Martin c. 9285-0353 Québec inc. |
2018 QCCQ 2848 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MÉGANTIC |
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LOCALITÉ DE |
LAC-MÉGANTIC |
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« Chambre civile » |
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N° : |
480-22-000112-167 |
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DATE : |
20 avril 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
PATRICK THÉROUX, J.C.Q. |
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MADELEINE MARTIN, domiciliée et résidant au […], Lac-Drolet (Québec), […], |
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Demanderesse |
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c. |
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9285-0353 QUÉBEC INC., société par actions, ayant son siège social au 4704, rue Cartier, Lac-Mégantic (Québec), G6B 2R6, |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1]
La demanderesse, Mme
Madeleine Martin, réclame à la défenderesse, 9285-0353 Québec Inc., la somme de
72 394,79 $ en dommages-intérêts à la suite d'une chute survenue dans
le stationnement de son restaurant, le 8 février 2015.
[2] La demanderesse allègue que la défenderesse a été négligente dans l'entretien du stationnement et du trottoir extérieurs de son établissement qui présentaient, au moment de la chute, des surfaces glacées et glissantes.
[3] La défenderesse nie que la situation représentait un danger pour la circulation de ses clients. Elle soutient qu'elle apporte une attention diligente à l'entretien de ses aires de circulation extérieures en période hivernale. Selon elle, la chute est attribuable à un simple accident; sa responsabilité n'est pas engagée. À titre subsidiaire, elle propose que la demanderesse a commis une faute contributoire et qu'elle devrait supporter une part de responsabilité.
[4] Les faits sont simples et, pour l'essentiel, ne sont pas véritablement contredits.
[5] Le 8 février 2015, vers 17 h 00, la demanderesse se rend au restaurant de la défenderesse avec un ami, M. Jean-Claude Mercier. Ils s'y rendent chacun dans leur propre véhicule et stationnent au coin avant gauche de la bâtisse; la demanderesse en façade et M. Mercier face au mur latéral gauche.
[6] Le restaurant est au rez-de-chaussée. Ils empruntent un trottoir qui longe la façade pour se rendre à la porte d'entrée. Il s'agit d'un trottoir en béton, situé sous une galerie. Il est parallèle au mur et est délimité par des colonnes qui le séparent des espaces de stationnement. Il comporte deux marches.
[7] La demanderesse et M. Mercier remarquent que le trottoir et les marches sont glissants. La demanderesse déclare qu'elle s'appuie au mur avec sa main gauche pour éviter de perdre pied. Une fois à l'intérieur, elle avertit la serveuse qui l'accueille que le trottoir est glissant.
[8] En ressortant, soit environ une heure et demie plus tard, Mme Martin constate que le trottoir est toujours dans le même état. Elle décide alors de retourner à son véhicule en empruntant plutôt le stationnement. Elle remarque rapidement que la surface est glacée, mais décide tout de même de se rendre jusqu'à sa voiture. La chute se produit quelques mètres avant d'y parvenir; elle perd pied sur une plaque de glace et se fracture le poignet droit.
[9] M. Mercier, qui était resté quelques minutes supplémentaires à l'intérieur, aperçoit la demanderesse au moment où elle tente de se relever. Il s'approche, l'aide et la conduit immédiatement à l'hôpital avec son véhicule.
[10] La demanderesse subira une intervention chirurgicale dès le lendemain et sera empêchée de travailler durant plusieurs mois.
[11] C'est 15 jours plus tard, vers le 23 février 2015, qu'elle informe le dirigeant de la défenderesse, M. Alexandre Lacroix-Lapointe, de sa chute et de ses conséquences. Celui-ci contacte son assureur, Promutuel, qui prend fait et cause.
