Akzo Nobel Canada et Gosselin
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2011 QCCLP 6734 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 22 mars 2011, monsieur Pierre Gosselin (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il demande la révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 23 février 2011.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille une requête de Azko Nobel Canada inc. (l’employeur), infirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 20 septembre 2010 à la suite d’une révision administrative et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 1er avril 2010.
[3] L’audience portant sur la requête en révision ou en révocation a lieu à la Commission des lésions professionnelles à Québec le 22 septembre 2011 en présence du travailleur qui est représenté par maître Georges-Étienne Tremblay. L’employeur est représenté par madame Nancy Evoy. L’affaire est mise en délibéré le 22 septembre 2011.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Par sa requête, le travailleur demande la révocation de la décision du 23 février 2011, en vertu des dispositions du second paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LES FAITS
[5] Lors de la présente audience, le travailleur témoigne qu’il a été dûment convoqué pour l’audition de sa cause, le 17 février 2011 à 13 h 30 au bureau de la Commission des lésions professionnelles à Québec.
[6] Il se présente un peu avant 12 h 45 en compagnie de monsieur Yvan Brault, président de son syndicat qui doit agir comme témoin. Il n’y a pas de ligne de piquetage aux abords de l’édifice. Ils se rendent à la salle d’attente au 8e étage. Il est prévu qu’ils doivent rencontrer le procureur du travailleur, maître Tremblay, avant l’audience. Ils attendent.
[7] Vers 13 h, une employée de la Commission des lésions professionnelles les informe que maître Tremblay vient d’appeler pour dire qu’il est à l’extérieur de l’édifice et qu’il y a une ligne de piquetage.
[8] Le travailleur et monsieur Brault quittent la salle d’attente et se dirigent au rez-de-chaussée. Monsieur Brault reste à l’intérieur de l’édifice au bord de la porte alors que le travailleur se rend auprès de maître Tremblay de l’autre côté de la ligne de piquetage. Le travailleur revient auprès de monsieur Brault et lui demande d’aller en salle d’audience faire une demande de remise. Lors de la présente audience, le travailleur témoigne en ces mots :
J’ai descendu, j’ai été vous [Me Tremblay] voir. J’ai vu qu’il y avait une ligne de piquetage. J’ai parlé avec. Après j’ai retourné voir monsieur Brault pis j’ai dit faire faire une remise parce que moi je ne franchis pas la ligne de piquetage pis je ne peux pas me défendre tout seul, je ne suis pas capable. Ça fait que j’ai dit vu que monsieur Tremblay ne passe pas une ligne de piquetage, moi non plus. J’ai déjà vécu des grèves pis des affaires de même, je sais c’est quoi. Je ne franchis pas une ligne de piquetage.
[9] Le travailleur est alors resté à l’extérieur de l’édifice derrière la ligne de piquetage. Les piqueteurs l’ont informé que tant qu’il serait présent, ils demeureraient sur la ligne de piquetage. Le travailleur décide alors de quitter les lieux vers 14 h.
[10] Il y a lieu de reproduire un extrait du contre-interrogatoire mené par la représentante de l’employeur lors de la présente audience :
Q. : Quand est-ce que vous êtes retourné chez vous?
R. : Vers 2 heures environ.
Q. : Qui vous a conseillé de vous en aller chez vous?
R. : C’est moi-même. J’ai dit je ne resterai pas ici toute la journée, d’une manière ou d’une autre.
[…]
Q. : Et quand vous avez décidé d’aller chez vous est-ce que vous saviez si la remise avait été acceptée ou refusée?
R. : Non
[…]
Q. : Est-ce que vous aviez eu l’accord de monsieur Tremblay pour vous en aller chez vous?
R. : Oui
Q. : Quand est-ce qu’il vous a donné cet accord là?
R. : Quand j’ai dit que je partais vers 2h00. Il a dit il n’y a pas de problème. On ne peut pas rentrer.
[11] Monsieur Brault témoigne également à l’audience. Il confirme qu’après la demande que lui fait le travailleur, il retourne au 8e étage et il fait verbalement une demande de remise, au nom du travailleur, pour le motif qu’il y a une ligne de piquetage et que ni le travailleur ni maître Tremblay ne veulent traverser la ligne de piquetage. Il invoque le caractère exceptionnel de la situation. Il ajoute qu’il est présent comme témoin dans la cause et non pas comme représentant. Il n’a même pas le dossier entre les mains.
