Décision

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Charron c. Entreprises de rénovations Pareco inc.

2010 QCCS 4471

JP2023

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-053117-092

 

 

 

DATE :

Le 7 juin 2010

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

YVES POIRIER, J.C.S.

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Louise Charron

et

Jean-Marie Peyronnard

Parties Demanderesses

c.

Les Entreprises de Rénovations Pareco inc.

            Partie Défenderesse-Requérante

et

Lloyd's of london Canada

            Partie Défenderesse-Intimée

et

La Personnelle Assurances Générales inc.

Partie Défenderesse

 

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JUGEMENT

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[1]           L'assurée, Les Entreprises de Rénovations Pareco inc. (Pareco) demande à son assureur Lloyd's of London Canada (Lloyd's) de respecter son obligation de la défendre bien que des déclarations données à l'assureur semblent aller à l'encontre des exigences apparaissant à un engagement signé par l'assurée.

Les faits

[2]           Pareco est une entreprise spécialisée en construction et réparation de toitures. Elle exécute un contrat afin d'installer une membrane élastomère sur le toit de la propriété de madame Louise Charron (Charron) et de monsieur Jean-Marie Peyronnard (Peyronnard). Cette membrane doit être soudée en place grâce à des équipements de type torche à butane.

[3]           Quelques heures après l'exécution des travaux sur la toiture, un feu détruit partiellement la maison et les propriétaires poursuivent Pareco et son assureur Lloyd's.

[4]           Lloyd's refuse de défendre et d'indemniser son assurée Pareco.

[5]           Le président de Pareco et son employé ont signé chacun une déclaration à la suite au sinistre qui décrit les travaux et établit que l'employé de Pareco était seul lors de l'exécution des soudures de la membrane et qu'il serait resté sur les lieux que 45 minutes après avoir terminé ses travaux.

[6]           Pareco demande que Lloyd's assume sa défense.

Questions en litige

  1.        La présente Requête de type « Wellington » rencontre-t-elle les critères établis par la jurisprudence?

  2.        Quels sont les faits qui peuvent être mis en preuve par Lloyd's afin de justifier son refus de défendre son assurée?

  3.        Lloyd's a-t-elle perdue son droit au choix de l'avocat aux fins de représenter l'assurée?

Analyse

Les critères

[7]           En principe, l'assureur est tenu de prendre fait et cause pour toute personne qui a droit au bénéfice de l'assurance et d'assumer sa défense (article 2503 C.c.Q.), mais les assureurs, à l'occasion d'un sinistre, peuvent refuser de remplir leurs obligations prévues au contrat d'assurance et à la Loi.

[8]           Jusqu'en 1999, un assuré qui voyait l'assureur nier son obligation de le défendre appelait son assureur en garantie conformément aux dispositions prévues au Code de procédure civile.

[9]           Le jugement éventuel disposait de la réclamation contre l'assuré, de l'obligation de le défendre et d'indemnisée. L'assuré devant assumer sa défense et éventuellement être remboursé des frais en défense si l'appel en garantie était accueilli. L'assuré demeurant responsable des coûts de l'appel en garantie.

[10]        L'obligation de défendre dans ce contexte n'avait plus vraiment de sens si le bénéficiaire ne peut pas exiger son exécution en nature comme le prévoit l'article 1590 C.c.Q.

[11]        La Cour suprême du Canada dans l'affaire Nicholls[1] a établi que l'assureur doit remplir son obligation de défendre si, à la suite de l'analyse prima facie des allégations de l'action principale, il ressort une simple possibilité que la police d'assurance vise les actes ou omissions reprochés. L'obligation d'indemniser devra être remplie par l'assureur si les actes ou omissions allégués sont prouvés au cours de l'audition au mérite.

[12]        De là origine la Requête dite de type « Wellington », qui vise à obtenir de l'assureur qu'il remplisse son obligation en nature et par conséquent le forcer à assumer la défense de son assuré.

[13]        Dans deux autres affaires[2], la Cour suprême a précisé que l'analyse des allégations de l'action principale ne se limite pas aux mots utilisés mais s'infère de l'examen de la véritable nature des allégations.

[14]        L'analyse de la véritable nature des allégations à l'encontre de l'assuré ne doit pas faire l'objet d'un débat et d'une enquête car il y aurait deux enquêtes l'une pour déterminer si l'obligation de défendre est exigible et l'autre pour vérifier l'obligation d'indemniser. La recherche de la véritable nature des allégations inclut l'examen des actes de procédures et des pièces. On doit prendre pour avéré les allégués et les faits décrits aux procédures et aux pièces.

