Décision

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Iko Industries Ltd. c. Landry

2016 QCCS 6346

JA0775

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

 

N° :

705-17-006931-164

 

 

 

DATE :

22 DÉCEMBRE 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

CLAUDE AUCLAIR, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

IKO INDUSTRIES LTD

Demanderesse

c.

L’HONORABLE RICHARD LANDRY, J.C.Q., EN SA QUALITÉ

DE JUGE DE LA COUR DU QUÉBEC, DIVISION PETITES CRÉANCES

Défendeur

Et

CAROLE HAMEL

YVES DAVID

PATRICK MORIN, CENTRE DE RÉNOVATION

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le Tribunal est saisi d’une « Demande de pourvoi en contrôle judiciaire » (Cote 3 du plumitif) à l’égard d’un jugement de la Cour du Québec, division des petites créances, refusant la production d’une expertise tardive en ces termes :

« [3]      CONSIDÉRANT que l’instance a été suspendue par jugement du 13 décembre 2012 vu l’existence d’un recours collectif dans le dossier 200-06-000130-115;

[4]         CONSIDÉRANT que la suspension a été levée par jugement du soussigné le 23 mars 2016;

[5]         CONSIDÉRANT que la défenderesse IKO veut maintenant procéder à une expertise de la toiture, ce à quoi les demandeurs s’opposent pour les motifs indiqués dans leur lettre du 10 mai 2015;

[6]         CONSIDÉRANT que la défenderesse IKO est mal fondée à demander en 2016 de faire réaliser une expertise qu’elle n’a pas jugé bon de demander lors de sa contestation en septembre 2011;

[7]         CONSIDÉRANT que la contestation et la production d’une telle expertise tardive risquent d’engendrer des coûts de contre-expertise et des délais disproportionnés et non justifiés dans les circonstances.

[8]         POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[9]         REJETTE la demande d’expertise de la défenderesse IKO Industries ltée, sans frais. »

[2]           Le 8 septembre 2011, les mis en cause dans la présente affaire - madame Carole Hamel (ci-après Hamel) et monsieur Yves David (ci-après David) - introduisent un recours à la Cour des petites créances pour des dommages allégués à leur toiture, et ce, contre le fabriquant multinational[1], la demanderesse dans la présente affaire, IKO Industries ltée (ci-après IKO), opérant 21 usines de fabrication à travers le Canada, les États-Unis et l’Europe.

CHRONOLOGIE

[3]           Le 30 septembre 2011, IKO produit sa contestation.

[4]           Le 18 octobre 2012, l’audition de la cause est tenue devant la juge Julie Messier, de la Cour du Québec, laquelle prend en délibéré le dossier, et ce, après avoir entendu Hamel et David et les représentants de IKO. À cette occasion, IKO n’a pas fait entendre d’expert ni déposé de rapport d’expertise.

[5]           Le 13 décembre 2012 - après délibéré - la juge Messier se dessaisit du dossier et suspend les procédures en raison de l’existence d’un recours collectif[2] (action collective) omettant de se prononcer sur le fond.

[6]           Le 27 novembre 2015, Hamel et David déposent une demande amendée de leur réclamation[3].

[7]           Le 23 mars 2016 - suite à une demande de Hamel et David - un jugement est rendu, levant la suspension[4].

[8]           Le 5 avril 2016, la Cour du Québec convoque les parties[5] pour le 23 juin 2016.

[9]           Le 27 avril 2016, les procureurs de IKO informent Hamel et David avoir reçu instruction de leur cliente de coordonner une inspection de la toiture par un expert indépendant[6].

[10]        Le 3 mai 2016, les mêmes procureurs reçoivent une lettre de Hamel et David qui refusent la demande d’expertise[7].

[11]        Le 9 mai 2016, IKO demande l’assistance du greffe de la Cour du Québec, Division des petites créances, afin de protéger ses droits de s’assurer de pouvoir présenter une défense pleine et entière et afin d’obtenir des directives permettant d’obtenir accès à la toiture, pour fins d’inspection[8].

[12]        Le 11 mai 2016, Hamel et David informent par courriel la Cour du Québec des raisons de leur refus[9].

