Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

E.L. c. Commission scolaire des Draveurs

2017 QCCQ 2611

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GATINEAU

LOCALITÉ DE

GATINEAU

« Chambre civile »

N° :

550-32-023573-162

 

 

DATE :    

30 mars 2017

______________________________________________________________________

 

         SOUS LA PRÉSIDENCE DU JUGE STEVE GUÉNARD, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

E… L…

 

Demandeur

c.

 

COMMISSION SCOLAIRE DES DRAVEURS

 

           Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]   E... L...(ci-après le demandeur) est le père de X, né en 2001. 

[2]   X étudie à l’École du Bois-Joli, situé sur le territoire de la Ville de Gatineau, et ce, jusqu’à la fin de l’année scolaire 2012-2013. Le demandeur prend alors la décision de le retirer et de l’inscrire dans une école privée. 

[3]   Le demandeur poursuit la Commission scolaire des Draveurs (ci-après CSD), et ce, pour une somme de 15 000 $. La CSD chapeaute ladite école du Bois-Joli et en est responsable juridiquement. [1]

[4]   Le demandeur allègue que la CSD a fait défaut d’offrir à X les services d’orthopédagogie auxquels elle s’était engagée, et ce, par l’entremise d’un Plan d’intervention[2] signée par toutes les parties concernées et datée du 18 octobre 2012. 

[5]   Le demandeur réclame donc de la CSD le paiement d’une somme de 7500 $ représentant les frais d’orthopédagogie qu’il a dû débourser dans le secteur privé, ainsi qu’une somme de 7500 $ représentant les frais d’inscription dans une école privée, inscription qui se matérialise en 2013.

[6]   La CSD, pour sa part, prétend qu’elle a respecté l’ensemble des obligations légales qui lui sont dévolues, notamment en vertu de la Loi sur l’instruction publique[3]. (ci-après L.I.P.).  Elle réclame, par ailleurs, par voie de demande reconventionnelle, une somme de 1000 $ du demandeur considérant la mauvaise foi, dit-elle, et l’abus de procédure en raison de la production d’un « recours manifestement non fondé. »

QUESTIONS EN LITIGE

i)           Le demandeur s’est-il déchargé de son fardeau de démontrer, par prépondérance de preuve, que la CSD a commis une faute dans le cadre des services offerts à X?

ii)         Dans l’affirmative, quel montant de dommages peut être accordé dans les circonstances particulières du présent dossier?

CONTEXTE ET ANALYSE

[7]   Le demandeur s’intéresse de très près à l’éducation de son fils. Son témoignage devant le Tribunal le démontre de manière éloquente. 

[8]   Le demandeur reproche à la CSD d’avoir pris à la légère les difficultés de celui-ci. Ce reproche culmine au cours de l’année 2012-2013 alors que X refait, pour une deuxième fois, sa 4e année.

[9]   Les difficultés scolaires de X ne datent pas, ceci dit, de la 4e année. En effet, alors qu’il est âgé de 7 ans, X rencontre la psychologue Danielle Vallée Mirota. [4]  Après avoir rappelé que les résultats aux différents tests administrés permettent de situer X au 1er rang centile quant à la compréhension verbale[5], la Dre Vallée Mirota conclut comme suit :

« Les résultats de l’évaluation indiquent que X est un enfant intelligent, mais qui présente un sérieux trouble d’apprentissage verbal avec un léger trouble déficitaire de l’attention avec impulsivité et hyperactivité. De plus, c’est un enfant anxieux qui fait de son mieux pour réussir, mais qui se voit souvent en situation d’échec à cause de ses difficultés sur le plan verbal. »

[10]        La Dre Vallée Mirota recommande d’ailleurs, sur le plan scolaire de « S’assurer que les intervenants de l’école comprennent bien le niveau de fonctionnement de cet enfant et ses besoins d’encadrement. »

[11]        Ce rapport est connu de la CSD.

[12]        En début d’année scolaire 2011-2012, la mère de X signe une « Demande d’autorisation de service en orthopédagogie »[6]. Cette demande réfère à la possibilité pour X de bénéficier du service d’orthopédagogie mis en place à l’école, et ce, à raison de 3 fois/semaine pour la période de septembre 2011 à mai 2012.

[13]        La preuve démontre que X a pu bénéficier de ces services d’orthopédagogie pendant l’ensemble de l’année scolaire 2011-2012.

[14]        Par contre, la preuve démontre également que ses résultats scolaires demeurent faibles[7], à un point tel que la recommandation est que X redouble sa 4e année.[8]

[15]        La décision est prise, en effet, de lui faire redoubler sa 4e année.

[16]        Le bulletin final de X pour l’année 2011-2012[9] est signé par Mme Sylvie Farrell, directrice de l’école du Bois-Joli et comporte la mention suivante à la section « Cheminement scolaire » :

« L’élève poursuivra ses apprentissages dans la même classe, selon les modalités prévues dans son plan d’intervention. »

                                                                                            [nos soulignements]

[17]        Un plan d’intervention est un document établi conformément à la L.I.P. (en particulier l’article 235) ainsi qu’à la Politique d’organisation des services éducatifs aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, soit une politique de la CSD.[10]

[18]        Ladite Politique prévoit, en outre, ce qui suit :

« En conformité avec l’article 235 de la Loi sur l’instruction publique, la commission scolaire adopte la présente politique relative à l’organisation des services éducatifs aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage de l’ordre de l’enseignement préscolaire, primaire et secondaire. (…)

2.3 LES VOIES D’ACTION

La commission scolaire entend privilégier les voies d’action suivantes :

2.3.1 Reconnaitre l’importance de la prévention ainsi qu’une intervention rapide et s’engager à y consacrer des efforts supplémentaires, selon les ressources mobilisables.

2.3.3 Mettre l’organisation des services éducatifs au service des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, y compris les élèves à risque, en la fondant sur l’évaluation individuelle de leurs capacités et de leurs besoins (…)

2.3.4 Créer une véritable communauté éducative avec l’élève d’abord, ses parents puis les organismes de la communauté intervenant auprès des jeunes et les partenaires externes pour favoriser une intervention plus cohérente et des services mieux harmonisés. 

2.3.7 Soutenir toutes les voies d’action.

RESPONSABILITÉS

3.1 LA COMMISSION SCOLAIRE

3.1.10 S’assure que chaque école respecte les politiques et les procédures relatives aux services éducatifs adaptés à offrir aux élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, y compris les élèves à risque.

