Décision

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

Nos:

2019-12-02(C)

2019-12-03(C)

 

DATE :

Le 2 novembre 2020

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Philippe Jones, courtier en assurance de dommages

Membre

M. Bernard Jutras, courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

CHANTAL GIROUX, courtier en assurance de dommages

et

MANON HÉBERT, courtier en assurance de dommages

Parties intimées

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DE TOUT RENSEIGNEMENT OU INFORMATION

PERMETTANT D’IDENTIFIER L’ASSURÉE MENTIONNÉE AUX PLAINTES

ET DANS LES PIÈCES DOCUMENTAIRES,

LE TOUT SUIVANT L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS

 

 

[1]       Le 29 juillet 2020, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition des plaintes numéros 2019-12-02(C) et 2019-12-03(C), par visioconférence ;

 

[2]       Le syndic était alors représenté par Me Valérie Déziel et, de leur côté, les intimées étaient représentées par Me Sonia Paradis ;

 

 


I.          Les plaintes

 

[3]       Les intimées font l’objet des plaintes suivantes :

 

          Chantal Giroux (No. 2019-12-02(C)) :

 

1.         A Louiseville, à l’occasion des renouvellements 2015, 2016, 2017 et 2018 du contrat d’assurance multirisque des producteurs agricoles no [...] émis par Estrie Richelieu, mutuelle d’assurance agricole, a fait défaut de procéder à des vérifications et à une mise à jour des renseignements auprès de l’assurée J.P. (Les E.S.) pour s’assurer que les garanties offertes répondent à ses besoins, notamment quant à la protection régulière (formulaire 50) par opposition à la protection étendue (formulaire 90), agissant ainsi à chacune de ces occasions en contravention avec l’article 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

          Manon Hébert (No. 2019-12-03(C)) :

 

1.         A Shawinigan, entre les ou vers les 10 octobre et 21 novembre 2012, dans le cadre du contrat d’assurance multirisque des producteurs agricoles no [...] émis par Estrie Richelieu, mutuelle d’assurance agricole, a exercé ses activités professionnelles de manière négligente et/ou a fait défaut d’agir en conseiller consciencieux, en omettant d’informer l’assurée J.P. (Les E.S.) de la réduction des engagements de l’assureur et de s’assurer de son consentement, conformément aux dispositions d’ordre public de l’article 2405 du Code civil du Québec, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 2, 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

2.         A Shawinigan, à l’occasion des renouvellements 2012, 2013 et 2014 du contrat d’assurance multirisque des producteurs agricoles no [...] émis par Estrie Richelieu, mutuelle d’assurance agricole, a fait défaut de procéder à des vérifications et à une mise à jour des renseignements auprès de l’assurée J.P. (Les E.S.) pour s’assurer que les garanties offertes répondent à ses besoins, notamment quant à la protection régulière (formulaire 50) par opposition à la protection étendue (formulaire 90), agissant ainsi à chacune de ces occasions en contravention avec l’article 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

3.         A Shawinigan, de juin 2012 à novembre 2012, a été négligente dans la tenue du dossier de l’assurée J.P. (Les E.S.), en faisant défaut d’y inscrire l’ensemble de ses démarches et interventions, notamment les communications téléphoniques, les conseils donnés, les décisions prises et les instructions reçues, en contravention avec les articles 85 à 88 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ c. D-9.2), les articles 9 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5) et les articles 12 et 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ c. 9.2, r.2).

[4]       Dès le début de l’audition, la procureure des intimées a indiqué au Comité que Mme Giroux plaidait coupable au seul chef d’accusation qui lui est reproché dans la plainte no. 2019-12-02(C) ;

 


[5]       Quant à Mme Hébert, celle-ci plaidait coupable aux chefs 2 et 3 de la plainte no. 2019-12-03(C) ;

 

[6]       Cela dit, les parties ont convenu que le débat se limiterait au chef 1 de la plainte déposée contre Mme Hébert ;

 

[7]       À cet égard, les plaidoiries des parties ont porté sur des questions litigieuses, dont les suivantes :

 

1.         L’intimée Hébert a-t-elle failli à son devoir de conseil envers l’assurée ?

 

2.         Le syndic devait-il produire un rapport d’expert pour établir la norme professionnelle en semblable matière ?

 

3.         Le libellé du chef d’accusation no. 1 est-il suffisant pour entraîner une condamnation disciplinaire ?

 

4.         Y a-t-il dédoublement entre le chef 1 et le chef 2 de la plainte, entraînant ainsi l’application de la règle interdisant les condamnations multiples (arrêt Kineapple) ?