[13]        Le 12 mai 2016, les procureurs de IKO reçoivent du greffe de la Cour du Québec un courriel détaillant le refus de Hamel et David quant à cette demande d’inspection. Les procureurs de IKO communiquent avec le greffe afin de répondre à la position des mis en cause[10].

[14]        Le 25 mai 2016, les procureurs de IKO demandent à nouveau au greffe de donner suite à la lettre de leur cliente du 9 mai 2016 pour obtenir une ordonnance permettant l’inspection de la toiture[11].

[15]        Le 20 mai 2016[12], le juge Landry rejetait la demande de procéder à l’inspection de la toiture.

[16]        Il est admis lors de l’audition, qu’en plus de la correspondance, le procureur de IKO a communiqué directement avec Hamel et David par voie téléphonique.

QUESTIONS EN LITIGE

[17]        Le recours de IKO est-il irrecevable à cause de sa conduite et de celle de ses procureurs?

[18]        La décision du juge Landry est-elle raisonnable ou correcte?

[19]        Le recours est-il disproportionné?

[20]        En plus de répondre à ces questions, le Tribunal aura à déterminer si le recours est abusif et quels sont les dommages de l’irrecevabilité du recours.

LE RECOURS EN POURVOI

[21]        Comme le disait le juge Vallerand dans l’affaire Celanese[13] :

«           Le droit administratif, en ce qu’il régit le pouvoir de surveillance et de réforme des cours de juridiction supérieure, est devenu - qu’on me pardonne ma férocité - incohérent. Les nuances d’appoint viennent « parfaire » les distinctions ponctuelles et, soit dit avec tous égards et autant d’admiration à l’endroit de ceux qui s’y retrouvent encore, on ne s’y retrouve plus guère. C’est qu’on a, je pense, laissé se perdre le caractère essentiel du recours qui est de la nature d’une supplique adressée à la Cour de droit commun pour l’inviter, dans les cas qui le méritent, à réprimer les abus de pouvoir, à faire prévaloir la règle de droit sur la règle des hommes, à assurer le respect de la justice naturelle, bref et essentiellement à faire intervenir une conscience judiciaire indignée.

[…]

C’est ainsi que la parade continue et s’allonge sans cesse : de ceux qui ont pour eux le scandale mais non pas le droit, confiants avec raison, que la conscience judiciaire saura bien torturer le droit; mais aussi et moins heureusement de ceux qui ont pour eux le droit mais non pas le scandale, espérant, souvent eux aussi avec raison, que la conscience judiciaire, cette fois moins astucieuse parce que sereine, laisser prévaloir, au dépens d’une administration honnête, une règle de droit inventée à d’autres fins. Et on se retrouve avec un - qu’on me passe le mot - joyeux cafouillis où seuls les avocats et les commentateurs mais sûrement pas les justiciables trouvent profit […] et où, ce qui est grave, la noblesse de la mission des cours supérieures se retrouve écorchée. »

(Le Tribunal souligne)

[22]        Bien qu’écrit depuis plus de trente-trois ans, cette citation est toujours d’actualité. Le recours - anciennement en évocation, maintenant nommé demande de pourvoi en contrôle judiciaire - est toujours une supplique à la Cour supérieure et - malgré le fait que l’on puisse rencontrer tous les critères - qu’il s’agit toujours d’un recours discrétionnaire.

LA CONDUITE DE LA DEMANDERESSE ET L’IRRECEVABILITÉ DE SON RECOURS

[23]        L’article 542 C.p.c. consacre le principe de la Division des petites créances selon lequel les personnes doivent s’y représenter elles-mêmes, sans pouvoir être représentées par avocat. L’avocat en entreprise ou œuvrant pour un organisme public ne peut représenter son employeur et ne peut faire valoir des intérêts personnels.

[24]        Comme le souligne l’auteure Chantal Chatelain[14], maintenant juge à notre Cour :

«           Exceptionnellement, et lorsqu’une cause soulève une question complexe sur un point de droit, la présence de l’avocat pour représenter une partie […] peut être autorisée d’office ou sur demande, mais toujours avec l’accord préalable du juge en chef de la Cour du Québec. »

(Le Tribunal met l’emphase)

[25]        Finalement, l’article 542 C.p.c. prévoit explicitement le droit des personnes physiques et des personnes morales de consulter un avocat aux fins de la « préparation » de leur dossier devant la Division des petites créances.

