Le et Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec |
2016 QCTAT 1671 |
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[1] Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[1] (la LITAT) est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail (le Tribunal) qui assume les compétences de la Commission des relations du travail (la Commission) et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal.
[2] Le 15 septembre 2015, prenant appui sur l’article 47.3 du Code du travail[2] (le Code), le plaignant porte plainte contre l’intimé, syndicat accrédité pour représenter un groupe de salariés dont il fait partie, pour manquement à son devoir de représentation. Il lui reproche essentiellement de ne pas avoir présenté de grief au mis en cause pour manquement à son obligation de lui assurer un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique, de façon concomitante de son grief du 26 juin 2014, par lequel il contestait la suspension de cinq (5) jours qui lui avait été imposée le 20 juin 2014.
[3]
Le Tribunal est également saisi d’une requête présentée le 2 février
2016, en vertu de l’article
[4] Il est vrai que cette requête est particulièrement détaillée et que l’intimé invoque plusieurs documents à son soutien. Cela dit, comme l’exprimait la Commission dans sa décision du 21 mars 2013[3], par laquelle elle faisait droit à une requête en rejet sommaire présentée par l’intimé à l’encontre d’une autre plainte portée par le plaignant, l’apparente longueur de la requête et l’abondante documentation l’accompagnant ne doivent pas nécessairement entraîner comme conclusion que le cas ne se prête pas à un rejet sommaire, surtout pas lorsque « la plainte elle-même est volumineuse » et appuyée « de multiples documents ».
[5] En l’occurrence, si l’intimé fait référence à autant de documents dans sa requête, c’est selon toute vraisemblance par souci de situer la plainte dans son contexte et de répondre à toutes les allégations du plaignant. Mais, comme on le verra, il n’en reste pas moins qu’un seul document aurait été amplement suffisant pour permettre au Tribunal d’apprécier le caractère sérieux de la plainte et ses chances de succès. Après avoir pris connaissance de la plainte, de la requête, ainsi que des documents les accompagnant, le Tribunal invite donc les parties à faire valoir séance tenante leurs arguments sur la requête de l’intimé.
[6] Les faits relatés ci-après sont tirés des documents versés au dossier du consentement des parties.
[7] Il est prévu à la convention collective que le grief individuel doit être signé par l’employé qui s’estime lésé, sauf en cas d’impossibilité attribuable à la maladie.
[8] Le plaignant connaît la procédure de règlement des griefs prévue à la convention collective pour y avoir eu recours à plusieurs reprises. Ainsi, par grief daté du 23 avril 2009, le plaignant contestait une lettre de réprimande datée du 21 avril 2009. Et, le même jour, il y allait d’un autre grief, par lequel il soutenait que cette lettre constituait « une nouvelle manifestation de harcèlement psychologique à [son] endroit » et réclamait, entre autres, « des dommages et intérêts punitifs et moraux ». Puis, le 2 juin suivant, le plaignant contestait par grief son évaluation de rendement, évaluation qui, selon sa prétention, constituait une autre manifestation du harcèlement psychologique dont il était victime. Là encore, le plaignant réclamait « des dommages et intérêts punitifs et moraux », en plus, bien sûr, de l’annulation de son évaluation et de la reprise du processus. Le traitement de ces trois griefs et d’un autre, par lequel le plaignant contestait son évaluation de rendement du 8 août 2005, est à l’origine de sa première plainte contre l’intimé, rejetée sommairement par la Commission le 21 mars 2013.
[9] Le 20 juin 2014, le mis en cause adresse au plaignant une lettre par laquelle il l’avise de sa suspension sans traitement, d’une durée de cinq (5) jours, pour avoir « imprimé une quantité déraisonnable de documents », comptant au total « plus de 3 250 pages, dont plusieurs centaines de pages ne sont aucunement liées à vos fonctions ». Le mis en cause retient comme facteurs aggravants que le plaignant a nié les faits et qu’il avait déjà été l’objet d’avertissements verbaux à ce sujet. Sans se prononcer sur le bien-fondé du grief par lequel le plaignant a contesté cette suspension, soulignons qu’à première vue, il n’apparaît pas y avoir eu abus dans l’exercice du pouvoir de discipliner, du moins pas au point de constituer une conduite vexatoire.
