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JT 1094 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
JOLIETTE |
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N° : |
705-17-000523-033 |
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DATE : |
Le 14 mai 2003 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ANNE-MARIE TRAHAN, J.C.S. |
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RICHARD BRIERE |
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Requérant |
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c. |
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LA COMMISSION DES LESIONS PROFESSIONNELLES Et Me LUCIE NADEAU |
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Intimés Et Me DIANE BESSE Et HOPITAL GENERAL DU LAKESHORE Et LA COMMISSION DE LA SANTE ET DE LA SECURITE DU TRAVAIL Mis-en-cause |
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JUGEMENT |
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[1] Le requérant, monsieur Brière, se pourvoit en révision judiciaire d'une décision rendue le 5 décembre 2002 (R-11) par la Commission des lésions professionnelles (CLP), présidée par la commissaire Lucie Nadeau. Par cette décision, la CLP refuse de réviser sa décision du 5 février 2002 (R-9), rendue par la commissaire Diane Besse qui déclare que monsieur Brière n'a pas subi une lésion professionnelle[1] le 22 février 2000 et que, par conséquent, il n'a pas droit aux prestations et indemnités prévues par la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (LATMP)[2].
[2] Subsidiairement, monsieur Brière demande aussi la révision judiciaire de R-9.
[3] La commissaire Nadeau était saisie d'une requête en révocation et révision de la décision R-9 pour quatre motifs:
· le non respect de la règle audi alteram partem plus particulièrement du droit de monsieur Brière de présenter une preuve et une défense
· une interprétation erronée de l'article 28 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001, la loi);
· des erreurs manifestes et déterminantes dans l'appréciation de la preuve médicale;
· une appréciation déraisonnable de la crédibilité du travailleur.
[4] En l'instance et devant la commissaire Nadeau, monsieur Brière est représenté par le même procureur alors que devant la commissaire Besse, il était représenté par un représentant syndical, monsieur Morency.
[5] Monsieur Brière estime que la commissaire Nadeau n'a pas motivé sa décision (R-11) car elle n'a pas répondu aux questions soulevées au paragraphe 27a) à m) de sa requête. Les questions se rapportent à l'appréciation de la preuve médicale par la commissaire Besse.
[6] Il plaide également que la commissaire Nadeau aurait dû en venir à la conclusion que la commissaire Besse n'a pas respecté la règle audi alteram partem, plus particulièrement son droit de présenter sa preuve et une défense. Subsidiairement, il demande au Tribunal de réviser la décision de la commissaire Besse. En l'instance, les deux parties conviennent que le critère applicable est celui de la décision manifestement déraisonnable.
I. LES FAITS GENERAUX
[7] Monsieur Brière est préposé aux bénéficiaires à l'Hôpital Général du Lakeshore (HGL) depuis seize ans.
[8] Il prétend avoir subi un accident de travail[3] le 22 février 2000 alors qu'il a fait une chute dans un escalier en arrivant à son travail. Il dit s'être blessé au dos.
[9] Monsieur Brière recommençait à travailler à 16h00 cet après-midi-là, après avoir été en congé pendant une semaine. En fait, il était convoqué à une entrevue disciplinaire par l'HGL, à 15h45.
[10] Cette entrevue n'a jamais eu lieu. Monsieur Brière arrive en retard pour son rendez-vous de 15h45: la chute survient à 16h05 alors qu'il se rend au sous-sol de l'hôpital pour rencontrer un agent syndical avant d'aller à l'entrevue disciplinaire.
[11] Monsieur Brière se rend à l'urgence de HGL immédiatement après la chute. Il y est vu par le docteur G. Mobayed qui émet une attestation médicale pour la CSST indiquant qu'il a fait une chute et qu'il souffre d'une douleur lombaire avec irradiation aux deux jambes.
[12] Or, ce jour-là, avant de rentrer au travail après sa semaine de vacances, monsieur Brière se rend à une clinique sans rendez-vous à Terrebonne (il habite Mascouche). A 14h25, il consulte le docteur Lavigne pour renouveler la prescription d'un médicament contre la douleur, le Toradol. Normalement, il la renouvelle par téléphone avec son médecin traitant, Dr Jodoin. Cette fois-ci, le Dr Lavigne remplace le Toradol par du Elavil: ces médicaments sont prescrits pour diminuer les spasmes au dos. En effet, monsieur Brière a déjà subi un accident de travail en 1997 impliquant la région lombaire. Il a même été en arrêt de travail et a reçu des prestations de la CSST pendant un mois et demi, puis de l'assurance salaire jusqu'à son retour au travail en août 1999. A l'époque, plusieurs examens ont été pratiqués, entre autres, une résonance magnétique, en juillet 1998, qui a démontré une discopathie, à trois niveaux: L3-L4, L4-L5 et L5-S1. C'est depuis lors qu'il est suivi par le docteur Jodoin, un orthopédiste.
[13] La CSST refuse la réclamation de monsieur Brière suite à sa chute du 22 février 2000. La commissaire Besse doit donc décider s'il y a eu ou non lésion professionnelle.
II - LA REGLE AUDI ALTERAM PARTEM
A) LES FAITS
[14] L'audition est d'abord prévue pour le 5 juin 2001. Or, le 11 mai 2001, HGL demande une remise parce que son médecin expert n'est pas disponible à cette date. La remise est accordée et traitée "avec le consentement des parties" ce qui veut dire, selon la façon de faire de la CLP, que les parties doivent s'assurer que la prochaine date leur convient. Celle qui fut fixée est le 19 novembre 2001. Or, cette fois-ci, c'est monsieur Brière qui demande une remise (R-19), car son médecin expert, le docteur Bergeron, n'est pas disponible. C'est pourquoi lorsque le commissaire Réal Brassard entend cette demande, le 6 novembre 2001, il la réfère à la commissaire qui entendra le mérite et qui "décidera s'il y a lieu d'ajourner l'audience pour entendre le docteur Bergeron" (R-8).
