Décision

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Angers et Coloride inc.

2007 QCCLP 6172

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

1er novembre 2007

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossiers :

299480-04-0609      300033-04-0609

 

Dossier CSST :

130117641   130117484

 

Commissaire :

Me Lucie Nadeau

 

Membres :

Ginette Vallée, associations d’employeurs

 

Serge Saint-Pierre, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

299480

300033

 

 

Paula Angers

Guylaine Lemay

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Coloride inc.

Coloride inc.

Partie intéressée

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 299480-04-0609

[1]                Le 26 septembre 2006, Mme Paula Angers dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 18 septembre 2006 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 17 mai 2006 et déclare que Mme Angers n’a pas subi de lésion professionnelle le 3 mai 2006.

Dossier 300033-04-0609

[3]                Le 26 septembre 2006, Mme Guylaine Lemay dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la CSST rendue le 15 septembre 2006 à la suite d’une révision administrative.

[4]                Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 17 mai 2006 et déclare que Mme Lemay n’a pas subi de lésion professionnelle le 3 mai 2006.

[5]                À la demande des parties, les deux dossiers ont fait l’objet d’une audition commune. L’audience s’est tenue à Trois-Rivières les 20 mars et 8 mai 2007. Les deux travailleuses sont présentes et représentées. La compagnie Coloride inc. (l’employeur) est également représentée.

[6]                Un délai a été accordé pour la production par l’employeur des factures d’entretien du système de ventilation pour la période contemporaine aux incidents. Ces documents ont été produits et des détails supplémentaires fournis à la demande de la représentante syndicale. Par conférence téléphonique tenue le 29 août 2007, les représentantes des parties ont déclaré la preuve close. Leurs argumentations ayant déjà été soumises, le dossier a été pris en délibéré.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[7]                Mme Angers et Mme Lemay demandent à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elles ont subi une lésion professionnelle le 3 mai 2006.

LA PREUVE

[8]                L’entreprise est un fabricant de nuanciers («méchiers»), c’est-à-dire des cartes ou des cartables de présentation de mèches de cheveux pour des produits de coloration.  L’établissement de l’employeur comporte deux étages. En général, environ 50 personnes y travaillent, réparties à peu près également entre les deux étages.

[9]                Les deux travailleuses concernées soumettent une réclamation à la CSST pour des incidents survenus le 3 mai 2006. Elles allèguent avoir été victimes d’une intoxication qui a entraîné un arrêt de travail de deux jours pour chacune.

[10]           Ce jour-là, toutes deux travaillent au rez-de-chaussée. Elles travaillent sur le quart de jour de 7 h 30 à 16 h 30, avec une pause de 30 minutes pour le dîner et deux pauses de 15 minutes en avant-midi et en après-midi.

[11]           En plus d’une preuve documentaire, le Tribunal a entendu le témoignage des deux travailleuses; de Mme Béland, une collègue de travail qui est représentante syndicale; de M. Éric Hovington, directeur des services ambulanciers de la localité; de M. Nicolas Leclabart, directeur général de l’entreprise et de M. Mario Sanscartier, responsable de la maintenance.

[12]           Décrivons d’abord l’environnement de travail. Un schéma des lieux de travail est fait à l’audience et commenté par les témoins.

[13]           L’usine est à aires ouvertes. Au rez-de-chaussée, trois portes permettent l’entrée et la sortie à l’extérieur. À l’avant, il y a des tables de travail pour les contrôleuses. Dix personnes sont en poste au contrôle ce jour-là[1]. C’est là que travaille Mme Angers. Sa tâche consiste à s’assurer que le cartable de mèches est propre, conforme et complet. Elle ne manipule pas de colle comme telle, mais elle enlève les excédents de colle avec un torchon en flanelle et du solvant («Varsol»). Elle utilise également un petit ciseau, une pince et une brosse. Elle travaille généralement debout mais elle a droit d’utiliser un banc pour s’asseoir 15 minutes par heure.

[14]           En diagonale avec les tables des contrôleuses, il y a les tables des préposées aux biberons. Les biberons sont des bouteilles de plastique remplies de colle servant au façonnage. La colle est appliquée sur le carton. Ce jour-là, sept personnes sont affectées aux biberons[2].

[15]           Il y a environ 15 mètres entre la première table des contrôleuses et le premier poste de biberons.