[10] Le 26 juin 2014, une conseillère de l’intimé adresse au plaignant un projet de libellé de grief comportant essentiellement deux demandes, à savoir l’annulation de la suspension et le remboursement du salaire perdu. Dans sa communication de ce jour, la conseillère rappelle au plaignant que le délai de présentation d’un grief est de 30 jours suivant l’évènement qui lui a donné lieu, ou 90 jours suivant la dernière manifestation de harcèlement psychologique, en cas de grief de cette nature. Le même jour, le plaignant signe le grief, libellé de la façon qui lui a été suggérée par la conseillère.
[11] Dans les jours qui suivent, sans avoir demandé l’aval ou l’appui de l’intimé, le plaignant entreprend de négocier lui-même avec ses supérieurs immédiat et hiérarchique une entente de préretraite et le règlement de son grief. De fait, le 11 juillet 2014, le plaignant appose sa signature à une entente de préretraite entrant en vigueur le 2 septembre suivant et se terminant, avec sa retraite définitive, le 19 janvier 2016. Le plaignant ne s’adresse pas non plus à l’intimé pour demander l’annulation de cette entente pour vice de consentement.
[12] Les pourparlers directs que le plaignant a avec son supérieur hiérarchique concernant le règlement de son grief s’enlisent au point que, le 31 juillet 2014, ce dernier lui écrit qu’il va cesser de s’entretenir avec lui pour « faire affaire directement » avec son syndicat, le grief lui appartenant. Soulignons que, tout au long de ces discussions avec ses supérieurs immédiat et hiérarchique, qui sont bien documentées au dossier, jamais le plaignant n’a demandé autre chose que l’annulation de sa suspension, le retrait de la lettre de son dossier et le remboursement du salaire perdu.
[13] Par courriel daté au 1er août 2014 adressé à la conseillère de l’intimé responsable de son dossier, le plaignant fait le point sur le traitement de son grief et précise ses demandes. Les extraits suivants de ce courriel apparaissent on ne peut plus pertinents :
1. Compte tenu des blessures morales et psychologiques très graves subies de cette suspension vexatoire, injuste, discriminatoire et abusive de l’employeur, je demande qu’aucune lettre de réprimande ou toute autre forme ne soit présente dans cette entente. Par contre, je ne demande pas des dommages et intérêts subis depuis le mois de juin 2014 causés par l’employeur.
[…]
6. Compte tenu que l’employeur m’avise d’une suspension sans traitement d’une durée de cinq (5) jours soit du 27 juin au 4 juillet 2014 sans motif raisonnable. Je conteste ces décisions et je réclame l’annulation de la suspension. Je réclame le remboursement de mon traitement.
(soulignement ajouté)
[14] Il faut préciser ici que, dans le cadre de ses pourparlers de règlement avec ses supérieurs, le plaignant avait proposé d’écourter ses vacances en revenant au travail une semaine plus tôt que prévu, soit au cours de la dernière semaine du mois d’août 2014, afin de permettre au mis en cause de remplacer rétroactivement sa semaine de suspension par une semaine de vacances. Comme on sait, ces pourparlers ont achoppé. Mais cela n’a pas empêché le plaignant de se présenter au travail une semaine plus tôt, alors que, selon ce qu’il avait annoncé, il devait être encore en vacances. Selon son entendement, règlement ou pas, l’entente de préretraite qu’il avait signée lui permettait d’agir de la sorte. Or, lorsqu’il l’a croisé le 26 août près d’un ascenseur, son supérieur lui a dit que, comme il n’y avait pas eu entente, il devait retourner chez lui. Le plaignant lui a répondu que, de toute façon, il était prévu à son entente de préretraite que les jours de vacances non utilisés lui seraient payés. L’histoire ne dit pas si le plaignant a dû obtempérer ou si son supérieur a accepté qu’il reste au travail.
