Décision

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COUR SUPÉRIEURE

 

 

JSO 0733

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

540-05-006212-017

 

 

 

DATE :

Le 13 décembre 2004

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PIERRETTE SÉVIGNY, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

LUBA PETROVIC

Demanderesse

c.

VILLE DE LAVAL

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Le Tribunal fut saisi d'une demande en dommages-intérêts dirigée contre la Ville de Laval.  La demanderesse, Mme Luba Petrovic (ci-après appelée "Madame") poursuit la Ville de Laval (ci-après appelée "la Ville") pour les dommages qu'elle aurait subis suite à une chute qu'elle a faite sur le trottoir glacé devant sa résidence située au 635 Avenue des Perrons, Auteuil, Laval, trottoir appartenant à la Ville.

[2]                Pour plus de précision, la chute de Madame est survenue le 13 février 2001.

[3]                La demanderesse prétend que la Ville a manqué à son obligation d'agir avec diligence dans l'entretien de ses voies publiques, dont le trottoir en question où la chute s'est produite.

[4]                D'autre part, la Ville prétend qu'elle n'a pas commis de faute et considère qu'elle a agi de façon diligente en entretenant ses trottoirs.

[5]                La chute de la demanderesse fit en sorte qu'elle s'est fracturée la jambe droite à la hauteur de la cheville.  À ses procédures initiales, elle réclame de la Ville le montant total de 58,851 $ qui se détaille comme suit:

Paragraphe 3:

 A) Incapacité totale temporaire - 5 semaines:            5 040 $

 B) Incapacité partielle permanente:                         18 000 $

             C) Douleurs, souffrance physique:                           10 000 $

D) Perte de jouissance de la vie par

     l'abandon d'exerce de sport:                                10 000 $

E) Préjudice esthétique:                                            15 000 $

F) Frais pour l'expertise médicale:                                 650 $

G) Frais de stationnement:                                            100 $

H) Bas compressifs:                                                         36 $

 I)  Frais pour le rapport médical:                                     25 $

                                                               TOTAL:                    58 851 $

[6]                LES FAITS

Mardi le 13 février 2001, vers 17h40, la demanderesse revenait chez elle à la fin d'une journée de travail auprès du Ministère du Revenu du Québec, son employeur.  Elle stationna son véhicule dans son stationnement habituel, situé à l'extrême droite de l'aire de stationnement, devant sa résidence (photo 1, Pièce D-3).

[7]                Selon le témoignage de Madame, il s'agit d'un espace de stationnement asphalté n'ayant aucune inclinaison.  Un peu à gauche de son espace de stationnement (photos 1 et 2, Pièce D-3), on peut y voir une pente menant vers le garage de sa résidence et c'est ici que son époux, M. Yves Mijolovic, stationne son véhicule, un camion. 

[8]                Selon la preuve de Monsieur et de Madame, entendue à l'audition, ces deux espaces de stationnement étaient toujours bien entretenus par Monsieur et Madame, qui y portaient un souci attentif car Monsieur et Madame étaient parents d'un jeune enfant de 4 ans et demi et ils tenaient évidemment à sa sécurité. 

[9]                Entre les deux stationnements, on y voit un petit muret construit en ciment (Pièce D-3 - photos 1 et 2).

[10]            Lorsque la demanderesse sortit de son véhicule le 13 février 2001, vers 17h40, elle prit le trajet qu'elle effectue normalement pour se rendre de son véhicule jusqu'à la porte principale de sa résidence. Elle effectua quelques pas sur l'espace de stationnement pour arriver au trottoir et c'est lorsqu'elle était sur le trottoir qu'elle perdit pied et tomba (Pièce D-3, photo 5 où Madame elle-même à l'audition a mis un "X" indiquant l'endroit précis de sa chute).

[11]            Madame a témoigné que lorsque l'accident est arrivé, elle avait bel et bien les deux pieds sur le trottoir et portait des bottes anti-dérapantes.

[12]            Selon Madame, le trottoir était recouvert de glace massive, voire même assez épaisse pour qu'elle ne puisse pas voir le trottoir en-dessous.  Elle prétend que le trottoir était recouvert de glace vive et qu'elle n'a vu aucun abrasif et/ou sel ou sable de répandu sur celui-ci.