3.2 LA DIRECTION DE L’ÉCOLE

3.2.13  Détermine les mesures d’appui pédagogique en donnant la priorité à la prévention et en y attribuant des ressources humaines et financières afin de viser la réussite pour tous de manière différente, selon les capacités et les besoins de chaque élève.

3.2.15  Établit, avec la contribution des parents, un plan d’intervention, conformément aux politiques en vigueur à la commission scolaire, en décidant des mesures à prendre et en désignant les intervenants appropriés. Voit à sa réalisation et à son évaluation périodique et en informe régulièrement les parents. 

5.1 ÉLABORATION DU PLAN D’INTERVENTION

Le plan d’intervention est une œuvre de concertation qui vise essentiellement à aider l’élève à réussir. (…)

Au plan d’intervention sont consignés les capacités et les besoins de l’élève, les objectifs et les moyens retenus, ainsi que les intervenants impliqués dans sa mise en œuvre, et ce, selon un échéancier réaliste.

Le plan d’intervention est établi avec l’aide des parents de l’élève et l’élève concerné dans la mesure de ses capacités, du personnel qui intervient auprès de cet élève et des intervenants de tout autre organisme s’il y a lieu (…)  La direction s’assure de sa réalisation et de son évaluation périodique. (…)

Le plan d’intervention doit être mis en place le plus tôt possible en début d’année scolaire ou après la décision de la direction de l’école. Cette mise en place doit s’effectuer selon un processus continu, présent tout au long du parcours scolaire de l’élève.  

5.2 RÉALISATION DU PLAN D’INTERVENTION

À la suite de l’élaboration du plan d’intervention, chaque intervenant identifié pour dispenser des services à un élève est responsable de mettre en œuvre des actions appropriées aux besoins et précisées au plan d’intervention.

La direction de l’école s’assure que chaque intervenant évalue les progrès de l’élève et met en place des mécanismes d’information mensuelle aux parents. »

                                                                                                             [nos soulignements]

[19]        Conformément à la L.I.P. et à la Politique de la CSD, précitée, un Plan d’intervention est conclu et est signé par la mère de X, par son enseignante, par l’orthopédagogue de l’école (Mme Nicole Trudel) ainsi que par la Direction de l’école (M. Pierre Lacroix, directeur-adjoint). Ce Plan d’intervention est signé le 18 octobre 2012.

[20]        Ce Plan d’intervention prévoit, en toutes lettres, ce qui suit :

« Nous avons pris connaissance du plan d’intervention et nous nous engageons à collaborer à sa réalisation. »

[21]        Le Plan établit divers besoins prioritaires (en écriture, lecture et méthodes de travail). Le Plan précise également les « Mesures d’appui à l’élève », lesquels se lisent comme suit :

« Orthopédagogie 2 fois/semaine

Aide aux devoirs

Exiger qu’il se révise

Placer de façon stratégique en classe

L’encourager à prendre certains risques

Accorder plus de temps en évaluation

S’assurer de sa compréhension

Accorder plus de temps en évaluation »

[22]        Lesdites mesures d’appui sont mises sous la responsabilité de l’enseignante de X et de l’orthopédagogue.

[23]        Ainsi, les parties conviennent des mesures à prendre afin d’assister X dans la reprise de sa 4e année.

[24]        D’ailleurs, la preuve démontre que X bénéficie des services de l’orthopédagogue, à raison de 90 minutes/semaine, pour la période du 12 septembre au 12 octobre 2012.

[25]        Ceci dit, à une date que les représentants de la CSD n’ont pu établir précisément, il est déterminé que la méthode permettant d’offrir un service d’orthopédagogie aux étudiants qui en ont besoin est revampée. La nouvelle méthode est plutôt axée sur un service d’orthopédagogie plus « concentrée, condensée », qui fonctionne par blocs d’enseignement (un bloc représentant, plus ou moins, une période d’un mois). 

[26]        Cette nouvelle méthode, par blocs, est implantée, ce qui fait en sorte que X ne bénéficie pas de services d’orthopédagogie de la part de l’école du Bois-Joli, et ce, du 12 octobre 2012 jusqu’au mois de mars 2013 - soit une période de 5 mois.[11]

[27]        Personne à l’école, ni à la CSD, ne juge important d’en informer le demandeur ni la mère de X, signataire du Plan d’intervention.

[28]        Les parents de X apprennent la situation vers la fin décembre, et ce, en rediscutant spécifiquement de ce point avec leur fils.

[29]        La preuve de la CSD n’ayant pas établi à quel moment précis la décision fut prise de modifier la méthode liée à l’orthopédagogie, le Tribunal se permettra de formuler immédiatement la réflexion suivante :

[30]        De deux choses l’une : soit la décision de procéder à de l’orthopédagogie par blocs est déjà prise le 18 octobre 2012, auquel cas cet élément d’information aurait dû être communiqué aux parents de X, soit la décision est prise dans les jours qui suivent la signature du Plan d’intervention, auquel cas il est difficile de comprendre pour quel motif cette information cruciale n’est pas transmise aux parents de X, qui viennent tout juste de signer le Plan d’intervention.

[31]        Cette réflexion apparait d’autant plus appropriée que X, malgré des services d’orthopédagogie à temps plein, pour l’année scolaire 2011-2012, a failli celle-ci. 

[32]        Nous y reviendrons.

[33]        La preuve démontre que la note en français - lecture - de X chute considérablement pendant la période où il ne reçoit plus de services en orthopédagogie. En effet, X obtient une note de 79 % à la première étape, mais obtient une note de 54 % à la seconde étape.[12]

[34]        Sa moyenne en français, pour sa part, passe de 75 % à la première étape, à 61 % à la seconde.

[35]        La preuve démontre qu’une rencontre est organisée entre le demandeur et divers représentants de l’École du Bois-Joli, et ce, en début d’année 2013. Il appert que l’école est fermée au principe de prodiguer, du moins à court terme, des services d’orthopédagogie à X

[36]        Ainsi, c’est pour ce motif que le demandeur inscrit X à la Clinique d’apprentissage spécialisée, soit une clinique du secteur privé. X y reçoit sa première séance de « Rééducation orthopédagogique » le 23 janvier 2013.[13]

[37]        Suite à l’insistance du demandeur, les représentants de la CSD offrent d’établir un nouveau Plan d’intervention[14]. L’on y indique, dorénavant, que le service d’orthopédagogie se fera « par blocs »  Ce nouveau plan est daté du 9 mars 2013, il est signé par les représentants de la CSD, mais pas par le demandeur ni par la mère de X

[38]        Le demandeur témoigne à l’effet qu’il propose certains ajouts au Plan d’intervention, ainsi que le retrait des mots « par blocs ». Par contre, les représentants de la CSD refusent les modifications proposées. 