[15] L'audience a donc lieu tel que prévu, le 19 novembre 2001, devant la commissaire Besse. La transcription de l'audience est déposée sous la cote R-17. En aucun moment, lors de l'audience du 19 novembre 2001, monsieur Morency n'a-t-il demandé, au nom de monsieur Brière, d'ajourner l'audience pour faire entendre le docteur Bergeron ni n'a-t-il demandé de produire son rapport écrit (R-18) daté du 14 novembre 2001. Ce rapport n'ayant jamais été déposé devant la CLP, il ne fait pas partie du dossier de la CLP. Néanmoins, il a été produit dans la présente instance. A la lecture des conclusions,
1. Diagnostic: entorse lombaire avec déchirure radiaire L5-S1 et radiculopathie L5-S1 gauche.
2. Ce diagnostic est en relation avec le fait accidentel du 22 février 2000 et constitue une lésion professionnelle.
3. Le déficit anatomo-physiologique et les limitations fonctionnelles doivent être évalués à la consolidation.
il s'agit d'un document qui aurait sans doute influencé la commissaire Besse.
[16] Aucune explication n'a été donnée de la raison pour laquelle monsieur Morency n'a pas fait de demande de production devant la commissaire Besse. Pourtant, au début de l'audience, elle lui demande, tout comme à l'avocat de HGL, s'ils ont d'autres documents à produire. Or, l'avocat de HGL produit le rapport du docteur Guillemettte (en liasse R-15) daté du 5 novembre 2001. La commissaire Besse accepte ce document sous réserve de sa pertinence et de la valeur probante qui pourra lui être accordée (p. 9 de R-17). N'étant pas au courant de l'existence du docteur Bergeron ou de son rapport, la commissaire Besse indique à monsieur Morency:
«Maintenant, il est évident, monsieur Morency, qu'à la fin de l'audience si vous voulez disposer de ça pour soumettre ce document-là à un médecin, soit docteur Lavigne ou à quelqu'un d'autre, on vous donnera le temps qu'il faut pour le faire. Est-ce qu'il y a d'autres documents?» (p.9 - R-17)
Monsieur Morency ne fait aucun commentaire ni aucune demande.
[17] Par la suite, après le témoignage de monsieur Brière, la commissaire Besse demande à monsieur Morency s'il a d'autre preuve à soumettre. Il répond non (p. 70 de R-17).
[18] Après le témoignage de madame Rhéaume, la responsable du bureau de santé et de sécurité à HGL, (à qui monsieur Morency ne pose aucune question), la commissaire demande à monsieur Morency s'il veut du temps pour commenter éventuellement le rapport du docteur Guillemette (R-15 en liasse). Monsieur Morency répond non.
[19] Tout de suite après, il enchaîne sa plaidoirie (pp.73 à 85 de R-17). En aucun moment, pendant l'audience ou pendant sa plaidoirie, n'a-t-il demandé d'ajourner pour faire venir le docteur Guillemette et le contre-interroger, pour déposer le rapport du docteur Bergeron (R-18) ou pour le faire entendre [selon les droits que lui avait réservés le commissaire Brassard (R-8)].
B) PRETENTION DE MONSIEUR BRIERE DEVANT LA COMMISSAIRE NADEAU
[20] Au paragraphe 32 de sa requête, monsieur Brière indique que:
«32. A cet effet, le procureur du requérant lors de la présentation de la requête en révision et révocation pour cause entendu(sic) le 16 octobre 2002 à la C.L.P. a demandé à ce que soit révoquée la décision du 5 février 2002 au motif, notamment, que la règle audi alteram partem n'avait pas été respectée ainsi que les principes de justice naturelle et de droit, en soulevant, entre autre(sic), les arguments suivants:
a) La C.L.P. dans sa décision concernant la demande de remise du travailleur du 5 novembre 2001 avait indiqué au procès-verbal: «Cette audience a été fixée par consentement, ce qui signifie que le représentant du travailleur avait vérifié ou aurait dû vérifier la disponibilité de son expert avant de consentir à la date fixée. Dans les circonstances, la Commissaire décidera s'il y a lieu d'ajourner l'audience pour entendre le Dr Bergeron.» Et qu'en conséquence Me Diane Besse avait l'obligation de faire suite à ce jugement. Et que cette dernière n'ayant pas vidé le fond de la demande de remise, il s'en suivait que le droit d'être entendu du travailleur avait été violé, que la décision de Me Besse devait être révoquée, le dossier retourné à la C.L.P. pour qu'une nouvelle audition soit tenue pour permettre au Dr Bergeron de venir témoigner et de déposer son rapport d'expertise;
b) Que monsieur Morency, représentant du travailleur lors de l'audition du 19 novembre 2001 s'était objecté au dépôt de l'opinion du Dr Guillemette en prétextant ne pas pouvoir procéder au contre-interrogatoire de ce dernier, et que le rejet de l'objection par la commissaire mis-en-cause portait atteinte aux principes de justice naturelle, violant ainsi la règle audi alteram partem. Que monsieur Morency avait indiqué dans son objection qu'il ne connaissait pas le contenu de ladite opinion, que ladite opinion était datée du 5 novembre 2001 et qu'en conséquence elle aurait dû être déposée avant l'audition et que vu l'absence du Dr Guillemette il ne pourrait procéder à un contre-interrogatoire.
Le tout en indiquant que ladite opinion du Dr. Guillemette était la pierre angulaire de la décision de Me Besse. Que Me Besse en acceptant de recevoir ladite opinion, et par le fait même en rejetant l'objection de monsieur Morency, avait stipulé que le document semblait pertinent à sa face même sous réserve de sa force probante, mais que ce n'était pas la question en litige. Or, en acceptant ledit document malgré l'objection cela privait le travailleur de son droit d'être entendu pleinement et équitablement, surtout qu'il aurait été très pertinent de pouvoir contre-interroger le Dr Guillemette sur ses conclusions on ne (sic) plus surprenantes.