[12] Vu le délai écoulé, les moyens d'exonération présentés par la défenderesse sont d'ordre général. Elle présente sa routine d'entretien pour démontrer qu'elle déploie habituellement les moyens nécessaires pour s'assurer du bon état de ses installations extérieures en regard de la sécurité de sa clientèle en hiver. Elle confie le déblaiement du stationnement à un entrepreneur en déneigement. Ses livreurs stationnent leurs véhicules près de la porte d'entrée. Ils sont chargés de veiller au bon état des lieux durant leurs quarts de travail. Au gré de leurs allées et venues, ils déneigent ou épandent de l'abrasif au besoin. M. Lacroix-Lapointe fait aussi des vérifications et des interventions périodiques tôt le matin et lors de ses périodes de pause dans la journée.
[13] Il n'y a pas de témoin visuel de la chute à proprement parler. La défenderesse a fait entendre M. Nick Maheu, le livreur qui était en service de 16 h 00 à 21 h 00 le 8 février. Celui-ci déclare qu'il ne se souvient pas de l'état des lieux à ce moment, mais qu'il est convaincu qu'il avait dû faire un bon entretien.
[14] Les questions en litige peuvent être formulées ainsi :
14.1. La défenderesse a-t-elle commis une faute ayant causé la chute dont la demanderesse a été victime?
14.2. Le cas échéant, la demanderesse a-t-elle commis une faute contributoire entraînant un partage de responsabilité?
14.3. Le cas échéant, quel est le montant de la compensation des dommages subis par la demanderesse?
· LA RESPONSABILITÉ
[15]
Le fondement du recours entrepris est la responsabilité civile aux
termes de l'article
[16] Dans le cas présent, le dommage et la causalité sont évidents; la demanderesse s'est fracturé le poignet en tombant. Qu'en est-il de la faute?
[17] Il est reconnu que l'obligation d'entretien des lieux où circulent des tiers n'est pas une obligation de résultat. Il s'agit plutôt d'une obligation de diligence à intensité variable. Le propriétaire, ou l'occupant des lieux, a l'obligation de veiller raisonnablement à la sécurité, au bon état d'entretien et à la maintenance convenable des endroits et des installations auxquels des tiers ont accès.
[18] En l'espèce, l'intensité de l'obligation impartie à la défenderesse est modulée par deux aspects importants.
[19] Premièrement, la défenderesse exploite un commerce de restauration. Elle convie donc un nombre important de personnes à se rendre à son établissement[1]. Selon la disposition des lieux, et selon les explications données à l'audience, sa clientèle circule indistinctement sur le trottoir ou dans le stationnement pour se rendre à la porte d'entrée du restaurant. Son obligation de sécurité est importante et doit s'étendre, de manière égale, à l'ensemble de ses installations, trottoir et stationnement confondus[2].
[20] Deuxièmement, compte tenu de la période de l'année où les événements se sont produits, l'intensité de l'obligation de la défenderesse est tributaire des conditions climatiques. Les phénomènes météorologiques de l'hiver québécois sont bien connus. Les conditions extérieures peuvent varier énormément en peu de temps. Pour ces raisons, l'obligation de sécurité ne s'étend pas à devoir s'assurer que tout est déneigé, déglacé ou asséché partout et en tout temps.
[21] Finalement, il appartient à la partie demanderesse d'établir la preuve prépondérante de ses prétentions. À cet égard, il faut préciser que la seule preuve de la présence de glace sur un terrain de stationnement n'induit pas de renversement du fardeau de la preuve ni de présomption légale de faute ou de responsabilité[3]. Tout est affaire de circonstances et d'appréciation de la preuve présentée par les parties.
La faute de la défenderesse
[22] Le commerce de la défenderesse fait face à la rue Laval. La distance entre la façade du bâtiment et la rue permet l'aménagement d'une dizaine de cases de stationnement, perpendiculaires au bâtiment. Il y a une bande d'environ 10 pieds de largeur entre l'arrière des véhicules et la rue. D'autres cases de stationnement sont aménagées face au mur latéral gauche.
[23] La surface du stationnement présente une légère déclivité vers la gauche. Elle est plus particulièrement accentuée entre la porte d'entrée et le coin gauche du bâtiment. Le trottoir longeant la façade comporte deux marches pour compenser l'effet de cette pente. Il ne s'agit pas d'un vaste stationnement et la clientèle y circule à pied librement, sur de courtes distances.
