Popescu et Emploi et Développement social Canada |
2020 QCTAT 2637 |
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APERÇU
[1] Madame Andreea Popescu (la travailleuse) occupe un poste d’agente de service aux traitements pour Emploi et Développement social Canada (l’employeur) lorsqu’elle dépose une réclamation visant la survenance d’une lésion professionnelle.
[2] Par une décision rendue le 12 avril 2017, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) refuse sa réclamation et lui réclame la somme de 950 $ que l’employeur lui a versée pour la période du 29 décembre 2016 au 11 janvier 2017. Le 18 avril 2017, la travailleuse en demande la révision. Le 21 avril 2017, la Commission rend une décision ayant pour objet « sommes versées en trop », par laquelle elle avise la travailleuse que la décision de recouvrer ou non la somme de 950 $ revient à l’employeur. La révision de cette décision du 21 avril 2017 n’est pas demandée.
[3] Puis, par une décision rendue le 25 juillet 2017 à la suite d’une révision administrative, la Commission confirme en partie celle qu’elle a rendue initialement le 12 avril 2017, déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle, déclare qu’elle n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi), déclare sans effet la partie de la décision du 12 avril 2017 portant sur le montant de 950 $ qui lui est réclamé, et déclare sans objet sa demande de révision de cette partie de la décision.
[4] Le 28 juillet 2017, conformément à l’article 11 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[2] (la LITAT), la travailleuse dépose au Tribunal administratif du travail (le Tribunal) un acte introductif par lequel elle conteste cette décision rendue par la Commission le 25 juillet 2017 à la suite d’une révision administrative.
[5] Ensuite, le 2 mars 2018, la travailleuse dépose au Tribunal un complément à cet acte introductif. Elle y joint des pièces ainsi qu’un avis d’inconstitutionnalité transmis à la Procureure générale du Québec.
[6] Par ce complément, la travailleuse demande d’abord au Tribunal d’accueillir sa contestation, d’infirmer la décision rendue par la Commission le 25 juillet 2017 à la suite d’une révision administrative, de déclarer qu’elle a subi une lésion professionnelle, et de déclarer qu’elle a droit aux prestations prévues par la Loi.
[7] Toujours par ce complément, la travailleuse demande également au Tribunal de déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions de la Loi, et d’inclure dans sa décision des conclusions portant sur les pratiques et les agissements de la Commission, qu’elle considère comme illégaux ou répréhensibles.
[8]
Le 30 avril 2018, en vertu du paragraphe 1 du second alinéa de
l’article
[9] Le 1er mai 2018, la travailleuse ajoute une conclusion recherchée à son acte introductif, soit d’ordonner à la Commission de lui verser la somme de 1 000 $ à titre de dommages moraux, et ce, en vertu de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne[3].
[10]
Le 2 mai 2018, par l’entremise de son représentant et en vertu du
paragraphe 1 du second alinéa de l’article
[11] Une première journée d’audience portant sur les requêtes de la Procureure générale du Québec et de la Commission est tenue le 4 mai 2018. Au cours de celle-ci, la travailleuse demande notamment au Tribunal de déclarer inopérants les articles 358 à 358.5 de la Loi, et de se saisir du fond de sa contestation. Par la suite, avec l’accord des parties, il est convenu de procéder à une audience sur le fond de la contestation de la travailleuse, de sorte que le Tribunal puisse rendre une décision sur l’ensemble des questions qui lui sont soumises.
[12] Cette audience, qui devait d’abord procéder du 17 au 20 décembre 2018, fut reportée à la demande de la travailleuse. Elle est finalement tenue les 9, 10, 16 décembre 2019, et 21 février 2020. Au terme de celle-ci, les parties conviennent de transmettre au Tribunal des répliques et des compléments d’argumentation écrits. Les derniers documents lui sont transmis le 18 mai 2020 et l’affaire est mise en délibéré à cette date.
[13] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal accueille les requêtes de la Procureure générale du Québec et de la Commission, refuse d’émettre l’ordonnance demandée par la travailleuse, accueille sa contestation, déclare qu’elle a subi une lésion professionnelle, et déclare qu’elle a droit aux prestations prévues par la Loi.
ANALYSE
[14] Le Tribunal est appelé à répondre aux questions suivantes :
1- Les requêtes de la Procureure générale du Québec et de la Commission doivent-elles être accueillies?
2- Le Tribunal peut-il ordonner à la Commission de verser à la travailleuse des dommages moraux?
3- La travailleuse a-t-elle subi une lésion professionnelle?
1- Les requêtes de la Procureure générale du Québec et de la Commission
[15]
L’article
[16] Selon la jurisprudence, le Tribunal rejettera sommairement un recours en présence des éléments suivants : 1) il n’a aucune chance de succès à sa face même, soit sans faire une analyse approfondie de la preuve; 2) son caractère futile et dilatoire saute aux yeux; 3) l’appel n’est pas susceptible d’un débat raisonnable et 4) l’appel est fait sans droit apparent et ne vise qu’à retarder le processus administratif ou judiciaire. Dans ce cas, l’obligation de célérité du Tribunal sera considérée[4].
[17] Par son complément d’acte introductif, la travailleuse demande au Tribunal de déclarer inconstitutionnels les articles 358 à 358.5 de la Loi et de prendre note de son engagement à demander à la Cour supérieure du Québec une déclaration d’invalidité de ces articles pour l’avenir.
[18] Ces articles portent sur le processus de révision interne par la Commission de ses propres décisions rendues initialement. Ils prévoient, notamment, qu’une personne qui se croit lésée par une telle décision peut en demander par écrit la révision dans les 30 jours de sa notification[5], que ce délai peut être prolongé pour un motif raisonnable[6], que la Commission décide sur dossier après avoir donné aux parties l’occasion de présenter leurs observations[7], que la révision est effectuée par le président du conseil d’administration et chef de la direction de la Commission ou par toute personne désignée par celui-ci[8], et que sa décision en révision, écrite et motivée, doit être notifiée aux parties avec la mention de leur droit de la contester devant le Tribunal ainsi que du délai pour ce faire[9].
[19] La travailleuse demande au Tribunal de déclarer ces articles invalides en vertu de l’article 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982[10]. Elle estime qu’ils ne respectent pas son droit et le droit des travailleurs québécois à la sécurité garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[11], et ce, parce qu’ils ont pour effet de retarder indûment son droit et le droit des travailleurs québécois de contester une décision de la Commission directement au Tribunal.
[20] Elle soutient que le Tribunal doit se prononcer sur cette question, mais que sa décision à cet égard n’aura pas d’impact sur celle qu’il rendra sur l’admissibilité de sa réclamation, en ce qu’il s’agit de deux questions distinctes. Elle ajoute que les tribunaux supérieurs ont besoin de l’expertise du Tribunal pour un éventuel débat à être tenu devant eux. Elle ne demande pas de réparation pour elle-même, mais recherche l’invalidité des articles 358 à 358.5 pour l’avenir.
[21] Le Tribunal doit rejeter sommairement les deux conclusions recherchées par la travailleuse concernant la constitutionnalité des articles 358 à 358.5 de la Loi pour les motifs suivants.
[22]
Selon l’article
[23] Ainsi, pour contester une décision devant le Tribunal, une personne doit être lésée par celle-ci. Selon la jurisprudence, cette personne doit subir un préjudice qui est effectif, toujours actuel, et auquel le Tribunal pourra remédier de façon pratique par la décision qu’il rendra[12].
[24] Ici, le préjudice allégué par la travailleuse, soit le délai occasionné par le processus de révision interne de la Commission, n’est plus effectif ni actuel depuis que cette dernière a rendu la décision du 25 juillet 2017 à la suite d’une révision administrative, qui est à l’origine du présent litige. En effet, ce processus n’est plus susceptible de retarder l’audience portant sur l’objet de cette décision, et la travailleuse ne peut prétendre qu’elle est toujours lésée par celui-ci.
[25]
Par conséquent, s’il se prononçait sur la validité
du processus de révision interne de la Commission, le Tribunal rendrait une
décision théorique et déclaratoire. Or, il ne peut rendre une décision qui
dépasse l’essence du litige dont il est saisi, et ne dispose pas des pouvoirs
inhérents dévolus aux tribunaux supérieurs[13]. Sa compétence
ne découle que de l’article
[26]
La travailleuse soumet que le Tribunal peut et doit
se prononcer sur la validité constitutionnelle des 358 à 358.5 de la Loi, et
ce, conformément aux enseignements de la Cour suprême du Canada. À cet égard,
les enseignements de la Cour suprême du Canada se résument ainsi : Le
Tribunal a le pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité d’une
disposition législative, mais uniquement lorsqu’il est chargé d’examiner ou de
trancher des questions de droit qui découlent de celle-ci. Il ne peut agir
ainsi que dans le cadre d’une contestation déposée en vertu de l’article
[27]
Ainsi, le Tribunal tire sa compétence de l’article
[28] Or, bien que les articles 358 à 358.5 de la Loi fassent état d’étapes procédurales à la mise en œuvre des pouvoirs du Tribunal dans l’exercice de sa compétence, pour déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle, le Tribunal n’a pas à les examiner ou à trancher de questions de droit qui en découlent. Encore ici, s’il se prononçait sur la validité constitutionnelle de ces articles, il rendrait une décision déclaratoire, dont la portée dépasserait l’essence du litige dont il est saisi[15]. La travailleuse le reconnaît d’ailleurs à l’audience, ainsi que par la conclusion, indiquée dans son complément d’acte introductif, de prendre note de son engagement à demander à la Cour supérieure du Québec une déclaration formelle d’invalidité générale de ces articles pour l’avenir.
