lequel ces services ne peuvent fonder une action pour enrichissement injustifié parce qu’ils sont offerts par « amour et affection naturels » : (Peter, p. 989-995, la juge McLachlin, et p. 1012-1016, le juge Cory).
…
[44] Ainsi, à l’étape de l’analyse qui porte sur le motif juridique, si aucune catégorie établie ne s’applique, la cour peut prendre en considération les attentes légitimes des parties (Pettkus, p. 849) ainsi que les arguments de morale et d’intérêt public sur la question de savoir si l’enrichissement est injustifié (Peter, p. 990). Par exemple, dans Peter, c’est à cette étape que la Cour a examiné et rejeté l’argument selon lequel la prestation de services domestiques et de soins des enfants ne devrait pas, dans une relation matrimoniale ou quasi matrimoniale, donner lieu à une réclamation en equity contre l’autre conjoint (p. 993-995). Dans l’ensemble, le critère du motif juridique est souple et les facteurs à considérer varieront en fonction de la situation dont la cour est saisie (Peter, p. 990).
(soulignements ajoutés)
[115] La théorie de l’enrichissement injustifié entre conjoints de fait n’est certes pas étrangère à notre droit.
[116] Dans la mesure où
- l’union de fait entre les deux conjoints est de longue durée ;
- l’enrichissement de l’un se produit pendant cette union ;
- la participation de l’autre conjoint à l’accumulation de la richesse du premier est présente, telle participation pouvant prendre plusieurs formes dont la prise en charge de responsabilités familiales accrues pour libérer l’autre conjoint ;
- cette participation résulte non pas d’une obligation légale mais d’une aspiration légitime à une vie meilleure ;
il faut alors conclure à la possibilité d’un enrichissement injustifié (c’est-à-dire un enrichissement qui ne se serait pas produit avec autant d’importance si cela n’avait été de la participation de l’autre conjoint) qui mérite d’être pris en compte.
[117] Dans N.D. c. B.C.[32], la Cour d’appel écrit ce qui suit :
[40] Applicable à toutes les situations où il répugne à la justice qu'une personne conserve sans motif juridique un avantage qu'elle a reçu, la théorie de l'enrichissement injustifié doit cependant être appliquée avec souplesse aux affaires relevant du droit de la famille.
[41] C'est ce qu'énonce la Cour suprême, dès 1990, dans l'arrêt Lacroix c. Valoishttps://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2013/2013qcca1586/2013qcca1586.html?autocompleteStr=QCCA%201586&autocompletePos=1 - _ftn22 qui porte sur la prestation compensatoire, mais où la Cour fait un parallèle avec le concept d'enrichissement sans cause, tel que désigné à l'époque :
Il
apparaît particulièrement manifeste qu'une trop grande rigidité dans
l'application du fardeau de preuve imposé à la partie demanderesse relativement
à chacun de ces éléments aurait pour résultante l'anéantissement des effets
bénéfiques du recours. La Cour d'appel a précisé à maintes reprises et avec
raison à l'occasion d'affaires subséquentes que ces éléments doivent être
appréciés de façon globale, par une évaluation affranchie des calculs faits au
dollar près (voir par exemple: M.D. c. P.-H.D.,
D'une
façon générale, l'analyse des éléments factuels et juridiques en matière de
prestation compensatoire requiert donc une souplesse particulière. En cela, il m'apparaîtrait normal qu'elle diffère quelque peu de
celle qui prévaut dans les autres domaines comme celui de la responsabilité
civile, où l'exigence du lien de causalité, par exemple, est relativement
stricte. Il est intéressant de noter à cet égard que le concept traditionnel
de la causalité n'est pas appliqué en matière d'enrichissement sans cause: Banque
canadienne nationale c. St-Germain,
[je souligne]
[42] Une manifestation de cette approche souple, propre aux affaires familiales, résulte de la création, trois années plus tard, de deux présomptions découlant d'une union de fait de longue durée. Dans l'arrêt Peter c. Beblow en provenance de la Colombie-Britannique, la Cour suprême a reconnu, pour ce type d'union, qu'il existait prima facie :
1) une corrélation entre l'enrichissement et l'appauvrissement,
et
2) une absence de motif à l'enrichissement.
[43] Depuis cet arrêt rendu en 1993, les tribunaux du Québec, dont la Cour d'appel, ont appliqué ces présomptions à plusieurs reprises, ce qui n'est guère étonnant à la lumière des propos tenus par le juge Gonthier dans Lacroix c. Valois.
[44] Il appartient donc au conjoint poursuivi de démontrer que l'appauvrissement du conjoint demandeur n'a aucun rapport avec son propre enrichissement et qu'il existe un motif juridique à celui-ci.
[118] Il ne faut jamais oublier que pendant les années cruciales où monsieur B crée les [produits A] qui feront sa fortune et qu’il lance la société qui, lors de sa vente, le rendra multimillionnaire, c’est madame A qui assure la stabilité de la cellule familiale, qui crée le climat dans lequel Monsieur pourra, en toute liberté et avec un maximum d’absence de contraintes, réussir à créer ce qui fera sa fortune.
[119] Imaginons le cas où après la naissance des enfants et alors qu’ils sont tous les deux encore des nourrissons, qu’il soit arrivé quelque chose à madame A qui l’aurait empêché d’assumer toutes ses responsabilités familiales. Monsieur aurait-il pu alors réussir à créer ces mêmes [produits A] ? En d’autres termes, l’apport de Madame qui crée le climat dans lequel Monsieur peut réaliser sa fortune n’est-il pas aussi essentiel que celui qui, dans ce même climat et à l’abri des tracas de la vie familiale, crée les [produits A] qui seront plus tard vendus à prix d’or ?
[120] Le Tribunal n’a aucune hésitation à conclure que Madame a eu un impact direct dans la réalisation de la fortune de Monsieur.
[121] Dans les faits de la présente instance, le Tribunal considère que la preuve démontre clairement l’existence d’un apport certain de Madame à l’enrichissement de Monsieur qui n’aurait jamais pu bénéficier de la liberté d’action nécessaire à la création [de la Compagnie E]. Il y a donc, ici, une corrélation évidente entre l’enrichissement de Monsieur et l’appauvrissement de Madame par son apport de services familiaux et domestiques, en plus d’avoir été en mesure d’assurer une participation directe, dans la mesure de ses moyens, aux finances du couple alors que Monsieur n’avait pas de revenus.
[122] Madame n’avait aucune obligation ou de motif à sa participation à l’enrichissement de Monsieur hormis le fait qu’à l’époque les deux parties ont collaboré à la réussite financière de l’un pour le bénéfice des deux et de leurs enfants.
[123] En l’instance, les deux présomptions établies par Peter c. Beblow et reprises dans Kerr doivent jouer en faveur de Madame et force est de constater que Monsieur n’a pas renversé ces présomptions.
[124] Au soutien de ce qui précède, la Cour d’appel cite les passages suivants de Kerr c Baranow :
(2) La bonne approche
[109] Comme je l’ai déjà dit, je suis d’avis que les avantages réciproques peuvent être pris en considération à l’étape de l’analyse du motif juridique, mais seulement dans la mesure où ils offrent une preuve pertinente de l’existence d’un tel motif. Autrement, il faut en tenir compte à l’étape de la défense ou de la réparation. Il est important de souligner que cela peut, et devrait, avoir lieu peu importe que le défendeur ait présenté une demande reconventionnelle formelle ou invoqué la compensation.
[110] Je vais d’abord expliquer pourquoi les avantages réciproques ne devraient pas être examinés, dans l’analyse, à l’étape de l’examen des avantages et des désavantages. À mon avis, refuser de traiter de la question des avantages réciproques à cette étape est conforme à la notion du quantum meruit dont l’approche fondée sur la rémunération des services rendus tire son origine et aussi à l’analyse économique simple des avantages et des désavantages, que notre Cour a toujours utilisée.
[111] L’action pour enrichissement injustifié fondée sur la rémunération des services rendus est analogue à la réclamation traditionnelle fondée sur le quantum meruit. Dans ces réclamations, le fait que le défendeur ait conféré un avantage au demandeur est pris en considération pour réduire le recouvrement du demandeur du montant de l’avantage ainsi reçu. Par exemple, s’agissant d’une réclamation fondée sur le quantum meruit où le demandeur cherche à recouvrer les sommes payées en vertu d’un contrat inexécutable alors qu’il a déjà reçu un avantage du défendeur, la réclamation sera accueillie, mais l’indemnité sera réduite du montant correspondant à la valeur de cet avantage : Maddaugh et McCamus (éd. feuilles mobiles), vol. II, §13:200. Les auteurs citent, à titre d’exemple, l’affaire Giles c. McEwan (1896), 11 Man. R. 150 (B.R. in banco). Dans cette affaire, deux employés avaient présenté une réclamation fondée sur le quantum meruit afin de recouvrer la valeur des services rendus au défendeur en vertu d’un contrat inexécutable, mais le montant de l’indemnité a été réduit pour refléter la valeur des avantages conférés par le défendeur. Ainsi, prendre en considération à l’étape de la réparation les avantages conférés par le défendeur est conforme aux principes généraux s’appliquant aux réclamations fondées sur le quantum meruit. Bien entendu, si le défendeur a déposé une demande reconventionnelle ou a invoqué la compensation, la question des avantages mutuels doit être tranchée au moment de considérer ce moyen de défense ou cette demande.