[24] La preuve non contredite démontre qu'il y avait des surfaces glacées et glissantes dans les stationnements avant et latéral, de même que sur le trottoir menant à l'entrée principale au moment des événements.
[25] À cet égard, les témoignages de la demanderesse et de M. Mercier sont concluants. Il en est de même de celui de Mme Stéphanie Picard qui affirme avoir constaté que c'était glacé et glissant près du véhicule de M. Mercier lorsqu'elle l'a raccompagné depuis l'hôpital, quelques heures après la chute.
[26] Le témoignage de la demanderesse n'est pas contredit lorsqu'elle affirme avoir informé une serveuse de l'état de dangerosité du trottoir à son arrivée au restaurant et qu'elle a constaté que rien n'avait été fait lorsqu'elle est ressortie près de deux heures plus tard.
[27] Il n'y a pas ici d'enjeu météorologique particulier. Il faisait froid et il ressort de la preuve qu'il n'y a pas eu de précipitations significatives ni de variations brusques de température le jour même ni la veille[4]. La glace recouvrant le sol ne s'est pas formée subitement; elle y était vraisemblablement depuis le matin, à tout le moins.
[28] Il ressort des explications avancées par M. Lacroix-Lapointe que l'entretien du stationnement est principalement laissé aux soins du déneigeur. Celui-ci serait passé très tôt le matin du 8 février 2015. Le Tribunal ignore quelles sont les opérations confiées au déneigeur, mais celui-ci se limite apparemment au déblaiement et au tassage de la neige. L'application d'abrasifs est laissée aux livreurs durant leurs heures de travail. Ils interviennent lorsqu'ils le jugent utile.
[29] Un de ceux-ci, M. Maheu, déclare qu'il travaille à temps partiel les fins de semaine. Il débute habituellement à 16 h 00 et s'assure alors que tout est bien dégagé, surtout à proximité de l'entrée. Il stationne son véhicule le plus près possible de la porte d'entrée. Il concentre davantage son attention sur le trottoir.
[30] Outre M. Lacroix-Lapointe, la défenderesse a fait entendre M. Jacques St-Pierre qui réside à l'étage; il est le conjoint de la propriétaire de l'immeuble. M. St-Pierre déclare qu'il surveille l'état du stationnement à chaque matin vers 6 h 00, du haut de son balcon. S'il voit de la glace, il descend pour épandre du sable ou du sel. Il fait la même chose en fin d'après-midi vers 16 h 30. Il affirme qu'il n'a jamais eu connaissance de plaintes ni de problèmes avec l'entrepreneur qui déneige le stationnement.
[31] De façon générale, la routine d'entretien de la défenderesse paraît adéquate. La demanderesse, qui fréquente régulièrement son établissement depuis plusieurs années, convient d'ailleurs que les lieux sont habituellement bien entretenus.
[32] Ceci n'est pas suffisant pour écarter le fait qu'une négligence a pu causer sa chute le 8 février.
[33] Le fait que plusieurs clients se sont rendus au restaurant ce jour-là et qu'aucun d'eux, ayant circulé aux mêmes endroits que la demanderesse, ne soit tombé ou ne se soit plaint n'est pas significatif non plus. Le Tribunal ne peut retenir ce type d'argument éliminatoire pour conclure à l'absence de faute.
[34] La défenderesse oppose à la demanderesse le manque de fiabilité de ses déclarations. Il appert que celle-ci a d'abord donné une version à l'experte en sinistres, Mme Marie-Lyne Lamontagne, le 11 mars 2015[5]. Elle a ensuite été interrogée au préalable par la procureure de la défenderesse[6], de même que par le procureur de l'assureur du propriétaire de l'immeuble[7], le 14 juillet 2016, puis elle a été interrogée et contre-interrogée lors de l'instruction le 7 décembre 2017.
[35] Certes, il existe quelques imprécisions, mais ceci ne remet pas en cause la fiabilité ni la crédibilité de son témoignage. Une partie à un litige n'est pas tenue d'avoir et de maintenir à travers les années une version univoque, inébranlable ou inaltérable. La mémoire d'un témoin ne doit pas être infaillible pour qu'il soit cru. Les nuances, les explications ou les hésitations n'entachent pas nécessairement un témoignage, surtout si elles portent sur des faits d'une importance relative.
