Décision

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Chapleau c. Industrielle Alliance, assurances et services financiers inc.

2020 QCCS 903

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

terrebonone

 

 

 

 

N° :

700-17-015906-190

 

 

 

DATE :

 Le 12 mars 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

 ÉLISE POISSON, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

CHRISTINE CHAPLEAU

Demanderesse

c.

INDUSTRIELLE ALLIANCE, ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC.

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]           Le 7 décembre 2016, Industrielle Alliance, Assurance et Services Financiers inc. (Industrielle Alliance) informe Christine Chapleau que sa demande d’assurance salaire de longue durée prendra fin le 31 décembre 2016[1].

[2]           Cette décision survient après le versement de prestations d’assurance salaire de longue durée, entre le 11 juin 2012 et le 31 décembre 2016, pour une invalidité ayant débutée le 13 juin 2011[2].

[3]           Mme Chapleau conteste la cessation du versement des prestations au motif qu’elle demeure incapable d’accomplir un quelconque emploi rémunérateur, pour lequel elle est raisonnablement qualifiée, en raison de sa formation, son instruction ou expérience.

[4]           Elle demande au Tribunal d’ordonner à Industrielle Alliance de lui verser les prestations d’assurance salaire auxquelles elle a droit, rétroactivement au 1er janvier 2017.

[5]           Industrielle Alliance invoque l’opinion émise par le médecin psychiatre traitant de Mme Chapleau, lui permettant de conclure qu’à compter du 1er janvier 2017, Mme Chapleau n’est pas totalement invalide, au sens de la définition d’invalidité de son régime collectif.

[6]           Les parties s’entendent sur le montant des prestations en litige. Afin d’alléger la lecture du jugement, le Tribunal reproduit, en Annexe 1 au présent jugement, les dispositions pertinentes du contrat d’assurance collective liant les parties[3].

1.      LE CONTEXTE

Historique professionnel de Mme Chapleau

[7]           Le parcours professionnel de Mme Chapleau est décrit en détail dans les différentes expertises versées au dossier. Le Tribunal souligne les faits saillants suivants.

[8]           Mme Chapleau détient un baccalauréat avec une majeure en études hispaniques et une mineure en études allemandes ainsi qu’un baccalauréat en enseignement.

[9]           Après avoir enseigné durant une période d’environ cinq ans, à Victoria, Colombie-Britannique, en août 2002, elle obtient un poste d’enseignante au Collège Beaubois, situé à Pierrefonds. 

[10]        En 2004, elle obtient un poste permanent au Collège Beaubois. Elle y enseigne l’espagnol et l’anglais. Au cours des ans, elle s’implique également dans certaines activités parascolaires des étudiants.

[11]        À titre d’exemple, elle se charge de l’organisation du cocktail dinatoire de fin d’année, pour la collation des grades et organise un voyage d’immersion annuel en Espagne, d’une dizaine de jours, au bénéfice d’une trentaine d’étudiants. 

[12]        Vers 2008, elle amorce une maîtrise auprès d’un établissement situé en Espagne, qu’elle ne sera pas en mesure de compléter.

[13]        Entre 2002 et juin 2011, Mme Chapleau s’investit assidûment au travail, qu’elle place au cœur de son projet de vie, et en retire une grande satisfaction.

Arrêt de travail

[14]        Le 12 juin 2011, alors qu’elle se penche pour offrir une gâterie à son caniche, Mme Chapleau perd connaissance et chute sur le sol. Elle subit un léger traumatisme crânio-cérébral[4].

[15]        Le résultat de la numérisation cérébral et de la résonnance magnétique cérébrale s’avère normal[5]. Mme Chapleau continue néanmoins de souligner la présence de maux de tête, maux de cou et étourdissements. Le 20 juillet 2011, elle obtient un arrêt de travail.

[16]        En septembre 2011, elle dépose une demande de règlement d’invalidité auprès d’Industrielle-Alliance[6].

Évaluations médicales

[17]        Le 10 août 2011, Lillana Rosu, neurologue, prolonge l’arrêt de travail de Mme Chapleau jusqu’au 20 octobre 2011. Elle émet l’opinion d’une « céphalée mixte, cervicale et post-commotion cérébrale, symptômes qui persistent. » Elle recommande que Mme Chapleau soit revue en neurologie, à la suite d’un électroencéphalogramme[7].

[18]        Le 19 octobre 2011, Dre Rosu réfère Mme Chapleau en psychiatrie. Elle émet l’opinion suivante[8] :

Opinion :

Honnêtement, les symptômes qui progressent sont bizarres, j’ai bien expliqué à la patiente et à sa mère que mon intention est de l’aider et vu que je ne trouve pas de lésion qui pourrait expliquer ses symptômes, je l’ai référée en psychiatrie. J’ai prolongé l’arrêt de travail pour 2 mois et je pourrai la revoir à la demande du psychiatre.

[19]        Le 23 janvier 2012, Dre Sonia Calouche, psychiatre, rédige un rapport d’évaluation psychiatrique. Les impressions diagnostiques sont telles que suit[9]:

Impression diagnostique :

Axe I : Trouble d’adaptation avec humeur dépressive. Diagnostic différentiel : trouble dépressif majeur léger à modéré, sans caractéristique psychotique.

Axe II : Différé.

Axe III : Traumatisme crânien survenu le 12 juin 2011;

Axe IV : Détérioration de son état physique avec conséquence sur sa qualité de vie.

Axe V : 60.

[20]        Dre Calouche demande une évaluation neuropsychologique afin de déterminer les séquelles de ce traumatisme crânien et lui permettre d’établir un plan plus spécifique, individualisé pour Mme Chapleau.

[21]        Le 4 février 2012, Dre Sarah Lecomte, neuropsychologue, rédige un rapport d’évaluation en neuropsychologie, après avoir rencontré Mme Chapleau à trois reprises, les 17 décembre 2011, 7 et 14 janvier 2012. Elle conclut :

CONCLUSION ET IMPRESSION CLINIQUE

L’évaluation neuropsychologique a mis en évidence des difficultés cognitives compatibles avec les plaintes subjectives. Les résultats aux tests et les observations démontrent que le profil cognitif est valide et ne suggèrent pas une tentative d’amplification des symptômes. En effet, au plan exécutif, on retient un ralentissement psychomoteur modéré qui affecte l’ensemble du rendement et qui est plus marqué lorsque la demande cognitive est élevée, une atteinte des capacités d’inhibition, une diminution de la mémoire de travail, ainsi qu’une fragilité des capacités de flexibilité mentale. À cela s’ajoute une diminution des capacités d’attention soutenue, sélective et du contrôle mental. Au plan du langage expressif, on retient un bégaiement qui apparaît assez important, un ralentissement du débit verbal, ainsi qu’une légère difficulté d’accès lexical. Le langage réceptif demeure adéquat. Finalement, sur le plan de la mémoire, l’évaluation met en évidence une légère diminution des mécanismes d’encodage et de récupération lorsque Madame Chapleau doit fournir un effort de mémorisation plus important. La mémoire de source est fragile, mais la consolidation de l’information est préservée. Les habiletés perceptivo-visuelles et les praxies sont préservées, de même que le raisonnement est excellent tant en modalité verbale que visuelle.

