Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Beaulieu et Micheline Amérique du Nord

2020 QCTAT 3682

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

717307-62C-1911

Dossier CNESST :

094136934

 

 

Salaberry-de-Valleyfield,

le 13 octobre 2020

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Josée Picard

______________________________________________________________________

 

 

 

Denis Beaulieu

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Micheline Amérique du Nord

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

APERÇU

[1]           En octobre 1986, monsieur Denis Beaulieu subit un accident du travail qui le blesse à la colonne lombaire. À la suite de cette lésion professionnelle et plusieurs récidives, rechutes ou aggravations, un déficit anatomo-physiologique de plus de 45 % et des limitations fonctionnelles de classe IV selon l’échelle de restrictions de l’IRSST sont reconnus. Ces dernières amènent la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail à conclure qu’il est impossible de déterminer un emploi que le travailleur est capable d’exercer à temps plein.

[2]           En 2001, la Commission accepte d’assumer le coût d’acquisition d’un lit électrique et d’un matelas d’appoint. 17 ans plus tard, en 2018, le travailleur envoie une demande à l’organisme afin qu’il accepte de défrayer le coût de remplacement du matelas acheté en 2001.

[3]           Puisque la Commission refuse la demande du travailleur[1], ce dernier conteste la décision rendue. Devant le Tribunal, il explique que l’utilisation du lit électrique restreint le nombre de matelas qu’il peut se procurer. Par conséquent, pour le remplacement de son matelas, il doit débourser un prix supérieur à celui qu’il aurait payé s’il n’avait pas subi un accident du travail.

[4]           Pour les motifs exposés ci-après, le Tribunal considère que le travailleur a droit au remboursement du coût de remplacement de son matelas d’appoint à son lit électrique.

ANALYSE

[5]           Aux fins du présent dossier, le Tribunal doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement du coût engendré pour le remplacement du matelas utilisé avec son lit électrique.

[6]           L’article 188 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la Loi) prévoit qu’un travailleur a droit à l’assistance médicale que requiert son état. L’article 189, quant à lui, décrit en quoi consiste cette assistance sur cinq paragraphes.

[7]           Or, le matelas réclamé par le travailleur n’est pas spécifiquement mentionné aux quatre premiers paragraphes de cet article. Par conséquent, le Tribunal doit déterminer si le cinquième paragraphe trouve application puisqu’il réfère aux « […] aides techniques et frais non visés aux paragraphes 1o à 4o que la Commission détermine par règlement […] ».

[8]           Ledit règlement porte le titre de Règlement sur l’assistance médicale[3]. Son article 2 prévoit que les soins, les traitements, les aides techniques et les frais qui y sont prévus constituent l’assistance médicale à laquelle peut avoir droit un travailleur. Ceux-ci se retrouvent aux annexes I et II du Règlement.

[9]           Or, bien que le remboursement du coût d’acquisition d’un matelas soit prévu à l’annexe II, celle-ci vise uniquement les cas où le matelas prévient et traite des escarres de décubitus[4]. Puisqu’il ne s’agit pas de la situation du travailleur dans le présent dossier, le Règlement portant sur l’assistance médicale ne trouve pas application ici.

[10]        Le Tribunal doit alors déterminer si les dispositions de la Loi portant sur le droit à la réadaptation, plus particulièrement celles traitant de la réadaptation sociale, donnent droit au remboursement réclamé par le travailleur.

[11]        Tout d’abord, notons que ce dernier a droit à la réadaptation que requiert son état en vertu de l’article 145 de la Loi puisqu’il conserve une atteinte permanente à sa colonne lombaire supérieure à 45 % à la suite de sa lésion professionnelle de 1986 et des récidives, rechutes ou aggravations subséquentes.

[12]        Quant aux dispositions visant spécifiquement la réadaptation sociale, elles sont prévues aux articles 151 et suivants de la Loi. L’article 151 détermine l’objectif de ce volet de la réadaptation et précise qu’il a pour but notamment « d’aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle […] ».