[13]            Ayant perdu pied et tombé, Madame était incapable de se relever et a immédiatement commencé à crier pour attirer l'attention de son époux qu'elle savait se retrouvait à l'intérieur de leur résidence.  Évidemment, Monsieur l'a entendue et est sorti à toute vitesse de la résidence et s'est immédiatement dirigé vers elle. Madame et Monsieur se sont immédiatement dirigés vers l'urgence de la Cité de la Santé où Madame a appris qu'elle s'était fracturée la jambe droite, à la hauteur de la cheville, qui nécessitait une intervention chirurgicale.  Madame a été opérée le lendemain et une deuxième intervention fut nécessaire un an après la première, pour que les plaques/vis soient retirées.

[14]            Évidemment, après une courte hospitalisation, elle a reçu son congé et a été en arrêt de travail pendant un certain temps.  De plus, la preuve est à l'effet qu'elle a complètement abandonné la pratique de sports qu'elle aimait bien et l'enseignement de la danse folklorique serbe pendant au moins un an et plus, après l'accident.  Heureusement, la condition physique de Madame s'est suffisamment améliorée pour qu'elle recommence son travail quelques semaines plus tard et quant aux sports, elle a recommencé la pratique de ceux-ci récemment.  Quant à la danse folklorique serbe, elle a recommencé à l'enseigner à l'automne 2004. 

[15]            Évidemment, Madame a subi une incapacité totale temporaire de quelques semaines seulement. 

[16]            Il n'y a aucun doute que selon la preuve de Madame, de Monsieur et de plusieurs autres témoins appelés par le procureur de Madame, les conditions météorologiques étaient exécrables depuis quelques jours à cette époque. 

[17]            D'ailleurs, en défense, le sommaire météorologique mensuel préparé par Environnement Canada fut déposé au dossier de la cour comme pièce D-5.  À ce document, on peut y lire que le 9 février 2001, il y avait "…faible neige le matin, se changeant rapidement en pluie verglaçante se changeant en pluie au début de la soirée. Très doux."  Quant au 10 février 2001, il s'agissait d'une "…pluie mêlée parfois de grésil, cessant avant l'aube, vent violent, très doux." Le 11 février 2001, c'était "…ensoleillé, venteux et très froid".  Le 12 février 2001, c'était une journée "…ensoleillée, ennuagement en après-midi, très froid".  Le 13 février est une journée "…ensoleillée".

[18]            Les températures sont également inscrites à ce rapport et on peut y lire ce qui suit:

"A) Il y a eu des précipitations de pluie le vendredi 9 février 2001 - 15.4 millimètres et le samedi, 10 février 2001 - 3.2 millimètres. 

B) La température de ces journées a été très variable et le vendredi, 9 février, les températures ont varié entre 3.9 degrés Celsius et moins 9.4 degrés Celsius alors que le vendredi, les températures ont varié entre 8.8 Celsius et moins 15.8 Celsius.

C) Par après, il fit beaucoup plus froid et il n'y a eu aucune précipitation jusqu'au 14 février 2001, le lendemain de l'accident. "

[19]            Il est à noter que le dimanche, 11 février 2001, les températures ont varié entre moins 12.9 degrés Celsius et moins 18.5 degrés Celsius, alors que lundi, la température a varié entre moins 9.5 degrés Celsius et moins 21.0 degrés Celsius.  Il n'y aucun doute que la température du mois de février 2001 était tout à fait une température normale pour un mois de février au Canada.  Il pouvait pleuvoir, il pouvait y avoir de la pluie verglaçante, il pouvait y avoir une température moyenne allant jusqu'à très froid.

[20]            À tout événement, la défenderesse a produit ses rapports d'épandage d'abrasif et/ou tassement sur les trottoirs de la Ville de Laval et, plus précisément, ceux quant au secteur 6, où était située la résidence de Madame, selon tous les témoignages crédibles des employés assignés aux travaux de voirie.  Ces documents ont été déposés au dossier de la Cour comme pièce D-2 et révèlent qu'il y a eu de l'épandage d'abrasif (sel ou sable) au cours des 9, 12 et 13 février 2001 sur l'avenue des Perrons.

