Décision

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Centre Jeunesse Mauricie & Centre-du-Québec et Air Tamarac inc.

2009 QCCLP 1671

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Trois-Rivières

10 mars 2009

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossier :

299991-04-0610

 

Dossier CSST :

128439239

 

Commissaire :

Diane Lajoie, juge administratif

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Centre Jeunesse Mauricie & Centre-du-Québec

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Air Tamarac inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 3 octobre 2006, Centre Jeunesse Mauricie & Centre-du-Québec, l’employeur, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 18 septembre 2006, à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision produite par l’employeur le 31 mai 2006 à l’encontre de la décision initiale rendue le 8 décembre 2005, parce que cette demande a été produite hors délai, sans motif raisonnable.

[3]                Par cette décision du 8 décembre 2005, la CSST déclare que la totalité des coûts dus en raison de l’accident du travail subi la travailleuse, madame Manon Lagacé, le 8 juillet 2005 doit être imputée à l’employeur.

[4]                À l’audience tenue le 6 janvier 2009, l’employeur est présent et représenté. La partie intéressée, Air Tamarac inc., a avisé le tribunal de son absence à l’audience et a fait parvenir une argumentation écrite. La CSST, qui est dûment intervenue au dossier, est représentée par sa procureure.

[5]                Lors de cette audience, le tribunal a entendu la requête de l’employeur présentée dans le présent dossier et celle présentée dans le dossier 306589 qui concerne également une demande de transfert de coûts pour le même événement. L’employeur indique au tribunal qu’il souhaite présenter une preuve commune et demande à ce que la preuve présentée dans un dossier soit versée dans l’autre dossier, à l’exception du témoignage de madame Bettez qui n’est pertinent qu’au présent dossier. La procureure de la CSST ne s’objecte pas à cette demande.

[6]                En conséquence, à l’exception du témoignage de madame Bettez, la preuve du présent dossier est versée dans le dossier 306589 et celle du dossier 306589 est versée au présent dossier, conformément à l’article 29 du Règlement sur la preuve et la procédure devant la Commission des lésions professionnelles[1].

[7]                L’affaire est prise en délibéré le 6 janvier 2009.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[8]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que sa demande de révision est recevable. Il allègue avoir un motif raisonnable justifiant son retard à agir.

[9]                L’employeur demande également au tribunal de lui accorder un transfert des coûts dus en raison de l’accident du travail subi par madame Lagacé le 8 juillet 2005 en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).

LES FAITS

[10]           À l’époque pertinente, la travailleuse occupe un emploi d’agente de relations humaines chez l’employeur. Le 8 juillet 2005, en compagnie de sa collègue de travail Julie Lapierre, elle doit se rendre à la pourvoirie Ashimak, en hydravion, pour y effectuer une évaluation à la suite d’un signalement en matière de protection de la jeunesse. Quelques minutes après le décollage, l’hydravion s’écrase.

[11]           Le transporteur aérien est Air Tamarac inc.

[12]           Dans une lettre datée du 26 juillet 2005, le président de Hélibec inc[3]. donne sa version des faits. Il écrit :

«(…) le chef pilote appel le pilote pour l’aviser que sur le nord il y a du brouillard à quelques km, la réponse du pilote est alors pas de problème je vois du bleu !!!!! Quelques instants plus tard tout en réchauffant le moteur le chef pilote remarque que l’appareil tout en se dirigeant du côté sud s’est rapproché sur la rive de la rivière St-Maurice donc près de la montagne. Le chef pilote demande à nouveau au pilote s’il voit toujours le ciel car de son endroit il est difficile de voir exactement la direction du départ aussi bien que le pilote sur place, le pilote réponds à nouveau qu’il voit le ciel bleu dans sa direction et de ne pas s’inquiéter !!!!. L’appareil décolle vers 8.23 a.m……

Nous sommes trois sur place lors du décollage de l’hydravion en direction nord. Nous sommes à l’intérieur de la base lorsque l’appareil a percuté un arbre avec son aile gauche environ 35 secondes après son départ sur la rivière.» [sic]

 

[13]           La CSST reconnaît que la travailleuse a subi un accident du travail le 8 juillet 2005. Les diagnostics reconnus en lien avec cet accident sont ceux d’état de stress post traumatique, de commotion cérébrale, de contusion et de spasme musculaire à l’épaule droite.

[14]           Il appert des notes évolutives du dossier que la travailleuse mentionne à la CSST qu’elle doit se déplacer fréquemment en avion pour son travail. Elle estime avoir pris l’avion environ 12 fois en deux ans.