[29] Dans ce contexte, considérant ce qui précède, le Tribunal accueille la requête de la Procureure générale du Québec et rejette sommairement les conclusions recherchées par la travailleuse portant sur la constitutionnalité des articles 358 à 358.5 de la Loi, ainsi que sur son engagement à demander à la Cour supérieure du Québec une déclaration formelle d’invalidité générale de ces articles pour l’avenir. En effet, par ces conclusions recherchées, la travailleuse exerce un recours qui répond aux critères élaborés par la jurisprudence en matière de rejet sommaire, mentionnés précédemment.
[30] Par son acte introductif amendé, la travailleuse demande également au Tribunal de déclarer que la Commission a fait preuve d’arbitraire et a manqué à son devoir d’équité envers elle dans le traitement de sa réclamation, de déclarer que la Commission l’empêche indûment, et empêche indûment de nombreux administrés d’avoir accès à de l’information juridique importante en lien avec leurs réclamations de lésions professionnelles, de déclarer illégale la pratique administrative de la Commission de sous-déléguer son pouvoir décisionnel aux médecins-conseils à son emploi quant à la question de la causalité, et de déclarer que dans l’appréciation du lien causal du diagnostic de hernie discale à titre de maladie professionnelle, la Commission a l’obligation légale de tenir compte de l’ensemble de la preuve soumise par les parties, soit la preuve factuelle, scientifique, ainsi que les présomptions, et qu’elle agit illégalement lorsqu’elle tranche cette question uniquement sous le critère des mouvements répétitifs sans pause ou micro-pause de récupération.
[31] Le Tribunal rejette sommairement ces conclusions pour les motifs suivants.
[32]
D’abord, l’article
[33] Ainsi, la travailleuse peut soumettre au Tribunal tous les éléments de fait et de droit qu’elle estime appropriés pour qu’il puisse remédier aux irrégularités et aux erreurs commises par la Commission dans le traitement de son dossier, et ce, dans la mesure où ces éléments sont pertinents au litige dont il est saisi. Par exemple, elle peut lui soumettre en quoi l’opinion du médecin-conseil de la Commission ne devrait pas être retenue, et quels critères jurisprudentiels sont pertinents à l’analyse de la survenance chez elle d’une lésion professionnelle.
[34]
Par ailleurs, la travailleuse ne précise pas en
vertu de quel principe juridique ou disposition législative les pratiques ou
agissements de la Commission sont illégaux. De plus, les conclusions qu’elle
recherche ont une portée déclaratoire et ne sont pas susceptibles d’influencer
la décision que le Tribunal rendra sur l’objet du litige. Or, comme mentionné
précédemment, le Tribunal ne peut rendre une décision déclaratoire et ne
dispose pas des pouvoirs inhérents dévolus aux tribunaux supérieurs[18].
Il tire sa compétence de l’article
[35] En ce qui concerne plus particulièrement la conclusion recherchée par la travailleuse portant sur son droit d’accès à des informations reliées à sa réclamation, il s’agit d’une question qui relève de la juridiction exclusive de la Commission d’accès à l’information[19], et ce, bien que le Tribunal dispose d’un pouvoir d’enquête[20]. Tel est également le cas en ce qui concerne la conclusion qu’elle recherche portant sur l’accès, par l’ensemble des travailleurs québécois, à de telles informations concernant leurs réclamations. De plus, la portée de cette conclusion est de nature déclaratoire et, comme mentionné précédemment, le Tribunal ne dispose pas du pouvoir de rendre une telle décision.
[36] Dans ce contexte, considérant ce qui précède, le Tribunal accueille la requête de la Commission et rejette sommairement les conclusions recherchées par la travailleuse portant sur ses pratiques ou agissements.
2- Le versement de dommages moraux
[37] La travailleuse invoque un remède pour compenser le préjudice moral que lui aurait fait subir la Commission, soit qu’elle lui verse une somme de 1 000 $ à titre de dommages moraux, et ce, en vertu de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne[21]. Elle demande au Tribunal d’émettre une ordonnance à cet égard.
[38]
Or, comme mentionné précédemment, dans le présent dossier, le Tribunal
tire sa compétence de l’article
[39] Pour exercer sa compétence et résoudre le litige dont il est saisi, le Tribunal appliquera les articles de la Loi portant sur la notion de lésion professionnelle. S’il conclut que la travailleuse a subi une telle lésion, par voie de conséquence, elle aura droit aux prestations prévues par la Loi.
[40] Cependant, les articles qu’il est chargé d’appliquer ne prévoient pas l’octroi de dommages punitifs ou moraux. Par ailleurs, la Loi prévoit que les droits qu’elle confère le sont sans égard à la responsabilité de quiconque[23]. En conséquence, non seulement le Tribunal n’est pas appelé à se prononcer sur le caractère approprié des pratiques ou agissements de la Commission pour exercer sa compétence dans le présent dossier, mais il ne peut ordonner à cette dernière de verser à la travailleuse une somme à titre de dommages moraux. La demande de la travailleuse à cet égard est en conséquence rejetée.
3- La survenance d’une lésion professionnelle
[41] Le Tribunal doit maintenant déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle. À cet égard, elle soumet que son mobilier, ainsi que la difficulté intellectuelle et le caractère stressant de son travail chez l’employeur ont aggravé ou rendu symptomatique sa condition personnelle préexistante se situant au niveau cervical.
[42] Pour répondre à cette question, le Tribunal estime opportun de présenter d’abord la preuve factuelle et médicale pertinente.
[43] En 2002, la travailleuse entreprend des études universitaires en droit tout en travaillant dans une pharmacie. En 2007, elle ouvre sa pratique, qu’elle décide de fermer en 2012. Entre 2002 et 2012, à la fin d’une journée d’étude ou de travail, elle ressent parfois un malaise au cou, à la tête et aux yeux. Ceci ne la préoccupe pas, elle se sent bien le lendemain, et ne consulte pas de médecin pour cette raison. En 2010, on lui prescrit un anti-inflammatoire et un analgésique narcotique, mais en raison d’une douleur au niveau de l’abdomen, et non pour la tête ou le cou.
[44] En septembre 2012, elle est embauchée par l’employeur comme agente de service aux paiements à l’assurance-emploi. Dans le cadre de ce travail, elle doit répondre aux questions qu’on lui pose au téléphone. En décembre 2012, après avoir suivi une formation donnée par l’employeur, elle exerce ses fonctions à temps plein, et fait parfois des heures supplémentaires.
[45] Le 7 février 2013, elle cesse de travailler et devient aide-soignante pour son père atteint d’un cancer. Le mois suivant, elle ressent des maux de tête et fait de l’insomnie.
[46] Le 7 mai 2013, une radiographie est effectuée à titre préventif suivant un petit accrochage avec sa voiture. Lue par le docteur Yeghiayan, radiologiste, elle révèle la présence d’une discarthrose dégénérative à C5-C6 avec pincement discal, et une très légère courbe scoliotique du tiers moyen de la colonne dorsale à convexité droite.
[47] Suivant le décès de son père, la travailleuse développe des symptômes psychologiques et son arrêt de travail se poursuit. Elle revient au travail en septembre 2013, à raison de deux à quatre jours par semaine. Du 2 au 12 janvier 2014, elle cesse de travailler pour une sinusite. En mars 2014, elle cesse de travailler pour des complications liées à sa grossesse. En mai 2015, après son congé de maternité, elle revient au travail à raison de deux à quatre jours par semaine. Le 23 février 2016, suivant la recommandation du docteur Kanevsky, son nouveau médecin, elle cesse de travailler pour une dépression secondaire à de l’insomnie et à de l’anxiété.
[48] Dans l’intervalle, soit le 4 juillet 2016, l’employeur procède au déménagement de ses bureaux. La travailleuse est de retour au travail le 24 octobre 2016. Le mobilier et l’équipement de son poste de travail sont neufs. Ils comprennent notamment deux écrans, une table principale ajustable électriquement, une table latérale ajustable manuellement, et une nouvelle chaise ergonomique ajustable.
[49] Avant son arrivée, madame Bazinet, qui est alors sa chef d’équipe et qui témoigne à l’audience à la demande de l’employeur, avait demandé qu’une évaluation ergonomique sommaire de son poste de travail soit effectuée. Cette demande fut transmise à monsieur Bellerose et madame Bazinet n’en a pas connu la suite.