Les difficultés mises en évidence peuvent être qualifiées de légères à modérées et sont compatibles avec les plaintes subjectives de la cliente. (…) Actuellement, madame Chapleau présente également des symptômes anxieux et dépressifs suffisamment importants pour avoir accentué les difficultés cognitives. Un suivi en psychiatrie est en cours. En raison des difficultés psychologiques et de peu d’amélioration notée jusqu’à maintenant, le pronostic de récupération est réservé.

[22]        Mme Lecompte recommande une prise en charge par une équipe multidisciplinaire spécialisée. Entre mars 2012 et août 2013, Mme Chapleau bénéficie d’un suivi professionnel en orthophonie, ergothérapie, physiothérapie, technique de réadaptation physique et neuropsychologique auprès du centre de réadaptation Le Bouclier.

[23]        En prévision de la terminaison de la première période d’invalidité d’une durée de vingt-quatre (24) mois, le 13 mai 2013, Industrielle Alliance obtient une expertise psychiatrique auprès de Dr Paul Lespérance, psychiatre, portant notamment sur le diagnostic, les limitations fonctionnelles et le pronostic quant au retour au travail de Mme Chapleau.

[24]        Commentant l’évaluation neuropsychologique de Dre Lecompte, le Dr Lespérance écrit[10]:

De façon générale, on retient de cet examen que Madame présente un syndrome de type frontal, exécutif, avec une atteinte de la mémoire de travail, de même qu’une certaine difficulté d’inhibition des réponses automatiques. Il y a de plus un important ralentissement psychomoteur et un trouble de langage sous forme de bégaiement et de manque du mot qui est grandement mis en évidence. Dans ses conclusions elle indique : « Les difficultés mises en évidence peuvent être qualifiées de légères à modérées, et ce, compatible avec les plaintes subjectives de la cliente.

[25]        Il conclut ainsi :

Axe I : Trouble d’anxiété secondaire à une condition neurologique.

Madame a un trouble d’anxiété secondaire, à mon avis, au traumatisme crânien.

L’ensemble de l’évaluation neuropsychologique, la présence de bégaiements, de tics légers, qui sont apparus après le traumatisme suggèrent une atteinte des circuits striato-cingulo frontaux.

En effet, tout indique une certaine anomalie au niveau des capacités d’inhibition de certains éléments moteurs, d’inhibition des réactions anxieuses intenses (attaques de panique, réaction catastrophique) et une atteinte discrète de type orbito-frontal de changement de la personnalité. Il y a en plus des éléments de fragilité mentale.

L’ensemble de ces symptômes est compatible avec le traumatisme crânien et les déficits notés chez cette patiente.

Axe II : Pas de trouble de personnalité noté ici.

Axe III : Traumatisme crânien léger, avec syndrome post-commotionnel chronique. Atteinte de type orbito-frontal probable, expliquent une bonne partie du tableau.

Axe IV : Les stresseurs : Ils sont importants pour une diminution de l’autonomie, mais plus secondaires que causals au plan diagnostique.

Axe V : Le niveau de fonctionnement semble bon, est entaché par des symptômes chroniques multiples, des troubles cognitifs documentés avec un EGF à 55.

[…]

3 - Quelles sont les limitations fonctionnelles de Madame Chapleau?

Madame Chapleau a des activités de la vie quotidienne relativement simples. Elle n’est pas en mesure de tolérer quelque stress, ne serait-ce que même payer des fois ses factures, avec une capacité assez rapide à se désorganiser dans un tel contexte, ayant besoin d’une routine simple.

Elle ne serait pas capable de faire des corrections d’épreuves, d’organiser une cédule de cours, encore moins de structurer un discours et un cours de niveau secondaire ou même primaire.

Le niveau d’autonomie par rapport à ce que Madame décrit qu’elle avait auparavant est beaucoup diminué.

[…]

5. Quels sont les obstacles qui empêchent Madame Chapleau de reprendre son travail habituel?

Nous les avons déjà évoqués. Les symptômes de Madame sont chroniques, ils sont importants, tant au niveau de la régulation des émotions, dans sa capacité d’interagir normalement avec un environnement, dans sa capacité à planifier et à livrer un contenu pédagogique qui rend toute reprise au travail impossible.

6.- Quel est votre pronostic quant au retour au travail? Croyez-vous qu’un retour au travail progressif sera bénéfique pour Madame?

Le pronostic m’apparaît très réservé. De fait, je doute que Madame puisse retourner à tout travail rémunérateur, probablement à long terme. À mon avis, le médecin devrait considérer la possibilité ici d’une invalidité dite permanente, qui pourrait permettre un certain travail de deuil à ce niveau et d’arrimer le traitement et les attentes de la patiente à son projet de vie tel qu’elle nous le décrit.

[…]

[26]        À la suite de ce rapport, le 3 juin 2013, Industrielle Alliance avise Mme Chapleau que son processus d’évaluation est complété et que l’information au dossier démontre qu’elle est totalement inapte pour tout travail, par conséquent, sa demande d’assurance salaire de longue durée est acceptée[11].

[27]        Mme Chapleau obtient également des prestations d’invalidité auprès de la Régie des rentes du Québec, lesquelles sont déduites en totalité des versements d’assurance salaire payés par Industrielle Alliance[12].

[28]        Le 14 juin 2013, Dre Calouche note que, dans l’ensemble, elle ne trouve pas de divergence d’opinions importante avec les recommandations de Dr L’Espérance[13]. Le 20 juin 2013, elle informe Mme Kristina Lussier, Gestionnaire de services-Services des règlements invalidité-vie, d’Industrielle Alliance, de ce qui suit: « Par ailleurs, je suis tout à fait d’accord que les symptômes de Madame sont chroniques et importants, que le pronostic est réservé. Comme je vous l’avais déjà mentionné. (…) Je suis d’accord  avec le diagnostic évident qui se rajoute actuellement, soit : trouble anxieux secondaire à une condition neurologique. […].[14]»

[29]        Entre le 3 juin 2013 et le 31 décembre 2016, Mme Chapleau poursuit ses consultations en psychiatrie, de manière régulière et assidue, auprès de Dre Calouche. Au cours de cette période, Dre Calouche complète les formulaires prescrits par l’assureur et la Régie des rentes du Québec, afin de leur transmettre les informations pertinentes, quant à l’état de santé de Mme Chapleau[15].

[30]        Le 10 juin 2014, en raison de son invalidité, le lien d’emploi entre Mme Chapleau et le Collège Beaubois se termine.