[12] Afin de s’assurer de la trame des faits, la soussignée écoute l’enregistrement de l’audience du 17 février 2011.
[13] L’audience débute à 13 h 32. Monsieur Brault fait sa demande de remise tel qu’il est rapporté ci-haut. Le premier juge administratif suspend l’audience à 13 h 38 sans décider de la demande de remise présentée par monsieur Brault.
[14] Monsieur Brault quitte les lieux et rejoint le travailleur et maître Tremblay à l’extérieur de l’édifice. Il confirme que les grévistes ont dit qu’ils ne quitteraient pas la ligne de piquetage tant que le travailleur, maître Tremblay et lui-même seraient là.
[15] À l’instar du travailleur, vers 14 h, monsieur Brault quitte les lieux pour retourner chez lui. Maître Tremblay quitte également les lieux. La décision concernant la demande de remise n’est pas encore communiquée.
[16] À 14 h 23, le juge administratif reprend l’audience. Il indique avoir parlé à maître Tremblay qui lui a confirmé avoir quitté les lieux vers 13 h 55. Maître Tremblay n’avait pas l’intention de revenir. Le juge administratif a alors demandé à la représentante de l’employeur la position de celui-ci. Madame Evoy a répondu qu’elle était prête à procéder. Une nouvelle suspension de l’audience est décidée par le juge administratif à 14 h 27.
[17] À 14 h 59, le juge administratif reprend l’audience indiquant avoir reçu une demande de remise télécopiée du bureau de maître Tremblay. Il rend une décision séance tenante énonçant que la demande de remise est refusée pour absence de motifs raisonnables. L’audience est à nouveau suspendue à 15 h.
[18] Il y a reprise de l’audience à 15 h 07. Le juge administratif indique avoir communiqué avec la secrétaire de maître Tremblay, celui-ci n’étant pas disponible pour prendre l’appel, pour l’informer du refus de sa demande de remise. L’audience procède alors sur le fond du litige en l’absence du travailleur, de son représentant et de leurs témoins. L’audience se termine à 16 h 04.
[19] Le premier juge administratif prend alors l’affaire en délibéré. Il rend une décision écrite le 23 février 2011, exposant les motifs de son refus de remise de l’audience et procédant au fond du litige, il accueille la requête de l’employeur, infirme la décision de la CSST rendue à la suite d’une révision administrative et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 1er avril 2010.
[20] Maître Tremblay, représentant à nouveau le travailleur, dépose en son nom une requête en révision ou révocation invoquant que le travailleur n’a pu se faire entendre pour des motifs suffisants au sens du deuxième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi. Il s’agit de la requête dont est saisi le présent tribunal siégeant en révision ou en révocation.