[13]        Le Tribunal souligne que c’est en vertu de ces dispositions portant sur la réadaptation sociale que la Commission accepte de débourser 2949 $ pour l’acquisition d’un lit électrique et le matelas d’appoint en 2001.

[14]        En effet, à cette période, le travailleur transmet une soumission à la Commission, accompagnée d’une prescription de son médecin. Il explique alors souffrir d’un engourdissement du côté gauche de son corps lorsqu’il est allongé sur un lit standard. Cette situation perdure depuis trois ans et il se voit dans l’obligation de se lever plusieurs fois par nuit pour s’allonger sur un sofa de marque Elran ajustable. Le travailleur informe également la Commission qu’il a utilisé un certain temps un matelas ergonomique, pensant que cet achat permettrait de diminuer ses symptômes, sans succès.

[15]        Puisque le travailleur désire dormir avec sa conjointe, il exprime son désir d’acheter un lit électrique d’une dimension de 60 pouces (lit Queen). La Commission accepte plutôt de payer le coût d’acquisition d’un lit d’une largeur de 39 pouces (lit simple), le travailleur acceptant d’assumer la différence.

[16]        Le 19 novembre 2001, la Commission rend une décision acceptant de défrayer les coûts d’acquisition d’un lit orthopédique électrique simple et son matelas d’appoint à titre de frais de réadaptation. Elle y précise que le remboursement du coût du lit électrique ne sera autorisé qu’une seule fois, mais il n’y a aucune mention relativement au matelas.

[17]        Par cette décision, la Commission reconnaît que le lit électrique réclamé par le travailleur répond à l’objectif de la réadaptation sociale d’aider ce dernier à surmonter, dans la mesure du possible, les conséquences personnelles de sa lésion professionnelle. Au fil des ans, la Commission a d’ailleurs assumé les frais de réparation du moteur du lit électrique à deux reprises, en 2013 et en 2016.

[18]        Le 25 septembre 2018, le travailleur transmet à la Commission une soumission d’achat pour un matelas d’une largeur de 39 pouces. Sa demande est justifiée par le fait que le matelas acheté en 2001 approche sa fin de vie puisqu’il commence à s’affaisser après 17 années d’utilisation.

[19]        Il est manifeste pour le Tribunal que le matelas du travailleur doit être remplacé compte tenu des signes d’usure qui s’expliquent par le nombre d’années écoulées depuis l’acquisition de celui-ci. Cet élément n’est d’ailleurs pas contesté par la Commission.

[20]        Cette dernière refuse plutôt d’assumer le coût de remplacement de matelas puisque, en premier lieu, cet item n’est pas prévu à l’assistance médicale à laquelle a droit le travailleur. Or, le Tribunal, tel qu’exprimé précédemment, est en accord avec ce motif de refus.

[21]        En deuxième lieu, la Commission indique qu’un « matelas est un bien nécessaire à tout individu et que toute personne a la responsabilité de renouveler ce bien lorsqu’il n’est plus adéquat ou suffisamment confortable et d’effectuer un choix approprié selon ses goûts ».

[22]        Le Tribunal est d’accord, en substance, avec cette affirmation. Il rappelle toutefois que l’article 1 de la Loi prévoit la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour le travailleur. Ainsi, comme le Tribunal l’exprimait dans l’affaire Roy[5], il faut se demander :

[22]      […] pour chacune des demandes formulées par le travailleur, si les conséquences de sa lésion professionnelle font en sorte que les coûts de remplacement d’une fourniture sont plus élevés dans son cas que pour tous les travailleurs qui n’ont pas été victimes d’une lésion professionnelle. En d’autres termes, on pourrait dire que le tribunal doit s’assurer que le travailleur a droit au remboursement complet pour toutes les conséquences de sa lésion professionnelle, mais pas au-delà.

 

 

[23]        À cet argument, le travailleur répond qu’il est limité dans les choix de matelas qui s’offrent à lui. En effet, compte tenu des vibrations provoquées par le lit électrique acquis en 2001 et du fait qu’il plie à deux endroits, le travailleur ne peut faire l’acquisition d’un matelas avec ressorts ou d’un « matelas mousse ».