Le droit du travailleur d'être entendu avait été violé d'une manière manifeste, cela avait eu un impact certain sur l'issue de la décision, bien que lorsqu'il y a manquement aux principes de justice naturelle il n'est pas nécessaire de démontrer que l'erreur est déterminante. Il y a donc eu erreur manifeste de droit ayant porté atteinte à (sic) règle audi aleram(sic) partem, la décision doit être révoquée et une nouvelle audition se doit d'être tenue;»
C) LA DECISION DE LA COMMISSAIRE NADEAU
[21] Voici ce que monsieur Brière reproche à la commissaire Nadeau aux paragraphes 33, 34, 35, 36 et 37 de sa requête:
«33. Or, Me Lucie Nadeau, commissaire intimée, au paragraphe 18 de sa décision stipule: «Le nouveau procureur du travailleur reproche à la commissaire de n'avoir jamais décidé s'il y avait lieu d'ajourner pour entendre le docteur Bergeron. Précisons d'abord que la demande du travailleur visait initialement et uniquement une remise de l'audience. Cette demande a été refusée et cette décision de refus n'a pas été contestée. Il est donc inexact de prétendre, comme le soutient le procureur du travailleur, que la commissaire a omis de disposer complètement de cette demande…» Me Nadeau excède sa compétence en interprétant erronément ici les principes de justice naturelle et de droit. De plus il est également erroné en droit de prétendre que la demande avait été refusée et que le refus n'avait pas été contesté puisque le procès-verbal indique que «Dans les circonstances, la commissaire décidera s'il y a lieu d'ajourner l'audience pour entendre le Dr Bergeron.» Le requérant était en droit de s'attendre à une décision à cet égard. Et de plus, il est également erroné en droit de prétendre, a contrario, que la commissaire avait disposée(sic) complètement de la demande puisqu'elle n'a jamais traitée(sic) de l'aspect du procès-verbal qu'y(sic) l'obligeait à décider s'il y avait lieu d'ajourner l'audience pour entendre le Dr Bergeron;
34. Egalement, Me Nadeau, au paragraphe 20 de sa décision indique: «En refusant la remise, le commissaire a toutefois réservé les droits du travailleur quant à la possibilité de faire entendre le docteur Bergeron protégeant ainsi son droit d'être entendu. Toutefois lors de l'audience, le représentant du travailleur n'a fait aucune demande en ce sens…» Encore une fois Me Nadeau excède sa compétence en interprétant une décision judiciaire motivée d'une manière déraisonnable en fait et en droit. En effet, si le commissaire qui a rendu la décision sur la demande de remise avait vraiment voulu protéger les droits du travailleur il aurait tout simplement accordé la demande de remise, ce qu'il n'a pas fait. Il a plutôt, d'une certaine manière, sine die la demande de remise en ordonnant à la commissaire qui présiderait l'audition de statuer justement sur le fondement de la demande de remise, à savoir préserver les droits du travailleur d'être entendu en permettant au Dr Bergeron de venir témoigner. De plus c'est encore erronément en droit que Me Nadeau stipule que le représentant du travailleur aurait dû faire une demande en ce sens lors de l'audience, car à partir du moment qu'une demande a été faite et qu'une décision circonscrit des obligations, il est du devoir de celui à qui incombe(sic) les obligations de les exécuter;
35. De même, au paragraphe 22 de sa décision, Me Nadeau, commissaire intimée, stipule: «Le procureur du travailleur plaide que le premier représentant était en droit de s'attendre à une réponse de la commissaire. Il aurait fallu pour cela qu'il en fasse la demande. Chaque partie est maître de sa preuve, il appartenait au représentant d'en faire la demande.» Encore une fois, Me Nadeau excède sa compétence en interprétant erronément les principes de droit. Monsieur Morency n'avait pas à faire une nouvelle demande, monsieur Morency n'avait qu'à attendre une décision concernant sa demande, et il était en droit d'en recevoir une tel que stipulé sur le procès-verbal du 6 novembre 2001;
36. Au paragraphe 26 de sa décision, Me Nadeau stipule: «La commission des lésions professionnelles considère que par son silence le représentant du travailleur a renoncé à faire entendre le docteur Bergeron. La commissaire a vérifié si la preuve était complète, rien ne l'oblige à vérifier si un témoin en particulier sera entendu.» Encore une fois Me Nadeau excède sa compétence en appliquant erronément les principes de droit. En effet, comment peut-elle parler du silence du représentant de vouloir faire entendre le Dr Bergeron alors qu'il s'est adressé par requête à la C.L.P. justement pour préserver le droit d'être entendu du requérant et qu'une décision confirme effectivement ladite demande et qui de plus donne l'obligation à la commissaire de rendre une décision concernant un témoignage éventuel du Dr Bergeron;
37. En décidant ainsi, Me Lucie Nadeau, commissaire intimée, a excédé sa compétence en interprétant erronément les principes de justice naturelle et de droit, erreur manifestement déraisonnable de nature à invalider sa décision et donnant ouverture à la révision judiciaire de la décision datée du 5 décembre 2002, le tout tel qu'il sera plus amplement démontré lors de l'audition de la présente requête;»
D) LE DROIT
[22] Le droit d'être entendu (audi alteram partem) est l'un des droits reconnus par ce que l'on désigne comme étant la justice naturelle[4]
[23] Par ailleurs, les articles 23 et 35 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne[5] se lisent ainsi:
«23. [Audition impartiale par tribunal indépendant] Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.
[Huis clos] Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre public.
35. Tout accusé a droit à une défense pleine et entière et a le droit d'interroger et de contre-interroger les témoins.»
[24] Qu'entend-on par le droit d'être entendu. Les professeurs Pépin et Ouellette le décrivent ainsi:
«Le droit d'être entendu comprend généralement le droit pour l'administré d'obtenir un préavis, celui de présenter une preuve ou de faire des représentations et de contre-interroger, le droit de recevoir communication de la preuve utilisée contre lui et le droit d'obtenir un ajournement préventif de déni de justice.»[6]
[25] Les règles de la justice naturelle sont telles que la Cour suprême a décidé que le manquement aux principes de justice naturelle n'a pas besoin d'être important pour constituer un excès de juridiction:
«J'estime nécessaire d'affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition.»[7]
[26] Cependant, comme toujours, chaque cas est un cas d'espèce qui doit être apprécié à la lumière des circonstances particulières de chaque affaire. C'est pourquoi l'honorable juge Brian Dickson écrit:
«Le contenu des principes de justice naturelle et d'équité applicables aux cas individuels variera selon les circonstances de chaque cas… En conclusion, la simple question à laquelle il faut répondre est celle-ci: compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se prétend lésée? Il me semble que c'est la question sous-jacente à laquelle les cours ont tenté de répondre dans toutes les affaires concernant la justice naturelle et l'équité.»[8]
[27] Dans ce contexte, la règle audi alteram partem a fait l'objet d'une étude particulière de la part du professeur Patrice Garand qui écrit:
«Certains ont pu prétendre que, si la violation des principes de la justice naturelle soulève une question d'excès de juridiction, elle ne peut être couverte par le consentement des parties ou leur défaut de l'invoquer en temps utile. Cela est dû au fait que l'on donne encore à la notion d'excès de juridiction un sens trop étroit, d'ailleurs un sens qu'elle n'a plus.
