Décision

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[Texte de la décision]

Section des affaires sociales

En matière de régime des rentes

 

 

Date : 22 décembre 2014

Référence neutre : 2014 QCTAQ 12696

Dossier  : SAS-M-210830-1304

Devant le juge administratif :

PRESHA BOTTINO

 

G… L…

Partie requérante

c.

RÉGIE DES RENTES DU QUÉBEC

Partie intimée

 


DÉCISION


[1]              Le Tribunal est saisi d’un recours intenté par le requérant à l’encontre d’une décision rendue en révision le 17 avril 2013 par l’intimée, la Régie des rentes du Québec.

[2]              Cette décision refuse d’accorder au requérant la rente de conjoint survivant, à la suite du décès de madame M.L.

 

[3]              De l’ensemble de la preuve, le Tribunal relève les éléments pertinents suivants.

[4]              Le 26 octobre 1968, le requérant épouse madame M.L. Aucun enfant n’est issu de cette union.

[5]              En 1988, madame M.L. tombe malade. Elle est atteinte d’une maladie dégénérative sévère.

[6]              De 1988 à 2005, le requérant prend soin et s’occupe de son épouse, soit pendant 17 ans.

[7]              Le 8 octobre 2005, alors que son époux est sorti pour la soirée, madame M.L. fait une tentative de suicide. Elle essaie de se couper les poignets et prend des médicaments. Le requérant entretient, à ce moment là, une relation amoureuse avec une autre femme, madame L.L.

[8]              Le 15 décembre 2005, madame M.L. est placée dans un centre à Ville A. Le requérant habite toujours avec madame L.L.

[9]              En mai 2006, madame M.L. revient vivre à la maison. Elle est au courant que le requérant entretient une relation amoureuse avec une autre femme. Ce dernier habite quatre jours par semaine chez cette dame, madame L.L.

[10]           En juillet 2006, le requérant quitte madame L.L. et revient à la maison.

[11]           En juin 2007, madame M.L. décide de quitter la maison sans avertir le requérant. Elle est hébergée au Centre A.

[12]           En juillet 2007, madame M.L. est placée par sa famille au Centre B, à Ville B.

[13]           Le 19 juillet 2006, madame M.L. intente des procédures judiciaires en séparation de corps.

[14]           Le 22 novembre 2007, un jugement de séparation de corps est prononcé par la Cour Supérieure du Québec.

[15]           Le 12 novembre 2011, madame M.L. décède au Centre B.

[16]           Le 4 mars 2012, le requérant dépose auprès de la Régie des rentes du Québec une demande de prestations pour une rente de conjoint survivant.

[17]           Le 3 mai 2012, la Régie refuse la demande de rente de conjoint survivant.

[18]           Le 6 novembre 2012, le requérant demande la révision de cette décision.

[19]           Le 17 avril 2013, la Régie maintient en révision la décision du 3 mai 2012.

[20]           Le 25 avril 2013, le requérant conteste la décision du 17 avril 2013 auprès du Tribunal Administratif du Québec. De là, le présent recours.

 

Témoignage du requérant

[21]           À l’audience, le requérant témoigne et raconte qu’il a épousé madame M.L. le 26 octobre 1968. Ils n’ont pas eu d’enfant. Son épouse est tombée malade en 1988.

[22]           Le requérant souligne qu’il s’est occupé et a pris soin de sa femme, et ce pendant près de vingt ans, après que celle-ci soit tombée malade.

[23]           Il admet, par contre, qu’au moment du décès de madame M.L., ils n’habitaient toutefois plus sous le même toit.

[24]           Il explique que sa femme était partie et qu’elle avait été placée, en juillet 2007, par sa famille, au Centre B.

[25]           Or, il soutient qu’il a gardé contact avec son épouse, et ce, jusqu’à son décès.

[26]           Il affirme que son épouse et lui se sont échangés entre 80 à 100 lettres durant cette période.

[27]           À cet effet, le requérant indique qu’il désire déposer, en preuve, cinq lettres qu’il a reçues de son épouse. Celles-ci sont datées respectivement d’octobre 2008, décembre 2008, janvier 2009, février 2009 et octobre 2010.

[28]           Il relate également que le 8 octobre 2005, alors qu’il était sorti au Casino avec madame L.L., son épouse avait essayé de se suicider en se coupant les veines et en prenant des médicaments.