 

[8]       Cependant, avant d’examiner ces questions, il convient d’établir les faits à l’origine des plaintes déposées contre les intimées ;

 

 

II.         Les faits

 

[9]       La preuve documentaire déposée de part et d’autre et, plus particulièrement, la liste des admissions fournie par les parties, a permis d’établir les faits ci-après décrits ;

 

[10]    En 2012, l’assurée possédait des chevaux et exerçait des activités équestres sur sa propriété dont, notamment, une écurie-manège ;

 

[11]    À cette époque, l’assurée bénéficiait d’une couverture d’assurance étendue (Formulaire 90) ;

 

[12]    Le 15 juin 2012, l’assurée informe l’intimée Hébert qu’elle n’a plus de chevaux et, par conséquent, plus d’activités équestres sur les lieux assurés (pièces P-4 et P-9) ;

 

[13]    Il est à noter que la police d’assurance venait à échéance le 21 novembre 2012 (pièce P-3) ;

 

[14]    Le 10 octobre 2012, M. Pierre Pelletier adresse un courriel (pièce P-4) au cabinet de l’intimée Hébert, auquel est annexé le renouvellement pour le prochain terme (2012-2013), tout en spécifiant que la protection étendue (Formulaire 90) a été remplacée par la protection régulière (Formulaire 50) sur le garage et l’écurie-manège ;

[15]    À la même date (10 octobre 2012), l’assurée reçoit un courriel identique (pièce P-4a) lui spécifiant les modifications apportées à sa couverture d’assurance ;

 

[16]    L’assurée reconnaît, dans une déclaration adressée au syndic (pièce P-9), avoir reçu son renouvellement par la poste suite aux changements de ses activités, tout en précisant qu’à son avis, personne n’a communiqué avec elle pour lui expliquer que « des couvertures ou avenants étaient retirés » (pièce P-9 : question no. 5) ;

 

[17]    Le 8 novembre 2012, l’intimée Hébert communique avec la Mutuelle d’assurance agricole Estrie-Richelieu pour connaître les raisons du changement apporté et afin de tenter d’obtenir de nouvelles conditions (pièce I-5) ;

 

[18]    Le 15 novembre 2012, l’intimée Hébert prétend avoir laissé un message sur la boîte vocale de l’assurée, cependant, la cliente affirme ne pas avoir reçu ce message (pièce P-9 : question no. 6) ;

 

[19]    Le 16 novembre 2012, la Mutuelle d’assurance (Estrie-Richelieu) transmet un courriel (pièce P-4 : p. 4) au courtier, proposant des options pour de nouvelles conditions ;

 

[20]    La même journée, l’intimée Hébert écrit à l’assurée (pièce P-4 : p. 5) pour lui offrir une liste d’options et pour lui demander de prendre connaissance des documents « afin de s’assurer qu’ils correspondent à vos attentes et besoins » ;

 

[21]    Mais il y a plus, la lettre du 16 novembre 2012 (pièce P-4 : p. 4) mentionne très clairement « si vous désirez y apporter des modifications, il est très important de nous contacter afin de nous faire connaître votre choix » ;

 

[22]    Pour sa part, l’assurée nie avoir reçu cette lettre (pièce P-9 : questions nos. 7a, 7e et 8) ;

 

[23]    Enfin, il appert que l’intimée Hébert et l’assurée ne se sont jamais parlé de vive voix et n’ont eu aucune discussion concernant le renouvellement 2012-2013 et la modification des protections (pièce P-5) ;

 

[24]    Dans les faits, les activités équestres reprendront et les chevaux seront retournés à l’écurie en 2014 ;

 

[25]    C’est à la lumière de ces faits que le Comité devra déterminer le bien-fondé de la plainte ;

 

[26]    À ceux-ci s’ajoute le plaidoyer de culpabilité de l’intimée Hébert sur les chefs 2 et 3, lequel constitue une reconnaissance de tous les éléments essentiels composant lesdits chefs d’accusation[1] ;