[15] Le 3 septembre 2014, le plaignant écrit à la conseillère de l’intimé pour lui décrire cet incident. Dans son courriel, il qualifie les propos de son supérieur immédiat de « menaces de harcèlement », mais ne demande pas qu’on intervienne de quelque façon que ce soit.
[16] Comme le souligne la représentante de l’intimé, du 4 septembre 2014 au 16 août 2015, ce sera « silence radio » total du côté du plaignant. Puis, le courriel du 17 août 2015 qu’il adresse à la conseillère responsable de son dossier annonce un virage à 180 degrés de la position qu’il avait prise jusque-là. Le plaignant lui écrit en effet que, « compte tenu des blessures morales et psychologiques très graves subies de cette suspension vexatoire, injuste, discriminatoire et abusive de l’employeur », un refrain déjà connu, et du fait qu’il n’y a pas possibilité d’entente, il demande maintenant « des dommages et intérêts subis depuis le mois de juin 2014 causés par l’employeur ». Et, avec le temps, son évaluation de ces dommages ne fera qu’augmenter, pour atteindre la somme faramineuse de 1,5 million de dollars.
[17] Le 31 août 2015, le plaignant rencontre la nouvelle conseillère de l’intimé. Celle-ci lui confirme qu’il n’y a qu’un grief à son dossier, par lequel on demande l’annulation de sa suspension et le remboursement du salaire perdu, pas autre chose. Le plaignant prétend avoir appris à cette occasion que l’intimé avait « omis de déposer un grief sur le harcèlement psychologique dans les délais prescrits », comme il l’écrit à sa conseillère dans un courriel daté du 11 septembre suivant.
[18] L’intimé plaide que la plainte est frivole et dilatoire parce que jamais le plaignant ne lui a demandé de présenter un grief de harcèlement psychologique, ni ne lui a mentionné qu’il réclamait un dédommagement autre que le remboursement du salaire perdu du fait de sa suspension. Bien au contraire, il lui a précisé par écrit qu’il n’en demandait pas, et jamais au cours de ses négociations directes avec ses supérieurs il n’en a demandé. Quant à l’incident survenu près de l’ascenseur le 26 août 2014, l’intimé fait valoir qu’il « ne répond pas à la définition de harcèlement psychologique » et que, de toute façon, le plaignant ne lui a pas demandé d’intervenir.
[19] Selon l’intimé, le recours serait en outre prescrit, parce que le plaignant, qui connaissait bien la procédure de règlement des griefs et qui avait été informé par écrit des délais de présentation d’un grief, savait forcément depuis l’été 2014 que le seul grief présenté au mis en cause était celui du 26 juin 2014. En somme, contrairement à ce qu’il prétend, le plaignant n’a rien appris de neuf le 31 août 2015.
[20] Le plaignant, lui, soutient qu’il a signé le grief du 26 juin 2014 tel que libellé, négocié son entente de préretraite et renoncé à demander des dommages et intérêts, tant par grief qu’à l’occasion de ses pourparlers avec ses supérieurs, parce qu’il était « en état de choc psychologique », à cause de sa suspension. Il ajoute qu’il lui a fallu du temps, jusqu’au mois de septembre 2015, précise-t-il, pour récupérer de ce problème de santé mentale et réaliser que l’absence de grief de harcèlement psychologique ou de demande de dommages et intérêts dans le seul grief présenté au mis en cause était susceptible de lui porter préjudice. C’est donc dire que le point de départ au calcul du délai pour porter plainte ne serait plus sa rencontre avec la nouvelle conseillère responsable de son dossier mais la date à laquelle il aurait fini par surmonter cet état de choc, dont l’existence n’est par ailleurs attestée par aucune preuve médicale.