[112] Suivant l’analyse
économique simple des avantages et des désavantages que la Cour a toujours
utilisée, il faut refuser de prendre les avantages réciproques en considération
à cette étape. L’arrêt Garland en offre un bon exemple. Dans
un recours collectif, les demandeurs réclamaient la restitution, pour
enrichissement injustifié, des pénalités pour paiement en retard imposées mais
que notre Cour (dans une décision antérieure) avait déclaré constituer des
intérêts à un taux criminel : voir Garland c. Consumers’ Gas Co.,
1998 CanLII 766 (CSC),
[113] L’arrêt Garland portait sur le paiement d’une somme d’argent, mais j’estime qu’il faut appliquer la même méthode quand l’enrichissement allégué consiste en des services. Dans la mesure où ils confèrent un avantage tangible au défendeur, les services constituent généralement un enrichissement et un appauvrissement correspondant. La question de savoir si l’appauvrissement était contrebalancé par des avantages conférés au demandeur par le défendeur ne devrait pas être traitée aux deux premières étapes de l’analyse. J’examinerai maintenant le rôle limité que peuvent jouer les avantages réciproques à l’étape de l’analyse du motif juridique.
[114] Comme je l’ai déjà dit, le motif juridique est la troisième des trois parties de l’analyse de l’enrichissement injustifié. Comme l’a dit la juge McLachlin à la p. 990 de l’arrêt Peter, « [c]’est à cette étape que le tribunal doit vérifier si l’enrichissement et le désavantage, moralement neutres en soi, sont “injustes” ». L’analyse du motif juridique vise à indiquer si le défendeur est justifié de conserver l’enrichissement, et non pas à en déterminer la valeur ou à déterminer s’il convient d’opérer compensation après examen des avantages réciproques : Wilson, par. 30. Selon Garland, les demandeurs doivent démontrer qu’aucun motif juridique ne se retrouve dans l’une ou l’autre des catégories établies, par exemple si l’avantage était un don ou s’il découlait d’une obligation légale. Si cette preuve est faite, le défendeur peut alors démontrer qu’un motif juridique différent justifiant l’enrichissement devrait être reconnu, compte tenu des attentes raisonnables des parties et des considérations d’intérêt public.
[115] Le fait que les parties se soient mutuellement conféré des avantages peut constituer une preuve pertinente de leurs attentes raisonnables, ce qui peut devenir pertinent au moment où le défendeur essaie de prouver que ces attentes appuient l’existence d’un motif juridique que l’on ne retrouve dans aucune des catégories établies. Cependant, comme l’analyse du motif juridique cherche à déterminer si l’enrichissement était équitable et non à en mesurer l’ampleur, les avantages réciproques ne devraient être pris en considération à cette étape que pour cette fin précise.
(3) Résumé
[116] Je conclus que les avantages réciproques peuvent être examinés à l’étape de l’analyse du motif juridique, mais seulement dans la mesure où ils fournissent une preuve pertinente relativement aux attentes raisonnables des parties. Sinon, ils doivent être pris en considération au stade de la défense ou à celui de la réparation. J’en dirai davantage dans la prochaine partie sur la façon dont les avantages réciproques et les attentes raisonnables des parties peuvent entrer en jeu dans l’analyse du motif juridique.
(soulignements ajoutés)
[125] La Cour d’appel (toujours dans Droit de la famille 132495) ajoutera ceci :
[47] Il faut toujours considérer la réparation pécuniaire en premier (Peter, p. 987 et 999). Dans la plupart des cas, elle suffira à corriger l’enrichissement injustifié. Toutefois, le calcul d’une telle réparation est loin d’être simple. Deux questions ont suscité des désaccords et des difficultés dans le cas des conjoints de fait.
[48] D’abord, comme bon
nombre d’actions pour enrichissement injustifié découlent de relations où les
conjoints ont mutuellement tiré des avantages, il est difficile de déterminer
ce qui constitue une réparation adéquate. Bien que la valeur des services
domestiques ne soit pas remise en question (Peter; Sorochan), il
est injuste de tenir compte des contributions d’une seule partie au moment de
déterminer la réparation appropriée. Ce n’est pas seulement une
importante question de principe; en pratique, il est extrêmement difficile pour
les parties et le tribunal de [traduction] « créer, rétroactivement, un
registre symbolique où inscrire chaque service rendu par chacune des parties et
en déterminer la valeur » (R. E. Scane, « Relationships
‘Tantamount to Spousal’, Unjust Enrichment, and Constructive Trusts »
[49] Une deuxième
difficulté tient au fait que, selon certains tribunaux et certains auteurs,
l’arrêt Peter pose qu’une réparation pécuniaire appropriée doit
invariablement être calculée en fonction de la valeur monétaire des services
non rémunérés. On parle souvent, dans ce cas, de quantum
meruit, de « valeur reçue » ou de « rémunération des
services ». Ce raisonnement a été suivi dans Bell c. Bailey (2001), 2001
CanLII 11608 (ON CA), 203 D.L.R. (4th) 589 (C.A. Ont.). D’autres cours
d’appel ont conclu que la réparation pécuniaire pouvait être évaluée de
manière plus souple — selon la méthode fondée sur la valeur accumulée — en
fonction, par exemple, de l’augmentation globale de la richesse du couple
pendant l’union : Wilson c. Fotsch,
(soulignements ajoutés)
[126] Le soussigné est d’accord avec ces principes et constate que les faits de la présente instance permettent de retenir et d’appliquer ici le même enseignement.
[127] Un autre élément factuel que l’on retrouve dans la décision de la Cour d’appel semble aussi pouvoir s’appliquer en l’instance :
[51] Quant à la nature du lien exigé entre la contribution et le bien, la Cour a toujours jugé que le demandeur devait démontrer un lien « suffisamment important et direct », un « lien causal » ou un « lien » entre les contributions du demandeur et le bien visé par la fiducie (Peter, p. 988, 997 et 999; Pettkus, p. 852; Sorochan, p. 47-50; Rathwell, p. 454). Une contribution mineure ou indirecte ne suffit pas (Peter, p. 997). Comme l’a dit le juge en chef Dickson dans Sorochan, la question fondamentale est de savoir si les contributions « se rapportent clairement aux biens » (p. 50, citant les notes du professeur McLeod relatives à Herman c. Smith (1984), 1984 CanLII 1238 (AB QB), 42 R.F.L. (2d) 154, p. 156). La contribution indirecte d’argent et la contribution directe de labeur peuvent être suffisantes, pourvu qu’un lien soit établi entre l’appauvrissement du demandeur et l’acquisition, la conservation, l’entretien ou l’amélioration du bien (Sorochan, p. 50; Pettkus, p. 852).
(soulignements ajoutés)
[128] Au niveau de la réparation pécuniaire, la Cour d’appel retient avec raison la « méthode dite de la valeur accumulée pour calculer la réparation à accorder au conjoint demandeur ». On y lit ceci :
[55] … Une fois que la décision est prise d’accorder une réparation pécuniaire plutôt qu’une réparation fondée sur le droit de propriété, la question de savoir comment quantifier cette réparation pécuniaire se pose. Selon certains tribunaux, la réparation pécuniaire doit toujours être calculée en fonction de la valeur reçue ou du quantum meruit (Bell), et selon d’autres tribunaux, elle peut aussi être fondée sur la valeur accumulée (c.-à-d. en fonction de la valeur du bien)…
…
[56] Je vais d’abord exposer brièvement la genèse de la restriction à laquelle on voudrait soumettre la réparation pécuniaire. Ensuite, je vais expliquer pourquoi, à mon avis, elle devrait être rejetée. Enfin, je vais exposer mon opinion sur la façon dont il convient de traiter les réparations pécuniaires pour enrichissement injustifié en matière familiale.
[129] Devant la Cour d’appel, l’appelante réclamait un peu plus du tiers de la richesse familiale, soit un million de dollars. Le juge Bouchard accepte, dans un premier temps le chiffre de 1 000 000,00 $ pour ensuite déduire de ce montant les divers avantages dont Madame a bénéficié durant la vie commune, soit :
a) le « salaire » reçu par Madame et payé par Monsieur pendant la vie commune ;
b) la valeur de l’automobile que Monsieur lui a achetée ;
c) le REER accumulé par Madame sur le salaire que lui a versé la compagnie de l’intimé ;
d) la valeur de l’occupation par Madame de la résidence familiale depuis la séparation jusqu’à la date du jugement ; et
e) la valeur de l’apport de l’intimé représentant sa « juste part » des tâches domestiques.
[130] Après déduction de ces montants du montant de départ de 1 million de dollars, le juge Bouchard accorde à l’appelante la somme de 398 000,00$.