[16]           La colle utilisée dans les biberons est une colle de type «froide». Il s’agit de la colle «contak 7203» dont la fiche signalétique émanant du Système d’information sur les matières dangereuses utilisées au travail (SIMDUT) est produite au dossier. Cette colle contient de l’hexane, du toluène et de l’acétone. Les fiches signalétiques tirées du Service du répertoire toxicologique de la CSST concernant l’hexane et le toluène sont également déposées.

[17]           Mme Béland explique qu’occasionnellement les travailleuses se plaignent d’odeur de colle plus forte qu’à l’habitude. À ce moment-là, elles demandent à M. Sanscartier de vérifier les concentrations et d’augmenter la climatisation. M. Sanscartier témoigne qu’il vérifie le système mais ne procède pas à des ajustements. Le système est programmé à 70° Fahrenheit avec un différentiel de plus ou moins 2°. M. Leclabart reconnaît que les travailleuses se sont plaintes à ce sujet et M. Sanscartier reconnaît que des travailleuses sortent parfois à l’extérieur se disant étourdies en raison de la colle.

[18]           Depuis 2001, l’usine est pourvue d’un nouveau système de ventilation qui contrôle la température et l’humidité. Ce changement s’est fait à la suite d’un autre incident impliquant une évacuation de l’usine et d’un avis de correction émis par la CSST. Le système est muni d’un évacuateur d’air et de volets, ce qui permet le rejet de l’air accumulé et l’entrée d’air frais. L’air est aspiré à chacun des postes de biberons de colle et l’apport d’air frais est assuré par des diffuseurs installés à différents endroits dans l’usine.

[19]           Le système de ventilation fonctionne à l’année, 24 heures par jour, tous les jours, et ce, même s’il n’y a pas de production. L’entretien du système est confié à une entreprise spécialisée et se fait environ tous les mois.

[20]           Le rôle de M. Sanscartier relativement au système de ventilation se limite à vérifier si le système est fonctionnel lorsqu’il y a des plaintes des travailleuses parce qu’il fait trop chaud ou trop froid. En cas de problème, il avise la firme chargée de l’entretien. Le 3 mai 2006, il n’a pas fait d’ajustements et n’a pas observé de problème particulier.

[21]           L’employeur a déposé copie des factures d’entretien pour les mois de mars, avril, mai et juin 2006. Différentes réparations de même que l’entretien régulier y sont décrits. La représentante des travailleuses a demandé des explications sur la facture du 4 mai 2006, soit le lendemain des incidents qui nous concernent. Le technicien ayant effectué la visite indique dans une note manuscrite qu’il a installé un nouvel humidificateur sur l’unité des cartables et qu’il a démonté une bouche latérale pour l’inverser.

[22]           Rien dans cette preuve ne permet de tirer des conclusions concernant un problème de fonctionnement du système ayant pu avoir un impact le 3 mai 2006. Les travailleuses n’ont d’ailleurs soumis aucune preuve à cet effet.

[23]           Examinons maintenant les circonstances propres à chacun des incidents survenus ce jour-là et celles entourant l’évacuation de l’usine qui a eu lieu entre les deux incidents.

[24]           Mme Angers travaille chez l’employeur depuis janvier 2005. Le matin du 3 mai 2006, à son entrée au travail, elle trouve qu’il fait plus chaud qu’à l’habitude. Elle se met au travail et trouve que ça sent de plus en plus fort. Elle commence à se sentir mal. Elle décrit une sensation de lourdeur, un début de mal de tête et un peu de nausée. Elle se rend à la salle de toilettes quelques minutes. Elle tente de vomir, s’asperge d’eau et prend de grandes respirations.

[25]           Elle retourne à son travail mais se sent de plus en plus mal. Elle décrit une difficulté de coordination de la main, principalement de la main droite. Elle se sent comme dans un état d’ébriété. Elle demande à une collègue d’appeler sa superviseure et perd conscience. Lorsqu’elle revient à elle, elle est à l’extérieur de l’établissement. Ce sont deux collègues qui l’ont sortie. Elle décrit une sensation de sommeil.

[26]           Une ambulance est alors appelée sur les lieux. Il est 9 h 43. L’ambulancier note que la patiente est à l’extérieur, qu’elle a perdu conscience, qu’elle a des nausées et que son état s’améliore lentement. Il lui administre de l’oxygène et elle est transportée à l’hôpital.