[15]           Le 19 août 2005, l’employeur présente à la CSST une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 326 de la loi. Il prétend que l’accident du travail est attribuable à un tiers.

[16]           Le 8 décembre 2005, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît que l’accident est attribuable à un tiers. Elle déclare cependant qu’il n’est pas injuste d’en imputer les coûts à l’employeur puisque l’accident fait partie des risques inhérents à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur.

[17]           Le 31 mai 2006, l’employeur demande la révision de cette décision.

[18]           Le 18 septembre 2006, la CSST rend une décision, à la suite d’une révision administrative, par laquelle elle déclare irrecevable la demande de révision de l’employeur parce que produite hors délai, sans motif raisonnable. Cette décision est maintenant contestée devant le présent tribunal.

[19]           L’employeur dépose au dossier le rapport d’événement de la Sureté du Québec (E-1).    On y lit que l’écrasement de l’hydravion est survenu le 8 juillet 2005, vers 8 h 35, peu de temps après le décollage. L’événement est ainsi décrit :

«Le pilote a été surpris par la densité du brouillard au dessus de la rivière St-Maurice. Lorsque celui-ci a décidé de piloter aux instruments, l’hydravion avait déjà dévié vers la gauche ce qui a provoqué l’écrasement quelques instants plus tard contre la montagne.»

 

[20]           Le policier Chartier conclut que l’événement est dû au brouillard très dense mal évalué par le pilote. Il précise qu’il n’y a aucun élément criminel dans ce dossier.

[21]           L’employeur dépose également au dossier la décision de classification rendue par la CSST le 30 octobre 2008 (E-2) qui classe l’employeur dans les unités 59050 et 59070. Ces unités de classification sont ainsi décrites :

59050 : Maison d’hébergement pour les personnes en difficulté d’adaptation; centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation; centre de réadaptation pour les mères en difficulté d’adaptation.

 

59070 : Pratique de la médecine; services de consultation dans les domaines de la santé ou des services sociaux; services de traitements physiques; services d’optométrie; services d’un opticien d’ordonnances.

 

[22]           Il appert de la pièce E-4, que la lésion est consolidée le 4 décembre 2007 et que le 4 janvier 2008, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît à la travailleuse le droit à la réadaptation.

[23]           Madame Line Bettez témoigne à l’audience. Elle est chef du recrutement , de la sélection, de l’embauche et de la liste de rappel au CSSS de Trois-Rivières.

[24]           Au moment de la survenance de l’accident du travail qui nous occupe, elle est à l’emploi de l’employeur comme conseillère en gestion des ressources humaines. À ce titre, les dossiers CSST, dont celui de la travailleuse, sont sous sa responsabilité.

[25]           Madame Bettez témoigne que c’est elle qui a présenté à la CSST la demande de partage de coûts, laquelle a été refusée par la décision de la CSST rendue le 8 décembre 2005.

[26]           Madame Bettez témoigne que cette période est particulièrement intense au travail. Elle explique qu’elle siège alors sur un comité régional auprès de qui plusieurs compagnies font des représentations. Cette implication au sein de ce comité lui demande beaucoup de temps et d’énergie.

[27]           Aussi, une des conseillères s’est absentée du travail afin d’accompagner son conjoint en phase terminale.

[28]           Enfin, madame Bettez doit gérer un important dossier de plainte de harcèlement psychologique et sexuel déposée par une employée à l’encontre d’un cadre. Elle explique que ce dossier a pris des proportions énormes et a dégénéré. La plaignante a accusé de nombreuses personnes au travail et a porté plainte à divers organismes et instances. Cette personne a perdu tout contrôle sur elle-même.

[29]           Au surplus, madame Bettez apprend durant cette même période que son père passera son dernier Noël. Il est décédé le 18 avril 2006.

[30]           L’ensemble de ces éléments affecte beaucoup la travailleuse.  Elle abandonne des cours (anglais, yoga). Elle manque d’énergie et de concentration. Elle demande même de l’aide au Programme d’aide aux employés. Malgré cela, elle réussit à maintenir un bon suivi de l’ensemble des dossiers dont elle a la responsabilité.

[31]           Le suivi du refus de la demande de partage de coûts est en fait le seul dossier qui lui a échappé durant cette période. D’ailleurs, elle remarque que la décision du 8 décembre 2005 ne porte pas d’étampe d’accusé réception, alors qu’on en retrouve une sur celle du 18 septembre 2006 rendue à la suite d’une révision administrative.

