Décision

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Développements 2950 Ontario inc. c. 141517 Canada ltée (Clermont ltée)

2014 QCCS 4391

COUR SUPÉRIEURE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

N° :

500-17-078478-131

 

 

 

DATE :

Le 17 septembre 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

HÉLÈNE LANGLOIS, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

Les Développements 2950 Ontario inc.

Requérante

c.

141517 Canada Ltée (Clermont Ltée)

Intimée

et

L’Officier de la publicité des droits de la circonscription foncière de Montréal

et

Me Michel Laberge, Notaire

            Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

[1]           Les Développements 2950 Ontario inc. (Ontario) demande au tribunal de déclarer une hypothèque légale de la construction, publiée le 18 avril 2013 sous le numéro 19 867 934 (l’hypothèque) par 141517 Canada Ltée (Clermont)[1], invalide, tardive et illégale et d’ordonner que lui soit remise la somme déposée au compte en fidéicommis de Me Michel Laberge (mis en cause) en substitution de cette garantie.

[2]           Clermont est cessionnaire des droits de la compagnie 9242-3771 Québec inc., faisant affaires sous la raison sociale de Les Entreprises RMDL (RMDL), découlant de contrats de travaux de revêtement muraux extérieurs en métal.

[3]           L’hypothèque a été publiée en lien avec un immeuble désigné comme étant le lot 3 362 044 avec bâtisse portant le numéro civique 2960, rue Ontario est, à Montréal de même qu'avec des immeubles détenus en copropriété et correspondant à des unités de condominium désignés comme étant les lots 5 037 226; 5 037 229 à 5 037 280; 5 037 281 à 5 037 290; 5 037 339; 5 037 291 à 5 037 298.

[4]           Ces derniers lots proviennent de la subdivision survenue le 21 novembre 2012 du lot original 3 362 050.

[5]           De fait, une sûreté unique a été publiée relativement à ces immeubles.

Faits

[6]           En 2011, Ontario entreprend un projet de développement résidentiel sur la rue Ontario à Montréal impliquant la construction de trois bâtiments.

[7]           Un bâtiment situé sur le lot 3 362 044 devant inclure 31 logements sociaux (bâtiment C) et deux autres bâtiments construits sur le lot original 3 362 050; un premier incluant désormais 87 unités de condos résidentiels (bâtiment A) et un second incluant 92 logements sociaux (bâtiment B).

[8]           Le 12 mars 2011, elle confie la réalisation de ce projet à la compagnie 2699222 Canada inc. (Groupe Tyron), entrepreneur général.

[9]           Le projet de construction entrepris par Ontario était identifié comme étant le projet Hibiscus.

[10]        À quelques semaines près, les bâtiments A, B et le bâtiment C ont été construits en même temps mais la construction de chaque bâtiment a fait l’objet d’un échéancier distinct.

[11]        Le 12 mai 2012, Groupe Tyron confie à RMDL, en sous-traitance, la réalisation de l’ouvrage incluant la fourniture de matériaux et l’exécution de travaux de parement métallique en acier et calfeutrage des bâtiments (l’ouvrage).

[12]        L’ouvrage, relativement à chaque bâtiment, a fait l’objet de trois contrats distincts intervenus entre le Groupe Tyron et RMDL[2].

[13]        Le contrat pour le bâtiment A est pour un montant de 167 929 $, celui pour le bâtiment B pour un montant de 242 942 $ et, pour le bâtiment C, il est pour un montant de 126 318,43 $.

[14]        Des demandes distinctes de remboursement de déboursés encourus relativement à chaque immeuble sont soumises à Ontario.

[15]        Le 28 janvier 2013, un certificat de fin des travaux quant à l’ouvrage sur le bâtiment A et le 31 janvier 2013 quant à celui sur le bâtiment B sont émis par les architectes Atelier Chaloub Beaulieu (Atelier Chaloub Beaulieu).