[21] La requête en révision ou révocation est accompagnée d’une déclaration sous serment de maître Tremblay. On y lit ce qui suit :
1. Je suis Georges-Étienne Tremblay domicilié au …..;
2. Je suis salarié à la Confédération des syndicats nationaux (CSN) depuis janvier 1982;
3. J’étais représentant du travailleur Pierre Gosselin dans le dossier 420224 fixé pour audition devant la C.L.P. le 17 février 2011 à 13h30;
4. Le 17 février vers 12h45, il y avait une ligne de piquetage et tel que relaté dans la requête en révision cette ligne de piquetage était toujours présente vers 13h55 lorsque j’ai quitté le 890, Place d’Youville considérant l’impossibilité d’assumer une défense pleine et entière de travailleur et de procéder à l’audition de sa cause;
5. Depuis plus de 25 ans, je travaille aux Services régionaux de la CSN. Ces services sont maintenant connus sous le nom de Services d’appui à la mobilisation et à la vie régionale (SAMVR) ;
6. Considérant les principes auxquels je dois adhérer et mettre en pratique, ma crédibilité, celle de la CSN et du SAMVR m’obligent à respecter en tout temps une ligne de piquetage dans tout conflit de travail légal ou à tout le moins parfaitement légitime;
7. Dans le cas du conflit des juristes de l’État, il y a même eu une position politique à l’effet que les salariés membres de l’équipe de travail du Conseil central de Québec Chaudière-Appalaches (CCQCA) ne procèderaient pas devant la C.L.P. dans les dossiers où il y avait eu intervention de la CSST et qu’elle n’avait pas signifiée son intention de ne pas être présente à l’audition. Évidemment, il était hors de question de franchir une ligne de piquetage pour l’audition d’un dossier qu’il y ait eu intervention de la CSST ou pas;
8. Un avis fut transmis au président de la C.L.P. et aux greffes de Québec et de la région Chaudière-Appalaches de la C.L.P., les informant de la position politique du CCQCA relativement aux dossiers dans lesquels la CSST était intervenue (voir copie en annexe);
9. Il m’était personnellement impossible de franchir la ligne de piquetage le 17 février 2011, et d’assumer ainsi une représentation pleine et entière de M. Pierre Gosselin devant la C.L.P., considérant mon statut de salarié de la CSN et les principes que je dois défendre régulièrement;
10. J’ai signifié aux représentants des juristes de l’État le 17 février 2011 que je respectais leur ligne de piquetage. Je ne pouvais jouer au chat et à la souris avec ces travailleurs;
11. Je ne pouvais franchir la ligne de piquetage pour aller plaider que je ne pouvais franchir la ligne de piquetage;
12. J’ai communiqué à deux reprises avec Mme Stéphanie Gosselin de la C.L.P. entre 13h et 13h30 le 17 février 2011 pour lui exprimer que je ne pouvais assumer la défense pleine et entière du travailleur parce que je ne pouvais franchir la ligne de piquetage en tant que salarié de la CSN, que je pouvais même être congédié si je le faisais;
13. Dans trois autres dossiers devant la C.L.P. j’ai exprimé mon incapacité à assumer une défense pleine et entière dans les mêmes circonstances et il y a eu report des auditions;
14. Je suis au courant qu’un travailleur de la CSN (Fédération du commerce) a été congédié pour ne pas avoir respecté une ligne de piquetage des juristes de l’État dans un conflit antérieur;
15. Tous les faits allégués à l’appui de la requête en révision pour cause et dans le présent affidavit sont vrais à ma connaissance personnelle.
[22] La lettre adressée au président de la Commission des lésions professionnelles le 4 février par madame Ann Gingras, présidente du Conseil central Québec Chaudière-Appalaches de la CSN, dont mention est faite au paragraphe 8 de la déclaration sous serment de maître Tremblay, se lit comme suit :
Objet : Conflit collectif des membres de l’Association des juristes de l’État.
Monsieur le Président,
Par la présente nous vous signifiions la prise de position politique et concrète du Conseil central Québec Chaudière-Appalaches CSN relativement à la grève générale illimitée des juristes de l’État qui pourrait débuter le 8 février prochain.
Au sein de l’équipe de travail du CCQCA, il y a des salariés dont la fonction est d’assumer la défense de travailleurs et travailleuses devant la C.L.P. pour la région de Québec et celle de Chaudière-Appalaches.
Nous vous informons que les représentants CSN de l’équipe de travail du CCQCA, soit Pier-Olivier Angers, Audrey Croteau, Mario Précourt et Georges-Étienne Tremblay ne procèderont pas devant la C.L.P., si la CSST est intervenue dans ces dossiers et qu’elle n’a pas signifié son intention de ne pas être présente à l’audition.
Cette façon d’agir débutera la journée du début du conflit collectif (grève ou lock-out) et se terminera à la fin du conflit.
[…]
L’AVIS DES MEMBRES
[23] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que le travailleur n’a pas pu se faire entendre pour des raisons qu’ils jugent suffisantes lors de l’audience initiale du 17 février 2011 et qu’il avait des motifs légitimes à cet effet. En somme, ils accueilleraient la requête en révocation du travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[24] Le présent tribunal doit déterminer s’il y a lieu de révoquer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 23 février 2011.
