Conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés (Ordre professionnel des) c. Hébert |
2021 QCCDCRHRI 6 |
CONSEIL DE DISCIPLINE |
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ORDRE DES CONSEILLERS EN RESSOURCES HUMAINES |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N° : |
13-20-00021 |
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DATE : |
9 juin 2021 |
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LE CONSEIL : |
Me MAURICE CLOUTIER |
Président |
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M. ROBERT BRONSARD, CRHA |
Membre |
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M. SERGE LAVERDIÈRE, CRIA |
Membre |
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ANDRÉ LACAILLE, CRIA, en sa qualité de syndic adjoint de l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec |
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Plaignant |
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c. |
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MARIE-CHRISTINE HÉBERT, CRIA |
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Intimée |
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MOTIFS DE LA DÉCISION SUR CULPABILITÉ |
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APERÇU
[1] Le Conseil de discipline de l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec s’est réuni pour procéder à l’audition de la plainte disciplinaire déposée par le plaignant, André Lacaille, CRIA, en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre, contre l’intimée, Marie-Christine Hébert, CRIA.
[2] Lors de l’audition du 21 mai 2021, le plaignant demande l’autorisation du Conseil afin de reformuler le libellé des deux chefs de la plainte disciplinaire eu égard à l’implication de l’intimée relativement à des formulaires d’autodéclaration de santé préembauches pour des postes à la Commission scolaire de Montréal (CSDM). En cours d’instance, il demande également de remodifier cette plainte afin de préciser une disposition de rattachement quant au second chef de la plainte disciplinaire. L’intimée ne s’oppose pas aux demandes de modification de la plainte disciplinaire.
[3] Le Conseil a autorisé que la plainte soit modifiée comme le lui permet l’article 145 du Code des professions[1].
[4] Les parties informent le Conseil de ce qui suit. L’administration d’une preuve considérable a été évitée à la suite de discussions entre elles. Elles souhaitent que le Conseil procède sur culpabilité puis sur sanction le même jour. En effet, l’intimée n’offre aucune défense et ne procède à aucun contre-interrogatoire bien qu’elle ne reconnaisse pas sa culpabilité.
[5] Le même jour, le plaignant présente une preuve sur culpabilité sous chacun des deux chefs et produit, de consentement, une preuve documentaire[2].
[6] Après avoir entendu cette preuve et les arguments du plaignant, le Conseil a, séance tenante, déclaré l’intimée coupable sous chacun des deux chefs de la plainte disciplinaire avec « motifs à suivre » afin d’énoncer le raisonnement qui a mené à rendre sa décision sur culpabilité[3].
[7] Par la présente, le Conseil rend les motifs suivants au soutien de cette déclaration de culpabilité de l’intimée.
QUESTION EN LITIGE
[8] Le plaignant s’est-il déchargé de son fardeau de prouver que l’intimée a contrevenu à chacun des chefs de la plainte modifiée?
[9] Pour les motifs exposés ci-après, le Conseil juge que le plaignant s’est déchargé de son fardeau de prouver que l’intimée a contrevenu à chacun des chefs de la plainte modifiée.
PLAINTE
[10] La plainte modifiée est libellée ainsi :
Je, soussigné, M. André Lacaille, CRIA, agissant ès qualités de syndic adjoint de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec, sis au 1200, av. McGill College, Bureau 1400, à Montréal, province de Québec, affirme solennellement et dis :
Que je suis raisonnablement informé, ai raison de croire et crois véritablement que Mme Marie-Christine Hébert, membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec (CRIA) a commis des actes dérogatoires relativement à sa gestion des formulaires d’autodéclaration de santé préembauche pour le bénéfice de la CSDM, à savoir :
1. […]-;
1. En ayant utilisé des formulaires d’autodéclaration de santé préembauches intrusifs, en omettant de corriger dans les meilleurs délais les formulaires d’autodéclaration de santé préembauches, et en omettant de valider dans les meilleurs délais la pertinence de ces questions pour les périodes se situant entre les mois de février 2016 et octobre 2019, contrairement à l’article 12 du Code de déontologie des CRHA
2. […].
2. En omettant de tenir un dossier complet concernant son travail, ses échanges et ses notes professionnelles relativement à l’élaboration et à la gestion des projets de formulaires d’autodéclaration de santé préembauches, ainsi que ses recommandations, l’élaboration et la validation des questions associées aux aptitudes et aux habiletés requises pour chacun des postes de son employeur, contrairement à l’article 2.02 du règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets de consultation des CRHA du Québec.
