Centre équestre des Mille Iles inc. |
2013 QCCLP 354 |
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[1] Le 17 août 2012, le Centre équestre des Mille Iles inc. dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 19 juillet 2012, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 9 mai 2012 et déclare que l’employeur doit être imputé du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Jean-Daniel Lambert, le travailleur, le 19 avril 2011.
[3] L’employeur renonce à la tenue d’une audience. Le 11 décembre 2012, il transmet une argumentation écrite. C’est à cette date que la cause est mise en délibéré.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST doit appliquer les articles 31 et 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) à compter du 15 décembre 2011.
LA PREUVE
[5] Le travailleur occupe un emploi d’entraîneur pour le compte de l’employeur. Le 19 avril 2011, il subit un accident du travail lorsqu’il tombe sur son épaule gauche alors qu’il monte à cheval.
[6] Il consulte le jour même le docteur Croteau qui remplit une attestation médicale dans laquelle il indique une fracture de la clavicule gauche tout en prescrivant le port d’une attelle de type Stevenson.
[7] Par la suite, le travailleur est suivi par le docteur Rizkallah, chirurgien orthopédiste. Ce dernier pose également le diagnostic de fracture de la clavicule gauche et ajuste une attelle en huit. Le 29 juin 2011, le docteur Rizkallah suggère la poursuite des traitements de physiothérapie et demande d’ajouter des traitements d’ergothérapie.
[8] Dans un rapport médical du 17 août 2011, le docteur Rizkallah rapporte des douleurs et des raideurs à l’épaule gauche. Dans une note de physiothérapie du 6 septembre 2011 adressée au docteur Rizkallah, il est suggéré que le travailleur passe une résonance magnétique de l’épaule gauche afin de vérifier s’il y a une déchirure de la coiffe des rotateurs.
[9] Le 10 octobre 2011, le travailleur passe une résonance magnétique de l’épaule gauche qui est interprétée par le docteur Philippe René de la façon suivante:
Légère atteinte dégénérative acromio-claviculaire, sans signe indirect d’un syndrome d’accrochage sous-acromial, ni signe d’une tendinose ou déchirure au niveau de la coiffe.
[10] Dans un rapport médical du 25 octobre 2011, le docteur Rizkallah suggère un retour progressif. Le 29 novembre, il revoit le travailleur et note l’apparition d’une douleur à la mobilisation. Il retient une capsulite de l’épaule gauche et recommande une arthrographie distensive de l’épaule gauche.
[11] À la demande de l’employeur, le travailleur rencontre la docteure Pierrette Girard, chirurgienne orthopédiste. Dans son expertise du 20 décembre 2011, elle retient comme diagnostic une fracture de la clavicule gauche avec un diagnostic probable de capsulite de l’épaule gauche. Elle consolide la fracture de la clavicule au 14 décembre 2011 et estime que le travailleur bénéficierait d’une arthrographie distensive pour sa capsulite.
[12] Elle analyse la condition du travailleur, sur le plan de la capsulite, de la façon suivante :
Monsieur Lambert-Paradis est âgé de 26 ans. Il est droitier. Il travaille comme palefrenier, entraîneur de chevaux. Le 19 avril 2011, il a fait une chute d’environ 10 pieds en revolant dans les airs et en tombant directement sur son épaule gauche. Il a eu une fracture de la clavicule gauche, qui a été traitée de façon conservatrice par bandage en 8. Il rapporte avoir porté ce bandage pendant une période d’environ trois mois, jusqu’à ce que la fracture soit consolidée. Par la suite, il a poursuivi des traitements de physiothérapie, qui avaient déjà été commencés alors qu’il portait son attelle.
Il a essayé un retour au travail progressif, mais la douleur était trop intense. Un arrêt de travail a donc été demandé.
[...]
En lien avec le mécanisme de production de l’événement, la fracture de la clavicule gauche est probable.