[26]        Or, non seulement les procureurs de IKO communiquent directement avec Hamel et David pour coordonner une inspection de la toiture, et ce, soit par téléphone ou soit par écrit[15] mais que - suite au refus de ces derniers - les procureurs argumentent auprès du greffe, le 12 mai 2016, invoquant le droit le plus strict à IKO à l’accès à l’objet du litige[16], ce qui n’est pas de la préparation mais bien de la représentation.

[27]        Non satisfaits à nouveau, les procureurs requièrent une ordonnance de la Cour des petites créances permettant l’inspection[17]. Encore là, ici, il ne s’agit pas de consultations de l’avocat mais bien de représentations prohibées par le Code.

[28]        Pourtant, la Cour des petites créances a été créée pour régler rapidement les conflits de petite quotité, et ce, sans l’intervention des procureurs en vue de faciliter un plus grand accès.

[29]        Dans la présente affaire, on est loin de la consultation. Nous sommes en présence de représentations. De permettre la représentation par avocat briserait l’équilibre du substantif et du procédural que se veut la Cour des petites créances. On ne peut être représenté par avocat - même si ce dernier est notre employé - alors, encore moins s’il s’agit d’un avocat d’un cabinet externe.

[30]        IKO n’a donc pas les mains propres en se présentant à la Cour supérieure pour demander et supplier la Cour d’intervenir et de casser la décision de première instance.

[31]        Mais il y a plus. En Cour supérieure, IKO omet de déposer la transcription de l’audition du 18 octobre 2012[18] ou - à tout le moins - de dénoncer clairement que la cause avait été prise en délibéré, après que les parties aient témoigné. Précisons également qu’en octobre 2012, IKO n’a pas jugé bon d’expertiser la toiture, se contentant de plaider la non-application de sa garantie.

[32]        Par son omission de déposer la transcription de cette audition, IKO force ainsi Hamel et David à payer pour obtenir ladite transcription dans le but d’éclairer le Tribunal. Nous sommes loin d’une divulgation franche et complète - ce à quoi on doit s’attendre - et encore moins de l’accessibilité des justiciables par la voie des petites créances.

[33]        On peut même dire que le recours « est marqué à l’enseigne de la guérilla d’usure plutôt qu’à celle de la justice », et ce, en paraphrasant le juge Vallerand dans l’affaire du Cégep de Valleyfield c. Cashman[19].

[34]        Pour ces motifs, le Tribunal déclare irrecevable IKO à présenter sa demande puisqu’elle n’a pas les mains propres et ne respecte pas les règles les plus élémentaires.

LE POURVOI

[35]        Le recours de IKO doit également être rejeté sur le fond et voici pourquoi.

[36]        IKO suggère que la décision l’empêchant de procéder à l’expertise et d’avoir accès à la toiture est un accroc à sa défense pleine et entière et - par le fait même - la règle de justice naturelle d’audi alteram partem, ce qui entraînerait, selon elle la nullité de la décision, et ce, sur la base d’intervention de la présente Cour sur la base de la décision correcte.

[37]        Qu’en est-il exactement? Le juge Landry a refusé l’expertise tardive. Il s’agissait d’un jugement de gestion puisqu’il refuse - après quatre ans et demi - la demande de IKO. Cette dernière s’appuie sur un jugement de la juge Bourque dans l’affaire Cayer c. Buffoni[20] où le juge Laporte a refusé la réouverture d’enquête. Le Tribunal ne partage pas l’opinion de la juge Bourque.

[38]        Dans cette affaire, on ne discute pas de l’arrêt unanime de la Cour d’appel dans l’affaire Modes Strivia c. Banque Nationale[21] où le juge Rochon mentionne :

« [19]    Reste à disposer de l'objet principal de la requête des appelants : le rapport d'expertise du 18 septembre 2001.