En conséquence, vu ce qui précède, je porte la présente plainte contre Mme Marie-Christine Hébert.
[Transcription textuelle]
CONTEXTE
La preuve du plaignant
La preuve concernant le chef 1 (pratiques discriminatoires ou illégales)
[11] Le 2 octobre 2019, le plaignant prend connaissance d’une coupure de presse[4] où il est fait mention que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) a déposé devant la Cour supérieure un recours en dommages contre la CSDM. Selon cette coupure de presse, la CDPDJ fait valoir qu’un formulaire préembauche devant être complété par les personnes posant leurs candidatures à un poste à la CSDM contrevient à leurs droits fondamentaux.
[12] Le plaignant procède alors à un examen de la liste des membres de l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec (l’Ordre) exerçant à la CSDM et constate que le nom de l’intimée y apparaît[5]. Celle-ci détient le poste de directrice adjointe au Service de la gestion des personnes et du développement des compétences, soit le poste le plus élevé hiérarchiquement occupé par des membres de l’Ordre oeuvrant à la CSDM.
[13] Le 28 octobre 2019, le plaignant rencontre l’intimée et celle-ci lui fait parvenir les différents formulaires préembauches dont il est question dans la plainte[6]. Le même jour, il apprend que la CSDM retire ces formulaires.
[14] Pendant l’enquête disciplinaire, l’intimée confirme que les candidats devaient compléter un ou l’autre des différents formulaires d'autodéclaration de santé préembauches pour les postes destinés aux personnes suivantes :
· Aux gestionnaires, professionnels et personnels de soutien qui ne sont pas en service direct aux élèves;
· Au personnel de soutien manuel, d’entretien et des services;
· Aux enseignants, gestionnaires, professionnels et personnels de soutien en service direct aux élèves.
[15] L’intimée confirme au plaignant avoir été impliquée dans le cadre d’un mandat qui lui a été confié par la CSDM relativement aux formulaires d’autodéclaration de santé préembauches de même qu’au niveau de leur utilisation.
[16] Les trois modèles de formulaires comportent un bloc de questions, quelle que soit la catégorie de poste recherchée, précédée de la mise en garde suivante :
Ce questionnaire médical préemploi a pour objectif de s’assurer que votre état de santé est compatible, d’une part, avec les exigences de l’emploi et d’autre part, avec une prestation normale et régulière de travail. Votre candidature ne pourra être considérée que si vous répondez à toutes les questions du présent formulaire. Veuillez inscrire vos initiales au bas de chacune des pages du document lorsque vous aurez rempli le formulaire, le signer, l’insérer dans une enveloppe et l’apporter lors de votre rencontre d’entrevue.
En vertu de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics
(LRQ, c. A-2.01), la Commission scolaire de Montréal (CSDM) souscrit au programme d’accès à l’égalité en emploi et encourage notamment les personnes handicapées à présenter leur candidature. Cette loi vise à rendre le personnel des organismes publics plus représentatif de la main-d’œuvre disponible et à corriger les pratiques du système d’emploi pouvant avoir des effets d’exclusion sur les groupes visés, soit les femmes, les autochtones, les membres des minorités visibles, les membres des minorités ethniques et les personnes handicapées. Par conséquent, la CSDM doit s’assurer de la représentativité de son personnel dans tous les corps d’emploi qu’elle recrute.
Toute fausse déclaration ou omission peut entraîner le rejet de votre candidature ou, advenant votre embauche, la résiliation du lien d’emploi. Par conséquent, en cas de doute, il est préférable de déclarer toute information en lien avec votre état de santé. Les informations transmises seront traitées en toute confidentialité.
[Emphases ajoutés]
[17] Le plaignant souligne premièrement que le candidat doit répondre à toutes les questions portant sur son état de santé. En second lieu, le candidat s’expose à voir sa candidature rejetée s’il omet de répondre à toutes ces questions ou fournit une réponse fausse et son lien d’emploi pourrait même être ultérieurement résilié le cas échéant.
[18] Le plaignant rappelle que le candidat n’est pas en posture pour contester au moyen d’un grief les questions intrusives auxquelles il doit répondre pour obtenir un poste.
