Section des affaires sociales
En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière
Référence neutre : 2017 QCTAQ 05573
Dossier : SAS-M-235798-1503
BENOÎT BOISSY
PRESHA BOTTINO
c.
RÉGIE DE L'ASSURANCE MALADIE DU QUÉBEC
[1] La requérante dépose un recours au Tribunal administratif du Québec (le Tribunal) à l’encontre d’une décision rendue après révision par l’intimée, la Régie de l’assurance maladie du Québec (la Régie ou la RAMQ), le 5 mars 2015. Par cette décision, la Régie refuse d’autoriser une augmentation mammaire avec mastopexie bilatérale.
[2] À l’audience tenue le 20 avril 2017, la requérante est présente, mais non représentée. Pour sa part, la Régie est représentée.
_______________________________________
[3] La Régie reçoit, le 10 juin 2014, une « Demande d’autorisation en plastie » signée par le docteur Jean-Pierre Borsanyi, en vue d’une augmentation mammaire avec mastopexie bilatérale. Il indique l’absence de limitations fonctionnelles d’ordre physique. Quant aux limitations fonctionnelles psychologiques, il n’en indique aucune, mais il écrit :
« Selon la patiente mais pas évaluée au pt de vue psychiatrique »
[4] Lors de son témoignage, la requérante confirme que docteur Borsanyi n’a procédé à aucune évaluation psychiatrique et qu’il ne l'a rencontré que quelques minutes.
[5] Le 20 août 2014, la Régie refuse la demande d’autorisation. Cette décision est contestée.
[6] Par la suite, la requérante autorise la Régie à obtenir divers documents, dont les notes médicales des docteurs Chantal Laflamme et André Beauchamp.
[7] Ainsi, en février 2014, docteur Beauchamp note que la requérante ne se sent pas belle, après cinq grossesses et cinq allaitements. Elle a l’impression que ses seins sont ptosés. Il retient un diagnostic de dépression.
[8] Le 24 mai 2014, docteur Beauchamp signe une lettre[1]. Il mentionne avoir évalué la requérante en février en raison d’une dépression. Il ajoute :
« […]
Suite au questionnaire je constate que les symptomes dépressifs de madame sont causés par l’aspect de ses seins, de sa poitrine qui affecte son apparence physique et même ses relations avec son conjoint.
Une discussion téléphonique avec une intervenante du CLSC qui a évalué Madame, me confirme mon évaluation et diagnostique même un état obsessif relié à son apparence physique.
Mon diagnostic est une ptose mammaire avec dépression majeure secondaire. Madame a été référée en plastie pour corriger la cause de son état psychologique. »
(Transcription conforme, mais notre soulignement)
[9] Le 7 juin 2014, docteure Laflamme signe une lettre dans le même sens que celle du docteur Beauchamp[2].
[10] En décembre 2014, docteur Beauchamp note un trouble dysmorphique sévère[3].
[11] Le 28 novembre 2014, la psychiatre Isabelle Forest évalue la requérante, à la demande du docteur Beauchamp. À cette époque, la requérante est âgée de 31 ans et elle travaille à temps plein comme technicienne de laboratoire dans une pharmacie depuis douze ans.
[12] Docteure Forest diagnostique une « dépression majeure légère engendrée par un trouble : peur de dysmorphie corporelle modérée à sévère ». À ce diagnostic s’ajoute celui de trouble anxieux non spécifique probable sous-jacent, de phobie spécifique de l’autoroute, sans agoraphobie et de traits de personnalité obsessionnels. L’autocritique de la requérante est qualifiée de faible à partielle.
[13] Docteure Forest recommande divers traitements, notamment de diminuer une médication contre l’insomnie (Imovane) et d’introduire un antidépresseur. Par ailleurs, elle ajoute :
« Je suis d’avis que madame puisse bénéficier partiellement de la chirurgie; il y a effectivement des séquelles lier à ses grossesse répétées. Par contre, madame a des enjeux psychologiques qui doivent être adressés puisque se perpétueront, pourront migrer vers d’autres problèmes. »
(Transcription conforme)
[14] Le 5 mars 2015, la Régie après révision confirme la décision initiale rendue le 20 août 2014. Cette décision est contestée, d’où le présent recours.
[15] Lors de son témoignage ainsi que dans sa requête introductive, la requérante reconnaît ne pas rencontrer les critères de l’article 22.c) viii du Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie[4] (le Règlement).
[16] Toutefois, elle estime que son état physique lui cause un préjudice psychologique et que celui-ci justifie le remboursement de la chirurgie.
