IAMGOLD — Québec (Géant-Dormand) et Bolduc

2009 QCCLP 3572

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

26 mai 2009

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

352090-08-0806

 

Dossier CSST :

123356222

 

Commissaire :

Claude-André Ducharme, juge administratif

 

Assesseur :

Serge Bélanger, médecin

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IAMGOLD - Québec (Géant-Dormand)

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

David Bolduc

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]                Le 27 juin 2008, l'employeur, la compagnie Iamgold - Québec (Mine Géant Dormant), dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 juin 2008 à la suite d'une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme une décision qu'elle a initialement rendue le 11 décembre 2007 et déclare que la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur David Bolduc (le travailleur) le 1er novembre 2002 doit être imputée à l'employeur.

[3]                La décision est rendue sur dossier à la demande du représentant de l’employeur. Il a transmis une argumentation écrite le 17 mars 2009, date à laquelle le dossier a été mis en délibéré.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu'il a droit au partage des coûts de la lésion professionnelle subie par monsieur Bolduc selon la proportion suivante : 10 % à son dossier et 90 % aux employeurs de toutes les unités.

[5]                Il prétend que monsieur Bolduc était un travailleur déjà handicapé au moment de la survenance de sa lésion professionnelle.

LES FAITS

[6]                À partir de 1996, monsieur Bolduc occupe un emploi de mineur chez l'employeur. Il est affecté à des postes de mineur de chantier, mineur de monterie et mineur de galerie. Dans une décision rendue le 9 janvier 2006[1] concernant une des lésions qu'il a subies, la Commission des lésions professionnelles écrit ce qui suit :

[7]        Bien que les trois types de postes occupés par le travailleur diffèrent par le lieu où les activités sont exercées et par les méthodes de travail, la Commission des lésions professionnelles retient essentiellement du témoignage du travailleur qu’il effectue, notamment à très bon rythme et presque sans pause, à cause du boni au rendement, un travail exigeant physiquement, souvent les bras à la hauteur des épaules et même plus haut, soit pour écailler, changer de longueur de tiges de forage, tenir ou pousser sur la foreuse, poser du grillage de sécurité, transporter du matériel lourd, fabriquer des bancs de travail dans les monteries.

 

[…]

 

[14]      À la suite d’un questionnaire complété avec le travailleur chez l’employeur, l’infirmière M.-N. Lamoureux écrit à la CSST le 20 décembre 2002. Elle lui rapporte que, pendant un quart de travail, le temps de forage exécuté correspond environ à 60 à 80 % du temps (4 à 5 heures et demie). Elle rapporte également que les bras du travailleur dépassent la hauteur des épaules pendant environ 33 % de la durée d’un quart de travail, particulièrement lorsqu’il tient la foreuse, lorsqu’il met en place et retire les tiges de forage, lorsqu’il manipule du matériel et d’autres objets lourds, lorsqu’il fore au-dessus de la hauteur des épaules.

 

 

[7]                Au cours de l'année 2000, monsieur Bolduc commence à présenter différents symptômes aux mains et aux membres supérieurs (doigts blancs, engourdissements, intolérance à l'effort en position d'élévation et d'abduction des membres supérieurs) qui diminuent en 2001 pendant qu'il est affecté à la formation de nouveaux mineurs et s'exacerbent avec la reprise de son travail de mineur au point de devenir incapacitants.

[8]                Le 1er novembre 2002, le docteur Léo R. La Flèche, chirurgien thoracique, examine monsieur Bolduc. Dans son expertise qu'il produit le 4 novembre, il mentionne que la musculature des épaules et des membres supérieurs de monsieur Bolduc est bien développée et que celui-ci l'a informé qu'il avait déjà pratiqué l'haltérophilie avec des poids et des haltères, activité qu'il avait cessée depuis environ un an.