[19] Lors de sa rencontre avec l’intimée, il relate que cette dernière a évoqué que les candidats ont une certaine flexibilité dans leurs réponses et qu’ils ne sont pas tenus de compléter chacune des questions posées dans le formulaire. Le plaignant souligne que le texte de mise en garde ci-haut ne laisse, au contraire, aucune latitude au candidat.
[20] Comme déjà mentionnés, les formulaires comportent un bloc de questions suivi d’une déclaration du candidat :
1. Avez-vous déjà été victime d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle? Si oui, précisez la nature de l’accident de travail ou de la maladie professionnelle et inscrivez, le cas échéant, les limitations fonctionnelles temporaires ou permanentes suite à cet accident ou cette maladie.
2. Avez-vous des limitations fonctionnelles, temporaires ou permanentes, confirmées par un médecin? Si oui, précisez.
3. Avez-vous un dossier actif à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST)? Si oui, précisez.
4. Avez-vous déjà subi un accident automobile ou été victime d’un acte criminel ayant occasionné une blessure? Si oui, précisez.
5. Avez-vous déjà été déclaré(e) inapte à un emploi, des emplois ou tout emploi? Si oui, précisez.
6. Avez-vous ou avez-vous déjà eu des problèmes de vision? Ex. perte de vision, difficulté à distinguer des couleurs, vision double ou autres. Si oui, précisez.
7. Avez-vous ou avez-vous déjà eu des problèmes d’ouïe? Ex. surdité, problème d’équilibre ou autres. Si oui, précisez.
8. Avez-vous ou avez-vous déjà eu des problèmes de santé ou niveau musculo-squelettique? Ex. rhumatisme, arthrite, arthrose, bursite, tendinite, épicondylite, fibromyalgie ou autres. Si oui, précisez.
9. Avez-vous ou avez-vous déjà eu des problèmes neurologiques? Ex. migraines, troubles de l’équilibre, pertes de conscience, convulsions, paralysie, pertes de mémoire, épilepsie, sclérose en plaques ou autres. Si oui, précisez.
10. Avez-vous ou avez-vous déjà souffert de problèmes de santé mentale ? Ex. dépression, troubles anxieux ou émotifs, crises de panique, phobies, épuisements, troubles d’adaptation, troubles bipolaires, troubles psychotiques? Si oui, précisez.
11. Avez-vous ou avez-vous déjà eu, dans les cinq (5) dernières années, des problèmes de dépendance à l’alcool, aux drogues, aux jeux ou autres? Si oui, précisez.
12. Consommez-vous des médicaments d’ordonnance, de façon temporaire ou permanente ou est-ce qu’un médecin vous a prescrit des médicaments d’ordonnance que vous devriez prendre de façon temporaire ou permanente? Si oui, précisez.
DÉCLARATION DE LA CANDIDATE OU DU CANDIDAT
Je soussigné(e) déclare avoir compris les questions de ce formulaire et certifie que mes réponses à chacune de ces questions sont vraies et complètes. Je comprends que toute fausse déclaration ou omission peut entraîner le rejet de ma candidature ou, advenant mon embauche, la résiliation du lien d’emploi. Je consens à subir un examen médical, sur demande.
[21] Outre ce bloc de douze questions, certains formulaires en ajoutent quelques-unes supplémentaires.
[22] Or, le plaignant souligne que ces questions n’ont aucun lien avec les aptitudes pour occuper tel ou tel poste contrairement à ce que l’intimée a invoqué pendant son enquête. Il note le caractère très large des demandes. Par exemple, le candidat doit dévoiler tout problème de santé, quel qu’il soit. S’il a déjà eu une dépression à la suite du décès d’un proche, il doit le déclarer. À la dernière question, on cherche à connaître tous les diagnostics posés chez un candidat, sans limites de temps.
[23] Lors de son enquête, l’intimée a reconnu que les questions permettent de contrôler les coûts liés aux avantages sociaux et ceux de l’assurance salaire puis, à filtrer les candidats à un nombre varié de postes, quelque 120 postes selon les données recueillies par le plaignant[7].
[24] Le plaignant compare cette situation avec celle où la CSDM offre aux employés, dans le cadre d’un programme d’accès à l’égalité en emploi, la possibilité de demander un accommodement fondé sur un handicap[8]. Les questionnaires d’autodéclaration de santé préembauches permettent d’agir en amont dans le processus.