 

III.        Argumentation

 

A)        Par le syndic

 

[27]    Tel que précédemment mentionné, vu le plaidoyer de culpabilité de l’intimée Hébert sur les chefs 2 et 3, l’argumentation de l’avocate du syndic a porté principalement sur le chef 1 ;

 

[28]    Cela étant établi, Me Déziel a surtout insisté sur le fait que l’intimée Hébert avait, à son avis, fait preuve de négligence et avait manqué à son devoir de conseil en omettant d’informer sa cliente de « la réduction des engagements de l’assureur » et de s’assurer de son consentement conformément aux dispositions d’ordre public de l’art. 2405 C.c.Q. ;

 

[29]    À cet égard, elle rappelle que l’assurée nie avoir reçu la lettre du 16 novembre 2012 (pièce P-4 : p. 5) l’invitant à communiquer avec son courtier d’assurance ;

 

[30]    De plus, l’intimée Hébert n’a pas parlé de vive voix avec sa cliente ;

 

[31]    Cela dit, Me Déziel conclut que l’intimée Hébert a failli à son devoir de conseil tel que requis par l’article 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5) ;

 

[32]    De plus, elle souligne qu’en l’absence d’un véritable conseil, la partie plaignante n’avait pas à produire un rapport d’expert puisqu’il n’y a tout simplement aucun conseil à évaluer, l’infraction portant sur l’absence de conseil et non sur la qualité de celui-ci ;

 

[33]    Finalement, Me Déziel, prenant appui sur diverses jurisprudences, insiste sur le caractère d’ordre public de l’article 2405 C.c.Q. [2] ;

 

[34]    Elle précise que, suivant la décision Poupart[3], il appartient au courtier de conseiller son client[4] ;

 

[35]    Concernant l’étendue du devoir de conseil, celui-ci est intimement lié à l’obligation d’informer du courtier[5] et ce dernier a l’obligation de s’assurer du consentement de son client aux modifications suggérées par l’assureur[6] ;

 

[36]    Bref, il revient au courtier d’éclairer son client et, plus particulièrement, au moment du renouvellement de la police d’assurance ;

[37]    À cet égard, Me Déziel prend appui sur un document de la ChAD publié en septembre 2015 portant sur la procédure de renouvellement d’une police d’assurance et les obligations que cela impose aux courtiers ;

 

[38]    De l’avis du Comité, ce document ayant été publié trois (3) ans après l’infraction reprochée au chef 1, laquelle concerne l’année 2012, il n’est d’aucune utilité pour la partie plaignante ;

 

[39]    D’autre part, puisqu’il vise à établir une norme de pratique, il aurait dû être formellement déposé en preuve[7] et non simplement produit à titre de doctrine dans le cahier d’autorités du syndic[8] ;

 

[40]    Enfin, Me Déziel insiste sur le manque de suivi du dossier pour l’intimée Hébert, cette faute ayant entraîné la commission de l’infraction mentionnée au chef 1 ;

 

 

B)       Par l’intimée Hébert

 

[41]    De son côté, Me Paradis plaide que le devoir de conseil auquel réfère le chef 1 relève de l’assureur, compte tenu du libellé de l’article 2405 C.c.Q. ;

 

[42]    Mais il y a plus, son principal argument consiste à plaider qu’il y a une forme de dédoublement entre le chef 1 et le chef 2 ;

 

[43]    Sa cliente, Mme Hébert, ayant plaidé coupable au chef 2, lequel concerne un manque de suivi pour les renouvellements de 2012 à 2014, par conséquent, le chef 1 concernant le renouvellement de 2012 est nécessairement moindre et inclus dans le chef 2 ;

 

[44]    De plus, Me Paradis insiste sur le fait que sa cliente a été proactive, notamment en raison du courriel du 10 octobre 2012 (pièce I-1) et de la lettre du 16 novembre 2012 (pièce P-4 : p. 4) dans laquelle on décrit les modifications suggérées à l’assurée, l’invitant du même coup à communiquer avec Mme Hébert pour en discuter plus amplement ;

 

[45]    À cela s’ajoute le fait que l’intimée Hébert aurait laissé un message sur la boîte vocale de sa cliente (pièce P-5), le 15 novembre 2012 ;