[9]                Le docteur La Flèche diagnostique un phénomène de Raynaud bilatéral et un syndrome du défilé thoracique bilatéral et formule l'opinion suivante :

À mon avis, il s'agit de deux problèmes de nature personnelle - malgré sûrement aggravés lorsqu'il emploie des instruments vibratoires, surtout dans un milieu qui est froid et humide. [sic]

 

 

[10]           Il établit des limitations fonctionnelles qui amènent l'employeur à affecter monsieur Bolduc à un travail léger.

[11]           Le 18 novembre 2002, le docteur Sylvain Aubry diagnostique un phénomène de Raynaud. Le même jour, monsieur Bolduc présente une réclamation à la CSST pour faire reconnaître la survenance d'une lésion professionnelle. Il est alors âgé de 26 ans.

[12]           Le 9 décembre 2002, le docteur Éric Dupras, chirurgien général, vasculaire et thoracique, produit un rapport final dans lequel il diagnostique un phénomène de Raynaud « professionnel » et un syndrome de défilé thoracique. Il consolide les lésions au 9 décembre 2002 en indiquant qu'il y a atteinte permanente à l'intégrité physique et limitations fonctionnelles.

[13]           Le 21 janvier 2003, le docteur Yvon Constant, médecin-conseil de la CSST, soumet les questions suivantes au docteur Dupras en lui demandant d'y répondre dans le contexte d'une expertise :

Considérant le jeune âge du travailleur, pourrait-il s'agir d'une maladie de Burger ? Ce pourrait-il que le syndrome du défilé thoracique soit la cause du Raynaud ? Avons-nous affaire à un Raynaud purement vibratoire ?

 

La stature athlétique du travailleur peut-elle expliquer le syndrome du défilé thoracique ? Enfin, pouvons-nous être en présence d'une collagénose dont la première manifestation serait un Raynaud ?

 

 

[14]           Le 17 février 2003, le docteur Dupras produit une expertise dans laquelle il retient les conclusions suivantes :

 

L'ensemble des éléments au questionnaire, à l'examen physique ainsi que les résultats de l'examen vasculaire non invasif effectués aujourd'hui et inscrits au dossier du patient antérieurement, permettent de conclure à la présence d'une part d'un phénomène de Raynaud associé au syndrome vibratoire d'origine professionnelle aux deux membres supérieurs et d'autre part, de la présence d'un syndrome du défilé thoracique dynamique vasculaire expliquant les symptômes de monsieur Bolduc également.

 

Concernant les questions spécifiques que Docteur Constant a formulées concernant les conditions affectant Monsieur Bolduc, voici les précisions. Tout d'abord, il ne s'agit pas d'une maladie de Buerger ici. […] Également, concernant un potentiel lien de cause à effet entre le syndrome du défilé thoracique et le phénomène de Raynaud, il est mon avis qu'il n'y a pas de lien de cause à effet. Les deux pathologies sont tout à fait distinctes quant à leur étiologie et leur manifestation. La stature particulièrement athlétique du travailleur peut expliquer que le défilé thoracique soit rétréci chez Monsieur Bolduc et explique que nous objectivions une compression dynamique du défilé vasculaire. Enfin, concernant l'étiologie du phénomène de Raynaud, étant donné le jeune âge du travailleur, il est effectivement possible que Monsieur Bolduc présente une prédisposition à ce type de pathologie, qui aurait été aggravée par le travail. Il ne fait nul doute que Monsieur Bolduc présente un phénomène vasospastique anormal. Monsieur Bolduc ne présente actuellement aucun signe clinique ou paraclinique d'une collagénose sous-jacente et seule l’évolution clinique nous permettra de voir si dans le futur, il développera effectivement une collagénose qui pourrait expliquer à postériori la survenue initiale d'un phénomène de Raynaud qui serait alors d'origine personnelle, mais qui dans toute éventualité aurait été aggravée prématurément par son travail. Il est donc impossible ici de trancher à savoir s'il s'agit d'un phénomène de Raynaud purement vibratoire ou s'il s'agit d'une condition personnelle aggravée par le travail. Dans l'un ou l'autre des cas, les dommages sont, je crois, imputables et peuvent faire l'objet d'une compensation par la CSST. [sic]

 

 