[131] Dans C.R. c. P.L.[33], l’honorable Johanne April a décidé qu’une union de treize ans au cours de laquelle trois enfants sont nés donnait ouverture à une demande d’indemnité au titre de l’enrichissement injustifié. Elle écrit :
[55] Il est de jurisprudence connue que depuis l’arrêt Peter c. Beblow, les activités de nature domestique peuvent être considérées dans une demande d’enrichissement injustifié.
[56] En l’espèce, il ne fait aucun doute aux yeux du Tribunal que la demanderesse s’est investie, en accord avec le défendeur, en plus des activités domestiques, à plusieurs niveaux : la famille, les soins, l’éducation des enfants et l’aide aux différentes entreprises du défendeur.
[57] La demanderesse se retrouve, après treize ans de vie commune et trois enfants en bas âge, dépourvue, alors que le défendeur présente une situation financière confortable avec un actif net de près de 400 000 $. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’habileté dont ce dernier a fait preuve pour en arriver à de tels résultats, alors que les déclarations fiscales déposées laissent voir des revenus nets du défendeur entre 33 962.53 $ en 2005 et 19 462,77 $ en 2014.
[58] Partant du principe que :
- En matière d’enrichissement injustifié, il ne saurait être question de faire un décompte détaillé des éléments soumis en preuve, mais bien d’évaluer la situation dans son ensemble, «une souplesse particulière»;
- Il n’existe pour la demanderesse aucun autre recours possible;
- Plus particulièrement, dans un mariage ou dans une union de fait de longue durée, on devrait, en l’absence d’une preuve contraire forte, conclure que l’enrichissement d’une partie donnera lieu à l’appauvrissement de l’autre.
[59] Le Tribunal estime que le défendeur, entre 2003 et 2016, s’est enrichi et que la demanderesse s’est appauvrie.
[132] Il faut noter qu’ici comme dans notre affaire, la contribution de Madame aux affaires de Monsieur inclurait l’exploitation d’une cabane à sucre.
[133] La juge April accordera donc à Madame 20% de la valeur nette du patrimoine du Défendeur (20% x 400 000,00$ = 80 000,00$).
[134] Dans Boudreau c. Débigaré[34], le juge Pierre C. Bellavance est saisi d’une demande pour enrichissement injustifié dans le contexte d’une union de 15 ans au cours de laquelle deux enfants sont nés.
[135] Reconnaissant le principe d’une telle indemnisation et la reconnaissance des présomptions découlant de l’affaire Peter c. Beblow, le juge Bellavance constate les nombreux apports de Madame dans la vie du couple. Il accorde une compensation égale à 25% de l’actif net de Monsieur.
[136] La juge Carole Hallée dans Lefebvre c. Therrien[35], a suivi cette même tendance où Madame se voit destinée à assurer les besoins de la famille tout en consacrant une bonne partie de son temps aux entreprises de Monsieur qui exploite un commerce de transport. Madame est notamment préposée à la tenue des livres et registres. Elle lave aussi les camions et magazine les pièces de rechange. La juge Hallée écrit notamment que :
[48] La jurisprudence reconnaît que la théorie de l’enrichissement injustifié doit être appliquée avec souplesse aux affaires relevant du droit de la famille.
[49] L’analyse de l’enrichissement injustifié et de ses conditions commande une interprétation globale, large et libérale.
[50] Il ne s’agit donc pas d’un exercice de juricomptabilité. Il faut adopter dans l’analyse des éléments factuels et juridiques, une souplesse particulière à la nature des rapports entre conjoints de fait.
[51] Deux présomptions peuvent découler d’une union de fait de longue durée, à savoir :
1. la corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement;
2. l’absence de motif à l’enrichissement.
[52] Cette présomption ne peut être renversée que s’il y a une preuve contraire forte.
[53] Ainsi, il revient au conjoint poursuivi d’établir que l’appauvrissement du conjoint demandeur n’a aucun rapport avec son propre enrichissement et qu’il existe un motif juridique à celui-ci.
[54] C’est ainsi que Monsieur a tenté de renverser ces présomptions en faisant état des avantages qu’il a procurés à Madame.
[55] Dans un jugement récent, la Cour d’appel précisait que les avantages reçus par le conjoint demandeur doivent être appréciés au stade de la détermination de l’indemnité, reprenant ainsi les enseignements de la Cour suprême :
« [45] (…) Or, de l'avis de la Cour suprême dans un arrêt rendu en 2011 dans un contexte de common law, la question de savoir si l'appauvrissement est contrebalancé par les avantages conférés au conjoint demandeur par le conjoint poursuivi doit être traitée au stade de la détermination de la réparation à accorder. C'est uniquement si ces avantages offrent une preuve pertinente de l'existence d'un motif juridique à l'enrichissement et à l'appauvrissement qu'ils peuvent être pris en compte à un stade antérieur de l'analyse :
[109] Comme je l'ai déjà dit, je suis d’avis que les avantages réciproques peuvent être pris en considération à l’étape de l’analyse du motif juridique, mais seulement dans la mesure où ils offrent une preuve pertinente de l’existence d’un tel motif. Autrement, il faut en tenir compte à l’étape de la défense ou de la réparation. […]
[114] Comme je l’ai déjà dit, le motif juridique est la troisième des trois parties de l’analyse de l’enrichissement injustifié. Comme l’a dit la juge McLachlin à la p. 90 de l’arrêt Peter, « [c]’est à cette étape que le tribunal doit vérifier si l’enrichissement et le désavantage, moralement neutres en soi, sont “injustes” ». L’analyse du motif juridique vise à indiquer si le défendeur est justifié de conserver l’enrichissement, et non pas à en déterminer la valeur ou à déterminer s’il convient d’opérer compensation après examen des avantages réciproques : Wilson, par. 30. […]
[115] Le fait que les parties se soient mutuellement conféré des avantages peut constituer une preuve pertinente de leurs attentes raisonnables, ce qui peut devenir pertinent au moment où le défendeur essaie de prouver que ces attentes appuient l’existence d’un motif juridique que l’on ne retrouve dans aucune des catégories établies. Cependant, comme l’analyse du motif juridique cherche à déterminer si l’enrichissement était équitable et non à en mesurer l’ampleur, les avantages réciproques ne devraient être pris en considération à cette étape que pour cette fin précise.
(3) Résumé
[116] Je conclus que les avantages réciproques peuvent être examinés à l’étape de l’analyse du motif juridique, mais seulement dans la mesure où ils fournissent une preuve pertinente relativement aux attentes raisonnables des parties. Sinon, ils doivent être pris en considération au stade de la défense ou à celui de la réparation. […] »
(Le Tribunal souligne)
[137] Madame obtiendra après une relation de 32 ans, une indemnité qui représente « un peu plus de 20% de la fortune de Monsieur », accumulée durant la vie commune.
[138] Dans Cloutier c. Berndt[36], la juge Marie-Claude Lalande s’inspire des opinions des juges Bouchard en Cour d’appel[37] et Hallée en Cour supérieure[38]. Elle accordera, après une longue analyse des principes applicables, une indemnité de … « moins de 15% de la fortune de Monsieur »… après une union de 11 ans.
[139] Dans le contexte d’une union de 37 ans où les conjoints ont eu quatre enfants, l’affaire Parent c. Dauphinais[39] jugée par l’honorable Chantal Corriveau et où Monsieur et Madame se sont entièrement consacrés à l’entreprise familiale, Madame réclame 50% de la valeur nette des actifs de Monsieur.
[140] Se basant sur les enseignements de Kerr c. Baranow, la juge Corriveau accordera à Madame sur la valeur nette de Monsieur (±3 millions $) un montant de 750 000,00 $, soit ±25%, duquel seront déduites les diverses sommes reçues de Madame au cours des années de vie commune pour son bénéfice personnel, soit près de 400 000,00$. Madame reçoit donc 353 000,00 $ au titre de l’enrichissement injustifié.
[141] Dans Côté c. Laforest,[40], le juge Gratien Duchesne doit décider des conséquences d’une union de 30 ans en union de fait … « selon le modèle du mariage traditionnel »…[41]
[142] Il s’agit d’un cas où le défendeur créera sa propre entreprise pendant l’union, laquelle prospérera grâce au travail acharné de ce dernier mais aussi avec l’aide importante de sa conjointe mais sans rémunération pour cette dernière, en plus d’être la principale figure parentale auprès des deux enfants du couple et de s’occuper, seule, de l’entretien de la maison.
[143] Dans ce même dossier, à la fin de la vie commune, Madame a des actifs de 136 000,00 $ tandis que ceux de Monsieur dépassent le million de dollars.
[144] Sur les principes de droit applicables pour décider du droit de la Demanderesse à une compensation basée sur l’enrichissement injustifié, le juge Duchesne écrit :
[37] La Cour d’appel en 2010[13] réitère l’importance des présomptions développées par la Cour suprême en 1993 et conclut à l’obligation pour la Cour supérieure de se livrer à une analyse libérale et globale de la situation des parties :
« […]
[12] Le/la juge saisi(e) d’une demande d’indemnité pour enrichissement injustifié par le/la conjoint(e) de fait [doit] se livrer à une analyse libérale et globale de la situation des parties, prenant en compte tous les apports des conjoints durant la vie commune. Il ne s’agit pas d’un exercice de juricomptabilité comme a tenté de le faire l’intimé en première instance.
