Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Laurentides

MONTRÉAL, le 6 juillet 2000

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

130886-64-0002

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Me Carmen Racine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

110807765-1

AUDIENCE TENUE LE :

22 juin 2000

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER BR :

62787637

À :

Montréal

 

 

 

 

 

 

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PROVIGO (DIVISION MAXI NOUVEAU CONCEPT)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 1er février 2000, l’employeur, Provigo (division Maxi Nouveau Concept), conteste une décision rendue par la révision administrative le 25 janvier 2000.

[2]               Par cette décision, la révision administrative maintient la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 29 janvier 1998 et, en conséquence, elle refuse d’appliquer le deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi) au motif que l’employeur n’a pas démontré que l’accident dont a été victime monsieur Michel Blanchet (le travailleur), le 21 décembre 1995, est dû à la faute d’une tierce partie et elle impute 100% des coûts de cette lésion professionnelle au dossier financier de l’employeur.

[3]               L’employeur et le travailleur sont présents à l’audience. Seul l’employeur est représenté.

L'OBJET DE LA CONTESTATION

[4]               Le représentant de l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir la contestation de ce dernier et de transférer les coûts générés par la lésion professionnelle du 21 décembre 1995 aux employeurs de toutes les unités puisque cette lésion professionnelle est attribuable à un tiers.

LES FAITS

[5]               Le 21 décembre 1995, le travailleur est victime d’une lésion professionnelle. Il tombe dans un conteneur muni d’un compacteur à déchets et, lorsqu’il tente de sortir de ce conteneur, le compacteur se met soudainement en marche et l’écrase sur les parois.

[6]               Le travailleur subit un écrasement de l’abdomen et de multiples traumatismes à différents sites anatomiques. Il fait l’objet d’un long suivi médical et de traitements pour de nombreux problèmes.

[7]               Cette lésion est acceptée par la CSST le 1er février 1996.

[8]               Le 22 décembre 1995, vu la gravité de l’accident, l’inspecteur de la CSST se rend sur les lieux du travail. Il produit un rapport d’intervention le 11 avril 1996. Son enquête l’amène à décrire l’événement et à conclure en ces termes :

Portrait via intérieur de l’usine

 

Les informations qui suivent découlent essentiellement des témoignages reçus de messieurs Michel Blanchet, Dominic Perras et Jonathan Maynard :

 

(…)

 

-entre 23h30 et 23h45, monsieur Blanchet se dirige dans le passage conduisant aux chambres froides et en passant vis-à-vis la passerelle, il constate que la porte est ouverte et qu’il y a sur le plancher une légère accumulation de boîtes de carton en amont de la bouche d’alimentation du compacteur ;

-il se rend aussitôt près de ce monticule, il pousse avec l’un de ses pieds les boîtes de carton vers la bouche d’alimentation du compacteur et tout en faisant ce mouvement vers l’avant, son autre pied dérape, et alors qu’il tente de s’agripper aux murs de la passerelle pour conserver son équilibre, ses pieds se retrouvent dans la bouche d’alimentation du compacteur parmi les boîtes de carton. Étant enfoncé jusqu’au niveau de la taille et constatant qu’il est en train de se faire coincer, il tente désespérément de sortir de cette cavité ;

-À cet instant, un autre travailleur, monsieur Dominic Perras, se dirige vers la passerelle du compacteur avec une poubelle remplie de déchets et entend crier monsieur Blanchet lui demandant d’arrêter le compacteur ;

-Monsieur Perras, constate alors que les boutons de commande ne sont pas en fonction et il voit monsieur Blanchet qui lui fait face être projeté vers l’avant pendant que la chambre de compaction du compacteur semble se déplacer (par rapport au plancher de la passerelle) ;

-Quelques secondes plus tard, monsieur Perras va chercher de l’aide auprès de monsieur Jonathan Maynard qui se trouve dans l’usine (environ 10 mètres de la passerelle), et en arrivant sur les lieux, celui-ci voit que monsieur Blanchet est coincé au niveau de la taille, entre le module mobile du compacteur et le mur d’extrémité de la passerelle, le haut de son corps replié vers l’avant et pendant dans le vide ;

-Quelques dix secondes s’écoulent et monsieur Perras constate que le module mobile du compacteur se remet en marche en s’éloignant de la passerelle et voit aussitôt le corps de monsieur Blanchette faire une chute d’environ un mètre, tête première, sur la dalle de béton situé sous la passerelle.