[36] La version du 11 mars 2015 est très sommaire. Elle est livrée et captée librement dans le cadre d'un entretien avec une experte en sinistres. Il est impossible de savoir à quelles questions précises la demanderesse répondait. Quant aux interrogatoires au préalable, ils ont été menés unilatéralement par les procureurs de la défense, hors Cour. Ils reflètent la facette du dossier visant la préparation des moyens de défense à venir.
[37] Le Tribunal a eu l'occasion d'entendre la demanderesse à l'audience dans le cadre d'un exercice contradictoire. Son témoignage s'avère spontané, sincère, fiable et crédible. Ses explications sont claires et, dans le cadre de l'appréciation d'une preuve prépondérante, elles doivent être retenues.
[38] La même remarque vaut pour le témoignage de M. Mercier qui, lui aussi, avait donné sa version à l'experte en sinistres le 3 juillet 2015[8] et a été interrogé et contre-interrogé à l'audience.
[39] L'analyse de la preuve amène le Tribunal à conclure que la défenderesse a été négligente dans l'entretien des aires de circulation extérieures de son restaurant le 8 février 2015. Elle a laissé sa clientèle circuler sur son trottoir et dans son stationnement, alors que la surface était glacée, sans s'assurer, par un entretien adéquat, qu'elle pouvait le faire sans danger.
[40] Cela dit, la demanderesse a-t-elle, elle aussi, commis une faute qui aurait engendré sa propre responsabilité?
La faute de la demanderesse
[41] Mme Martin déclare qu'elle a dû retourner à son véhicule en empruntant le stationnement parce que le trottoir était toujours glissant au sortir du restaurant et qu'elle n'osait pas l'emprunter.
[42] Elle déclare aussi qu'elle a rapidement constaté que le stationnement était glissant au point où elle a pensé faire demi-tour[9]. Elle a tout de même continué de marcher, seule, sur une surface qu'elle savait glissante et potentiellement dangereuse. Elle n'a pas attendu M. Mercier qui, lui aussi, devait retourner à son véhicule au même moment.
[43] La pente descendante, même légère, a certainement contribué à rendre son trajet plus hasardeux. Le fait qu'elle ait dû s'appuyer sur un véhicule avant de continuer sa trajectoire, juste avant de tomber, montre qu'elle s'est aventurée dans un exercice risqué.
[44] La demanderesse a manqué de prudence. Elle était consciente de la situation et elle a assumé en partie le risque qu'elle représentait. Pour cette raison, le Tribunal conclut qu'elle a contribué à sa chute et a ainsi engagé partiellement sa responsabilité.
[45] Tenant compte de l'ensemble des circonstances relatées en preuve, le Tribunal fixe à 20 % la part de responsabilité devant être impartie à la demanderesse.
· LES DOMMAGES
[46] Par sa demande introductive modifiée lors de l'instruction, la demanderesse articule sa réclamation ainsi :
18.- D'une part, la demanderesse évalue ainsi ses pertes pécuniaires : (…]
Convalescence : à la résidence Drolet : 3 450,00$;
Frais de déplacement pour les traitements en
physiothérapie et les rencontres avec les
médecins : 1 657,80$;
Frais de stationnement à l'hôpital de
St-Georges : 5,00$;
Médicaments : 105,00$
Pertes de revenus de travail du 08-02 au
23-10-2015 : 24 659,39$
Perte de revenus de travail due à un travail
au temps partiel du 23-10-15 au 22-01-16 : 1 597,60$
Perte de revenus de soins de pieds : 920,00$
Total des pertes pécuniaires : 32 394,79$
19.- D'autre part, elle évalue ses pertes non pécuniaires, à savoir perte de jouissance de la vie, douleurs, souffrances et perte d'intégrité physique à 40 000,00$ ;
(Soulignements omis)
[47] En matière de responsabilité civile, les dommages-intérêts ont une fonction compensatoire. Ils compensent la victime pour la perte qu'elle subit et le gain dont elle est privée[10]. L'attribution de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice corporel, moral ou matériel se limite à l'indemnisation de ce qui est une suite immédiate et directe de la faute qui les a causés[11].