[50] Monsieur Bellerose, qui témoigne à l’audience à la demande de la travailleuse, affirme avoir reçu une formation en ergonomie en vue du déménagement des bureaux de l’employeur. Il devait procéder à l’évaluation ergonomique sommaire des nouveaux postes de travail de ceux qui en faisaient la demande. Il a dit à madame Bazinet avoir procédé à celle du poste de travail de la travailleuse, mais ne se souvient pas de l’avoir effectuée. Il ajoute que s’il l’avait effectuée, il aurait transmis des trucs et astuces à la travailleuse sur la façon d’utiliser son nouveau mobilier et sa nouvelle chaise, mais n’aurait pas effectué une véritable évaluation ergonomique, qui comprend notamment une prise de mesures.
[51] De son côté, la travailleuse affirme avoir parlé à monsieur Bellerose à trois reprises, mais sur d’autres sujets que son poste de travail ou sa condition physique.
[52] Selon madame Bazinet, tous les employés suivent une formation en ergonomie à l’embauche et peuvent en consulter une en ligne pendant leurs périodes de lecture. Elle a remis un document sur la façon d’ajuster les postes de travail à de nouveaux employés, mais ne se souvient pas l’avoir remis à la travailleuse. Pour sa part, la travailleuse affirme avoir reçu une formation en ergonomie lors de son embauche en 2012 et avoir regardé une petite formation en ergonomie de son propre chef après son retour au travail du 24 octobre 2016.
[53] Elle ajoute que son travail a des exigences intellectuelles et de rendement, en ce qu’elle doit connaître une législation qu’elle considère comme étant complexe, bien qu’elle puisse consulter un conseiller au besoin. Elle est crispée et concentrée pour donner de bonnes réponses, et doit respecter un horaire déjà déterminé lorsqu’elle fait des appels, soit «l’adhérence », duquel est retranché le temps pendant lequel elle n’effectue pas d’appels. Même si le respect de 80 % à 90 % de cet horaire est considéré dans la normale et que l’employeur est plus clément avec les employés qui reviennent d’un congé, l’adhérence est une source de stress. Ses évaluations de rendements sont importantes pour elle, et elle peut être écoutée à son insu.
[54] À ce sujet, madame Bazinet affirme que la travailleuse peut toujours consulter un conseiller au besoin et que l’écoute des employés à leur insu n’est pas une pratique régulière. Elle ajoute qu’à son retour d’octobre 2016, la travailleuse est en période de réintégration d’une durée qui a été déterminée avec elle. Au cours de cette période, elle lit des mises à jour à l’écran. Au terme de cette période, elle est jumelée à une collègue pendant quelques heures. Puis, à compter du 1er novembre 2016, elle prend des appels. Au cours d’une journée de travail, elle bénéficie de pauses de 15 minutes en matinée et en après-midi, ainsi que d’une pause repas de 30 ou 45 minutes.
[55] Selon l’horaire de la travailleuse, déposé en preuve par l’employeur, elle fait de la lecture les 24, 25, 26, 27 et 28 octobre 2016, le 31 octobre 2016, et pendant l’avant-midi du 1er novembre 2016. Puis, à compter du 2 novembre 2016, elle prend des appels à son poste de travail, ainsi que les 3, 4 et 7 novembre 2016. À l’audience, elle affirme qu’au cours de cette période, elle constate que ses deux écrans sont trop bas, et utilise des paquets de feuilles pour les remonter. Puis, à un moment, madame Bazinet remarque la présence de ces paquets de feuilles et demande à un employé de lui fournir des rehausseurs d’écran.
[56] Les 8, 9 et 10 novembre 2016, la travailleuse suit une formation à l’extérieur. Elle retourne à son poste de travail le 14 novembre 2016. Le 15 novembre 2016, elle s’installe à un autre poste de travail qu’elle préfère, et qui est muni d’un mobilier et d’une chaise similaires à ceux qu’elle utilise depuis son retour au travail du 24 octobre 2016.
[57] Le 16 novembre 2016, un employé l’aide à installer des rehausseurs d’écran. Elle prend des appels ce jour-là, au cours de la matinée du 17 novembre 2016, les 18, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 29, 30 novembre 2016, au cours de la matinée du 1er décembre 2016, et le 2 décembre 2016.
[58] Elle affirme qu’à compter de son retour au travail du 24 octobre 2016, elle ressent des symptômes qui ne se manifestent qu’au travail et qui deviennent plus importants vers la mi-novembre 2016, soit une sensation de poids au niveau de la nuque irradiant surtout à droite, ainsi que de la fatigue. Puis, elle ressent au travail des céphalées et a l’impression que le plancher tombe sous ses pieds. Inquiète d’être atteinte d’un cancer du cerveau, elle prend rendez-vous avec le docteur Kanevsky.
[59] Le 28 novembre 2016, la travailleuse informe madame Bazinet qu’un mois après sa réintégration, elle est en mesure de résoudre une bonne partie des problématiques liées aux exigences intellectuelles de son travail.
[60] Le 6 décembre 2016, par courriel, la travailleuse informe madame Bazinet qu’elle a parfois des migraines et des étourdissements et qu’elle rencontrera son médecin à cet égard. Ce jour-là, elle consulte le docteur Kanevsky. Selon son témoignage, il lui dit qu’elle n’est probablement pas atteinte d’un cancer du cerveau, qu’il remarque des spasmes musculaires au niveau cervical, et qu’il pense qu’elle a plutôt un problème à ce niveau, pour lequel il lui suggère des traitements de physiothérapie. À sa note de consultation, il indique que l’examen musculo-squelettique, de la tête et du cou sont sans particularité, qu’il demande une imagerie par résonance magnétique (IRM) de la tête et du cou en raison de céphalées atypiques, et qu’il prescrit des traitements de physiothérapie pour des spasmes musculaires et de l’anxiété.
[61] Après un arrêt de travail, la travailleuse est de retour à son poste et prend des appels les 19, 20, 21 et 28 décembre 2016. Son cou commence alors à chauffer, et elle ressent trois points de douleur au cou. Au cours de deux journées, sa pause-repas aurait été plus longue, notamment en raison d’un repas de fête.
[62] Le 28 décembre 2016, elle reçoit directement les résultats d’une l’IRM qui avait été effectuée le 12 décembre 2016 en clinique privée. Lu par la docteure Guérin, radiologiste, cet examen révèle notamment la présence d’une hernie postéro-centrale paramédiane gauche à C4-C5, d’une hernie postéro-centrale surtout à droite pouvant irriter ou comprimer la racine C6 droite à C5-C6, et d’une hernie postéro-centrale et postéro-latérale droite avec sténose foraminale droite pouvant irriter la racine C7 droite à C6-C7. Par ailleurs, rien n’est constaté au niveau cérébral. La travailleuse affirme qu’elle comprend alors que sa douleur cervicale est de nature professionnelle.
[63] Le 31 décembre 2016, elle dépose une réclamation à la Commission visant la reconnaissance d’une lésion professionnelle du 24 octobre 2016, et le 4 janvier 2017, parce que le docteur Kanevsky n’est pas disponible, elle consulte le docteur Normandin de la même clinique. Ce dernier rédige une attestation médicale initiale, sur laquelle il pose le diagnostic d’entorse cervicale et de céphalée chronique reliées à sa position au travail, et de hernies C4-C5, C5-C6 et C6-C7 probablement préexistantes et aggravées par cette position. Le siège de la lésion est la région cervicale. Il prescrit un anti-inflammatoire, un relaxant musculaire et de la physiothérapie, et suggère l’arrêt de travail ainsi qu’une chaise ergonomique au travail.
[64] Le 5 janvier 2017, la travailleuse transmet à madame Bazinet le rapport du docteur Normandin et l’informe qu’il lui recommande une chaise munie d’un support cervical. Elle lui transmet également une photographie de la chaise de son conjoint, munie d’un tel support et achetée en magasin, qu’elle utilisait de temps en temps chez elle. Madame Bazinet lui répond qu’une évaluation par un ergonome doit préalablement être effectuée avant que l’employeur puisse en commander une.
[65] Le 19 janvier 2017, on indique en physiothérapie que les symptômes cervicaux et périscapulaires de la travailleuse sont diminués de façon significative depuis le début de la prise en charge du 6 janvier précédent. La travailleuse affirme à cet égard qu’en janvier 2017, elle a commencé à ressentir des engourdissements dans ses doigts, qui se sont résorbés rapidement avec la physiothérapie. Elle a également ressenti des chocs au bras droit, qu’elle ne ressent presque plus.