 

Portrait via extérieur de l’usine

 

Les informations qui sont décrites ci-après sont tirées du témoignage de monsieur Gilles Desjardins, camionneur, Intersan Inc.

 

-Vers 23h00, la journée de l’accident, monsieur Desjardins se trouve à Ville Saint-Laurent au volant de son camion et il reçoit l’appel du répartiteur (Benoît Ampleman) de se rendre à Boisbriand pour cueillir le conteneur-compacteur ;

-À son arrivée sur les lieux, il installe son camion en avant du conteneur-compacteur et prépare la facture #212995 en y indiquant l’heure d’arrivée (23h30) ;

-Il se rend à la porte de service pour faire signer la facture, appuie à trois reprises sur le bouton de la sonnette ronde (couleur « or ») et n’obtient aucune réponse ;

-Il se rend par la suite au conteneur-compacteur, constate par les ouvertures latérales qu’il ne semble avoir personne dans la passerelle, débranche les deux boyaux hydrauliques ainsi que le fil électrique et tire lentement avec son camion (première vitesse avant) le conteneur compacteur sur une distance d’environ 2 à 3 mètres (..) ;

-Afin de vérifier si « tout est correct » (ex. débordement de carton ou déchets), il débarque de son camion et entend une personne qui crie à l’arrière du conteneur-compacteur ;

-Il aperçoit alors une personne (monsieur Blanchet) qui est coincé entre le module mobile du compacteur et la structure de la passerelle (…) ;

-Sans hésiter, il embarque aussitôt dans son camion et tire davantage le conteneur-compacteur afin de décoincer le travailleur (…) ;

-Il se rend par la suite à l’arrière du conteneur-compacteur et tente de porter secours au travailleur qui se trouve affaissé sur la dalle de béton.

 

 

 

INFORMATIONS RECUEILLIES ET CONSTATATIONS

 

-Le travailleur impliqué dans l’accident, monsieur Blanchet, possède dix ans d’expérience dans l’utilisation des compacteurs à déchets, dont une année avec le type de compacteur visé ici ;

-Il était au courant que le camionneur viendrait chercher le conteneur-compacteur dans la soirée entre 23h00 et 24h00 ;

(…)

-Selon les témoignages de madame France Poirier, monsieur Blanchet, monsieur Perras et monsieur Maynard, dans la soirée de l’accident, aucun d’entre-eux n’a entendu le bruit de la sonnette ;

(…)

-Un essai effectué quelques heures après l’accident, a permis de constater que le bouton de sonnette était situé à côté du bouton « intercom », que le bouton de la sonnette fonctionnait très bien et que le bruit de la sonnerie pouvait être entendu, très facilement partout dans l’usine, même dans les bureaux, et qu’à l’extérieur, près de la porte de service, on pouvait également l’entendre distinctivement ;

-Quant à « l’intercom », madame Poirier et monsieur René Auclair, déclarent que l’appareil à l’extérieur est relié avec celui des bureaux et que ce système de communication, même s’il avait été utilisé par le camionneur, n’aurait pas été efficace étant donné qu’au moment de l’accident il n’y avait probablement personne dans la zone des bureaux ;

-Selon les témoignages de monsieur Desjardins et monsieur Réjean Lévesque (camionneur de Intersan Inc. qui est familier avec les lieux), il est de pratique courante de procéder à l’enlèvement et au transport du conteneur-compacteur lorsqu’ils n’obtiennent aucune réponse lors de leur arrivée sur les lieux de leurs diverses clientèles ;

-Au moment de l’accident, la barre de sécurité qui est normalement installée au-dessus de la bouche d’alimentation du compacteur n’était pas en place.

 

(…)

 

CAUSES DE L’ACCIDENT

 

Les constats et les informations qui ont été recueillis lors de l’enquête nous ont amené à considérer plusieurs éléments interreliés qui sont considérés comme les causes de l’accident.