[27]           À l’hôpital, on procède à des tests d’urine et à un bilan sanguin qui s’avèrent normaux. À l’électrocardiogramme, on observe de la tachycardie. Le Dr Dubois signe une attestation médicale pour la CSST et indique comme diagnostic «incommodation» aux odeurs. Il prescrit un congé de 48 heures.

[28]           Le surlendemain, Mme Angers retourne au centre hospitalier. Elle dit se sentir à peu près dans le même état mais le médecin, le Dr Truong, note qu’elle va bien. Il signe un rapport final et autorise le retour au travail  régulier. Il reprend le même diagnostic «d’incommodation aux odeurs» et indique qu’il n’y aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitation fonctionnelle.

[29]           L’incident survient un mercredi. C’est à compter du dimanche suivant que la travailleuse dit se sentir mieux. Elle reprend son travail le lundi.

[30]           Mme Angers n’a aucun problème de santé. Elle ne prend aucune médication. Elle n’avait jamais ressenti ce type de symptômes auparavant à l’exception d’un autre incident survenu chez l’employeur, en février 2006, où elle a ressenti à peu près les mêmes symptômes mais de moindre intensité. Elle avait également été transportée à l’hôpital par ambulance mais elle ne s’était pas évanouie. Elle avait pris une journée de congé le lendemain, à ses frais, et était revenue au travail.

[31]           Revenons sur la journée du 3 mai 2006. L’un des ambulanciers appelés sur les lieux de travail demande l’intervention des pompiers pour procéder à une évacuation de l’usine en raison des fortes odeurs de colle. M. Leclabart, arrivé sur les lieux, lui indique qu’il s’agit de l’odeur habituelle et exprime son désaccord avec l’évacuation. L’ambulancier maintient sa demande. Les pompiers se présentent et ordonnent l’évacuation de toute l’usine. L’évacuation a duré environ une heure. Les employés ont pu réintégrer le travail vers 11 h 15.

[32]           L’incident impliquant Mme Lemay survient plus tard, sur l’heure du dîner. Elle travaille chez l’employeur depuis juin 2001 et elle y avait déjà travaillé aussi en 1998. Elle occupe différents postes. Le 3 mai 2006, elle est affectée au façonnage. Elle doit apposer de la colle qui est contenue dans des biberons. Elle n’est pas dans la même section que les autres préposées à la colle. Elle travaille seule ce jour-là et son poste de travail est situé près du mur arrière. Elle se situe environ à 19 mètres du poste des biberons et à 35 mètres de celui de Mme Angers au contrôle. Il y a un tuyau de ventilation à sa table de travail.

[33]           Elle précise qu’elle travaille avec trois biberons plutôt que deux comme à l’habitude. Elle a dû transvider de la colle dans les biberons. Le gallon de colle était presque vide et, dans ce cas-là, la colle est plus épaisse et elle sent plus fort.

[34]           Vers 12 h 30, elle quitte son poste pour le dîner. En montant les escaliers pour se rendre à la cafétéria située au second étage, elle ressent une difficulté à respirer. Elle s’assied pour manger puis se sent faible. Elle décrit plusieurs symptômes : faiblesse, larmes, chaleur mais sensation de froid aux pieds et aux mains, engourdissements (joue, doigts, pieds).

[35]           Une ambulance est appelée et elle est transportée à l’hôpital. Elle est examinée, elle aussi, par le Dr Dubois qui inscrit comme diagnostic : «incommodation odeur d’étiologie indéterminée» et prescrit un arrêt de travail de 48 heures. Aucune analyse ni test n’est demandé.

[36]           Dans le passé, cela lui est arrivé à quelques reprises de demander de sortir à l’extérieur de l’usine parce qu’elle ressentait des tremblements et des engourdissements. Elle parle de trois puis de cinq incidents. Elle a de la difficulté à se remémorer les circonstances précises de ceux-ci. Elle a été transportée par ambulance à l’une de ces occasions, soit le 11 mars 2005. Cela survient, dit-elle, lorsqu’elle a un contact trop direct avec la colle. Elle n’a jamais ressenti des symptômes semblables à l’extérieur du travail.

