Décision

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Roland Boulanger inc. et Chassé

2008 QCCLP 6398

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Drummondville

Le 7 novembre 2008

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossiers :

300183-04B-0610   357690-04B-0809

 

Dossier CSST :

129486510

 

Commissaire :

Michel Watkins, juge administratif

 

Membres :

Ginette Vallée, associations d’employeurs

 

Serge Saint-Pierre, associations syndicales

 

 

Assesseure :

Docteure Guylaine Landry-Fréchette

______________________________________________________________________

 

 

 

Roland Boulanger inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Denis Chassé

 

Partie intéressée

 

 

 

Et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

Dossier 300183-04B-0610

 

[1]                Le 6 octobre 2006, Roland Boulanger inc., l’employeur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 3 octobre 2006 lors d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale rendue le 15 septembre 2006, déclare qu’elle est liée à l’avis du Bureau d’évaluation médicale et en conséquence, déclare que la lésion professionnelle subie par le travailleur le 26 novembre 2005 lui a causé une radiculopathie cervicale droite aux niveaux C5, C6 et C7 et une atteinte neurologique chronique au niveau C6-C7 droit.

[3]                Par cette décision, la CSST déclare que le travailleur a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu puisque sa lésion n’est pas consolidée et qu’elle est justifiée de poursuivre le paiement des soins et traitements puisqu’ils sont nécessaires en regard de la radiculopathie cervicale.

Dossier 357690-04B-0809

[4]                Le 5 septembre 2008, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 26 août 2008 lors d’une révision administrative.

[5]                Par cette décision, la CSST déclare sans effet sa décision rendue le 2 mai 2008 puisque remplacée par celle rendue le 21 juillet 2008 et, conformément à l’avis rendu par le Bureau d’évaluation médicale, déclare que le travailleur conserve de sa lésion une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique de 4,50 %, lui donnant droit à une indemnité pour préjudice corporel de 2771,55 $.

[6]                Par cette même décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision formulée par l’employeur le 10 juillet 2008 à l’encontre d’une décision rendue le 2 juin 2008, laquelle conclut que malgré ses limitations fonctionnelles, le travailleur est capable d’occuper son emploi depuis le 11 mai 2008, au motif qu’elle a été produite en dehors du délai imparti et qu’aucun motif raisonnable permettant à l’employeur d’être relevé de son défaut n’a été présenté.

[7]                L’audience s’est tenue à Drummondville le 7 octobre 2008 en présence des parties dûment représentées. La Commission de la santé et de la sécurité du travail est absente, malgré son avis de comparution produit au dossier 300183-04B-0610.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 300183-04B-0610

[8]                L’employeur demande de reconnaître que le diagnostic qui aurait dû être reconnu, par le Bureau d’évaluation médicale, en lien avec la lésion professionnelle du travailleur en est un de radiculopathie droite C6-C7, greffée sur une condition personnelle de sténose foraminale C5-C6 et C6-C7 droite.

Dossier 357690-04B-0809

[9]                L’employeur demande de reconnaître que sa contestation de la décision de la CSST du 2 juin 2008 a été logée dans les délais légaux. Au surplus, il allègue que de toute façon, ayant contesté la décision de la CSST du 10 juillet 2008 dans le délai légal, alors que cette décision porte également sur la capacité du travailleur de reprendre son emploi, il doit être autorisé à en contester le bien-fondé.

[10]           L’employeur demande de déclarer que le travailleur est incapable de reprendre son emploi. Il demande de retourner le dossier à la CSST, en raison du fait que la décision portant sur la capacité du travailleur de reprendre son emploi a été rendue sans une analyse approfondie de la situation.

L’AVIS DES MEMBRES

[11]           De façon unanime, les membres sont d’avis d’accueillir la requête de l’employeur afin de préciser le diagnostic qui aurait dû être retenu par le docteur Lemire, membre du Bureau d’évaluation médicale.

[12]           Les membres sont d’avis que la preuve médicale est probante à l’effet que la sténose foraminale C5-C6 et C6-C7 constatée chez le travailleur explique les atteintes aux racines C6 et C7 notées par les divers médecins au dossier et la foraminectomie qui en a découlé à compter du 25 septembre 2007.