[25] Pendant l’enquête du plaignant, l’intimée reconnaît que les questions prévues aux formulaires sont susceptibles d’être contestées, mais cela en vaut le coût.
[26] Selon le plaignant, un candidat est ainsi appelé à dévoiler une foule d’informations personnelles, sans égard à son droit à la vie privée. Celui-ci est susceptible de voir sa candidature rejetée sur la base d’une discrimination. Exiger ainsi des informations sur l’état de santé d’un candidat, alors que cela n’a aucun rapport avec les aptitudes au travail est une pratique que l’Ordre ne peut tolérer de la part de ses membres.
La preuve concernant le chef 2 (tenue de dossiers)
[27] Par ailleurs, lors de sa rencontre avec l’intimée, le plaignant constate que celle-ci n’a constitué aucun dossier relativement à l’exécution de son mandat portant sur les formulaires d'autodéclaration de santé préembauches.
[28] Notamment, l’intimée n’a aucun dossier portant sur l’analyse de la pertinence des douze questions au formulaire en lien avec un emploi. Aucune mesure objective n’est consignée.
[29] À la suite de leur rencontre, l’intimée a récupéré diverses informations et les a assemblées. Il lui a fallu plusieurs journées.
[30] Le plaignant constate que si l’intimée avait quitté son poste, il n’y avait rien pour permettre à une autre personne de comprendre ce qui a été fait et quel a été le cheminement. Ainsi, il retient qu’il n’y a aucun portrait clair des études ayant mené aux questions du formulaire, aucune recommandation écrite, aucune étude des avantages et inconvénients, aucun résumé de rencontre ou procès-verbaux.
[31] Le plaignant ajoute que si l’employeur de l’intimée avait à se défendre, l’intimée ne lui a ménagé aucun outil pour permettre d’expliquer comment elle a pu arriver à un tel résultat.
A) Le plaignant s’est-il déchargé de son fardeau de prouver que l’intimée a contrevenu à chacun des chefs de la plainte modifiée?
ANALYSE
i) Le fardeau de preuve
[32] La Cour d’appel, dans l’arrêt Bisson c. Lapointe[9], rappelle les règles applicables au fardeau de la preuve en droit disciplinaire :
[66] Il est bien établi que le fardeau de preuve en matière criminelle ne s’applique pas en matière civile[43]. Il est tout aussi clair qu’il n’existe pas de fardeau intermédiaire entre la preuve prépondérante et la preuve hors de tout doute raisonnable, peu importe le « sérieux » de l’affaire. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt F.H. c. McDougall, a explicitement rejeté les approches préconisant une norme de preuve variable selon la gravité des allégations ou de leurs conséquences[44].
[67] Cependant, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Comme démontré plus haut, le Conseil avait bien à l’esprit cette norme et la proposition des juges majoritaires qui soutient le contraire est, avec égards, injustifiée.
[68] Comme le rappelle la Cour suprême, « [a]ussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était, à ses yeux, suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités ».[45]
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[43] Hanes c. Wawanesa Mutual Insurance Co., 1963 CanLII 1 (SCC), [1963] R.C.S. 154, repris dans F.H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41, paragr. 41.
[44] Supra, note 43, voir paragr. 45.
[45] Supra, note 43, voir paragr. 46.
[33] Plus récemment, la Cour d’appel[10] a réitéré que les notions juridiques exposées dans l’arrêt Bisson c. Lapointe constituent l’état du droit.
[34] Le Conseil doit considérer la preuve faite devant lui et décider si elle constitue la preuve suffisante de l’infraction correspondant au lien de rattachement énoncé au chef d’infraction[11].
[35] La Cour d’appel a décidé que les éléments essentiels d’un chef de plainte disciplinaire ne sont pas constitués par son libellé, mais par les dispositions de rattachement qu’on reproche au professionnel d’avoir violées[12].
[36] Le Conseil détermine ainsi la culpabilité ou l’acquittement de l’intimée à l’égard de chacune des dispositions de rattachement invoquées.
ii) La faute
[37] La faute professionnelle doit atteindre un niveau de gravité suffisant pour être qualifiée de faute professionnelle :
[43] Pour éviter un exercice de pondération arbitraire basé sur des facteurs variables au gré des circonstances de chaque cas, la jurisprudence et la doctrine préconisent de s'en remettre aux fondements mêmes de la déontologie professionnelle, c'est-à-dire aux valeurs inspirées par l'éthique, la moralité, la probité, l'honneur et la dignité nécessaires pour assurer la protection du public[13].