[31]        En octobre 2015, à la demande de Dre Calouche, une évaluation neuropsychologique est entreprise par Dre Véronique Labelle. Elle rencontre Mme Chapleau à quatre reprises, soit les 13, 15, 21 et 27 octobre 2015. Le 4 novembre 2015, elle dépose son rapport d’évaluation[16].

[32]        Tout au long du processus d’évaluation, Dre Labelle observe plusieurs atypies. Elle recommande une investigation plus poussée en psychiatrie ou en psychologie, dans les termes suivants[17] :

[…]

Au final, l’on ne peut préciser l’étiologie exacte du profil obtenu. Une investigation plus poussée à cet égard mériterait d’être faite à notre avis en psychiatrie et/ou en psychologie (collaboration Dre Calouche et Mme Aubert?) afin d’évaluer la possibilité d’une pathologie psychiatrique surajoutée contributive au tableau (e.g. symptômes somatiques et troubles reliés? amplification/exagération? simulation? etc.) et d’explorer les facteurs sous-tendant les faibles performances livrées (e.g. gains primaires? gains secondaires? autres?). Plusieurs éléments colligés dans l’anamnèse actuelle pourraient vraisemblablement s’avérer pertinents en ce sens.

[33]        Le 13 novembre 2015, une rencontre se tient entre Dre Calouche, Dre Labelle et Mme Chapleau, afin de discuter des conclusions de l’évaluation neuropsychologique entreprise par Dre Labelle.

[34]        Sur le formulaire de Déclaration du médecin traitant, complété le 17 décembre 2015, Dre Calouche estime la durée approximative de l’incapacité à six (6) mois et répond ainsi aux questions posées[18] :

1.  DIAGNOSTIC selon le DSM IV :

1.1 AXE I) Pathologie psychiatrique : Trouble dépressif majeur

1.2 : Veuillez décrire les signes et symptômes et leur fréquence et préciser le degré de gravité de chacun d’eux : L= Léger M=Moyen I=Intense

Signes                              L M I                Symptômes

Anxiété                               M                      Anxiété

Appréhension                    M                      Céphalées

Ruminations                      M                      Mémoire

 

[…]

 

Axe V) Niveau le plus élevé de la capacité fonctionnelle d’adaptation : de l’année dernière : EGF (0-100) = 60

actuellement : EGF (0-100) = 60 

 

[…]

 

PARTIE 3 - SUIVI ET PRONOSTIC

 

[…]

3.6  Votre patient bénéficierait-il d’assistance dans le cadre d’un retour au travail? À réévaluer.

3.7 Considérez-vous que son état s’est amélioré de manière optimale? Non.

3.8  Durée approximative de l’incapacité : 6 mois.

3.9  a) Est-ce que votre patient est apte à reprendre son travail habituel? À réévaluer dans 4 à 6 mois.

b)  Plan de retour au travail recommandé : À réévaluer dans 4 à 6 mois.

[35]        Quant à l’évaluation des capacités fonctionnelles mentales de Mme Chapleau, Dre Calouche note que certaines capacités sont affectées de manière modérée, sans atteinte de la capacité fonctionnelle[19].

[36]        Le 11 mars 2016, à la demande d’Industrielle Alliance, Dre Calouche complète un questionnaire concernant la condition médicale et l’aptitude de Mme Chapleau[20].

[37]        Dre Calouche note que Mme Chapleau répond favorablement à la médication, mais que la composante anxieuse persiste. Elle explique que le retour au travail peut s’effectuer dans le domaine du choix de Mme Chapleau, de manière progressive, sur une période d’environ six mois.

[38]        Quant aux limitations fonctionnelles objectives, Dre Calouche indique que Mme Chapleau doit éviter un travail de soir ou de nuit, un emploi nécessitant une très bonne gestion du stress, une surcharge de travail ou en très hautes responsabilités. Elle ajoute que l’implication des services de réadaptation est très pertinente et nécessaire pour la réussite du retour au travail de Mme Chapleau[21].

[39]        En juin 2016, Industrielle Alliance retient les services de Brisson Legris, une firme spécialisée dans la réintégration professionnelle, afin de coordonner un stage en milieu de travail en vue de faciliter la réintégration de Mme Chapleau.

[40]        Dans son rapport de suivi des interventions des 3 et 21 juin 2016, Mélanie Grégoire, conseillère en réinsertion professionnelle auprès de Brisson Legris,  note une limitation fonctionnelle en communication, résultant d’un bégaiement significatif de Mme Chapleau ainsi que des maux de tête récurrents[22].

[41]        Un stage non rémunéré auprès du Centre d’aide aux personnes traumatisées crâniennes et handicapées physiques des Laurentides (CAPTCHPL) est identifié par Mme Chapleau et Mme Grégoire. Elles élaborent un calendrier progressif, réparti sur environ 8 semaines.

[42]        En raison des difficultés importantes rencontrées par Mme Chapleau dans le cadre de son stage auprès du CAPTCHPL, Mme Grégoire suggère la tenue d’une rencontre avec Dre Calouche et Mme Chapleau.

[43]        En prévision de cette rencontre, Mme Grégoire élabore un questionnaire, en collaboration avec le médecin-conseil d’Industrielle Alliance, afin de cibler les enjeux à discuter avec Dre Calouche[23].

[44]        La rencontre avec Dre Calouche se tient le 15 novembre 2016. Elle vise à statuer, avec Dre Calouche, sur les capacités de Mme Chapleau à occuper un emploi rémunérateur et à discuter d’un plan visant le retour au travail.

[45]        Préalablement à la rencontre, Mme Grégoire prend soin d’acheminer à Dre Calouche les calendriers de participation de stage de Mme Chapleau auprès du CAPTCHPL. Au début de la rencontre, Mme Chapleau leur remet une lettre signée par Nathalie Robert, du CAPTCHPL, faisant état de certaines difficultés observées chez Mme Chapleau, dans le cadre de son stage[24].

[46]        La rencontre est laborieuse. Dre Calouche s’étonne de devoir répondre à nouveau à un questionnaire concernant l’aptitude au travail de Mme Chapleau. Selon le rapport écrit de Mme Grégoire, Dre Calouche n’émet pas de limitation fonctionnelle additionnelle, nonobstant la lettre de Mme Robert, et maintient ses recommandations. Dre Calouche estime qu’il faut aller de l’avant et faire évoluer Mme Chapleau dans un emploi de son choix, sans quoi l’on pourrait favoriser une régression[25].

[47]        À la suite de cette rencontre, en raison de l’aptitude au travail de Mme Chapleau constatée par Dre Calouche, et tel qu’entendu avec l’assureur, Mme Grégoire ferme son dossier.

[48]        Le 7 décembre 2016, Industrielle Alliance informe Mme Chapleau que les prestations d’assurance salaire cesseront de lui être versées le 1er janvier 2017 puisque son médecin est d’avis qu’elle est apte au travail, sans aucune limitation[26].

[49]        Le 10 mars 2017, la Régie des rentes du Québec décide d’interrompre le paiement de la rente d’invalidité de Mme Chapleau. Cette décision est subséquemment révisée à la suite de l’obtention d’une expertise psychiatrique effectuée le 21 août 2018, par Dre Louise Beaudry, psychiatre[27].