En raison de la nécessité du traitement par immobilisation avec un bandage en 8 (attelle de type Stevenson), malgré que la physiothérapie a été commencée de façon précoce, est-ce qu’il y a un impact au niveau de la capsulite comme telle de l’épaule qui aurait pu créer cette capsulite? Ceci est moins probable étant donné que le gros de l’énergie du stress est passé au niveau de la fracture de la clavicule, il y a eu une dissolution de l’énergie par la suite, donc le traumatisme est vraisemblablement plus au niveau claviculaire. La capsulite serait donc plus secondaire à l’immobilisation inhérente à cette fracture de clavicule.
[13] Par ailleurs, la preuve médicale au dossier par une échographie de l’épaule du 24 février 2012 confirme la présence d’une capsulite à l’épaule gauche et de trois arthrographies distensives.
[14] Le 7 décembre 2011, la CSST rend une décision dans laquelle est accepté le diagnostic de capsulite de l’épaule gauche comme étant en lien avec la lésion professionnelle du 7 décembre 2011.
[15] Le 5 avril 2012, l’employeur demande un partage d’imputation soutenant que la capsulite de l’épaule gauche découle de l’immobilisation de l’épaule gauche dans le cadre du traitement de la fracture de l’épaule gauche. La CSST refuse puisque l’employeur n’a pas contesté la décision de relation du 7 décembre 2011.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[16] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur peut bénéficier d’un transfert d’imputation en raison du diagnostic de capsulite à l’épaule gauche.
[17] L’employeur articule sa demande de transfert d’imputation autour des articles 31 et 327 de la loi qui énoncent ce qui suit :
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
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1985, c. 6, a. 31.
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
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1985, c. 6, a. 327.
[18] Bien que l’employeur n’ait pas contesté la décision de la CSST rendue le 7 décembre 2011 reconnaissant le lien entre la capsulite et la lésion professionnelle du 19 avril 2011, il prétend que saisi d’une demande de partage d’imputation en vertu de la l’article 327 de la loi, le tribunal peut déclarer que ce nouveau diagnostic constitue une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi.
[19] Deux courants jurisprudentiels animent principalement le tribunal sur cette question. La première voie jurisprudentielle considère qu’une décision de la CSST reconnaissant le nouveau diagnostic en lien avec l’événement ou la lésion professionnelle initiale constitue une fin de non-recevoir à toute demande de transfert d’imputation en vertu du premier paragraphe de l’article 327 de la loi. Selon ce courant jurisprudentiel, la décision de la CSST étant finale, elle ne peut être remise en question par l’application des articles 31 et 327 de la loi, à moins qu’elle n’ait été contestée dans les délais prévus à la loi[2].
[20] Le second courant jurisprudentiel estime qu’une décision d’admissibilité de la CSST reconnaissant une relation entre le nouveau diagnostic et l’événement ou la lésion professionnelle initiale ne constitue pas un obstacle à une demande de transfert d’imputation en vertu de l’article 327 de la loi[3].
[21] Le tribunal, dans le présent dossier, privilégie l’approche selon laquelle la décision de la CSST, rendue en matière d’indemnisation, reconnaissant le lien entre un diagnostic et une lésion professionnelle ou l’événement initial, ne l’empêche pas de se saisir d’une question d’imputation s’articulant autour des articles 31 et 327 de la loi.
[22] La Commission des lésions professionnelles estime qu’un ensemble de faits peut donner ouverture à des situations juridiques distinctes dans la mesure où la règle juridique invoquée vise la reconnaissance de droits distincts. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Rocois Construction inc. c. Québec Ready Mix inc.[4] dans lequel elle analyse notamment la notion de litispendance, reconnaît que de mêmes faits peuvent conduire à des situations juridiques différentes nécessitant l’application de règles juridiques distinctes.