[38] Lorsque la norme est décrite dans la réglementation, la moralité et l’éthique sont nécessairement enfreintes en cas de manquement[14].
[39] Il faut distinguer entre un comportement souhaitable et celui qui se situe en dessous du comportement acceptable. Seul ce dernier peut constituer une faute déontologique[15].
[40] Le Conseil doit rechercher si le comportement visé par la plainte s’écarte gravement de la conduite applicable[16].
iii) L’argumentation du plaignant sur culpabilité
[41] Le plaignant réfère à une publication de la CDPDJ[17] portant sur l’interprétation de l’article 18.1 de la Charte des droits et libertés de la personne[18] lequel prévoit :
18.1 Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés dans l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l’application de l’article 20 ou à l’application d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande.
[42] Celui-ci invoque l’interdiction de discriminer au moment de l’embauche et que l’employeur doit démontrer que les renseignements sont requis dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause et qu’ils sont raisonnablement nécessaires pour réaliser ce but légitime lié au travail conformément à ce qui est requis par l’article 20 de la même Charte :
20. Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi, ou justifiée par le caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif d’une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d’un groupe ethnique est réputée non discriminatoire.
[Emphase ajoutée]
[43] Le plaignant réitère que l’on ne peut pas poser un bloc type de questions pour n’importe quel genre d’emploi. Dans ce contexte, les questions aux formulaires sont beaucoup trop ouvertes. On ne peut ainsi obtenir un bilan de santé complet. Or, un candidat n’est tenu de révéler que les seules informations pertinentes pour évaluer les qualités ou aptitudes requises par l’emploi.
[44] Le plaignant réfère à un jugement du Tribunal des droits de la personne pour illustrer le bien-fondé de sa position, soit l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville)[19].
iv) Décision du Conseil sur la culpabilité
[45] Le plaignant invoque les dispositions de rattachement suivantes :
Chef 1 (pratiques discriminatoires ou illégales)
Code de déontologie des membres de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec[20]
12. Le membre doit éviter toute attitude ou méthode susceptibles de nuire à la réputation de la profession et à son aptitude à servir l’intérêt public. Il doit éviter d’avoir recours à des pratiques discriminatoires, frauduleuses ou illégales et doit refuser de participer à de telles pratiques.
Chef 2 (tenue de dossiers)
Règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets de consultation des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec[21]
2.02. Un conseiller doit consigner dans chaque dossier les éléments et renseignements suivants:
a) la date d’ouverture du dossier;
b) le nom, l’adresse et le numéro de téléphone du client;
c) une description sommaire des motifs de la consultation;
d) une description des services professionnels rendus et leur date;
e) les recommandations faites au client; et
f) la correspondance et les autres documents appartenant au client et relatifs aux services professionnels rendus.
Décision sous le chef 1
[46] L’ensemble de la trame factuelle rapportée par le plaignant ne fait l’objet d’aucune contestation.
[47] La preuve prépondérante démontre que l’intimée a été impliquée dans le cadre d’un mandat qui lui a été confié relativement à des formulaires d’autodéclaration de santé préembauches eu égard à des postes offerts par la Commission scolaire de Montréal. Le chef 1, tel qu’amendé, lui reproche d’avoir utilisé ces formulaires et d’avoir omis de les corriger ainsi que d’avoir omis de valider la pertinence des questions posées.
[48] Le plaignant a démontré que le même bloc de questions portant sur l’état de santé des candidats a été utilisé pour un grand nombre de postes variés d’une part et que d’autre part les questions posées ne sont pas fondées sur les aptitudes ou qualités requises par les différents emplois en cause.
[49] En outre, la mise en garde et la déclaration apparaissant au début et à la fin de chacun des formulaires ne laissent aucune discrétion au candidat. Lorsque ce dernier souhaite être embauché par la CSDM, il doit nécessairement répondre à toute et chacune des questions apparaissant à ces formulaires.
[50] La preuve démontre que ces formulaires ont été utilisés, ce qui a d’ailleurs donné lieu à un recours intenté par la CDPDJ contre la CSDM.