[39]        Les propositions d’ajout, par le demandeur, se basent notamment sur un rapport daté de février 2013, obtenu de la Clinique d’apprentissage spécialisée.[15] Ce rapport - en ergothérapie - comporte notamment 21 recommandations pour l’école. La série de recommandations est à ce point longue que même le demandeur admet, pendant son témoignage, qu’il ne pouvait pas s’attendre à ce que l’ensemble de ces recommandations soit suivi.

[40]        Le demandeur reproche également à la CSD de ne pas suivre les recommandations de ses propres intervenants, notamment quant aux bénéfices qui pourraient être retirés de l’utilisation, par X, d’un ordinateur portable comportant certains logiciels de correction d’orthographe-grammaire (Lexibar, Antidote).

[41]        La preuve démontre, ceci dit, que X recommence à bénéficier de services d’orthopédagogie auprès de l’École du Bois-Joli à compter du mois de mars 2013. 

[42]        Malgré cet état de fait, le demandeur prend la décision, conformément à son témoignage, dès le mois de mai 2013, d’inscrire son fils dans une école privée, soit le Centre académique de l’Outaouais (CADO).

[43]        L’analyse des résultats scolaires de X[16] démontre que ceux-ci augmentent suite au transfert dans le secteur privé, puis plongent de nouveau en deuxième secondaire[17] en français - langue d’enseignement.

AUTRES TÉMOINS PRODUITS PAR LE DEMANDEUR

[44]        Mme Sylvie Farrell, directrice de l’école du Bois-Joli, témoigne également, à la demande du demandeur. 

[45]        Elle indique au Tribunal que X a bénéficié, conformément à son Plan d’intervention, d’une aide soutenue en salle de classe, et ce, au quotidien.

[46]        Elle confirme, ceci dit, que l’année 2012-2013 en fut une de transition, en ce que l’offre de services en orthopédagogie - par blocs - constitue un changement de philosophie par rapport aux années antérieures, en particulier en comparaison avec l’année 2011-2012. À ce titre, le personnel était d’ailleurs en formation en particulier vu l’utilisation d’un nouveau gabarit de Plan d’intervention.

[47]        Considérant que Mme Farrell signe, le 18 octobre 2012, le Plan d’intervention de X, alors que ce dernier est déjà - ou sera sous peu - retranché du service d’orthopédagogie en continu - elle explique qu’elle ne sait pas, au moment de sa signature, si X bénéficie encore du service d’orthopédagogie.

[48]        Mme Farrell précise, par ailleurs, que le Plan d’intervention constitue un document évolutif, qui n’est pas statique dans le temps.

[49]        Par contre, Mme Farrell admet, candidement, que la situation particulière entourant X résulte « d’un manque de communication ». Elle confirme « qu’habituellement, on informe le parent » du retrait de l’enfant du service d’orthopédagogie.

[50]        Elle témoigne, par ailleurs, que l’enfant X est, ultimement, au cours de l’année 2012-2013, en situation de réussite scolaire, tout en admettant qu’il éprouve des difficultés au 3e bloc (soit la période s’échelonnant entre le 3 décembre 2012 et le 18 janvier 2013).

[51]        Elle termine son témoignage en précisant qu’à son avis, X n’a pas été privé de services en orthopédagogie vu qu’en fait, il a pu bénéficier de services plus « concentrés » en début - et en fin d’année.

[52]        Le demandeur fait également témoigner M. Pierre Lacroix, Directeur adjoint de l’École du Bois-Joli. 

[53]        Ce dernier confirme que les décisions reliées aux différents Plans d’intervention sont prises en collégialité. Il confirme que les Plans d’intervention font souvent l’objet de modifications en cours d’année, et ce, afin de s’adapter aux besoins de l’élève et des moyens requis pour atteindre ceux-ci.

[54]        M. Lacroix précise que X a bénéficié de l’aide des différents intervenants et qu’il a pu bénéficier de services en orthopédagogie à « certaines époques » de l’année. Il rappelle, également, que X était en situation de réussite pour l’ensemble de l’année 2012-2013. 

[55]        M. Lacroix se réfère également à la Pièce D-15, soit un document préparé par Mme Nicole Trudel, orthopédagogue. Dans ce document, celle-ci dresse le bilan du service orthopédagogique pour l’année 2012-2013, tout en proposant des solutions pour l’année 2013-2014. On peut y lire ce qui suit :

« Déterminer quels élèves seront priorisés pour chacun des blocs fût (sic) l’étape la plus difficile et déchirante du fonctionnement par bloc. Parfois, nous avons retiré du service des élèves en échec qui persévéraient malgré leur difficulté pour prioriser d’autres élèves en échec qui n’avaient pas encore reçu de soutien. Rares sont les élèves qui ont été vus en continu, le soutien reçu a varié entre 1 et 5 blocs.

Avec cette grande quantité d’élèves en difficulté, le service d’orthopédagogie ne peut répondre aux besoins spécifiques des élèves. Les groupes d’élèves sont formés par groupe-classe et non par groupe-besoin. De plus, le temps alloué aux élèves ne permet pas d’évaluer les besoins spécifiques de ces derniers et de faire des activités de rééducation. De même, le temps consacré aux échanges avec les enseignantes sur les suivis des élèves est escamoté. Les tâches de l’orthopédagogue deviennent donc davantage de la différentiation et de la récupération au détriment d’activités rééducatives. »

(…)

[56]        Le demandeur fait également témoigner Mme Nancy Gauthier, soit l’enseignante de X en 2012-2013. 

[57]        Le Tribunal en retient que Mme Gauthier témoigne à l’effet que « lorsqu’un enfant est en situation de réussite, qu’on est content ». Elle précise que la première étape de X - en 2012-2013 - était satisfaisante, mais qu’elle s’est rendu compte que X se retrouvait sur une pente descendante par la suite. « Oups » dira-t-elle. 

[58]        Elle précise qu’il faut relativiser ladite pente descendante, considérant qu’une année scolaire - au niveau primaire - se divise en 3 étapes - la première et la seconde ne comptant que pour 20 % chacune de la note finale de l’étudiant pour l’ensemble de l’année.[18] 

[59]        Bref, elle indique que son très mauvais résultat (54 %) en lecture à la seconde étape ne mettait pas nécessairement en péril son année scolaire, car il n’était pas, de manière globale, en situation d’échec.