[16]        Le 30 janvier 2013, des garanties quant à la qualité de l’ouvrage sont émises par RMDL relativement à chaque bâtiment.

[17]        Le 13 février 2013, pour valoir rétroactivement au 1er octobre 2012, RMDL cède ses contrats visant l’ouvrage à Clermont.

[18]        Les parties ont admis que cette cession a été dûment dénoncée.

[19]        Le 9 mars 2013, les employés de RDML quittent le chantier.

[20]        Le 11 mars 2013, une entente de services visant l’ouvrage intervient entre Groupe Tyron et Les Constructions Gaétan Bélanger inc..

[21]        Le 21 mars 2013, Atelier Chaloub Beaulieu émet un certificat de fin des travaux quant au bâtiment C.

[22]        Le 16 mai 2013, après la publication de l’hypothèque et dans le contexte d’une requête en substitution de garantie déposée par Ontario, cette dernière et Clermont conviennent de substituer l’hypothèque par le dépôt au compte en fidéicommis du mis en cause, d’une somme de 440 000 $.

[23]        Ils conviennent aussi que cette entente ne doit aucunement être interprétée comme une reconnaissance que cette somme est due en totalité ou même en partie ou que l’hypothèque était valide.

[24]        En juillet 2013, Clermont, mettant en cause Ontario, poursuit le Groupe Tyron en réclamation d’une somme de 440 122,49 $ (321 659,11 $ + 118 463,38 $) qu’elle allègue lui être due à la suite de l’exécution des contrats cédés par RDML et elle demande que la somme de 440 000 $ détenue par le mis en cause lui soit remise en paiement de sa réclamation.

Prétentions des parties

[25]        Ontario plaide que l’hypothèque n'est pas valide quant au bâtiment C compte tenu que l’avis d’hypothèque publié (l'avis) ne fait pas mention du montant de la créance liée aux travaux affectant cet immeuble ni de la plus value prétendument apportée par ceux-ci.

[26]        En ce qui concerne les bâtiments A et B, elle soutient que l’avis a été publié plus de 30 jours après la fin des travaux qui était, selon elle, en date du 15 mars 2013.

[27]        À titre préliminaire, Clermont plaide en premier lieu que la demande d’Ontario est inutile et sans objet, l’hypothèque étant inexistante depuis qu’il y a eu substitution de garantie et en second lieu que, à tout le moins, cette demande est prématurée.

[28]        En effet, elle soutient que la question de la validité de l’hypothèque doit plutôt être tranchée dans le cadre de l’action intentée par Clermont contre Ontario lors de la détermination de la quotité de la créance faisant l’objet du débat entre les parties.

[29]        Dans l’éventualité où le tribunal rejetait ces arguments préliminaires, elle plaide qu’à tout événement l’hypothèque est valide.

[30]        D’une part, les bâtiments A, B et le bâtiment C qui ont été construits dans le cadre d’un projet de construction unique, constituent une seule unité d’exploitation et dans ce contexte, l’avis mentionne correctement la valeur de la créance rattachée à l’ensemble du projet.

[31]        D’autre part, les travaux de construction s’étant poursuivis jusqu’au mois d’avril 2013, il a été publié dans le délai de 30 jours de la fin des travaux.

Objections

[32]        Ontario s’objecte, pour le motif de non pertinence, à la production des pièces identifiées par la cote I-5 c’est-à-dire, un tableau des valeurs apparaissant au rôle d’évaluation foncière, des lots détenus en copropriété, à l'origine le lot 3 362 050 et, par la cote I-11 soit, des documents identifiés comme étant «ventilation heures revêtement métallique projet Ontario».

[33]        L’objection quant à la pièce I-5 est maintenue, l’information y contenue n’étant pas pertinente ou utile pour trancher le débat.

[34]        L’objection quant à la pièce I-11 est rejetée; il s’agit de registres signés correspondant à des écrits visés par l’article 2832 C.c.Q. et rapportant des faits pertinents à la détermination de la fin des travaux dont l’appréciation de la valeur probante relèvera du tribunal.