[37]           Elle souffre d’hypoglycémie mais elle explique que cette condition est sous contrôle et qu’elle ne fait pas l’objet d’un suivi médical. Cela fait près de trois ans qu’elle n’a pas présenté de symptômes d’hypoglycémie.

[38]           Le vendredi 5 mai, elle s’est présentée au travail mais son superviseur lui a demandé un papier autorisant le retour au travail. Elle est donc retournée à l’hôpital. Un rapport final est signé par le Dr Truong autorisant le retour au travail et indiquant qu’il n’y a pas de séquelles. Le diagnostic est toujours celui d’«incommodation par odeurs».

[39]           Le jour même des deux incidents, différents tests sont effectués dans l’établissement. En présence des pompiers, M. Sanscartier effectue des prises d’échantillons pour mesurer le toluène et l’hexane. Il mesure l’hexane à 15 % et le toluène à 25 %. Il explique que la norme est de 50 parties par million (ppm) et le pourcentage indiqué correspond à la quantité mesurée. Par exemple, 25 % équivaut à peu près à 13 ppm.

[40]           Les pompiers indiquent à leur rapport qu’un test de mesure du monoxyde de carbone s’est avéré négatif.

[41]           Ce n’est qu’à 13 h 30 qu’un inspecteur de la CSST se présente sur les lieux. Il prend des mesures de la quantité de toluène et d’hexane dans l’air respirable. Au poste de travail de Mme Angers, il mesure 5 ppm de toluène et 10 ppm d’hexane normales et il indique que cela «représente des quantités négligeables et bien en dessous des normes permises». Au poste de Mme Lemay, des valeurs de 10 ppm de toluène et de 15 à 20 ppm d’hexane normales sont mesurées. Il précise que ces résultats se situent toujours à l’intérieur des normes permises. Il note également qu’aucune présence de monoxyde de carbone n’a été détectée. Il conclut en émettant l’opinion suivante :

Les vapeurs de colle et le monoxyde de carbone n’ont donc pas causé les malaises ressentis par les travailleuses.

 

 

 

L’AVIS DES MEMBRES

[42]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir les requêtes des deux travailleuses et de reconnaître qu’elles ont subi une lésion professionnelle le 3  mai 2006. Il estime que la preuve démontre, par présomption de faits, qu’elles ont été intoxiquées toutes deux par des odeurs qui étaient telles qu’il y a eu une évacuation de l’établissement. Il s’agit d’une intoxication survenue à la suite d’un événement imprévu et soudain.

[43]           Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis contraire et rejetterait les requêtes. Elle considère la preuve insuffisante pour conclure à une lésion professionnelle. Elle retient qu’il y a un système de ventilation efficace en place et qu’aucune travailleuse préposée aux biberons, et donc plus exposée à la colle, n’a présenté de symptômes.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[44]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si Mme Angers et Mme Lemay ont subi une lésion professionnelle le 3 mai 2006, lésion qui a entraîné un court arrêt de travail de deux jours pour chacune d’elles.

[45]           La notion de lésion professionnelle inclut celles de l’accident du travail et de la maladie professionnelle. L’article 2 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles [3] (la loi) donne les définitions suivantes :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

 

 

 « accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

 

 « maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[46]           À la définition de maladie professionnelle, s’ajoutent les articles 29 et 30 de la loi :

29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[47]           La section I de l’annexe I de la loi prévoit, à titre de maladies causées par des produits ou substances toxiques, l’intoxication par les hydrocarbures aliphatiques, alicycliques ou aromatiques :

ANNEXE I

 

MALADIES PROFESSIONNELLES

(Article 29)

 

SECTION I

MALADIES CAUSÉES PAR DES PRODUITS

OU SUBSTANCES TOXIQUES

 

 

MALADIES

GENRES DE TRAVAIL

[...]

[...]

12. Intoxication par les hydrocarbures aliphatiques, alicycliques et aromatiques:

un travail impliquant l'utilisation, la manipulation ou une autre forme d'exposition à ces substances.

 

 

 

[48]           Pour bénéficier de la présomption édictée à l’article 29, les travailleuses doivent établir qu’elles sont atteintes d’une maladie énumérée à l’annexe I, soit ici une intoxication, et qu’elles exercent le travail prévu à l’annexe pour cette maladie, soit une exposition aux hydrocarbures dans le cadre du travail.