[15]           Le 25 mars 2003, la CSST accepte la réclamation de monsieur Bolduc pour le phénomène de Raynaud et reconnaît qu'il a subi une maladie professionnelle le 1er novembre 2002. Elle refuse toutefois de reconnaître comme maladie professionnelle le syndrome du défilé thoracique en se fondant sur l'opinion du docteur Constant qui se lit comme suit :

Cependant, la relation (avec) le défilé thoracique ne l'est pas (acceptable) considérant qu'il est secondaire à la stature athlétique du trav. qui est une condition personnelle. [sic]

 

 

[16]           Cette décision sera maintenue le 3 décembre 2003 à la suite d'une révision administrative et monsieur Bolduc portera cette dernière décision en appel à la Commission des lésions professionnelles.

[17]           Le 20 juin 2003, le docteur Jean-Paul Bossé, chirurgien plasticien, produit un rapport d'évaluation médicale dans lequel il émet l'opinion que le syndrome du défilé thoracique doit être reconnu à titre de maladie professionnelle. Il écrit à ce sujet ce qui suit :

Cependant, malgré les deux opinions des experts qui ont évalué le défilé thoracique, la relation avec le travail n'a pas été retenue, même s'il s'agit d'une condition personnelle qui a été aggravée par l'utilisation d'instruments lourds et vibratoires.

La littérature reconnaît bien que chez certains individus prédisposés, l'utilisation d'instruments vibratoires et lourds peut déclencher le phénomène du défilé thoracique, qui va se présenter sous forme d'hyperesthésie aux membres supérieurs et éventuellement donner, dans certains cas, des problèmes d'ischémie au niveau de la main.

C'est entre autre la position de deux auteurs, soit le « Merk Manual » édition 1982 et le « Symposium de Ciba » de la même période. Les auteurs mentionnent qu'un travail vigoureux peut développer des muscles cervicaux à un point que ceux-ci peuvent gêner la circulation de l'artère sous-clavière. Ces symptômes de compression vasculaire à répétition avec les mêmes instruments, donnent des signes de douleurs musculaires dans les bras et les mains, comme une claudication intermittente, causent des pertes sensitives au niveau des mains et éventuellement des problèmes ischémiques au niveau des doigts qui s'apparentent au phénomène de Raynaud.

Les auteurs soulignent bien sûr d'autres facteurs qui viennent s'ajouter, comme une anomalie congénitale, tel une côte cervicale anormale, une insertion musculaire anormale ou un traumatisme au niveau de la clavicule. [sic]

 

 

[18]           L'atteinte permanente à l'intégrité physique et les limitations fonctionnelles résultant du phénomène de Raynaud sont établies par le docteur Yvon Douville, chirurgien vasculaire, dans un avis émis le 12 novembre 2003 en qualité de membre du Bureau d'évaluation médicale. Ce médecin note dans le compte rendu de son examen que le poids de monsieur Bolduc a augmenté de 30 livres depuis qu'il a commencé à travailler chez l'employeur et que ce gain de poids qui s'est fait « surtout aux dépens de sa musculature » est relié à son travail physique.

[19]           La CSST reconnaît à monsieur Bolduc une atteinte permanente à l'intégrité physique de 6,90 % et déterminera subséquemment qu'il est capable d'exercer un emploi convenable de commis aux pièces.

[20]           Le 26 mars 2003, en application de l'article 328 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi), la CSST impute 84,95 % des coûts de la maladie professionnelle à l'employeur.

[21]           Le 2 avril 2003, celui-ci conteste cette décision. Il prétend que les coûts qui lui sont imputés devraient être partagés selon la proportion suivante : 5 % à son dossier et 95 % aux employeurs de toutes les unités. Il fonde sa demande sur l'opinion du docteur Dupras concernant la présence chez monsieur Bolduc d'une prédisposition à subir un phénomène de Raynaud, à savoir un phénomène vasospastique anormal. La CSST rejette sa demande de révision le 3 décembre 2003 en regard uniquement de l'article 328 de la loi.