Analyse et discussion

            Les arguments préliminaires de Clermont : l’absence d’objet à la requête et la prématurité du présent recours

[35]        À titre pertinent les articles 2726, 2727 et 2728 du Code civil du Québec prévoient :

«2726. L'hypothèque légale en faveur des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation d'un immeuble ne peut grever que cet immeuble. Elle n'est acquise qu'en faveur des architecte, ingénieur, fournisseur de matériaux, ouvrier, entrepreneur ou sous-entrepreneur, à raison des travaux demandés par le propriétaire de l'immeuble, ou à raison des matériaux ou services qu'ils ont fournis ou préparés pour ces travaux. Elle existe sans qu'il soit nécessaire de la publier.

2727. L'hypothèque légale en faveur des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation d'un immeuble subsiste, quoiqu'elle n'ait pas été publiée, pendant les 30 jours qui suivent la fin des travaux.

Elle est conservée si, avant l'expiration de ce délai, il y a eu inscription d'un avis désignant l'immeuble grevé et indiquant le montant de la créance. Cet avis doit être signifié au propriétaire de l'immeuble.

Elle s'éteint six mois après la fin des travaux à moins que, pour conserver l'hypothèque, le créancier ne publie une action contre le propriétaire de l'immeuble ou qu'il n'inscrive un préavis d'exercice d'un droit hypothécaire.

2728. L'hypothèque garantit la plus-value donnée à l'immeuble par les travaux, matériaux ou services fournis ou préparés pour ces travaux; mais, lorsque ceux en faveur de qui elle existe n'ont pas eux-mêmes contracté avec le propriétaire, elle est limitée aux travaux, matériaux ou services qui suivent la dénonciation écrite du contrat au propriétaire. L'ouvrier n'est pas tenu de dénoncer son contrat.»

[36]        Selon les enseignements de la Cour d’appel, dans l’arrêt Ivanhoé Cambridge c. Revêtements Nor-Lag ltée[3], le créancier ne pourra ultimement profiter de la sûreté donnée en remplacement d’une hypothèque de la construction dont il était bénéficiaire que dans la mesure où, au moment de la substitution de la garantie, les conditions de conservation de l’hypothèque étaient remplies.

[37]        Elle précise aussi que les conditions de conservation de cette hypothèque qui devaient être satisfaites par la suite, n’ont cependant plus à l’être.

[38]        Autrement dit, le droit à la sûreté est tributaire d’une hypothèque légale valide au moment de la substitution.

[39]        En effet, «Lorsque le législateur a prévu la substitution de l’hypothèque légale à l’article 2731 C.c.Q. il a voulu qu’on puisse mettre l’immeuble à l’abri des recours hypothécaires sans intervenir toutefois dans les différents litiges ayant pu s‘élever relativement à la validité de l’hypothèque et à la qualité de la créance hypothécaire …»[4].

[40]        Autrement, cela risquerait de décourager l’usage par le débiteur hypothécaire du recours en vertu de l’article 2731 C.c.Q. alors que sa finalité ne vise qu’à permettre, pour des raisons économiques ou d’affaires le justifiant, d’éviter qu’un immeuble demeure grevé d’une charge de nature hypothécaire.

[41]        À tout événement, en l’espèce, les parties à l’entente de substitution de garantie ont réservé le droit de Ontario de soulever ultérieurement tout débat relatif à la validité de l’hypothèque.

[42]        Le recours de Ontario est régit par l’article 804 C.p.c. qui prévoit :

«804. Les demandes relatives à l'inscription ou à la rectification, à la réduction ou à la radiation d'une inscription sur le registre foncier ou sur le registre des droits personnels et réels mobiliers sont présentées devant le tribunal du lieu où est situé l'immeuble ou le bien corporel faisant l'objet de l'inscription; s'il s'agit d'un bien incorporel, elles sont présentées devant le tribunal du domicile du propriétaire, du débiteur ou du constituant, suivant le cas.