[50]        Le 20 novembre 2018, Mme Chapleau est informée que la Régie considère qu’elle n’a jamais cessé d’être invalide, au sens de la Loi sur le régime de rentes du Québec. En conséquence, la rente d’invalidité lui est versée rétroactivement au mois d’avril 2017, comme si elle n’avait pas été interrompue[28].

Expertise de Dr Serge Gauthier

[51]        Mme Chapleau retient les services de Dr Serge Gauthier, psychiatre, membre de la Société des médecins experts en évaluation médico-légale du Québec, afin d’obtenir une expertise effectuée par un psychiatre indépendant, quant à son aptitude à retourner au travail.

[52]        Le mandat confié au Dr Gauthier vise à déterminer (i) le diagnostic; (ii) la nature, suffisance, durée des soins et traitements prescrits et administrés, (iii) les limitations fonctionnelles, au plan psychologique; (iv) la capacité de Mme Chapleau à accomplir un travail rémunérateur.

[53]        Aux fins d’accomplir son mandat, le Dr Gauthier prend connaissance et analyse de nombreux documents identifiés à son rapport, dont les suivants[29] :

-       Rapport d’évaluation médicale de Dre Calouche, daté du 20 [sic 23] janvier 2012;

-       Dossier médical de Mme Chapleau au centre de réadaptation Le Bouclier;

-       Rapport d’évaluation en neuropsychologie de Dre Lecompte, daté du 4 février 2012;

-       Rapport final en neuropsychologie rédigé et signé par Mme Caroline Potvin, daté du 30 avril 2013;

-       Les notes évolutives du Dre Calouche, pour les périodes suivantes :

o   2 mai au 14 juin 2013;

o   20 juin au 27 janvier 2014;

o   22 juin au 21 décembre 2015.

-       Le rapport d'expertise du Dr Paul Lespérance, daté du 15 mai 2013;

-       Le rapport du Dre Calouche daté du 20 juin 2013, transmis à la Régie des rentes du Québec, notant que « Docteure Calouche ajoute que les séquelles du traumatisme crânien sont importantes et il est irréaliste de s’attendre à un meilleur fonctionnement. La patiente ne pourra reprendre son travail, ou tout autre travail. »

-       Le rapport de Dre Véronique Labelle, daté du 4 novembre 2015;

-       Rapport de Dre Calouche, daté du 22 décembre 2015;

-       Rapport de Dre Calouche, daté du 11 mars 2016;

-       Rapport de Mme Grégoire daté du 2 juillet 2016;

-       Rapport de Mme Robert, mentionnant « (…) qu’il est très difficile pour madame Chapleau d’être concentrée plus de deux heures (…). Il lui est impossible de travailler plusieurs jours consécutifs. Elle est plus efficace deux ou trois demi-journées par semaine, pas plus, et ce, surtout en matinée. Vu sa fatigue et ses céphalées chroniques, madame Chapleau ne peut toujours pas être présente les jours qui sont déterminés à l’horaire. Le bruit et la musique ambiante augmentent les maux de tête et les problèmes de concentration de madame Chapleau. »;

-       Les notes évolutives du suivi psychologique de Mme Aubert, psychologue, entre le 11 décembre 2013 et le 29 novembre 2016.

[54]        Il conclut ainsi :

1.  Le diagnostic

Selon les critères du DSM IV TR :

Axe I : Épisode dépressif majeur, sans caractéristiques psychotiques, de durée chronique et réfractaire.

Axe II : Aucun diagnostic retenu.

Axe III : Traumatisme crânien survenu le 12 juin 2011; céphalées persistantes.

Axe IV : L’évènement du 12 juin 2011; cessation du travail; céphalées persistantes; détérioration de l’état physique..

Axe V : L’EGF donne une cote de 60.

2.    […]

3.    Les limitations fonctionnelles au plan psychologique :

Les limitations fonctionnelles au plan psychologique éprouvées par madame Chapleau consistent en une incapacité à gérer adéquatement l’anxiété, le stress et ses émotions, une incapacité à effectuer une activité et/ou un travail demandant une concentration et/ou un effort, même modérés. Ces limitations m’apparaissent de nature permanente.

4.    La capacité de madame Chapleau à faire un travail rémunérateur :

5.    Compte tenu de la persistance des symptômes douloureux, anxieux et dépressifs, et des limitations fonctionnelles au plan psychologique, madame Chapleau demeure inapte à effectuer ses tâches de travail rémunérateur.

[55]        Dr Gauthier témoigne de la complexité de la condition médicale de Mme Chapleau. Bien qu’au moment de la rédaction de son rapport, il n’ait pas eu accès aux notes d’évolution de 2016 et 2017 du Dre Calouche, il en a pris connaissance en prévision de son témoignage. Il confirme qu’elles ne modifient pas les conclusions de son rapport.

[56]        Il explique que l’indice EGF (échelle globale de fonctionnement) prévu au DSM IV permet de comparer une personne à son fonctionnement habituel. Un EGF de 60 correspond à la cote limite d’une personne présentant suffisamment de symptômes pour être incapable de travailler.

[57]        Il arrive qu’une personne ayant un EGF de 60 puisse occuper un emploi, mais l’inverse peut également se produire. Ce qui rend la situation de Mme Chapleau complexe.

[58]         Il note qu’en octobre 2017, Dre Calouche identifie la possibilité d’hospitaliser Mme Chapleau de manière élective afin de réajuster et stabiliser sa médication[30]. Cela confirme qu’en 2017, la situation de Mme Chapleau demeure sous investigation et n’est pas stabilisée.

[59]        Il souligne que Dr Lespérance a identifié une problématique cérébrale frontale contribuant au maintien de la condition de Mme Chapleau, expliquant la persistance et permanence des symptômes.

[60]        Les questionnements de Dre Labelle, au plan neuropsychologique, n’ont pas d’incidence sur son opinion.

[61]        Considérant le suivi régulier assuré par plusieurs spécialistes, depuis 2011, il est d’avis qu’il est impossible que Mme Chapleau ait berné autant de professionnels, sur une aussi longue période, quant à sa condition médicale. Les troubles identifiés par Mme Chapleau ont été observés par les spécialistes, à de nombreuses reprises. Il est d’opinion qu’il ne s’agit pas d’un cas de troubles factices.

2.            LES QUESTIONS EN LITIGE

[62]        La seule question en litige est la suivante :

1.   Mme Chapleau est-elle demeurée, depuis janvier 2017, en état d’invalidité totale, au sens de la police d’assurance collective la liant à Industrielle Alliance ?