[32]           Selon elle, c’est probablement en faisant la revue de tous les dossiers CSST avec la docteure Paquin que le dossier qui nous occupe ici a refait surface. C’est la docteure Paquin qui a alors constaté que la décision du refus de la demande de transfert de coûts n’avait pas été contestée, ce qui fut fait immédiatement le 31 mai 2006.

[33]           Madame Bettez témoigne qu’elle est d’avis, et ce depuis le début, que cette décision n’est pas fondée.

[34]           Madame Bettez a quitté le Centre Jeunesse en juillet 2006.

[35]           Monsieur Richard Dufresne témoigne à l’audience. Il est Directeur des ressources humaines du Centre Jeunesse Mauricie & Centre-du-Québec. Il œuvre dans le milieu depuis 1988.

[36]           Monsieur Dufresne dépose au dossier le document E-5 intitulé Plan d’organisation 2008-2011 du Centre Jeunesse de la Mauricie et du Centre-du-Québec.  Il explique que le centre a comme mission la protection de l’enfance et de la jeunesse. Dans le cadre de cette mission, des signalements reçus et retenus doivent être évalués, ce qui implique un déplacement sur les lieux. 

[37]           Monsieur Dufresne témoigne que la travailleuse est évaluatrice au bureau de La Tuque. Le territoire desservi par ce bureau compte très peu de personnes de sorte que les signalements sont rares. Selon le témoin, le Centre Jeunesse Mauricie & Centre-du-Québec reçoit par année plus de 6000 signalements. Il estime qu’il y a pour la région de La Tuque deux ou trois signalements.

[38]           Dans la présente affaire, le signalement retenu devait être évalué et nécessitait une intervention rapide. C’est pourquoi il a été décidé que la travailleuse se rendrait sur les lieux en avion. De plus, puisqu’il s’agit d’un milieu isolé, la travailleuse ne s’y rend pas seule. Elle est donc accompagnée de madame Lapierre.

[39]           Monsieur Dufresne témoigne qu’il y a en tout 40 agents d’évaluation à l’emploi de l’employeur. Leurs déplacements se font en majorité par automobile. L’employeur dispose d’un parc automobile qu’il met à la disposition de ses évaluateurs. Il permet également les déplacements en taxis. Dans la région, les déplacements peuvent aussi se faire par les chemins forestiers ou en train. Le transport en avion est, selon le témoin, marginal.

[40]           Pour appuyer ses propos, monsieur Dufresne dépose au dossier la pièce E-6, qu’il a préparé avec l’aide et le soutien du secteur des finances. On retrouve dans ce document le nombre de kilomètres parcourus par le parc automobile, par les véhicules personnels des employés et en taxi pour la période du 1er avril 2006 au 31 mars 2007, soit 1 719 240 km. Ces données ont été colligées à partir des pièces justificatives produites pour le paiement des factures.

[41]           Ce document indique de plus que sur une période de 42 mois, soit du 1er avril 2004 au 7 septembre 2007, l’employeur a eu recours à l’avion pour un déplacement d’un travailleur à une seule occasion. En ajoutant à ce déplacement celui de la travailleuse le 8 juillet 2005, le nombre de déplacement en avion est de deux, pour cette période.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[42]           En premier lieu, la Commission des lésions professionnelles doit décider de la recevabilité de la demande de révision présentée par l’employeur le 31 mai 2006.

[43]           L’article 358 de la loi prévoit qu’une personne peut demander la révision d’une décision rendue par la CSST dans les 30 jours de sa notification :

358.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

 

Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .

 

Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .

__________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.

 

 

[44]           En l’espèce, l’employeur ne nie pas avoir reçu la décision rendue le 8 décembre 2005. En l’absence d’une preuve de la date exacte de sa notification, le tribunal retient que l’employeur l’a reçue dans le délai normal de livraison postale soit de trois à quatre jours plus tard.

[45]           L’employeur produit sa demande de révision le 31 mai 2006. Force est de constater qu’il ne respecte pas le délai prescrit.

[46]           Toutefois, la CSST peut relever une personne de son défaut si un motif raisonnable est démontré :

358.2.  La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.

__________

1997, c. 27, a. 15.

 

 

[47]           La loi ne définit pas la notion de motif raisonnable. Il convient donc de s’en remettre à la définition retenue par la jurisprudence voulant que cette notion est une notion large permettant de considérer un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer, à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture, des circonstances, si une personne a un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion.

[48]           Le tribunal estime qu’en l’espèce l’employeur a démontré un motif raisonnable permettant de le relever de son défaut d’avoir agi dans les délais légaux.