[29]           Il précise qu’elle avait alors été placée, le 15 décembre 2005, dans un Centre à Ville A, mais qu’elle était revenue à la maison en mai 2006.

[30]           Le requérant reconnaît qu’il a eu une relation amoureuse avec une autre femme, madame L.L., durant cette période et que « son épouse était au courant qu’il avait une copine ».

[31]           Il déclare qu’il a toutefois quitté « sa copine » et qu’il est revenu à la maison pour s’occuper de sa femme en juillet 2006.

[32]           Il spécifie qu’avant d’être placée au Centre B, son épouse avait demandé à son frère de s’occuper de ses affaires, car elle voulait quitter la maison et se séparer.

[33]           Il admet qu’effectivement, en novembre 2007, un jugement de séparation de corps est intervenu entre eux.

[34]           Or, le requérant soutient que, malgré cela, il est toujours resté en contact avec son épouse. Il dit qu’ils se parlaient aux quinze jours, ou au moins, une fois par mois.

[35]           Il affirme qu’il allait voir sa femme au Centre, aux trois semaines environ, toujours le samedi, après 16 heures, pour souper avec elle.

[36]           Il explique qu’il allait la voir en cachette car elle ne voulait pas que sa famille le sache, surtout son frère.

[37]           Il déclare être allé voir madame M.L. en septembre 2011 pour la dernière fois.

[38]           Le requérant précise que lorsque la maladie s’est aggravée, ils ont continué de se parler au téléphone seulement.

[39]           Il déclare qu’ils se sont parlé au téléphone en octobre 2011, un peu avant son décès le 12 novembre 2011.

 

[40]           Après avoir pris connaissance de la preuve documentaire, entendu le témoignage du requérant et les arguments des procureurs des parties, et sur le tout dûment délibéré, le Tribunal conclut que le recours du requérant ne peut être accueilli, et ce, pour les motifs suivants.

[41]           Il s’agit ici de l’application de l’article 91 de la Loi sur le Régime des rentes du Québec[1] qui stipule :

« 91. Se qualifie comme conjoint survivant, sous réserve de l'article 91.1, la personne qui, au jour du décès du cotisant:

a) est mariée avec le cotisant et n'en est pas judiciairement séparée de corps;

a.1) est liée par une union civile au cotisant;

b) vit maritalement avec le cotisant, qu'elle soit de sexe différent ou de même sexe, pourvu que ce dernier soit judiciairement séparé de corps ou non lié par un mariage ou une union civile au jour de son décès, depuis au moins trois ans ou, dans les cas suivants, depuis au moins un an:

— un enfant est né ou à naître de leur union,

— ils ont conjointement adopté un enfant,

— l'un d'eux a adopté un enfant de l'autre.

Pour l'application du paragraphe b du premier alinéa, la naissance ou l'adoption d'un enfant avant la période de vie maritale en cours au jour du décès du cotisant peut permettre de qualifier une personne comme conjoint survivant. »

[42]           Ainsi, pour se qualifier comme « conjoint survivant » et être admissible à une rente à ce titre, le requérant devait démontrer, par une preuve prépondérante, qu’au moment du décès de madame M.L., il répondait aux conditions prescrites à l’article 91 de la Loi précitée.

[43]           En l’instance, le requérant a épousé madame M.L. le 26 octobre 1968. Aucun enfant n’est issu de leur union.

[44]           Or, un jugement de séparation de corps est intervenu entre eux le 22 novembre 2007. Ce jugement entérinait un consentement, signé par les parties en septembre 2007.

[45]           Effectivement, madame M.L. avait, quitté le domicile conjugal en juin 2007. Elle avait été hébergée temporairement au Centre A. En juillet 2007, elle avait été placée par sa famille au CHSLD, le Centre B, où elle est décédée le 12 novembre 2011.

[46]           On retrouve au dossier des documents, provenant Centre B, qui indiquent que madame M.L. était séparée et qu’elle désirait n’avoir aucun contact avec son ex-époux.

[47]           Par contre, le nom du frère de madame M.L. y est inscrit à titre de personne à contacter en cas d’urgence.

[48]           Soulignons qu’ici, la non-cohabitation a été admise par le requérant.