 

Nous retenons donc les causes suivantes pour expliquer l’accident :

 

Une méthode de travail inadéquate pour la manutention des déchets et l’absence d’une barre de sécurité a entraîné la chute du travailleur dans la bouche d’alimentation du compacteur et l’absence d’une procédure sécuritaire pour l’enlèvement du conteneur-compacteur, impliquant les deux parties (l’employeur et l’entreprise de collecte des déchets) a engendré le coincement du travailleur entre le mur d’extrémité de la passerelle et le rebord intérieur de la bouche d’alimentation du compacteur. Il faut également préciser que les éléments déterminants de la procédure ici mise en cause sont les déficiences dans l’utilisation d’un moyen de communication efficace et l’absence d’un dispositif restreignant le déplacement du conteneur-compacteur (cadenassage). (sic)

 

 

 

[9]               Le 3 juillet 1996, l’employeur demande un transfert d’imputation au motif que l’accident du 21 décembre 1995 est attribuable à un tiers. Il s’exprime ainsi :

Nous voudrions, conformément à l’article 326 de la LATMP, que les coûts relatifs à l’accident survenu à M. Michel Blanchet, le 21 décembre 1995, soient imputés au fonds général d’accident compte tenu du fait que cet accident est imputable à la faute d’un tiers, Intersan inc. et ce, pour les motifs suivants.

 

Le 21 décembre 1995, vers 23 heures 15, M. Blanchet fut victime d’un accident dans les circonstances décrites au rapport d’intervention I-174752 dont vous trouverez ci-joint copie. Ce rapport était préparé par M. André Éthier, inspecteur à la CSST.

 

À cette heure, ce jour-là, M. Blanchet est tombé dans un compacteur suite à un fausse manœuvre. En soi, cette fausse manœuvre n’aurait entraîné aucune séquelle physique chez le travailleur concerné. En effet, si ce n’avait été de l’intervention d’un tiers responsable, M. Blanchet n’aurait eu qu’à ressortir par lui-même du compacteur en question sans aucun risque pour sa santé ni blessure aucune.

 

Cependant, M. Blanchet fut sérieusement blessé à cause des manœuvres dont la faute incombe directement à Intersan inc. et son employé, M. Gilles Desjardins. En effet, tel qu’il appert du rapport d’intervention de la CSST, M. Desjardins s’est rendu chez Provigo Distributions inc pour y retirer la compacteur dont il est ici question. Il ne prit cependant aucune précaution pour s’assurer que la manœuvre de dégagement du compacteur pouvait être effectuée sans risque ou danger pour quiconque. Bien au contraire, malgré qu’il ait actionné une sonnette placée à cet effet à la porte extérieure du Centre de transformation des viandes de Provigo distribution inc., et bien qu’il n’est obtenu aucune réponse, le camionneur concerné procéda à retirer le compacteur avec son camion. Cette manœuvre eut pour effet de coincer M, Blanchet entre le compacteur et le mur externe du bâtiment lui causant ainsi de graves blessures.

 

La jurisprudence québécoise et la doctrine ont depuis longtemps reconnu que le dommage doit avoir été la conséquence logique, directe et immédiate de la faute. Ainsi, le professeur Jean-Louis Baudoin s’exprime comme suit :

 

« Maintes fois mises de l’avant par les tribunaux, cette règle révèle un désir de restreindre le champs de la causalité et de ne retenir comme cause que le ou les événements ayant un rapport logique et intellectuel étroit avec le préjudice dont se plaint la victime. »

 

Dans la recherche du lien par les tribunaux, lorsqu’il y a eu diverses fautes successives, pourront imputer le dommage à l’auteur véritable de celui-ci. Le professeur Baudoin s’exprime ainsi, à la page 281 :

 

« Dans sa recherche d’un lien causal ayant un caractère logique, direct et immédiat, la jurisprudence accorde une importance particulière à l’effet du « novus actus interveniens », c’est-à-dire à l’événement nouveau, indépendant de la volonté de l’auteur de la faute et qui rompt la relation directe entre celle-ci et le préjudice, même si, selon le système de la causalité adéquate, l’acte fautif pouvait à lui seul objectivement provoquer le dommage et l’agent en prévoir les conséquences. »

 

