Chaput c. Montréal (Ville de)

2012 QCCS 2506

 

JS-1327

 
 COUR SUPÉRIEURE

Chambre criminelle

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-36-006069-127

 

 

 

DATE :

 15 mai 2012

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MICHAEL STOBER, J.C.S.

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STÉPHANE CHAPUT

Appelant - accusé

 

c.

 

VILLE DE MONTRÉAL

Intimée - poursuivante

 

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JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE

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[1]           L’appelant-accusé, Stéphane Chaput se pourvoit en appel de sa déclaration de culpabilité par l’honorable juge Nathalie Haccoun, le 11 décembre 2011, à la Cour municipale de Montréal, d’avoir, comme conducteur d’un véhicule, croisé un autobus affecté au transport d’écoliers dont le signal d’arrêt n’a pas été escamoté.

[2]           Le Tribunal doit décider :

(i)         si la poursuite a l’obligation de prouver non seulement que l’autobus en                         question est affecté au transport d'écoliers, mais également, qu'au                                     moment de l’infraction, des écoliers embarquaient, débarquaient ou                                  étaient dans l’autobus;

(ii)        si l’appelant est coupable de ne pas avoir immobilisé son véhicule selon                       l'article 460 du Code de la sécurité routière (CSR),  lorsque le ou les                              conducteurs des autobus n'ont pas agi en conformité avec les articles 456                         à 459, en ne mettant pas en marche les feux rouges intermittents et en               n'actionnant pas le signal d'arrêt obligatoire.

             (iii)       si l’accusation décrite dans le constat est suffisamment détaillée,                                    respectant les exigences du Code de procédure pénale (CPP) et le droit                     criminel.

[3]           Pour les raisons qui suivent, l’appel est rejeté.

LES FAITS

[4]           Le 4 février 2010, l’agent Pierre Bélanger du SPVM, est immobilisé sur la rue Ontario au sud près de la rue Hôtel-de-Ville. Face à la Maison Théâtre (un théâtre pour enfants), sur le côté nord de la rue Ontario, deux autobus scolaires sont stationnés, un en arrière de l’autre.

[5]           Le deuxième autobus a le panneau d’arrêt ouvert.

[6]           Le véhicule conduit par l’appelant, monsieur Chaput, roule de l’ouest vers l’est en croisant ce deuxième autobus dont le signal d’arrêt n’est pas escamoté, tel que montré sur trois photographies (P-2). L’agent Bélanger ne voit pas de feux rouges intermittents.

[7]           Monsieur Chaput témoigne qu’il a vu les deux autobus à sa gauche; le premier n’a pas attiré son attention. Il n’a pas porté attention au deuxième autobus parce qu’il regardait un troisième autobus arrêté à sa droite sans lumières, sans signe d’arrêt, en face du CLSC. Des personnes âgées descendaient de ce troisième autobus. Cet endroit est montré sur trois photographies, (D-1).

[8]           L’accusé admet qu’il a continué sa route. Il cherchait la rue Saint-Denis. Ce n’est pas un coin qu’il connaissait.

[9]           Monsieur Chaput témoigne qu’en aucun temps, il n’a vu d’écoliers. Il dit également qu’il n’a pas vu, à quelque moment que ce soit, de personnes descendant des deux autobus arrêtés face au théâtre.

POSITION DES PARTIES

[10]        L’appelant, monsieur Chaput, plaide que  la juge de première instance a erré en droit vu son interprétation de l’article 460 CSR et par son omission de tenir compte des exigences des articles 456, 457 et 458. Il prétend que le conducteur du deuxième autobus n’avait pas le droit, selon l’article 456, d’actionner l’arrêt considérant l’absence de preuve de la présence d’écoliers. Il avance également, en vertu de l’article 457, que si des écoliers montaient ou descendaient de l’un des deux autobus à la file, le signal d’arrêt des deux autobus devait impérativement être actionné, ce qui n’était pas le cas. De plus, il prétend que le signal d’arrêt actionné sur le second autobus garé à la file, est compatible, dit-il, avec un oubli du conducteur de l’escamoter après la montée ou la descente de tous les passagers. L’appelant prétend que sa responsabilité pénale est liée aux obligations qui incombaient aux conducteurs des autobus affectés au transport d’écoliers.  