Ces demandes doivent être accompagnées d'un état, certifié par l'officier de la publicité des droits, des droits inscrits sur le registre approprié à l'égard du bien, de la nature de l'universalité ou du nom du constituant.»

[43]        Cette disposition permet, au moyen d’un recours distinct et autonome, la contestation du bien fondé de l’enregistrement d’une inscription au registre foncier et sa radiation[5].

[44]        Aucune disposition n’exige que le recours intenté en vertu de l’article 804 C.p.c. soit traité en même temps que l’action personnelle en recouvrement de la créance garanti par une sûreté publiée au registre foncier.

[45]        Ainsi, les arguments préliminaires de Clermont ne sont pas retenus.

            Quant au bâtiment C, l’absence de mention à l’avis du montant de la créance résultant de l’ouvrage et de la plus value apportée

[46]        L’avis ne mentionne aucun montant de créance ou de plus value se rapportant au bâtiment C.

[47]        Il indique le montant de la créance de 1 080 622,50 $ réparti également entre les lots détenus en copropriété dans le bâtiment A et, relativement à certains de ceux-ci, il attribue à l’ouvrage une valeur de plus value de 486 280 125 $ (plus frais et intérêts).

[48]        Le régime de l’hypothèque légale de construction est strict et fondé sur des formalités qui constituent des conditions essentielles à l’existence de cette hypothèque ainsi qu’à sa conservation.

[49]        Ces conditions ont été regroupées en quatre catégories : celle ayant trait à l’objet de l’hypothèque c’est-à-dire l’immeuble, celle concernant la nature des travaux donnant droit à l’hypothèque légale de la construction, celle concernant les bénéficiaires de celle-ci et celle relative à la publication d’un avis.

[50]        Dans ce dernier cas, l’article 2727 C.c.Q. exige l’inscription d’un avis désignant l’immeuble grevé et le montant de la créance; il n’exige pas que la plus value prétendument apportée y soit mentionnée.

[51]        En l’occurrence, le fait que l’avis publié ne dénonce aucune créance se rapportant spécifiquement au bâtiment C n’a pas été remis en question.

[52]        Or, il s’agit d’une condition essentielle à la validité de l’hypothèque.

[53]        En effet, «Le fondement de cette règle se comprend bien puisque l’hypothèque légale de construction ayant priorité sur les droits des autres créanciers hypothécaires … il devient nécessaire pour protéger leurs intérêts que l’hypothèque légale ait une assise précise correspondant à l’immeuble affecté et aussi qu’elle se limite à la plus value que les travaux ou les matériaux ont apportée à l’immeuble»[6].

[54]        Aussi «La construction ou la rénovation concerne une unité d’exploitation; les mesures de publicité doivent être accomplies en fonction des diverses unités d’exploitation immobilières … il faudra accomplir autant de fois les formalités nécessaires à la conservation du privilège qu’il y aura d’unités d’exploitation»[7].

[55]        Le créancier ayant contribué par ses travaux à la construction de plusieurs immeubles devra, pour chacun, respecter les règles de conservation et de réalisation de l’hypothèque légale de la construction et, entre autres, ventiler la créance pour chaque immeuble.

[56]        Selon les auteurs et la jurisprudence, il existe cependant une exception à cette règle lorsque, deux ou plusieurs immeubles forment une unité d’exploitation.

[57]        Dans ce cas, ils pourront être considérés comme équivalent à un seul immeuble et n’être grevés que d’une hypothèque légale de la construction pour le montant global de la créance sans nécessité de ventilation.

[58]        Clermont soutient qu’elle a contribué à la construction de plusieurs bâtisses regroupées faisant l’objet d’un seul projet de construction et, par voie de conséquence, formant une seule unité d’exploitation; l’avis publié mentionnant le montant global de la créance relié audit projet satisfait donc aux exigences de l’article 2727 C.c.Q.