[21]            Au cours du 9 février 2001, où il y avait de la pluie, les employés de la Ville ont procédé à l'épandage d'abrasif de l'Avenue des Perrons durant 2 quarts de travail, soit entre 8h00 et 11h45 et entre 17h40 et 18h20 la même journée. 

[22]            L'Avenue des Perrons a subi le même traitement durant la nuit du 9 février, soit entre 02h15 et 7h00 du matin.   Par contre, ce rapport déposé comme pièce D-2 révèle que les employés de la Ville n'ont pas fait d'épandage le samedi et le dimanche, les 10 et 11 février 2001.  Ils ont cependant recommencé à répandre de l'abrasif (sel ou sable) le lundi 12 février 2001, durant la matinée entre 7h30 et 13h00 et ont continué leur épandage d'abrasif le 13 février 2001.  Selon la Pièce D-2, de l'abrasif a été étendu sur l'Avenue des Perrons entre 07h30 et 13h00 et enfin, quant à la journée de l'accident, le 13 février 2001, l'épandage s'est effectué sur la rue des Perrons entre 08h00 et 11h45 et 21h45 et 02h20.

[23]            À l'audition, la Ville a fait témoigner tous les employés responsables de l'entretien de ses rues et de ses trottoirs dans le secteur 6 de la Ville de Laval, soit celui où l'accident est survenu.  Entre autres, M. Pierre Gérard, superviseur depuis 15 ans à l'emploi de la Ville de Laval, a affirmé de façon crédible que l'Avenue des Perrons sur laquelle est survenu l'accident en est une prioritaire pour le service d'entretien de la Ville, considérant que se situent sur cette rue des églises et une école.  L'église est d'ailleurs la première bâtisse à l'ouest de la maison de la demanderesse, selon son propre témoignage et est visible sur le jeu de photos produit au soutien des prétentions de la demanderesse.

[24]            En tant que superviseur, M. Gérard témoigne qu'il est sur les routes de 8h00 à 17h00, tous les jours, car il ne travaille que de jour et durant la semaine. Il affirme que, selon lui, la condition des trottoirs était tout à fait acceptable le 12 février 2001, selon son inspection visuelle de celle-ci.  Il confirme que le 13 février 2001, il a jugé bon d'ordonner que l'épandage continuel se fasse.

[25]            M. Joël Girard, superviseur depuis 10 ans à l'emploi de la Ville de Laval, confirme aussi que l'entretien des trottoirs était tout à fait adéquat.  Il affirme que les 9 et 13 février, oui, il y a eu du verglas et il explique aussi que lorsqu'il y a de l'épandage, il s'attarde à faire comme tous les autres superviseurs à l'emploi de la Ville, une inspection visuelle de son territoire en camion.  Pourquoi?  Afin de savoir si tout l'épandage a été correctement fait et si les trottoirs étaient en état pour assurer la sécurité des piétons.  Selon lui, il confirme les témoignages antérieurs à l'effet que la zone où l'accident est survenu est une zone prioritaire et, selon lui, l'épandage d'abrasif avait été correctement fait, voulant que les trottoirs avaient été entretenus et étaient sécuritaires pour les piétons.

[26]            Non seulement M. Girard et M. Gérard ont témoigné à l'audition mais les opérateurs des Bombardier, qui s'occupaient de faire l'épandage ont témoigné. Selon eux, en tant qu'opérateurs de Bombardier, ils étaient en mesure de vérifier si l'épandage était bel et bien fait car ils pouvaient vérifier eux-mêmes le déversement par le rétroviseur.

[27]            Selon leur vérification, le déversement de l'abrasif a été fait et ils se rappellent très bien avoir ainsi vérifié.  Quant à eux, les travaux d'épandage d'abrasifs sur les trottoirs de la Ville de Laval, secteur 6, ont été correctement faits conformément aux normes en vigueur.