[49]           La procureure de l’employeur invoque en premier lieu l’absence de diagnostic. Elle soumet qu’une «incommodation par odeurs» ne constitue pas un diagnostic. Le terme «incommodation» ne se retrouve pas au Nouveau Larousse médical dont elle dépose un extrait. En l’absence de diagnostic, il y a absence de blessure ou de maladie et il ne peut être question de lésion professionnelle, que ce soit sous l’angle de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle. Elle soumet qu’il n’y a pas de preuve médicale démontrant une pathologie quelconque.

[50]           Elle soumet deux décisions au soutien de cet argument : Beauregard et CLSC Gaston Lessard[4] de même que Bélanger et Béton Provincial ltée[5].

[51]           La soussignée estime que ces décisions n’ont pas la portée que leur donne la procureure de l’employeur.

[52]           Dans la première, la commissaire constate l’absence de diagnostic précis lors de la première consultation médicale, le médecin se limitant à noter des symptômes. La commissaire analyse toutefois la preuve concernant un diagnostic de conjonctivite posé 15 jours plus tard.

[53]           Dans la seconde, le commissaire constate que la mention d’une otalgie ne constitue pas un diagnostic spécifique mais indique la présence d’une simple douleur. Il en conclut que le travailleur ne peut pas bénéficier de l’application de la présomption de l’article 28 de la loi, en l’absence d’un diagnostic de blessure. Cependant il n’arrête pas là son analyse et apprécie la preuve de relation entre une douleur à l’oreille et le trauma allégué par le travailleur.

[54]           On ne peut pas conclure de ces décisions que l’absence d’un diagnostic précis empêche la reconnaissance d’une lésion professionnelle. La Commission des lésions professionnelles estime qu’il faut se garder de procéder par automatisme uniquement en fonction du libellé d’un diagnostic. Il faut pousser l’analyse au-delà des termes utilisés et prendre en considération l’ensemble de la preuve médicale, des symptômes décrits, des signes cliniques observés et des examens physiques et radiologiques effectués.

[55]           D’ailleurs, la Cour supérieure a déjà fait un tel reproche à l’ancienne Commission d’appel en matière de lésions professionnelles qui, dans l’affaire Renaud c. Procureur général du Canada[6], avait conclu que le diagnostic de fibromyalgie ne correspondait pas à une maladie et n'indiquait que la présence de douleurs. La Cour supérieure signale qu’on ne peut pas conclure par automatisme sans examiner l’ensemble de la preuve.

[56]           Dans Toupin et CPE de la chenille au papillon[7], la Commission des lésions professionnelles signale qu’un travailleur n’a pas à subir les conséquences de l’imprécision d’un diagnostic posé par un médecin.

[57]           Dans une affaire se rapprochant davantage de la nôtre, Cascades Groupe Tissu inc. et Petitclerc[8], une travailleuse est affectée au nettoyage et à la peinture de la machinerie, avec des produits contenant des hydrocarbures aromatiques et aliphatiques. Elle soumet une réclamation à la CSST avec une attestation médicale sur laquelle est inscrit comme diagnostic : «Exposition à vapeurs R-OH + solvants - malaises secondaires».

[58]           La Commission des lésions professionnelles conclut à l’application de la présomption de maladie professionnelle. Elle rejette ainsi l’argument de l’employeur sur la question du diagnostic :

[30]      Le docteur Paquette n’emploie effectivement pas le terme précis d’intoxication. Cependant, parce qu’il précise clairement à son rapport médical qu’il estime être en présence de « malaises secondaires » à une « exposition à des vapeurs d’alcool et de solvants », la Commission des lésions professionnelles estime qu’il faut comprendre que ce médecin conclut en fait à une intoxication à ces substances.

 

[31]      À maintes reprises, le tribunal a décidé que la notion d’intoxication retrouvée à l’annexe I de la loi devait être définie en référant au sens commun de ce terme. Notamment, dans l’affaire Stacey et Allied Signal Aérospatiale inc.[2] , la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles s’exprime comme suit à ce sujet :

 

« La notion d’intoxication n’étant pas définie dans la loi, la Commission d’appel considère qu’il y a lieu, d’une part, de se référer au sens usuel du terme et d’autre part, de chercher le but poursuivi par le législateur en édictant cette partie de l’annexe de la loi, afin d’en comprendre sa signification et sa portée. De plus, il ne faut pas oublier que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est une loi sociale qui a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires. C’est dans ce contexte que le tribunal doit interpréter la notion d’intoxication qu’on retrouve à l’annexe afin de lui donner son plein effet.