[59]        La Cour d'appel dans l'arrêt Construction Raoul Pelletier (1987) inc. c. 2424 St-Ursule[8] a énoncé les facteurs qui déterminent l'existence ou non d'une unité d'exploitation.

[60]        Entre autres, elle rappelle le principe qu’«un lot correspond à un immeuble» et que, selon les enseignements de la Cour suprême dans l'arrêt Gadbois c. Stimson - Reeb Buiders Supply Company[9] pour que plusieurs immeubles équivaillent à une unité d’exploitation, les éléments suivants doivent être réunis :

The prima facie reference that each separate building with the lot or lots on which it stands is an immoveable in itself, must be displaced by something sufficient to put on ordinary man, he  be a supplier of materials or an intending purchaser, on inquiry to ascertain if, for building purposes, the lots were being used as a single parcel to which would attach a single privilege to the price of materials used many building erected thereon…

(Soulignements ajoutés)

[61]        Elle souligne que « les auteurs et la jurisprudence font état de nombreux exemples où deux ou plusieurs immeubles ont été considérés comme une seule unité d'exploitation : un centre commercial, une ferme, un bâtiment contenant plusieurs logements, un réseau de rues et de services essentiels, tous construits sur plus d'un immeuble. Dans chacun de ces cas la preuve révélait qu'en raison de leur exploitation particulière, des immeubles distincts étaient confondus en un seul» (soulignement ajouté).[10]

[62]        En fait, tel que la Cour d’appel le constate, l'immeuble dans de tels cas constitue l'exploitation unique de « l'étendue de terrains, avec ses constructions et ses accessoires, que le propriétaire utilise pour les mêmes fins et qui forme une entité complète. »[11]

[63]        Or, telle n’est pas la situation en l’espèce.

[64]        Les bâtiments A, B sont construits sur un lot et le bâtiment C sur un autre.

[65]        Les bâtiments A et B qui sont divisés en parties privatives et communes sont connexes, il n’y a aucun coupe-feu entre ces deux édifices qui sont desservis par un seul sous-sol et la même entrée d’eau alors que le bâtiment C est séparé des deux autres.

[66]        Un chemin situé sur un lot, propriété du Canadian Pacifique, sépare les bâtiments A et B du bâtiment C; une servitude de passage en permet l’usage.

[67]        Chaque bâtiment a un numéro civique et la preuve ne révèle pas que les bâtiments A, B et le bâtiment C ont des services en commun ou aient quelque lien d'interdépendance.

[68]        Bref, le bâtiment C forme une entité complète et distincte des bâtiments A et B.

[69]        En plus, quant au fait que l’absence d’unité d’exploitation, du moins entre les bâtiments A et B et le bâtiment C, dans les circonstances ne suscitait pas de doute ou d'interrogation selon le test envisagé par la Cour suprême dans l’arrêt Gadbois, l’ouvrage pour le bâtiment C a fait l’objet d’un contrat, d’un échéancier de construction et d’un certificat de garantie et de fin des travaux distincts.

[70]        En conséquence, l'hypothèque légale grevant le bâtiment C n'est pas valide puisqu'elle ne satisfait pas à une des conditions nécessaires à sa réalisation et sa conservation.

            Quant aux bâtiments A et B, la tardiveté de la publication de l'hypothèque légale

[71]        L’hypothèque a été publiée le 18 avril 2013.

[72]        Ontario plaide que la fin des travaux fut le 15 mars 2013 alors que Clermont plaide qu'ils ont pris fin le 19 mars 2013 pour le bâtiment B et le 27 mars 2013 pour le bâtiment A.

[73]        Selon l'article 2110 C.c.Q., la fin des travaux survient lorsque l'immeuble ayant fait l'objet des travaux de construction ou de rénovation est en état de servir conformément à l’usage auquel il est destiné.