[13]           Les membres croient par ailleurs que l’employeur a démontré avoir formulé sa demande de révision de la décision du 2 juin 2008 dans les trente jours de sa notification, de sorte que le délai légal de contestation a été respecté.

[14]           Quant à cette même décision au sujet de la capacité du travailleur à reprendre son emploi, les membres sont d’avis que la requête de l’employeur doit être également accueillie et le dossier retourné à la CSST pour qu’elle reprenne l’étude de cette question.

[15]           Les membres partagent le même avis à ce sujet, à savoir que la rencontre tenue par la CSST, le 7 mai 2008, n’a pas permis de trouver des réponses adéquates aux problématiques soulevées par l’employeur et par le travailleur quant à son emploi et qu’en conséquence, la décision rendue doit être annulée.

 

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

Dossier 300183-04B-0610

[16]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer le diagnostic à retenir en lien avec la lésion professionnelle subie par le travailleur le 26 novembre 2005.

[17]           Le tribunal retient de l’analyse du dossier, des éléments soumis par les parties à l’audience et de l’admission de celles-ci, les faits suivants.

[18]           Le travailleur est employé à la consolidation à plein temps chez l’employeur depuis avril 1999. Il travaille selon un horaire fixe, tous les vendredi, samedi et dimanche, de 6 h 30 à 19 h 30. Il n’effectue pas de surtemps.

[19]           Son travail consiste à inspecter des paquets de moulures de quatre pieds de large par huit pieds de long, par quatre pieds et demi de hauteur, puis de mettre des « feuilles de veneer » de chaque côté pour les protéger lors de la manipulation et du transport. Par la suite, il doit pousser le paquet sur les rouleaux d’un convoyeur.

[20]           Le 26 novembre 2005, en poussant un paquet de moulures très lourd sur le convoyeur, le travailleur ressent une douleur dans le dos. Il déclare l’événement à son employeur le même jour, mais ne cesse pas de travailler.

[21]           Le 27 avril 2006, la CSST reconnaît que le travailleur a subi un accident du travail, le 26 novembre 2005, lui ayant causé une radiculopathie C5-C6, C6-C7 droite et une trapézite droite, tel que déterminé par le médecin du travailleur, décision confirmée lors d’une révision administrative le 15 juin 2006.

[22]           Le 30 août 2006, le docteur Lemire, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, pose les diagnostics de radiculopathie C5, C6 et C7 droite et celui d’atteinte neurologique chronique au niveau C6-C7 droit.

[23]           Le 15 septembre 2006, la CSST reconnaît ce dernier diagnostic, posé par le docteur Lemire, en lien avec la lésion professionnelle. Cette décision est confirmée par la CSST lors d’une révision administrative le 3 octobre 2006, d’où le présent litige.

[24]           À l’audience, les parties déposent une admission par laquelle ils demandent à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que le diagnostic tel que posé par le docteur Lemire, membre du bureau d’évaluation médicale, est imprécis et qu’il doit être complété.

[25]           Les parties demandent de déclarer que le diagnostic à retenir en est un de radiculopathie droite C6-C7, greffée sur une condition personnelle de sténose foraminale C5-C6 et C6-C7 droite. Au soutien de leur admission, les parties réfèrent le tribunal à de nombreuses expertises au dossier qui appuient leur position commune.

[26]           Pour les motifs suivants, la Commission des lésions professionnelles est d’avis d’accueillir la requête de l’employeur.

[27]           Au moment de son examen, le docteur Lemire du Bureau d’évaluation médicale rapporte les résultats d’une résonance magnétique faite le 6 avril 2006 et qui indique la présence d’une sténose foraminale secondaire aux niveaux C3-C4, C5-C6 et C6-C7. Docteur Lemire rapporte également l’avis du docteur Arbour, neurologue, qui note une « légère atteinte radiculaire C6-C7 droite chronique » et qui conclut à « une contusion radiculaire provoquée par un effort violent, dans un contexte de modification dégénérative multiétagée cervicale sous-jacente ».