3.            L’ANALYSE

Principes applicables

[63]        La clause de la police d’assurance collective applicable se lit telle que suit[31] :

2.    Définitions particulières

   Invalidité totale

L’impossibilité du participant, par la suite de blessures ou de maladie:

a) d’exercer chacune des fonctions de son emploi pendant les vingt-quatre (24) premiers mois d’invalidité, incluant la garantie d’invalidité de courte durée;

b) de vaquer, par la suite, à toutes et chacune des fonctions de tout emploi ou occupation rémunératrice pour lequel II est raisonnablement qualifié en raison de sa formation, son instruction et son expérience.

Pour que l’invalidité soit reconnue, il faut que l’état du participant nécessite des soins réguliers et satisfaisants effectivement donnés par un médecin ou un spécialiste.

[Le Tribunal souligne]

[64]        Il résulte de cette disposition qu’après les vingt-quatre (24) premiers mois d’invalidité, le salarié assuré doit démontrer qu’il est dans l’impossibilité « de vaquer à toutes (…) occupation rémunératrice pour lequel il est raisonnablement qualifié en raison de sa formation, son instruction et son expérience. »

[65]        L’accent n’est plus mis sur l’occupation qu’exerçait le salarié au moment de l’invalidité. On cherche plutôt à déterminer si l’assuré est capable d’exercer un emploi quel qu’il soit, qui corresponde à son instruction, sa formation ou son expérience et procurant une rémunération comparable. Le fait de ne plus être en mesure d’occuper l’emploi antérieur n’est pas pertinent[32].

[66]        Aux fins de démontrer cette incapacité, l’on n’exige pas la démonstration d’une incapacité absolue d’exercer quelque emploi que ce soit[33]:

De cette doctrine et jurisprudence, nous tirons les principes suivants :

-     Le travail dont il s’agit ne doit pas être un travail quelconque, mais doit être en rapport avec l’instruction, la formation et l’expérience de l’assuré;

-     Le travail doit procurer une rémunération comparable au revenu antérieur;

-     Il doit y avoir « affinité » entre l’emploi antérieur et l’assuré et il doit s’agir d’un travail régulier permettant à l’assuré de gagner sa vie;

-     Invalidité totale s’entend dans le sens d’une invalidité substantielle;

-     En cas de controverse entre les experts, le Tribunal doit retenir le témoignage de la victime elle-même;

-     La détermination de l’invalidité est une question juridique.

[67]        Le fardeau d’établir l’incapacité et l’admissibilité aux prestations d’assurance appartient à celui qui les réclame[34]. L’assureur qui effectue des versements d’invalidité peut demander à l’assuré de lui fournir des renseignements, dans une mesure et fréquence raisonnables, afin de démontrer la continuation de son invalidité[35].

[68]        Lorsque l’assuré refuse de se soumettre à un examen médical ou soumet des preuves qui ne sont pas satisfaisantes pour l’assureur, il y a inexécution, par le salarié d’une obligation contractuelle par le salarié. Dans un tel cas, l’assureur peut bénéficier de la règle de l’exception d’inexécution et cesser de verser les prestations[36].

[69]        Par ailleurs, lorsque l’assureur soutient que son obligation d’indemniser s’est éteinte, en raison d’un changement dans l’état de l’assuré, il lui revient de prouver les changements qu’il invoque et de démontrer que l’obligation d’indemniser n’existe plus[37].

[70]        Quant à l’appréciation de la valeur probante de la preuve administrée, les principes suivants guident le Tribunal[38] :

[68]     […]  pour former son opinion, le Tribunal doit examiner toute la preuve. Dans le cadre de son analyse, il peut retenir ou rejeter tout témoignage, qu'il soit scientifique ou ordinaire. Il doit en outre déterminer l'importance relative des preuves qu'il retient pour dégager sa conclusion. Il n'y a donc aucune preuve qui soit, par définition, prioritaire ou qui doit être privilégiée. Lorsque saisi d'une preuve contradictoire, le Tribunal a le rôle exigeant et délicat de se former une opinion à partir de toutes les preuves légales, qu'elles soient scientifiques ou profanes, ce qu'il fera en en retenant certaines, en en rejetant d'autres, et du poids relatif qu'il accordera à celles reçues.

Position des Parties

Industrielle Alliance

[71]        À la suite de l’acceptation par Industrielle Alliance, le 3 juin 2013[39], de la demande de règlement d’invalidité de longue durée déposée par Mme Chapleau, suivant le paragraphe 2b) précité de la police d’assurance, celle-ci s’acquitte de son obligation de démontrer qu’elle est inapte à effectuer tout travail rémunérateur, en fournissant à l’assureur les rapports de ses médecins ou autres professionnels de la santé qui la traitent au fur et à mesure des consultations.

[72]        Mis à part l’évaluation psychiatrique effectuée par Dr Paul Lespérance, le 15 mai 2013, et confirmant son invalidité totale, Industrielle Alliance ne lui demande pas de se faire expertiser par d’autres spécialistes mandatés par l’assureur.

[73]        Industrielle Alliance soutient qu’à compter du 11 mars 2016, Dre Calouche, psychiatre traitant de Mme Chapleau, indique qu’elle serait apte à exercer un travail de son choix et entamer un retour progressif au travail, sans limitation fonctionnelle.

[74]        Elle invoque les documents suivants :

-       Évaluation neuropsychologique complétée par Dre Labelle, le 4 novembre 2015[40];

-       Déclaration du médecin traitant complétée par Dre Calouche, le 17 décembre 2015[41];

-       Questionnaire de l’assureur complété par Dre Calouche, le 11 mars 2016[42];

-       Notes d’évolution du Dre Calouche datées du 13 novembre 2015[43], 21 décembre 2015[44], 22 mars 2016[45], 30 mai 2016[46], 2 août 2016[47]; 3 octobre 2016[48], 15 novembre 2016[49].

[75]        Dre Calouche n’a pas témoigné à l’instruction. Industrielle Alliance s’en remet au contenu des documents mentionnés ci-dessus.

[76]        Suivant Industrielle-Alliance, ces documents démontrent que Dre Calouche, le médecin traitant de Mme Chapleau, émet l’opinion que, celle-ci est apte au travail sans aucune limitation, en conséquence, l’assureur est justifié de cesser le versement des prestations d’assurance salaire, à compter du 1er janvier 2017.

[77]        Industrielle Alliance ajoute que le Tribunal doit favoriser l’opinion de Dre Calouche, médecin psychiatre traitant, à celle exprimée par Dr Gauthier puisque la force probante de son expertise est diminuée par le fait qu’il n’a pas eu accès aux notes d’évolution du Dre Calouche, entre le 1er janvier 2016 et le 30 juin 2017, et a rencontré Mme Chapleau à une seule occasion, pour une durée d’environ une heure[50].

Mme Chapleau

[78]        Madame Chapleau témoigne que les limitations identifiées dans le cadre des nombreuses séances auprès de Dre Calouche sont toujours présentes, soit les maux de tête, l’anxiété, le stress, les difficultés de concentration, l’extrême sensibilité aux bruits environnants et le léger bégaiement persistant.