[25] Soulignons que la Commission des lésions professionnelles ne peut réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue que pour l’un des motifs prévus à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[26] Ainsi, pour pouvoir bénéficier de la révision ou de la révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles, une partie doit démontrer, par une preuve prépondérante dont le fardeau lui incombe, l’un des motifs prévus par le législateur à la disposition précitée, sans quoi, sa requête doit être rejetée.
[27] Comme l’énonce la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles[2], les pouvoirs de révision et de révocation prévus à l’article 429.56 de la loi doivent être considérés comme une procédure d’exception ayant une portée restreinte.
[28] En l’espèce, le travailleur demande la révocation de la décision du premier juge administratif invoquant le droit d’être entendu prévu au deuxième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi.
[29] À l’appui de ses prétentions, il dépose une décision de la Commission des lésions professionnelles, l’affaire Casino de Hull et Gascon[3] dont il sera question plus loin. Il dépose également un extrait de l’ouvrage de Patrice Garant sur le Droit administratif daté de 2004[4], insistant sur des passages concernant le devoir d’agir équitablement et la règle audi alteram partem à savoir :
Paragraphe 6
Les codifications
[…]
Les codifications plus générales, comme on en trouve en Ontario, en Alberta et au Québec, ou les règles de pratique propres à certains tribunaux administratifs, sont un aspect positif et constructif de l’évolution récente du droit administratif, mais elles n’atténuent guère l’importance vitale des principes de la justice naturelle qui seront toujours source d’inspiration pour les juges des cours supérieures, une déontologie pour les tribunaux administratifs et un rempart sacré pour les administrés contre l’arbitraire. Au Québec, les articles 5 et suivants de la Loi sur la justice administrative précisent les obligations découlant du devoir d’agir équitablement en matière administrative et ont donné lieu à une jurisprudence intéressante. Même en présence d’une codification de la procédure applicable devant les tribunaux administratifs et quasi judiciaires, ou devant tel ou tel tribunal, les principes de la justice naturelle conservent une utilité irremplaçable pour rendre une justice concrète, adaptée aux circonstances de chaque espèce.
[…]
B. La preuve
L’application de la règle audi alteram partem implique aussi que le tribunal administratif doive permettre aux parties d’apporter tout élément de preuve susceptible d’éclairer le débat et d’avoir une influence sur l’issue de la contestation. Cette exigence a donné naissance à un chapitre important du droit administratif contemporain, celui de la preuve devant les tribunaux administratifs et disciplinaires
Si le tribunal administratif est maître de sa procédure, cela doit se concilier avec les principes de justice naturelle, comme le reconnaissait la Cour suprême :
le principe de l’autonomie de la procédure et de la preuve administratives, qui est largement admis en droit administratif, n’a jamais eu pour effet de limiter l’obligation faite aux tribunaux administratifs de respecter les exigences de la justice naturelle.
Il appartient normalement au justiciable de faire sa preuve et d’en démontrer la valeur probante.
Pour pouvoir invoquer avec succès une violation de la règle audi alteram partem, l’administré a, pour sa part, l’obligation d’être sans reproche dans la production de sa preuve. […]
(Les références ont été omises)
[30] Il dépose aussi un extrait de la version 2010 de cet ouvrage[5] dont la soussignée a pris connaissance. Le professeur Garant exprime avec justesse le caractère fondamental du droit d’être entendu en ces termes :
La règle audi alteram partem est la première de ces règles issues des principes de la justice naturelle ou fondamentale. Son importance est telle qu’on doit la considérer comme la règle d’or du droit administratif.[6]
[31] Comme la Commission des lésions professionnelles le retient dans l’affaire Valois[7], le motif énoncé au deuxième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi concerne le cas où une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre et non pas le cas où on invoque une violation des règles de justice naturelle qui est plutôt décidé à la lumière du troisième paragraphe du premier alinéa de cette disposition. La Commission des lésions professionnelles énonce avec justesse :
[50] La Commission des lésions professionnelles estime en effet que ce deuxième motif vise davantage la situation où une partie n’a pu se présenter à l’audience pour des raisons que le tribunal juge suffisantes. Cette interprétation s’impose, ne serait-ce que s’il fallait inclure au deuxième motif les cas de violation des règles de justice naturelle par un commissaire, le dernier alinéa de l’article 429.56 n’aurait aucun sens puisque le commissaire à qui on reproche un tel manquement pourrait à la limite être saisi de la requête en révision ou en révocation de sa propre décision, situation qui ne peut se présenter si ces cas sont analysés dans le cadre du troisième motif de l'article 429.56.