[20]       Le premier juge a exposé correctement l'ensemble des circonstances qui ont entouré la demande de production de ce rapport. Son examen de l'affaire m'apparaît minutieux. Je suis d'avis qu'il a exercé correctement sa discrétion. Je rappelle, si besoin était, que la question en appel porte sur le contrôle de la discrétion judiciaire exercée par le premier juge et non sur l'exercice par la Cour de cette discrétion.

[21]       Le délai mis par les appelants à rechercher, à considérer, à tenter de produire est inexcusable : un amas d'excuses toutes moins sérieuses les unes que les autres. Qui plus est, le retard est en grande partie imputable à la partie elle-même. De mars 2000 à octobre 2001, l'appelant Labrèche a manqué de disponibilité pour rencontrer ses experts. J'insiste sur ce point. La Cour suprême du Canada a rappelé, à plusieurs reprises, qu'en l'absence de préjudice pour la partie adverse, il ne convient généralement pas de faire perdre à une partie ses droits à raison de la seule négligence de son avocat. En l'espèce, le manque de sérieux manifeste de la partie dans la préparation de son dossier m'apparaît évident. Il en résulte un préjudice à la fois à la partie adverse et à l'organisation judiciaire. Au moment où l'intimée reçoit l'expertise (octobre 2001) son propre expert est retenu dans un autre procès qui absorbe tout son temps pour une durée de trois semaines. On lui demande donc de se préparer à une audition, d'assigner ses témoins sans savoir si elle ne sera pas dans l'obligation de demander une remise lorsque son expert aura eu l'occasion d'examiner le nouveau rapport.

[22]       Au moment de fixer les dates d'audition du procès, les appelants ont en leur possession le rapport d'expert de la partie adverse depuis 6 mois. Ils déclarent avoir retenu les services d'un second expert dont le rapport serait produit dans les deux ou trois mois à venir. Nous sommes alors en octobre 2000. Ils présentent leur requête en octobre 2001, quelques semaines avant le début du procès prévu pour une durée de dix jours.

[23]       Je ne peux déceler aucune erreur de principe ou d'exercice déraisonnable de la discrétion par le premier juge qui refuse la production de ce rapport d'expert. Rien ne justifie l'intervention de la Cour. »

(Le Tribunal souligne) (Références omises)

[39]        Le Tribunal ne voit pas comment on peut distinguer l’affaire Strivia de la présente affaire. Plus de quatre ans et demi se sont écoulés depuis l’audition au mérite, en octobre 2012. De plus, nous sommes devant la Cour des petites créances. Comme le stipulait Hamel et David dans leur lettre du 10 mai « 2015 » (sic - 2016)[22] :

« […]

                         De la première communication du 7 octobre 2010 jusqu’au 2 mai 2016, soit plus de 5 ans et incluant l’audience du 12 octobre 2012, jamais la cie IKO ou un représentant n’a manifesté le besoin de venir constater l’état de notre toiture.

[…]

                         Notre position et notre poursuite portent sur l’entière surface de notre toiture qui sera à être remplacée par d’autres bardeaux. Si nous acceptons que M. Côté vienne constater du pourcentage alors nous serons dans l’obligation de faire venir un autre expert. Nous ne voulons pas embarquer dans une bataille d’expert concernant le pourcentage qui devra être remplacé puisque c’est plutôt à la Cour Civile où l’on peut poursuivre avec des montants supérieurs dus aux parades d’experts.

                         Nous aimerions que la Cour tienne compte lors de la première audience en date du 18 octobre 2012, nous avions produit déjà une copie d’expertise d’un évaluateur agréé. À cette même audience, nous avons voulu présenter un autre document d’expert (voir pièce jointe) mais qui a été refusé par l’autre partie par notre méconnaissance, car nous avions oublié de faire parvenir le document à la Cour. L’autre partie à cette audience n’a jamais présenté aucun document d’expert.