[28]           Dans son avis motivé, le docteur Lemire écrit ceci :

« CONSIDÉRANT la description de l’événement accidentel, soit celui d’un effort de poussée d’objets lourds avec apparition immédiate d’une douleur à la région cervicale et dorsale droite avec irradiation au membre supérieur droit;

 

CONSIDÉRANT l’apparition aussi d’une douleur en regard du trapèze droit;

 

CONSIDÉRANT les constatations faites initialement par le médecin qui l’a vu en avril 2006 avec radiculopathie C5 droite et de trapézite droite;

 

CONSIDÉRANT que l’investigation radiologique a démontré des changements dégénératifs étagés aux niveaux C3-C4, C5-C6 et C6-C7 avec sténose foraminale droite;

 

CONSIDÉRANT l’évaluation en neurologie où il n’y a pas de déficit neurologique franc décelé mais qu’à l’histoire il y a eu irradiation dans les territoires radiculaires C6-C7 avec Valsalva positif mais qui s’est amélioré par la suite;

 

CONSIDÉRANT la douleur en regard de l’épicondyle externe augmentée par la dorsiflexion du poignet droit contre résistance :

 

-          Tous ces éléments m’amènent à conclure à une radiculopathie cervicale droite initialement diffuse mais qui s’est précisée en cours d’évolution dans les territoires C5 (trapèze et épaule) et il y a eu des éléments au niveau C6 et C7 qui sont moins précis présentement.

 

-          Il y a aussi évidence chez lui d’une atteinte neurologique chronique au niveau C6-C7 droit. »

 

 

[29]           De l’avis du tribunal, le docteur Lemire a bien noté la présence de la sténose foraminale droite à C5-C6 et C6-C7, bien qu’il ne l’ait pas incluse au diagnostic telle que libellée.

[30]           De l’avis du tribunal, cette sténose foraminale C5-C6 et C6-C7 explique en grande partie les atteintes aux niveaux de C6 et de C7 qui seront constatées par les différents médecins par la suite et ultimement, qui entraînera la foraminectomie C6-C7 que subira le travailleur le 24 septembre 2007. Or, cette foraminectomie C6-C7 a été acceptée par la CSST au titre d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion initiale du 26 novembre 2005.

[31]           Ainsi, le tribunal retient que les médecins suivants notent tous une atteinte aux racines de C6 et de C7, en lien avec la sténose foraminale C5-C6 et C6-C7:

-          Docteur Beauchamp, médecin désigné de l’employeur, dans ses notes du 20 novembre 2006;

-          Docteur Bouvier, neurochirurgien et membre du Bureau d’évaluation médicale, dans son rapport du 13 février 2007;

-          Docteur Charest, neurologue, à la suite de l’électromyogramme du 18 avril 2007;

-          Docteur Lépine, chirurgien orthopédiste, dans son évaluation du 19 septembre 2007 :

-          Docteur Truffer, neurochirurgien, le 26 septembre 2007, au protocole opératoire où il note : « Patient admis électivement pour des brachialgies, qui souffrait donc de brachialgies secondaires à des sténoses foraminales »;

-          Docteur Verret, neurologue et membre du Bureau d’évaluation médicale, dans son rapport du 23 juin 2008;

-          Docteur Deshaies, médecin ayant charge du travailleur.

 

[32]           Le tribunal est d’avis que la preuve médicale prépondérante confirme la position adoptée par l’employeur. En conséquence, la Commission des lésions professionnelle accueille sa requête et détermine que le diagnostic à retenir, à la suite de la lésion professionnelle du travailleur, est celui de radiculopathie droite C6-C7, greffée sur une condition personnelle de sténose foraminale C5-C6 et C6-C7 droite.

Dossier 357690-04B-0809

[33]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur est capable d’occuper son emploi, tel que l’a déterminé la CSST le 2 juin 2008.

[34]           Le tribunal doit cependant d’abord déterminer si la demande de révision formulée par l’employeur le 10 juillet 2008 à l‘égard de cette décision est recevable.

[35]           La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit ceci :

358.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

 

Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .

 

Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .

__________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.

 

 

358.2.  La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.

__________

1997, c. 27, a. 15.

 

 

[36]           Le tribunal constate, à la lecture du dossier, que la CSST a rendu trois décisions qui traitent de la capacité du travailleur à reprendre son emploi à la suite de son épisode de rechute acceptée par la CSST le 29 novembre 2007.