[32] Cette interprétation est reprise à bon droit dans l’affaire Lebrasseur[8], la juge administrative énonçant que le deuxième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi vise, avant tout, la partie qui n’était pas présente à l’audience pour des motifs que le tribunal juge suffisants. C’est également ce que retient la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Casino de Hull et Gascon[9] déposée par le travailleur à l’audience :
[24] Le fait qu’une partie n’ait pu se faire entendre constitue un motif de révocation expressément prévu au second paragraphe de l’article 429.56 de la loi. Et, même si ce motif n’était pas expressément prévu, la violation des règles de justice naturelle constituerait, de toute façon, un vice de fond de nature à invalider la décision et permettrait la révocation en vertu du troisième paragraphe dudit article 429.56.
[33] Aussi, la Commission des lésions professionnelles a décidé à bon droit dans Imbeault et S.E.C.A.L.[10], que lorsque le deuxième paragraphe de l’article 429.56 est soulevé par une partie au soutien d’une requête en révocation, il revient à la Commission des lésions professionnelles d’apprécier la preuve et de décider si des raisons suffisantes ont été démontrées pour expliquer que la partie n’a pu se faire entendre. Pour être suffisantes, les raisons invoquées doivent être sérieuses et il ne doit pas y avoir eu négligence de la part de la partie qui prétend n’avoir pu se faire entendre. La règle qui doit toujours guider le tribunal lorsqu’il a à décider de cette question est le respect des règles de justice naturelle.
[34] Il y a donc lieu dans le cadre du présent recours en révocation de décider, conformément au paragraphe 2 du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi, si le travailleur n’a pu se faire entendre lors de l’audience du 17 février 2011 pour des raisons que le tribunal juge suffisantes.
[35] Le présent tribunal n’a pas à décider si la décision du premier juge administratif de refuser la demande de remise ou la décision concernant le fond du litige comporte une erreur manifeste et déterminante correspondant à un vice de fond de nature à invalider la décision au sens du troisième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi, puisque ce n’est pas ce que plaide le procureur du travailleur. Il ne s’agit donc pas d’analyser la décision de refus de remise ni celle de refus de lésion professionnelle, mais bien de vérifier si le 17 février 2011, le travailleur n’a pu se faire entendre pour des motifs que le présent tribunal juge suffisants.
[36] Au départ, soulignons que la disposition énonce deux conditions, à savoir que :
- une partie n'a pu se faire entendre;
- pour des raisons jugées suffisantes.
[37] La première condition comporte trois éléments à savoir « une partie » « n’a pu » « se faire entendre ».
[38] En l’espèce, il est clair que le travailleur est une partie au litige de sorte que le premier élément est rencontré.
[39] Quant au deuxième élément, « n’a pu » le présent tribunal estime qu’il signifie dans le contexte de cette disposition « n’a pas eu l’opportunité de » contrairement à l’idée « a été dans l’impossibilité de » puisqu’il faut harmoniser ce membre de phrase avec la seconde condition qui prévoit des raisons jugées suffisantes. Le travailleur n’a pas à démontrer qu’il était dans l’impossibilité de se faire entendre, mais plutôt qu’il a un motif suffisant de ne pas l’avoir été. C’est d’ailleurs ce que la Commission des lésions professionnelles a reconnu dans l’affaire Les Viandes Du Breton[11].