[49]           Il appert du témoignage de madame Bettez que c’est elle qui avait la responsabilité du dossier CSST de la travailleuse. C’est d’ailleurs elle qui a présenté à la CSST la demande de partage de coûts. Il appert également de son témoignage qu’à la période où la décision du 8 décembre 2005 refusant le transfert de coûts a été rendue, elle vivait au travail et dans sa vie personnelle une situation particulière et exceptionnelle.

[50]           Le tribunal constate que l’employeur a par ailleurs géré l’ensemble de ce dossier avec diligence. Madame Bettez témoigne de plus que, malgré la situation difficile qu’elle vivait, elle a réussi à assurer le suivi de tous ses dossiers, exception faite de la demande de révision de la décision du 8 décembre 2005.

[51]           Le tribunal retient de la preuve que si la demande de révision n’a pas été présentée dans le délai de 30 jours, ce n’est aucunement par négligence ou par manque d’intérêt de la part de l’employeur ou de madame Bettez.

[52]           Le tribunal estime que les éléments décrits par madame Bettez étaient suffisamment difficiles et perturbants pour expliquer qu’elle ait pu «échapper», pour reprendre son expression, un dossier.

[53]           Le tribunal considère de plus que dès que madame Bettez a constaté son erreur, elle a agi promptement. Aussi, elle affirme que dès le début, elle est d’avis que cette décision n’est pas fondée.

[54]           En conclusion, le tribunal est d’avis que compte tenu du comportement de madame Bettez, et des circonstances exceptionnelles qui prévalaient dans sa vie professionnelle et personnelle le ou vers le 8 décembre 2005, il y a lieu de relever l’employeur de son défaut d’avoir agi dans les délais légaux.

[55]           En conséquence, la demande de révision de l’employeur est recevable.

[56]           La Commission des lésions professionnelles doit donc maintenant décider si l’employeur a droit à un transfert de coûts en vertu de l’article 326 de la loi. Cet article se lit comme suit :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[57]           En premier lieu, le tribunal constate que la demande de transfert de coûts produite le 19 août 2005 respecte le délai prescrit.

[58]           L’employeur soumet que l’accident du travail subi par la travailleuse le 8 juillet 2005 est attribuable à un tiers et qu’il est injuste de lui en imputer les coûts.

[59]           Afin de statuer sur le présent litige, le tribunal s’en remet aux principes élaborés dans la décision rendue dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[4].

[60]           Pour réussir dans son recours, l’employeur doit démontrer qu’il y a eu un «accident du travail», que cet accident est «attribuable» à «un tiers» et qu’il est «injuste» de lui en imputer les coûts.

[61]           En l’espèce, il n’est pas remis en question que la travailleuse a subi le 8 juillet 2005 un accident du travail.

[62]           À qui cet accident est-il attribuable?. Dans l’affaire Ministère des Transports et CSST précitée, le tribunal retient la règle voulant que l’accident est attribuable à la personne dont les agissements ou les omissions s’avèrent être, parmi toutes les causes identifiables de l’accident, celles qui ont contribué non seulement de façon significative, mais plutôt de façon majoritaire à sa survenue, c’est-à-dire dans une proportion supérieure à 50%.

[63]           Dans sa décision rendue le 8 décembre 2005, la CSST reconnaît que l’accident est attribuable à un tiers. L’employeur ne conteste pas cette partie de la décision.

[64]           Toutefois, à l’audience, la représentante de la CSST plaide que l’accident du travail survenu le 8 juillet 2005 n’est pas attribuable à un tiers.

[65]           Bien qu’en vertu de l’article 377 de la loi, la Commission des lésions professionnelles procède de novo, il n’en demeure pas moins que les prétentions de la CSST soumises à l’audience s’apparentent à une contestation de sa part d’une partie de sa propre décision.

[66]           Bien que son intervention au dossier lui accorde le statut de partie, cela ne fait pas en sorte que la CSST puisse, à l’occasion de la contestation de l’employeur, ouvrir le débat sur une question qui ne fait pas partie du litige, d’autant plus qu’elle a ici reconnu que l’accident du travail était attribuable à un tiers.

[67]           La Cour d’appel, dans l’affaire McKenna[5], décide que l’article 429.16 de la loi confère clairement à la CSST non pas un rôle de simple intervenante, mais bien celui d’une véritable partie aux contestations. 

[68]           Si la CSST peut intervenir dans le cadre d’une contestation, ce n’est toutefois pas elle qui initie cette contestation.