[37]            En effet, le 28 mai 2008, la CSST rend une première décision par laquelle elle déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 11 mai 2008, malgré les limitations fonctionnelles qu’il conserve de sa lésion. Cette décision apparaît à la page 187 du dossier.

[38]           Puis, le 2 juin 2008, la CSST rend une seconde décision, en tout point identique à la première, reproduite à la page 467 du dossier. Le tribunal ne possède aucune explication quant à la raison de cette seconde décision.

[39]            Enfin, le 10 juillet 2008, la CSST entérine l’avis du docteur Verret, membre du Bureau d’évaluation médicale, rendu le 23 juin 2008. Par cette même décision, la CSST se prononce à nouveau sur le même sujet. Elle y énonce ceci :

« Compte tenu de vos limitations fonctionnelles, nous concluons que vous êtes capable d’exercer votre emploi. Nous avions déjà cessé de vous verser des indemnités de remplacement de revenu le 11 mai 2008. »

 

 

[40]           Le 10 juillet 2008, l’employeur conteste, par télécopieur, la décision du 2 juin 2008. À sa lettre, l‘employeur indique ceci :

« Par la présente, nous contestons la décision de la CSST datée du 2 juin 2008, reçue à nos bureaux le 6 juin 2008 et en l’absence de la soussignée traitée le 9 juin 2008. »

 

 

[41]           Dans une note apparaissant au dossier le 11 juillet 2008, la CSST fait état d’un appel logé la veille par madame Sophie Lefebvre, représentante de l’employeur. L’agent rapporte ceci :

« Titre : Message d’hier de Mme Lefebvre : contestation cap-travail

- ASPECT MÉDICAL :

Elle croyait que BEM donnait des L.F. de classe 2 et Md traitant de classe 1. Lors de mon message, je lui précise que les 2 donnent les limitations de classe 2

-ASPECT LÉGAL :

Elle voulait savoir si T avait contesté sa cap-rat? Lors de mon retour d’appel, je l’informe que non. Elle me demande de rendre ma décision suite à l’avis du BEM le plus tôt possible afin que la DRA en soit saisie et que lors de l’audition en octobre à la CLP, tout puisse être entendu. Je l’avise que la décision est déjà rendue. »

 

 

[42]           Le même jour, l’agent note ceci :

« Titre : E conteste décision cap travail

-ASPECT LÉGAL :

Contestation de la décision du 2 juin 08 concernant la capacité d’occuper son emploi.

RREV-ENR »

 

 

[43]           Le 16 juillet 2008, l’employeur demande la révision de la décision du 10 juillet 2008.

[44]           À l’audience, madame Sophie Lefebvre, responsable des ressources humaines chez l’employeur, témoigne.

[45]           Le témoin affirme qu’elle est la personne chez l’employeur en charge des dossiers de santé et de sécurité du travail et que dans le cas sous étude, bien que l’entreprise ait reçue le 6 juin 2008 la décision datée du 2 juin 2008, et qu’elle ait été acheminée à son bureau pour traitement, elle n’en a pris connaissance que le 10 juin 2008, ayant été absente les jours précédents.

[46]           À ce moment, le témoin n’a pas immédiatement contesté la décision, croyant que le travailleur le ferait, comme ce fut le cas à l’égard d’une première décision de la CSST portant sur la capacité du travailleur à reprendre son emploi, le 16 mars 2007.

[47]           De plus, au moment de la décision du 2 juin 2008, l’employeur était en attente d’un avis demandé au Bureau d’évaluation médicale quant aux limitations fonctionnelles et à l’atteinte permanente du travailleur, à la suite de sa rechute de septembre 2007.

[48]           D’ailleurs, le témoin explique avoir contesté, dans le délai légal, la décision de la CSST du 10 juillet 2008 entérinant l’avis du Bureau d’évaluation médicale rendu le 7 juillet 2008, décision dans laquelle la CSST se prononce à nouveau sur la capacité du travailleur à occuper son emploi.

[49]           À la lumière des éléments colligés au dossier et du témoignage non contredit du témoin de l’employeur, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la demande de révision par l’employeur de la décision du 2 juin 2008 est recevable pour les motifs suivants.