                         Pour nous, se présenter à la Cour des petites créances voulait dire bénéficier d’une procédure hâtive et simplifier mais surtout accepter un plafonnement des frais et une certaine limitation des dépenses. Cette procédure n’empêche pas une rigueur tel que démontré dans le paragraphe précédent concernant les lettres d’experts. Si nous tenons compte de la première démarche, cela représente plus de 5 ans et demi et de nombreux frais. »

(Le Tribunal souligne)

[40]        Le juge Landry a bien examiné la situation.

NORMES DE CONTRÔLE

[41]        Comme le soulignait mon collègue, le juge Bouchard, dans l’affaire Lechasseur[23] :

« [38]    Rappelons enfin l'arrêt récent de la Cour suprême Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l'enseignement de la région de Laval, où la Cour affirme que pour que s'applique la norme de la décision correcte, la question doit non seulement revêtir une importance capitale pour le système juridique, mais elle doit aussi être étrangère au domaine d'expertise du décideur. Le juge Benoit Morin de la Cour d'appel applique aussi ces principes dans l'arrêt Québec (Procureur général) c. E.D. qui mettait en cause une décision du Tribunal administratif du Québec.

[39]       Ici, le tribunal estime que la question à laquelle devait répondre la Cour du Québec, division des petites créances, n'est pas une question de droit générale d'une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère à son domaine d'expertise. C'est une question à laquelle le juge de la Cour du Québec est familier, à savoir l'appréciation d'une preuve au regard d'une faute qui est invoquée et le lien de causalité entre cette faute et les dommages réclamés.

[40]       C'est donc la norme de la décision raisonnable qui servira de guide pour analyser le jugement de la Cour du Québec. »

(Le Tribunal souligne) (Références omises)

[42]        Le Tribunal fait siens ces propos. Ici, nous sommes devant une décision de gestion où le juge refuse de permettre l’accès à la propriété, après quatre ans et demi dont trois ans et demi après l’audition. Non seulement une longue période de temps s’est écoulée, mais la juge Messier a entendu la cause. Il ne s’agit pas d’une affaire d’une importance capitale pour le système juridique. Personne ne va perdre foi au système en refusant le pourvoi. Bien au contraire. L’accès à la justice passe par la proportionnalité.

[43]        Tout comme il est mentionné dans l’affaire Hryniak[24] de la Cour suprême :

« [24]    Or, les formalités excessives et les procès interminables occasionnant des dépenses et des délais inutiles peuvent faire obstacle au règlement juste et équitable des litiges. La tenue d’un procès complet est devenue largement illusoire parce que, sans une contribution financière de l’État, les Canadiens ordinaires n’ont pas les moyens d’avoir accès au règlement judiciaire des litiges civils. Les coûts et les délais associés au processus traditionnel font en sorte que, comme l’a mentionné l’avocat de l’intervenante Advocates’ Society (dans Bruno Appliance) à l’audition du présent pourvoi, le procès prive les gens ordinaires de la possibilité de faire trancher le litige. Alors que l’instruction d’une action en justice est depuis longtemps considérée comme une mesure de dernier recours, d’autres mécanismes de règlement des litiges, comme la médiation et la transaction, sont davantage susceptibles de donner des résultats justes et équitables lorsque la décision judiciaire demeure une solution de rechange réaliste.

[25]       Le règlement expéditif des litiges par les tribunaux permet aux personnes concernées d’aller de l’avant. Toutefois, lorsque les coûts et les délais judiciaires deviennent excessifs, les gens cherchent d’autres solutions ou renoncent tout simplement à obtenir justice. Ils décident parfois de se représenter eux-mêmes, ce qui entraîne souvent d’autres difficultés en raison de leur méconnaissance du droit.

[26]       Dans certains milieux, l’arbitrage privé est de plus en plus considéré comme une solution de rechange à un processus judiciaire lent.  Or, ce n’est pas la solution : en l’absence d’un forum public accessible pour faire trancher les litiges, la primauté du droit est compromise et l’évolution de la common law, freinée.

[…]

[31]       Même si la proportionnalité n’est pas expressément codifiée, l’application de règles de procédure qui font intervenir un pouvoir discrétionnaire [traduction] « englobe [. . .] un principe sous-jacent de proportionnalité, selon lequel il faut tenir compte de l’opportunité de la procédure, de son coût, de son incidence sur le litige et de sa célérité, selon la nature et la complexité du litige » : […].