[23] À cet égard dans cet arrêt, le juge Gonthier écrit :
D'une part, il est clair qu'un ensemble de faits ne saurait en soi constituer une cause d'action. C'est la qualification juridique qu'on lui donne qui le transforme, le cas échéant, en un fait générateur d'obligations. Le fait détaché du domaine des obligations juridiques n'est pas significatif en soi et ne saurait constituer une cause; il ne devient fait juridique qu'en vertu d'une qualification qu'on lui attribue à la lumière d'une règle de droit. Le même ensemble de faits peut très bien se voir attribuer plusieurs qualifications donnant lieu à des causes parfaitement distinctes. Par exemple, le même geste peut être qualifié de meurtre dans une affaire et de faute civile dans une autre. Daniel Tomasin, dans son ouvrage intitulé Essai sur l'autorité de la chose jugée en matière civile (1975), a fort bien cerné cette réalité. Il écrit, à la p. 201:
Il peut arriver qu'un ou plusieurs faits puissent, au regard de certains textes, être qualifiés de façon différente. La qualification choisie pour aboutir à un résultat ayant été rejetée par un premier jugement, peut-on alors, pour atteindre ce même résultat, se fonder sur une qualification différente? À suivre l'article 1351 C. civ., la réponse doit être positive car il y a absence [d'identité] de cause entre les deux demandes.
En règle générale, le même ensemble de faits est donc susceptible d'engendrer autant de causes d'action qu'il y aura de qualifications juridiques pouvant donner ouverture à un recours.
[24] Dans cette perspective, l’interprétation d’un ensemble de faits retenue par une autorité administrative ou le tribunal, en matière d’indemnisation, ne saurait lier le tribunal alors qu’il doit appliquer des règles de droit touchant le financement, s’adressant essentiellement aux employeurs. D’ailleurs, la Commission des lésions professionnelles applique ce principe de l’étanchéité de l’interprétation de la preuve selon le contexte dans lequel elle est invoquée puisqu’elle considère, par exemple, qu’elle n’est pas liée par une décision entérinant un accord portant sur l’indemnisation alors qu’elle est saisie d’une question de transfert ou de partage d’imputation.
[25] À cet égard, dans l’affaire CLSC Suzor-Côté[5], la Commission des lésions professionnelles écrit :
[43] En l’espèce, les parties ont convenu d’un accord. Il s’agit d’un accord portant sur l’admissibilité de la lésion professionnelle du 4 mai 2004. Cet accord a été entériné et dans le dispositif de la décision, il est déclaré que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 4 mai 2004, soit une entorse lombaire aggravée par sa condition personnelle d’obésité ou de surpondération. Bien que les parties aient convenu de l’admissibilité de la lésion professionnelle en utilisant un tel libellé, dans une optique de demande de partage de l’imputation, le fardeau de preuve de l’employeur demeure entier.
[44] En effet, un tel dispositif n’exempte pas l’employeur de son fardeau de preuve lorsqu’il désire qu’un partage de l’imputation lui soit accordé. Le fait d’indiquer dans le dispositif qu’il s’agit d’une entorse lombaire aggravée par une condition personnelle d’obésité ou de surpondération ne constitue pas une preuve absolue de relation entre le handicap et la lésion professionnelle. Dans le cadre d’une demande de partage de l’imputation en regard de l’article 329 de la Loi, l’employeur a un fardeau de preuve à rencontrer. Il doit non seulement prouver l’existence d’un handicap, mais il doit également prouver que ce handicap a joué sur l’apparition de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.
[26] Le principe selon lequel le tribunal n’est pas lié en matière de financement par le libellé d’un accord portant sur l’existence d’une lésion professionnelle est également illustré de la façon suivante dans la décision Transport Robert (1973) ltée[6] :
[49] Le tribunal ne croit donc pas que le libellé d’un accord, par lequel les parties admettent certains faits pouvant amener le tribunal à tirer des conclusions de droit concernant l’existence d’une lésion professionnelle, puisse, dans le cadre d’une demande de partage en vertu de l’article 329, obliger le tribunal à conclure à l’existence d’un handicap, si cette preuve n’est pas faite.