[50]           Comme l’a rappelé la Commission des lésions professionnelles dans une décision récente[2], il appartient à la partie requérante de démontrer que sa demande est recevable, et par conséquent, de faire la preuve de la date à laquelle la décision lui a été notifiée.

[51]           Le tribunal rappelle que la loi parle de notification de la décision et non de sa réception. Le dictionnaire Petit Robert 1[3], donne la définition suivante :

« Notification. n.f. (1314, « connaissance »; du rad. lat. de notifier). Dr.(1468). Action de notifier; acte par lequel on notifie.

[…]

Dr. Admin. Information communiquée en la forme administrative à une personne pour porter à sa connaissance une décision qui la concerne. »

 

 

[52]           Le tribunal a pu apprécier le témoignage de la représentante de l’employeur et lui accorde une grande crédibilité. Ses explications ont été claires et nullement contredites. Le tribunal est d’avis que l’employeur n’a pris connaissance de la décision de la CSST que le 10 juin 2008 et dans les circonstances, la demande de révision formulée le 10 juillet 2008 a été faite dans les trente jours de sa notification, conformément au texte de l’article 358 de la loi.

[53]           Au demeurant et même si le tribunal est d’avis qu’il n’a pas à déterminer si l’employeur a démontré un motif raisonnable, au sens de l’article 358.2 de la loi lui permettant d’être relevé de son défaut, puisqu’il en arrive à la conclusion qu’il y a eu contestation dans le délai de trente jours de la notification, la Commission des lésions professionnelles aurait de toute façon considéré que l’employeur a présenté un tel motif raisonnable.

[54]           Le moins que l’on puisse dire dans ce dossier, c’est que la CSST a rendu de nombreuses décisions touchant la capacité du travailleur à reprendre son emploi tenant compte de la rechute du travailleur subie en septembre 2007.

[55]           Au moment de rendre la seconde décision, celle donnant lieu au présent litige, l’employeur est en attente d’un avis du Bureau d’évaluation médicale qui doit précisément se prononcer sur les limitations fonctionnelles que conservera le travailleur de sa lésion, sujet tout à fait pertinent à cette détermination de la capacité du travailleur à occuper son emploi. Or, dès que la CSST rend sa décision à la suite de cet avis, le 10 juillet 2008, et qu’elle se prononce à nouveau sur la capacité du travailleur à occuper son emploi, l’employeur conteste cette décision.

[56]           De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, on ne saurait tenir rigueur à l’employeur, dans les circonstances du présent dossier de son omission de contester la décision du 2 juin 2008, dont il prend connaissance le 10 juin 2008, mais alors qu’il attend de connaître la nature des limitations fonctionnelles du travailleur, que le 10 juillet 2008.

[57]           Au surplus, le tribunal voit très mal comment il pourrait à la fois déterminer que l’employeur ne pouvait contester la décision du 2 juin 2008 alors qu’il a validement contesté celle du 10 juillet 2008 dans lequel la CSST réitère la capacité du travailleur à occuper son emploi.

[58]           Dans les circonstances, le tribunal est d’avis que les démarches de l’employeur auraient constitué un motif raisonnable, au sens de l’article 358.2 de la loi, si le tribunal n’avait pas conclu comme il l’a fait sur la question de la notification de la décision du 2 juin 2008.

[59]           L’employeur soutient que la décision de la CSST qui déclare le travailleur capable d’occuper son emploi est mal fondée. Il soutient que cette décision ne repose que sur une seule rencontre ayant eu lieu le 7 mai 2008 en présence des parties, rencontre durant laquelle l’on n’a pas correctement évalué les tâches du travailleur à la lumière de ses limitations fonctionnelles. Il demande donc au tribunal d’annuler cette décision et de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle analyse la question de nouveau.

[60]           Une longue note au dossier fait état de cette rencontre entre l’agent de la CSST, madame Claudine Comeau et le travailleur, dans les locaux de l’employeur. Sont également présents à la rencontre madame Sophie Lefebvre et monsieur Yvan Côté pour l’employeur, monsieur Foisy, superviseur, et monsieur Emond, représentant syndical.