[49]           Toutefois, le requérant a soutenu que, nonobstant le jugement de séparation de corps et la non-cohabitation, il a continué à vivre maritalement avec madame M.L., et ce jusqu’à son décès et qu’il avait, par conséquent, droit à la rente de conjoint survivant.

[50]           Or, pour être qualifié de conjoint survivant et ainsi être admissible à une rente à ce titre, il incombait au requérant le fardeau de démontrer, par une preuve prépondérante, qu’au moment du décès de la cotisante, il avait vécu maritalement avec cette dernière durant les trois dernières années, compte tenu du fait qu’aucun enfant n’était né de leur union.

[51]            Afin de prouver une situation de vie maritale, le requérant devait donc répondre aux trois critères établis par la jurisprudence à cet effet.

[52]           Ces critères, dont les deux premiers sont essentiels, sont la cohabitation, le secours mutuel et la commune renommée.

 

La cohabitation

[53]           En l’instance, le requérant a admis qu’au moment du décès de la cotisante, madame M.L., soit le 12 novembre 2011, il ne cohabitait plus avec cette dernière.

[54]           En fait, un jugement de séparation de corps était intervenu entre eux, le 22 novembre 2007, et madame M.L. vivait au CHSLD, le Centre B, depuis juillet 2007.

[55]           Par conséquent, le Tribunal considère qu’au moment du décès de la cotisante, madame M.L., il n’y avait pas eu de cohabitation entre les parties durant les trois dernières années.

 

Le secours mutuel

[56]           La jurisprudence a interprété le secours mutuel comme étant celui que se procurent des époux, il peut être tant sur le plan financier et matériel que moral et affectif.

[57]           En l’instance, le requérant a soutenu que le secours mutuel s’est poursuivi entre lui et madame M.L., et ce jusqu’au décès de cette dernière.

[58]           À l’appui de ses dires, il a déposé en preuve cinq lettres provenant de madame M.L. et qu’il a reçu entre octobre 2008 et octobre 2010.

[59]           Or, il a affirmé par contre qu’il y aurait eu entre 80 et 100 lettres, échangées entre eux, mais qu’il n’aurait conservé que celles-là.

[60]           Le requérant a souligné qu’il s’est occupé, seul, de madame M.L. pendant près d’une vingtaine d’années durant leur mariage et que, même après son placement au CHSLD, ils ont continué de se voir de façon régulière.

[61]           Il a précisé qu’il allait la voir environ aux trois semaines, toujours le samedi après-midi et qu’il restait pour souper avec elle.

[62]           Il a déclaré avoir vu, pour la dernière fois, madame M.L. en septembre 2011 et lui avoir parlé au téléphone en octobre 2011. Elle est décédée le 12 novembre 2011.

[63]           Or, il appert de la preuve que suite à son admission au CHSLD, le Centre B, en juillet 2007, madame M.L. aurait demandé qu’on inscrive dans son dossier qu’elle ne désirait plus avoir de contact avec le requérant, son ex-époux.

[64]           Également, il appert des lettres déposées en preuve que ce n’est que vers le mois d’octobre 2008 qu’il y aurait eu des tentatives pour une reprise de contact entre les parties. On peut lire dans la lettre, datée du 30 octobre 2008 :

« […] Tu me demandes si c’est possible de se revoir, de se téléphoner? Je n’en sais rien […] »

[65]           La lettre de madame M.L., datée du 18 février 2009, semblait toutefois indiquer qu’aucune rencontre n’avait encore eu lieu. On peut y lire :

« […] J’ai réfléchi à ce que tu me demandes, soit de venir me voir…peut-être pourrais-tu venir souper avec moi un soir mais sache que ça me fait peur, je ne sais pas comment je vais réagir. Penses-tu que c’est une bonne chose ou c’est mieux d’attendre encore un peu? [… ] »‘

[66]           La preuve révèle que ce serait seulement en 2010 que des visites auprès de madame M.L. ont finalement eu lieu.