Dans note cas, l’inspecteur à relevé certaines difficultés ou problèmes reliés à la sécurité du compacteur. Cependant, ces difficultés ou problèmes ne sont aucunement responsables du dommage subi par le travailleur Blanchet. Au contraire, ces dommages sont dus uniquement à la faute du tiers, Intersan inc. et son employé, qui ne se sont pas assurés qu’il n’y avait aucun risque à procéder à l’enlèvement du compacteur. Ce sont ces gestes qui sont la cause directe et immédiate des blessures subies par M. Blanchet. Il emporte donc de distinguer, pour les fins de l’application de l’article 326 LATMP entre les corrections suggérées par l’inspecteur de la CSST et la responsabilité, au sens de notre droit civil. Vous trouverez ci-joint certaines décisions de la Cour supérieure, de la Cour d’appel et de la Cour Suprême du Canada qui illustrent très bien nos prétentions. Ainsi, dans l’affaire Simoneau c. Hamel (1989) R.R.A. 299, le tribunal  avait conclu à un défaut de conception d’un équipement à fondu. Cependant, la Cour n’a pas retenu ce motif pour ce qui est de la responsabilité, l’imputant plutôt à un tiers qui avait mal utilisé l’équipement en question. (Voir à la page 707).

 

Dans l’affaire Morissette vs T. McOuat and Sons Limited, 1958 B.R. 684, la Cour d’appel s’exprime comme suit, à la page 686, alors qu’on avait fait la preuve qu’un équipement particulier était défectueux ou dangereux :

 

« Comme on le reconnaît dans une complète unanimité (…) il ne suffit pas pour faire jouer la présomption légale de l’article 1054 C.C., que la défenderesse soit le maître ou le gardien de la chose, il faut que celle-ci ait été, non pas seulement l’occasion, mais bien l’agent immédiat et « actif » ou, si l’on préfère, la cause efficiente du préjudice dont on se réclame. Autrement dit, il est essentiel que ce soit cette chose et à cause de cette chose que le préjudice ait été en quelque sorte enfanté. »

 

Dans notre cas, le compacteur en soi n’a pas causé les blessures à M. Blanchet. Nous le répétons, ces blessures sont dues uniquement aux manœuvres dangereuses et imprudentes du tiers responsable, le camionneur.

 

Plus près de nous, dans l’affaire Herman Côté c. The Marmon Group of Canada inc. (1989), 2 RCS, 419, la Cour Suprême rappelle que nul ne peut être tenu responsable d’une faute qui a été sans conséquence (à la page 425) :

 

« Il est évident que tout préjudice souffert par une victime peut avoir été causé par de nombreux événements. Cependant, nul ne peut être responsable d’une faute qui a été sans conséquence et le tribunal doit en tout temps évaluer le caractère causal des événements reprochés à un défendeur. »

 

Nous vous référons aussi aux décisions Beaudoin vs T.W. Hand Firewords Co. Ltd et Ferdinand Volkert c. Diamond Truck Compagny qui illustrent notre position.

 

En conclusion, nous vous demandons d’accueillir la présente demande de partage de coûts et d’imputer l’ensemble des coûts au fonds général. (sic)

 

 

 

[10]           Le 29 janvier 1998, la CSST refuse la demande de transfert d’imputation logée par l’employeur. Elle admet qu’il existe une faute d’un tiers mais elle indique que cette faute n’est pas prépondérante. L’employeur demande la révision de cette décision mais, le 25 janvier 2000, la révision administrative la maintient d’où le présent litige.

[11]           L’employeur fait entendre le travailleur, monsieur Michel Blanchet.

[12]           Il explique que, le 21 décembre 1995, il se rend sur la passerelle qui surplombe le conteneur et le compacteur. Il y voit une pile de cartons qui ne sont pas descendus dans le conteneur. Il se rend au bout de la passerelle et essaie de tasser ces cartons avec une barre de fer. Cependant, il n’y arrive pas. Il décide alors de donner un coup de pied sur les cartons. Ce faisant, il perd pied et glisse dans le conteneur, dans la chambre du compacteur.

[13]           Il n’a aucune blessure à ce moment. Il se prend au rebord du conteneur pour en sortir et retourner sur la passerelle mais, au même moment, le cylindre servant à broyer les déchets se met en marche et il est écrasé.

[14]           Il appelle un collègue de travail pour que ce dernier actionne le bouton d’arrêt qui se trouve de l’autre côté de la porte d’accès à la passerelle mais ce procédé ne fonctionne pas.

[15]           Il crie lorsqu’il est écrasé sur les parois de la chambre du compacteur et le cylindre s’arrête.

[16]           Il indique que, lorsque la porte de la passerelle est ouverte, il est impossible d’actionner le cylindre de la chambre du compacteur de l’intérieur de l’usine. Toutefois, le camionneur qui vient chercher le conteneur peut l’actionner de l’extérieur.