 

[46]    Enfin, elle souligne que le client a aussi un devoir de collaboration et que l’intimée Hébert n’a jamais eu de retour d’appel (pièce P-5) ou de réponse à sa lettre (pièce P-4) ;

 

 

[47]    Enfin, elle précise que l’intimée Hébert a agi comme la moyenne des courtiers et qu’en l’absence d’une preuve par expert, on ne peut présumer que son comportement ne respecte pas les standards de la profession ;

 

[48]    Citant l’affaire Cloutier[9], elle mentionne que les assurés devaient communiquer avec leur courtier ; ne l’ayant pas fait, ils ne peuvent invoquer un vice de consentement[10] ;

 

[49]    D’autre part, suivant le jugement Trimax[11], l’obligation d’informer appartient à l’assureur[12] ;

 

[50]    Elle cite, dans le même sens, un article de doctrine intitulé « Le rôle du courtier en assurance dans le cadre de l’application des articles 2400 et 2405 C.c.Q. » [13] ;

 

[51]    Cela étant dit, elle conclut en insistant sur l’application de la règle interdisant les condamnations multiples (arrêt Kineapple) puisqu’il y a dédoublement, selon elle, entre le chef 1 et le chef 2 de la plainte ;

 

 

IV.       Analyse et décision

 

A)        Chef no. 1

 

[52]    Tel que mentionné au début de la présente décision[14], la plainte déposée contre l’intimée Hébert soulève plusieurs questions litigieuses ;

 

[53]    Par contre, de l’avis du Comité, l’application de la règle interdisant les condamnations multiples (arrêt Kineapple) a pour effet de disposer du présent dossier ;

 

[54]    À cet égard, le Comité considère qu’il y a lieu de rappeler les principes à la base de cette règle ;

 

[55]    Depuis longtemps, la jurisprudence reconnaît l’application en droit disciplinaire des principes relatifs aux déclarations de culpabilité multiples[15] ;

 

[56]    En 2018, le Tribunal des professions, dans l’affaire Vallières[16], suggérait une application plus souple de la règle interdisant les condamnations multiples ;

[57]    Plus précisément, le Tribunal rejetait les prétentions du syndic visant à compartimenter les différents chefs d’accusation afin d’obtenir un plus grand nombre de condamnations et donc, de sanctions, dans les termes suivants :

[162]     La logique de l’appelant relativement au chef 20 est que celui-ci vise le comportement antérieur de l’intimée, eu égard aux chefs pour lesquels elle a plaidé coupable, le comportement ciblé par le chef 20 se situant en amont des autres chefs. Selon cette approche, l’intimée commet une première faute en acceptant les mandats et une deuxième en les exécutant, il s’agit donc de deux comportements distincts entraînant des fautes déontologiques distinctes.

[163]     Cette vision très compartimentée des faits et des chefs n’est pas sans entraîner une multiplication des fautes déontologiques qu’on peut y accoler. Si l’intimée n’a pas exécuté les tests selon les règles de l’art, c’est parce qu’elle n’avait pas les compétences. Ainsi, puisqu’elle n’avait pas les compétences, elle n’a pas administré les tests selon les règles de l’art. Il s’agit d’un enchaînement de faits qui peut entraîner un certain raisonnement circulaire.

[164]     La Cour d’appel du Québec dans un arrêt récent propose une approche plus souple des règles de l’arrêt Kienapple. Dans l’arrêt Sarazin c. R., les juges majoritaires de la Cour énoncent ce qui suit au sujet des principes de l’arrêt Kienapple :

[28]      (…) La jurisprudence récente de la Cour fait une application souple de ce principe quand les éléments constitutifs sont distincts, mais que le même évènement fonde les différentes accusations. Le principe fondamental dans Kienapple est de ne pas doubler ou multiplier les condamnations et les peines pour le même tort. C’est d’éviter la redondance juridique. (…).

(Référence omise)

[165]     Le Tribunal considère que ces récents propos de la Cour d’appel sont tout à fait appropriés en ce qui concerne les infractions en matière disciplinaire, compte tenu de la nature même de la faute déontologique. Il est fréquent de voir des plaintes déontologiques à l’égard d’un seul événement comportant de multiples chefs d’infraction avec de multiples liens de rattachement.