[67]           En effet, on peut lire sur la carte de souhait, envoyée par madame M.L., au requérant en octobre 2010 :

« […] On se côtoie encore de nouveau, on se parle et maintenant on se voit de temps en temps et c’est mieux que rien […] N.B. un petit quelque chose pour tes pneus. »

[68]           Certes, le requérant a peut-être rendu visite à son ex-épouse en 2010, « de temps en temps », ils se sont parlées au téléphone « de nouveau », et il y a peut-être même eu entre eux des échanges de cadeaux. Or, cela peut difficilement être qualifié de « secours mutuel ».

[69]           Au contraire, l’enquête de la Société de l'assurance automobile du Québec a révélé que le requérant allait très rarement voir son ex-épouse au Centre B.

[70]           L’enquête a conclu que le requérant ne prenait plus du tout soin de madame M.L., il n’existait plus aucun lien affectif ou amoureux entre les deux et la relation était complètement rompue.

[71]           C’était la famille de madame M.L. qui prenait totalement soin d’elle. C’était le frère de madame qui avait été mandaté pour la gestion de ses biens et qui était inscrit comme la personne à contacter en cas d’urgence ainsi qu’en tant qu’exécuteur testamentaire dans le testament de cette dernière. C’est d’ailleurs la famille de madame M.L. qui s’est occupée de ses funérailles.

[72]           Également, malgré les prétentions du requérant à l’effet qu’il rendait visite à madame M.L. régulièrement, environ aux trois semaines, il appert de ladite enquête, que ce dernier n’était pas connu des membres du personnel du Centre B.

[73]           Le Tribunal ne peut accorder de la crédibilité aux explications fournies par le requérant à cet effet, soit qu’il allait au Centre en cachette, le samedi, jamais durant la semaine, car son ex-épouse ne voulait pas que sa famille, notamment son frère, le sache.

[74]           Par conséquent, le Tribunal estime qu’il y a eu rupture définitive et complète du couple et qu’il n’y a jamais eu de reprise de la vie commune.

[75]           Effectivement, après la décision de madame M.L. d’aller vivre au Centre B, en juillet 2007 et le jugement de séparation de corps intervenu, le 22 novembre 2007, toute relation amoureuse ou affective a été rompue entre cette dernière et le requérant.

[76]           Ainsi, ici, la preuve prépondérante démontre, au contraire, l’absence de lien affectif et moral entre le requérant et son ex-épouse, l’absence d’un secours mutuel tel que celui que se prouvent des époux.

[77]           Effectivement, la preuve prépondérante révèle que ce n’est pas le requérant qui s’est occupé de son ex-épouse, ce n’est pas lui qui prenait soin et voyait à son bien-être physique ou moral, ce n’est pas lui qui pourvoyait à ses besoins ou s’occupait de gérer ses biens, et ce, durant les trois dernières années avant sa mort.

[78]           Ce ne sont pas quelques visites ou appels téléphoniques qui sont suffisants pour permettre au Tribunal de conclure ici à la présence d’un secours mutuel entre les parties.

[79]           Conséquemment, le Tribunal est d’avis, qu’au moment du décès de madame M.L., il n’y avait pas eu de secours mutuel entre les parties, et ce durant les trois dernières années.

 

Commune renommée

[80]           Ici, les déclarations des membres de la famille de madame M.L. à l’effet que le couple était séparé, que la rupture était complète et définitive, et qu’il n’y avait plus aucun lien affectif ou amoureux entre eux, sont, de l’avis du Tribunal, suffisants pour conclure que le requérant ne rencontrait pas, en l’instance, le critère de la commune renommée.

[81]           Par conséquent, le Tribunal estime que le requérant ne s’est pas déchargé du fardeau de preuve qui lui incombait. Il n’a pas démontré, par une preuve prépondérante, qu’il « vivait maritalement » avec madame M.L. durant les trois dernières années précédant son décès, le 12 novembre 2011.

[82]           Le Tribunal conclut c que le requérant n’était donc pas en droit de recevoir la rente de conjoint survivant suite au décès de madame M.L.

 


POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

·        REJETTE le recours du requérant; et,

·        CONFIRME la décision rendue en révision le 17 avril 2013 par l’intimée, la Régie des rentes du Québec.

 


 

 

PRESHA BOTTINO, j.a.t.a.q.


 

Me Claude J. Nadeau

Procureur de la partie requérante

 

Me Michel Bélanger

Régie des rentes du Québec

Procureur de la partie intimée


 



[1] RLRQ, chapitre R-9

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