[66] Toujours en date du 19 janvier 2017, à sa demande, elle rencontre le docteur Maurais, chirurgien orthopédiste, pour qu’il rédige une expertise médicale. Elle lui avait écrit préalablement que le dossier de sa chaise allait jusqu’au niveau de ses omoplates. À l’audience, elle explique que n’étant plus au travail, elle avait alors l’impression que c’était le cas, mais qu’elle a réalisé qu’il était en réalité plus haut que ses omoplates. À l’historique, le docteur Maurais rapporte l’apparition d’un inconfort en paracervical droit avec irradiation au membre supérieur droit lors de la reprise du travail du 24 octobre 2016. À l’examen subjectif, les symptômes se sont améliorés avec l’anti-inflammatoire et la physiothérapie. À l’examen objectif, la palpation des masses paracervicales de C4 à C7 du côté droit et de la partie haute du trapèze droit est douloureuse, la flexion est limitée à 30° avec une perte de 10° en fin d’excursion, et les mouvements de flexion latérale sont limités à 30° avec une perte de 10° en fin d’excursion. Il n’y a pas de spasme musculaire et l’examen neurologique est normal.
[67] Le docteur Maurais conclut que la travailleuse a une entorse cervicale reliée à des postures prolongées sur un poste de travail possiblement non ergonomique, que son travail a pu rendre symptomatique sa condition cervicale préexistante, que l’anti-inflammatoire et la physiothérapie sont indiqués pour quatre à six semaines, qu’une évaluation en ergonomie de son poste de travail serait indiquée, et que son travail actuel ne présente aucun danger pour sa santé. À cet égard, la travailleuse précise que le docteur Maurais n’avait pas alors en mains l’évaluation ergonomique du 5 juin 2017.
[68] Sur un rapport médical du 26 janvier 2017, le docteur Kanevsky pose les diagnostics de discopathie cervicale sévère avec douleur neuropathique causée par une compression de C5 à C7, et de hernies discales et sténose foraminale à C7 exacerbées par l’ergonomie du travail. Le siège de la lésion est la région cervicale et les membres supérieurs, sauf les épaules. Il dirige la travailleuse en neurochirurgie, demande un électromyogramme (EMG) et une évaluation ergonomique avant le retour au travail.
[69] Sur un rapport médical du 9 février 2017, le docteur Kanevsky pose les diagnostics de discopathie cervicale sévère avec hernies discales et entorse cervicale sévère, compression des racines nerveuses de C5 à C7 et sténose foraminale à C7, aggravés par l’ergonomie du travail. Le siège de la lésion est la région cervicale et les membres supérieurs, sauf les épaules.
[70] Le 16 février 2017, la docteure Haziza, physiatre, rapporte une douleur débutant à la région cervico-scapulaire droite irradiant de façon diffuse au bras droit, et des chocs électriques pouvant descendre au bras. Les examens physiques et électrodiagnostics n’ont pas mis en évidence de radiculopathie motrice. L’EMG ne révèle pas de signe dénervatif aigu ni chronique. La travailleuse a des signes de dysfonction segmentaire cervicale mécanique associés à des tensions myofaciales scapulaires droites. Si la douleur persiste, des blocs facettaires pourraient être tentés à C4-C5, C5-C6, C6-C7 droite, et du Lyrica pour les chocs électriques au bras droit.
[71] Le 20 février 2017, madame Bazinet transmet à la Commission deux photographies du poste de travail qu’occupait la travailleuse au moment de son arrêt de travail. Elle indique qu’il est possible que quelqu’un d’autre ait occupé ce poste de façon temporaire. On constate qu’un calendrier est placé sur un support et que seul un des deux écrans est muni d’un rehausseur. À l’audience, madame Bazinet affirme que n’importe qui peut passer, bouger les objets et prendre la chaise. Elle remarque qu’il n’y a qu’un seul rehausseur d’écran, tandis que la travailleuse en utilisait deux.
[72] Le 7 avril 2017, la travailleuse se présente aux bureaux de l’employeur pour que des photographies soient prises à la demande de la Commission. Sont alors présents une employée, qui est guide en ergonomie, une chef d’équipe intérimaire et monsieur Chapdelaine, qui deviendra son chef d’équipe en juin 2017 et qui témoigne à l’audience à la demande de l’employeur.
[73] Monsieur Chapdelaine affirme ne pas avoir eu de consignes sur la façon de prendre les photographies. Il est donc convenu d’en prendre d’abord trois montrant la travailleuse dans la position qu’elle adoptait lors de son arrêt de travail du 4 janvier 2017. Cette dernière précise avoir alors agi au meilleur de son souvenir, mais qu’il est possible que sa position ne fût pas tout à fait la même. Cependant, elle se souvenait que son dos n’était pas appuyé sur le dossier de sa chaise.
[74] Ensuite, la guide en ergonomie ajuste sa chaise, mesure notamment la hauteur appropriée de ses tables de travail, et consigne ces mesures sur un formulaire. Puis, pendant que la travailleuse est assise sur une chaise à un poste de travail dorénavant ajusté, trois autres photographies d’elle sont prises. Toutes ces photographies lui sont transmises le jour même, et l’employeur l’informe qu’il les enverra à la Commission.
[75] Selon une note évolutive du 10 avril 2017, notamment parce que les discopathies cervicales montrées à l’IRM ne sont pas corrélées par l’EMG et l’examen neurologique, et que sur la photo qu’on lui a fournie, la travailleuse est assise le dos droit, est soutenue par un dossier muni d’un support lombaire, et ne semble pas effectuer une flexion de plus de 5°, le médecin-conseil de la Commission, indique qu’il ne peut identifier de facteurs de risque pouvant expliquer l’apparition d’une entorse cervicale ou l’aggravation des discopathies cervicales, si préexistantes.
[76] Par la décision qu’elle rend le 25 juillet 2017 à la suite d’une révision administrative, la Commission confirme celle qu’elle a rendue initialement le 12 avril précédent et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle. En lisant cette décision, la travailleuse constate qu’une seule des six photographies prises le 7 avril 2017 a été considérée. Elle apprendra, suivant une demande d’accès à l’information, que cette photographie est l’une de celles qui ont été prises après l’ajustement de son poste de travail par la guide en ergonomie. Cette photographie est déposée en preuve et l’on peut constater que son dos repose sur le dossier de la chaise.
[77] Sur un rapport médical du 19 avril 2017, le docteur Kanevsky pose les diagnostics de discopathie cervicale sévère avec douleur neuropathique causée par une compression de la racine nerveuse de C5 à C7, de hernies discales et de sténose foraminale à C7 exacerbée par l’ergonomie du travail. Le siège de la lésion est la région cervicale et les membres supérieurs. À sa note, il indique que la physiothérapie a amélioré la condition de 20 % à 30 % et à cet égard, la travailleuse affirme qu’il s’agit pour elle d’une bonne amélioration.
[78] Le 5 juin 2017, monsieur Comtois, ergonome, procède à l’évaluation du poste de travail de la travailleuse. Selon monsieur Chapdelaine, qui est alors présent, il revient à la travailleuse d’expliquer à l’ergonome son état de santé. Elle s’installe au poste qu’il a choisi pour elle, comme elle le faisait avant son arrêt de travail de janvier 2017. Puis, elle place les objets qu’elle utilise, et des rehausseurs d’écrans sont installés.
[79] Au rapport qu’il rédige au terme de son évaluation, monsieur Comtois indique que ses recommandations tiennent compte de la hernie discale de la travailleuse, sa discopathie cervicale, sa scoliose, ses douleurs récurrentes à la colonne lombaire, son profil anthropométrique, sa tâche, ainsi que le mobilier et les équipements qu’elle utilise au quotidien. Puis, il indique ses constatations. À cet égard, il indique avoir constaté notamment que le fauteuil qu’utilisait la travailleuse est trop haut lorsque mis à son plus bas, ce qui fait qu’elle est en mode éjection par l’avant, sollicitant un effort continuel de son dos et de son cou. Le clavier est déporté vers la gauche, entraînant notamment une mauvaise posture du haut de son corps. Les écrans sont inclinés de façon négative, ce qui est demandant pour le cou parce que nécessitant une inclinaison et une extension simultanée de la tête. Ces écrans sont aussi trop bas pour la ligne de regard de la travailleuse, ce qui fait en sorte que sa tête est légèrement inclinée.
[80] Puis, monsieur Comtois suggère l’acquisition de certains articles pour la travailleuse, comme un porte-copie, et précise de quelle façon ses deux écrans doivent être installés. Il indique également qu’on doit lui fournir une chaise avec accoudoirs ajustables jusqu’à une certaine hauteur et profondeur, avec une pompe lombaire et avec un appui-tête pour permettre un meilleur rétablissement de son cou et de sa colonne dorsale supérieure.
[81] Sur un rapport médical du 13 juin 2017, le docteur Maleki, neurochirurgien, pose le diagnostic de maladie discale dégénérative au niveau cervical et de hernie à C5-C6. Il prescrit de la physiothérapie, de l’ergothérapie, des injections de cortisone aux points gâchettes, et dirige la travailleuse vers le docteur Radhakrishna, physiatre.
[82] Sur un rapport médical du 13 juillet 2017, le docteur Kanevsky pose les diagnostics de discopathie cervicale sévère avec douleur neuropathique causée par une compression de la racine nerveuse de C5 à C7, de hernies discales et de sténose foraminale à C7 exacerbée par l’ergonomie du travail. Le siège de la lésion est la région cervicale et les membres supérieurs.