[17] Par ailleurs, elle a témoigné à l’égard de son état psychologique, de son suivi médical et psychologique, de même que sur ses diverses tentatives infructueuses de prise d’antidépresseurs. Elle a commencé la médication vers mars 2015, soit une année après la demande d’autorisation déposée à la Régie.
[18] Elle précise n’avoir jamais revu la psychiatre Forest.
[19] Elle avait des problèmes d’insomnie, car elle cherchait des solutions pour amasser de l’argent en vue de la chirurgie.
[20] Elle pense beaucoup à son apparence physique, et ce, quotidiennement.
[21] Elle ne suit et n’a suivi aucune psychothérapie avec un thérapeute spécialisé en trouble de perception de l’image corporelle.
[22] Outre la requérante, le Tribunal a entendu le témoignage de la docteure Sylvie Bouchard, médecin évaluateur à l’emploi de la Régie. Elle a rendu la décision de première instance.
[23] À son avis, la requérante ne présente ni aplasie, ni hyperplasie, ni asymétrie mammaire. Elle ne satisfait pas également les critères de ptose mammaire.
[24] Elle estime que la requérante présente une obsession d’une dysmorphie corporelle (ou body dysmorphic disorder), telle que diagnostiquée par docteure Forest. En conséquence, la chirurgie demandée n’est pas le traitement médicalement requis pour une telle condition, selon la doctrine médicale déposée[5].
Analyse et motifs
[25] Les articles 3 de la Loi sur l’assurance maladie[6] et 22 du Règlement trouvent application au présent recours et se lisent ainsi :
« 3. Le coût des services suivants qui sont rendus par un professionnel de la santé est assumé par la Régie pour le compte de toute personne assurée, conformément aux dispositions de la présente loi et des règlements :
a) tous les services que rendent les médecins et qui sont requis au point de vue médical;
[…] »
« 22. Les services mentionnés sous cette section ne doivent pas être considérés comme des services assurés aux fins de la Loi :
[…]
c) tout service dispensé à des fins purement esthétiques. Sont notamment considérés comme tels, les services suivants :
[…]
viii. toute mammoplastie à moins que tel service ne soit rendu pour :
A) la correction d’aplasie mammaire;
B) la correction d’asymétrie sévère (au moins 150 grammes) ou d’hyperplasie sévère bilatérale (au moins 250 grammes par sein) ;
ou
C) la reconstruction ipsi ou controlatérale suite à une chirurgie mammaire considérée comme un service assuré.
[…] »
(Notre soulignement)
[26] Comme mentionné précédemment, la requérante reconnaît que sa condition ne rencontre pas les critères de l’article 22 c) viii du Règlement.
[27] En outre, à la lumière des photos contenues au dossier administratif et de la doctrine médicale déposée à l’audience[7], force est de conclure que la requérante ne présente pas de ptose mammaire importante ou même modérée.
[28] Il reste donc à déterminer si l’augmentation mammaire avec mastopexie bilatérale est médicalement requise.
[29] D’une part, le Tribunal accorde une valeur probante à l’opinion émise par la psychiatre Forest. En effet, son évaluation apparaît plus complète que les notes médicales rédigées par les docteurs Laflamme et Beauchamp.
[30] Or, selon docteure Forest, l’autocritique de la requérante est faible à modéré. En outre, elle présente un trouble : peur de dysmorphie corporelle d’intensité modérée à sévère[8], duquel découle une dépression majeure d’intensité légère.
[31] À cet égard, on mentionne notamment dans l’extrait du DSM 5 déposé à l’audience :
« […] A majority of individuals receive cosmetic treatment to try to improve their perceived defects. Dermatological treatment and surgery are most common, but any type (e.g., dental, electrolysis) may be received. Occasionally, individuals may perform surgery on themselves. Body dysmorphic disorder appears to respond poorly to such treatments and sometimes becomes worse. Some individuals take legal action or are violent toward the clinician because they are dissatisfied with the cosmetic outcome. »
(Notre soulignement)
[32] De cet extrait, le Tribunal conclut qu’une chirurgie n’est pas requise médicalement pour le traitement de l’obsession d’une dysmorphie corporelle. Parfois même, une telle chirurgie peut empirer la condition d’une personne souffrant de ce trouble.
[33] Dans un tel contexte, de l’avis des soussignés, la décision de la Régie est bien fondée.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal :
- REJETTE le recours; et
- CONFIRME la décision de la Régie.
Rousseau Landry Avocats
Me Danielle Tremblay
Procureure de la partie intiméekj
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.