[28]            DISCUSSION

La demanderesse, ici Madame, a le fardeau de prouver que la Ville de Laval et/ou ses employés ont commis une faute.  Cette règle se dégage de l'article 585, paragraphe 7 de la Loi sur les cités et Villes. [1]  Il est utile de citer au long ce paragraphe qui se lit comme suit:

" Nonobstant toute loi générale ou spéciale, aucune corporation municipale ne peut être tenue responsable des dommages résultant d'un accident dont une personne est victime, sur les trottoirs, rues ou chemins, en raison de la neige ou de la glace, à moins que le réclamant n'établisse que ledit accident a été causé par la négligence ou la faute de ladite corporation, le tribunal devant tenir compte des conditions météorologiques. " (Nos soulignements).

[29]            Aucune présomption de fait n'est accordée à la personne qui entend prouver la faute de la municipalité, ce qui a d'ailleurs déjà été affirmé par le juge Jean Normand, J.C.S. dans le jugement Vincent Sirignano c. Ville de Laval[2]La demanderesse doit donc, par la prépondérance de la preuve, prouver que la conduite de la Ville a été déficiente.

«[é]té contraire soit au standard imposé par législateur, soit à celui reconnu par la jurisprudence.  C'est donc la violation d'une conduite jugée acceptable législativement ou jurisprudentiellement qui emporte l'obligation de réparer le préjudice causé.»[3]

[30]            Donc, pour réussir dans son action, la demanderesse doit prouver par une prépondérance de preuve que sa chute est due à la présence de glace ou de neige sur le trottoir non-entretenu, comme se doit la municipalité où s'est produit l'accident. Ainsi, dans l'arrêt Parent c. Lapointe, Monsieur le juge Taschereau de la Cour Suprême du Canada déclare:

" C'est par la prépondérance de la preuve que les causes doivent être déterminées et c'est à la lumière de ce que révèlent les facteurs les plus probables que les responsabilités doivent être établies."

[31]            Lorsque le Tribunal discute de la prépondérance de la preuve, il réfère le lecteur à l'arrêt Parent c. Lapointe[4],  où Monsieur le juge Taschereau a écrit ce qui suit:

 " Comme il a été dit souvent, et c'est aujourd'hui jurisprudence dans la province, le fait de faire une chute sur un trottoir ne donne pas nécessairement ouverture à une réclamation pour les dommages subis.  Ce que l'on exige des municipalités, ce n'est pas un standard de perfection.  Elles ne sont nullement les assureurs des piétons, et on ne peut raisonnablement leur demander de prévoir l'incertitude des éléments.  Comme cette Cour a eu l'occasion de le dire dans GALBERI c. LA CITÉ DE MONTRÉAL (1961) R.C.S. 408 , la vigilance simultanée de tous les moments, dans tous les endroits de leurs territoires, serait imposer aux municipalités une obligation déraisonnable.  Il peut arriver, et il arrive malheureusement des accidents, où s'exerce très bien la surveillance municipale qui résultent d'aucune négligence et pour lesquels il n'y a pas de compensation sanctionnée par la loi civile.  Et cette Cour a ajouté, dans le même arrêt, que lorsque la municipalité fera preuve de soin et de diligence raisonnables, lorsqu'elle prend les précautions que prendraient des personnes prudentes dans des circonstances identiques, elle ne peut être recherchée devant les tribunaux civils. "

[32]            Madame avait à prouver qu'il y avait un état dangereux.  L'existence de glace représente nécessairement un danger pour ceux qui utilisent la chaussée publique, ici les trottoirs.  Néanmoins, l'existence d'un état dangereux ne suffit pas à engager la responsabilité de la Ville.  Il incombe à la demanderesse, ici Madame, de prouver la faute, la négligence de la Ville, dans son obligation de bon entretien.

[33]            En l'occurrence, Madame prétend que les conditions météorologiques étaient telles qu'il était à prévoir que de la glace s'était formée sur les trottoirs.  Rappelons qu'il y a eu du verglas le 9 février 2001, soit quelques jours avant l'accident et qu'il avait cessé de pleuvoir le 10 février 2001, mais qu'il y avait eu chute de température au cours des nuits du 10 au 11 février 2000. De surcroît, le fait que la température s'était maintenue bien en-dessous de 0 degré Celsius dans les jours précédant l'accident confirme, selon elle, cette prétention. 