[166]     La présente affaire en est une illustration parfaite. Pour un même enfant à qui l’intimée a fait passer 1 ou 2 tests, l’appelant a porté une plainte comportant 2 ou 3 chefs en lien avec cet enfant et 9 liens juridiques distincts.

[167]     Cette façon très répandue de rédiger les plaintes déontologiques est souvent de nature à alourdir les débats et à étirer indûment le processus pour parfois en arriver à un résultat qui, concrètement, fait peu de différence relativement à la déclaration de culpabilité.

[168]     Cependant, cette multiplication des chefs et des condamnations potentielles peut entraîner des conséquences importantes pour le professionnel à l’égard des sanctions, obligeant parfois les conseils de discipline à de sérieux ajustements au moment d’imposer les sanctions pour maintenir celles-ci à l’intérieur d’une globalité raisonnable. (Nos soulignements)

 

[58]    Cela dit, cette interprétation beaucoup plus souple des règles d’application de l’arrêt Kienapple fut suivie par de nombreux Conseils de discipline, dont les suivants :

·      Barreau du Québec c. Diomande, 2019 QCCDBQ 54 (CanLII);

·      Chambre de la sécurité financière c. Marcoux, 2019 QCCDCSF 54 (CanLII);

·      Podiatres c. Tranchemontagne, 2019 CanLII 28668 (QC OPODQ);

·      Pharmaciens c. Escobar, 2019 CanLII 20204 (QC CDOPQ);

[59]    L’origine de cette nouvelle approche est bien expliquée par le juge Vanchestein dans l’affaire Collège des médecins du Québec c. Labrie[17] :

[331]   Notre Cour d’appel dans une affaire de Dubourg présente les deux approches des principes de l’arrêt Kienapple :

[31]      En conclusion, sur le principe dans l’arrêt Kienapple, la jurisprudence a toujours été divisée en deux courants dans son application. Selon un courant, les tribunaux semblent insister plutôt sur un critère d’identité formel entre les éléments de deux infractions. Selon l’autre, ils semblent insister sur une proximité fonctionnelle entre les éléments. Dans le premier, la jurisprudence souligne l’importance de faire preuve de déférence envers le législateur en ce qui a trait à la définition des éléments de culpabilité et des contours de la responsabilité criminelle. Cette approche est plus stricte et technique. Elle souligne également la déférence dont doivent faire montre les tribunaux face à la discrétion de la poursuite dans la sélection de chefs d’accusation. Dans le second courant, la jurisprudence souligne une finalité téléologique qui est d’éviter la redondance inutile dans les condamnations et l’administration de la peine. Cette approche est entièrement compatible avec la démonstration d’une déférence envers le législateur et envers la poursuite parce que dans son application le principe de l’arrêt Kienapple n’empêche pas une détermination de culpabilité sur plus d’un chef, mais plutôt l’imposition d’une peine sur un chef redondant et moins grave. Elle a également l’avantage d’être plus flexible. À mon avis, la jurisprudence actuelle au Québec et en Ontario s’inscrit de manière générale dans le second courant et donc suit le principe téléologique qui a pour finalité d’éviter la redondance dans l’imposition de la peine. (Soulignements du Tribunal)

[332]   Cette approche souple a été confirmée à nouveau par notre Cour d’appel dans l’affaire J.B. c. R. :

[16]      Quant à la règle interdisant les condamnations multiples, l’appelant a raison de dire qu’elle s’applique entre certains chefs d’accusation. Notre Cour adopte une approche souple, fondée sur une analyse des faits qui sous-tendent les infractions et qui cherche avant tout à éviter la redondance dans les condamnations et dans la détermination de la peine : voir récemment Sarazin c. R., 2018 QCCA 1065 (CanLII), par. 27-31; Touchette c. R., 2016 QCCA 460 (CanLII), par. 49; Brais c. R., 2016 QCCA 355 (CanLII), par. 33-36. (Soulignements du Tribunal)

[333]   Ainsi, pour déterminer s’il y a multiplicité des condamnations dans le présent dossier, le Tribunal adoptera l’approche prônée par la Cour d’appel du Québec.  (Nos soulignements)