[83] La travailleuse est de retour au travail de façon progressive à compter du 18 juillet 2017. À son arrivée, parce que la chaise qui avait été commandée pour elle par l’employeur suivant les recommandations de l’ergonome est munie d’un soutien lombaire et d’une pompe, mais n’a pas de soutien cervical, elle accepte de travailler avec une chaise munie d’un soutien cervical qui est déjà disponible chez l’employeur, mais qui n’a pas de pompe.
[84] Madame Ineza, qui est alors sa supérieure et qui témoigne à l’audience à la demande de l’employeur, affirme qu’à son retour au travail, la travailleuse lui fait mention d’une douleur, mais ne lui parle pas de sa condition médicale comme telle. Elle fait plutôt allusion à un inconfort lorsqu’elle est assise. Elle ajoute que l’employeur a eu de la difficulté à obtenir la chaise de la travailleuse, en ce que la première chaise reçue pour elle n’avait pas de support cervical, et que la seconde n’avait pas de pompe lombaire. Cela étant, des modifications ont été effectuées sur place par le fournisseur. La chaise de la travailleuse est livrée le 21 septembre 2017 et elle lui convient.
[85] Par la suite, la travailleuse consulte un médecin le 4 octobre 2017 pour un blocage cervical, cesse de travailler le 31 octobre 2017 pour de l’insomnie et de l’anxiété, et cesse à nouveau de travailler le 10 janvier 2018 pour une maladie vertébrale entraînant une douleur cervicale et lombaire.
[86] Le 15 mai 2018, le docteur Saint-Georges pose le diagnostic de céphalée occipitale droite sur cervicalgie chronique et discopathie et procède à des infiltrations, qui soulagent la travailleuse pendant quelques mois. Puis, le 14 mars 2019, le docteur Kanevsky lui propose une évaluation en kinésiothérapie, des injections de plasma et l’utilisation de sel d’epsom.
[87] Dans l’intervalle, soit le 12 juin 2018, la travailleuse rencontre le docteur Murray, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. Elle lui mentionne alors avoir tendance à se recroqueviller sur elle-même, donc à adopter une mauvaise posture. Elle le rencontre à nouveau le 3 juillet 2018 pour que des examens radiologiques soient effectués. Cependant, ces examens sont annulés parce qu’elle est alors enceinte.
[88] À l’historique de son rapport, le docteur Murray indique qu’après son embauche chez l’employeur en octobre 2012, la travailleuse ressent rapidement une aggravation de sa condition cervicale et rachidienne, et qu’au cours des deux mois suivant son retour au travail d’octobre 2016, elle ressent une aggravation de ses malaises aux régions cervicale et dorsale. À l’état actuel, la travailleuse se dit très peu symptomatique, mais toujours à la recherche d’autres mesures thérapeutiques. À l’examen objectif, les amplitudes articulaires de la colonne cervicale et lombosacrée sont complètes, l’examen neurologique est normal, et il n’y a pas d’anomalie témoignant d’une radiculopathie sensitive ou motrice.
[89] Le docteur Murray retient les diagnostics de cervicalgie fonctionnelle chronique causée par une discopathie dégénérative C5-C6, sans ankylose ni radiculopathie, et de scoliose dorsale idiopathique. Il est d’avis que le lien de causalité avec son travail est irrecevable médicalement et administrativement, considérant l’absence d’activités physiques à caractère répétitif, la variété de gestes, sans cadence ou sans cycle anormalement élevé, l’absence de sollicitation particulière de la région rachidienne cervicale et dorsale, l’absence de répétition d’un même mouvement avec un groupe musculaire spécifique, la possibilité de changement fréquent de position dans l’exercice du travail, l’absence de force statique dans l’exercice de l’activité, qui est exécuté, à son avis, en position physiologique, et le fait que devenir symptomatique d’une condition personnelle dans l’exercice d’une fonction ne justifie pas une relation causale pour maladie professionnelle.
[90] Le docteur Murray témoigne à l’audience à la demande de l’employeur. Il affirme être surpris du diagnostic d’entorse cervicale posé par les docteurs Normandin et Maurais, considérant l’absence d’événement traumatique. Il est en désaccord avec un tel diagnostic en regard d’une posture prolongée au travail et en présence d’une condition dégénérative, parce qu’une entorse fait référence à une lésion traumatique d’une articulation résultant d’une distorsion brutale et violente avec élongation ou rupture ligamentaire. Il ajoute que le docteur Maurais a identifié une petite limitation dans la flexion latérale gauche et droite, ce qui correspond à C-3 du point de vue anatomique, et que les autres amplitudes articulaires cervicales étaient alors complètes.
[91] Il met en doute la présence de toutes les hernies rapportées par la docteure Guérin par sa lecture de l’IRM du 12 décembre 2016. Il a regardé les photographies et n’a pas vu de posture contraignante. Il ajoute que la position la plus favorable pour le dos est celle qu’adopte la travailleuse de 30° de flexion. Il a identifié chez elle une scoliose dorso-lombaire avec gibbosité thoracique qui, à son avis, explique sa dégénérescence, et peut lui causer une douleur musculaire si elle demeure assise. Cette douleur est cependant reliée à sa condition personnelle. Elle présente des malaises rachidiens imprécis à différentes régions anatomiques depuis 18 à 20 ans, malgré le retrait du travail, et ne présente pas de radiculopathie ni d’ankylose cervicale. Il est toutefois possible de présenter une radiculopathie malgré un EMG négatif.
[92] Le 13 janvier 2020, la travailleuse transmet au Tribunal une déclaration assermentée. Le Tribunal ne peut cependant lui accorder une valeur probante significative puisqu’elle a eu l’occasion de témoigner à deux reprises. Il ne peut non plus considérer les éléments factuels qu’elle invoque en argumentation qui n’ont pas été mis en preuve au cours de l’enquête.
[93]
Étant employée de l’état fédéral, le droit à l’indemnisation de
la travailleuse découle de l’article
[94] La Loi définit la notion de lésion professionnelle comme étant notamment une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, et définit la notion d’accident du travail comme étant un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle[26].
[95] Dans le présent dossier, puisque la procédure d’évaluation médicale n’a pas été demandée, le Tribunal est lié par les diagnostics posés par le médecin qui a charge de la travailleuse[27]. Selon la jurisprudence, ce médecin est celui qui l’examine, qu’elle choisit, qui établit un plan de traitement, et qui assure le suivi de son dossier en vue de la consolidation de sa lésion, par opposition à celui qui lui serait imposé par la Commission ou l'employeur[28].
[96] Ici, le médecin qui correspond à ces critères est le docteur Kanevsky. En effet, il est déjà le médecin de la travailleuse lorsque surviennent les faits allégués comme étant à l’origine de sa lésion professionnelle. Elle ne consulte le docteur Normandin qu’à une reprise parce que le docteur Kanevsky n’est pas disponible, et rencontre le docteur Maurais qu’à titre de médecin expert.
[97] Le Tribunal ne peut donc pas retenir le diagnostic de céphalées chroniques posé par le docteur Normandin le 4 janvier 2017, puisqu’il n’est jamais posé par le docteur Kanevsky lors des consultations médicales subséquentes ni par aucun autre médecin d’ailleurs. De plus, la travailleuse présentait déjà des céphalées avant la survenance des faits allégués comme étant à l’origine de sa lésion professionnelle.
[98] À son article 28, la Loi prévoit qu’une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors qu’un travailleur est à son travail est présumée être une lésion professionnelle. Une blessure est généralement une lésion provoquée par un agent vulnérant externe de nature physique, qui apparaît de façon relativement instantanée et sans temps de latence[29]. Or, la travailleuse ne prétend pas qu’un événement traumatique est survenu. Plutôt, elle soumet avoir ressenti une douleur cervicale après son retour au travail le 24 octobre 2016, qui est devenue plus importante vers la mi-novembre 2016. Elle n’est donc pas porteuse d’une blessure au sens de l’article 28 de la Loi et ne peut bénéficier de l’application de cette présomption.
[99] Le Tribunal constate qu’en posant les diagnostics de discopathie cervicale sévère avec hernies discales et entorse cervicale sévère, compression des racines nerveuses de C5 à C7 et sténose foraminale à C7, aggravés par l’ergonomie du travail, le docteur Kanevsky fait référence à un trouble musculo-squelettique d’origine personnelle au niveau cervical qui, à son avis, a été aggravé par le travail de la travailleuse. Il ne peut faire référence à un événement traumatique, puisque la travailleuse n’allègue pas qu’un tel événement est survenu.
[100] Selon la jurisprudence, la présence d’une condition personnelle n’est pas un obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle, dans la mesure où les éléments constitutifs d’une telle lésion sont démontrés par une preuve prépondérante[30]. En effet, le Tribunal doit considérer la travailleuse comme elle est, sans quoi il devrait décider suivant une norme de la personne en parfaite santé, ce qui s’éloignerait des objectifs de la Loi[31].