Parmi les hypothèses d'excès de juridiction, les unes sont d'ordre public et ne peuvent être couvertes par le consentement des parties; les autres ne sont pas strictement d'ordre public et peuvent faire objet d'une renonciation ou doivent être expressément invoquées. L'explication de cette différence réside dans la nature de l'intérêt protégé; lorsqu'il s'agit de compétence ratione materiae ou loci ou d'illégalité d'ordre public, l'intérêt protégé par le droit et le pouvoir judiciaire est tant celui de l'Administration que celui de l'administré; lorsqu'il s'agit par contre des principes de la justice naturelle, le seul intérêt protégé est celui de l'administré. Telle est l'explication que nous trouvons la plus vraisemblable au comportement de la jurisprudence.»[9]
E) CONCLUSIONS DU TRIBUNAL
[28] En l'espèce, tel qu'indiqué plus haut, en aucun moment en cours d'instance devant la commissaire Besse, monsieur Morency, le représentant dûment constitué de monsieur Brière, n'a-t-il demandé un ajournement pour contre-interroger l'expert de l'employeur, le docteur Guillemette et pourtant, à la page 9 de la transcription (lignes 11 et ss), la commissaire Besse dit, s'adressant à monsieur Morency:
«Maintenant, il est évident, monsieur Morency, qu'à la fin de l'audience si vous voulez disposer de ça pour soumettre ce document-là à un médecin, soit docteur Lavigne ou à quelqu'un d'autre, on vous donnera le temps qu'il faut pour le faire. Est-ce qu'il y a d'autres documents?» (p.9 de R-17)
[29] De plus, une fois les témoins entendus, elle redemande à monsieur Morency s'il a besoin de dispense pour faire commenter éventuellement le document E-1 (c'est-à-dire le rapport du Dr Guillemette). Celui-ci répond non (p. 72 de R-17).
[30] Monsieur Morency n'a pas non plus déposé le rapport de son expert, le docteur Bergeron (R-18). Ce rapport est daté du 14 novembre 2001; or, l'audition a lieu le 19 novembre 2001. Personne n'a indiqué devant la soussignée que ce rapport n'était pas en possession de monsieur Brière ou de monsieur Morency le 19 novembre 2001.
[31] A deux reprises au cours de l'audition devant la commissaire Besse (au début et à la fin), celle-ci demande à monsieur Morency s'il a des documents à produire ou s'il a besoin de temps pour étudier le rapport Guillemette. Dans les deux cas, la réponse est négative ou inexistante. Devant la soussignée, l'avocat de monsieur Brière plaide que la question de la commissaire Besse: "Monsieur Morency avez-vous d'autre preuve", n'équivaut pas à une invitation à faire entendre le Dr Bergeron. Malheureusement, le Tribunal ne partage pas cet avis. C'est une question claire et non équivoque et la personne qui représente monsieur Brière savait ou aurait dû en savoir la portée. Demander au Tribunal aujourd'hui d'accepter la proposition que cela n'équivalait pas à une invitation à faire entendre le docteur Bergeron, c'est lui demander de cautionner ou une stratégie ou l'incompétence ou à tout le moins l'ignorance du sens élémentaire des mots. Selon l'avocat de monsieur Brière, il aurait fallu que la commissaire Besse demandât spécifiquement "voulez-vous faire entendre le docteur Bergeron?" que ce soit à la page 70, ou à la page 72 lorsqu'elle lui demande s'il a besoin d'une dispense pour commenter E-1, le rapport du docteur Guillemette.
[32] L'avocat va même jusqu'à dire qu'on ne peut reprocher à monsieur Morency de ne pas avoir demandé de faire entendre le docteur Bergeron, car il incombait à la commissaire Besse de voir, proprio motu, à ce qu'il témoigne, vu la décision du commissaire Brassard concernant la remise. Le Tribunal ne partage pas du tout ce point de vue. C'est monsieur Morency qui représentait monsieur Brière et non la commissaire Besse et c'était à lui de laisser savoir à la commissaire Besse quelles étaient ses intentions.
[33] En fait, à l'issue de l'audience, monsieur Morency a plaidé sur le dossier tel que constitué devant la commissaire Besse, sans réserver ses droits.
[34] Monsieur Morency a-t-il donné une réponse stratégique à la commissaire Besse? A-t-il agi de façon incompétente ou inadvertante? Peu importe, le fait est que la commissaire Besse a donné à monsieur Brière l'opportunité de faire entendre sa preuve et ses témoins médicaux et que son représentant a décliné, à chaque fois.
[35] D'autre part, devant la commissaire Nadeau, on n'a pas, non plus, demandé de mettre en preuve le rapport du docteur Bergeron.
[36] Vu les faits en l'instance, le Tribunal ne peut en venir à la conclusion que la commissaire Besse a refusé à monsieur Brière le droit d'être entendu et de présenter sa preuve. Elle le lui a offert et son représentant n'a pas acquiescé à sa demande. Il n'a rien dit; il n'a rien demandé.
[37] L'avocat de monsieur Brière plaide devant la soussignée et aux paragraphes 33, 34 et 35 de sa requête que la commissaire Besse aurait dû agir d'elle-même.
[38] Le Tribunal ne peut accepter ce point de vue. Monsieur Brière avait un représentant, monsieur Morency, dont le rôle était justement de le représenter. Représenter quelqu'un devant un Tribunal administratif, même si l'on n'est pas membre du Barreau, ce n'est pas simplement poser des questions et plaider. C'est aussi s'assurer que les droits, tous les droits, de la personne que l'on représente sont protégés: en insistant pour contre-interroger le médecin de l'employeur, en déposant toute la preuve en sa possession, en demandant un ajournement pour faire entendre d'autres témoins surtout qu'en l'instance, ces opportunités ont été offertes sur un plateau d'argent au représentant par la commissaire. Cette dernière n'était pas là pour faire valoir les droits de monsieur Brière. Son rôle était de présider l'audience de façon indépendante et impartiale, d'entendre les représentations de chaque partie tant sur les faits que sur le droit ou la procédure à suivre. Si monsieur Morency n'a pas saisi les occasions qui lui ont été offertes de faire valoir les droits et les prétentions de monsieur Brière, cela n'entache pas la décision d'irrégularité. Le recours approprié pour monsieur Brière n'est pas un recours en révision fondé sur la règle audi alteram partem.