[15]        Bien que le Tribunal puisse arriver à la conclusion que l'assureur doit assumer son obligation de défendre son assuré, l'assureur pourra se retirer à nouveau si au cours de l'enquête les faits démontrent qu'il n'a plus à remplir son obligation de défendre.


[16]        Les faits pertinents originaires de la demande peuvent se résumer succinctement comme suit :

16.1.     Pareco a exécuté des travaux de réfection de la toiture des demandeurs à l'aide de torche au butane

16.2.     l'origine de l'incendie se situe à proximité des travaux réalisés par Pareco et le début de l'incendie est intervenu quelques heures après la fin des travaux

16.3.     Pareco n'a pas respecté les règles de l'art et n'est pas demeurée sur les lieux pendant un temps raisonnable

[17]        La lecture de la police ne laisse aucun doute sur le cadre de son application. Elle est émise en faveur de l'entrepreneur en toiture pour le type de travaux exécutés sur la propriété des demandeurs et elle était en vigueur au moment du sinistre.

[18]        La véritable nature des allégations originaires de la Requête introductive d'instance correspond au type d'actes ou omissions visés par la police émise par Lloyd's. L'analyse des mots à la Requête introductive d'instance dépassent considérablement le niveau de preuve exigé par la Cour suprême du Canada.

Quels sont les faits que peut mettre en preuve Lloyd's afin de justifier son refus de défendre

[19]        Le premier argument de l'assureur est tiré de la déclaration à l'effet qu'un seul ouvrier était présent lors de l'exécution des travaux de soudure et que cette situation entre en contradiction avec l'obligation prévue à l'avenant qui se lit comme suit :

« It is warranted that during all roofing operations described in the Declarations of this policy, the following precautions will be taken :

3) A guard or watchman will be on hand during all heat application operations to watch for and extinguish any sparks or over heated areas and will remain on site for one hour after the completion or suspension of operations. »

[20]        Le procureur de Pareco mentionne que l'interprétation que l'on doit donner à cet avenant s'analyse en tenant compte de la pratique usuelle pour ces travaux. Selon lui, l'installateur est la personne qui surveille ces travaux.

[21]        D'autre part, Pareco n'a pas saisi cette subtilité puisque cette clause est rédigée en anglais et qu'il est francophone. Il invoque à son bénéfice la Loi prévoyant l'obligation de rédiger le contrat en français (article 55 de la Charte de la langue Française, L.R.Q. C. C-11)

[22]        Il souligne que la déclaration n'a pas été donnée dans un contexte contentieux et son client doit avoir l'occasion de s'expliquer sur les faits survenus lors du sinistre et donner son interprétation sur la clause dans le cadre des travaux exécutés dans cette industrie.

[23]        Le second argument est basé encore là sur une déclaration qui semble laisser entendre que les lieux n'ont pas été sous surveillance pendant une heure après l'exécution des travaux. Cette affirmation est pour le moins litigieuse tenant compte des termes utilisés à la déclaration par l'ouvrier parlant de l'heure de fin de ses travaux : « Il était environ 3:00 - 3:15 p.m. Je n'ai pas regardé ma montre et je ne peux pas préciser l'heure exacte. »

[24]        Ne pouvant déterminer l'heure exacte de la fin des travaux, il est difficile sans une preuve entendue au mérite d'établir la durée pendant laquelle l'ouvrier était sur place tenant compte que ce dernier précise à sa déclaration : « Je suis parti de cette maison vers 15 h 45 ». Le non-respect de l'avenant suivant la prétention de Lloyd's entraîne la suspension de la garantie.

[25]        Notons que les déclarations furent produites au dossier par le procureur de l'assurée lui-même lequel a introduit en preuve ces déclarations sur lesquelles reposent les arguments de Lloyd's.

[26]        Bien que l'on puisse reconnaître que l'assureur peut faire valoir en tout temps les motifs de refus de défendre son assuré, il est beaucoup plus difficile pour ce dernier de faire valoir son point de vue à ce stade des procédures.

[27]        Tout d'abord, quant à la déclaration dont sa force probante pourra être nuancée ou écartée après avoir entendu les témoins des événements auxquels fait référence l'assureur.