[13]
Au contraire, il faut adopter dans l’analyse des éléments factuels
et juridiques une souplesse particulière qui sied à la nature des rapports
entre des conjoints (Lacroix c. Valois, 1990 CanLII 46 (CSC),
[…] »
[38] En 2011, l’affaire Kerr c. Baranow[14] concerne la question du mode d’évaluation de l’indemnité pour enrichissement injustifié et la question des avantages réciproques dans le contexte d’une réclamation fondée sur l’enrichissement injustifié. On y traite également de la question du rôle des attentes raisonnables des parties dans l’analyse de l’enrichissement injustifié.
[39] Le recours fondé sur la common law avait été intenté par Mme Kerr après 25 ans de vie commune entre conjoints de fait. Dans son analyse, la Cour suprême retient la méthode dite de la valeur accumulée pour calculer la réparation en déterminant la contribution proportionnelle du conjoint demandeur à l’accumulation de la richesse. À ce sujet, M. le juge Cromwell écrit :
« […]
(4) L’approche applicable en matière de réparation pécuniaire
[80] L’étape suivante de l’évolution jurisprudentielle devrait consister à s’éloigner de la fausse dichotomie entre le quantum meruit et la fiducie constructoire, pour revenir aux principes qui sous-tendent les règles relatives à l’enrichissement injustifié. Ces principes portent principalement sur la qualification appropriée de la nature de l’enrichissement injustifié à l’origine de la réclamation. Comme je l’ai dit, tous les enrichissements injustifiés entre conjoints non mariés ne se rangent pas aisément dans la catégorie de la « rémunération des services rendus » ou dans celle relative à « une partie d’un bien déterminé ». Dans les cas où la meilleure façon de qualifier l’enrichissement injustifié est de la considérer comme une rétention injuste d’une part disproportionnée des biens accumulés dans le cadre de ce que le juge McLachlin a appelé, dans Peter (p. 1001), une «coentreprise familiale » à laquelle les deux conjoints ont contribué, la réparation pécuniaire devrait refléter ce fait.
[81] Dans de tels cas, le fondement de l’enrichissement injustifié est la rétention d’une part excessivement disproportionnée de la richesse par une partie quand les deux parties ont participé à une coentreprise familiale et qu’il existe un lien évident entre les contributions du demandeur et l’accumulation de la richesse. Indépendamment du titulaire du titre de propriété sur certains biens déterminés, on peut considérer que les parties, dans de telles circonstances, [traduction] « créent la richesse dans le cadre d’une entreprise commune qui les aidera à maintenir leur relation, leur bien-être et leur vie de famille » (McCamus, p. 366). La richesse créée durant la période de cohabitation sera considérée comme étant le fruit de leur relation conjugale et financière, sans nécessairement que les deux parties y aient contribué en parts égales. Comme les conjoints sont des partenaires conjugaux et financiers, il n’est nul besoin d’un « duel de quantum meruit ». Dans de tels cas, l’allégation d’enrichissement injustifié naît de ce que la partie qui quitte avec une part disproportionnée de la richesse prive le demandeur d’une part raisonnable de la richesse accumulée pendant la relation grâce à leurs efforts conjoints. Il faudrait évaluer la réparation pécuniaire en déterminant la contribution proportionnée du demandeur à l’accumulation de la richesse.
[85] […] Suivant les règles, de la common law relatives à l’enrichissement injustifié, la cohabitation, en soi, ne confère pas à une personne le droit à une part des biens de l’autre personne ou à toute autre forme de réparation. Toutefois, lorsqu’une certaine richesse a été accumulée grâce à un effort conjoint, comme en témoigne la nature de la relation des parties et leurs rapports réciproques, le droit de l’enrichissement injustifié devait refléter cette réalité.
[…]
[Soulignements du juge Cromwell]
[40] Selon la Cour suprême dans Kerr, les règles de la présomption législative voulant que les conjoints mariés soient associés dans une coentreprise familiale peuvent être appliquées aux conjoints non mariés[16].
[41] C’est ainsi que la Cour propose :
« […]
[89] Pour procéder à cette analyse, il peut être utile d’examiner la preuve sous quatre rubriques principales : l’effort commun, l’intégration économique, l’intention réelle et la priorité accordée à la famille. De toute évidence, il y a un chevauchement des facteurs qui pourraient se révéler pertinents sous ces rubriques et la liste de ces facteurs n’est pas définitive. Ce qui suit n’est pas une liste des conditions requises pour pouvoir conclure (ou ne pas conclure) que les parties étaient engagées dans une coentreprise familiale. Ces rubriques, et les facteurs qui y sont regroupés, servent simplement à faciliter l’analyse globale de la preuve et à donner quelques exemples d’éléments à prendre en considération pour décider si les parties étaient engagées dans une coentreprise familiale. L’absence de ces facteurs, et plusieurs autres considérations pertinentes, pourrait fort bien écarter cette conclusion.
[…] »
[Soulignement du Tribunal]
[145] Au niveau du calcul de l’indemnité à accorder à la Demanderesse, le juge Duchesne retiendra une proportion de 35% de l’actif net de Monsieur, de laquelle il retranchera une proportion de 65% de l’actif net de Madame accumulé durant la même période, ce qui donnera à cette dernière une indemnité de 340 000,00$ à laquelle il rajoutera un montant équivalent à la moitié de la valeur nette de la résidence familiale. Madame recevra donc une indemnité totale de 450 000,00$, soit plus de 40% de l’actif net total du Défendeur.
[146] Il se dégage donc une tendance claire et nette de la jurisprudence précitée, justifiant l’octroi d’une indemnité basée sur l’enrichissement injustifié lorsque la preuve factuelle démontre que les conjoints ont conçu un projet commun ou participé à une co-entreprise familiale, que le ou la conjointe réclamant une telle indemnité ait fourni un apport à l’enrichissement de l’autre conjoint et que ce dernier n’ait pu renverser les présomptions de corrélation entre l’appauvrissement du conjoint réclamant et l’enrichissement du conjoint débiteur, d’une part, et l’absence de motifs à l’enrichissement.
[147] En l’instance :
- les parties ont vécu ensemble pendant 16 ans, ont eu deux enfants et ont réellement participé à l’élaboration d’un projet de vie en commun au cours de laquelle l’enrichissement de monsieur B s’est réalisé en totalité ;
- l’appauvrissement de Madame résulte principalement de son apport en services familiaux et domestiques. Doit-on rappeler qu’elle a eu deux enfants avec monsieur B et qu’elle s’est entièrement dévouée à la famille et à la maison pendant les 16 années qu’a duré cette union, alors que Monsieur, grâce au soutien de Madame, a pu se concentrer à la création du [produit A] qui a fait sa fortune. Sans le soutien de Madame dans les années cruciales du développement de ce qui le rendra multimillionnaire, Monsieur n’aurait peut-être jamais atteint le niveau de richesse qu’il a réalisé ;
- A un moindre niveau, Madame s’est aussi occupée de certaines des activités commerciales de Monsieur (cabane à sucre, perception de loyers de propriétés). Ces activités ont, cependant, été marginales et de courte durée.
- les admissions de Monsieur, écrites et publiées, démontrent sans l’ombre d’un doute que Monsieur reconnaissait cet apport de la part de sa conjointe ;
- Madame a continué, même si Monsieur a fait sa part à compter de 2007, à assumer presque seule l’ensemble des besoins des enfants et de la maison de 1998 à 2007 et, se basant notamment sur les analyses des juges Hallée dans Lefebvre c. Therrien[42] et Lalande dans Cloutier c. Berndt[43], le Tribunal est d’avis que madame A rencontre tous les critères énoncés par la jurisprudence récente sur le sujet visant à permettre l’indemnisation de la Demanderesse sur la base de l’enrichissement injustifié, tel qu’énoncé dans Kerr c. Baranow[44].
B) Le calcul de l’indemnité
[148] La jurisprudence précitée fixe les indemnités payables en pareilles circonstances entre 20% et 45% de la valeur nette du conjoint débiteur selon la longueur des unions et avant ajustements pouvant refléter les divers apports du conjoint débiteur en faveur de l’enrichissement du conjoint demandeur pendant l’union.
[149] Madame a-t-elle augmenté sa valeur nette pendant l’union de 16 ans avec Monsieur ? Il semble que oui mais dans une proportion et dans une quantité n’ayant aucune commune mesure avec l’augmentation de celle de son conjoint. Il faudra donc tenir compte de ce facteur dans le calcul du montant que Monsieur devra lui verser.
[150] Monsieur a-t-il augmenté sa valeur nette pendant cette même période. La réponse est oui, et même considérablement.
[151] La valeur nette de monsieur B à la fin de l’union est de 17 millions $ ; lors de l’institution des procédures, en 2015, elle est de 22 millions $ et lors de l’audition au mérite (fin janvier 2018), elle est de l’ordre de 25 millions $, ces augmentations ne résultant pas d’un travail additionnel mais simplement de la fructification du capital de 17 millions en 2012, suite à des investissements judicieux.
[152] Monsieur a donc réussi à faire grandir son capital d’un peu plus de 30% entre 2012 et 2018 (8 millions $ sur 25 millions $) depuis la séparation.