[39] Le Tribunal ne trouve aucun motif de réviser la décision de la commissaire Nadeau ni celle de la commissaire Besse sur cette question.
III - L'APPRECIATION DE LA PREUVE MEDICALE
A) LE DROIT
[40] L'objet de la LATMP est précisé à l'article 1: c'est la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
[41] La réparation est donc un droit et non un privilège.
[42] La réparation est assurée par la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès (deuxième alinéa de l'article 1).
[43] Si les décisions de l'administration ne satisfont pas le travailleur, celui-ci peut s'adresser à la Commission des lésions professionnelles (CLP) pour qu'elle étudie la question. Un commissaire entend la demande du travailleur. Si le travailleur n'est toujours pas satisfait, il faut demander à la CLP de réviser ou de révoquer la première décision.
[44] Comme la CLP est un Tribunal administratif spécialisé, ses décisions sont finales et sans appel (art. 429.49 al. 3 LATMP). De plus, elles sont protégées par une clause privative très rigoureuse (art. 429.59 LATMP). C'est pourquoi, tel qu'indiqué au début, le critère que la Cour supérieure doit utiliser pour décider s'il y a lieu de réviser judiciairement une décision de la CLP est celui de l'erreur manifestement déraisonnable, ce qui veut dire clairement irrationnel. Le but recherché par le législateur, en inscrivant de telles clauses dans les lois, est d'éviter que les tribunaux de droit commun, telle la Cour supérieure du Québec, ne substituent leur propre appréciation de la preuve et du droit à celle du tribunal administratif spécialisé.
[45] Ces principes ont été énoncés à plusieurs reprises par la Cour suprême du Canada et suivis par la Cour d'appel et la Cour supérieure[10].
[46] Citons, entre autres, ce que dit l'honorable juge McLachlin (telle qu'elle était alors) dans l'affaire Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740:
«Lorsqu'une cour de justice contrôle les conclusions de fait d'un tribunal administratif ou les inférences qu'il a tirées de la preuve, elle ne peut intervenir que "lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de faits du tribunal.»[11]
[47] Dans une autre affaire, Rolland Lapointe c. Domtar Inc. et la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, l'honorable Claire L'Heureux-Dubé écrit:
«Le critère de l'erreur manifestement déraisonnable constitue le pivot sur lequel repose la retenue des cours de justice. Dans le cadre des questions relevant de la compétence spécialisée d'un organisme administratif protégé par une clause privative, cette norme de contrôle a une finalité précise: éviter qu'un contrôle de la justesse de l'interprétation administrative ne serve de paravent, comme ce fut le cas dans le passé, à un interventionnisme axé sur le bien-fondé d'une décision donnée. …Substituer son opinion à celle du tribunal administratif afin de dégager sa propre interprétation d'une disposition législative, c'est réduire à néant son autonomie décisionnelle et l'expertise qui lui est propre.»[12]
[48] Dans un cas comme celui-ci, il faut d'abord étudier la décision de la commissaire Nadeau puis, si le Tribunal en vient à la conclusion que sa décision est manifestement déraisonnable, réviser celle de la commissaire Besse.
[49] L'erreur manifestement déraisonnable varie d'un dossier à l'autre. Chaque cas est un cas d'espèce. Cependant, l'honorable juge Zerbisias siégeant ad hoc à la cour d'appel, en donne une description qui permet de mieux comprendre ce qu'elle est dans l'affaire Daniel Welch c. Commission d'appel en matière de lésions professionnelles et al:
«De façon générale, l'erreur manifestement déraisonnable doit paraître sans qu'il soit nécessaire de procéder à une analyse détaillée du dossier. Par contre, certains cas exigent une analyse plus poussée. L'erreur décelable après une analyse en profondeur du dossier ne sera généralement pas qualifiée de manifestement déraisonnable et, partant, insuffisante pour justifier le contrôle judiciaire.»[13]
[50] Tout comme la révision interne par la commissaire Nadeau, la révision judiciaire doit aller au-delà de l'analyse grammaticale et logique de la décision. Cependant, comme la Cour supérieure ne siège pas en appel, elle n'interviendra pas sur une question de crédibilité des témoins[14] ou d'appréciation des témoignages et des expertises à moins que l'appréciation du tribunal administratif soit manifestement déraisonnable ou dépourvue de tout fondement[15]
[51] Quant à la façon de rédiger une décision et d'expliquer le raisonnement suivi, la jurisprudence énonce, sans équivoque, que le critère applicable est celui de la décision intelligible. Il n'est pas nécessaire de réfuter, dans toutes leurs subtilités, tous les arguments soulevés par les plaideurs. L'obligation de motiver ne signifie pas divulguer les moindres détails du raisonnement suivi pour en arriver à une décision. L'essentiel est que les justiciables en comprennent le fondement. Ceci est expliqué par l'honorable juge Danielle Grenier dans Société des services Ozanam Inc. c. Commission municipale du Québec et al:
«Un jugement ne peut se réduire à une sèche démonstration abstraite qui ne mène à aucun raisonnement juridique. L'absence ou l'insuffisance de motivation engendrent l'arbitraire. Sans exiger du décideur qu'il livre tous les méandres de sa réflexion, on s'attend à ce qu'il s'exprime intelligiblement, de façon à permettre aux justiciables et aux plaideurs de comprendre le processus décisionnel et aux tribunaux supérieurs d'exercer adéquatement leur pouvoir de contrôle et de surveillance.
[…]
Pour échapper à l'arbitraire, le décideur doit recourir aux procédés du raisonnement, mais il doit, en donnant ses motifs, démontrer que sa décision n'est pas le fruit d'un caprice.[…].»[16]
[52] Par ailleurs, l'opinion des membres non décisionnels (l'un désigné par des associations d'employés, l'autre par des associations syndicales) doit également être prise en compte pour déterminer si la décision du commissaire est irrationnelle[17]. Ces membres ont comme mission de conseiller le commissaire décideur[18].