[28]        Les deux faits reprochés pourraient être mis de côté après enquête et audition.

[29]        Ce refus de défendre, annoncé par l'assureur, à ce stade des procédures repose sur  une proposition mixte de faits et de droit.

[30]        Afin de conclure favorablement à telle proposition, l'analyse des faits et du droit doit nous mener à un résultat clair et évident ne laissant aucun doute dans l'esprit du Tribunal à l'effet que cette proposition doit être retenue.

[31]        À une telle étape préliminaire, le Tribunal doit observer une règle de prudence avant d'écarter l'obligation qu'a contractée l'assureur, soit de défendre son assuré.

[32]        Tenant compte des circonstances invoquées, le Tribunal ne peut pas conclure que l'assuré n'a aucune chance raisonnable de succès à l'encontre de la proposition faite par l'assureur. La difficulté de preuve de l'assuré ne doit pas être prise en considération par le Tribunal.

[33]        Le Tribunal doit permettre à l'assuré de faire valoir ses arguments de faits et de droit et l'assureur dans les présentes circonstances doit, à ce stade des procédures, remplir son obligation première de défendre son assuré.

Lloyd's a-t-elle le choix de son procureur?

[34]        En principe, l'assureur a le choix du procureur qui du point de vue pratique remplira l'obligation de défendre l'assuré que doit assumer l'assureur.

[35]        Dans la présente affaire Lloyd's a déposé sa défense et a mentionné ce qui suit, au paragraphe 22 de sa défense :

« Or, à la face même des allégués de l'action des demandeurs et tel qu'il le sera non seulement démontré à l'enquête, mais confirmé tant par Monsieur Luc Paré que par le couvreur qui a effectué les travaux au 338 Carlyle, à Ville Mont-Royal, soit Patrick Martin, la défenderesse Les Entreprises de Rénovation Pareco Inc. a fait défaut de respecter l'engagement formel qu'elle avait souscrit, le tout tel qu'il appert notamment des versions de Messieurs Luc Paré et de Patrick Martin, communiquées en liasse au soutien des présentes comme pièces DL-3; »

[36]        Ce paragraphe fait référence aux motifs de refus de défendre et d'indemniser l'assuré. À l'audition au mérite, l'assureur contestera des faits qui sont par ailleurs invoqués en partie par les demandeurs soit, plus particulièrement, que Pareco n'a pas respecté le délai normal de surveillance des lieux après l'exécution des travaux. L'assuré ne peut plus avoir confiance en l'avocat choisi par l'assureur. L'assureur ayant déjà fait son lit sur le caractère conflictuel quant aux fins de cette affaire. En conséquence, l'assurée retiendra un procureur pour le représenter au frais de l'assureur.

Pour ces motifs, le Tribunal :

Accueille la Requête de la défenderesse Pareco;

Ordonne à Lloyd's of London Canada d'assumer la défense de la défenderesse Pareco et de prendre en charge les frais liés à la défense relativement à la réclamation pour dommages et intérêts intentée par les demandeurs;

Ordonne à Lloyd's of London Canada de rembourser au procureur choisi par la défenderesse Pareco, les déboursés, frais d'expertise et honoraires de défense du procureur de la défenderesse Pareco à compter du présent jugement et jusqu'à ce que jugement final soit rendu dans le présent litige sous réserve de la présentation d'une Requête par Lloyd's of London Canada pour être relevée de son obligation d'assumer la défense, le cas échéant;

À défaut par Lloyd's of London Canada d'accepter le procureur proposé par la défenderesse Pareco, pour assumer sa défense :

Autorise Les Entreprises de Rénovations Pareco inc. à présenter une Requête afin de faire nommer tel procureur suivant les conditions que déterminera le Tribunal;

Le tout avec dépens.

 

 

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Yves Poirier, J.C.S.

 

Me Ricardo Hrtschan

Avocat

Procureur de la Partie Défenderesse-Requérante

 

Me Antoine St-Germain

Gasco Goodhue

Procureurs de la Partie Défenderesse-Intimée

 

 

Date d’audience :

29 mars 2010

 



[1] Nichols c. American Home Assurance Co., [1990] 1 R.C.S. 801  ;

[2] Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co., [2001] 2 R.C.S. 699 ; Non-Marine Underwriters, Lloyd's of London c. Scalera, [2000] 1 R.C.S. 551  ;

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