[61]           Il ressort de cette note que l’agent a bien en tête les limitations fonctionnelles établies par le docteur Delisle, membre du Bureau d’évaluation médicale, le 10 avril 2008, qu’elle rapporte à la note, précisant que ces limitations fonctionnelles sont maintenant de classe 2, selon l’Institut de recherche en santé et en sécurité du Québec (IRSST), alors qu’elles étaient de classe 1 auparavant. Elle note :

« Ainsi, T doit éviter de :

-          soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges de plus de 15 kg;

-          les activités qui impliquent d’effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, extension ou torsion de la colonne cervicale, même de faible amplitude;

-          ramper;

-          subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale. »

 

 

[62]           Elle procède ensuite à l’analyse des tâches du poste du travailleur, « à la consolidation » en tenant compte des notes qu’elle avait colligées à la suite d’une visite du poste en mars 2007, soit avant la rechute de septembre 2007.

[63]           Puis l’agent demande au travailleur de lui indiquer s’il voit des problématiques dans cette tâche à la lumière des nouvelles limitations fonctionnelles lui ayant été reconnues à la suite de sa rechute. L’agent rapporte alors ceci :

« Lorsque je demande au T ce qu’il voit comme problématique dans cette tâche en fonction de ses nouvelles limitations, il me dit qu’il n’y a aucun problème à refaire ce travail, qu’après en avoir parlé avec son avocat, c’est ce qui lui fut conseillé. De plus, il me dit que depuis qu’il a quitté l’usine, il peut y avoir eu des changements et il ne veut pas trop s’avancer.

À force de discuter, T finit par nous demander de regarder particulièrement :

 

-          les feuilles de contre-plaqué à manipuler qui étaient de ¾ de pouces pour environ 30-40 lbs;

-          lors de l’utilisation du chariot de ramassage pour aller prendre des pièces en haut, il semble qu’il n’était pas à égalité et qu’il devait tirer avec ses bras pour se hisser et accéder à la marchandise;

-          aller chercher un paquet dans un paquet prêt pour expédition, ce qui selon le T se produit souvent, c’est-à-dire 1/3. Ça demande de frapper avec un marteau de caoutchouc afin de faire sortir le paquet et peut se faire à 2. »

[64]           L’agent obtient des renseignements de la part des gens présents et conclut que dans les trois cas identifiés par le travailleur, les tâches respectent ses limitations fonctionnelles. Notamment, le superviseur Foisy explique que les feuilles de contreplaqué manipulées pèsent environ 10 livres chacune.

[65]           L’agent conclut donc sur la foi de ces divers renseignements que le travailleur est capable d’occuper son emploi « à la consolidation », malgré ses limitations fonctionnelles.

[66]           Madame Sophie Lefebvre témoigne qu’elle était présente à la rencontre du 7 mai 2008. Le témoin explique que quatre problématiques ont expressément été soulevées auprès de l’agent de la CSST, quant aux tâches du travailleur et que ces quatre sujets n’ont pas été traités et n’apparaissent pas aux notes de l’agent.

[67]           En premier lieu, le témoin explique que lors de la préparation des ballots de moulures, le travailleur doit placer des feuilles de contreplaqué au fond de la pile. Le témoin indique que chaque feuille fait 40 pouces par 84 pouces sur 3/8 de pouce d’épaisseur et pèse 18,2 kg. Selon le témoin, les renseignements fournis à l’agent sur les feuilles de contreplaqué de 1/4 de pouce d’épaisseur par le superviseur ne permettent pas de conclure de la même façon au sujet des feuilles de 3/8 de pouce d’épaisseur et le témoin insiste sur le fait qu’aucune réponse n’a été apportée à cette problématique le 7 mai 2008.

[68]           Deuxièmement, le témoin explique que le travailleur doit régulièrement aller chercher une boîte de vrac, laquelle pèse près de 400 livres et qui se trouve dans un endroit restreint. Le témoin explique qu’il faut alors tirer sur la boîte et que normalement, elle glisse bien. Cependant, le témoin précise qu’il peut se produire un coincement susceptible d’entraîner un contrecoup pour le travailleur, sans compter la position de flexion dans laquelle il se trouve. À nouveau, le témoin explique que cette problématique soulevée, lors de la rencontre du 7 mai, n’est pas traitée par l’agent dans ses notes.