 

[60]    Cela étant établi, le Comité ordonnera un arrêt conditionnel des procédures sur le chef 1 au motif que celui-ci découle de la même faute, soit le manque de suivi du dossier de l’assurée au moment du renouvellement de 2012 (chef 2) ;

[61]    À cet égard, le Comité prend appui sur les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt J.B. c. R. [18] :

[16]        Quant à la règle interdisant les condamnations multiples, l’appelant a raison de dire qu’elle s’applique entre certains chefs d’accusation. Notre Cour adopte une approche souple, fondée sur une analyse des faits qui sous-tendent les infractions et qui cherche avant tout à éviter la redondance dans les condamnations et dans la détermination de la peine : voir récemment Sarazin c. R., 2018 QCCA 1065 (CanLII), par. 27-31; Touchette c. R., 2016 QCCA 460 (CanLII), par. 49; Brais c. R., 2016 QCCA 355 (CanLII), par. 33-36.

[17]        Dans les circonstances, un arrêt conditionnel des procédures s’impose sur les chefs 2, 5, 8 et 9. En l’espèce, le fondement de chacune des infractions réside dans la perpétration d’attouchements sexuels ou d’actes sexuels pouvant constituer à la fois de la grossière indécence ou des attentats à la pudeur ou encore des agressions sexuelles, selon l’époque dans ce dernier cas : R. c. Kienapple, 1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 729, 750; R. c. Prince, 1986 CanLII 40 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 480, 500. Certes, les gestes sont de gravités différentes, mais la preuve démontre qu’ils sont, lors de chacune de leur manifestation, inextricablement liés à toutes les infractions reprochées. (Nos soulignements)

 

 

[62]    En effet, qu’il s’agisse du chef 1 ou du chef 2, dans les deux (2) cas, il s’agit d’un manque de suivi du dossier de l’assurée concernant le renouvellement de l’année 2012, lequel renouvellement est visé autant par le chef 1 que le chef 2 ;

 

[63]    En conséquence, un arrêt conditionnel des procédures sera prononcé à l’encontre des infractions visées par les articles 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5), lesquelles sont mentionnées comme source du manquement déontologique dans les deux (2) chefs d’accusation ;

 

[64]    Il reste donc à déterminer la culpabilité de l’intimée Hébert à l’égard des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef 1 ;

 

[65]    Commençons par l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (R.L.R.Q., c. D-9.2) (ci-après, « LDPSF »), lequel édicte :

 

16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme.

 

[66]    La poursuite, ayant invoqué cette disposition au soutien du chef 1, s’est trouvée à s’imposer un important fardeau de preuve consistant à démontrer que l’intimée Hébert a fait défaut d’agir « avec compétence et professionnalisme » au sens de l’article 16 LDPSF ;

 

[67]    Il convient de citer un précédent du Comité portant précisément sur cette question, soit l’affaire Ouellet[19] :

 

[44]   Dans le même ordre d’idées, à moins d’un amendement à la plainte, la poursuite s’impose comme fardeau de preuve l’obligation de démontrer la norme professionnelle qu’aurait dû suivre l’intimé ;

[45]   À cet égard, le Comité fait siens les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Courchesne c. Castiglia :

[28]    Je reconnais qu'il sera parfois nécessaire d'établir la norme que le professionnel est tenu de respecter sous peine de se le faire reprocher.   Ce sera le cas, notamment, lorsque l'on fera reproche au professionnel d'avoir posé un geste qui va à l'encontre d'un principe scientifique généralement reconnu ou d'avoir eu une conduite contraire à une norme professionnelle généralement reconnue.

[29]    Je reconnais également que le fardeau d'établir la norme est celui du plaignant et qu'il n'appartient pas au comité de discipline de combler une carence dans la preuve en mettant à profit les connaissances personnelles de ses membres, et particulièrement de ceux qui sont les pairs du professionnel visé par la plainte. (Nos soulignements)

[49]   Cela dit, il n’appartient pas au Comité de dicter au syndic adjoint la manière de mener sa poursuite ;

[50]   Par contre, tel que le rappelait le Tribunal des professions dans l’affaire Nadon c. Avocats :