[17]           Il confirme le fait que, ce soir-là, aucune sonnerie n’a retenti avant l’événement.

[18]           Cet événement a entraîné d’importantes séquelles aux niveaux digestif et musculo-squelettique. Il a néanmoins pu reprendre ses activités de travail grâce à la grande collaboration de l’employeur.

[19]           Madame Marjolaine Baril témoigne également pour l’employeur. Elle est conseillère en santé et sécurité chez ce dernier.

[20]           Elle explique que le dossier du travailleur a un impact important sur la cotisation de l’employeur qui bénéficie du régime rétrospectif. En effet, les coûts s’élèvent maintenant à environ 57, 000, 00$ ce qui, compte tenu du facteur de chargement, représentent des coûts pour l’employeur de l’ordre de 200, 000, 00$.

L'ARGUMENTATION DES PARTIES

[21]           Le représentant de l’employeur indique qu’il ne s’agit pas de chercher un responsable de l’événement mais bien de déterminer qui, de façon prépondérante, en assume la responsabilité.

[22]           Dans ce dossier, l’employeur aurait certes pu employer de meilleures méthodes de travail ; il les a d’ailleurs changées par la suite. Cependant, il n’est pas responsable de la lésion professionnelle du travailleur.

[23]           D’ailleurs, l’employeur a un bon dossier auprès de la CSST et cet événement vient « polluer leur dossier alors qu’il n’y est pour rien ».

[24]           Il admet que les installations de ce dernier ne sont pas parfaites et que le geste du travailleur qui pousse de son pied les cartons dans le compacteur laisse à désirer.

[25]           Toutefois, ces faits ne sont pas la cause de l’accident. La chute du travailleur dans la chambre du compacteur n’entraîne aucune blessure et le travailleur était alors en mesure de ressortir de cet endroit sans  problème et sans dommage.

[26]           C’est l’action indépendante du tiers, à savoir le camionneur, qui actionne le cylindre du compacteur qui crée le dommage.

[27]           En outre, l’équipement de l’employeur n’est peut-être pas des plus sécuritaires mais cette absence de sécurité n’est pas à l’origine des dommages subis par le travailleur. De plus, cet équipement n’est pas défectueux ; une défectuosité de ce dernier ne peut donc être identifiée comme cause de l’événement.

[28]           La seule cause des dommages du travailleur est l’action sans précaution du camionneur ; ce dernier ne s’assure pas de signaler sa présence ; il se trompe de sonnette ; il actionne le cylindre du compacteur sans vérifier s’il peut le faire de façon sécuritaire.

[29]           Son action est assimilable au « novus actus interveniens » décrit en droit civil. Elle vient briser la chaîne de causalité qui aurait pu s’établir entre la faute commise par l’employeur (mesures de sécurité insuffisantes) ou celle commise par le travailleur (acte non sécuritaire ayant entraîné sa chute dans la chambre du compacteur) et les dommages subis par le travailleur puisqu’elle est la seule responsable de ces dommages.

[30]           Il dépose des extraits de doctrine [2] et de la jurisprudence [3] élaborées en droit civil au soutien de ses prétentions.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[31]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit au transfert d’imputation réclamé.

[32]           L’employeur requiert l’application du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi qui stipule que la CSST peut imputer le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsqu’une imputation à son dossier financier a pour effet de lui faire supporter injustement le coût de ces prestations.

[33]           En conséquence, pour pouvoir bénéficier d’un transfert d’imputation conformément au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, l’employeur doit démontrer :

-que le travailleur est victime d’un accident du travail ; et

-que cet accident du travail est attribuable à un tiers ; et

-qu’il est injuste d’imputer les coûts découlant de cet accident du travail à son dossier financier.

[34]           L’ordre dans lequel cette démonstration est faite importe peu ; ce qui importe c’est que chacun de ces éléments soit mis en preuve.

Le travailleur est victime d’un accident du travail

[35]           L’article 326 de la loi est clair à ce sujet. La seule lésion professionnelle dont les coûts peuvent faire l’objet d’un transfert d’imputation selon cette disposition est l’accident du travail.

[36]           Dans ce dossier, l’accident du travail est prouvé et accepté comme tel par la CSST. La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que cet élément est démontré par l’employeur.