 

Le Petit Robert définit ainsi le terme « intoxication » :

 

« Action nocive qu’exerce une substance toxique (poison) sur l’organisme : ensemble des troubles qui en résultent …»

 

Le Dictionnaire de Médecine Flammarion définit ce terme comme suit :

 

« INTOXICATION Ensemble des accidents provoqués par des substances toxiques, provenant de l’extérieur (intoxication exogène) ou de l’intérieur de l’organisme (intoxication endogène : concept un peu vieilli et terme encore plus désuet). »

 

De ces définitions, il faut conclure que la notion d’« intoxication » comprend aussi bien l’intoxication chronique qu’aiguë, puisqu’elle consiste en l’ensemble des troubles ou des accidents qui résultent de l’action nocive d’une substance toxique. »

 

[32]      Puisqu’une intoxication constitue un ensemble des troubles qui résultent de l’action nocive qu’exerce une substance toxique sur l’organisme, il est permis de conclure que c’est là le diagnostic que pose le docteur Paquette même s’il n’emploie pas formellement ce terme puisqu’il conclut à l’existence de malaises qui sont secondaires à une exposition à des substances toxiques.

_____________________

[2] [1997] C.AL.P. 1713

 

 

 

[59]           La soussignée partage cette interprétation. Dans le présent dossier, il est vrai que le Dr Dubois qui reçoit les deux travailleuses à l’urgence ne pose pas un diagnostic d’intoxication. Il utilise le terme d’«incommodation», terme qu’on ne retrouve pas dans les dictionnaires de médecine ni dans les dictionnaires généraux du reste.

[60]           La Commission des lésions professionnelles ne peut pas conclure à l’absence de lésion uniquement parce que le médecin a choisi ce terme ou a fait une faute de langage. Ce terme renvoie à celui d’incommoder qui signifie «causer une gêne physique». Le médecin associe cela aux odeurs. Dans les circonstances, cela apparaît compatible avec une intoxication. Même s’il n’utilise pas le terme d’intoxication, il constate des malaises secondaires à une exposition à des substances toxiques.

[61]           Bien sûr, il s’agit ici d’une intoxication légère mais malgré tout réelle. Certes les symptômes présentés par les travailleuses ne sont pas spécifiques à une intoxication mais il n’y a pas de preuve d’une autre pathologie permettant de les expliquer.

[62]           Mme Angers, plus particulièrement, décrit des symptômes qui correspondent à une intoxication. La fiche signalétique de la colle indique que la respiration des vapeurs de ce produit peut causer un étourdissement et un battement de cœur irrégulier. La fiche sur le toluène signale que l’inhalation des vapeurs peut causer des étourdissements, une sensation d’ébriété et des nausées. Les malaises de Mme Angers ont même causé un évanouissement.

[63]           Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve démontre que les deux travailleuses ont été victimes d’une intoxication.

[64]           La situation se distingue des décisions invoquées par l’employeur. Dans Croteau et Lab Société commandite Black Lake[9] de même que dans Jacob et Natpro inc.[10], la Commission des lésions professionnelles a conclu que la présomption de l’article 29 ne pouvait recevoir application puisque les travailleurs concernés n’avaient pas établi qu’ils étaient atteints de la maladie alléguée, une encéphalopathie (un trouble cérébral). Dans ces deux affaires, une importante preuve médicale y compris des expertises est faite sur cette maladie et sur les symptômes et tests requis pour poser un tel diagnostic.

[65]           Tel n’est pas le cas en l’espèce. La preuve médicale se résume aux petits rapports médicaux émis pour la CSST et aux dossiers cliniques. Comme nous l’avons vu plus haut, la notion d’intoxication est plus générale puisqu’il est question de l’ensemble des troubles résultant d’une substance toxique.

[66]           Quant à la décision rendue dans Général Motors du Canada ltée et Kane[11], le médecin avait parlé d’inhalation à des vapeurs de peinture. Le commissaire conclut qu’une inhalation ne correspond pas à une intoxication et, par conséquent, il ne constitue pas un diagnostic de maladie.