[79]        Son témoignage est corroboré par celui de sa mère, qui a constaté un changement drastique des traits de personnalité de sa fille depuis l’incident de 2011, ainsi que par Guylaine Lehouiller, intervenante sociale au CAPTCHPL, qui côtoie régulièrement Mme Chapleau depuis 2013 et confirme ses difficultés de concentration et sa sensibilité aux bruits environnants.

[80]        Mme Chapleau expose les nombreuses difficultés vécues à l’occasion du stage non rémunéré qu’elle a entrepris à l’été 2016. Les difficultés rapportées ne sont pas contestées par l’assureur.

[81]        Dans ce contexte, bien qu’elle soit prête à collaborer, Mme Chapleau peine à identifier un emploi correspondant à ses acquis professionnels et offrant un seuil de rémunération équivalent à environ 76 000 $ par année.

[82]         Elle s’appuie également sur l’expertise du Dr Gauthier, confirmant son inaptitude à effectuer les tâches d’un travail rémunérateur, compte tenu de la persistance des symptômes douloureux, anxieux et dépressifs, et des limitations fonctionnelles au plan psychologique.

Analyse et décision

[83]        Le Tribunal estime, avec égards pour la position contraire exprimée par l’assureur, que Dre Calouche n’a pas émis l’opinion voulant que Mme Chapleau soit apte à exercer un travail de son choix et à entamer un retour progressif au travail, à compter du 1er janvier 2017, sans limitation fonctionnelle. Il s’agit là d’une analyse lacunaire des formulaires et questionnaires remis par Dre Calouche à l’assureur et de ses notes d’évolution.

[84]        Dre Calouche retient le diagnostic de trouble dépressif majeur qu’elle inscrit sur le formulaire, daté du 17 décembre 2015, remis à l’assureur et continue d’administrer des antidépresseurs à Mme Chapleau[51].

[85]        Elle est alors incapable de conclure à l’aptitude, puisqu’en réponse à la question portant sur l’aptitude de Mme Chapleau à reprendre le travail, elle indique « À réévaluer dans 4 à 6 mois ». La même mention apparaît à l’égard du plan de retour au travail envisagé[52].

[86]        Le questionnaire complété par Dre Calouche, le 11 mars 2016, fait mention des limitations fonctionnelles objectives suivantes : (i) Mme Chapleau doit éviter un travail de soir ou de nuit; (ii) un emploi nécessitant une très bonne gestion du stress; (iii) une surcharge de travail, ou (iv) en très hautes responsabilités. Elle ajoute que l’implication des services de réadaptation est très pertinente et nécessaire pour la réussite du retour au travail de Madame[53].

[87]        Il est utile de reproduire la note d’entrevue de Dre Calouche du 15 novembre 2016, à l’occasion de sa rencontre avec Mme Chapleau et Mme Grégoire :

Patiente revue et Mélanie Grégoire, directrice des services en réinsertion professionnelle, conseillère en réinsertion professionnelle, (illisible).

Résultat du stage discuté. Mon opinion médicale reprise, réexpliquée.

Retour sur mon dernier rapport médical daté du 11 mars 2016, pour l’Industrielle Alliance.

Soulignons que cela a déjà été discuté et expliqué à la patiente :

-     Composante anxieuse;

-     À surveiller tendance à la régression qui pourrait être alimentée par une multiplication des services répétitifs, au lieu de progresser.

-     Patiente et Mme Grégoire satisfaites des explications. (…)

[88]        Cette méprise de l’assureur, dans sa compréhension de l’évaluation de l’aptitude de Mme Chapleau par Dre Calouche, est d’ailleurs commentée ainsi dans sa note d’évolution du 18 janvier 2017[54] :

Demande de son dossier accordée. Était accompagnée de cette demande une feuille d’un document des assurances adressée à la patiente qui mentionnait l’absence de limitations fonctionnelles, malgré ma discussion à la dernière entrevue (datée du 15 novembre 2016) et précision déjà mentionnée dans les rapports que j’ai remplis (daté du 11 mars 2016). J’avais précisé qu’il faudrait éviter un travail de soir ou de nuit, éviter un emploi nécessitant une très bonne gestion du stress, une surcharge de travail ou de hautes responsabilités.

Donc j’ai contacté la patiente hier le 17 janvier pour avoir plus de clarification. Patiente avoir l’intention d’aller en appel car tout lui a été coupé à la fin décembre 2016. Elle contacte les ass. Pour + de précisions. Patiente se rappelle bien qu’on avait parlé de ses limitations à la dernière entrevue.

[89]        Il résulte de ce qui précède que l’opinion émise par Dre Calouche, quant à l’aptitude à retourner au travail, est indissociable des limitations fonctionnelles qu’elle identifie.

[90]        Il est vrai qu’à compter du printemps 2016, à la suite de l’obtention de l’évaluation neuropsychologique effectuée à l’automne 2015 par Dre Labelle, Dre Calouche mentionne, dans son impression diagnostique, la présence d’une composante factice aux troubles identifiés par Mme Chapleau[55].

[91]        Par ailleurs, cette mention est insuffisante pour permettre à Industrielle Alliance de soutenir que l’état de Mme Chapleau a changé et qu’elle est devenue apte, à compter du 1er janvier 2017, à retourner au travail, sans limitation fonctionnelle.

[92]        L’on doit nécessairement se demander si les limitations fonctionnelles identifiées par Dre Calouche permettent à Mme Chapleau d’exercer un métier, compatible avec ses compétences professionnelles, lui rapportant une rémunération comparable à son salaire d’enseignante.

[93]        Dre Calouche ne s’est pas prononcée sur la nature des emplois susceptibles d’être occupés par Mme Chapleau, considérant ses limitations fonctionnelles. Le Tribunal note toutefois que celles-ci rendent complexes l’identification d’une occupation respectant la formation de Mme Chapleau et lui rapportant une rémunération équivalente.

[94]        La preuve démontre qu’en raison de ses limitations, Mme Chapleau a été incapable de satisfaire aux exigences d’un stage non rémunéré, doté d’un horaire allégé, ne requérant que quelques heures par semaine.  

[95]        Industrielle Alliance n’a administré aucune preuve permettant d’identifier les emplois susceptibles de s’offrir à Mme Chapleau[56]. Elle invoque les tentatives de Mme Chapleau de développer une entreprise de services de massothérapie[57].

[96]        La preuve démontre que ces démarches n’ont pas porté fruits et sont insuffisantes pour établir la cessation de l’invalidité de Mme Chapleau, au sens de sa police d’assurance collective[58].

[97]        Industrielle Alliance soutient qu’il ne lui revient pas de trouver un emploi à Mme Chapleau ou d’identifier des emplois respectant ses limitations, puisqu’elle la considère apte, sans limitation fonctionnelle.

 

[98]        Le Tribunal convient qu’Industrielle Alliance n’a pas à démontrer que son assuré va, à coup sûr, se trouver un emploi dans les jours suivants la cessation de son incapacité ou à lui trouver un emploi[59].