[27] En somme, la décision de relation entre le diagnostic de capsulite et la lésion initiale, rendue par la CSST, survient dans le cadre de l’admissibilité de la lésion professionnelle, c’est-à-dire dans un contexte d’indemnisation. Le présent recours s’inscrit dans la mise en œuvre des dispositions relatives à l’imputation des lésions professionnelles, soit dans le chapitre IX de la loi portant sur le financement. Les conclusions en droit que le tribunal tire de la preuve en matière d’indemnisation ne sauraient lier le tribunal dans un débat portant sur le financement. Certes, il s’agit essentiellement de la même preuve, mais de deux questions différentes. De fait, les éléments constitutifs du droit réclamé par l’employeur en matière de partage ou transfert d’imputation est distinct des éléments constitutifs du droit d’être indemnisé réclamé par le travailleur.
[28] De plus, la Commission des lésions professionnelles considère que la faculté du tribunal de se saisir d’une requête en vertu des articles 31 et 327 de la loi alors que la CSST a rendu une décision d’admissibilité à l’égard d’un nouveau diagnostic n’altère pas le principe de la stabilité des décisions. Ce principe vise à protéger les effets juridiques d’une décision rendue par le tribunal afin d’éviter que les droits faisant l’objet de celle-ci ne soient remis en question par une autre décision du tribunal.
[29] Dans l’affaire Gauthier c. Pagé[7], la Cour d’appel du Québec consacre que le principe de la stabilité des décisions vise à protéger les droits qui ont été reconnus par une décision qu’elle soit administrative ou juridictionnelle. Le juge Lebel écrit :
Une fois confirmée ou modifiée en appel, la décision, surtout lorsqu'elle possède un caractère quasi judiciaire, doit acquérir la stabilité juridique. Les décisions rendues conformément aux dispositions de la loi, l'égard desquelles des voies de recours qu'elle prévoit ont été épuisées, sont, en règle générale, considérées comme irrévocables:
"Dans le cas des actes quasi judiciaires, la jurisprudence considère que les décisions régulièrement rendues sont irrévocables. On veut en quelque sorte que les droits accordés ou reconnus aux administrés par l'administration ne puissent être remis en cause par le biais d'un pouvoir de reconsidération; les administrés ont droit à la sécurité juridique des décisions. Une fois la décision rendue, le dossier est fermé et l'administration est functus officiari. Souvent d'ailleurs le législateur prendra la peine de préciser que la décision est finale et sans appel..." (Pépin et Ouellette, Principes de contentieux administratif, 2e éd., 1982, Les Éditions Yvon Blais, p. 221)
[Nos soulignements]
[30] Dans le cadre d’une requête en vertu des articles 31 et 327 de la loi, le tribunal ne remet pas question le caractère professionnel du diagnostic faisant l’objet de la décision d’admissibilité de la CSST, pas plus qu’il ne remet en question les droits du travailleur qui lui ont été reconnus dans cette décision rendue le 7 décembre 2011. Le tribunal ne fait que caractériser autrement la lésion du travailleur tout en maintenant le caractère professionnel de celle-ci, et ce, dans une perspective d’application des dispositions touchant le financement. Dans ce contexte, le tribunal considère que le principe de la stabilité des décisions est préservé puisque le droit du travailleur d’être indemnisé n’est pas remis en question.
[31] La Commission des lésions professionnelles peut donc se saisir de la requête de l’employeur en vertu des articles 31 et 327 de la loi.
[32] Or, ce qui donne ouverture à un transfert d’imputation au sens de l’article 327 de la loi, c’est la présence d’une lésion professionnelle visée par l’article 31 de la loi. Dans la décision Provigo Distribution inc. (division Montréal)[8], la juge administrative Piché précise le but poursuivi par l’article 31 de la loi :
[41] Tel que le rappelle la juge administrative Perron dans l’affaire Vêtements Golden Brand Canada ltée et Ana Maria Gallardo2, l’article 31 a été introduit en 1985 dans la loi à la suite d’un jugement de la cour supérieure3 qui a mis en lumière, qu’en certaines occasions, il arrive qu’une rupture du lien droit survienne entre une lésion professionnelle et les conséquences découlant d’un soin ou d’une omission de soins.
[42] Par cette création juridique, il est clair que le législateur a voulu pallier ce bris de causalité et s’assurer qu’un travailleur continue d’être indemnisé, même en de telles circonstances. De façon corollaire, il a permis, par le biais de l’article 327 de la loi, que dans ce contexte bien précis, un employeur ne supporte pas indûment le fardeau financier qui y est relié alors que les coûts afférents ne découlent pas de la lésion professionnelle.