[21] Selon le plaignant toujours, qui ne précise cependant pas quels signes extérieurs de son état de santé mentale auraient pu lui mettre la puce à l’oreille, si l’on peut dire, sa conseillère « aurait dû comprendre qu’[il] était en état de choc et [lui] conseiller de déposer un grief », vu l’obligation générale d’information et de conseil qui incombe à tout syndicat.
[22] L’intimé réplique qu’il ne voit pas comment on aurait dû comprendre que le plaignant était en état de choc, soulignant le caractère « très structuré » de ses écrits, dont son courriel du 7 août 2014, et conclure que, contrairement à ce qu’il avait écrit dans ce courriel, il voulait réclamer des dommages moraux et punitifs.
[23]
Comme l’écrit la Commission au sujet de l’article
[27] Cet article vise à empêcher que des recours abusifs ou dilatoires, qui ne présentent aucune chance de succès, obligent à la tenue d’une audience, alors qu’à la face même du dossier, son issue peut être déterminée à l’avance.
[28]
En matière de rejet sommaire, la jurisprudence de la Commission, à
l’instar de celle du Tribunal du travail, a établi qu’elle devait s’inspirer
des mêmes critères que ceux utilisés par la Cour d’appel lorsqu’elle est saisie
d’une requête en rejet d’appel tel que prévu au paragraphe 5o
du premier alinéa de l’article
[29] Ces critères jurisprudentiels se résument ainsi :
· L’appréciation des arguments doit pouvoir se faire rapidement sans qu’il soit nécessaire de s’engager dans l’analyse de la preuve;
· L’examen sommaire des motifs de rejet doit faire voir leur futilité, leur aspect dilatoire, par opposition à leur sérieux, en somme, démontrer une absence de chance raisonnable de succès;
· Les arguments soulevés doivent être ni cohérents ni défendables juridiquement, en apparence à tout le moins;
· Le droit d’être entendu doit cependant être respecté si des moyens en apparence sérieux et raisonnables sont présentés par une partie;
· L’obligation
de célérité prévue à l’article
Voir à ce sujet : Rochard c. Baribeau,
[24]
Aussi, en ce qui concerne la négligence grave au sens de l’article
[25] Cette dernière prétention du plaignant n’est d’aucune façon étayée par la preuve. Au contraire, ses nombreuses communications, tant avec l’intimé qu’avec le mis en cause, sont manifestement l’œuvre d’une personne capable de voir à ses intérêts. En outre, comme nous l’avons mentionné, le plaignant n’a pas précisé quels signes extérieurs d’un tel dérèglement auraient dû sauter aux yeux de sa conseillère syndicale. Pour tout dire, compte tenu des revendications exagérées, voire farfelues, qu’il avait faites par le passé, on aurait plutôt pu croire qu’il était enfin revenu à la raison, manifestant pour une fois une modération de bon aloi. Quoi qu’il en soit, il va sans dire que l’obligation de juste représentation n’impose pas à un syndicat de demander une expertise psychiatrique pour s’assurer qu’un salarié voulait bien dire ce qu’il a écrit.
[26] Force est donc de conclure que l’intimé a bien établi le caractère frivole de la plainte. Il en va de même de la prescription du recours, le plaignant ayant fini par reconnaître indirectement qu’il aurait dû comprendre dès l’été 2014, n’eût été de son soi-disant état de choc, qu’il n’y avait pas d’autre grief que celui qu’il avait signé le 26 juin 2014.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE la requête en rejet sommaire de la plainte;
REJETTE la plainte.
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André Bussière |
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M. Phu Vu Le |
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Pour lui-même |
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Me France Saint-Laurent |
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TRUDEL NADEAU AVOCATS S.E.N.C.R.L. |
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Pour l’intimé |
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Date de l’audience : 9 février 2016 |
/aml
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