[153] Le Tribunal estime que la Demanderesse serait adéquatement indemnisée par l’octroi d’un montant équivalent à 20% de la valeur nette de Monsieur à la date de la séparation, prenant pour acquis que les valeurs nettes des deux parties au début de leur union s’équivalent. Cela représente un montant de 3,4 millions $ (17 x 20% = 3,4). C’est d’ailleurs ce que madame A demande et ce pourcentage est à la limite inférieure de la fourchette précitée (entre 20% et 45%) qui ressort de l’analyse jurisprudentielle ci-haut.
[154] Ce montant doit être réajusté en fonction des contributions de monsieur B à la valeur nette de Madame pendant l’union.
[155] Dans son plan d’argumentation (pp. 31 et 32), Madame propose ce qui suit, d’abord sur l’application des critères de la co-entreprise familiale dans le présent dossier, et ensuite sur les avantages reçus par Madame au cours de la période. Le Tribunal est généralement d’accord avec cet exposé et croit utile de le reproduire intégralement :
65. Effort commun :
a. Selon Madame, définition des rôles respectifs des parties en fonction d’un projet familial soit celui de permettre à Monsieur de se consacrer au développement de ses entreprises en contrepartie pour elle de se consacrer aux enfants et à la maison.
b. Choix d’avoir des enfants et de les éduquer : appelé « projet de vie » par Monsieur dans le cadre de son interrogatoire hors cour du 12 janvier 2017.
- Voir transcription des notes sténographiques de l’interrogatoire de B du 12 janvier 2017, page 167, lignes 15 à 18.
c. Participation de Madame à certains projets de Monsieur (condominiums locatifs et cabane à sucre).
66. Intégration économique :
a. Partage des dépenses de la famille.
b. Cartes de crédit conjointes.
c. Allocation hebdomadaire de 500$.
d. résidence détenue conjointement.
67. Intention réelle des parties :
a. Durée de cohabitation de 16 ans.
b. Espoir de pouvoir bénéficier des fruits du travail de Monsieur.
c. « Projet commun » lorsque les parties étaient ensemble :
- Voir transcription des notes sténographiques de l’interrogatoire de B du 12 janvier 2017, page 164, lignes 3 à 12, page 165, lignes 12 à 14, page 167, lignes 6 à 25 et page 168, lignes 1 à 16.
68. Priorité accordée à la famille :
a. Sacrifice financier de la part de Madame pour le bien de la famille.
b. Madame s’est fiée à la réussite et à la stabilité de la relation pour en assurer la sécurité économique à son propre détriment économique.
c. Madame s’est fiée sur Monsieur et l’a appuyé dans ses projets.
Avantages reçus
69. Une fois la détermination d’une coentreprise familiale, la Cour pourra ensuite analyser les avantages réciproques procurés par les parties l’une à l’autre pendant l’union, et en tenir compte pour pondérer la compensation proportionnelle accordée.
Ø Kerr c. Baranow, para. 102 et ss. (Onglet 4 - Cahiers d’autorités)
70. Ces avantages réciproques peuvent être pris en considération au stade de l’analyse de l’absence de justification à l’enrichissement, dans la mesure où ils auraient offert une preuve pertinente de l’existence d’un tel motif, la règle générale étant de les considérer au stade de la réparation.
71. Madame suggère de déduire de l’éventuelle indemnité, le cas échéant, les sommes qu’elle a reçues suite à la séparation, à savoir :
a. 100 000$ versé par Monsieur en 2013 ;
b. 43 000$ versé par Monsieur pour l’acquisition d’un véhicule ;
c. 16 380.63$ versé par Monsieur pour combler le fonds de pension de Madame lors de son congé sans solde ;
d. 496 782.86$ représentant la valeur nette de Madame en octobre 2012 [45];
Ø Requête ré-amendée en fixation des modalités de garde, en fixation d’une pension alimentaire pour enfants mineurs, en ordonnance de sauvegarde, en enrichissement injustifié, en réclamation du paiement d’impenses nécessaires et en provision pour frais, para. 241.5 (Onglet 14 - Cahier de procédures utiles)
Quantum
72. Réclamation de 3.5M$.
73. Calcul similaire à Kerr c. Baranow :
Ø Tableau du calcul[46].
74. 3.5M$ équivaut à environ 20% de la valeur nette de 17M$ en 2012.
75. En déduisant les avantages reçus :
Ø 2 708 928.43$ en excluant la valeur du fonds de pension.
Ø 2 493 836.51$ en déduisant la valeur du fonds de pension.
[156] Sur ce qui précède, le Tribunal note que les correctifs suivants doivent cependant être apportés :
a) la réclamation brute de Madame devrait être non pas de 3.5 millions $ mais de 3.4 millions $ (17 x 20% = 3.4).
b) en déduisant les avantages reçus par Madame, l’indemnité que Madame doit recevoir est de 2 608 928,43 en excluant la valeur du fonds de pension de Madame ou de 2 393 836,51 en l’incluant.
c) Le Tribunal est d’avis que la possibilité pour Madame d’accumuler un fonds de retraite d’une telle valeur résulte du fait que Madame a pu garder cet actif intact pendant l’entièreté de la vie commune. Ainsi, la présence de Monsieur pendant 16 ans lui a permis non seulement d’épargner un tel montant mais aussi de ne pas avoir à l’encaisser prématurément. Il faut donc l’inclure dans la déduction de l’avoir net de Madame et déduire au titre des avantages reçus par Madame la valeur totale dudit fonds de pension (215 091,92 $)[47].
[157] Ainsi, Madame a droit à une indemnité de 2 393 836,51 $ au titre de l’enrichissement injustifié.
C) La résidence familiale
a) Doit-on procéder au partage et à la licitation de la résidence familiale ?
b) Monsieur B a-t-il droit à une indemnité locative depuis octobre 2012 ?
[158] Lorsqu’il a quitté Madame, Monsieur a consenti à un arrangement de garde partagée. Il a donc acheté une résidence à proximité de la résidence familiale pour favoriser la garde partagée des enfants. Pour sa part, Madame a gardé l’usage exclusif de la résidence familiale où elle recevait les enfants.
[159] La garde partagée a duré de novembre 2012 à l’été 2017.
[160] En février 2017, Monsieur s’installe dans une luxueuse maison [dans le quartier A], qu’il paye 2,84 millions $ (P-152).
[161] Madame a des droits d’accès auprès des enfants selon leur gré et les ententes avec Monsieur. Cependant, elle doit pouvoir les recevoir dans un endroit convenable. Pour elle, cet endroit c’est la résidence familiale où les enfants y ont vécu toute leur enfance, où ils n’y sont pas dépaysés.
[162] Monsieur a accepté ce compromis pendant l’instance. Au surplus, le Tribunal est informé que cet arrangement perdure depuis la afin de l’audition au fond et jusqu’à la date du présent jugement.
[163] A l’été 2017, les parties ont modifié leur entente de garde partagée pour la transformer en garde exclusive à Monsieur avec droits d’accès à Madame selon des modalités à être déterminées entre les parties.
[164] Aujourd’hui, monsieur B désire non seulement que madame A lui paye un loyer d’occupation égal à la moitié de la valeur locative de la résidence familiale depuis novembre 2012 mais il veut aussi que le Tribunal prononce le partage et la licitation de la résidence familiale (détenue en copropriété indivise) et que Madame soit forcée de déménager et de se réinstaller ailleurs.
[165] Madame, de son côté, désire pouvoir garder cette résidence qui lui convient bien et qui lui permet d’y recevoir ses enfants. Elle espère donc que le Tribunal lui accordera une indemnité suffisante pour qu’elle puisse racheter la part de Monsieur et que le tout s’effectue en moins prenant sur la somme qu’elle réclame. Compte tenu de ce qui précède, l’indemnité de Madame sera effectivement suffisante pour payer la part de Monsieur dans la résidence et que Madame puisse en devenir la seule et unique propriétaire.
[166]
Sur la question de l’indemnité locative, la Cour
d’appel dans Droit de la famille 113541[48] s’est déjà prononcée dans un cas similaire. Il a été décidé que l’indemnité
compensatoire prévue à l’article
[167] Cette approche a été suivie dans Droit de la famille 15593[50] et dans Droit de la famille 141429[51].
[168] Le Défendeur plaide qu’il a néanmoins droit à une indemnité locative parce que madame A a reçu une pension alimentaire pour les enfants durant la période visée (2012 à aujourd’hui). Or, la jurisprudence citée par Monsieur ne semble pas aborder l’aspect de l’usage exclusif de l’indivisaire comme la Cour d’appel l’enseigne dans la décision Droit de la famille 113541 précitée.
[169] Le Tribunal juge donc que le Défendeur B n’a droit à aucune compensation à ce titre compte tenu des faits particuliers de la présente instance. Il ne peut revenir sur son consentement préalablement donné sur l’utilisation de la résidence familiale. Au surplus, Madame continue d’avoir des droits d’accès auprès de ses enfants et elle doit donc bénéficier d’une résidence convenable où elle peut les recevoir.