[34]            Dans les circonstances, le gel est toujours prévisible.  La formation de glace est toujours possible.  Néanmoins, la preuve a démontré que la Ville avait constitué un système bien structuré pour l'entretien des voies publiques dont, entre autres, méthodes de travail, répartition du personnel en fonction des priorités, personnel de surveillance etc.  La Ville a su convaincre le Tribunal qu'elle avait pris soin d'organiser adéquatement l'entretien de ses rues et de ses trottoirs et donc, le Tribunal se montre entièrement satisfait de ce système d'entretien jugé adéquat.

[35]            Les témoignages des quelques employés de la Ville qui ont témoigné, le rapport d'épandage ainsi que les témoignages de Madame elle-même, de son mari et de sa sœur confirment que le 13 février 2001 et pour les quelques jours et heures qui ont précédé, les conditions météorologiques étaient telles que oui, il était tout à fait possible qu'il y ait formation de glace vive sur les trottoirs, mais la Ville, par son système d'entretien jugé adéquat, a su pallier à cette situation. 

[36]            Si le Tribunal suit les prétentions et l'argument de la demanderesse, à l'effet qu'il n'y avait aucun abrasif sur le trottoir devant sa résidence, c'est donc dire que les employés de la Ville n'avaient pas fait d'épandage sur l'Avenue des Perrons ou du moins, avaient omis de mettre de l'abrasif sur les trottoirs devant sa maison.

[37]            Eu égard à l'ensemble de la preuve, le Tribunal ne partage pas ce point de vue et ce, considérant la teneur de la Pièce D-2 et les témoignages entendus à l'audition des divers employés de la Ville.

[38]            La règle que prévoit l'article 585, paragraphe 7 de la Loi sur les cités et villes[5] ne fait pas peser sur la municipalité une obligation de résultat dans l'entretien des voies publiques mais bien une obligation de moyen[6].  La règle selon laquelle une municipalité est seulement tenue à une obligation de moyen est d'ailleurs conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour Suprême relative à cet article.  Tel que l'affirme le juge Taschereau dans l'arrêt Dame Maria Garberi c. Cité de Montréal[7], ce que l'on exige des municipalités est:

" […] ce n'est pas un standard de perfection.  Elles ne sont pas l'assureur des piétons, et on ne peut leur demander de prévoir l'incertitude des éléments.  La vigilance simultanée de tous les moments, dans tous les endroits de leurs territoires, serait leur imposer une obligation déraisonnable.  Il peut arriver, et il arrive malheureusement des accidents où s'exerce cependant très bien la surveillance municipale, qui résultent d'aucune négligence et pour lesquels il n'y a pas de compensation sanctionnée par la loi civile.  Lorsque la municipalité fait preuve de soin et diligence raisonnable, lorsqu'elle agit en "bon père de famille", lorsqu'elle prend les précautions que prendraient des personnes prudentes dans les circonstances identiques, elle ne peut être recherchée devant les tribunaux civils. "

[39]            Donc, pour évaluer si la municipalité, telle que la Ville, a ici commis une faute, il faut apprécier son comportement in abstracto, c'est-à-dire de façon objective, eu égard au regard d'une personne raisonnablement prudente et diligente[8].  Ceci étant dit, nous devons maintenant nous pencher sur le comportement de la Ville dans la présente situation.

[40]            Tout comme déjà dit, il n'y aucun doute, selon l'ensemble de la preuve, que la Ville a un système d'entretien des routes et des trottoirs bien organisé et efficace.  La Ville a conçu un itinéraire afin que les secteurs prioritaires, tel que le secteur 6 où se trouve la résidence de la demanderesse, soient entretenus en premier.  En outre, non seulement il y a des opérateurs de Bombardier pour répandre l'abrasif lorsque c'est nécessaire mais la Ville a aussi à son emploi des superviseurs, tels que M. Girard et M. Gérard, pour vérifier si le travail de ses employés réguliers est bien fait.  En ayant mis en place un tel système de rotation des employés sur une base de trois quarts de travail par jour, ainsi qu'un système de supervision afin d'assurer que des opérations d'épandage d'abrasif sur les voies publiques (rues et trottoirs) soient effectuées, ceci voulait dire, qu'en principe, chaque section de la Ville pouvait être traitée d'abrasif trois fois par jour, selon les besoins.