[101] Cependant, l’aggravation d’une condition personnelle préexistante ne constitue pas, en soi, une catégorie distincte de lésion professionnelle. En effet, pour reconnaître que la condition personnelle préexistante de la travailleuse a été aggravée ou rendue symptomatique par son travail, le Tribunal doit s’assurer qu’elle a subi un accident du travail ou une maladie professionnelle, et que cet accident ou cette maladie fut l’élément déterminant de celle-ci[32].
[102] Comme mentionné précédemment, un accident du travail est un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle[33]. Cependant, la jurisprudence interprète la notion d’événement imprévu et soudain comme étant non seulement un événement qui survient à un moment précis dans le temps, mais également comme étant une surcharge de travail inhabituelle, un effort inhabituel ou soutenu, des changements majeurs dans les conditions de travail, l’utilisation d’une mauvaise méthode de travail ou des microtraumatismes lorsque l’environnement de travail présente des risques ergonomiques[34]. On fait ici référence au sens large de la notion d’événement imprévu et soudain.
L’événement imprévu et soudain
[103] À son retour au travail du 24 octobre 2016, bien que l’équipement du poste de travail de la travailleuse soit neuf, et muni de deux tables et d’une chaise ajustables, la preuve prépondérante démontre qu’il n’est pas ergonomique pour elle et qu’il l’entraîne à adopter une position non physiologique.
[104] D’abord, ce poste n’a pas fait l’objet d’une évaluation ergonomique avant son arrêt de travail du 4 janvier 2017. En effet, bien que madame Bazinet ait demandé qu’une telle évaluation soit effectuée, elle n’en connaît pas la suite. Puis, bien que monsieur Bellerose affirme avoir dit à madame Bazinet qu’il avait procédé à une telle évaluation, il ne se souvient pas de l’avoir effectuée, et ajoute que le cas échéant, il se serait limité à transmettre à la travailleuse des trucs et astuces sur la façon d’utiliser son nouveau mobilier et sa nouvelle chaise, sans faire une véritable évaluation ergonomique. Finalement, la travailleuse affirme s’être entretenue avec monsieur Bellerose à trois reprises, mais sur d’autres sujets que sa condition physique ou son poste de travail.
[105] Également, entre le 24 octobre 2016 et le 7 novembre 2016, les écrans de la travailleuse ne sont pas bien ajustés pour elle, puisqu’elle place des paquets de feuilles sous ses écrans pour les remonter.
[106] Puis, lors de la prise de photographie du 7 avril 2017, bien que sa position ne fût peut-être pas tout à fait la même que celle qu’elle adoptait lors de son arrêt de travail du 4 janvier 2017, elle s’est alors assise au meilleur de son souvenir, et se souvenait que son dos n’était pas appuyé sur le dossier de sa chaise. Le fait qu’une employée qui est guide en ergonomie ajuste sa chaise, mesure notamment la hauteur appropriée de ses tables de travail, et consigne ces mesures sur un formulaire, démontre que son poste de travail était mal ajusté pour elle.
[107] À son rapport du 5 juin 2017, monsieur Comtois rapporte des constats objectifs et qui s’appliqueraient à la travailleuse même en l’absence d’une pathologie cervicale. En effet, il indique notamment que le fauteuil qu’elle utilisait est trop haut lorsque mis à son plus bas, l’entraînant en mode éjection par l’avant, ce qui sollicite un effort continuel de son dos et de son cou. Le clavier est déporté vers la gauche, entraînant notamment une mauvaise posture du haut de son corps. Les écrans sont inclinés de façon négative, ce qui est demandant pour le cou parce que nécessitant une inclinaison et une extension simultanée de la tête, et ils sont aussi trop bas pour sa ligne de regard, ce qui fait en sorte que sa tête est légèrement inclinée.
[108] Lors de la prise des six photographies du 7 avril 2017 et lors de l’évaluation ergonomique du 5 juin 2017 effectuée par monsieur Comtois, la travailleuse se place et adopte une position à un poste de travail comme elle travaillait avant son arrêt de travail, selon son souvenir. En l’absence de preuve contraire, le Tribunal ne peut rejeter sa réclamation en présumant que sa mémoire lui aurait fait défaut, d’autant plus qu’à ces deux occasions, ses supérieurs sont présents.
[109] Le Tribunal ne peut non plus considérer les deux photographies envoyées par madame Bazinet à la Commission le 20 février 2017 comme étant représentatives du poste de travail de la travailleuse, puisqu’il est possible que quelqu’un l’ait occupé de façon temporaire, et que n’importe qui pouvait passer et bouger les choses. De plus, il n’y a qu’un seul rehausseur d’écran, tandis que la travailleuse en utilisait deux.
[110] De plus, le Tribunal ne peut accorder de valeur probante significative à l’opinion du médecin-conseil de la Commission, selon laquelle il ne peut identifier de facteur de risque pouvant expliquer l’apparition d’une entorse cervicale ou l’aggravation de discopathies cervicales, puisqu’il fonde son opinion sur une des trois photographies qui ont été prises le 7 avril 2017 après que le poste de travail de la travailleuse a été ajusté par une guide en ergonomie.
[111] La travailleuse a suivi une formation en ergonomie à son arrivée chez l’employeur en 2012. À compter de son retour au travail du 24 octobre 2016, elle a suivi une petite formation en ergonomie en 2016 par elle-même et aurait pu consulter une formation en ergonomie en ligne pendant ses périodes de lecture. Ceci ne peut cependant faire obstacle à la reconnaissance chez elle d’une lésion professionnelle, puisque l’employeur ne lui a pas demandé de suivre une telle formation à son retour au travail en 2016, que madame Bazinet ne se souvient pas lui avoir remis un document portant sur la façon d’ajuster les postes de travail, comme ce fut le cas pour d’autres nouveaux employés, et parce que les droits conférés par la Loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque[35].
[112] Également, lorsqu’elle rencontre le docteur Murray le 12 juin 2018, la travailleuse lui dit qu’elle a tendance à se recroqueviller sur elle-même. Encore ici, ceci ne peut faire obstacle à la reconnaissance chez elle d’une lésion professionnelle, dans la mesure où les droits conférés par la Loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque. De plus, la survenance d’une négligence grossière et volontaire de sa part n’a pas été soulevée dans le présent dossier[36].
[113] Le docteur
Murray considère qu’il y a absence d’activités physiques à caractère répétitif,
une variété de gestes, sans cadence ou sans cycle anormalement élevé, absence
de sollicitation particulière de la région rachidienne cervicale et dorsale,
absence de répétition d’un même mouvement avec un groupe musculaire spécifique,
la possibilité de changement fréquent de position dans l’exercice du travail, et
absence de force statique dans l’exercice de l’activité, qui est exécuté, à son
avis, en position physiologique. Il a regardé les photographies et n’a
pas vu de posture contraignante. Il ajoute que la position la plus favorable
pour le dos est celle qu’adopte la travailleuse de 30° de flexion.
[114] Or, la preuve ne démontre pas que la travailleuse a la possibilité de changer de position lorsqu’elle effectue de la lecture ou prend des appels, puisqu’elle regarde un écran ou un clavier. Par exemple, hormis pour ses deux pauses de 15 minutes et sa pause-repas de 30 ou 45 minutes quotidiennes, la preuve ne démontre pas qu’elle est appelée à se lever dans le cadre de son travail. De plus, bien que la travailleuse ait mentionné au docteur Murray avoir tendance à se recroqueviller sur elle-même, et qu’elle ait écrit au docteur Maurais que le dossier de sa chaise lui arrivait aux omoplates, l’intervention de la guide en ergonomie du 7 avril 2017 ainsi que le rapport de l’ergonome Comtois démontrent que son poste de travail n’était pas ajusté pour elle et qu’il l’a entraîné à adopter une position non physiologique.
[115] La preuve démontre également qu’à son embauche chez l’employeur en 2012, la travailleuse exerce son travail à temps plein et fait même du temps supplémentaire. Cependant, à compter de son premier arrêt de travail de février 2013, elle effectuera au maximum quatre jours de travail par semaine lors de ses retours au travail successifs, hormis entre le 12 janvier 2014 et mars 2014. En fait, depuis mars 2014, la travailleuse est soit en arrêt de travail, soit en retour au travail progressif.
[116] Ainsi, lorsqu’elle est de retour au travail le 24 octobre 2016 à temps plein, soit pendant cinq jours consécutifs du 24 au 28 octobre 2016, du 31 octobre au 4 novembre 2016, du 14 au 18 novembre 2016, sauf une demie journée du 22 au 25 novembre 2016, et du 28 novembre au 2 décembre 2018, elle se trouve dans une situation qu’elle ne connaissait plus depuis plusieurs mois.
[117] Dans ce contexte, et considérant ce qui précède, le Tribunal conclut que la travailleuse a subi un événement imprévu et soudain au sens large de cette notion. En effet, elle a travaillé pendant des périodes de cinq jours consécutifs entre le 24 octobre 2016 et le 28 décembre 2016, ce qui était nouveau pour elle depuis mars 2014. De plus, et surtout, pendant cette période, elle a exercé ses fonctions sur un poste de travail qui, selon la preuve prépondérante, était non ergonomique pour elle, et l’a entraînée à adopter une position non physiologique.