[74]        Plus précisément :

«La fin des travaux doit s'entendre du temps où l'immeuble est prêt, avec tout ce que comporte l'exécution intégrale du contrat, à l'usage auquel il est destiné… Le certificat de fin des travaux émis par l'architecte ne constitue pas une preuve irréfragable de la fin des travaux…»[12]

[75]        Cette notion de fin des travaux s’apprécie en fonction «d’une norme objective, à savoir la nature et l’étendue du travail qui reste à accomplir afin de rendre la construction prête pour l’usage auquel elle est destinée»[13].

[76]        Par ailleurs, des travaux non complétés peuvent avoir été interrompus, suspendus ou abandonnés.

[77]        Dans ce dernier cas, la jurisprudence considère que la situation équivaut à une fin des travaux au sens de l’article 2727 C.c.Q. lorsque «(L)’abandon se caractérise par l’interruption des travaux combinée à l’intention manifeste du propriétaire de laisser le chantier en plan de manière définitive.»[14].

[78]        Enfin, selon la jurisprudence, la fin des travaux ne survient que lorsque tous les travaux prévus aux plans et devis, même mineurs sont terminés.

[79]        Les travaux visant à corriger des malfaçons ou vices n'ont toutefois pas pour effet de retarder la fin des travaux.

[80]        Au niveau de la preuve, d’une part Gilles Lafrenière (Lafrenière), technicien au bureau de Chaloub Beaulieu et responsable de la surveillance du chantier, témoigne qu'au mois de janvier 2013  il a été appelé à fixer une date de fin des travaux.

[81]        Il émet donc les certificats de fin des travaux pour le 28 janvier 2013 quant au bâtiment A et le 31 janvier 2013 quant au bâtiment B.  Il ne restait, selon lui, que des travaux mineurs à exécuter sur ces bâtiments et dans les deux cas, le certificat prévoit la correction des déficiences intérieures avant le 9 février 2013 et extérieures avant le 16 février 2013.

[82]        Toutefois, le 9 mars 2013, à la suite d’un différend survenu entre le Groupe Tyron et RDML, les employés de celle-ci quittent le chantier et le 11 mars 2013, le Groupe Tyron émet un bon de commande auprès de Construction Gaétan Bélanger inc. visant «à fournir le matériel et la main-d'œuvre pour finaliser la pose du revêtement métallique sur les bâtiments A, B, C» au prix de 29 500 $ excluant la nacelle.

[83]        Gaétan Bélanger témoigne que ces travaux visaient la terminaison de l’ouvrage sur le bâtiment C et certains travaux de revêtement sur le bâtiment B.

[84]        Selon celui-ci de même que selon Stéphane Bélanger de Groupe Tyron, le 15 mars 2013, l’ouvrage sur les bâtiments était complété; il ne restait que des déficiences à corriger.

[85]        Jacques Lafortune qui était, à l’époque, chef d'équipe chez RMDL et qui maintenant travaille pour Clermont, témoigne quant à lui que lorsque RMDL quitte le chantier le 9 mars 2013, il reste un peu d’ouvrage à compléter sur les édifices A et B dont, quant à ce dernier, l'installation d'une feuille de revêtement métallique et la moulure du plafond de l'entrée principale.  Une plus grande quantité d’ouvrage devait être complété sur le bâtiment C car, tout a été laissé en suspend lors du départ des employés de RDML.

[86]        Le 13 mars 2013, à la demande de son supérieur, il retourne sur le chantier et il prend des photos visant à démontrer l’ouvrage jusque-là fait par RDML dont, une photo de l'entrée du bâtiment B (I-12).

[87]        Enfin, selon l’évaluation de Dany Lafortune, qui était aussi à l’époque un employé de RDML et qui travaille maintenant pour Clermont, le 9 mars 2013 il restait environ trois semaines d’ouvrage à compléter.

[88]        D'autre part, le travail effectué par Construction Gaétan Bélanger inc., en exécution du bon de commande, a été facturé à Groupe Tyron sur la base d'une facturation à l'heure détaillée à I-11.

[89]        I-11 inclut aussi le détail du temps de travail consacré à la correction des déficiences déterminées par le surintendant de chantier.