[40] Le troisième élément « se faire entendre » réfère à la possibilité de faire valoir sa preuve et ses moyens. En l’espèce, le travailleur n’était pas présent à l’audience, son représentant non plus. Aucune représentation écrite de leur part n’a été soumise au tribunal. Le travailleur n’a pas donné sa version des faits, il n’a pas fait entendre de témoins, n’a pas non plus soumis de preuve écrite et il n’a pas soumis d’argumentation. Il ne s’est donc pas fait entendre. À la lumière de ces éléments, le tribunal conclut que la première condition est respectée. Le travailleur n’a donc pas pu se faire entendre.
[41] Avait il des raisons suffisantes? Eu égard à cette deuxième condition, le tribunal est d’avis qu’elle est également rencontrée puisqu’il juge que les raisons invoquées sont suffisantes.
[42] En effet, le travailleur n’était pas présent lors de l’audience du 17 février 2011 pour différentes raisons qui, prises dans leur ensemble, constituent un motif suffisant pour justifier son absence.
[43] Le tribunal considère qu’il faut analyser les motifs du point de vue du travailleur puisque le droit d’être entendu lui appartient. Quels motifs justifient son absence?
[44] Le tribunal estime que la raison la plus fondamentale est l’impossibilité pour le travailleur de se faire représenter par maître Tremblay lors de cette audience. En effet, ce dernier a refusé de le représenter à l’audience, et ce, même après qu’il ait été informé que la demande de remise était refusée. Le procureur avait des motifs personnels pour refuser de se présenter à l’audience pour y représenter son client. Il a décidé de ne pas traverser la ligne de piquetage, de respecter les directives de son propre employeur et d’éviter un congédiement possible, selon la déclaration sous serment qu’il a soumise à l’appui de la requête en révocation. Ces motifs lui appartiennent et le présent tribunal n’a pas à en discuter. Un fait demeure cependant, le travailleur n’a pas été représenté lors de l’audience parce que son procureur a refusé de s’y présenter.
[45] Or, le travailleur avait choisi d’être représenté par un procureur lors de l’audience. Rappelons qu’un travailleur a le droit de se faire représenter par la personne de son choix. Ce droit fait partie des règles de justice naturelle. Il n’est cependant pas absolu. En effet, une personne peut renoncer implicitement ou explicitement à son droit d’être représentée. On peut lui reprocher de l’exercer abusivement ou de façon déraisonnable. En l’espèce, rien dans la preuve ne permet de croire que le travailleur aurait abusé de ce droit, y aurait renoncé ou aurait été négligent à cet égard.
[46] Cependant, on peut lui reprocher d’avoir quitté la salle d’attente de la Commission des lésions professionnelles avant le début de l’audience et les lieux par la suite. Par contre, s’il était resté, il lui aurait été loisible d’assister à l’audience, mais il n’aurait pas pu être représenté par son procureur. Le reproche qu’on peut faire au travailleur, soit d’avoir quitté la salle d’attente vers 13 h et les abords de l’édifice vers 14 h, n’emporte pas, du point de vue du tribunal, son droit à la représentation et encore moins sont droit d’être entendu dans les circonstances spécifiques du présent cas.
[47] Par ailleurs, à partir du moment où le représentant est informé que la demande de remise est refusée, sachant que le travailleur a déjà quitté les lieux et qu’il choisit de ne pas se présenter à l’audience, il laisse volontairement de côté les intérêts du travailleur. Le travailleur n’a pas à supporter les conséquences de cette décision de son procureur. Ce n’est pas le mandat qu’il lui a donné. Le travailleur voulait être représenté et il a dit clairement à l’audience devant le présent tribunal qu’il était incapable de se représenter seul.
[48] Que les piqueteurs aient quitté les lieux après le départ du travailleur, de son représentant et de son témoin a peu d’importance dans le présent cas, puisqu’au moment où le travailleur a quitté les lieux, il y avait des piquets de grève et les piqueteurs les avaient informés qu’ils ne quitteraient pas les lieux tant qu’ils seraient présents.