[32]       Ce virage culturel oblige les juges à gérer activement le processus judiciaire dans le respect du principe de la proportionnalité. La requête en jugement sommaire peut permettre d’économiser temps et ressources, mais, à l’instar de la plupart des procédures préalables au procès, elle peut ralentir l’instance si elle est utilisée de manière inappropriée. Bien que les juges puissent contribuer à la réduction de ce risque, et devraient le faire, les avocats doivent, conformément aux traditions de leur profession, agir de manière à faciliter plutôt qu’à empêcher l’accès à la justice. Ils devraient ainsi tenir compte des moyens limités de leurs clients et de la nature de leur dossier et élaborer des moyens proportionnés d’arriver à un résultat juste et équitable.

[33]       Une demande complexe peut comporter un dossier volumineux et exiger un investissement important en temps et en argent. Toutefois, la proportionnalité est forcément de nature comparative; même les procédures lentes et coûteuses peuvent s’avérer proportionnées lorsqu’elles constituent la solution la plus rapide et la plus efficace. La question est de savoir si les frais et les délais additionnels occasionnés par la recherche des faits lors du procès sont essentiels à un processus décisionnel juste et équitable. »

(Le Tribunal souligne) (Références omises)

[44]        Ici, IKO recherche le contrôle judiciaire d’une décision refusant l’accès à la propriété de Hamel et David dans une affaire de petites créances qui a déjà été prise en délibéré il y a quatre ans et dans laquelle IKO avait renoncé à déposer une expertise à l’époque et IKO veut maintenant corriger le tir. La décision du juge Landry - compte tenu des circonstances - est raisonnable et correcte, suivant l’enseignement de la Cour d’appel dans l’affaire de Modes Strivia précitée et conforme aux règles de la proportionnalité énoncées par la Cour suprême que par le Code de procédure.

ABUS DE PROCÉDURES ET RÉCLAMATION DE 4 707,45 $[25]

[45]        Les mis en cause réclament la somme de 4 707,45 $, et ce, suite à l’abus de IKO d’exercer son recours devant la Cour supérieure.

[46]        Les mis en cause ont entraîné des coûts importants pour se défendre et pour que le dossier soit complet en Cour supérieure. À titre d’exemples, ils ont payés des coûts de transcription puisque IKO n’a pas daigner déposer la transcription permettant - par le fait même - de déceler que l’audition avait eu lieu devant la juge Messier et que cette dernière avait pris le dossier en délibéré et qu’elle devait rendre jugement, soit sur le fond ou rendre un jugement sur la suspension.

[47]        Les mis en cause ont dû payer la somme 16,90 $ pour le CD de l’audience du 18 octobre 2012 et 250,60 $ pour la transcription.

[48]        De plus, les mis en cause ont dû acquitter une somme de 2 735, 84 $ d’avocat-conseil pour la préparation de leur mémoire - très bien confectionné d’ailleurs.

[49]        De plus, ils ont dû se déplacer à la Cour les 14 juillet et 16 novembre 2016 pour les auditions.

[50]        L’attitude de IKO ressemble à une procédure « bâillon ». On doit sanctionner de telles conduites car les ressources judiciaires ne sont pas illimitées.

[51]        Jamais IKO n’a daigné informer le Tribunal de médiation possible. Pourtant, le Tribunal a souligné - lors de l’audition - l’importance de la médiation et du rôle du Tribunal et de sa mission. Nous sommes devant un cas éhonté d’abus et il faut envoyer un message clair que le système judiciaire est un service public et qu’on ne peut le détourner à ses propres fins de guérilla - sans conséquence.

[52]        A-t-on pensé combien IKO a dépensé en honoraires depuis le mois d’avril 2016? Pourtant, nous sommes loin des règles de proportionnalité et des principes énoncés dans l’arrêt Hryniak précité. Quand on pense aux honoraires encourus par IKO, soit les nombreuses lettres et communications téléphoniques par leurs procureurs aux mis en cause, la préparation d’une demande de remise et d’une demande de pourvoi, vacations à la Cour de Joliette le 14 juillet pour fixer l’audition, préparation d’un mémoire qui - soit dit en passant - a été déposé tardivement, préparation des pièces et des autorités dont un cahier d’un pouce et demi ainsi que l’audition devant le soussigné, le 16 novembre 2016.