[11]        L’appelant plaide que  la juge de première instance a erré en droit  vu l’absence de preuve hors de tout doute raisonnable que la culpabilité de l’appelant était la seule conclusion logique ou rationnelle. L’appelant avance l’absence de preuve d'écoliers embarquant ou débarquant des deux autobus en question. Considérant la preuve, l'appelant soulève une autre conclusion logique - qu'il s'agissait seulement de personnes âgées qui sont descendues du deuxième autobus.

[12]        L’appelant plaide que  la juge de première instance a erré en droit  vu la preuve uniquement circonstancielle quant à un élément essentiel de l’infraction - l’affectation des autobus au transport d’écoliers le 4 février 2010. Selon lui, un doute raisonnable existe quant au fait selon lequel les autobus croisés par l’appelant étaient affectés au transport d’écoliers. Il prétend que la poursuite est obligée de présenter une preuve hors de tout doute raisonnable selon laquelle des écoliers étaient présents.

[13]        L’appelant indique de plus que le libellé de l’accusation n’est pas suffisamment détaillé, que les caractéristiques de l’infraction doivent faire partie du constat, par exemple, le nombre d’autobus que l’appelant a croisé, si l'un d'eux ou les deux avaient les feux rouges intermittents en marche et le signal d’arrêt obligatoire actionné.

[14]        L’intimée, la Ville de Montréal, argumente qu’un manquement à l’article 457 CSR ne diminue en rien l’obligation pour un conducteur de se conformer à l’article 460. Elle plaide que l’article 456 réfère aux personnes peu importe l’âge.

[15]        L’intimée avance que le constat est conforme aux exigences de l’article 146 CPP, que la preuve est convaincante pour justifier le verdict de culpabilité et qu’aucune erreur de droit n’a été commise par la juge de première instance.

PRINCIPES

[16]        Les articles pertinents du CSR énoncent :

 

454. La présente section s'applique au transport des écoliers, à l'exception d'un transport effectué en vertu d'un permis délivré à cet effet par la Commission des transports du Québec et pour lequel peut être utilisé un autobus ou un minibus autre qu'un autobus ou minibus affecté au transport d'écoliers au sens d'un règlement pris en vertu de la Loi sur les transports (chapitre T-12).

 

455. Le conducteur d'un autobus ou minibus affecté au transport d'écoliers doit s'assurer que toutes les personnes sont assises avant de mettre son véhicule en mouvement et qu'elles le demeurent pendant le trajet.

 

456. Le conducteur d'un autobus ou minibus affecté au transport d'écoliers doit, lorsqu'il s'arrête pour faire monter ou descendre des personnes, donner l'alerte en mettant en marche les feux rouges intermittents et actionner le signal d’arrêt obligatoire visés à l'article 229 tant que les personnes ne sont pas en sécurité.

 

Le premier alinéa ne s'applique pas à un tel véhicule lorsqu'il est utilisé pour transporter exclusivement des écoliers qui se déplacent en fauteuil roulant.

 

457. Lorsque des autobus ou minibus affectés au transport d'écoliers sont immobilisés à la file et que le conducteur de l'un de ces véhicules fait monter ou descendre des personnes, les conducteurs des autobus ou minibus qui suivent doivent également mettre en marche les feux rouges intermittents de leurs véhicules et actionner leur signal d'arrêt obligatoire.

 

458. Le conducteur d'un autobus ou minibus affecté au transport d'écoliers ne peut mettre en marche les feux rouges intermittents de son véhicule ni actionner son signal d'arrêt obligatoire que dans les circonstances prévues aux articles 456 et 457.

 

459. Nul ne peut mettre en marche les feux rouges intermittents d'un véhicule ni actionner le signal d'arrêt obligatoire lorsque le véhicule qui en est muni n'est pas utilisé pour effectuer le transport auquel s'applique la présente section.