[53] En l'instance, le paragraphe 6 de la décision de la commissaire Nadeau se lit comme suit:
«Les membres issus des associations syndicales et des associations d'employeurs sont d'avis de rejeter la requête du travailleur. Il n'y a pas de violation au droit d'être entendu car les notes sténographiques de la première audience démontrent que le travailleur n'a fait aucune demande relativement à la possibilité de faire entendre le docteur Bergeron, à déposer son expertise ni à répliquer au rapport du docteur Guillemette. Le travailleur n'a pas démontré, non plus, d'erreurs de faits ou de droit manifestes et déterminantes dans l'appréciation de la preuve factuelle et médicale. Le recours en révision ne permet pas de substituer son appréciation de la preuve à celle faite par la première commissaire.»
[54] La décision de la commissaire Besse réfère également à l'avis des membres au paragraphe 29 qui se lit ainsi:
«Le membre issu des associations syndicales et la membre issue des associations d'employeurs sont d'avis que la requête du travailleur devrait être rejetée. Ces membres considèrent que le travailleur n'a pas démontré, de façon probante, qu'il est survenu un événement au travail qui lui a causé une lésion. En effet, tout le contexte fait en sorte qu'on ne peut conclure que l'entorse lombaire diagnostiquée par le médecin, le 22 février 2000, ait été causée par une chute que le travailleur aurait faite dans un escalier.»
B) LES REPROCHES DU REQUERANT A L'ENDROIT DE LA DECISION DE LA COMMISSAIRE NADEAU
[55] Monsieur Brière reproche à la commissaire Nadeau de n'avoir pas disposé des arguments qu'il a invoqués devant elle, notamment ce qu'elle appelle la bonification des opinions médicales. Ses prétentions se retrouvent aux paragraphes 27 à 30 de sa requête qui se lisent ainsi:
«27. A cet effet, le procureur du requérant lors de l'audition de la requête en révision pour cause entendue le 16 octobre 2002 à la C.L.P. a demandé que soit révoquée ou révisée la décision de la commissaire Me Diane Besse datée du 5 février 2002 au motif, notamment, que ladite décision comportait des erreurs manifestes, déraisonnables et déterminantes dans l'appréciation de la preuve médicale, le tout en s'appuyant sur les arguments suivants:
a) Me Diane Besse, commissaire mis-en-cause, a outrepassé ses pouvoirs en bonifiant la preuve médicale au dossier et déposée lors de l'audition du 19 novembre 2001;
b) Me Diane Besse, commissaire mis-en-cause, a favorisé une preuve médicale bonifiée en offrant une appréciation grossièrement déraisonnable de la preuve médicale soumise, et celle au dossier, lors de l'audition du 19 novembre 2001;
c) Le devoir de la C.L.P. est d'apprécier l'état antérieur du travailleur avant l'événement allégué du 22 février 2000 comparativement à son état postérieur audit événement, et par la suite de statuer sur la relation entre l'événement et l'écart médical constaté;
d) Me Diane Besse, commissaire mis-en-cause, a outrepassé ses pouvoirs au paragraphe 42 de sa décision lorsqu'elle indique: «De cet examen, le tribunal retient que le travailleur éprouvait des douleurs à la région lombaire et que le médecin a été en mesure de constater la présence de spasmes puisqu'il prescrit de la médication pour diminuer ceux-ci.» Alors que la preuve médicale versée et déposée au dossier est tout à fait à l'effet contraire, l'examen objectif du Dr Lavigne réalisé à 14hrs25 ne faisant état d'aucun spasme!;
e) Me Diane Besse, commissaire mis-en-cause, a outrepassé ses pouvoirs au paragraphe 45 de sa décision en stipulant que le travailleur était symptomatique à son arrivé(sic) au travail et que le médecin qu'il avait consulté juste avant son arrivé(sic) au travail avait constaté la présence de spasme. Me Besse bonifie une preuve médicale entre une fois, le rapport du Dr Lavigne parle plutôt d'une condition PEU symptomatique et JAMAIS ce dernier ne constate la présence de spasmes à son examen objectif;
f) Me Diane Besse, commissaire mis-en-cause, au paragraphe 48 de sa décision a commis une erreur déterminante de nature à invalider la décision en stipulant: «Le tribunal constate que l'examen fait par ce médecin est à toute fin pratique similaire à celui qu'avait fait le docteur Lavigne dans les heures précédant l'arrivé(sic) au travail, comme le mentionne(sic) les docteurs Cardin et Guillemette.» Mais c'est tout à fait faut(sic) de prétendre que l'examen du Dr Lavigne fait à 14hrs25 est similaire à celui du Dr Mobayed. La commissaire, Me Besse, a grossièrement apprécié la preuve médicale qui lui a été présentée. Le Dr Lavigne a seulement prescrit de l'Elavil pour diminuer les spasmes, ce qui n'implique certainement pas la présence de spasmes puisque les médecins ont l'obligation légale de rapporter leurs constats cliniques objectifs;
g) Le Dr Guillemette, qui n'a jamais examiné le travailleur, a bonifié son opinion médicale du 5 novembre 2001 en procédant par induction pour arrivé(sic) à la conclusion que le travailleur présentait des spasmes avant l'événement allégué;
h) Le Dr Cardin a bonifié son opinion médicale du 20 avril 2000 en indiquant que le travailleur était symptomatique d'une condition lombaire active et significative avec douleur, spasme et nécessité d'une médication; alors que la réalité de l'examen clinique en question fait état d'une discopathie PEU symptomatique et que le Dr Lavigne à son examen objectif ne note AUCUN spasme;
i) Me Diane Besse, commissaire mis-en-cause, en retenant les opinions bonifiées des Dr(sic) Cardin et Guillemette au détriment des autres documents médicaux au dossier et plus particulièrement au détriment des rapports des Drs Lavigne et Mobayed, ainsi qu'au détriment de l'opinion du Dr Lavigne émise dans sa lettre datée du 5 septembre 2000, a commis une erreur manifeste, déraisonnable et déterminante dans l'appréciation de la preuve médicale de nature à invalider ladite décision;