[67]           Pour les motifs déjà énoncés, la soussignée considère que le terme «incommodation», dans les circonstances du présent dossier, est assimilable à une intoxication.

[68]           La Commission des lésions professionnelles estime également que les travailleuses ont fait la preuve qu’elles exercent un travail impliquant l'utilisation, la manipulation ou une autre forme d'exposition à des hydrocarbures. En effet, la colle utilisée au travail est composée de toluène, un hydrocarbure aromatique, et d’hexane, un hydrocarbure aliphatique. Mme Lemay applique cette colle alors que Mme Angers en enlève les excédents et elle est dans un environnement où d’autres personnes en manipulent.

[69]           L’employeur fait valoir qu’en vertu du Règlement sur la santé et la sécurité du travail[12], les normes d’exposition[13] pour le toluène et l’hexane sont de 50 ppm (partie par million) alors que les mesures effectuées démontrent des concentrations bien en dessous de ces normes.

[70]           Il faut d’abord relativiser la valeur des mesures prises par M. Sanscartier et par l’inspecteur de la CSST. Les premières ont lieu après l’évacuation de l’usine donc après l’ouverture des portes ce qui a permis une circulation d’air. Quant à celles de la CSST, elles se font en début d’après-midi seulement. Elles ne sont pas nécessairement représentatives des concentrations auxquelles les travailleuses ont pu être exposées.

[71]           De toute façon, la Commission des lésions professionnelles estime que le seuil d’exposition n’a pas à dépasser un niveau particulier ou une norme précise. Le législateur ne pose pas cette exigence.

[72]           Dans Cascades Groupe Tissu inc. et Petitclerc[14], la Commission des lésions professionnelles dispose ainsi de l’argument relatif au seuil minimal d’exposition :

 

[34]      De plus, suivant la jurisprudence [4], le travailleur n’a pas à faire la preuve d’un seuil minimal d’exposition à une substance toxique pour bénéficier de la présomption de maladie professionnelle puisque, tel qu’il appert de l’annexe I de la loi, le législateur n’a pas prévu qu’un degré d’exposition donné à ces substances était requis.

_______________________

[4] Voir notamment : Gagné et Miron inc., C.A.L.P. 05190-60-8711, 9 août 1991, M. Paquin; Roy et Hawker Siddeley Canada inc., [1999] C.L.P. 279 ; Mineault et Hull Volkswagen, [2002] C. L. P. 646 , requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Hull, 550-17-000736-031, 3 juin 2003, j. Tannenbaum

 

 

[73]           Pour faire un parallèle avec une autre maladie professionnelle, soit la surdité professionnelle, on note que pour pouvoir bénéficier de la présomption, un travailleur doit faire la preuve d’un travail impliquant une «exposition à un bruit excessif». Le législateur ne pose pas cette exigence en matière de travail impliquant une exposition à des substances toxiques.

[74]           En matière de surdité professionnelle, la jurisprudence[15] reconnaît que les normes règlementaires visent un objectif de prévention alors que la loi vise la réparation des lésions professionnelles et, par conséquent, ces normes ne peuvent pas s’appliquer à la détermination de ce qu’est un bruit excessif.

[75]           À plus forte raison, lorsque le législateur requiert uniquement la preuve d’une exposition sans qualifier celle-ci, on ne peut exiger la preuve que l’exposition dépasse les normes règlementaires.

[76]           Certaines des décisions déposées par l’employeur exigent la preuve de concentrations élevées[16] ou refusent de reconnaître comme risques particuliers du travail une exposition à des irritants dont la concentration est inférieure aux normes règlementaires[17]. La soussignée considère que le législateur n’exige pas une telle preuve pour donner ouverture à la présomption de l’article 29 lorsqu’il demande la preuve d’un travail «impliquant l'utilisation, la manipulation ou une autre forme d'exposition» aux hydrocarbures identifiés.

[77]           La Commission des lésions professionnelles conclut donc que la présomption de l’article 29 doit s’appliquer. Les travailleuses ont démontré qu’elles ont été victimes d’une intoxication aux hydrocarbures et qu’elles sont exposées à ces substances dans leur travail.