[99]        Par ailleurs, le Tribunal a déjà décidé que l’aptitude de Mme Chapleau est assujettie aux limitations fonctionnelles identifiées par Dre Calouche.

[100]     Dans ces circonstances, Industrielle Alliance doit démontrer que les limitations fonctionnelles ne sont pas un frein à la réinsertion de son assuré sur le marché du travail, dans un emploi relié à ses champs de compétence et offrant une rémunération équivalente ou comparable à celle offerte par l’emploi antérieur.

[101]     La preuve ne démontre pas l’existence ou la disponibilité de tels emplois.

[102]     À la suite de l’échec du stage de Mme Chapleau et de l’entrevue du 15 novembre 2016 avec Dre Calouche, Mme Grégoire reçoit instruction de l’assureur de fermer son dossier. L’initiative amorcée pour favoriser la réintégration de Mme Chapleau dans le marché du travail ne connait pas de suite.

[103]     Le Tribunal retient le témoignage de Mme Chapleau et celui de son expert Dr Gauthier et conclut que Mme Chapleau est demeurée, depuis le 1er janvier 2017,  totalement invalide au sens de la police d’assurance et incapable « de vaquer, par la suite, à toutes et chacune des fonctions de tout emploi ou occupation rémunératrice pour lequel iI [elle] est raisonnablement qualifié en raison de sa formation, son instruction et son expérience ».

[104]     Le Tribunal condamnera Industrielle Alliance à verser à Mme Chapleau, rétroactivement au 1er janvier 2017, les prestations d’assurance salaire de longue durée exigibles aux termes de la police d’assurance collective liant les parties[60].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[105]     ACCUEILLE la Demande introductive d’instance en réclamation d’indemnités d’assurance modifiée;

[106]     REJETTE la défense d’Industrielle Alliance, Assurance et Services Financiers inc. (Industrielle Alliance);

[107]     CONDAMNE Industrielle Alliance, à payer à Christine Chapleau un montant total de 109 018,88 $, détaillé ainsi:

Période

Montant brut

Montant net

2017/01/01 - 2017/12/31

41 506,20 $

34 068,40 $

2018/01/01 - 2018/12/31

41 506,20 $

34 068,40 $

2019/01/01 - 2019/12/31

41 506,20 $

34 068,40 $

2020/01/01 - 2020/02/29

8 301,24 $

6 813,68 $

 

TOTAL

109 018,88 $

avec intérêts au taux légal, plus l’indemnité additionnelle prévue par l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 14 mai 2017, date de la mise en demeure;

[108]     ORDONNE à Industrielle Alliance de poursuivre le versement des prestations exigibles conformément au contrat d’assurance liant les parties,

[109]     LE TOUT avec les frais de justice, incluant les frais du rapport d’expert et du témoignage de Dr Serge Gauthier, psychiatre.

 

 

 

__________________________________ÉLISE POISSON, j.c.s.

 

 

Me Natacha Roberge

ROBERGE, AVOCAT

Avocats de la Demanderesse

nroberge-avocate@live.ca

 

Me Lou Murdock

WAITE & ASSOCIÉS

Avocats de la Défenderesse

lou.murdock@ia.ca

 

Dates d’audience :

2 et 3 mars 2020

 

 


ANNEXE 1

Dispositions pertinentes du contrat d’assurance collectives[61]

 

CONDITIONS GÉNÉRALES

 

1.1  Définitions

 

[…]

 

1.1.14  Maladie

 

Détérioration de la santé qui nécessite des soins médicaux réguliers, continus et curatifs, effectivement donnés par un médecin et considérés comme étant satisfaisants par l’assureur, et dont le défaut entraînera une détérioration de l’état de santé de la personne.

 

GARANTIE D’ASSURANCE INVALIDITÉ

DE LONGUE DURÉE

 

1.    Objet de la garantie

 

L’assureur s’engage à verser au participant qui devient totalement invalide, par la suite d’une maladie ou d’une blessure accidentelle, la rente mensuelle prévue par la présente garantie pour chaque mois ou partie de mois durant lequel persiste l’invalidité totale, sous réserve des conditions ci-après énoncées.

 

2.    Définitions particulières

 

Invalidité totale

 

L’impossibilité du participant, par la suite de blessures ou de maladie:

 

a) d’exercer chacune des fonctions de son emploi pendant les vingt-quatre (24) premiers mois d’invalidité, incluant la garantie d’invalidité de courte durée;

 

b) de vaquer, par la suite, à toutes et chacune des fonctions de tout emploi ou occupation rémunératrice pour lequel II est raisonnablement qualifié en raison de sa formation, son instruction et son expérience.

 

Pour que l’invalidité soit reconnue, il faut que l’état du participant nécessite des soins réguliers et satisfaisants effectivement donnés par un médecin ou un spécialiste.

 

3.    Modalités de la prestation

 

[…]

 

3.4 Cessation de la prestation

 

Les versements de la prestation cessent à la première des dates suivantes:

 

a)  (…)

 

b)  La date à laquelle le participant cesse d’être totalement invalide;

 

[…]

 

g) La date à laquelle le participant omet de soumettre les preuves demandées par l’assureur;

 

[…]

 


ANNEXE 2

Extrait du rapport d’évaluation neuropsychologique[62]

Conclusions et recommandations

Dans un premier temps, soulignons la présence de plusieurs atypies observées tout au long du processus d’évaluation neuropsychologique. Sur le plan mnésique, notons entre autres le fait que Mme Chapleau parvient à obtenir des résultats se situant généralement dans la moyenne attenue pour l’âge aux conditions les plus difficiles des tâches (e.g. évocation libre en immédiat et différé), mais obtient des résultats déficitaires, extrêmement faibles, dans d’autres conditions nettement plus faciles sur le plan de la charge mnésique (e.g. reconnaissance en immédiat et différé). Plus précisément, la patiente parvient généralement à démontrer de belles capacités d’encodage, de récupération et de consolidation (absence de perte d’information) dans les épreuves les plus difficiles, mais tend au contraire, à démontrer une perte d’information aux épreuves les plus faciles. Ce profil de performance est hautement atypique et ne semble pas correspondre à une pathologie connue. Soulignons également avec insistance le fait que la patiente n’est clairement pas amnésique sur le plan clinique, est orientée dans les trois sphères, se déplace seule, se présente à l’heure et en possession des documents demandés à toutes nos rencontres, participe à des activités et aux tâches de la vie domestique et quotidienne, ferait des liens en psychothérapie et tient des propos tout à fait cohérents et intelligibles. D’autre part, notons également que la lenteur extrême d’exécution des tâches sous apparait contraster avec les dires de la patiente quant à la conduite automobile, notamment (i.e. adéquate, sécuritaire, sans accidents ni contraventions.).