[43] De l’avis du tribunal, l’utilisation des termes est considérée dans le texte de loi implique nécessairement que la blessure ou la maladie faisant suite aux soins ou à son omission se distingue de la lésion professionnelle et de sa suite logique.
[44] À cet égard, la soussignée souscrit aux propos du juge administratif Ducharme4 lorsqu’il mentionne que l’article 31 de la loi vise une nouvelle blessure ou maladie distincte de la lésion professionnelle et de ses soins et non pas les conséquences plus importantes que celles auxquelles on devait s’attendre.
[45] Ainsi, pour établir que la blessure ou la maladie dont souffre un travailleur à la suite de soins ou de son omission peut acquérir un caractère professionnel au sens du premier paragraphe de l’article 31 il faut :
• une lésion professionnelle initiale;
• l’administration de soins en lien avec la lésion professionnelle ou une omission de ceux-ci;
• la survenance d’une nouvelle blessure ou maladie reliée de façon prépondérante au précédent critère et qui se détache clairement de la lésion professionnelle et de son évolution.
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2 C.L.P. 293361-71-0606, 26 novembre 2008, P. Perron.
3 C.S. 200-05-004636-754, 25 août 1982, A. Gervais, j.c.s.
4 Jack Victor ltée et Perez Cuevas, C.L.P. 209450-72-0306, 11 mai 2004, C.-A. Ducharme.
[33] En somme, la mise en œuvre de l’article 31 de la loi soulève essentiellement une question de causalité. Elle permet de considérer, à titre de lésion professionnelle, des diagnostics qui ne sont pas nécessairement en lien avec la lésion professionnelle reconnue, son évolution ou encore avec les conséquences de celle-ci. Il s’agit donc d’une mesure réparatrice qui vise à indemniser les conséquences indirectes d’une lésion professionnelle découlant des soins prodigués et des mesures de réadaptation mises en place dans le cadre du traitement de cette lésion professionnelle.
[34] L’application de cette disposition nécessite donc la preuve d’un diagnostic distinct de celui reconnu à titre de lésion professionnelle. L’apparition de ce nouveau diagnostic doit être en lien avec les soins reçus pour le traitement de la lésion professionnelle ou l’omission de tels soins ou encore en lien avec une activité prescrite dans le cadre du programme individualisé de réadaptation[9].
[35] Par ailleurs, pour que le nouveau diagnostic découlant des soins puisse être assimilé à une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi, le tribunal juge que celui-ci doit représenter une complication inhabituelle ou peu fréquente du traitement qui est administré au travailleur dans le cadre sa lésion professionnelle déjà reconnue et non une conséquence de la lésion professionnelle elle-même. De fait, si le nouveau diagnostic représente une complication usuelle, probable voire fréquente, celui-ci ne saurait constituer une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi.
[36] D’ailleurs, dans l’affaire 9096-1475 Québec inc. (David Isolation)[10], la Commission des lésions professionnelles illustre cette distinction puisqu’elle a refusé de reconnaître une capsulite de l’épaule à titre de lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi, car selon le tribunal, il s’agit d’une complication normale d’une chirurgie de reconstruction d’une déchirure de la coiffe des rotateurs.
[37] De plus, dans la décision Structures Derek inc.[11], la Commission des lésions professionnelles écrit:
[30] La jurisprudence a cependant rappelé que ce n’était pas toutes les complications qui découlaient des soins ou des traitements qui pouvaient être considérées comme donnant ouverture à l’article 327. En effet, bien que plusieurs décisions reconnaissent que l’article 327 permet de répartir les coûts d’une lésion professionnelle augmentés par une complication survenue suite à un traitement prodigué pour cette lésion7, elles exigent aussi que les conséquences pour lesquelles on demande l’application de l’article 327 ne soient pas indissociables de la lésion professionnelle et n’en soient pas la conséquence normale.