[170] Quant au partage et à la licitation de la résidence familiale demandés par monsieur B, le dossier révèle que la propriété est évaluée à 670 000,00 $ en 2016[52] et que la part de chacune est de 335 000,00 $. Il serait effectivement plus facile que cette question soit réglée une fois pour toutes entre les parties et que Madame puisse faire l’acquisition de la part indivise de Monsieur et de bénéficier d’un titre clair le plus rapidement possible à compter de la date du présent jugement, tout en voyant la valeur nette de son indemnité réduite d’autant.
[171] Ainsi, le Tribunal ordonnera dans ses conclusions que la part de Monsieur dans la résidence familiale soit transférée à Madame dans les 30 jours de la date du présent jugement à la somme de 335 000,00 $ en paiement partiel des sommes qu’il devra lui verser au titre de l’enrichissement injustifié. Cela apparaît au Tribunal comme étant la solution la plus logique, la moins coûteuse pour les parties en ce qu’elle permet l’économie d’une possible commission d’agent (qui pourrait aller jusqu’à 33 500,00 $) ainsi que des délais inutiles.
D) La provision pour frais
[172] Malgré le fait que madame A a encouru des frais et déboursés supérieurs à cette somme, celle-ci limite sa demande de provision pour frais à la somme de 100 000,00 $.[53]
[173] Il est assez évident, de par la preuve factuelle, qu’il existe une énorme différence de moyens financiers entre Monsieur et Madame.
[174] Il ressort aussi de l’analyse qui précède que Madame n’a eu d’autre choix que d’avoir recours aux tribunaux et de faire reconnaître ses droits à l’indemnité substantielle que le Tribunal lui accorde. Son recours n’était donc ni farfelu ni abusif, loin de là !
[175] Il est de jurisprudence constante que la provision pour frais doit être considérée lorsque, sans elle, une partie ne pourrait se permettre d’entreprendre un recours judiciaire.
[176] En l’instance, la preuve révèle que les liquidités que Monsieur a versées à Madame lors de la séparation ont largement servi au financement du recours. Ces liquidités (principalement la somme de 100 000,00 $), lorsqu’elles ont été versées, n’étaient pas destinées à couvrir de telles dépenses.
[177]
La Cour d’appel, dans E.L. c. G.B.,
[178] Au surplus, madame A n’avait aucun autre actif liquidable susceptible de couvrir les honoraires extra-judiciaires du présent dossier.
[179] Ici, on objecte que Madame n’est pas une « créancière alimentaire » au sens courant donné à cette expression. Effectivement, Madame ne peut prétendre à un quelconque droit alimentaire envers Monsieur.
[180]
Cela ne veut pas dire que Madame n’a pas droit à
une provision pour frais, surtout depuis l’adoption de l’article
[181]
L’article
416. Le tribunal peut ordonner à l’une des parties de verser à l’autre partie une provision pour les frais de l’instance si les circonstances le justifient, notamment s’il constate que sans cette aide cette partie risque de se trouver dans une situation économique telle qu’elle ne pourrait faire valoir son point de vue valablement.
[182] Une interprétation large et généreuse de cette disposition milite en faveur que l’on puisse interpréter cette disposition comme s’appliquant à tout recours de « matière familiale » incluant l’exercice de droits entre conjoints non mariés qui ont fondé une famille.
[183] A l’origine, le présent dossier ne visait pas uniquement le recours de Madame pour enrichissement injustifié. Les revenus de Monsieur étaient nécessaires à l’établissement des arrérages de pension alimentaire pour enfants. La preuve a révélé que Monsieur n’a pas été particulièrement transparent sur ce point. Madame a dû encourir des frais dans le contexte de l’exercice de ses droits de garde, d’accès et de pension alimentaire pour enfants.
[184]
Dans un jugement de 2002[54] (donc avant l’avènement de l’article
[30] À l’audience, le procureur du défendeur a plaidé que la provision pour frais ne pouvait être envisagée que lorsqu’il était nécessaire de fournir à une partie les moyens financiers requis pour faire valoir un droit à des aliments. Or, vu le caractère non-alimentaire de prestation compensatoire, seul point en litige qui reste à déterminer, il prétend que la provision pour frais ne peut donc être accordée. Il s’appuie notamment sur une décision récente de l’honorable Jules Allard dans G.L. C. G.U.V. où on peut lire ceci :
[5] Lorsqu’il y a demande de provision pour frais, il faut toujours revenir à la disposition de la loi qui permet une telle demande. Dans la jurisprudence, on peut trouver plusieurs décisions qui, dans des cas d’espèce, sur des aspects particuliers, justifient une provision pour frais pour payer non seulement les frais d’avocats, mais les frais d’experts.
[6] Mais dans tous les cas, il faut que ces frais se rapportent à l’aspect alimentaire.
[7]
C’est l’article
Le tribunal peut accorder au créancier d’aliments une pension provisoire pour la durée de l’instance.
Il peut, également, accorder au créancier d’aliments une provision pour les frais de l’instance.
[8] Il y a donc lieu de l’accorder lorsque les procédures judiciaires, tant au niveau provisoire qu’au niveau de l’instance, sont nécessaires pour permettre la demande d’aliments. Ce sont des frais judiciaires qui doivent être assumés par la partie adverse pour permettre à la demanderesse de faire confirmer son droit aux aliments et en fixer la quotité.
[9] C’est la seule raison pour laquelle la jurisprudence qualifie d’alimentaire les frais de justice. Ils sont nécessaires pour que soit présentée et soutenue une demande alimentaire qui pourra même s’avérer injustifiée.
[10] C’est donc en sa qualité de créancière alimentaire pour elle-même et comme mandataire pour ses enfants qu’une provision pour frais peut être demandée par la demanderesse.
[31] Le savant juge ajoute :
[12]
Les questions relatives au patrimoine familial et aux autres droits
patrimoniaux résultant du mariage ne sont pas des mesures accessoires, comme en
fait la distinction l’article
Au moment où le tribunal prononce la séparation de corps, la nullité du mariage ou le divorce, il statue sur les demandes accessoires, notamment celles qui concernent la garde, l’entretien et l’éducation des enfants ainsi que les aliments dus au conjoint et aux enfants; il statue, au même moment ou ultérieurement, si les circonstances le justifient, sur les questions relatives au patrimoine familial et aux autres droits patrimoniaux résultant du mariage.
et conclut, pour ces motifs au rejet de la requête pour provision pour frais.
[32] Avec égards le Tribunal n’est pas d’accord avec ce raisonnement.
[33]
Dans un premier temps, l’article
[34]
L’article
[35] Il y a aussi l’article 20 des Règles de pratique de notre Cour en matières familiales qui se lit comme suit :
20. Le tribunal peut, en tout état de cause, ordonner à une partie de verser à l’autre une provision pour frais.
[36] Cet article ne fait pas de distinction entre la provision pour assurer un recours alimentaire ou un recours à caractère patrimonial ou économique dans un dossier de divorce ou encore dans un dossier de séparation, de nullité de mariage ou même de filiation.
[37] Mais il y a plus : il est évident que l’octroi de sommes importantes lors d’un partage du patrimoine familial ou encore de la prestation compensatoire auront un impact inévitable sur le montant de la pension alimentaire finale. Donc il est difficile, sinon impossible, surtout avant l’audition au fond, de dissocier complètement le volet de la pension alimentaire du reste du dossier visant à établir les actifs des parties à un litige familial. Si par exemple la demanderesse voyait sa demande de prestation compensatoire rejetée entièrement, serait-elle tentée de demander une pension alimentaire supérieure à celle que la juge Piché lui a accordée le 30 août dernier ? Si, par contre le juge du procès lui accorde une prestation compensatoire aussi importance que celle qu’elle réclame, le défendeur sera-t-il tenté de suggérer au Tribunal qu’un tel capital pourra générer des revenus substantiels qui pourraient avoir pour effet de réduire ou même d’éliminer la pension alimentaire ? D’ailleurs la pension alimentaire pourra être modifiée par le juge à la hausse ou à la baisse, en fonction de la valeur des actifs du créancier ou du débiteur de l’obligation alimentaire.
[38]
Malgré l’opinion contraire, le
Tribunal est d’avis que les articles
[185] Ainsi, la provision pour frais peut être considérée dans le cas où il serait injuste et inapproprié que l’une des parties utilise les maigres ressources dont elle dispose pour faire valoir ses moyens alors que l’autre partie a toutes les ressources financières pour combattre sur ce qui devient un … « terrain de jeu inégal »…
[186]
Voir aussi au même effet Droit de la
famille 082777
[187] Le Tribunal est donc d’avis que la provision pour frais requise par Madame peut lui être accordée dans la mesure où elle démontre que sans celle-ci elle ne pourrait obtenir justice, faute de moyens pour le faire et que son recours démontre prima facie qu’il mérite qu’on s’y attarde.
[188] Il ne faut pas oublier que dans le présent dossier, la juge en chef adjointe Eva Petras a déjà autorisé la Demanderesse à retirer 60 000,00 $ de la marge de crédit hypothécaire grevant la résidence familiale pour lui permettre de couvrir partie de ses honoraires extra-judiciaires tout en laissant au juge du fond le soin de décider de l’ensemble de la question. Cette dette grève actuellement la résidence familiale[55].