[51] Le Conseil n’entend pas s’immiscer de quelque façon que ce soit dans le cadre de recours autres que celui pour lequel il doit se prononcer ni jauger les moyens de défense que l’employeur pourrait ou non soulever[22]. Toutefois, force est de conclure que la preuve non contestée présentée au Conseil permet de retenir que les candidats appelés à postuler à un poste peuvent faire l’objet de pratiques discriminatoires, frauduleuses ou illégales au sens de l’article 12 du Code de déontologie des membres de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec. Or, le membre de l’Ordre doit « éviter d’avoir recours » à de telles pratiques.
[52] Manifestement, tel n’est pas le cas dans la présente affaire puisque l’intimée ne conteste pas le fait que c’est dans le cadre d’un mandat qui lui été confié qu’ont été utilisées les questions intrusives et très larges apparaissant aux formulaires préembauches. Le chef d’infraction, tel qu’amendé, lui reproche plus précisément d’avoir omis de corriger ces formulaires et de valider la pertinence des questions qui y sont posées.
[53] Or, ces questions ne sont pas modulées en fonction de la centaine d’emplois pour lesquels des candidats peuvent postuler, mais elles permettent plutôt d’obtenir un bilan complet de santé de chacun d’eux de manière à supputer le coût que pourrait représenter leur embauche.
[54] En outre, le fait de poser des questions à un candidat au moyen d’un formulaire de préembauche est encadré par l’article 18.1 de la Charte des droits et libertés. L’utilisation de ces formulaires est de nature à induire des pratiques discriminatoires, car ils permettent à l’employeur de prendre en considération un handicap réel ou perçu découlant d’une condition mentale ou physique déclarée par le candidat[23].
[55] Selon la preuve, l’intimée ne pouvait ignorer que le bloc monolithique de questions posées dans chacun des formulaires utilisés dans le cadre de son mandat n’a pas de lien direct avec les aptitudes requises pour chacun des emplois offerts par la CSDM.
[56] Le Conseil juge que loin d’éviter d’avoir recours à des pratiques discriminatoires, ces formulaires préembauches sont plutôt de nature à susciter de telles pratiques. En outre, le fait de poser à des candidats des questions d’ordre médicales qui n’ont pas de lien avec les aptitudes à exécuter les tâches d’un poste sur lequel ils postulent brime leur droit à la vie privée protégé par l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne.
[57] Le fait par l’intimée d’avoir utilisé ces formulaires et d’avoir omis de les corriger ou d’en évaluer la pertinence comporte un haut niveau de gravité. En effet, les formulaires auxquels ont dû répondre des candidats à des postes ont forcé ces derniers à dévoiler des informations sur leur état de santé malgré la protection offerte par la Charte des droits et libertés de la personne. Selon la preuve, ces formulaires préembauches ont été utilisés par un employeur important, ne serait-ce que sur le plan de la taille, relativement à un grand nombre de postes. Nous sommes loin de l’erreur technique. Il s’agit plutôt d’un non-respect des droits fondamentaux d’autant plus que, selon la preuve non contestée, l’intimée savait que les questions préparées étaient controversées, mais elle a considéré quand même que cela en valait le coût.
[58] Le Conseil ajoute qu’en devenant membre de l’Ordre, l’intimée s’est engagée à respecter des obligations déontologiques. Tout en étant une employée d’une grande organisation, celle-ci a l’obligation de respecter chacune des dispositions qui ont été adoptées par son ordre professionnel dans l’intérêt du public. Le public aurait dû s’attendre à ce qu’elle évite d’utiliser des méthodes susceptibles de nuire à son aptitude à servir l’intérêt public. Or, tel n’a pas été le cas. Par ses gestes, l’intimée a omis de prendre le recul nécessaire pour respecter ses obligations déontologiques.
[59] Enfin, elle a nui à la réputation de sa profession. La coupure de presse déposée en preuve fait état d’un véritable tollé, ce qui a amené l’employeur de l’intimée à retirer le questionnaire.
[60] Vu ce qui précède, le Conseil déclare coupable l’intimée d’avoir contrevenu à l’article 12 du Code de déontologie des membres de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec.
Décision sous le chef 2
[61] La preuve non contredite permet de retenir que l’intimée n’a constitué aucun dossier de manière contemporaine aux événements. Il ne s’agit pas d’une tenue déficiente ou lacunaire, mais plutôt d’une absence complète de dossier. D’ailleurs, c’est ce que le plaignant a constaté et il a fallu à l’intimée une vingtaine de jours pour rapatrier divers documents dans le cadre de l’enquête disciplinaire.