[22]           Le 22 septembre 2005, l'employeur demande à la CSST de se prononcer sur la demande de partage de coûts en vertu de l'article 329 de la loi que comportait sa lettre du 2 avril 2003. Ce n'est qu'en décembre 2007 que la CSST rendra une décision à ce sujet.

[23]           Le 9 janvier 2006, la Commission des lésions professionnelles accueille l'appel de monsieur Bolduc et déclare que le syndrome du défilé thoracique bilatéral constitue une maladie professionnelle[3].

[24]           Le juge administratif qui rend cette décision rappelle les opinions et les commentaires émis par les docteurs La Flèche, Dupras et Bossé. Il résume également les témoignages de monsieur Bolduc et d'une ergonome qui a témoigné à la demande de l'employeur. Il écrit notamment ce qui suit :

[28]      Devant la Commission des lésions professionnelles, le travailleur déclare qu’il a augmenté sa masse musculaire entre 1996 et 2002 à la suite de son travail physique exigeant et qu’il ne s’agit pas d’une augmentation de son poids attribuable au fait d’avoir arrêté de fumer.

 

[29]      Un document du bureau de santé de l’employeur (E-2) démontre que le travailleur pèse 168 livres le 3 décembre 1997 et qu’il pèse 195 livres le 17 novembre 1999. Il a cessé de fumer en juillet 1999. Sa tension artérielle est à 130/70. Au 24 août 2000, son poids est à 204 livres et sa tension artérielle à 150/100. Au 12 décembre 2001, son poids atteint 194 livres et sa tension artérielle est à 140/75.

 

[30]      Madame Josée Vallières témoigne pour l’employeur. Elle possède, entre autres, une maîtrise en génie industriel avec spécialisation en ergonomie dont le sujet concerne les troubles musculosquelettiques des membres supérieurs. Elle commente le document provenant du bureau de santé de l’employeur déposé en E-2. Elle déclare qu’elle côtoie beaucoup de mineurs et qu’elle n’a jamais constaté d’augmentation de la masse musculaire, mais plutôt une perte de poids à l’effort physique régulier. Pour assister à une augmentation de la masse musculaire, il faudrait, à son avis, une augmentation régulière de l’activité physique. Or, le travail de mineur implique une activité physique régulière.

 

[31]      À voir le travailleur à l’audience, elle est d’avis qu’il présente une musculature bien définie qui est le résultat d’effort soutenu spécifique, d’un travail à répétition comme le body building. Elle déclare que, à son avis, le travail de mineur ne comporte aucune tâche de nature répétitive.

 

[32]      Elle ajoute qu’elle a procédé à une évaluation de tous les dossiers des travailleurs chez l’employeur depuis 1999. Elle ne relève aucun cas de syndrome du défilé thoracique diagnostiqué autre que celui du travailleur.

 

 

[25]           Il fait état également d'un document de littérature médicale déposé en preuve par l'employeur :

[35]      L’employeur dépose de la littérature médicale au sujet du syndrome du défilé thoracique. Dans le document intitulé The thoracic outlet syndrome, Management and the results of surgery1, on peut lire que le syndrome du défilé thoracique a deux origines : l’anomalie congénitale ou des compressions plus distales du petit pectoral. À ce contexte inné peuvent se greffer des conditions favorisantes acquises. C’est, par exemple, la surcharge des sportifs qui voient leur scalène moyen devenir hypertrophique expliquant le syndrome. C’est aussi le cas des métiers exposés où des personnes travaillent les membres supérieurs en suspension comme les dentistes, les masseurs, les coiffeurs et les musiciens. Enfin, avec l’âge, la descente progressive de l’omoplate et la perte de tonus du trapèze supérieur seraient également responsables de l’apparition du syndrome du défilé thoracique.