[41]            Quoique ce système soit jugé adéquat par ce Tribunal, eu égard à l'ensemble de la preuve et à la jurisprudence en pareille matière, il faut maintenant regarder si dans les faits, la Ville a assumé ses obligations car une seule preuve de bon fonctionnement en général du système d'entretien des trottoirs ne saurait suffire.[9]

[42]            Pour évaluer si les mesures entreprises par la Ville étaient adéquates le jour de l'accident, il faut regarder si la Ville a agi dans un délai raisonnable, lorsqu'elle savait ou aurait dû savoir qu'une situation dangereuse pour les piétons, tel que le verglas, était survenue ou va survenir.  En l'espèce, suite à la chute de température survenue dans la nuit du 10 au 11 février 2001, la Ville de Laval devait s'attarder à une possible formation de glace sur les trottoirs.

[43]            Bien qu'elle n'ait pas agi le 11 février 2001, elle a pallié de façon efficace à la situation lorsqu'elle a procédé à l'épandage d'abrasif sur les trottoirs, dont celui devant la résidence de Madame, les 12 et 13 février 2001. 

[44]            Bien que la glace que décrivent Madame et ses témoins s'est probablement formée dans les jours qui ont précédé l'accident, les employés de la Ville soutiennent de façon entièrement crédible qu'ils ont procédé à l'épandage des trottoirs de l'Avenue des Perrons de façon assidue les 12 et 13 février 2001, ce qui est d'ailleurs confirmé par le rapport d'épandage (Pièce D-2).

[45]            De plus, l'opérateur Langlade a même affirmé à l'audition que le 13 février 2001 et ce, selon son rapport d'opération, il a mis plus d'abrasif que d'habitude sur les rues et trottoirs de la Ville de Laval, dans son secteur, étant le secteur 6.  Le Tribunal ne saurait remettre en question les témoignages des divers employés de la Ville de Laval, qu'il juge tous entièrement fiables et dignes de crédibilité.

[46]            Considérant l'ensemble de la preuve, le Tribunal ne peut que conclure autrement qu'il y a eu de l'épandage d'abrasif les 12 et 13 février 2001, que la Ville a agi de façon raisonnable en procédant de cette façon et que la Ville avait un système d'entretien de ses voies publiques bien structuré et fiable.  La Ville n'a donc commis aucune faute entraînant sa responsabilité. 

[47]            De plus, entre l'épandage du matin et l'accident, le 13 février 2001, il n'y a aucun verglas et la preuve a révélé que le Département des travaux publics de la Ville n'avait reçu aucun appel de quiconque leur indiquant que les trottoirs étaient glacés.

[48]            La demanderesse soumet également que même si les employés de la Ville de Laval ont procédé de la façon précitée à l'épandage, ils ne l'ont pas fait correctement.  Selon la demanderesse, la Ville aurait ainsi commis une faute entraînant sa responsabilité. 

À cet égard, elle soumet l'arrêt Cité de Montréal c. Beck,[10] où il a été décidé que bien que la Ville de Montréal avait effectué un sablage le matin de l'accident, celui-ci avait été mal fait et, par conséquent, la Ville aurait commis une faute entraînant sa responsabilité.

[49]            Avec respect, le Tribunal ne partage pas cette opinion, eu égard à l'ensemble de la preuve. 

[50]            Obliger la Ville à effectuer un sablage ou un épandage d'abrasif sans aucune faille la soumettrait à une obligation de résultat.

[51]            Tel que ci-haut mentionné, l'obligation de la Ville est une obligation de moyens dans l'entretien de ses rues et de ses trottoirs.  Ceci ne veut cependant pas dire qu'elle puisse mal épandre son abrasif, sans jamais commettre de faute.  En effet, il est de son obligation de s'assurer que l'épandage s'effectue correctement.  En l'espèce, la Ville, selon l'ensemble de la preuve, avait un système de supervision bien établi qui lui permettait de s'assurer que l'épandage était fait et correctement effectué. 