[78]           L’employeur soumet qu’elles n’ont pas fait une preuve de relation entre l’«incommodation» dont elles ont souffert et leur exposition. Les travailleuses n’ont pas à faire cette preuve. C’est l’effet même de l’application de la présomption de l’article 29 d’établir cette relation.

[79]           L’employeur n’a pas soumis une preuve permettant de renverser cette présomption.

[80]           On peut comprendre que dans le cas de certaines atteintes plus graves, il faudra la preuve d’une exposition suffisante à des substances toxiques pour causer cette atteinte. L’employeur renversera la présomption en faisant cette démonstration.

[81]           L’employeur insiste sur le fait qu’il y a un bon système de ventilation en place, et il en a fait la preuve. Cependant cela n’empêche pas que l’utilisation ou l’exposition à la colle, contenant des hydrocarbures aromatiques et aliphatiques, puisse causer une intoxication légère comme dans le présent dossier. L’employeur n’a pas démontré que l’exposition des travailleuses ne peut pas avoir causé celle-ci. Il n’y a pas non plus de preuve d’une cause étrangère pouvant expliquer les malaises présentés par les deux travailleuses ce jour-là.

[82]           La soussignée a de la difficulté à attribuer uniquement au hasard le fait que deux travailleuses ont présenté un malaise ce jour-là pour lequel un même diagnostic a été posé. De plus, même en tenant compte que plusieurs témoins affirment qu’il y a toujours des odeurs de colle, ce qui apparaît fort plausible, il demeure tout de même que les ambulanciers et pompiers ont jugé opportun d’évacuer l’usine.

[83]           La Commission des lésions professionnelles conclut donc que Mme Angers et Mme Lemay ont subi une lésion professionnelle le 3 mai 2006.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 299480-04-0609

ACCUEILLE la requête de Mme Paula Angers;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 18 septembre 2006 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que Mme Angers a subi une lésion professionnelle le 3 mai 2006.

Dossier 300033-04-0609

ACCUEILLE la requête de Mme Guylaine Lemay;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 septembre 2006 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que Mme Lemay a subi une lésion professionnelle le 3 mai 2006.

 

 

 

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Lucie Nadeau

 

Commissaire

 

 

 

 

Mme Stéphanie Boisvert

S.C.E.P. SECTION - LOCALE 145

Représentante des parties requérantes

 

 

Me Francine Legault

HEENAN BLAIKIE

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           Suivant le relevé déposé par l’employeur.

[2]           Id.

[3]           L.R.Q., c. A-3.001

[4]           C.L.P. 128066-05-9912, 8 septembre 2000

[5]           [1998] C.L.P. 546

[6]           [1997] C.A.L.P. 1834 (C.S.)

[7]           C.L.P. 256276-03B-0503, 6 mars 2006, R. Savard

[8]           [2004] C.L.P. 251

[9]           C.L.P. 107752-03B-9812, 1er juin 1999, P. Brazeau

[10]         C.L.P. 66551-04-9502, 14 juillet 1998, M. Carignan

[11]         C.A.L.P. 39476-60-9205, 13 février 1995, J.-G. Béliveau

[12]         (2001) 133 G.O. II, 5020

[13]         La concentration moyenne, pondérée pour une période de 8 heures par jour, en fonction d'une semaine de 40 heures, d'une substance chimique (sous forme de gaz, poussières, fumées, vapeurs ou brouillards) présente dans l'air au niveau de la zone respiratoire du travailleur.

[14]         Précité, note 8

[15]         Rondeau et Bow Plastiques ltée, C.A.L.P. 29574-62-9106, 16 décembre 1992, J. L'Heureux, (J5-02-07); J. Sirois électrique inc. et Blackburn, C.A.L.P. 73829-02-9510, 15 octobre 1996, M. Carignan, (J8-09-15); Bond et BG Checo inc., [1999] C.L.P. 270 ; Sweeney et Cartonniers Laval inc., C.L.P. 172387-61-0111, 19 avril 2002, G. Morin; Brisson et Cité de Dorval,   [2003] C.L.P. 417 ; Genfoot inc. et Gosselin, C.L.P. 245725-62-0410, 19 septembre 2006, L. Boucher

[16]         Général Motors du Canada ltée et Kane, précité note 11

[17]         Hébert et Centre hospitalier de l’Université de Montréal, C.L.P. 103524-62-9807, 12 février 2002, G. Godin

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