Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Lussier et CSSS Val-St-François (CLSC, CH, CHSLD)

2018 QCTAT 884

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Estrie

 

Dossier :

645872-05-1709

 

Dossier CNESST :

503050114

 

 

Sherbrooke,

le 16 février 2018

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Luce Boudreault

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France Lussier

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

CSSS Val-St-François (CLSC, CH, CHSLD)

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

INTRODUCTION

[1]           Madame France Lussier (la travailleuse) est auxiliaire familiale depuis 2005 pour le CSSS Val-St-François (CLSC, CH, CHSLD) (l’employeur).

[2]           Le 7 février 2017, elle quitte son domicile pour se rendre chez son premier client qu’elle devait voir à compter de 8 h. Elle est victime d’un accident de la route vers 7 h 45. Le médecin consulté le jour même fait état d’un traumatisme craniocérébral (TCC) léger, d’une entorse cervicale et d’une entorse lombaire.

[3]           La Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) refuse la réclamation de la travailleuse. Cette décision est confirmée en révision administrative. La travailleuse conteste ce refus devant le Tribunal administratif du travail (le Tribunal).

[4]           Il est admis par les parties qu’il s’agit ici d’un événement imprévu et soudain et que la travailleuse a subi une blessure.

[5]           La travailleuse prétend que ses blessures sont survenues à l’occasion du travail.

[6]           De son côté, l’employeur soutient que la travailleuse s’est blessée alors qu’elle était toujours dans sa sphère personnelle et que l’événement n’est pas survenu à l’occasion du travail.

[7]           Le Tribunal considère que le fait de se blesser lors d’un accident de voiture représente un événement imprévu et soudain. De plus, tout comme les parties au litige, le Tribunal écarte que cet événement soit survenu par le fait du travail puisqu’au moment où la travailleuse se blesse, elle n’exerce pas ses tâches d’auxiliaire familiale.

[8]           Le Tribunal juge cependant que cet événement est survenu à l’occasion du travail et que la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle.

ANALYSE

[9]           L’événement dont la travailleuse a été victime est-il survenu à l’occasion du travail?

[10]        La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi)[1] définit une lésion professionnelle comme étant notamment une blessure qui survient à l’occasion d’un accident du travail. Les diagnostics de TCC léger, d’entorse cervicale et d’entorse lombaire ne sont pas contestés et constituent des blessures.

[11]        La loi édicte qu’un événement imprévu et soudain qui survient à l’occasion du travail et qui entraîne une lésion professionnelle constitue un accident du travail.

[12]        L’événement imprévu et soudain est admis.

[13]        La loi ne définit pas la notion « à l’occasion du travail ». Toutefois, la jurisprudence[2], au fil des ans, a tracé un cadre d’analyse de cette notion reposant sur les critères suivants :

·                    le lieu de l’événement;

·                    le moment de l’événement;

·                    la rémunération de l’activité exercée par le travailleur au moment de l’événement;

·                    l’existence et le degré d’autorité ou de subordination de l’employeur lorsque l’événement ne survient ni sur les lieux ni durant les heures de travail;

·                    la finalité de l’activité exercée au moment de l’événement qu’elle soit incidente, accessoire ou facultative à ses conditions de travail;

·                    le caractère de connexité ou d’utilité relative de l’activité du travailleur en regard de l’accomplissement du travail.

[14]        Aucun de ces critères n’est prépondérant et ils doivent être appréciés les uns par rapport aux autres, à la lumière du contexte dans lequel survient l’événement imprévu et soudain. Le Tribunal accorde une attention particulière aux critères de la finalité de l’activité exercée et de la connexité de celle-ci en lien avec l’accomplissement du travail.

[15]        À l’audience, la travailleuse précise qu’elle commence le travail entre 7 h et 8 h, selon la première visite qui est mise à son horaire.

[16]        Le 7 février 2017, elle débute par la visite d’une cliente, prévue initialement en après-midi, et replacée à 8 h par l’employeur. Sans cette visite, elle se serait rendue directement au bureau pour 8 h cette journée-là.

[17]        Elle quitte donc son domicile pour se rendre chez sa première cliente. La chaussée est glissante, elle freine sans succès et emboutit la voiture qui est devant elle. Elle est conduite à l’hôpital en ambulance. Il est environ 7 h 45. La travailleuse précisera qu’elle se trouve alors à environ deux kilomètres du domicile de sa première cliente.