[53]        Le Tribunal va accorder certains déboursés encourus par les mis en cause et leur octroiera la somme de 1 500,00 $ à titre d’inconvénients puisqu’il faut envoyer un message clair aux multinationales comme IKO qui prennent le système judiciaire en otage pour obtenir gain de cause par leur guérilla, ce qui est contraire aux objectifs du nouveau Code de procédure.

[54]        En conséquence, le Tribunal retient partiellement la réclamation des mis en cause pour la somme 4 503,34 $ car elle est prouvée et bien fondée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[55]        REJETTE la demande de pourvoi;

[56]        CONDAMNE la demanderesse à payer la somme de 4 503,34 $ aux mis en cause;

[57]        AVEC FRAIS DE JUSTICE.

 

 

__________________________________

CLAUDE AUCLAIR, J.C.S.

 

Me Alexandre Janin

ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO

Pour la demanderesse

 

Carole Hamel et Yves David

Mis en cause

Non représentés

 

Date d’audience :

16 novembre 2016

 



[1]     Pièce D-1 : Dossier 730-32-007244-119, contestation de IKO, par. 2.

[2]     Pièce P-3 : Dossier 730-32-007244-119, jugement, 13 décembre 2012, j. Messier.

[3]     Pièce P-2 : Dossier 730-32-007244-119, réclamation amendée, 27 novembre 2015.

[4]     Pièce P-4 : Dossier 730-32-007244-119, jugement sur suspension, 23 mars 2016, j. Landry.

[5]     Pièce P-5 : Dossier 730-32-007244-119, convocation à l’audience, 5 avril 2016.

[6]     Pièce P-6 : Dossier 730-32-007244-119, lettre de Robinson Sheppard Shapiro à Hamel et David, 27 avril 2016.

[7]     Pièce P-7 : Dossier 730-32-007244-119, lettre de Hamel et David à Robinson Sheppard Shapiro, 3 mai 2016.

[8]     Pièce P-8 : Dossier 730-32-007244-119, lettre de IKO au greffe de la Cour du Québec, 9 mai 2016.

[9]     Pièce P-9 : Dossier 730-32-007244-119, courriel de Hamel adressé au greffe des petites créances, 11 mai 2016.

[10]    Pièce P-10 : Dossier 730-32-007244-119, en liasse, courriel du greffe des petites créances aux procureurs de IKO et réponse de ces derniers, le 12 mai 2016.

[11]    Pièce P-11 : Dossier 730-32-007244-119, lettre de Robinson Sheppard Shapiro au greffe de la Cour de Québec, 25 mai 2016.

[12]    Pièce P-1 : Dossier 730-32-007244-119, décision sur demande d’expertise du 20 mai 2016.

[13]    Celanese Canada inc. c. Clément & al, [1983] C.A. 319, p. 3 et 4.

[14]    Chantal CHATELAIN, Les voies procédurales particulières, Livre VI, p. 2183.

[15]    Pièce P-6 : Précité note 6.

[16]    Pièce P-10 : Précité note 10.

[17]    Pièce P-11 : Précité note 11.

[18]    Pièce D-4 : Dossier 730-32-007244-119, transcription de l’audition du 18 octobre 2012 devant madame la juge Julie Messier, j.c.Q.

[19]    Collège d’Enseignement Général et Professionnel de Valleyfield c. Cashman & al, C.A. Montréal, no 500-09-001035-831, 25 septembre 1984, j. Vallerand, p.2.

[20]    Cayer c. Buffoni, [2010] QCCS 4345.

[21]    Modes Striva inc. c. Banque Nationale du Canada, (C.A. 2002-03-06), SOQUIJ AZ 50116051.

[22]    Pièce P-9 : Précité note 9.

[23]    Lechasseur c. Guimond, 2016 QCCS 2567.

[24]    Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7.

[25]    Pièce MC-1 : Frais concernant le pourvoi.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.