[90]        Selon ce document, les employés de Construction Gaétan Bélanger ont travaillé les semaines des 11, 18 et 25 mars 2013.

[91]        Le relevé de la semaine du 11 mars n'indique aucun ouvrage sur le bâtiment A mais 31,5 heures de travail effectué sur le bâtiment  B en date du 14 mars 2013 décrit comme étant «revêtement métallique»; quatre hommes ont travaillé.

[92]        Selon le relevé de la semaine du 18 mars 2013, il y a eu 10 heures de travail  sur le bâtiment A dont, le 19 mars 2013, quatre heures de «revêtement (scellant)» et six heures, le 20 mars 2013 pour «finir du revêtement balcon arrière ».

[93]        Cette même semaine, aussi le 20 mars 2013, 19,5 heures ont été consacrées à « finir revêtement entrée du bâtiment » sur le bâtiment B; il est fait mention qu’il s’agit d'un revêtement rouge soit, la couleur du plafond à l’entrée du bâtiment B.

[94]        La seule facturation qui sera émise par la compagnie United Rentals concernant l'utilisation d'une nacelle indique qu'une nacelle est louée du 18 mars 2013, 10 h 30 au 20 mars 2013, 11 h 42.

[95]        Ensuite, dans la semaine du 25 mars, il y a 8 heures de travail effectué sur le bâtiment A et 6 heures sur le bâtiment B. Quant au premier, il est question de finition de revêtement et ajustement de scellant et quant au deuxième, d'ajustement et de peinture.

[96]        I-11 précise que les travaux exécutés cette dernière semaine étaient reliés à des déficiences alors que ce n'est pas le cas pour les travaux exécutés durant les autres semaines.

[97]        Cette preuve établit que Construction Gaétan Bélanger est sur le chantier et effectue du travail relié à l’ouvrage entre le 11 mars et le 28 mars 2013.

[98]        Également, elle démontre que vraisemblablement le 9 mars 2013, lorsque RDML quitte les lieux, la pose du revêtement métallique au plafond de l'entrée du bâtiment B doit être complétée, tel qu'en a témoigné monsieur Lafortune.

[99]        La photo I-12 qu’il a prise le matin du 13 mars, montre qu’il manque une partie du revêtement métallique au plafond de l'entrée du bâtiment B.  Il n’a pas été établi qu’à cette date, le revêtement métallique était incomplet à d’autres endroits sur les bâtiments A et B.

[100]     Selon I-11, le 14 mars 2013, il y a eu installation de revêtement métallique sur le bâtiment B et cela a nécessité 31,5 heures de travail.

[101]     Il est probable que ce travail complétait l’ouvrage sur le bâtiment B en exécution du bon de commande; Gaétan Bélanger a témoigné en ce sens et ce travail n'est pas compilé à I-11 comme étant relié à des déficiences.

[102]     Selon Ontario, c’est donc au plus tard le 15 mars 2013 que se situe la fin des travaux.

[103]     Toutefois, I-11 révèle aussi que le 20 mars 2013, il y a eu 19,5 heures de travail décrit comme étant de « finir le revêtement rouge de l'entrée du bâtiment B ».

[104]     Gaétan Bélanger a aussi témoigné que le travail d'installation du revêtement métallique au plafond de l'entrée du bâtiment B avait dû être recommencé puisqu'une feuille de revêtement et sa moulure avaient été endommagées.

[105]     Il s’agit vraisemblablement du travail effectué le 20 mars 2013 puisqu’il n’en est pas question à une autre date et que, durant cette période, la nacelle a été louée, Gaétan Bélanger ayant associé cette location à ces travaux de correction.

[106]     Or, les heures de travail concernées ne sont pas consignées à I-11 comme étant reliées à des déficiences.

[107]     Également en ce sens, les frais de location de la nacelle encourus à cette période ont été considérés par Ontario comme étant des frais reliés à l'exécution de l’ouvrage puisqu’elle en réclame le remboursement à RDML en même temps que le prix chargé par Construction Georges Bélanger en exécution du bon de commande.