· LES PERTES PÉCUNIAIRES
Le remboursement des dépenses et frais divers
[48] D'emblée, la demanderesse a droit au remboursement de ses frais de déplacements, de stationnements et de médicaments. Les montants réclamés sont documentés, prouvés et raisonnables. Ils totalisent 1 767,80 $ (1 657,80 $ + 5,00 $ + 105,00 $).
[49] Par ailleurs, la demanderesse réclame 3 450 $ en remboursement de frais de séjour pour trois mois passés dans une résidence pour aînés, la Résidence Drolet. Elle qualifie ceci de convalescence; les reçus[12] qu'elle présente reprennent cette expression.
[50] Il appert que la demanderesse a été opérée au poignet le lendemain de sa chute, soit le 9 février. Alors qu'elle est propriétaire d'une maison à Stratford et locataire d'un logement à Lac-Mégantic, elle décide d'aller séjourner à la Résidence Drolet, à Lac-Drolet, dès le 10 février.
[51] Durant cette période, elle ne pouvait pas travailler. Selon son témoignage, sa seule limitation physique d'ordre domestique était son incapacité à cuisiner ses repas. Sauf pour la première semaine, elle déclare qu'elle pouvait s'habiller seule et pourvoir elle-même à son hygiène[13].
[52] Il n'y a aucune preuve que cette soi-disant convalescence était nécessaire au plan médical ou fonctionnel en raison de son plâtre au poignet.
[53] Rien n'indique qu'elle a subi des traitements particuliers ni qu'elle a reçu des soins ou des services de réadaptation ou autres mesures de soutien durant ces trois mois passés à la Résidence Drolet. Les frais dont elle réclame le remboursement sont essentiellement reliés à son séjour, incluant les repas. Il n'y a ici aucune situation de convalescence imposée par son état. Ce séjour n'est pas une suite directe et immédiate de sa chute; il résulte essentiellement de son choix d'aller vivre à cet endroit pour plus de confort et de facilité.
[54] Elle travaillait déjà à temps partiel à la Résidence Drolet avant sa chute et elle a continué d'y travailler après son rétablissement.
[55] La demanderesse n'a pas droit au montant de 3 450 $ qu'elle réclame à titre de frais de convalescence.
Les pertes de revenus
[56] À l'époque concernée, la demanderesse était à l'emploi du Village Harmonie, une résidence pour aînés où elle occupait à temps plein un poste d'infirmière-responsable. En raison de sa blessure, elle a dû s'absenter du travail durant 37 semaines, soit du 9 février au 23 octobre 2015.
[57] En principe, la demanderesse a droit au remboursement intégral de sa perte salariale. Selon la preuve, son salaire hebdomadaire brut[14] était de l'ordre de 666,47 $, d'où sa réclamation de 24 659,39 $ (666,47 $ X 37 semaines). Il n'y a pas lieu de déduire, comme le suggère la défenderesse, les prestations reçues du régime d'assurance emploi durant les 15 premières semaines de son invalidité[15].
[58] Toutefois, la preuve indique que son employeur a modifié ses fonctions et son horaire de travail à compter du 22 septembre 2015[16]. Le poste d'infirmière-responsable lui a été retiré et elle a été assignée à un poste d'infirmière à temps partiel.
[59] Ainsi, de son retour au travail le 23 octobre, jusqu'à son congédiement le 5 janvier 2016[17], la demanderesse travaillait comme infirmière à raison de deux jours/semaine en moyenne[18].
[60] Les modifications apportées par l'employeur à ses conditions de travail à compter du 22 septembre 2015 sont des mesures administratives. Elles ne résultent pas, de façon directe et immédiate, de l'accident dont elle a été victime le 8 février précédent.
[61] Ceci entraîne deux conséquences en regard de l'indemnisation de sa perte salariale.