 

460. Le conducteur d'un véhicule routier qui approche d'un autobus ou minibus affecté au transport d'écoliers dont les feux rouges intermittents sont en marche ou lorsqu'il est fait usage de son signal d'arrêt obligatoire doit immobiliser son véhicule à plus de 5 mètres de l'autobus ou du minibus et ne peut le croiser ou le dépasser que lorsque les feux rouges intermittents sont éteints et le signal d'arrêt obligatoire escamoté, et qu'après s'être assuré qu'il peut le faire sans danger.

 

Le premier alinéa ne s'applique pas à un véhicule routier qui croise un autobus ou minibus affecté au transport d'écoliers sur une chaussée adjacente séparée par un terre-plein ou une autre séparation physique surélevée.

 

                461. Le deuxième alinéa de l'article 426 et les articles 455 à 460 s'appliquent en tout temps au transport     de toute personne âgée de moins de 18 ans effectué au moyen d'autobus ou de minibus habituellement          affectés au transport d'écoliers au sens d'un règlement pris en vertu de la Loi sur les transports (chapitre     T-12).

 

[17]        L'article 44.1 du Règlement sur les véhicules routiers affectés au transport des élèves énonce :

                Le conducteur d'un autobus d'écoliers doit, avant de mettre en marche les feux rouges intermittents               et d'actionner le signal d'arrêt selon les articles 456 ou 461 du Code de la sécurité routière, mettre en         marche les feux jaunes d'avertissement alternatifs visés au quatrième alinéa de l'article 34 afin            d'avertir les conducteurs que l'autobus s'apprête à s'immobiliser pour y faire monter ou descendre des          élèves ou des personnes âgées de moins de 18 ans.

[18]        L’article 460 est une infraction de responsabilité absolue. Le législateur indique clairement que la culpabilité suit la simple preuve de l’accomplissement de l’acte prohibé. L’économie générale de la réglementation adoptée par le législateur, l’objet de la législation, la gravité de la peine et la précision des termes utilisés sont essentiels pour déterminer si l’infraction tombe dans cette catégorie; R. c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299 , page 1326; Béliveau c. Ville de Montréal, [2011] J.Q. no. 5198, page 3; Ville de Laval c. Béchard, [2006] J.Q. no. 7488, par. 16; Ville de Laval c. Girard, AZ-50068683 (CM Laval), pages 5-8; Ville de Laval c. Longval, AZ-50068684 (CM Laval), page 7; R. c. Kurtzman, (1991), 66 C.C.C. (3d) 163 (Ont. C.A.), pages 167-173.

ANALYSE

[19]        Les faits ne sont pas contestés en l’espèce.

[20]        L’esprit et la lettre de la loi visent la protection de toute personne âgée de moins de 18 ans transportée au moyen d'autobus ou de minibus habituellement affectés au transport d'écoliers (art. 461 CSR et article 44.1 du Règlement précité).

[21]        Selon le Tribunal, l’expression « autobus ou minibus affecté au transport d'écoliers » signifie que l’autobus a été fabriqué ou modifié pour le transport d’écoliers. La version anglaise énonce : « bus or minibus used for the transportation of school children».

[22]        Si le législateur avait l’intention de dire que ces autobus doivent être en train de transporter des écoliers au moment même de l’infraction, il l’aurait spécifié comme il l'a fait pour exempter la responsabilité du conducteur d'un véhicule routier, dans le cas où il croise un autobus scolaire sur une chaussée adjacente séparée par un terre-plein (article 460 , par. 2 CSR); voir Ville de Longueuil  c. Bonneau,  2007 QCCS 561 , par. 17, 18 (CanLII).

[23]        Les conducteurs d’autobus scolaires doivent respecter les articles 455 à 459. Ils ont l’obligation de mettre en marche les feux rouges intermittents et d’actionner le signal d'arrêt obligatoire dans des cas prévus dans la loi seulement. Un manquement à ces obligations légales peut encourir des accusations contre le conducteur de l’autobus.

[24]        Les conducteurs des véhicules routiers doivent respecter l’article 460. En approchant d'un autobus affecté au transport d'écoliers dont les feux rouges intermittents sont en marche ou le signal d'arrêt obligatoire actionné, le conducteur d’un véhicule routier doit immobiliser son véhicule à plus de 5 mètres de l'autobus et ne peut le croiser ou le dépasser que lorsque les feux rouges intermittents sont éteints, que le signal d'arrêt obligatoire est escamoté et s'être assuré ensuite qu'il peut le faire sans danger.