[62] Le dossier est le reflet du travail exécuté par le membre de l’Ordre. Dans le présent cas, un autre professionnel qui aurait été appelé à prendre la relève de l’intimée n’aurait aucune description des services professionnels rendus par celle-ci ni leur date. Le client de l’intimée n’a aucun document expliquant la démarche ayant amené l’intimée à réaliser les formulaires préembauches. Cette situation est aussi préoccupante, car elle prive un syndic de la possibilité de s’assurer que les mentions prévues au règlement sont présentes alors que celui-ci doit veiller à la protection du public. Ajoutons que le fait pour un professionnel de tenir un dossier peut s’avérer salutaire pour ce dernier lorsque la demande du client est problématique, car il peut y consigner les motifs de la consultation, ses démarches et ses recommandations faites à ce dernier.
[63] Vu ce qui précède, le Conseil déclare coupable l’intimée d’avoir contrevenu à l’article 2.02 du Règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets de consultation des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec.
EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, LE 21 MAI 2021 :
Sous le chef 1
[64] A DÉCLARÉ l’intimée coupable à l’égard de l’infraction fondée sous l’article 12 du Code de déontologie des membres de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec.
Sous le chef 2
[65] A DÉCLARÉ l’intimée coupable à l’égard de l’infraction fondée sous l’article 2.02 du Règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets de consultation des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec.
[66] A DÉCIDÉ, avec le consentement des parties, de procéder à l’audition sur sanction le même jour.
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______________________________ Me MAURICE CLOUTIER Président
______________________________ M. ROBERT BRONSARD, CRHA Membre
______________________________ M. SERGE LAVERDIÈRE, CRIA Membre |
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Me Jacques Prévost |
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Avocat du plaignant |
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Me Jérôme Morency |
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Avocat de l’intimée |
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Date d’audience : |
21 mai 2021 |
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[1] RLRQ, c. C-26, article 145.
[2] Pièces P-1 à P-9.
[3] Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (section Québec) c. Régie de l'énergie, 2010 QCCS 6658, paragr. 104 à 110.
[4] Pièce P-3 : La Presse, Le questionnaire médical préembauche de la CSDM attaqué devant les tribunaux, 2 octobre 2019.
[5] Pièce P-2 : Attestation.
[6] Pièce P-4.
[7] Pièces P-5 et P-6.
[8] Pièce P-7.
[9] Bisson c. Lapointe, 2016 QCCA 1078.
[10] Bichai c. Starra, 2017 QCCA 1530, paragr. 12.
[11] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Szaroz, 2018 QCTP 27, paragr. 23.
[12] Tremblay c. Dionne, 2006 QCCA 1441, paragr. 84; Cuggia c. Champagne, 2016 QCCA 1479.
[13] Médecins (Ordre professionnel des) c. Bissonnette, 2019 QCTP 51, paragr. 43. Voir aussi : Tremblay c. Dionne, supra, note 12, paragr. 42.
[14] Médecins (Ordre professionnel des) c. Bissonnette, supra, note 13, paragr. 54.
[15] Gruszczynski c. Avocats (Ordre professionnel des), 2016 QCTP 143, paragr. 11; Architectes (Ordre professionnel des) c. Duval, 2003 QCTP 144, paragr. 11.
[16] Médecins (Ordre professionnel des) c. Bissonnette, supra, note 13, paragr. 51.
[17] Pièce P-8 : CDPDJ, Cat 2.128-1.6, février 2016, particulièrement la section 3 : Les questionnaires médicaux et les examens préembauches.
[18] RLRQ, c. C-12.
[19] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville), 2017 QCTDP 2.
[20] RLRQ, c. C-26, r. 81.
[21] RLRQ, c. C-26, r. 90.
[22] Christian Brunelle et Mélanie Samson, Chapitre IV - Les droits et libertés dans le contexte civil, Volume 8 - Droit public et administratif, Collection de droit 2021-2021, page 79.
[23] Christian Brunelle et Mélanie Samson, Chapitre IV - Les droits et libertés dans le contexte civil, Volume 8 - Droit public et administratif, Collection de droit 2021-2021, page 76.
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