L’accident du travail est attribuable à un tiers

[37]           La Commission des lésions professionnelles estime que, pour bien cerner la notion de tiers, il faut examiner le sens commun de ce terme et le contexte législatif dans lequel il est employé.

[38]           Ainsi, l’article 326 de la loi met en scène deux intervenants : l’employeur et le travailleur accidenté de cet employeur. Par ailleurs, le « Petit Larousse » précise qu’un tiers est une « troisième personne » ou une « personne étrangère à un groupe » ou encore une « personne étrangère à une affaire, à un acte juridique, à un jugement… ».

[39]           Il ressort du libellé de l’article 326 de la loi et du sens ordinaire de ce terme qu’un « tiers » est toute personne, physique ou morale, qui n’est pas le travailleur accidenté ou l’employeur de ce travailleur accidenté ou qui est étrangère aux rapports juridiques existant entre ces derniers.

[40]           Dans ce dossier, l’employeur identifie à titre de tiers le camionneur du tiers-employeur chargé de la vidange des conteneurs.

[41]           Cette personne est effectivement un tiers en regard de l’employeur et du travailleur accidenté au sens de l’article 326 de la loi.

[42]           Maintenant, l’accident du travail du travailleur est-il attribuable à ce tiers ?

[43]           Pour répondre à cette question, il importe de bien identifier le sens du mot « attribuable ».

[44]           Le « Petit Larousse » suggère les définitions suivantes des termes « attribuable » et « attribuer ». Ainsi, est « attribuable » ce « qui peut être attribué ». Or, « attribuer » signifie « considérer comme auteur, comme cause ».

[45]           L’accident est donc « attribuable à un tiers » lorsque la preuve révèle que le tiers est l’auteur ou la cause de cet accident.

[46]           Par ailleurs, le simple fait qu’un tiers participe d’une quelconque façon à l’arrivée d’un accident est insuffisant pour conclure que cet accident lui est attribuable.

[47]           En effet, la jurisprudence précise que le tiers doit être majoritairement « responsable » ou doit avoir majoritairement contribué aux événements qui ont entraîné l’accident [4] pour permettre à l’employeur d’obtenir le transfert d’imputation réclamé.

[48]           Enfin, dans l’affaire Entreprises Vibec inc et Rochette [5], la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles établit une distinction entre le rôle dévolu à cet organisme et celui d’une cour civile. Elle s’exprime en ces termes :

L’article 326, al. 2, ne permet pas à la Commission d’appel d’imputer à un tiers une responsabilité avec des conséquences d’ordre pécuniaire mais bien, le cas échéant, de reconnaître la possibilité de la participation de ce tiers dans une proportion plus ou moins grande à un événement particulier avec, comme seul but, le dégagement de l’onus financier de l’imputation des coûts au seul dossier de l’employeur.

 

 

 

[49]           Le rôle de la Commission des lésions professionnelles n’est donc pas d’établir la responsabilité civile de chacun des intervenants selon la jurisprudence élaborée par les tribunaux civils (ce qui irait à l’encontre de l’article 25 de la loi qui stipule que les droits conférés par la présente loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque) mais bien de déterminer si le tiers a une participation majoritaire dans la survenue de l’accident du travail dont l’employeur veut se voir décharger des coûts. La doctrine et la jurisprudence élaborée en matière de responsabilité civile ne peut donc être importée dans ce contexte.

[50]           Ces principes étant établis, qu’en est-il du présent dossier ? La preuve révèle que l’accident du travail dont le travailleur est victime découle d’une succession d’événements.

[51]           Ainsi, selon le rapport de l’inspecteur de la CSST, la méthode de travail inadéquate du travailleur et l’absence d’une barre de sécurité empêchant les chutes de la passerelle entraînent la chute du travailleur dans la chambre du compacteur. Cette chute découle donc uniquement des faits et gestes du travailleur et de l’employeur.

[52]           Par ailleurs, les blessures surviennent lorsque le cylindre du compacteur est mis en marche par le camionneur en charge du transport et de la vidange du conteneur. Cependant, toujours selon le rapport de l’inspecteur de la CSST, cette mise en marche résulte de l’absence d’une procédure sécuritaire pour l’enlèvement et le transport de ce conteneur, procédure qui concerne l’employeur et le tiers camionneur. En effet, le camionneur procède à compacter les déchets sans s’assurer qu’il peut le faire de façon sécuritaire. Toutefois, l’employeur n’a mis en place aucun dispositif de sécurité empêchant une telle mise en marche lorsque la porte d’accès à la passerelle est ouverte ou lorsqu’un travailleur se trouve dans la chambre du compacteur. L’accident ne survient donc pas seulement en raison de l’action du tiers mais il survient également en raison de l’omission de l’employeur.