[60]        Elle termine son témoignage en précisant que X suivait généralement bien en classe.

[61]        Le dernier témoin entendu à la demande du demandeur est Mme Nicole Trudel, orthopédagogue. 

[62]        Elle confirme que X a pu bénéficier, en priorité, au Bloc 1 (soit la période du 12 septembre au 12 octobre 2012) de services en orthopédagogie. 

[63]        Elle confirme, ceci dit, qu’elle a constaté les « difficultés persistantes de X en matière d’orthographe, bien qu’il soit en situation de réussite pour l’année 2012-2013, qu’il « suit le rythme » et qu’il est « épanoui ».

[64]        Elle indique cependant qu’elle ne sait pas, en 2013, que X bénéficie de services d’orthopédagogie du secteur privé aux frais de ses parents. 

[65]        Elle indique, ceci dit, qu’elle croit que le service d’orthopédagogie fut « plus intensif et plus efficace » en 2012-2013 comparativement à 2011-2012. Elle confirme que le service en 2011-2012 constitue, pour X un service de 3 séances/semaine d’orthopédagogie - de 30 minutes chacune - pour un total de 90 minutes/semaine

[66]        Le service qualifié par la CSD de « plus intensif » de 2012-2013, pour sa part, comporte 2 séances de 45 minutes chacune - pour un total de 90 minutes/semaine.

[67]        Bref, et avec égards, le Tribunal voit mal en quoi la nouvelle mécanique mise en place en 2012-2013, était plus intensive que celle mise en place en 2011-2012. À tout événement, plusieurs des représentants de la CSD ont répété que le nouveau service était « plus concentré, plus condensé, plus intensif », mais ces formules de style n’ont pas été étoffées ou expliquées de manière concrète et pratico-pratique - et assurément pas pour le cas spécifique de X

[68]        Mme Trudel confirme, par ailleurs, au Tribunal, que les mots « par blocs » auraient dû être indiqués au Plan d’intervention, ce qui ne fut pas le cas. Il s’agit d’une « petite erreur », dit-elle.

[69]        Quant à l’aide technologique réclamée par le demandeur et discutée précédemment, elle indique au Tribunal que cette aide (ordinateur et logiciel) ne constitue pas une recette miracle, en particulier car l’apprentissage initial est normalement difficile et mieux adapté à des élèves un peu plus vieux que X

[70]        La preuve en défense est succincte. Mme Jacynthe Tissot témoigne. Elle est coordonnatrice des services de l’adaptation scolaire et des services complémentaires pour la CSD.

[71]        Elle organise les services pour les enfants dits « à risque » et elle est gestionnaire des ressources éducatives depuis 8 ans.

[72]        Elle précise tout d’abord que les recommandations reçues de l’externe (du secteur privé en particulier) ne lient pas les Commissions scolaires considérant que ces dernières bénéficient déjà des services de professionnels dans les différents domaines pertinents à l’éducation de jeunes élèves comme X

[73]        Elle confirme l’utilité du Plan d’intervention, tout en précisant qu’il s’agit là d’un outil de concertation[19], évolutif, qui peut être modifié et réévalué au besoin par « l’équipe-école »

[74]        Cette « équipe-école » comprend l’enseignant(e), l’orthopédagogue et la Direction. 

[75]        Mme Tissot témoigne également à l’effet que la nouvelle méthodologie quant à l’orthopédagogie en faisait un service plus « intense » et qu’il est faux de prétendre que X a « été privé de services » considérant qu’il a pu bénéficier, au quotidien, de l’aide de son enseignante.

[76]        Quant à l’outil pédagogique, elle témoigne à l’effet que celui-ci n’était pas nécessaire dans les circonstances considérant que X était en situation de réussite.

[77]        Par contre, lorsque questionnée quant à l’efficacité de la nouvelle mouture du programme d’orthopédagogie en ce qui concerne spécifiquement X, Mme Tissot précise qu’elle n’est pas impliquée directement quant à celui-ci et qu’elle ne peut donc pas témoigner spécifiquement quant à l’efficacité du nouveau programme quant à X 

[78]        Elle indique, par ailleurs, que les services d’orthopédagogie ne sont pas là, en principe, afin de pallier à des retards d’apprentissage, mais qu’ils servent plutôt à aider l’enfant à « apprendre à apprendre ».

[79]        À la fin de l’audition, le représentant de la CSD, M. Patrick Courville, Secrétaire général, indique au Tribunal que cette dernière abandonne sa demande reconventionnelle, et ce, à titre de « geste de bonne foi ».

[80]        Il précise que les décisions prises pour le cas de X n’ont, en aucune circonstance, été dictées en raison de considérations budgétaires. Il précise, au contraire, que le système plus intensif d’orthopédagogie - avec transfert en salle de classe au quotidien par l’entremise de l’enseignante - est un système approprié qui fonctionne bien.

[81]        Quant aux outils technologiques, M. Courville précise qu’il ne s’agit pas là d’une panacée, que ceux-ci sont utilisés avec beaucoup de prudence, de peur que ces outils deviennent des béquilles pour les élèves.

[82]        M. Courville réfère, par ailleurs, le Tribunal à une résolution prise le 3 mars 2016 par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse qui conclut qu’aucune preuve convaincante de discrimination n’a été faite en l’espèce en lien avec le retrait des services d’orthopédagogie au bénéfice de X [20]

[83]        M. Courville convient, cependant, avec le Tribunal, que le prisme d’analyse, ici pertinent, est différent considérant que le demandeur n’allègue pas l’existence d’une discrimination au détriment de son fils, mais bien d’une faute de la CSD dans le soutien accordé à ce dernier. 

[84]        M. Courville conclut en rappelant au Tribunal que X a terminé l’année 2012-2013, au niveau du Français-langue d’enseignement, avec une note de 69 %, alors que la moyenne du groupe est de 70 %.[21]  Il précise avec fierté que ce résultat final est d’abord et avant tout dû notamment au travail des intervenants de la CSD. 

LE DROIT APPLICABLE ET DÉCISION

[85]        La L.I.P. comporte diverses dispositions pertinentes à l’analyse et qui sont citées au Tribunal tant par le demandeur que par la CSD. Ces dispositions vont comme suit :

« 1. Toute personne a droit au service de l’éducation préscolaire et aux services d’enseignement primaire et secondaire prévus par la présente loi et le régime pédagogique établi par le gouvernement en vertu de l’article 447, à compter du premier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire où elle a atteint l’âge d’admissibilité jusqu’au dernier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire où elle atteint l’âge de 18 ans, ou 21 ans dans le cas d’une personne handicapée au sens de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale (chapitre E-20.1).