[189] A l’audition, la Demanderesse a fait la preuve de son impécuniosité et de sa difficulté à financer son recours contre le Défendeur. Il est en preuve non-contredite que les montants que Monsieur lui a remis lors de la séparation ont été en bonne partie utilisés pour payer ses avocats. Il est évident que les 60 000,00 $ qu’elle a obtenus suite au jugement de la juge Petras, la Demanderesse n’aurait pu continuer sa poursuite et, pour obtenir ce montant, il fallait à tout le moins qu’elle puisse démontrer que cette ponction sur l’équité de la résidence familiale était sa seule source de crédit.
[190] Au surplus, l’énorme différence entre la valeur des actifs des parties milite en faveur de l’octroi d’une indemnité permettant à Madame d’effacer l’emprunt de 60 000,00 $ qu’elle a contracté et réduire la facture totale de ses frais, sans toutefois les effacer complètement.
[191] Finalement, il ne faut pas oublier que le présent dossier relève aussi du droit familial courant à cause du débat (réglé seulement depuis 2017 dont certaines des modalités sont entérinées par le présent jugement) portant sur la garde des enfants[56].
[192] De plus, ce n’est qu’en cours d’audition que les parties ont pu s’entendre sur les montants d’arrérages dus par Monsieur.
[193]
Tout cela milite en faveur de l’application de
l’article
[194]
Pour le reste, il faut réitérer que le Tribunal est
d’avis que l’article l’article
[195] Les arguments de Monsieur à l’encontre de cette demande ne sont pas convaincants. Malgré ce qu’il en dit, il n’a pas fait preuve de la plus grande transparence sur sa réelle situation financière. Compte tenu de l’importance de son capital, le Tribunal ne peut se fier aux revenus qu’il déclare, lesquels ont été établis sur une base plus fiscale que réelle, tout en étant, de l’aveu du Défendeur, erronés.
[196] En conséquence, la demande d’indemnisation pour les frais de 100 000,00 $ de la part de madame est accueillie.
RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS
[197] Tel qu’indiqué ci-haut, les conclusions recherchées sur le fond de la demande par la Demanderesse dans sa dernière requête ré-amendée du 28 novembre 2016 (no. 63 au plumitif) ont évolué en fonction des divers accords intervenus entre les parties.
[198] Le Tribunal comprend qu’à l’heure actuelle, la question de la garde des enfants est réglée entre les parties. Les divers ajustements monétaires concernant les arrérages de pension, des frais particuliers et des sommes dues relativement à la résidence familiale sont aussi réglés. Même si les conclusions recherchées par Madame sont nombreuses et complexes quant aux modalités de garde et d’accès, aucune représentation particulière ni aucun accord entre parties n’a été soumis pour adjudication par l’un ou l’autre des parents. En conséquence, le Tribunal ne statuera sur ces questions que lorsqu’il apparaît essentiel de le faire, laissant aux parties le soin de débattre les autres demandes si nécessaire plus complètement et dans un autre contexte.
[199] Plus spécifiquement :
a) Les modalités actuelles des droits de garde et d’accès seront précisés ;
b) Les divers congés en cours d’année seront séparés sur accord entre les parties et avec le consentement des enfants ;
c) Le parent gardien devra tenir l’autre parent de tout évènement spécifique concernant l’un ou l’autre des enfants en matière de santé, de fréquentation scolaire et de résultats académiques, lorsqu’un tel évènement survient alors que l’un ou l’autre des enfants est sous sa garde ;
d) Un parent devra, en toutes circonstances, s’abstenir de critiquer ou de dénigrer l’autre auprès des enfants ;
e) L’exercice de l’autorité parentale des deux parents à l’égard des enfants sera maintenu jusqu’à leur majorité.
[200] Le Tribunal note, au surplus, que Madame ne reçoit ni ne demande de pension alimentaire pour les enfants. Ses droits, à cet égard, seront donc réservés.
[201] Quant aux conclusions portant sur la demande d’enrichissement injustifié et sur les autres demandes monétaires non encore réglées de Madame, celles-ci se lisent comme suit :
ORDONNER
au défendeur de verser à la demanderesse la somme de 3 500 000$ en
guise de compensation pour la demande en enrichissement injustifié avec
intérêts et indemnité additionnelle de l’article
DÉDUIRE de la somme de 3 500 000$ les sommes suivantes :
a) La moitié de la valeur de la résidence commune dans l’éventualité où la part indivise du défendeur soit transférée à la demanderesse en guise d’acquittement partiel de la compensation accordée;
b) Le montant de 100 000$ ayant déjà été versé par le défendeur;
c) Le montant de 43 000$ ayant déjà été versé par le défendeur pour l’acquisition du véhicule de la demanderesse;
d) Les montants versés par le défendeur afin de combler le fonds de pension de la demanderesse lors de son congé sans solde;
e) La valeur nette de la demanderesse en 2012;
…
CONDAMNER le défendeur à verser à la demanderesse une provision pour frais de 63 750 $ à être versée à ses procureurs au compte « Intrust » de Me Suzanne Hélène Pringle dans les dix (10) jours du jugement à intervenir, dont les détails se retrouvent à l’Annexe B de la présente Requête;
RÉSERVER à la demanderesse le droit d’amender le mntnat qu’elle réclame à titre de provision pour frais;
ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel;
LE TOUT sans frais.
[202] Le recours de Madame a été institué le 15 juin 2015. Il faut noter que ce n’est que le 28 novembre 2016 que Madame a, pour la première fois, chiffré sa demande d’enrichissement injustifié.
[203] Pour sa part, le Défendeur B a formulé une première contestation en date du 30 mars 2016 où il demande le rejet de toutes les conclusions de Madame et où il ajoute ce qui suit :
ORDONNER la vente de l’ancienne résidence familiale située au [adresse 2] à Ville A, Québec, [...];
ORDONNER que le produit de vente de l’immeuble située au [adresse 2] à Ville A, Québec, [...], soit divisé entre les parties en proportions égales, soit 50/50;
ORDONNER à la demanderesse de payer au défendeur
un loyer, en conformité avec l’article
[204] La contestation de Monsieur ne semble pas avoir été amendée postérieurement aux amendements de Madame en date du 28 novembre 2016[57].
[205] Madame a donc droit aux paiements suivants :
- 10 000,00 $ au titre des arrérages dus par Monsieur au titre des dépenses reliées à la résidence familiale;
- 1 047,00 $ au niveau des arrérages dus par Monsieur au titre des dépenses reliées aux frais particuliers;
- 2 393 836,51 $ moins la valeur de la part de Monsieur dans la résidence familiale, établie à la somme de 335 000,00 $, ce qui laisse un solde net de 2 058 836,51 $.
- 100 000,00 $ au niveau de la provision pour frais.
[206] Quant aux intérêts et l’indemnité additionnelle, le Tribunal est d’avis que les montants précités doivent porter intérêt à compter de dates différentes :
- à compter de la date d’institution des procédures, soit du 15 juin 2015 pour l’indemnité nette d’enrichissement injustifié (2 058 836,51 $);
- à compter de la date de son engagement (25 janvier 2018) du présent jugement pour les arrérages de frais de la résidence familiale et les frais particuliers (10 000,00 $ + 1 047,00 $)
- à compter de la date du présent jugement pour la provision pour frais (100 000,00 $).
[207] Madame aura finalement droit à une ordonnance enjoignant à monsieur B de lui transférer sa part indivise dans la résidence familiale dans les 30 jours de la date du présent jugement pour la somme de 335 000,00$ en assumant tous les frais de cession et transfert, y compris les droits de mutation immobilière ainsi que toutes les charges hypothécaires, de taxes foncières et scolaires afférentes à l’immeuble, jusqu’à la date du transfert, de manière à ce que Madame soit seule et unique propriétaire de la résidence familiale, avec titre clair, franc et quitte de toutes charges de quelque nature que ce soit.
[208] Quant à l’avance de 60 000,00 $ déjà reçue par Madame au titre de la provision pour frais mais grevant la résidence familiale, elle devra être considérée comme un acompte sur la provision de 100 000,00 $ accordée par le Tribunal.