[24]        Par conséquent, il s’est procuré un matelas Sealy Pine City qui représente une valeur de 918,65 $, taxes incluses, pour une largeur de 39 pouces. Le travailleur prétend que n’eût été les restrictions imposées par son lit électrique, il aurait payé beaucoup moins cher pour un matelas standard de cette dimension, soit environ 300 $.

[25]        Cette affirmation n’est toutefois pas appuyée par la preuve. En effet, le Tribunal n’a pas une connaissance d’office des prix des matelas d’une largeur de 39 pouces sur le marché. Au surplus, le travailleur témoigne que le prix du matelas qu’il a retenu n’a pas eu d’incidence sur son choix, priorisant plutôt le confort. Cet argument ne peut donc être retenu.

[26]        Cela dit, le Tribunal estime, pour un autre motif, que le travailleur a droit au remboursement du coût d’un matelas d’une dimension de 39 pouces puisqu’il doit tout de même assumer « un coût qu’il n’aurait pas eu à assumer s’il n’avait pas été victime d’une lésion professionnelle »[6].

[27]        En effet, malgré l’acquisition d’un lit électrique d’une largeur de 60 pouces en 2001, dans l’objectif avoué de dormir avec sa conjointe, il appert que celle-ci ne s’est pas habituée aux mouvements du lit électrique pendant la nuit. Elle a donc décidé de laisser le travailleur seul dans son lit électrique et de dormir désormais dans le lit qu’elle aurait occupé avec le travailleur n’eût été la survenance de la lésion professionnelle.

[28]        De cette preuve, le Tribunal constate que sans la survenance de l’accident du travail en 1986, tout porte à croire que le couple aurait assumé, à parts égales, le coût de remplacement d’un seul matelas après sa durée de vie, soit celui du lit conjugal.

[29]        Or, compte tenu de la lésion professionnelle du travailleur, ce dernier ne peut passer la nuit avec sa conjointe dans le lit conjugal et doit se résigner à dormir dans un lit électrique. Par conséquent, le remplacement du matelas d’appoint correspond à une dépense supplémentaire pour le travailleur puisqu'il doit maintenant débourser un montant pour le remplacement du matelas du lit électrique en plus d’une partie du coût de remplacement du matelas du lit conjugal.

[30]        Cette dépense excédentaire, inexistante n’eût été l’accident du travail en 1986, est une conséquence directe de la lésion professionnelle du travailleur et doit être assumée par la Commission dans les circonstances particulières du présent dossier.

[31]        Le Tribunal tient à ajouter que l’achat d’un matelas d’une largeur de 60 pouces plutôt que de 39 pouces en octobre 2018 découle du choix personnel du travailleur en 2001 où il a préféré opter pour un lit Queen plutôt qu’un lit simple. Ainsi, la Commission ne doit assumer que le remboursement du coût d’un matelas d’une largeur de 39 pouces de même marque que celui acheté par le travailleur, mais d’une largeur de 60 pouces. Selon la facture déposée par le travailleur au Tribunal, ce montant représente 918,65 $, taxes incluses.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE la contestation de monsieur Denis Beaulieu, le travailleur;

INFIRME la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail rendue le 25 octobre 2019, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement du coût d’un matelas d’une largeur de 39 pouces, soit 918,65 $ incluant les taxes.

 

 

__________________________________

 

Josée Picard

 

 

 

M. Denis Beaulieu

Pour lui-même

 

 

Date de l’audience :             6 octobre 2020

 

 



[1]           Décision de la Commission du 25 octobre 2019, à la suite d’une révision administrative.

[2]           RLRQ, c. A-3.001.

[3]           RLRQ, c. A-3.001, r. 1.

[4]           Plaies cutanées provoquées par une mauvaise irrigation sanguine liée à une pression prolongée, plus communément appelées des plaies de lit.

[5]           2012 QCCLP 1780.

[6]           Roy, précitée, note 5.

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