[69]           En troisième lieu, le témoin explique qu’il arrive qu’à l’inspection des ballots de moulures, on constate des erreurs, par exemple la présence d’une moulure d’un mauvais type parmi les autres. Il faut alors retirer ces moulures inappropriées du lot de moulures. Le témoin explique qu’il s’agit alors de tirer sur la ou les moulures à retirer, alors qu’elles sont coincées par le poids des autres moulures de la pile.

[70]           En dernier lieu, le témoin précise que dans les tâches du travailleur, celui-ci doit à l’occasion ajouter à une commande qu’il prépare un produit que l’employeur distribue, produit nommé Brico-panneaux, une grosse résine compactée, pesant 18,2 kg. Le témoin indique que ce sujet soulevé à la rencontre du 7 mai 2008 n’est pas traité par l’agent dans ses notes.

[71]           Le témoin précise qu’au surplus, le poste du travailleur n’était pas disponible au moment de la rencontre avec l’agent de la CSST, en raison de mouvements de main-d’œuvre, qu’il devrait travailler à « l’inspection » et non à la « consolidation ».

[72]           Enfin, le témoin ajoute que le travailleur n’a jamais repris son emploi prélésionnel, que ce soit en mars 2007 après que la CSST ait déterminé, pour une première fois, la capacité du travailleur à le faire ou après le 2 juin 2008, objet du litige.

[73]           À la lumière du témoignage de la représentante de l’employeur et après considération des documents apparaissant au dossier, la Commission des lésions professionnelle est d’avis que la requête de l’employeur doit être accueillie.

[74]           À la simple lecture des notes colligées par l’agent au dossier, il apparaît clairement au tribunal que l’analyse de l’ensemble des tâches de l’emploi prélésionnel du travailleur n’a pas été faite de façon à s’assurer que le retour du travailleur à ce poste soit compatible avec ses limitations fonctionnelles.

[75]           Le tribunal remarque que la note de l’agent du 7 mai 2008 débute par une mention à l’effet que le travailleur est « d’une humeur massacrante », s’étant rendu à un autre établissement de l’employeur. De l’avis du tribunal, cela a fort probablement donné le ton à la rencontre.

[76]           Quoi qu’il en soit, le tribunal retient du témoignage de madame Lefebvre, présente lors de la rencontre du 7 mai 2008, que quatre composantes de la tâche du travailleur « à la consolidation » n’ont pas été traitées par l’agent, du moins, tel qu’il appert de ses notes, alors qu’on lui a expressément souligné le fait que ces tâches semblent incompatibles avec les limitations fonctionnelles reconnues au travailleur.

[77]           À ce sujet, la Commission de lésions professionnelles est d’avis que ni madame Lefebvre, ni le travailleur lui-même, ni l’agent de la CSST ne peuvent déclarer que ces tâches sont incompatibles ou non conformes aux limitations fonctionnelles du travailleur sans, à tout le moins, procéder à une analyse précise de ces tâches.

[78]           En ce sens, le tribunal comprend de la demande de l’employeur appuyée en cela par le représentant du travailleur, qu’ils demandent tous deux de retourner le dossier à la CSST pour que soient précisément analysées les quatre tâches alléguées comme étant incompatibles avec les limitations du travailleur.

[79]           Le tribunal croit dans les présentes circonstances que cette demande est justifiée. Les quatre situations décrites par l’employeur font partie du travail « à la consolidation ». Il ne s’agit pas de tâches anodines ou exceptionnelles. Ces situations « se produisent » couramment.

[80]           Les seuls éléments colligés au dossier ne permettent pas au tribunal de conclure que la décision de la CSST du 2 juin 2008 soit conforme au but premier de l’exercice de la détermination d’une capacité d’un travailleur à reprendre son emploi en présence de limitations fonctionnelles, soit de s’assurer qu’un tel retour à l’emploi prélésionnel ne mettra pas le travailleur à risque de se blesser à nouveau.

[81]           Au terme de sa lésion professionnelle, on a reconnu au travailleur une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique et déterminé qu’il en conserve des limitations fonctionnelles de classe 2 selon l’IRSST.