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1      Conférences d’enseignement de la Sofcot, 1998; 66 49-60, L. Sedel, Services de Chirurgie orthopédique, Hôpital Lariboisière, 4 rue Ambroise-Paré, 75010 Paris

 

 

[26]           Après avoir écarté l'hypothèse d'un accident du travail et la présomption prévue à l'article 29 de la loi, il en vient à la conclusion que le syndrome du défilé thoracique est relié aux risques particuliers du travail de monsieur Bolduc pour les raisons suivantes :

[47]      Le docteur E. Dupras, chirurgien vasculaire, conclut à la suite de son examen objectif que les symptômes présentés par le travailleur s’expliquent par la présence d’un syndrome vibratoire d’origine professionnelle aux deux membres supérieurs et par la présence d’un syndrome du défilé thoracique dynamique vasculaire.

 

[48]      Toutefois, il relie plutôt ce dernier diagnostic à la stature particulièrement athlétique du travailleur qui peut expliquer que le défilé thoracique soit rétréci et génère une compression dynamique du défilé vasculaire.

 

[49]      Pour sa part, le docteur L. R. La Flèche considère qu’il s’agit plutôt d’une condition personnelle sûrement aggravée par l’opération d’instruments vibratoires au travail.

 

[50]      Le docteur J.-P. Bossé est d’avis également que le syndrome du défilé thoracique est relié au travail. Il explique que, chez certains individus prédisposés, la littérature médicale reconnaît que l’utilisation d’instruments vibratoires et lourds peut déclencher le phénomène du défilé thoracique. Il mentionne même que, pour certains auteurs, un travail vigoureux peut développer des muscles cervicaux à un point que ceux-ci peuvent gêner la circulation de l’artère sous-clavière et générer des symptômes aux membres supérieurs qui s’apparentent à ceux du phénomène de Raynaud.

 

[51]      Le docteur J.-P. Bossé ajoute que, parmi les causes probables du syndrome du défilé thoracique, on retrouve une anomalie congénitale, telle une côte cervicale anormale, une insertion musculaire anormale ou un traumatisme au niveau de la clavicule.

 

[52]      La Commission des lésions professionnelles retient de l’opinion du docteur E. Dupras qu’il est possible que la stature particulièrement athlétique du travailleur puisse expliquer le défilé thoracique dont est porteur le travailleur. Il s’agit-là d’une possibilité avancée, d’une hypothèse sans aucun fondement objectif. Or, dans le cas des sportifs, comme l’explique une certaine littérature médicale déposée par l’employeur, il aurait fallu que le docteur E. Dupras rapporte une hypertrophie du scalène moyen pour soutenir davantage son opinion, ce qui aurait pu guider davantage la Commission des lésions professionnelles vers la reconnaissance d’une condition personnelle davantage reliée à l’haltérophilie déjà pratiquée par le travailleur, mais cessée depuis 2001.

 

[53]      Quant à l’opinion du docteur L. R. La Flèche, la Commission des lésions professionnelles considère que la condition personnelle à laquelle il réfère semble être justement le syndrome du défilé thoracique dont les symptômes sont apparus progressivement à compter de la fin de l’année 1999 ou 2000. Le docteur L. R. La Flèche est d’avis que le syndrome lui-même a sûrement été aggravé par l’opération d’instruments vibratoires au travail. Or, le docteur La Flèche ne fournit aucune explication pour préciser ce qui a été aggravé, comment, par quoi et quand. La Commission des lésions professionnelles considère que le docteur La Flèche ne fournit aucune preuve prépondérante pour démontrer le lien probable entre le travail et le syndrome du défilé thoracique.

 

[54]      Pour sa part, le docteur J.-P. Bossé, invoquant certains auteurs, retient que, chez un travailleur prédisposé, l’utilisation d’instruments vibratoires et lourds peut déclencher le phénomène du défilé thoracique. Il ajoute qu’un travail vigoureux peut développer des muscles cervicaux à un point où ceux-ci peuvent gêner la circulation de l’artère sous-clavière et générer des symptômes aux membres supérieurs qui s’apparentent à ceux du phénomène de Raynaud.

 

[55]      La Commission des lésions professionnelles retient de la littérature médicale déposée par le représentant de l'employeur et de l’opinion du docteur J.-P. Bossé que le travail peut être un élément générateur du syndrome du défilé thoracique. Ainsi, un travail avec les bras en suspension ou un travail vigoureux peuvent contribuer éventuellement à gêner la circulation de l’artère sous-clavière.