[18]        Ses frais de transport sont normalement payés par l’employeur du bureau jusqu’au domicile d’un client ou lors des déplacements entre deux clients. Les frais ne sont toutefois pas payés pour le déplacement entre chez elle et le premier client.

[19]        En contre-interrogatoire, la travailleuse mentionne qu’elle ne sait pas si elle était rémunérée au moment de l’accident.

[20]        Les représentants des parties déposent de la jurisprudence au soutien de leurs prétentions respectives.

[21]        Le Tribunal souligne tout d’abord qu’en ce qui concerne la notion « à l’occasion du travail », il faut éviter de chercher dans la jurisprudence des faits ou des critères qui peuvent s’appliquer à toutes les circonstances puisqu’il s’agit de cas d’espèce, dont les faits diffèrent d’une situation à l’autre.

[22]        Le Tribunal note en effet certaines nuances dans les décisions déposées. Dans l’affaire Larivière et C.L.S.C. J.-Octave Roussin[3], les faits se distinguent de la présente situation puisque la travailleuse, entre deux bénéficiaires, avait décidé d’aller dîner chez elle et c’est à ce moment qu’est survenu l’accident. Dans l’affaire Fortier et CLSC Basse-Ville-Limoilou-Vanier[4], la travailleuse avait terminé son temps de travail et l’accident est survenu à son domicile, sur son terrain. Dans la décision St-Georges et CLSC Hochelaga-Maisonneuve[5], la notion de lieu d’accès a plutôt été appliquée.

[23]        La situation dans l’affaire Gendron et Centre de santé Orléans[6] peut être considérée comme semblable à celle du présent dossier tout comme celle dans l’affaire CSSS Lucille-Teasdale et Rochelin[7]. Les deux décisions ont cependant mené à des résultats différents, d’où l’importance d’analyser les faits en l’espèce.

[24]        Quoiqu’on ne sache pas si la travailleuse était rémunérée au moment où elle a subi l’accident, le Tribunal retient que ce critère n’est pas déterminant pour solutionner le présent litige.

[25]        Le Tribunal estime que la situation permet de conclure que le déplacement effectué par la travailleuse pour se rendre chez sa première cliente faisait partie intrinsèque de son travail. Les déplacements chez des bénéficiaires font partie des tâches de son emploi. Elle est rémunérée pendant ses déplacements et l’employeur lui rembourse les frais de transport. Dans le présent dossier, l’accident du travail est survenu à proximité du domicile de la première bénéficiaire.

[26]        Le déplacement de la travailleuse vers ce domicile est non seulement utile et à l’avantage de l’employeur, il est une exigence de l’exécution de son travail. L’unique raison pour laquelle la travailleuse se trouvait ce jour-là, à cette heure, sur cette route était le travail, en l’occurrence pour se rendre chez sa première cliente. La travailleuse avait donc quitté la sphère personnelle pour entrer dans la sphère professionnelle. La finalité de l’activité exercée au moment de l’événement et l’utilité relative de cette activité en regard de l’accomplissement du travail sont ici démontrées.

[27]        Il n’y a pas lieu de faire de distinction lorsqu’il s’agit du premier client de la journée, du deuxième ou du quatrième. La finalité et le caractère professionnel de l’activité sont en effet les mêmes.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE la contestation déposée par madame France Lussier, la travailleuse;

INFIRME la décision rendue le 29 août 2017 par la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 7 février 2017.

 

 

 

__________________________________

 

Luce Boudreault

 

 

Monsieur Pierre Handfield

S.C.F.P.

Pour la partie demanderesse

 

Madame Marie-Ève Lachaine

CIUSSS DE L’ESTRIE (CONTENTIEUX)

Pour la partie mise en cause

 

Date de l’audience :                         12 février 2018

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Plomberie & chauffage Plombec inc. et Deslongchamps, C.A.L.P. 51232-64-9305, 17 janvier 1995, B. Lemay; Berra et Commission scolaire de Montréal, 2017 QCTAT 2398.

 

[3]           C.L.P. 120615-71-9907, 27 avril 2000, A. Suicco.

[4]           C.L.P. 166608-32-0108, 21 mars 2002, G. Tardif.

[5]           2016 QCTAT 1189, révision rejetée, 2016 QCTAT 5974.

[6]           C.L.P. 288036-31-0604, 27 novembre 2006, J.-L. Rivard.

[7]           2015 QCCLP 5870.

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