[69]           Aussi, la Cour d’appel rappelle que la CSST doit, face à son pouvoir d’intervention, faire preuve d’une grande réserve et de retenue, de façon à ne pas être perçue comme un adversaire constant et systématique de la partie qui a perdu sa cause devant la juridiction administrative.

[70]           À tout événement, dans la présente affaire, le tribunal estime que la conclusion de la CSST voulant que l’accident du travail soit attribuable à un tiers est bien fondée. Il appert de la version des faits donnée par le président de Hélibec inc. que le pilote a reçu une mise en garde concernant la présence de brouillard. Malgré cela, il a décidé de décoller. Dans son rapport d’événement, le policier de la Sûreté du Québec conclut que l’écrasement de l’hydravion est dû à la mauvaise évaluation du pilote du brouillard très dense.

[71]           Le tribunal estime que l’écrasement de l’avion est majoritairement, sinon totalement attribuable au pilote qui, malgré la présence d’un brouillard intense, a décollé avec son hydravion.

[72]           Le pilote est un tiers puisqu’il est une personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs qui exécutent un travail pour ce dernier.

[73]           Il s’agit maintenant de déterminer s’il est injuste d’imputer à l’employeur les coûts dus en raison de cet accident du travail attribuable à un tiers.

[74]           Dans l’affaire Ministère des Transports et CSST précitée, la Commission des lésions professionnelles identifie divers facteurs qui peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation des coûts à l’employeur a pour effet de lui faire supporter injustement les coûts des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers.

[75]           Ces facteurs sont les suivants :

-  les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers     s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être      considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de             classification à laquelle il appartient ;

 

-  les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait      accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou          exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte      criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de        l’art;

 

-  les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte   particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.

 

[76]           Selon l’espèce, un seul ou plusieurs de ces facteurs seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence et l’importance relative de chacun.

[77]           Dans le présent dossier, les déplacements sont inhérents aux tâches de la travailleuse qui doit, dans le cadre de son travail, procéder à des évaluations de signalements et, pour ce faire, se rendre sur les lieux.

[78]           Cependant, dans la région éloignée où devait se rendre la travailleuse, les signalements sont très rares.

[79]           Il appert du dossier que la travailleuse a mentionné à l’agente de la CSST qu’elle devait voyager fréquemment en avion dans le cadre de son travail. Toutefois, cette affirmation est contredite par la pièce E-6 qui s’appuie sur des données vérifiables. Le tribunal retient donc que les déplacements en avion sont rares, soit deux fois en 42 mois.

[80]            Ainsi, non seulement les déplacements en avion sont rares, mais, au surplus, les circonstances de l’accident, soit un écrasement d’avion, revêtent, de l’avis du tribunal, un caractère inusité, rare et exceptionnel. Bien que le contexte particulier dans lequel travaille la travailleuse puisse impliquer qu’elle doit prendre l’avion pour se rendre sur les lieux d’un signalement, on ne peut certainement pas, en terme de probabilités, affirmer qu’un semblable accident, soit un écrasement d’avion, soit comparable, à un accident de la route survenant en milieu urbain.

[81]           En conséquence, le tribunal conclut qu’il est injuste de faire supporter à l’employeur les coûts dus en raison de l’accident du travail subi par la travailleuse, madame Manon Lagacé, le 8 juillet 2005.

                                                                                 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de l’employeur, Centre Jeunesse Mauricie & Centre-du-Québec;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 18 septembre 2006, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE recevable la demande de révision de l’employeur;

DÉCLARE que les coûts dus en raison de l’accident du travail subi par la travailleuse, madame Manon Lagacé, le 8 juillet 2005 doivent être transférés aux employeurs de toutes les unités.

 

 

__________________________________

 

Diane Lajoie

 

 

 

 

Me Marie-Josée Hétu

HEENAN BLAIKIE

Représentant de la partie requérante

 

 

Frédéric Sylvestre

SYLVESTRE & ASS.

Représentant de la partie intéressée

 

 

Marie-Noëlle Hamel

PANNETON LESSARD

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           A- 3.001, r.2.01.3

[2]           L.R.Q., c. A-3.001

[3]           Il appert du registre des entreprises que Hélibec est un autre nom pour la compagnie Air Tamarac inc., partie intéressée dans la présente affaire.

[4]           [2007] C.L.P. 1804 (formation de trois commissaires)

[5]           McKenna c. Commission des lésions professionnelles [2001] C.L.P. 491 (C.A.)

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