[53]           La Commission des lésions professionnelles ne peut donc conclure que le tiers est majoritairement responsable de l’événement du 21 décembre 1995. L’employeur et le travailleur contribuent également, de façon très importante, à la survenue de cet événement et, en conséquence, l’employeur ne peut bénéficier du transfert d’imputation qu’il réclame.

[54]           Il est vrai que le représentant de l’employeur soutient que l’action du tiers constitue un « novus actus interveniens » qui brise la chaîne de causalité entre les « fautes » de l’employeur et du travailleur et les « dommages » (blessures) subis par ce dernier.

[55]           Cependant, la Commission des lésions professionnelles ne peut retenir cet argument.

[56]           D’une part, tel que mentionné précédemment, la Commission des lésions professionnelles estime que les principes développés en droit civil ne peuvent s’appliquer mutatis mutandis à l’interprétation de la loi qui nous occupe puisqu’ils visent à sanctionner des obligations et des droits différents de ceux retrouvés dans le domaine de la santé et de la sécurité.

[57]           D’autre part, le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi prévoit une situation où un employeur ne doit pas assumer les coûts d’un accident du travail survenu à son travailleur. Pour pouvoir bénéficier de ce transfert de coûts, sa participation à la survenue de l’événement doit être négligeable. Or, dans ce dossier, ce n’est certes pas l’employeur qui actionne le compacteur mais sa négligence à établir des mesures de sécurité empêchant la mise en marche non sécuritaire de ce compacteur est un facteur tout aussi important que l’action du tiers dans la survenue de l’accident compte tenu de la préoccupation de santé et de sécurité qui chapeaute toutes les dispositions de la loi. Il ne saurait donc être question d’un nouvel acte d’un tiers ou d’un bris de la chaîne de causalité dans ce contexte.

[58]           La Commission des lésions professionnelles maintient donc la décision rendue par la révision administrative.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la contestation logée par l’employeur le 1er février 2000 ;

 

MAINTIENT la décision rendue par la révision administrative le 25 janvier 2000 ;

 

Et, en conséquence :

 

DÉCLARE que l’employeur doit supporter 100% des coûts reliés à la lésion professionnelle du 21 décembre 1995 de monsieur Michel Blanchet.

 

 

 

 

Me Carmen Racine

 

Commissaire

 

 

 

 

 

FLYNN, RIVARD AVOCATS

Me Bernard Cliche

70, rue Dalhousie, # 500

Québec (Québec)

G1K 7A6

 

Représentant de la partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Cliche Bernard et Gravel Martine, Les accidents du travail et les maladies professionnelles-Indemnisation et financement, éd. Yvon Blais inc., pp 650 à 655; Baudoin Jean-Louis, La responsabilité civile, éd. Yvon Blais inc., 4e éd., pp 267 à 299.

[3]           Morrissette et T. Mc Quat and Sons Limited [1958] B.R. 684; Côté et The Marmon Group of Canada Inc. [1989] 2 R.C.S. 419 ; Beaudoin et T. W. Hand Fireworks Co. Ltd [1961] C.S. 709 ; Volkert et Diamond Truck Company [1940] R.C.S. 455 ; Simoneau et Hamel [1989] R.R.A. 298 ; Caneric Properties et Allstate Compagnie d’assurance et Ville de Montréal [1995] R.R.A. 296 ; Beaulieu et Marchands en alimentation Agora inc., R.A. 114848070-1, la réviseure Marie-Lyne Tremblay.

[4]           Voir à titre d’exemples : Équipement Germain inc. et Excavations Bourgoin et Dickner inc., C.A.L.P. 30997-03-9203, le 4 août 1994, le commissaire Jean-Guy Roy; CSST et Hilton International, C.A.L.P. 92945-03-9712, le 4 mars 1998, le commissaire Jean-Marc Dubois; Banque Nationale du Canada et Centre commercial Place Saint-Jean, C.A.L.P. 82829-62-9607, le 18 novembre 1997, la commissaire Santina Di Pasquale.

[5]           [1995] C.A.L.P. 756 .

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