[108]     « La fin des travaux survient lorsque le contrat d'entreprise est intégralement exécuté. Ceci comprend tout ce qui est une suite logique des travaux expressément mentionnés au contrat d'entreprise »[15].

[109]     Ces travaux exécutés le 20 mars 2013 visaient à régler une situation qui affectait l'utilité du bâtiment B puisque le revêtement métallique tel qu’installé initialement au plafond de l'entrée principale, empiétait sur le mouvement de la porte d'entrée.

[110]     La nature et l'étendue du travail nécessaire pour faire en sorte que l'ouvrage réponde aux exigences des plans et devis ont probablement incité Ontario à considérer ces travaux comme faisant partie de l'ouvrage et non comme étant relié à des déficiences.

[111]     Ainsi, à la lumière de cette preuve, le Tribunal conclut que la fin des travaux sur les bâtiments A et B a eu lieu le 20 mars 2013.

[112]     En conséquence, il y a eu publication de l'hypothèque le 18 avril 2013 dans le délai requis pour assurer sa conservation c'est-à-dire, dans les trente jours de la fin des travaux.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[113]     ACCUEILLE en partie la requête en annulation d'une hypothèque légale du domaine de la construction et en remboursement des sommes déposées à titre de substitution de garantie amendée;

[114]     DÉCLARE invalide, quant à l'immeuble connu et désigné comme étant le lot 3 362 044, l'hypothèque du domaine légale de la construction publiée par 141517 Canada ltée (Clermont ltée) le 18 avril 2013 sous le numéro 19 867 934 au Bureau de la publicité des droits de la circonscription de Montréal;

[115]     AVEC DÉPENS.

 

 

__________________________________

HÉLÈNE LANGLOIS, J.C.S.

 

 

Me Michel Seméteys

Crochetière Pétrin

Procureurs de la requérante

 

Me Marilyne Racicot

Procureure de l’intimée

 

Dates d’audience :

15 et 16 mai 2014

 



[1] L'utilisation des seuls noms dans le présent jugement a pour but d'alléger le texte et l'on voudra bien n'y voir aucune discourtoisie à l'égard des personnes concernées.

[2] Pièces R-1, R-2, R-3.

[3] 2007 QCCA 953.

[4] Rive Gauche inc. c.  Les Gypses Maheux et Fils, 2004 CanLII 27100 (QCCS) par. 25.

[5] Id., par. 16.

[6] Compagnie Minière Québec Cartier c. Rénovation Fermont inc., 2007 QCCQ 6480 par. 133, référence omise.

[7] CIOTOLA, Pierre, Droit des sûretés, 3e éd. Montréal Thémis, 1999 p. 171 et DESLAURIERS, Jacques, Précis de droit des sûretés, Montréal, Wilson et Lafleur, 1990 p. 206 et 208.

[8] 2005 QCCA 191.

[9] 1929 RCS 587, p. 596 et 597.

[10] Construction Raoul Pelletier (1987) inc. c. 2424 St-Ursule (2005 QCCA 191), par. 54.

[11] Gadbois c. Stimson, note 8 préc., par. 42.

[12] Compagnie Minière Québec Cartier c. Rénovation Fermont inc. 2007 QCCQ 6480, par. 78.

[13] Les Aciers Canam inc. v. Acier Allco Steel et al., AZ-85021408 (C.S.).

[14] Les Sûretés, Vol. 4, Hypothèque légale et certains effets de l’hypothèque, Commentaires sur le Code civil du Québec, LAMBERT, Édith, Éditions Yvon Blais, p. 187 (références omises).

[15] Wilson Lafleur Contrat d'entreprise (Ouvrages mobiliers et immobiliers; construction et rénovation), contrat de prestation de services hypothèque légale 2e ed., chapitre troisième  - de l'hypothèque légale par. 1801.

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