Le lien de causalité
[118] Pour que le trouble musculo-squelettique d’origine personnelle au niveau cervical de la travailleuse soit reconnu comme ayant été aggravé ou rendu symptomatique par son travail, elle doit démontrer la présence d’un lien de causalité entre ces deux éléments.
[119] À cet égard, le fardeau de preuve qui lui incombe est celui de la prépondérance de preuve sur le plan juridique, et non celui de la certitude scientifique[37]. Cette preuve peut être administrée par tous moyens et le Tribunal appréciera le lien de causalité autant en fonction d’une preuve profane que scientifique. De plus, même en l’absence d’une opinion d’expert qui l’établit formellement, le Tribunal peut inférer ce lien de causalité de l’ensemble de la preuve, s’il est scientifiquement plausible[38]. En d’autres termes, outre l’événement imprévu comme tel, le Tribunal doit considérer la lésion diagnostiquée, le moment de son apparition, son évolution, ainsi que la présence d’une condition préexistante[39].
[120] D’abord, le Tribunal souligne qu’il ne peut considérer les exigences intellectuelles du travail de la travailleuse et le fait qu’elle soit crispée et concentrée dans le cadre de son travail comme étant à l’origine d’une lésion professionnelle. En effet, le respect d’un horaire déjà établi dans une proportion de 80 % à 90 % est considéré comme se situant dans la normale, et l’employeur est davantage clément avec les employés qui reviennent d’un congé. Certes, ses évaluations de rendements sont importantes pour elle et on peut l’écouter à son insu. Cependant, madame Bazinet affirme qu’elle peut consulter un conseiller au besoin, et l’écoute des employés à leur insu n’est pas une pratique régulière. De plus, à son retour au travail en octobre 2016, elle est en période de réintégration au cours de laquelle elle lit des mises à jour à l’écran.
[121] Cependant, le Tribunal est d’avis que son poste de travail non ergonomique pour elle et qui l’a entraînée à adopter une position non physiologique, a rendu symptomatique sa condition personnelle de dégénérescence discale cervicale constatée à l’IRM du 12 décembre 2016.
[122] D’abord, la preuve démontre qu’avant son retour au travail du 24 octobre 2016, la travailleuse n’a jamais eu de véritable problème au niveau cervical. Certes, elle affirme qu’au cours de ses études et de ses premières années de pratique comme avocate, soit de 2002 à 2012, elle ressent parfois un malaise au cou, à la tête et aux yeux, mais cela ne la préoccupe pas, elle se sent bien le lendemain, et ne consulte pas de médecin pour cette raison. Également, une radiographie du 7 mai 2013 montre la présence d’une discarthrose dégénérative à C5-C6 et d’une très légère courbe scoliotique de la colonne dorsale à convexité droite, mais elle a été réalisée à titre préventif dans le contexte d’un petit accrochage en voiture.
[123] La travailleuse envoie une photographie d’une chaise munie d’un support cervical à madame Bazinet le 5 janvier 2017. Cette photographie ne peut démontrer qu’elle présentait un problème cervical avant son retour au travail du 24 octobre 2016, puisqu’il s’agit de celle de son conjoint, achetée en magasin, qu’elle n’utilisait que de temps en temps chez elle.
[124] Entre le 24 octobre 2016 et le 2 décembre 2016, la travailleuse fait de la lecture à l’ordinateur et prend des appels pendant la grande majorité de ses journées de travail, alors que son poste de travail est non ergonomique pour elle et l’entraîne à adopter une position non physiologique. Dans ce contexte, il est plausible qu’elle ait ressenti des symptômes uniquement au travail, soit notamment une sensation de poids au niveau de la nuque irradiant surtout à droite, particulièrement à compter de la mi-novembre 2016, et ce, même si ces journées étaient entrecoupées de fins de semaine, d’une journée de congé et de trois journées de formation. Lui demander de démontrer la durée requise dans cette posture pour développer une pathologie cervicale reviendrait à lui imposer un fardeau de preuve qui serait davantage celui de la certitude scientifique que celui de la prépondérance de preuve sur le plan juridique. Elle a d’ailleurs tenté de le faire en transmettant au Tribunal plusieurs extraits de littérature médicale, qui ne peuvent cependant être considérés puisqu’ils n’ont pas été commentés par un expert[40].
[125] Le 28 novembre 2016, la travailleuse informe madame Bazinet qu’elle est en mesure de résoudre une bonne partie des problématiques liées aux exigences intellectuelles de son travail. Certes, elle ne lui fait pas mention de sa douleur cervicale, comme elle lui ne lui en a pas fait part avant son arrêt de travail. Cependant, elle la lui déclare rapidement après son arrêt de travail du 4 janvier 2017, en lui transmettant le rapport médical du docteur Normandin dès le lendemain, soit le 5 janvier 2017.
[126] La travailleuse consulte le docteur Kanevsky le 6 décembre 2016 pour vérifier si elle n’a pas le cancer du cerveau, puisqu’elle ressent également des céphalées et a l’impression que le plancher tombe sous ses pieds. Comme il appert du courriel qu’elle transmet à madame Bazinet ce jour-là, c’est en raison de migraines et d’étourdissements qu’elle le consulte. C’est également en raison de céphalées atypiques qu’il demande une IRM cérébrale et cervicale.
[127] L’examen objectif musculo-squelettique, de la tête et du cou du docteur Kanevsky est alors sans particularité, et il prescrit de la physiothérapie notamment pour des spasmes musculaires, sans préciser à quel niveau ils se trouvent. Cependant, parce qu’elle le consulte pour des céphalées et des étourdissements, de l’avis du Tribunal, son témoignage selon lequel il lui dit remarquer des spasmes au niveau cervical et pense qu’elle a plutôt un problème à ce niveau qui requiert des traitements de physiothérapie est plausible.
[128] La travailleuse est de retour au travail et prend des appels les 19, 20, 21 et 28 décembre 2016. Au cours de ces quatre journées, des pauses-repas auraient été plus longues et un congé de sept jours survient entre les deux dernières. Cependant, dans la mesure où son poste de travail n’est pas ergonomique pour elle et l’entraîne à adopter une position non physiologique, son témoignage selon lequel son cou commence à chauffer et qu’elle ressent trois points de douleur au cou au cours de ces quatre journées est plausible.
[129] C’est ainsi qu’elle décide de cesser de travailler le 28 décembre 2016 en prenant connaissance des résultats de l’IRM du 12 décembre 2016, et dépose à la Commission une réclamation le 31 décembre 2016 visant la reconnaissance d’une lésion professionnelle du 24 octobre 2016.
[130] Elle consulte ensuite le docteur Normandin le 4 janvier 2017. Puisqu’il est le premier médecin à invoquer par écrit une relation entre la condition cervicale de la travailleuse et son travail, et qu’il est le premier à lui suggérer de cesser de travailler pour cette condition, le Tribunal est d’avis que la date de sa lésion professionnelle doit être celle du 4 janvier 2017, et non celle de son retour au travail du 24 octobre 2016.
[131] La pathologie cervicale de la travailleuse est toujours active lorsqu’elle consulte le docteur Maurais le 19 janvier 2017. En effet, bien qu’il note l’absence de spasme musculaire, la palpation des masses paracervicales de C4 à C7 du côté droit et de la partie haute du trapèze droit est douloureuse, et la flexion limitée à 30° pour une perte de 10° avec douleur en fin d’excursion, et les mouvements de flexion latérale sont limités à 30° avec une perte de 10° en fin d’excursion. Le docteur Murray indique certes que cette limitation correspond à C3 du point de vue anatomique, mais il s’agit tout de même d’une limitation de mouvement, qui s’ajoute à deux autres limitations d’amplitudes articulaires.
[132] À l’instar du docteur Normandin, le docteur Maurais est d’avis que la travailleuse est porteuse d’une entorse cervicale sur une condition préexistante de hernies discales de C4 à C7. Il indique que son travail ne comporte pas de dangers pour elle, mais il suggère une évaluation ergonomique, et celle de l’ergonome Comtois n’est pas encore réalisée à ce moment-là.
[133] Pour sa part, le docteur Kanevsky ne pose le diagnostic d’entorse cervicale qu’à une reprise, mais à chaque consultation médicale, il indique qu’elle est porteuse d’une discopathie cervicale comprimant la racine nerveuse de C5 à C7, exacerbée par son travail. Le docteur Maleki pose le diagnostic de maladie discale dégénérative au niveau cervical et de hernie à C5-C6 sur un rapport médical. Ainsi, les médecins consultés par la travailleuse de façon contemporaine à son arrêt de travail du 4 janvier 2017 sont d’avis que son travail a aggravé ou rendu symptomatique sa condition préexistante de discopathie dégénérative de C5 à C7.