[52]            En l'espèce, l'ensemble de la preuve a établi que la Ville a un système de supervision lui permettant de vérifier l'épandage d'abrasif.  À cet égard, la preuve a clairement révélé que la Ville a un système de supervision de l'épandage de ses rues et les opérateurs de Bombardier qui font l'épandage sont en mesure de vérifier si la matière abrasive est répandue sur les trottoirs lorsqu'ils circulent.  De plus, la Ville a réussi à établir que son système de supervision de l'entretien de ses voies publiques, "rues, trottoirs" était efficace.

[53]            Aussi regrettable que soit l'accident du 13 février 2001 pour la demanderesse et malgré toute la sympathie du Tribunal pour les inconvénients, la douleur, la souffrance qu'elle a pu subir, le Tribunal ne saurait retenir la responsabilité de la Ville de Laval car cette dernière n'a commis aucune faute, selon l'ensemble de la preuve, évaluée selon le critère de la prépondérance de la preuve.[11]  Le Tribunal est d'avis que la chute de Madame du 13 février 2001 ne résulte d'aucune faute de la défenderesse.  Le Tribunal estime que l'événement  est tout simplement un malheureux accident, tel que le définit le petit Larousse.[12]

[54]            Bien que l'accident survenu soit des plus malheureux et en dépit de toute la sympathie que le Tribunal éprouve pour les inconvénients, dommages etc. que Mme Petrovic, la demanderesse, a subis et aura à subir, le Tribunal ne saurait retenir la responsabilité de la Ville de Laval, car cette dernière n'a commis aucune faute dans l'entretien de ses trottoirs et, plus précisément, le trottoir face à la résidence de la demanderesse.[13]

[55]            Compte tenu des conclusions auxquelles ce Tribunal en vient quant à la faute de la défenderesse, le Tribunal estime qu'il ne lui est pas nécessaire de discuter du quantum des dommages qu'aurait pu subir la demanderesse en l'instance.

[56]            Donc, le Tribunal REJETTE l'action de Madame Luba Petrovic intentée contre la Ville de Laval.

[57]            AVEC DÉPENS.

 

 

 

 

__________________________________

PIERRETTE SÉVIGNY, J.C.S.

 

Me Jean Bertrand

Procureur de la défenderesse

22 rue du Pont-Viau

Laval (Québec) H7N 2X9

 

Me Gian Michele Cerundolo

Cerundolo & Maiorino

1807 rue Jean-Talon est

Montréal, Qué.

H7E 1T4

 

 

Date d’audience :

Le 23 septembre 2004

 



[1]  L.R.Q. c. C-19.

[2]  C.S. 04-04-95 - 541-05-000137-921, jugement du 4 avril 1985.

[3]  Jean-Louis BEAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, Les responsabilité civile, 5e éd. Éditions Yvon Blais, 1998, Cowansville, p.98, par. 127.

[4]  [1952] 1 R.C.S. 376 .  Voir aussi La Preuve civile de Jean-Claude ROYER, 2e édition, Les Éditions Yyves Blais, p. 98 et s.

[5]  Supra no. 1.

[6] Note 2.

[7]  [1961] R.C.S. 408 .

[8]  Ville de Montréal-Nord c. Carruba-Taddeo Cour d'appel (19-11-1994), J.E. 94-1936 , p. 4; J.L-BEAUDOIN et P. DESLAURIERS, La responsabilité civile, op. cit., note 3, p. 112, par. 153.

[9]  Ville de Saint-Laurent c. Steven Montgomery, [1995] R.R.A., 2, p.2.

[10]  [1964], B.R., p. 719.

[11]  " C'est par la prépondérance de la preuve que les causes doivent être déterminées et c'est à la lumière de ce que révèlent les facteurs les plus probables que les responsabilités doivent être établies."

 

[12]  "Événement imprévu, malheureux ou dommageable".

[13]  Théberge c. Metabetchouan: "Je suis bien conscient des inconvénients pratiques qu'entraînent ces conclusions. […]  Mais le droit ne laisse, en l'espèce, aucun échappatoire à une cour de justice.  Les remèdes, si remèdes il y a, ne relèvent pas de pouvoir judiciaire. "

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