[72]           Il est d'abord utile de souligner que le libellé de la plainte est de la responsabilité du syndic. Celui-ci est lié par cette rédaction, tout comme le Comité et le Tribunal. (Nos soulignements)

 

[68]    Plus récemment, le Tribunal des professions déclarait dans l’affaire Bissonnette[20] :

 

[52]        La preuve d'expert pour établir l'existence d'une norme n'est pas obligatoire.  Elle sera souvent nécessaire lorsque, par exemple, le comporte­ment reproché à un professionnel s'adresse à des manquements aux normes scientifiques applicables au moment de l'acte qui lui est reproché, à des gestes posés à l'encontre de ce qui est généralement admis dans la profession, à des manquements à son devoir de compétence ou encore aux limites des connaissances et aptitudes requises pour l'exercice de sa profession.  Dans ce genre de situation, la norme du comportement déontologique acceptable ne s'infère pas explicitement du texte de la disposition de référence, il faut donc en établir la preuve. (Nos soulignements)

 

[69]    Dans les circonstances, vu l’absence d’une preuve par expert démontrant que l’intimée Hébert n’a pas exercé ses activités avec « compétence et professionnalisme », celle-ci sera acquittée de l’infraction visée par l’article 16 LDPSF et alléguée au chef 1 ;

 

[70]    Il reste alors à déterminer la culpabilité de l’intimée eu égard à l’infraction visée par l’article 2 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5), lequel énonce :

 

2. Le représentant en assurance de dommages doit s’assurer que lui-même, ses mandataires et ses employés respectent les dispositions de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (chapitre D-9.2) et celles de ses règlements d’application.

 

[71]    Dans le présent dossier, aucune preuve testimoniale ou documentaire n’a été produite afin de démontrer que l’intimée Hébert avait sous sa charge des employés ou des mandataires à son service, si ce n’est de la présence de la Mutuelle d’assurance agricole Estrie-Richelieu, sans preuve des liens juridiques existant entre eux ;

 

[72]    Cette absence de preuve sur un élément essentiel de l’infraction oblige le Comité à acquitter l’intimée de l’infraction visée par l’article 2 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5) ;

 

[73]    Au-delà de ces considérations et tel que mentionné, il y a dédoublement avec le chef 2, lequel porte également sur le renouvellement de l’année 2012, par conséquent, n’eut-été de cet acquittement, un arrêt conditionnel des procédures aurait été prononcé à l’encontre de cette disposition ;

 

 

B)       Chefs nos. 2 et 3

 

[74]    Suivant la jurisprudence[21], un plaidoyer de culpabilité équivaut à une reconnaissance que les faits reprochés constituent une faute déontologique;

 

[75]    D’ailleurs, dans l’affaire Castiglia c. Frégeau[22], la Cour du Québec écrivait :

[28]        Le Syndic a raison de soutenir que Frégeau, ayant plaidé coupable à l’audition sur culpabilité, il ne peut remettre en question ce plaidoyer qui constitue une admission des principaux faits allégués dans la plainte. À cet égard, le Syndic réfère le Tribunal à l’arrêt de principe de la Cour d’appel de Lefebvre c. La Reine, où la Cour d’appel conclut qu’un plaidoyer de culpabilité consiste à admettre l’ensemble des éléments de l’infraction et que sa peine doit être évaluée à partir de ce fondement.

[29]        Ce même principe a été reconnu par le Tribunal des professions dans Pivin c. Inhalothérapeutes, où le Tribunal confirme qu’un plaidoyer en droit disciplinaire, est la reconnaissance par le professionnel des faits qui lui sont reprochés et du fait qu’ils constituent une faute déontologique. (Nos soulignements)

[76]    Dans l’arrêt Duquette c. Gauthier[23], la Cour d’appel va même plus loin en déclarant que :

[20]           Le Tribunal est conscient que la décision sur une demande de retrait de plaidoyer procède du pouvoir discrétionnaire du Comité et qu'il s'agit d'une question de droit. Le plaidoyer de culpabilité emporte en soi un aveu que l'accusé a commis le crime imputé, de même qu'un consentement à ce qu'une déclaration de culpabilité soit inscrite sans autre forme de procès. (Nos soulignements)

[77]    Pour ces motifs, l’intimée Hébert sera reconnue coupable des chefs 2 et 3 de la plainte, vu son plaidoyer de culpabilité.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