[31] Il faut donc faire la distinction entre un phénomène qui est inhérent à la lésion initiale et celui qui est proprement attribuable aux conséquences de son traitement8. Ainsi, si une lésion constitue une conséquence directe et indissociable de la lésion initiale, il n’y aura pas ouverture à l’application de l’article 3279. Cependant, le tribunal estime qu’il y aura lieu d’appliquer l’article 327 lorsque la lésion qui découle des soins reçus pour une lésion professionnelle n’en est pas une conséquence automatique et indissociable et qu’elle constitue plutôt une complication qui ne survient pas dans la majorité des cas.
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7 Entreprises Bon conseil ltée et Daigle, [1995] C.A.L.P. 1559 (dystrophie réflexe); H.P. Cyrenne ltée, C.L.P. 131759-04B-0002, le 29 juin 2000, A. Gauthier (cicatrice).
8 Bombardier Aéronautique, [2002] C.L.P. 525 ; Unival (St-Jean-Baptiste) et Gaudreault, [1997] C.A.L.P. 612 .
9 Brown Boverie Canada inc. et Désautels, C.A.L.P. 55197-05-9311, le 14 août 1995, M. Denis.
[38] Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles estime que l’employeur ne peut bénéficier d’un transfert d’imputation en vertu de l’article 327 de la loi.
[39] Certes, le tribunal retient l’opinion de la docteure Girard qui explique, dans son expertise du 20 décembre 2011, que la capsulite de l’épaule gauche serait en lien avec l’immobilisation de l’épaule gauche dans le cadre de la fracture à la clavicule subie par le travailleur. Toutefois, la docteure Girard, bien qu’établissant un lien entre la capsulite et l’immobilisation de l’épaule gauche, ne précise pas ou encore n’explique pas en quoi cette capsulite s’inscrit dans une évolution inhabituelle, voire peu fréquente du traitement par immobilisation d’une fracture de la clavicule.
[40] De plus, l’employeur n’a déposé aucune littérature médicale permettant au tribunal de conclure que la capsulite de l’épaule constitue une complication inhabituelle dans le cas du traitement d’une fracture de la clavicule ou de l’épaule par immobilisation.
[41] En conséquence, la Commission des lésions professionnelle juge que l’employeur ne peut bénéficier d’un transfert d’imputation.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête du Centre équestre des Mille Iles inc., l’employeur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 19 juillet 2012;
DÉCLARE que l’employeur doit assumer le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Jean-Daniel Lambert, le travailleur, le 19 avril 2011.
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Philippe Bouvier |
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Me Sylvain Pelletier |
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ADP SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Équipement de ferme Turgeon ltée, C.L.P. 353555-03B-0807, 14 mai 2009, A. Quigley; Pharmacie Jean Coutu, C.L.P. 372445-04-0903, 26 février 2010, D. Lajoie; Centre de santé et de services sociaux du Suroît, 2011 QCCLP 133 ; Coloride inc., 2012 QCCLP 7010 .
[3] Centre jeunesse Lanaudière, C.L.P. 407568-63-1004, 1er novembre 2010, M. Juteau; Ville de Québec, C.L.P. 402219-31-1002, 12 novembre 2010, P. Simard; Nettoyeurs Rouanda inc. et Cogesis inc., 2011 QCCLP 2511 ; Abitibi Bowater inc., 2011 QCCLP 4860 ; ICS inc., 2012 QCCLP 877 .
[4] [1990] 2 R.C.S. 440 .
[5] C.L.P. 263368-04B-0505, 29 mars 2006, S. Sénéchal.
[6] C.L.P. 337055-62-0801, 31 juillet 2009, L. Couture.
[7] [1988] R.J.Q. 650 (C.A.).
[8] C.L.P. 370863-71-0902, 14 janvier 2010, I. Piché; révision rejetée, 2011 QCCLP 417 .
[9] Vêtements Golden Brand Canada ltée et Gallardo [2008] C.L.P. 750 .
[10] 2011 QCCLP 3476 .
[11] C.L.P. 243582-04-0409, 30 novembre 2004, J.-F. Clément.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.