[82]           En principe, le travailleur a donc droit à la réadaptation que requiert son état, conformément à l’article 145 de la loi :

145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

 

[83]           Toutefois, la seule présence d’une atteinte permanente ne permet pas d’inférer que le travailleur ne peut reprendre son emploi prélésionnel[4]. De même, une atteinte permanente évaluée à 0 % ne signifie pas que le travailleur soit capable de le faire, si par ailleurs, il conserve des limitations fonctionnelles de sa lésion[5].

[84]           De l’avis du tribunal, le véritable enjeu dans le présent dossier est de déterminer si les tâches de l’emploi prélésionnel du travailleur, toutes ses tâches, sont compatibles avec les limitations fonctionnelles de classe 2 qu’il conserve de sa lésion.

[85]           Si tel est le cas, l’on pourra conclure à sa pleine capacité d’exercer son emploi prélésionnel. Dans le cas contraire, il faudra considérer les diverses options qu’offre la loi en matière de réadaptation, notamment quant à la détermination d’un emploi convenable.

[86]           Dans l’état actuel des choses, le tribunal ne peut conclure que l’analyse faite par l’agent de la CSST à la suite de la rencontre du 7 mai 2008 permet de déterminer que le travailleur est véritablement capable d’occuper son emploi. Au surplus, le tribunal ne croit pas que cette détermination de la capacité du travailleur à occuper son emploi a été faite dans l’esprit des dispositions de la loi en matière de réadaptation professionnelle, la preuve révélant qu’aucune réponse n’a été apportée aux préoccupations soulevées par l’employeur lors de la rencontre du 7 mai 2008.

[87]           Pour ces motifs, la requête de l’employeur doit être accueillie.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 300183-04B-0610

ACCUEILLE la requête de l’employeur, Roland Boulanger inc., déposée le 6 octobre 2006;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 3 octobre 2006 lors d’une révision administrative;

DÉCLARE que la lésion professionnelle subie par le travailleur, monsieur Denis Chassé, le 26 novembre 2005, lui a causé une radiculopathie droite C6-C7 greffée sur une condition personnelle de sténose foraminale C5-C6 et C6-C7 droite.

 

Dossier 357690-04B-0809

ACCUEILLE la requête de l’employeur déposée le 5 septembre 2008;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 26 août 2008 lors d’une révision administrative;

DÉCLARE que la demande de révision formulée par l’employeur le 10 juillet 2008 à l’encontre de la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 2 juin 2008 était recevable;

 

 

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle analyse à nouveau la capacité du travailleur à reprendre son emploi en collaboration avec toutes les parties;

 

 

 

 

__________________________

 

Michel Watkins

 

 

 

 

Me Valérie Lizotte

Morency société d'avocats

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Alain Lachance

C.S.D.

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           David et Industries Savard inc., C.L.P. 350201-31-0806, 15 septembre 2008, G. Tardif ; voir aussi : Beaulieu et Collectcorp. Agence de recouvrement, C.L.P. 85924-62-9702, 2 juillet 2007, T. Giroux; Boucher et Arrondissement Mercier/Hochelaga-Maisonneuve, C.L.P. 290817-63-0605, 12 octobre 2006, J.-F. Clément; Currie et Volailles Grenville inc., C.L.P. 273348-64-0510, 10 octobre 2006, J.-F. Martel

[3]           Édition 1977

[4]           Malboeuf et Construction Del-Nor inc., [1996] C.A.L.P. 1606 (décision accueillant la requête en révision)

[5]           Tessier et Scobus (1992) inc., [1995] C.A.L.P. 1487 ; Bellerose et C.U.M., C.A.L.P. 38976-60-9204, 3 octobre 1995, N. Lacroix; Jolin-Gagnon et Hôpital Marie-Claret, [1989] C.A.L.P. 319 ; Pothier et Houbigant ltée, [1991] C.A.L.P. 1087 ; Michaud et Jacques Michaud enr., C.A.L.P. 16278-08-8912, 23 juillet 1993, G. Perreault, ; Chabot et Roger Vallerand inc., [1994] C.A.L.P. 693 ; Landry et Centre d'accueil Émilie Gamelin, [1995] C.A.L.P. 1049

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