j) Les ajouts et bonifications de Me Besse constituent également des erreurs manifestes, déraisonnables et déterminantes de nature à invalider ladite décision;
k) Me Diane Besse, commissaire mis-en-cause, n'a pas offert d'appréciation sur l'écart entre l'état antérieur et postérieur, erreur manifeste, déraisonnable et déterminante de nature à invalider ladite décision;
l) Me Diane Besse, commissaire mis-en-cause, a commis une erreur manifeste, déraisonnable et déterminante au paragraphe 44 de sa décision lorsqu'elle stipule: «Dans le présent dossier, compte tenu de la séquence des gestes posés par le travailleur avant et après son arrivé(sic) au travail, le tribunal conclut que même si le travailleur a fait cette chute, celle-ci n'a pas entraîné de lésion.» Me Besse arrive à cette conclusion sans même se prononcer sur l'écart entre l'état antérieur et postérieur et sans même discuter de la relation entre l'événement et l'écart, le tout sans aucune motivation;
m) Me Diane Besse, commissaire mis-en-cause, a commis une erreur manifeste, déraisonnable et déterminante au paragraphe 50 de sa décision en retenant l'analyse bonifiée du Dr Guillemette au détriment des 3 consultations médicales faites les 22 et 23 février 2000 et sa conclusion à l'effet que les examens cliniques ne rapportent pas la présence de signes objectifs démontrant que la condition lombaire du travailleur ait été modifiée le 22 février 2000. Le tout sous les mêmes arguments énumérés aux points a) à l);
Le tout tel qu'il appert desdits rapports médicaux et opinions médicales des Dr.(sic) Lavigne, Mobayed, Cardin et Guillemette joints en liasse à la présente et communiqués aux parties sous la cote R-15, et le tout tel qu'il sera plus amplement démontré lors de l'audition de la présente requête;
28. Ainsi, la décision du 5 décembre 2002 n'est pas motivé(sic) en ce que la commissaire intimée Me Lucie Nadeau ne dispose pas des arguments ci-haut mentionnés, ne mentionnant même pas l'aspect de la bonification du dossier médical au détriment des preuves médicales objectives. Au surplus, Me Nadeau se contente de dire que la C.L.P. siégeant en révision ne constate aucune erreur manifeste et déterminante pouvant constituer un vice de fond, le tout tel qu'il sera plus amplement démontré lors de l'audition de la présente requête;
29. Me Lucie Nadeau, commissaire intimée, en décidant ainsi, a commis une erreur manifeste, déraisonnable et déterminante dans son appréciation de la preuve de nature à invalider sa décision, le tout tel qu'il sera plus amplement démontré lors de l'audition de la présente requête;
30. En omettant de statuer sur plusieurs arguments présentés lors de l'audition du 16 octobre 2002, Me Lucie Nadeau, commissaire intimée,a opéré un défaut de compétence donnant ouverture de plein droit à la présente requête en révision judiciaire, le tout tel qu'il sera plus amplement démontré lors de l'audition de la présente requête;.»
[56] Monsieur Brière plaide que tant la commissaire Besse que la commissaire Nadeau auraient dû tenir compte du rapport du Dr Lavigne suite à sa visite de 14h25 le 22 février (R-15 en liasse). Il invoque la définition de "spasme" selon Le Petit Robert, selon The Canadian Oxford Dictionary, selon le Dorland's Illustrated Medical Dictionary et selon le Webster's Third New International Dictionary. Il invoque le Code de déontologie des médecins[19], notamment les articles 1, 2, 6, 32, 46, 84 et 85[20]. Il plaide que "si le docteur Lavigne avait constaté la présence de spasmes, il avait l'obligation de l'inscrire". Or, il ne l'a pas inscrit. Ce qu'il a inscrit, c'est "cesser Toradol, Celebrex 200 die seulement au besoin #90 Elavil pour diminuer spasme, suivi au besoin" Cela ne veut pas dire qu'à 14h25, monsieur Brière souffrait de spasmes, simplement qu'il pouvait en avoir à l'occasion.
[57] Par contre, toujours selon l'avocat de monsieur Brière, le rapport du docteur Mobayed (R-15) constate des spasmes. Le lendemain (le 23 février), le docteur Lavigne diagnostique une entorse lombaire (R-15).
[58] Pour l'avocat de monsieur Brière, contrairement à ce que prétendent les docteurs Cardin et Guillemette, ces rapports médicaux ne sont pas superposables. Il soumet que ces médecins ont procédé par induction, sur des prémisses fausses, pour obtenir le résultat recherché. Il invoque la décision Déziel c. le Tribunal administratif du Québec et la Société de l'assurance automobile du Québec[21]. Il demande ensuite si les prémisses fausses des docteurs Cardin et Guillemette sont suffisamment importantes pour justifier la révision judiciaire. Selon lui, le premier paragraphe de la conclusion du rapport du Dr. Guillemette est totalement faux. Il reproche à la commissaire Besse d'avoir retenu l'opinion des Drs Cardin et Guillemette et non celle du Dr Lavigne. Il reproche à la commissaire Nadeau d'avoir accepté l'appréciation de la preuve faite par la commissaire Besse. Il estime les rapports des docteurs Cardin et Guillemette moins fiables car ils n'ont pas examiné monsieur Brière.
C) CONCLUSION
[59] Ceci n'est pas un appel de la décision de la commissaire Nadeau ou de celle de la commissaire Besse.
[60] De la lecture de la décision de la commissaire Besse, il ressort qu'elle a analysé toute la preuve devant elle et qu'elle a évalué tous les aspects de cette preuve en tenant compte de la crédibilité des témoignages et des faits entourant cette réclamation qui ont été portés à sa connaissance lors de l'audition devant elle. Les membres non décisionnels sont d'accord avec cette décision.
[61] La commissaire Nadeau, quant à elle, analyse la décision de la commissaire Besse à la lumière des arguments de l'avocat de monsieur Brière (le même que devant la soussignée). Elle ne retient aucun de ses arguments quant au fait que la commissaire Besse aurait mal évalué la preuve. Les membres non décisionnels sont d'accord avec cette décision.