[134] La travailleuse affirme avoir commencé à ressentir des engourdissements dans ses doigts et des chocs au bras droit en janvier 2017, donc quand elle n’est plus au travail depuis quelques jours. Le Tribunal souligne que nous sommes en présence d’une discopathie dégénérative. De plus, comme il appert d’une note de physiothérapie du 19 janvier 2017, ses symptômes cervicaux et périscapulaires ont diminué de façon significative depuis le 6 janvier précédent, et le docteur Maurais, le docteur Kanevsky[41] ainsi que la travailleuse à l’audience, indiquent également que ses symptômes se sont améliorés avec la physiothérapie.
[135] Bien qu’améliorés, ses symptômes sont toujours présents au cours des mois suivants, puisque le 16 février 2017, outre la présence d’une douleur débutant à la région cervico-scapulaire droite irradiant de façon diffuse au bras droit, et des chocs électriques pouvant descendre au niveau du bras, la docteure Haziza rapporte également la présence de signes de dysfonction segmentaire cervicale mécanique associés à des tensions myofaciales scapulaires droites.
[136] Dans ce contexte, le fait que le docteur Kanevsky ait d’abord indiqué sur ses rapports médicaux que le siège de sa lésion est la région cervicale et les membres supérieurs sauf les épaules, et qu’il a par la suite ajouté les épaules n’est pas d’une importance significative. En effet, la travailleuse mentionne toujours que ses symptômes se trouvent à la région cervicale et qu’ils irradient du côté droit.
[137] À cet égard, le Tribunal souligne que le retrait du travail ne signifie pas nécessairement disparition rapide et automatique des symptômes occasionnés par une lésion professionnelle.
[138] Certes, tous les examens neurologiques, soit ceux des docteurs Maurais, Murray et Haziza, sont normaux. Cette dernière rapporte également que l’EMG n’a pas révélé de signe dénervatif aigu ni chronique. Le médecin-conseil de la Commission souligne que les discopathies cervicales montrées à l’IRM ne sont pas corrélées par l’EMG ou l’examen neurologique, et le docteur Murray constate l’absence d’anomalie témoignant d’une radiculopathie sensitive ou motrice.
[139] Cependant, le docteur Murray affirme qu’il est possible de présenter une radiculopathie malgré un EMG négatif. De plus, la docteure Haziza suggère des blocs facettaires ainsi qu’une médication si la douleur persiste, et le docteur Maleki prescrit des traitements de physiothérapie, d’ergothérapie et des injections de cortisones aux points gâchettes pour une maladie discale dégénérative au niveau cervical lorsque la travailleuse le consulte le 13 juin 2017. Ainsi, malgré les résultats de l’EMG et des examens neurologiques, une pathologie cervicale pour laquelle des traitements sont suggérés est toujours présente en juin 2017.
[140] La travailleuse est ensuite de retour au travail progressif en juillet 2017 et la chaise ergonomique proposée par l’ergonome, qui lui convient, est livrée le 21 septembre 2017. Un épisode de blocage cervical se produit par la suite, elle reçoit des injections qui la soulagent pendant quelques mois, et une évaluation en kinésiothérapie, des injections de plasma et l’utilisation de sel d’epsom lui sont ensuite proposées. Ceci étant, lorsqu’elle rencontre le docteur Murray le 12 juin 2018 ainsi qu’à l’audience, sa condition s’est beaucoup améliorée et elle n’est presque plus symptomatique.
[141] Le docteur Murray soutient que sa scoliose est un facteur étiologique raisonnablement acceptable pour expliquer sa dégénérescence et occasionner chez elle une douleur musculaire si elle demeure assise. Il précise que cette douleur est reliée à sa condition, et non pas à son travail. Le Tribunal ne peut retenir cette hypothèse dans le présent dossier, parce que, comme mentionné précédemment, la preuve démontre que son poste de travail n’était pas ergonomique pour elle et l’entraînait à adopter une position non physiologique. Puis, alors que le docteur Murray rapporte qu’elle présente des malaises rachidiens imprécis à différentes régions anatomiques depuis 18 à 20 ans, malgré le retrait de son milieu professionnel, la preuve démontre plutôt que ses symptômes sont peu importants entre 2002 et 2012, qu’elle travaille normalement chez l’employeur en 2012, et qu’elle n’est pas symptomatique au niveau cervical lors de son retour au travail en octobre 2016. Finalement, bien que le docteur Murray mette en doute la présence de toutes les hernies rapportées par la docteure Guérin par sa lecture de l’IRM du 12 décembre 2016, il s’agit de l’interprétation de cet examen dont le Tribunal dispose.
[142] Ainsi, considérant tout ce qui précède, à l’instar des médecins qu’elle consulte de façon contemporaine, le Tribunal est d’avis que la preuve médicale et factuelle prépondérante démontre que le poste de travail où la travailleuse a exercé ses fonctions du 24 octobre au 28 décembre 2016 a aggravé ou rendu symptomatique sa condition personnelle préexistante de discopathie dégénérative. Bien que le mobilier et la chaise de ce poste soient neufs, la position non physiologique qu’elle a dû adopter au cours de cette période fut déterminante dans l’apparition de sa symptomatologie cervicale.
[143] La contestation de la travailleuse visant l’admissibilité de sa réclamation est par conséquent accueillie et elle a droit aux prestations prévues par la Loi. De plus, puisque la révision de la décision de la Commission du 21 avril 2017 n’a pas été demandée, comme mentionné précédemment, il y a lieu de maintenir les conclusions de celle du 25 juillet 2017 à l’origine du présent litige portant sur le recouvrement d’une somme de 950 $.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE les requêtes en rejet sommaire de la Procureure générale du Québec et de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail;
REJETTE sommairement les conclusions recherchées par
madame Andreea Popescu, la travailleuse, portant sur la constitutionnalité des
articles
REJETTE la demande d’ordonnance de la travailleuse pour dommages moraux;
ACCUEILLE la contestation de la travailleuse portant sur l’admissibilité de sa réclamation produite à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail;
INFIRME en partie la décision rendue par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail le 25 juillet 2017 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 4 janvier 2017;
DÉCLARE que la travailleuse a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE sans effet la partie de la décision du 12 avril 2017 portant sur le montant de 950 $ qui est réclamé à la travailleuse, et sans objet sa demande de révision de cette partie de la décision.
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Pascale Gauthier |
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Madame Andreea Popescu |
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Pour elle-même |
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Me Chantal Labonté |
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MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA |
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Pour la partie mise en cause |
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Me François-Alexandre Gagné |
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BERNARD ROY (JUSTICE-QUÉBEC) |
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Pour la partie intervenante la Procureure générale du Québec
Me Vincent F. Dion PINEAULT AVOCATS CNESST Pour la partie intervenante la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail |
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Date de la mise en délibéré : 18 mai 2020 |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] RLRQ, c. T-15.1.
[3] RLRQ, c. C-12.
[4] A.F. et Compagnie A.,
[5] Article 358 et 358.1 de la Loi.
[6] Article 358.2 de la Loi.
[7] Article 358.3 de la Loi.
[8] Article 358.4 de la Loi.
[9] Article 358.5 de la Loi.
[10] Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, R.-U., c. 11).
[11] Id. partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982.
[12] Centre de santé et de services sociaux de
Rimouski-Neigette c. Commission des lésions professionnelles,
[13] Borowski c. Canada (Procureur
général),
[14]
Nouvelle-Écosse (Workers’
Compensation Board) c. Martin;
Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur,
[15] Borowski c. Canada (Procureur général), précitée note 13.
[16] Paragraphe 4 de l’article
[18] Borowski c. Canada (Procureur général), précitée note 13.
[19] Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, R.L.R.Q., c. A-2.1, articles 134.2 et 135.
[20] Article
[21] RLRQ, c. C-12.
[22] Id.
[23] Article 25 de la Loi.
[24] L.R.C. (1985), ch. G-5.
[25] Martin c. Alberta
(Workers Compensation Board),
[26] Article 2 de la Loi.
[27] Article 224 de la Loi.
[28] Voir notamment Marceau et Gouttière
Rive-Sud Fabrication inc., C.L.P.
[29] Boies et C.S.S.S. Québec-Nord,
[30] PPG
Canada inc. c. Commission d’appel en matière de
lésions professionnelles,
[31] Chaput c. Société de transport de
la communauté urbaine de Montréal,
[32] Crête et Ville de Québec, C.L.P. 89052-32-9706, 9 avril 1999, M. Carignan.
[33] Article 2 de la Loi.
[34] Groupe matériaux à bas prix ltée et Lamoureux, C.L.P 225735-61-0401, 14 septembre 2004, S. Di Pasquale.
[35] Article 25 de la Loi.
[36] Article 27 de la Loi.
[37] Snell
c. Farrell,
[38] Boucher et Ministère Sécurité
Publique (Santé-Sécurité), C.L.P.
[39] Deleon et Cité de la santé de Laval, précitée, note 37.
[40] Coopérative de solidarité de services à
domicile du Royaume du Saguenay,
[41] Comme il appert de sa note de consultation médicale du 19 avril 2017.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.