Elle a aussi droit, dans le cadre des programmes offerts par la commission scolaire, aux autres services éducatifs, complémentaires et particuliers, prévus par la présente loi et le régime pédagogique visé au premier alinéa ainsi qu’aux services éducatifs prévus par le régime pédagogique applicable à la formation professionnelle établi par le gouvernement en vertu de l’article 448. (…)[22]

96.14. Le directeur de l’école, avec l’aide des parents d’un élève handicapé ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, du personnel qui dispense des services à cet élève et de l’élève lui-même, à moins qu’il en soit incapable, établit un plan d’intervention adapté aux besoins de l’élève. Ce plan doit respecter la politique de la commission scolaire sur l’organisation des services éducatifs aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage et tenir compte de l’évaluation des capacités et des besoins de l’élève faite par la commission scolaire avant son classement et son inscription dans l’école.

Le directeur voit à la réalisation et à l’évaluation périodique du plan d’intervention et en informe régulièrement les parents.

207.1. La commission scolaire a pour mission d’organiser, au bénéfice des personnes relevant de sa compétence, les services éducatifs prévus par la présente loi et par les régimes pédagogiques établis par le gouvernement.

La commission scolaire a également pour mission de promouvoir et valoriser l’éducation publique sur son territoire, de veiller à la qualité des services éducatifs et à la réussite des élèves en vue de l’atteinte d’un plus haut niveau de scolarisation et de qualification de la population et de contribuer, dans la mesure prévue par la loi, au développement social, culturel et économique de sa région.

208. La commission scolaire s’assure que les personnes relevant de sa            compétence reçoivent les services éducatifs auxquels elles ont droit en vertu de la présente loi. (…)

234. La commission scolaire doit, sous réserve des articles 222 et 222.1, adapter les services éducatifs à l’élève handicapé ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage selon ses besoins, d’après l’évaluation qu’elle doit faire de ses capacités selon les modalités établies en application du paragraphe 1° du deuxième alinéa de l’article 235.

235. La commission scolaire adopte, après consultation du comité consultatif des services aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, une politique relative à l’organisation des services éducatifs à ces élèves qui assure l’intégration harmonieuse dans une classe ou un groupe ordinaire et aux autres activités de l’école de chacun de ces élèves lorsque l’évaluation de ses capacités et de ses besoins démontre que cette intégration est de nature à faciliter ses apprentissages et son insertion sociale et qu’elle ne constitue pas une contrainte excessive ou ne porte pas atteinte de façon importante aux droits des autres élèves.

Cette politique doit notamment prévoir :

1° les modalités d’évaluation des élèves handicapés et des élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, lesquelles doivent prévoir la participation des parents de l’élève et de l’élève lui-même, à moins qu’il en soit incapable;

2° les modalités d’intégration de ces élèves dans les classes ou groupes ordinaires et aux autres activités de l’école ainsi que les services d’appui à cette intégration et, s’il y a lieu, la pondération à faire pour déterminer le nombre maximal d’élèves par classe ou par groupe;

3° les modalités de regroupement de ces élèves dans des écoles, des classes ou des groupes spécialisés;

4° les modalités d’élaboration et d’évaluation des plans d’intervention destinés à ces élèves.

Une école spécialisée visée au paragraphe 3° du deuxième alinéa n’est pas une école visée par l’article 240.

236. La commission scolaire détermine les services éducatifs qui sont dispensés par chaque école.

[86]        Le Règlement sur le Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire[23] prévoit également diverses dispositions permettant d’éclairer les parties et le Tribunal quant aux obligations de la CSD. Ces dispositions se lisent comme suit :

« 1. Les services éducatifs offerts aux élèves comprennent des services d’éducation préscolaire, des services d’enseignement primaire et secondaire, des services complémentaires et des services particuliers.

 SECTION I

SERVICES DE L’ÉDUCATION PRÉSCOLAIRE ET SERVICES D’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE ET SECONDAIRE 

2. (…)

Les services d’enseignement primaire ont pour but de permettre le développement intégral de l’élève et son insertion dans la société par des apprentissages fondamentaux qui contribueront au développement progressif de son autonomie et qui lui permettront d’accéder aux savoirs proposés à l’enseignement secondaire.

SECTION II

 SERVICES COMPLÉMENTAIRES 

3. Les services complémentaires ont pour but de favoriser la progression de l’élève dans ses différents apprentissages.

4. Les services complémentaires devant faire l’objet d’un programme en vertu du premier alinéa de l’article 224 de la Loi sur l’instruction publique (chapitre I-13.3) sont des services :

1° de soutien qui visent à assurer à l’élève des conditions propices d’apprentissage; (…)

5. Doivent faire partie des services complémentaires visés à l’article 4 des services : (…)

d’orthopédagogie;

                                                                                                             [nos soulignements]

 

[87]         En l’espèce, les parties ne s’entendent pas sur la nature et l’intensité des obligations de la CSD. 

[88]        Le demandeur prétend que la CSD a l’obligation de fournir tous les services requis par l’état de son fils, et ce, dès qu’un besoin existe. Selon le demandeur, la CSD a clairement une obligation de résultat quant aux démarches à effectuer. 

[89]        Afin de supporter son propos, le demandeur se base en grande partie sur une décision de la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Moore c. Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique et autres[24].

[90]        Dans cette affaire, la Cour Suprême a conclu que le jeune Jeffrey Moore avait été victime de discrimination, lui qui était atteint de dyslexie grave. Le « Board of Education of School District No.44 (North Vancouver) » s’était défendu d’avoir discriminé le jeune Jeffrey, et ce, en argumentant principalement que la décision d’annuler un programme d’éducation spécialisé avait surtout été prise pour des motifs d’ordre budgétaire.  [25]

[91]        Citant avec approbation la Juge Rowles, dissidente à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, la Cour Suprême mentionne :

« Sans de telles mesures d’éducation spécialisée, l’élève ayant des difficultés ne peut jouir d’une manière égale aux autres du service visé, à savoir l’éducation publique. »

[92]        Ceci dit, nous devons relativiser la comparaison entre la trame factuelle de ce dossier et le présent cas. À cet égard, le Tribunal prend note des propos suivants de la Cour Suprême :

Le Tribunal a jugé que Mme Waigh a reconnu que les services du Centre de diagnostic auraient été bénéfiques à Jeffrey, et il a souligné ce qui suit :

« Mme Tennant a décrit le cas de Jeffrey comme étant l’un des pires qu’elle ait jamais vu au cours de ses nombreuses années d’expérience. À son avis, Jeffrey avait besoin d’un enseignement individualisé très intensif, dans un cadre conçu pour réduire au minimum les distractions. Elle était d’avis que Jeffrey avait besoin de mesures de remédiation intensives qui, dans le district, étaient uniquement offertes par le Centre de diagnostic. »

                                                                                    [nos soulignements]

[93]        Le Tribunal note, par ailleurs, que la Cour Suprême, dans cette affaire, rappelle, en son paragraphe 46, que les Tribunaux doivent tout de même faire preuve de déférence eu égard aux décisions en matière de prestation de services éducatifs. 