[62] Premièrement, la demanderesse n'a pas droit à l'intégralité de son salaire pour les semaines couvrant la période du 22 septembre au 23 octobre, puisqu'elle n'occupait plus le poste d'infirmière-responsable à temps plein. Il faut donc réduire proportionnellement son indemnité pour tenir compte du fait que son manque à gagner réel est plutôt de l'ordre de 266,59 $ (666,47 $ X ⅖). La partie à retrancher est de 1 999,45 $ (666,47 $ - 266,59 $ = 399,88 $ X 5 sem. = 1 999,40 $).
[63] Deuxièmement, la demanderesse n'a pas droit à l'indemnité de 1 597,60 $ qu'elle réclame pour compenser son manque à gagner en raison de son horaire de travail limité à du temps partiel durant la période allant de son retour au travail le 23 octobre 2015 jusqu'à la prise d'effet de son congédiement le 22 janvier 2016. Sa rémunération, durant cette période, est conforme aux conditions de son contrat de travail; elle n'a subi aucune perte salariale attribuable à son accident.
[64] L'indemnité allouée pour compenser la perte salariale est donc de 22 659,99 $ (24 659,39 $ - 1 999,40 $ = 22 659,99 $).
[65] Accessoirement à son travail d'infirmière, la demanderesse offrait aux résidents des soins de pieds. Ceci lui procurait un revenu d'appoint. Comme elle n'a pu se livrer à cette activité durant son absence du travail, elle réclame une compensation de 920 $ pour perte de revenus.
[66] La demanderesse a droit à cette indemnité. Le montant qu'elle réclame est une moyenne calculée sur ses revenus de l'année précédente[19]. Il s'avère raisonnable et justifié.
· LES PERTES NON PÉCUNIAIRES
[67] Le préjudice corporel est aussi compensé par une indemnisation des pertes non pécuniaires. À cet égard, il convient d'adopter l'approche préconisée par la jurisprudence pour l'octroi d'une somme globale visant à couvrir l'ensemble du dommage non pécuniaire[20].
[68] La demanderesse réclame à ce titre un montant de 40 000 $ qu'elle associe au pourcentage de 4 % d'incapacité partielle permanente apparaissant au rapport d'expertise orthopédique versé au dossier[21].
[69] Soulignant qu'elle ne fonde pas sa réclamation sur une multiplication de 10 000 $ par point d'incapacité, la demanderesse indique qu'elle utilise plutôt une méthode de calcul au per diem, soit 1,50/jour actualisé.
[70] Cette approche arithmétique ne doit pas remplacer l'exercice auquel doit se livrer le Tribunal pour évaluer et pondérer les différents facteurs permettant d'arrêter la somme globale jugée adéquate. On ne peut prendre une somme journalière pour la transposer en somme globale. Le calcul inverse, soit la transposition d'une somme globale en per diem, permet uniquement de visualiser ce que représente, dans le temps, la somme accordée[22].
[71] Au moment de l'accident, la demanderesse est âgée de 60 ans. Selon le rapport d'expertise réalisé deux ans plus tard, son expectative de vie est de 24,5 années à l'âge de 62 ans.
[72] Depuis mars 2015[23], la demanderesse reçoit une rente de retraite. Depuis octobre 2015, elle travaille à temps partiel à la Résidence Drolet. Elle n'effectue presque plus de traitements de pieds, parce qu'elle n'a plus sa clientèle de la résidence Village Harmonie depuis sa terminaison d'emploi et que la Résidence Drolet comprend beaucoup moins de résidents.
[73] La demanderesse ne réclame pas d'indemnité de perte de capacité de gains.
[74] Après son intervention chirurgicale au poignet, elle a dû porter un plâtre pendant deux mois et, par la suite, une écharpe pendant quelques semaines, ce qui l'a limitée dans ses mouvements. Par exemple, elle ne pouvait conduire son véhicule muni d'une boîte manuelle. Comme elle ne pratiquait pas d'activités physiques sportives ou de loisirs, elle n'a subi aucune privation à ce niveau.