[62] Rien dans les arguments additionnels soulevés devant le Tribunal ne le convainc que la décision de la commissaire Nadeau est manifestement déraisonnable et clairement irrationnelle. Le Code de déontologie des médecins et les définitions du dictionnaire ne permettent pas de conclure que l'appréciation de l'opinion du docteur Guillemette et de celle du docteur Cardin soit manifestement déraisonnable ou clairement irrationnelle. L'ensemble de la preuve circonstancielle permet à la commissaire Besse de conclure comme elle le fait. Les conclusions du docteur Guillemette sont l'aboutissement de son étude de tous les rapports médicaux. Ses conclusions ne peuvent être scindées du corps de son rapport. Quoiqu'en dise l'avocat de monsieur Brière, ces rapport ne reposent pas sur de fausses prémisses. On ne peut conclure du rapport du docteur Lavigne du 22 février que monsieur Brière n'avait plus de problèmes lombaires et pas de spasmes. Il n'en a pas constaté ce jour-là. Cela n'équivaut pas à dire que monsieur Brière n'en éprouvait pas, d'autant plus qu'il lui a prescrit des médicaments pour réduire les spasmes.
[63] La commissaire Nadeau, après avoir analysé toute la décision à la lumière de toute la preuve, conclut que la décision de la commissaire Besse n'est pas entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider. Le Tribunal ne constate aucune erreur manifestement déraisonnable dans cette analyse.
[64] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL
[65] REJETTE la requête du requérant.
[66] SANS FRAIS.
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__________________________________ ANNE-MARIE TRAHAN, J.C.S. |
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Me Dominic Asselin |
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7027, rue de St-Valllier |
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Montréal, Qc H1W 3A6 |
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Pour le requérant |
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Me Jacques David |
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Levasseur Verge |
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500 ouest boul. René Lévesque |
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Bureau 17.401 |
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Montréal, Qc H2Z 1W7 |
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Pour la Commission des Lésions Professionnelles |
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Me Thomas M. Davis |
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Borden Ladner Gervais s.r.l. |
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1000 rue de la Gauchetière ouest, |
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Bureau 900, |
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Montréal, Qc H3B 5H4 |
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Pour l'Hopital Général du Lakeshore |
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Date d’audience : |
Le 25 mars 2003 |
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AVIS AUX PARTIES
Rappel du 1er alinéa de l'article 331.9 C.p.c.:
Les parties doivent reprendre possession des pièces qu'elles ont produites une fois l'instance terminée. A défaut, le greffier les détruit un an après la date du jugement ou
de l'acte mettant fin à l'instance, à moins que le juge en chef n'en décide autrement.
[1] «lésion professionnelle»: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation, Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001, art.2
[2] L.R.Q., c. A-3.001
[3] «accident du travail»: un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle, Lois sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001, art. 2
[4] Harelkin c. Université de Régina, [1979] 2 R.C.S. 561
[5] Charte québécoise des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c.C-12, art. 23 et 35
[6] G. PEPIN et Y. OUELLETTE, Principes de contentieux administratif, 2e éd., Cowansville, Editions Yvon Blais, 1982, p. 238
[7] Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643
[8] Martineau c. Comité de discipline de l'institution de Matsqui (No.2), [1980] 1 R.C.S. 602
[9] Patrice GARAND, Droit administratif. v.2, 4e éd, Cowansville, Editions Yvon Blais, 1996, pp. 225 et226
[10] U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048 ; Caimaw c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983 ; Canada c. Alliance de la fonction publique, [1993] 1 R.C.S. 941 ; J.M. Asbestos Inc. c. C.A.L.P., [1998] 1 R.C.S. 135
[11] [1990] 3 R.C.S. 644 , 669
[12] [1993] 2 R.C.S. 756 , 774 et 775
[13] [1998] C.A.L.P. 553 , 559
[14] Commission de la santé et de la sécurité du travail c. L'Heureux, (C.A.) [2002] C.L.P. 331
[15] Gagnon c. Commission des lésions professionnelles,(C.S.), [1999] C.L.P. 856 , 860
[16] [1994] R.J.Q. 364 , 372 et 373
Voir aussi Patrice GARANT, Le droit administratif, vol. 2, 4e éd. Cowansville, Editions Yvon Blais, 1996, p. 308, 311
Bergevin c. Brasserie Labatt Ltée, J.E. 97-721 (C.A.)
Robert Mitchell Inc. c. Commission des lésions professionnelles, D.T.E. 99t-711 (C.S.); Duplessis c. Châteauneuf, J.E. 99-1721 (C.S.); Bourque c. Québec (Ministre de la Solidarité sociale), B.E. 2001be-683 (C.S.)
[17] Létourneau c. Commission des lésions professionnelles et Commission de la santé et sécurité au travail, C.S.Q., 200-05-014912-013, 7 septembre 2001, Zappavigna c. Commission des lésions professionnelles et Crochetière & Perron et Commission de la santé et de la sécurité au travail, C.S.M. 500-05-066125-012, 1er novembre 2001
[18] LATMP, article 374
[19] L.R.Q., c.M-9, r. 4.1
[20] 1. Le présent code détermine, en application de l'article 87 du Code des professions (L.R.Q., c. C-26; 2001, c.78), les devoirs et obligations dont doit s'acquitter tout membre du Collège des médecins du Québec.
2. Le médecin ne peut se soustraire, même indirectement, à une obligation ou à un devoir contenu dans le présent code.
6. Le médecin doit exercer sa profession selon des principes scientifiques.
32. Le médecin qui a examiné, investigué ou traité un patient est responsable d'assurer le suivi médical requis par l'état du patient, à la suite de son intervention, à moins de s'être assuré qu'un confrère ou un autre professionnel puisse le faire à sa place.
46. Le médecin doit élaborer son diagnostic avec la plus grande attention, en utilisant les méthodes scientifiques les plus appropriées et, si nécessaire, en recourant aux conseils les plus éclairés.
84. Le médecin doit s'abstenir d'inscrire, de produire ou d'utiliser des données qu'il sait erronées dans tout document, notamment tout rapport ou dossier médical ou de recherche.
85. Le médecin doit s'abstenir de délivrer à quiconque et pour quelque motif que ce soit un certificat de complaisance ou des informations écrites ou verbales qu'il sait erronées.
[21] C.S.Q. 200-05-014279-009, 4 mai 2001
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.