[94]        Dans notre cas d’espèce, le Tribunal considère que la Politique adoptée par la CSD, à savoir la Politique d’organisation des services éducatifs aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage respecte le standard exigé par l’article 235 de la L.I.P. Ladite Politique établit les objectifs et responsabilités des différents intervenants, et ce, en termes clairs.

[95]        La Cour Supérieure du Québec, sous la plume de l’Honorable Juge André Roy, J.C.S., tranche, en 2010, dans l’affaire Desgagné[26] un recours collectif institué par divers parents en raison de services qualifiés d’insuffisants par les demandeurs pour leurs enfants atteints de la dyslexie. 

[96]        Le Juge Roy rappelle dans cette décision que l’obligation des Commissions scolaires en est une de moyen, et ce, en ces termes :

« [34] Pour ce qui a trait aux commissions scolaires, leur obligation en est une de moyens par opposition à un devoir de résultat. Seule la preuve qu’elles ont fait défaut d’agir de façon raisonnablement prudente et diligente permettrait de conclure à une faute susceptible d’engager leur responsabilité. »

[97]        Le Juge Roy précise également les obligations d’une commission scolaire, et ce, de la manière suivante :

[360] De façon générale, une commission scolaire doit s’assurer que les personnes relevant de sa compétence reçoivent gratuitement les services éducatifs auxquels elles ont droit en vertu de la L.I.P.  En principe, elle doit les organiser elle-même. (…)

[363] La commission scolaire doit adapter les services éducatifs à l’élève handicapé ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage selon ses besoins, d’après l’évaluation qu’elle doit faire de ses capacités. 

[562] La L.I.P. ne garantit pas le droit à tous les services de son choix, mais plutôt le droit à des services éducatifs adaptés à l’élève qui souffre d’un trouble d’apprentissage selon ses besoins et ses capacités. C’est ce que les enfants des demandeurs ont reçu.

[98]        Dans un contexte différent, mais dans lequel les enseignements sont utiles, la Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Commission scolaire de Montréal[27], rappelle ce qui suit :

« [33] (…) Il n’existe aucune présomption en faveur ou en défaveur du bien-fondé d’une décision d’une commission scolaire.

[35] Le Tribunal s’est donc bien dirigé dans la reconnaissance des principes applicables et il lui appartenait de vérifier si la Commission scolaire a respecté la loi en procédant à une évaluation suffisante de l’enfant, notamment de ses capacités et besoins, et si elle a élaboré un plan d’intervention permettant une intégration en classe ordinaire. Bref, il lui appartenait d’évaluer le sérieux et la suffisance du processus suivi par la Commission scolaire et c’est ce qu’il a fait. »

[99]        L’Honorable Juge Jacques Babin, J.C.S., dans l’affaire Lagacé c. Commission scolaire du Fleuve-et-des-Lacs[28], devait analyser le bien-fondé de la réclamation des demandeurs qui réclamaient de ladite Commission scolaire un montant de 1 303 500 $, et ce, pour ne pas leur avoir apporté l’aide et le soutien afin de permettre la « scolarisation normale de leur fils, ce « qui les a obligés à le retirer de l’école Marie-Reine-des-Cœurs qu’il fréquentait alors, (…) pour l’inscrire dans une école privée. »

[100]     Le Juge Babin concluant au rejet du recours, mentionne ce qui suit :

[506] Le fardeau de la preuve en la présente instance reposait sur les épaules des demandeurs, qui ne s’en sont pas déchargés.

[507] Ils devaient démontrer une faute de la défenderesse, ce qu’ils n’ont pas fait.

[508]     Le tribunal est convaincu que les représentants de la défenderesse n’ont rien fait pour nuire à X et/ou l’empêcher d’obtenir un enseignement de qualité, au contraire.

[509]     Et toutes les décisions qui ont été prises au cours de l’automne 2009 par les divers représentants de la défenderesse, puisque c’est la période visée par le recours des demandeurs, l’ont été de bonne foi.

[510]     Les demandeurs n’ont apporté aucune preuve à l’effet que la défenderesse ait agi de façon abusive, discriminatoire ou encore de mauvaise foi. Et comme l’indiquait le juge André Biron dans l’affaire Boisselle c. Commission scolaire des Chênes :

Quoi qu’il en soit, le Tribunal est d’avis que la Commission n’a pas exercé sa discrétion à des fins impropres, non prévues par la loi, ni de mauvaise foi, ni selon des principes erronés ou en tenant compte de considérations non pertinentes, ni d’une façon discriminatoire et injuste, arbitraire ou déraisonnable.

[511]     Il ne faut pas perdre de vue que la défenderesse n’avait pas une obligation de résultat en ce qui concerne la réussite scolaire de X.

[512]     L’obligation d’une commission scolaire en est plutôt une de moyens, à l’égard des services éducatifs qu’elle doit dispenser aux élèves qui fréquentent ses établissements.

                                                                                                    [références omises]

                                                                                                             [nos soulignements]

 

[101]     Rappelant également l’obligation de moyens à laquelle sont soumises les commissions scolaires, la Cour du Québec, dans l’affaire L.H. c. Commission scolaire des Grandes-Seigneuries[29], énonçait ce qui suit :

[30] Comme l’exprimait le juge Bellavance, les tribunaux ont indiqué à de nombreuses reprises qu’il n’y a pas lieu pour eux de substituer leurs valeurs et leur jugement à celui des commissaires, qui au surcroît sont des élus, mais de voir si le processus suivi respecte la loi et les règles élémentaires de la justice.