[25]        Le Tribunal est d’avis que la responsabilité pénale du conducteur d’un véhicule routier est enclenchée dans les circonstances décrites à l’article 460 même si le conducteur de l’autobus ne respecte pas les articles 455 à 459; par exemple, en actionnant le signal d’arrêt quand les adultes débarquent ou en oubliant de l’escamoter après le départ de tous les passagers. Tel qu’indiqué par la poursuite, un manquement de la part du conducteur d’un autobus scolaire ne diminue en rien l’obligation pour un conducteur de véhicule routier de se conformer à l’article 460. Si le législateur avait l'intention d'exempter le conducteur d'un véhicule routier dans les cas où les conducteurs d'autobus scolaires contreviennent à la loi, il l'aurait clairement énoncé.

[26]        Interpréter la législation autrement engendrerait une anarchie sur les chemins publics. En présence d’un autobus scolaire avec le signal d’arrêt actionné et les feux rouges intermittents, les conducteurs de véhicules routiers regarderaient si des enfants ou des adultes sont présents. Le conducteur déciderait, en conséquence, s’il  immobiliserait ou non son véhicule; voir Ville de Laval c. Béchard, précité, par. 17. On peut imaginer le cas où le conducteur croirait voir des adultes, mais qu'en réalité il s'agirait d'enfants; ou bien le cas où tous les enfants seraient descendus et partis, sauf un qui ne serait pas visible, ayant tardé à débarquer. Il est donc logique que l’article 460, qui vise la protection des écoliers, soit une infraction de responsabilité absolue.

[27]        Dans les circonstances, le fait que monsieur Chaput n’a pas vu l’autobus en question ne sous-tendrait pas un acquittement en l’espèce.

[28]        Par conséquent, le Tribunal est d’opinion que dans tous les cas où le conducteur d’un autobus scolaire - c'est-à-dire un autobus affecté au transport d'écoliers - met en marche les feux rouges intermittents ou actionne son signal d'arrêt obligatoire, le conducteur d’un véhicule routier doit immobiliser son véhicule, même en l’absence de passagers embarquant, débarquant ou présents dans l’autobus, que ce soit des écoliers ou d’autres personnes.

[29]        En ce qui concerne le libellé de l’infraction alléguant une contravention de l’article 460, le constat (P-1) est conforme aux exigences des articles 146 et 152 CPP. Seul l’article 460 CSR crée l’obligation pour les conducteurs des véhicules routiers. Tel que mentionné, les articles 455 à 459 CSR créent les obligations pour les conducteurs des autobus scolaires. Le Tribunal souligne également que le rapport d'infraction abrégé (P-1) donne tous les détails de l’infraction. De plus, l’appelant aurait pu, selon l’article 174 (3) CPP,  présenter une requête pour détails.

CONCLUSION

[30]        Le Tribunal conclut que, considérés dans leur ensemble, les motifs du jugement de première instance se prêtent suffisamment à l’examen en appel.

[31]        L’appelant n’a démontré aucune erreur manifeste ou dominante de la part de la juge de première instance dans l’appréciation de la preuve.

[32]        Le jugement de première instance est raisonnable, les éléments de preuve appuyant chacune des composantes de l’infraction. Les conclusions factuelles étayent la décision selon laquelle monsieur Chaput, le 4 février 2010, en conduisant son véhicule, a croisé un autobus affecté au transport d’écoliers dont le signal d’arrêt n’a pas été escamoté.

[33]        De plus, aucune erreur de droit affectant le bien fondé du jugement n’a été commise et justice a été rendue.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[34]        REJETTE l’appel;

[35]        AFFIRME le jugement de la Cour municipale de Montréal;

[36]        LE TOUT sans frais.

 

 

 

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MICHAEL STOBER, J.C.S.

 

 

 

Me Jean-Claude Hébert

Avocat de l'appelant-accusé

 

Me José Costa

Me Geneviève Claude Parayre

Avocats de l'intimée-poursuivante

 

Date d’audience :

Transcrit et révisé:

15 mai 2012

 25 mai 2012

 

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