[49] De plus, lorsque le travailleur décide lui-même de quitter les lieux vers 14 h, il ne sait pas si la demande de remise avait été acceptée. Lorsqu’il a confié son intention de quitter les lieux à son procureur, celui-ci lui aurait répondu « il n’y a pas de problème », « on ne peut pas entrer ». Le tribunal considère que le message reçu par le travailleur était que son départ ne portait pas à conséquence. Ainsi, avec cette information et la compréhension qu’il en avait, le travailleur a quitté les lieux. On peut bien sûr reprocher au travailleur de ne pas avoir mesuré les conséquences de son geste, mais au moment de son départ, il ne connaissait pas le sort de la demande de remise et son procureur lui a dit « il n’y a pas de problème ». Il a donc quitté les lieux sans probablement réaliser qu’il mettait son intérêt en danger.
[50] La situation aurait été toute autre si le travailleur avait tenté de déjouer un refus de remise en quittant les lieux et en faisant une requête pour révocation par la suite. En effet, lorsque la Commission des lésions professionnelles refuse une remise, il s’agit d’une décision finale et exécutoire au même titre que les autres décisions rendues par le tribunal. Cette décision ne peut être révisée ou révoquée qu’en application des dispositions de l’article 429.56 de la loi. Si un travailleur avait décidé de ne pas se présenter à une audience dans le but de contrer une demande de remise refusée, il aurait alors invoqué sa propre turpitude, ce qui ne constitue certainement pas un motif de révision ou de révocation. Mais là n’est pas la question en l’espèce, puisque la décision concernant la demande de remise n’avait pas encore été prise, que le travailleur ne savait pas que la demande de remise serait refusée au moment où il a quitté les lieux, que son procureur lui a dit que son départ ne posait pas de problème et surtout que par la suite lorsque la décision de refus de remise a été connue de son procureur, celui-ci a refusé de se présenter à l’audience.
[51] Notons que l’employeur du procureur du travailleur avait déjà informé la Commission des lésions professionnelles que maître Tremblay ne serait pas présent dans les dossiers si la CSST était intervenue et qu’elle n’avait pas signifié son intention de ne pas être présente à l’audition. En l’espèce, la CSST n’est pas intervenue au dossier du travailleur de sorte que la lettre de l’employeur n’est pas véritablement pertinente au présent débat.
[52] En somme le présent tribunal estime que les motifs invoqués par le travailleur, dans le contexte très particulier d’une grève des juristes de l’État avec une ligne de piquetage devant l’édifice de la Commission des lésions professionnelles, sont jugés suffisants au sens du second paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi, compte tenu de l’importance à accorder au droit d’être entendu.
[53] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur n’a pu se faire entendre pour des motifs jugés suffisants de sorte que la décision du 23 février 2011 doit être révoquée et les parties convoquées pour une nouvelle audience qui portera sur le fond du litige.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision ou en révocation de monsieur Pierre Gosselin, le travailleur;
RÉVOQUE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 23 février 2011;
CONVOQUERA les parties à une audience sur le fond de la contestation déposée par Azko Nobel Canada inc., l’employeur, le 24 septembre 2010.
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Marie Langlois |
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Nancy Evoy |
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SANTINEL INC. |
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Représentant de la partie requérante |
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Georges-Étienne Tremblay |
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C.S.N. |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Voir entre autres Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[3] [2000] C.L.P. 671 .
[4] Patrice GARANT, Droit administratif, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, 1368 p.
[5] Patrice GARANT avec la collab. de Philippe GARANT et Jérôme GARANT, Droit administratif, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010.
[6] Id. p. 609.
[7] Valois et Service d'entretien Macco ltée, [2001] C.L.P. 823 .
[8] Lebrasseur et Société de l'assurance-automobile, C.L.P. 208251-09-0305, 15 décembre 2004, D. Beauregard.
[9] Précité, note 3.
[10] C.L.P. 84137-02-9611, 24 septembre 1999, M. Carignan, (99LP-136).
[11] Les Viandes Du Breton inc. et Dupont, C.L.P. 89720-01A-9707, 18 décembre 2000, M. Carignan.