[31] C’est la Loi d’instruction publique qui prescrit les fonctions, les pouvoirs et les droits de l’élève, des parents, des enseignants et enseignantes de l’école, des commissions scolaires, du ministère de l’Éducation et du ministre.   

[38] Quant à cette identification de la difficulté ou du handicap, la commission scolaire n’a certainement pas un devoir de résultat; elle a plutôt une obligation de moyens.

[39] La commission scolaire a le devoir de prendre les mesures raisonnables.

[44] La commission scolaire a une politique relative à l’organisation des services éducatifs aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage. Cette politique est conforme à l’article 235 de la Loi sur l’instruction publique. Dans les circonstances de la présente affaire, la Commission scolaire a appliqué correctement sa politique.

[46] Or, selon la preuve, la commission scolaire a pris les bons moyens. Et finalement, les parents eux aussi, ont pris le bon moyen, soit le recours à une spécialiste pour identifier la déficience ou le handicap.

[49] À ce moment, soit à l’automne 2002, la collaboration des parents était pour le moins réticente. Le Tribunal ne leur reproche pas, il s’agit de leur enfant et ils ont cru à une obligation de résultat de la part de la commission scolaire, voire même à des résultats rapides.

[50] Mais de l’ensemble de la preuve, le Tribunal ne peut arriver à la conclusion que la commission scolaire n’a pas rempli son obligation de moyens. 

                                                                                                            [nos soulignements]

 

[102]     Ces principes mis de l’avant, la preuve produite par le demandeur démontre-t-elle, par prépondérance[30] une faute de la part de la CSD et ainsi, un non-respect de son obligation de moyens?

[103]     Le Tribunal considère que la preuve démontre, par prépondérance, que la CSD n’a pas, - pour X spécifiquement - rempli son devoir d’agir avec prudence et diligence. Par contre, et pour les motifs mentionnés ci-après, le Tribunal ne fera droit qu’à une portion de la réclamation du demandeur.

[104]     En effet, le Tribunal constate que l’ensemble des intervenants au dossier sont des gens de bonne foi et compétents. Ceci dit, il arrive parfois que des gens compétents et de bonne foi en viennent à « échapper le ballon » dans un cas précis.

[105]     Voici pourquoi.

[106]     Malgré la déférence requise quant aux décisions de nature plus politique et discrétionnaire de la CSD, cette dernière demeure une personne morale de droit public qui est soumise aux règles de la responsabilité civile.[31]

[107]     En l’espèce, le cas de X est particulier. Le Tribunal retient ce qui suit :

i)           X est identifié à un jeune âge comme nécessitant un support académique particulier;

ii)         Ses résultats scolaires, particulièrement en français, confirment ce constat;

iii)        En 2011-2012, un service d’orthopédagogie 3 fois/semaine (totalisant 90 minutes) est accordé à X  Malgré cette aide, il n’obtient que 58 % en français et on lui recommande de redoubler son année - ce qui sera en effet l’option retenue.

iv)        X débute l’année scolaire 2012-2013 en bénéficiant, pour la période du 12 septembre au 12 octobre 2012, de services en orthopédagogie.

v)          Alors que la première étape n’est pas terminée (celle-ci s’échelonnant jusqu’en novembre 2012), les représentants de la CSD décident, à une date précise qui demeure inconnue, de retirer X du service d’orthopédagogie dont il a bénéficié au « bloc 1. »;

vi)        Les représentants de la CSD et la mère de X signent, le 18 octobre 2012, un Plan d’intervention, dans lequel il est indiqué clairement que X bénéficiera du service d’orthopédagogie 2 fois/semaine.

vii)       Il est très raisonnable, à ce moment, pour le demandeur de comprendre que son fils pourra bénéficier, pour l’ensemble de l’année 2012-2013, des services d’orthopédagogie prévus au Plan d’intervention. Après tout, tel fut le cas en 2011-2012 et personne ne lui précise le contraire lors des discussions quant au Plan d’intervention pour l’année 2012-2013. 

viii)      En raison de la nouvelle méthodologie prétendument « plus concentrée, plus intensive et plus efficace », on retire X dans les jours précédents, ou dans les jours suivants, le 18 octobre 2012.

ix)         Les représentants de la CSD n’en informent aucunement les parents de X qui l’apprennent avec stupéfaction à la fin décembre 2012;

x)           Ce qui devait arriver, arriva, hélas - les résultats scolaires de X en français piquent à nouveau du nez. Une chute de 25 % entre la première et la seconde étape (de 79 % à 54 %) n’est pas banale.

[108]     Le Tribunal conçoit et concède à la CSD que le Plan d’intervention est un document évolutif qui peut être modulé. Le Tribunal ne peut concevoir, cependant, dans l’espèce particulière qui lui est soumise, que ce Plan peut être malléable au point d’être modifié, hors la connaissance des parents, et ce, dans les jours précédant ou suivant la signature du Plan. 

[109]     Tant le Plan que la Politique précitée de la CSD établissent que les parties s’engagent « à collaborer à sa réalisation ».

[110]     De conclure que la CSD a respecté son obligation de moyens en l’espèce pour une certaine période en 2012-2013 viderait de tout son sens le contenu du Plan d’intervention. 

[111]     De plus, bien que certains représentants de la CSD aient qualifié la nouvelle mouture du programme d’orthopédagogie de « plus condensée, concentrée, intensive, etc. », la preuve prépondérante ne l’a pas du tout démontré.

[112]     En effet, et avec égards, la réalité est à l’effet qu’un programme d’orthopédagogie de 3 fois 30 minutes/semaine pendant l’année complète fut remplacé, en ce qui concerne X par un programme de 2 fois 45 minutes/semaine pendant un mois en début d’année et à compter de mars 2013.

[113]     Peu importe la façon que ce programme puisse être analysé, le Tribunal ne peut considérer que X n’a pas été « privé du service d’orthopédagogie » auquel le Plan d’intervention référait.

[114]     Comme l’ont confirmé les témoins travaillant pour la CSD, il y a eu ici un manque de communication. Au minimum, le fait que le programme d’orthopédagogie fonctionnerait dorénavant par blocs aurait dû être mentionné au demandeur avant la signature du Plan d’intervention, et assurément à la première occasion dès la modification.

[115]     Cela aurait constitué, avec égards, la chose prudente, raisonnable et diligente à faire dans les circonstances.

LE MONTANT RÉCLAMÉ

[116]     Tel qu’indiqué précédemment, le demandeur réclame 7500 $ représentant les frais d’orthopédagogie qu’il a dû débourser dans le secteur privé, ainsi qu’une somme de 7500 $ représentant les frais d’inscription dans une école privée.