POUR L’ENSEMBLE DE CES MOTIFS, le Tribunal
[209] ACCUEILLE la requête introductive d’instance de la Demanderesse A ainsi qu’il suit :
Garde, accès, ajustements de pension alimentaire et charges relatives à la résidence familiale
[210] (A) DONNE ACTE aux parties de leurs ententes ainsi qu’il suit :
a) CONFIRME la garde exclusive des enfants au Défendeur B;
b) CONFIRME les droits d’accès de la Demanderesse A ainsi qu’il suit :
i) À l’égard de X : une fin de semaine sur deux à compter du vendredi 18h00 au lundi matin 08h00 ainsi que tous les mercredis, de 18h00 jusqu’au jeudi matin 08h00 pour une nuitée;
ii) À l’égard de Y selon le bon vouloir de ce dernier.
iii)
CONFIRME l’engagement du Défendeur B de verser à la Demanderesse
la somme de 11 047,00 $ (10 000,00 $ + 1 047,00 $) qu’il s’est
engagé à rembourser à Madame en date du 25 janvier 2018, ORDONNE à
monsieur B de se conformer à cet engagement, lequel porte intérêt au taux légal
majoré de l’indemnité additionnelle de l’article
[211] (B) ORDONNE aux parties de respecter les modalités additionnelles suivantes :
a) Les divers congés en cours d’année seront séparés sur accord entre les parties et avec le consentement des enfants ;
b) Le parent gardien devra tenir l’autre parent de tout évènement spécifique concernant l’un ou l’autre des enfants en matière de santé, de fréquentation scolaire et de résultats académiques, lorsqu’un tel évènement survient alors que l’un ou l’autre des enfants est sous sa garde ;
c) Un parent devra, en toutes circonstances, s’abstenir de critiquer ou de dénigrer l’autre auprès des enfants ;
d) L’exercice de l’autorité parentale des deux parents à l’égard des enfants sera maintenu jusqu’à leur majorité.
C) RÉSERVE à Madame tous ses droits de s’adresser à la Cour afin de :
a) faire compléter ou préciser ses droits de garde et d’accès ou encore de faire modifier ou compléter les modalités d’exercice desdits droits ; et
b) réclamer une pension alimentaire de Monsieur, pour le bénéfice des enfants, le cas échéant.
Enrichissement injustifié
[212] ORDONNE au Défendeur B de payer à la Demanderesse A la somme de 2 393 836,51 $ ainsi qu’il suit :
a) par le transfert libre, franc et quitte de toutes charges hypothécaires, taxes et autres frais (y compris toutes charges hypothécaires résultant de l’avance de 60 000,00 $ autorisée par jugement de l’honorable Eva Petras en date du 14 septembre 2017 au titre de la provision pour frais) de la moitié indivise qu’il détient à titre de copropriétaire dans la résidence familiale située au [adresse 2] à Ville A dans les 30 jours de la date du présent jugement, ce transfert ayant une valeur de 335 000,00 $ à être prise en moins prenant sur la somme précédente de 2 393 836,51 $, laissant un solde net de 2 058 836,51 $ ; et
b)
par le paiement de ladite somme de
2 058 836,51 $ avec intérêt majoré de l’indemnité additionnelle de
l’article
Provision pour frais
[213] ORDONNE au Défendeur B de payer à la Demanderesse A la somme de 100 000,00 $ à titre de provision pour frais, ce paiement devant tenir compte de toute somme décaissé par le Défendeur lors du transfert franc et quitte de la moitié indivise de la résidence familiale, tel que stipulé ci-haut et avec intérêt et l’indemnité additionnelle sur ladite somme de 100 000,00 $ depuis la date du présent jugement.
[214] LE TOUT avec frais de justice contre le Défendeur B.
|
||
|
__________________________________ ROBERT MONGEON, J.C.S. |
|
|
||
|
||
|
||
Me Diana Soukriddy |
||
Pringle Avocats |
||
Procureure de la Demanderesse |
||
|
||
Me Luc Arnault |
||
Me Caroline Bourbonnais |
||
Arnault, Thibault, Cléroux |
||
Procureurs du Défendeur |
||
|
||
|
||
Dates d’audience : |
Les 25, 26, 29 et 30 janvier 2018 |
|
[1] [1990] 2 RCS 1259.
[2] 1992, 1 RCS 19.
[3]
[4] Ainsi Madame fournit environ 16,6% de la mise de fonds et contribuera à l’hypothèque au prorata de son salaire.
[5] Voir pièce D-18. Cette pièce, confectionnée par Monsieur, est incomplète et peu fiable quant aux revenus de ce dernier.
[6] Entre 1997 et 2000, Monsieur a travaillé pour [Compagnie F], [Compagnie G], [Compagnie H] et [Compagnie I].
[7] Le Tribunal n’est pas prêt à conclure que Monsieur n’a eu aucun revenu pendant cette période. La preuve est à l’effet que Monsieur ne se souvient pas de sa rémunération et n’a aucun document à fournir pouvant démontrer leur niveau. Le Tribunal trouve, cependant, surprenant que Monsieur ne puisse indiquer même approximativement son revenu pour ces années.
[8] Notes de procès du soussigné.
[9] Voir P-8 et P-9.
[10] Notes du soussigné du 26 janvier 2018.
[11] Idem.
[12] Idem.
[13] Idem.
[14] Idem.
[15] Témoignage de monsieur B, notes du soussigné.
[16] Part de Monsieur : ± 15 millions $ brut.
[17] Détail important, les revenus déclarés de Monsieur pour 2011, 2012 et 2013 ne semblent pas tenir compte d’une telle dépense nette après impôts, une autre indication de la non-fiabilité des renseignements financiers fournis par Monsieur.
[18]
[19] [1993] 2 R.C.S. 980.
[20]
[21] Voir procès-verbal 25 janvier 2018.
[22] Voir procès-verbal du 26 janvier 2018;
[23] Voir procès-verbal du 25 janvier 2018.
[24] Dans son témoignage, Monsieur dira que ces expressions sont utilisées par Madame seulement depuis qu’elle a consulté des avocats, qui lui auraient alors suggéré de qualifier ainsi la relation de couple seulement pour tenter d’influencer le Tribunal et de « coller » à la jurisprudence…
[25] Sur ce point, Monsieur ajoutera, cependant, qu’il se demande pourquoi il aurait donné de telles sommes à Madame pour ensuite appendre que celle-ci le poursuivait en justice. Le Tribunal lui a alors demandé s’il entendait plaider transaction suite à ces paiements. Monsieur B a répondu que non.
[26] P-8, page 4 (page 34) du livre « A ».
[27] Kerr, para. 4.
[28] Kerr, para. 5.
[29] Voir paragraphes 12 à 29.
[30] Kerr, paragraphes 36 et 40.
[31] Kerr, paragraphe 42.
[32]
[33]
[34]
[35]
[36]
[37]
Droit de la famille 132495,
[38]
Lefebvre c. Therrien,
[39]
[40]
[41] Paragraphe 2 dudit jugement.
[42]
[43]
[44] 2011 1 R.C.S. 269.
[45] Note du Tribunal : les chiffres cités en (a), (b), (c) et (d) du paragraphe 71 totalisent 656 163,49 $.
[46] A l’audience, madame A a produit un tableau faisant état d’un calcul différent de ce que le Tribunal retient basé sur l’augmentation de l’avoir net de Monsieur de 2004 à 2012 ainsi qu’un calcul des déductions à effectuer basé sur l’avoir net de madame A en 2012 et de la moitié de la valeur du condominium en date du procès (50% de 700 000,00 $ = 350 000,00 $). Selon ce tableau, la réclamation de Madame est de 2 708 928,43 $ avant réduction de la valeur du fonds de pension de Madame. Le résultat de ce calcul est donc retenu par le Tribunal, étant entendu qu’il ne doit pas accorder plus que ce qui est demandé. N’eût été des calculs de la Demanderesse, le Tribunal aurait été enclin à calculer l’indemnité de Madame en soustrayant 656 163,49 $ (voir note infrapaginale précédente) de l’indemnité brute de 3,4 millions $, ce qui aurait donné 2 743 836,51 $, un écart de 34 908,08 $. Une partie de cet écart résulte dans l’utilisation de la valeur de la résidence familiale à 700 000,00 $ plutôt qu’à 670 000,00 $, ce qui aurait réduit l’écart de 15 000,00 $ pour le fixer à 19 968,08 $. Le soussigné est d’avis que cet écart de 19 968,08 $ qui ne représente qu’environ 7,25% de l’indemnité nette retenue n’est pas suffisamment significatif pour que l’on s’en préoccupe. Ainsi, vu la quasi-similitude entre le calcul du Tribunal et celui de la Demanderesse, c’est ce dernier chiffre qui doit prévaloir.
[47] Dans ses notes et autorités, Monsieur prétend que la valeur des actifs de Madame en 2012 ne devrait être que de 589 709,68 $ alors que Madame reconnaît une valeur nette totale de 656 162,86 $. Le Tribunal choisit de retenir les chiffres nets calculés par Madame.
[48]
[49]
Voir paragraphes [7], [9], [10], [11 ] et [12]
[50]
[51]
[52] Cette évaluation, basée sur des ventes effectuées en 2015 apparaît conforme à la valeur de la résidence familiale en date de l’institution des procédures. Plus encore, les parties ont utilisé cette valeur pour établir la valeur nette de Madame en 2012. Il n’y a donc pas lieu d’intervenir autrement qu’en considérant la valeur de 670 000,00 $ comme étant applicable en 2012, 2015 et jusqu’en 2016.
[53] Voir P-191.
[54]
P.L. c. Pa.D.,
[55] Voir procès-verbal du 14 septembre 2017.
[56] Juste avant de signer le présent jugement, le Tribunal a requis et obtenu des parties de préciser les modalités de garde et d’accès sur lesquelles elles s’entendaient. Les lettres des parties du 14 septembre 2018 sont versées au dossier.
[57] Voir cahier de procédures utiles des parties daté du 9 janvier 2018.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.