Dans le cas de l’intimée Chantal Giroux (2019-12-02(C)) :

PREND acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimée Giroux ;

DÉCLARE l’intimée Giroux coupable de toutes les infractions mentionnées au chef 1 de la plainte no. 2019-12-02(C) et plus particulièrement comme suit :

Chef 1:               pour avoir contrevenu à l’article 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (R.L.R.Q., c. D-9.2) ;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef 1 de ladite plainte ;

 

Dans le cas de l’intimée Manon Hébert (2019-12-03(C)) :

Chef 1 :

ACQUITTE l’intimée Hébert de l’infraction visée par l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (R.L.R.Q., c. D-9.2) ;

ACQUITTE l’intimée Hébert de l’infraction visée par l’article 2 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5) ;

DÉCLARE l’intimée Hébert coupable des infractions visées par les articles 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5) mais PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures pour cause de dédoublement avec le chef 2 ;

Chefs 2 et 3 :             

PREND acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimée Hébert sur les chefs 2 et 3 de la plainte no. 2019-12-03(C) ;

DÉCLARE l’intimée Hébert coupable de toutes les infractions mentionnées aux chefs 2 et 3 et plus particulièrement comme suit :

Chef 2:               pour avoir contrevenu à l’article 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (R.L.R.Q., c. D-9.2)

Chef 3 :              pour avoir contrevenu à l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.2)

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs 2 et 3 de ladite plainte ;

Dans le cas des deux (2) dossiers :

PRONONCE une ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-divulgation de tout renseignement ou information permettant d’identifier l’assurée mentionnée aux plaintes et dans les pièces documentaires, le tout suivant l’article 142 du Code des professions ;

DEMANDE à la secrétaire du Comité de discipline de convoquer les parties pour l’audition sur sanction ;

LE TOUT, frais à suivre.

 

 

___________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

___________________________________

M. Philippe Jones, courtier en assurance de dommages   

 

___________________________________

M. Bernard Jutras, courtier en assurance de dommages

Membre

Me Valérie Déziel

Procureure de la partie plaignante

 

Me Sonia Paradis

Procureure des parties intimées

 

Date d’audience : 29 juillet 2020 (visioconférence)

 



[1]    Castiglia c. Frégeau, 2014 QCCQ 849 (CanLII), par. 28 et 29;

[2]    ChAD c. Brochu, 2010 CanLII 22088 (QC CDCHAD), par. 23 et ss.;

[3]    ChAD c. Poupart, 2019 CanLII 77818 (QC CDCHAD);

[4]    Ibid., par. 60 à 63;

[5]    ChAD c. Laberge, 2015 CanLII 53401 (QC CDCHAD), par. 54 et 55;

[6]    Ibid., par. 58;

[7]    Dupéré-Vanier c. Camirand-Duff, 2001 QCTP 8 (CanLII);

[8]    Ibid., par. 31;

[9]    Cloutier c. Desjardins Assurances générales inc., 2019 QCCQ 1476 (CanLII);

[10]   Ibid., par. 57;

[11]   Acier Trimax inc. c. Compagnie d’assurances Chartis du Canada, 2011 QCCS 2866 (CanLII), suivi de 2011 QCCA 1057 (CanLII);

[12]   Ibid., par. 35;

[13]   Développements récents en droit d’assurance (2015);

[14]   Voir les paragraphes 6 à 8;

[15]   Auger c. Monty, 2006 QCCA 596 (CanLII);

[16]   Psychologues c. Vallières, 2018 QCTP 121 (CanLII);

[17]   2019 QCCQ 5048 (CanLII);

[18]   2019 QCCA 761 (CanLII);

[19]   ChAD c. Ouellet, 2017 CanLII 20642 (QC CDCHAD);

[20]   Médecins c. Bissonnette, 2019 QCTP 51 (CanLII);

[21]   Pivin c. Inhalothérapeutes, 2002 QCTP 32 (CanLII);

     Lemire c. Médecins, 2004 QCTP 59 (CanLII);

     Mercier c. Médecins, 2014 QCTP 12 (CanLII);

[22]   2014 QCCQ 849 (CanLII);

[23]      2007 QCCA 863 (CanLII);

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