[117]     Les dommages pouvant être octroyés, que ce soit en matière contractuelle ou extracontractuelle, sont ceux qui constituent une suite immédiate et directe de la faute commise.[32]

[118]     Dans le présent dossier, le Tribunal a pris connaissance du détail des Pièces P-1 à P-3, soit le détail de la réclamation du demandeur. 

[119]     Considérant que le demandeur apprend, à la fin décembre, que son fils ne bénéficie pas du service d’orthopédagogie depuis la mi-octobre et qu’il tente à ce moment de l’aider à « remonter la pente » et de récupérer le temps perdu, le Tribunal considère approprié d’accorder au demandeur le remboursement des frais d’orthopédagogie engagés pour la période s’étalant du 23 janvier 2013 au 11 juin 2013, soit 16 séances à 65 $/séance, soit un montant de 1040 $.

[120]     Le Plan d’intervention prévoyait la fourniture de certains services - services qui n’ont finalement pas été prodigués. Le montant alloué de 1040 $ compense pour le préjudice subi en résultant.

[121]     Qu’en est-il du reste de la réclamation?

[122]     L’article 1479 CCQ prévoit le principe qu’une victime doit minimiser les dommages subis. Il s’agit d’une obligation de moyens. Cet article énonce :

« La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter. »

[123]     En l’espèce, le demandeur témoigne à l’effet que sa décision est prise en mai 2013 de retirer son fils de l’École du Bois-Joly afin de le transférer dans une école privée. 

[124]     À ce moment, la CSD a fait amende honorable et a permis à X de recommencer à bénéficier de services en orthopédagogie (depuis le mois de mars 2013).

[125]     Le Tribunal ne condamne aucunement cette décision d’un père qui, manifestement, se dévoue pour son fils en difficulté. Par contre, le Tribunal ne considère pas qu’il s’agisse là d’un préjudice qui soit une suite immédiate et directe de la faute déjà établie.

[126]     Rien n’indique par prépondérance de preuve au Tribunal que la CSD n’aurait pas établi, pour l’année scolaire 2013-2014, un Plan d’intervention satisfaisant pour l’ensemble des parties concernées.

[127]     La décision de retirer X du secteur public et de l’inscrire, à grands frais, dans le secteur privé, constitue l’exercice du pouvoir décisionnel du demandeur.

[128]     Il s’agit de sa décision - décision que le Tribunal peut comprendre -, mais une décision dont les conséquences financières ne peuvent être refilées à la CSD.

[129]     Il est établi depuis longtemps en jurisprudence qu’une personne n’est pas tenue de réparer l’aggravation du préjudice qui provient du fait - ou de la décision - de la victime. 

[130]     De conclure à l’effet contraire en l’espèce permettrait au demandeur de réclamer des frais sur quelques années alors que son motif principal de reproche à l’encontre de la CSD est d’avoir retiré, pendant une période de 5 mois, X du service d’orthopédagogie. 

[131]     Les frais engagés auprès du secteur privé n’ont pas un lien de causalité suffisant avec les manquements de la CSD, d’autant plus, et il faut le rappeler, que X a réussi sa 4e année, assurément grâce, notamment, aux frais engagés de janvier à juin 2013 par le demandeur. C’est ce montant qui est, en l’espèce, accordé et que le Tribunal considère causal à la faute établie.

[132]     Le Tribunal ne voit pas en quoi la CSD est redevable de sommes encourues, en particulier en 2014, pour des frais d’orthopédagogie, alors que X est, à ce moment, complètement sorti du système public.

[133]     Le Tribunal fera donc droit partiellement à la demande du demandeur.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE partiellement la demande du demandeur;

CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur la somme de 1040 $, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, et ce, à compter du 27 juin 2016 soit la date de la mise en demeure;

LE TOUT, avec les frais de justice.

 

 

__________________________________

STEVE GUÉNARD, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

21 mars 2017

 



[1] Tel que prévu à l’article 113 de la Loi sur l’instruction publique, une commission scolaire est une personne morale de droit public.

[2] Pièce P-5.

[3] L.R.Q., c. I-13.3

[4] Pièce P-38.

[5] Bien qu’il se situe à un niveau beaucoup plus élevé quant à de nombreux éléments, par exemple, le 61e rang centile sur l’échelle du raisonnement perceptif.

[6] Pièce P-16, datée du 14 septembre 2011.

[7] La note finale de X en français est de 58 %, alors que la moyenne du groupe se situe à 73 %.

[8] La recommandation est d’ailleurs formulée par l’orthopédagogue Hélène Boucher, qui est à l’emploi de la CSD.

[9] Pièce P-14.

[10] Comme il appert de la Pièce P-27.

[11] Et ce, même si la Révision précédente du Plan d’intervention, datée du 8 mai 2012, mentionne, notamment par l’entremise de l’orthopédagogue de l’école, que les mesures d’appui à l’élève (incluant donc le service d’orthopédagogie) sont « à poursuivre »

[12] Pièce D-12.

[13] Au taux horaire de 65 $.

[14] Comme il appert de la Pièce D-8.

[15] Pièce P-40.

[16] Pièces P-14 à P-26 en particulier.

[17] École secondaire du secteur public.

[18] Comme il appert de l’article 30.2 (2) du Règlement sur le Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire, RRQ, c I-13.3, r8.

[19] Et non pas d’un contrat, tel que le précisera le représentant de la CSD.

[20] Pièce D-1.

[21] Comme il appert de la Pièce D-12.

[22] Cet article va dans le même sens que l’article 40 de la Charte des droits et libertés de la personne  (RLRQ c C-12) qui stipule que : « Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l’instruction publique gratuite. »

[23] Précité, Supra, note 17.

[24] 2012 CSC 61.

[25] La Cour Suprême précise d’ailleurs, au paragraphe 45 de son arrêt que « Par conséquent, compte tenu des éléments de preuve, des notes de service en ce sens et de la rapidité avec laquelle la décision a été prise, le Tribunal a conclu que seules des raisons financières avaient motivé la fermeture. »

[26] Desgagné c. ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2010 QCCS 4838.

[27] 2017 QCCA 286.

[28] 2013 QCCS 5937.

[29] 2004 CanLII 33908 (QCCQ).

[30] Articles 2803 et 2804 CCQ.

[31] Article 1376 CCQ.

[32] Articles 1607, 1611 et 1613 CCQ.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.