[75] La douleur présente au début a été apaisée par la prise de Tylenol. Depuis son rétablissement, elle ressent sporadiquement des douleurs au poignet. Elles sont aussi soulagées par Tylenol. Elle constate une certaine faiblesse de sa main droite à la préhension.
[76] Il n'y a aucun préjudice esthétique ni aucune souffrance morale. Sa perte de jouissance de la vie est essentiellement reliée aux inconvénients fonctionnels de la vie de tous les jours. C'est en l'occurrence ce qu'évoque la note « personne entière » associée au taux de 4 % d'incapacité attribué aux conclusions du rapport d'expertise.
[77] Tout bien considéré, et en s'inspirant de l'affaire récente Bolduc[24] et de la jurisprudence qui y est citée, le Tribunal fixe à 12 000 $ le montant de l'indemnité à laquelle la demanderesse a raisonnablement droit pour ses pertes non pécuniaires.
[78] La demanderesse a établi le bien-fondé de son droit à une indemnisation de l'ordre de 37 347,74 $ répartie ainsi :
Remboursement des dépenses : 1 767,80 $
Pertes salariales : 22 659,99 $
Pertes de revenus d'appoint : 920,00 $
Pertes non pécuniaires : 12 000,00 $
Total : 37 347,79 $
[79] Vu le partage de responsabilité, la défenderesse doit payer 80 % de cette somme, soit 29 878,23 $.
[80] Les parties ont fait confectionner une expertise commune. Vu l'issue de l'affaire, il n'y a pas lieu d'adjuger de frais d'expert.
[81] POUR CES MOTIFS, le Tribunal:
[82] ACCUEILLE partiellement la demande introductive d'instance;
[83]
CONDAMNE la
défenderesse, 9285-0353 QUÉBEC INC., à payer à la demanderesse, MADELEINE
MARTIN, la somme de VINGT-NEUF MILLE HUIT CENT SOIXANTE-DIX-HUIT DOLLARS ET
VINGT-TROIS CENTS (29 878,23 $) plus les intérêts au taux légal et
l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[84] Avec les frais de justice en faveur de la demanderesse.
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__________________________________ PATRICK THÉROUX, J.C.Q. |
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Me Robert Giguère |
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Monty Sylvestre |
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Proc. de la demanderesse |
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Me Marjorie Pageau |
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GLP Avocats |
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Proc. de la défenderesse 9285-0353 Québec Inc. |
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[1]
Hamel c. Boucherie Marcel Nadeau inc.,
[2]
Contrairement aux 1200 places du vaste stationnement d'un centre commercial
dans l'affaire Castro c. 4258649 Canada inc.,
[3] Id.
[4] Pièce P-17.
[5] Pièce D-4.
[6] Interrogatoire au préalable de Mme Madeleine Martin, 14 juillet 2016, par Me Marjorie Pageau.
[7] Interrogatoire au préalable de Mme Madeleine Martin, 14 juillet 2016, par Me Dominic Gélineau.
[8] Pièce D-7.
[9] Précité, note 6, p. 58.
[10]
Art.
[11]
Art.
[12] Pièce P-7.
[13] Précité, note 6, p. 82, 83 et 102.
[14]
Montréal (Ville de) c. Wilson Davies,
[15] BAUDOIN Jean-Louis, Patrice DESLAURIERS, Benoît MOORE, La responsabilité civile, 8e éd., Volume 1 : Principes généraux, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2014, p. 465, paragr. 1-417.
[16] Pièce P-13.
[17] Pièce D-3.
[18] Pièce P-19.
[19] Pièce P-11.
[20]
Précité, note 15, p. 521, paragr. 1-496. Voir aussi Brière c. Cyr,
[21] Rapport du chirurgien orthopédiste Gaétan Langlois daté du 1er février 2017 et révisé le 13 décembre 2017. Il s'agit d'une expertise commune.
[22] Précité, note 15, p. 529 et 530, paragr. 1-505.
[23] Selon son témoignage, la demanderesse a formulé sa demande le 20 février 2015.
[24]
Bolduc c. Ville de Sherbrooke,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.