 

Dans un second temps, précisions que des épreuves de validité ont été administrées (n=3). Ces dernières l’ont été lors de séances différentes et visaient divers processus cognitifs (i.e. mémoire et contrôle attentionnel). Notons un échec non équivoque aux trois épreuves de validité administrées. Le rendement de Mme Chapleau à une première épreuve mnésique de reconnaissance visuelle avec choix forcé s’avère très faible et significativement anormal, et ce, autant en immédiat qu’à la suite d’un délai de quelques minutes (avec détérioration significative différé). Ce résultat final est donc déficitaire et particulièrement atypique d’autant plus lorsque l’on considère que cette épreuve est normalement très bien réussie par des patients présentant des maladies neurodégénératives/démences, des traumatismes crânio-cérébraux, ou des troubles cognitifs de nature variée tels qu’abus de substances illicites et d’alcool), de troubles psychiatriques ou de troubles neurologiques autres. Une autre épreuve de validité visant les processus mnésiques a été administrée. Encore une fois, le rendement de Mme Chapleau à cette épreuve de reconnaissance avec choix multiples s’est avéré extrêmement faible. Ce résultat est hautement anormal et nettement inférieur à celui obtenu par des patients ayant subi un traumatisme crânio-cérébral modéré à sévère. Finalement, une épreuve de contrôle attentionnel faisant appel aux capacités de la mémoire immédiate/de travail a également été échouée (haute spécificité). Notons que la consommation de la médication (e.g. Lamictal), le TCCL, l’anxiété occasionnellement rapportée par la patiente et/ou les autres particularités physiques que présenterait Mme Chapleau ne sauraient vraisemblablement pas expliquer les particularités observées au tableau actuel ni les échecs aux trois épreuves de validité. Rappelons par ailleurs l’absence de signes cliniques manifestes de fatigabilité croissante ni d’anxiété de performance au cours du processus d’évaluation.

Ainsi, la présence de nombreuses atypies au cours de l’évaluation actuelle ainsi que l’échec non équivoque à trois épreuves de validité portent à croire que la patiente n’aurait pas livré un effort maximal et ceci nous permet donc de croire que les rendements obtenus aux épreuves neuropsychologiques administrées ne reflètent pas la pleine efficience du fonctionnement cognitif. L’ensemble de ces observation fait ainsi en sorte d’invalider le profil neuropsychologique actuel. Pour cette raison, les résultats obtenus ne sont pas rapportés ni comparés à ceux de l’évaluation neuropsychologique antérieure.

Au final, l’on ne peut préciser l’étiologie exacte du profil obtenu. Une investigation plus poussée à cet égard mériterait d’être faite à notre avis en psychiatrie et/ou en psychologie (collaboration Dre Calouche et Mme Aubert?) afin d’évaluer la possibilité d’une pathologie psychiatrique surajoutée contributive au tableau (e.g. symptômes somatiques et troubles reliés? amplification/exagération? simulation? etc.) et d’explorer les facteurs sous-tendant les faibles performances livrées (e.g. gains primaires? gains secondaires? autres?). Plusieurs éléments colligés dans l’anamnèse actuelle pourraient vraisemblablement s’avérer pertinents en ce sens.

________________________



[1]     Pièce D-8.

[2]     Pièce P-4.

[3]     Pièce P-1.

[4]     Pièce P-9, p. 155 à 158.

[5]     Pièce P-9, p. 132.

[6]     Pièce P-3.

[7]     Pièce P-9, p. 132.

[8]     Pièce P-9, p. 131.

[9]     Pièce P-9, p. 127.

[10]    Pièce P-5.

[11]    Pièce P-6.

[12]    Pièce P-15.

[13]    Pièce P-9, p. 103.

[14]    Pièce P-9, p. 100 et 101.

[15]    Pièce P-9.

[16]    Pièce P-9, p. 71 à 77.

[17]    Pièce P-9, p. 77. Le Tribunal reproduit l’intégralité des conclusions et recommandations formulées par Dre Labelle en Annexe 2 du présent jugement.

[18]    Pièce D-2.

[19]    Pièce D-2, p.4.

[20]    Pièce D-4.

[21]    Pièce D-4.

[22]    Pièce D-6.

[23]    Ce questionnaire n’a pas été produit en preuve.

[24]    La lettre de Nathalie Robert, superviseur du stage de Mme Chapleau au CAPTCHPL n’a pas été produit en preuve.

[25]    Pièce D-7.

[26]    Pièce D-8.

[27]    Pièce P-14.

[28]    Pièce P-15.

[29]    Pièce P-11, p. 3.

[30]    Pièce P-9, p. 39 et 40.

[31]    Pièce P-1, p. 41.

[32]    Boulanger c. Assurance-Vie Desjardins-Laurentienne inc., Soquij, AZ-50190978 (C.S., 30 septembre 2003).

[33]    Hirsch c. Sun Life du Canada, C.S., 1993-05-21, [1993] R.R.A. 656

[34]    Caisse populaire de Maniwaki c. Giroux, [1993] 1 R.C.S. 282, p. 294 et 296; Compagnie d’assurance-vie de la Pennsylvanie c. English, [1998] R.R.A. 947 (C.A.); Code civil du Québec, art, 2803, 1er alinéa.

[35]    Caisse populaire de Maniwaki c. Giroux, [1993] 1 R.C.S. 282, p. 295 et 296.

[36]    Caisse populaire de Maniwaki c. Giroux, [1993] 1 R.C.S. 282, p. 296.

[37]    Caisse populaire de Maniwaki c. Giroux, [1993] 1 R.C.S. 282, p. 301; Code civil du Québec, art, 2803, 2ème alinéa.

[38]    Charpentier c. Compagnie d'assurances Standard Life, (C.A., 2001-07-09), [2001] R.R.A. 573.

[39]    Pièce P-11.

[40]    Pièce P-9, p. 71 à 77.

[41]    Pièce D-2, p. 3 et 4.

[42]    Pièce D-4.

[43]    Pièce P-9, p. 63.

[44]    Pièce P-9, p. 62.

[45]    Pièce P-9, p. 60 et 61.

[46]    Pièce P-9, p. 51.

[47]    Pièce P-9, p. 50.

[48]    Pièce P-9, p. 48.

[49]    Pièce P-9, p. 47.

[50]    Pièces P-9, p. 42 à 61.

[51]    Pièce D-2.

[52]    Pièce D-2.

[53]    Pièce D-4.

[54]    Pièce P-9, p. 46.

[55]    Pièce P-9, p. 50, 51 et 61.

[56]    Contrairement, par exemple, à la preuve administrée par l’assureur dans Boulanger c. Assurance-Vie Desjardins-Laurentienne inc., Soquij, AZ-50190978, (C.S., 30 septembre 2003).

[57]    Pièces D-20 à D-28.

[58]    Pièce P-1.

[59]    Boulanger c. Assurance-Vie Desjardins-Laurentienne inc., Soquij, AZ-50190978, (C.S., 30 septembre 2003), paragr. 90.

[60]    Pièce P-1.

[61]    Pièce P-1, p. 3, 41 et 42.

[62]    Pièce P-9, p. 71 à 77.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.