 

[56]      Or, la Commission des lésions professionnelles retient du témoignage du travailleur et du document du bureau de santé de l’employeur que le travailleur maintient ses bras en suspension pendant environ 33 % de son quart de travail et qu’il manœuvre du matériel et de l’équipement lourd durant cette période de temps.

 

[57]      La Commission des lésions professionnelles considère que la preuve prépondérante ne permet pas de retenir que le travailleur est porteur d’une condition personnelle qui peut être associée au diagnostic de syndrome du défilé thoracique.

 

[58]      Elle ne permet pas de retenir également que le travailleur a ressenti des symptômes particuliers aux membres supérieurs ni à la région cervicale avant de débuter son travail de mineur chez l’employeur.

 

[59]      Toutefois, il est démontré de façon prépondérante que les symptômes apparaissent progressivement alors que le travailleur occupe l’emploi de mineur et que le travail de mineur requiert du travailleur qu’il maintienne ses bras en suspension avec effort physique exigeant, ce qui est susceptible de contribuer à gêner la circulation de l’artère sous-clavière et générer le syndrome du défilé thoracique.

 

[60]      Quant à l’augmentation du poids du travailleur, il n’est pas démontré qu’elle est générée par la cessation du tabagisme en juillet 1999. À ce sujet, le docteur Y. Douville, membre du Bureau d’évaluation médicale, mentionne que le travail physique a contribué à augmenter son poids, surtout aux dépens de sa musculature.

 

[61]      La Commission des lésions professionnelles conclut donc que le syndrome du défilé thoracique, dont est porteur le travailleur, est une maladie reliée aux risques particuliers du travail de mineur.

[27]           Le 17 mai 2007, le docteur Michel Langelier, spécialiste de médecine interne et vasculaire, émet un rapport d'évaluation médicale dans lequel il détermine l'atteinte permanente à l'intégrité physique et les limitations fonctionnelles qui résultent du syndrome du défilé thoracique.

[28]           Le 3 août 2007, à la demande de la CSST, le docteur Gilles P. Laroche, chirurgien cardiovasculaire thoracique, produit une expertise dans laquelle il accorde un pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique inférieur à celui établi par le docteur Langelier. La question ne sera pas soumise au Bureau d'évaluation médicale parce que ce dernier est d'accord avec l'évaluation du docteur Laroche.

[29]           Dans son expertise, le docteur Laroche formule les commentaires suivants sur le syndrome du défilé thoracique :

Le DFT ne fait pas partie des anomalies propres au travail de mineur ni à l'usage des vibrations. Selon les auteurs et mon évaluation personnelle de certains mineurs, c'est une rareté.

Il faut la présence d'une anomalie congénitale au niveau du outlet thoracique pour qu'une exposition à un tavail comme celui de monsieur Bolduc produise un DFT. L'importance de sa masse musculaire peut aussi y avoir contribué. La seule façon d'en faire une maladie professionnelle est donc par le biais de l'aggravation d'une situation pré-existante par un travail à bout de bras et non de la manière utilisée par la CALP.Ceci avait été expliqué par le docteur Dupras.

 

La courte période de latence du phénomène de Raynaud (syndrome vibratoire) peut s'expliquer par la présence du DFT dont l'effet s'est additionné à celui des vibrations. D'ailleurs à lui seul, le DFT unilatéral est parfois une cause de Raynaud unilatéral. L'exposition aux vibrations me semble suffisante pour expliquer le syndrome. [sic]

 

 

[30]           Le 11 décembre 2007, la CSST refuse la demande de partage de l'employeur. Celui-ci demande la révision de cette décision et au soutien de sa contestation, son représentant transmet une argumentation écrite à la CSST dans laquelle il soumet que tous les médecins ont retenu que les lésions professionnelles reconnues par la CSST constituent « des pathologies qui sont à l'origine en relation avec une condition médicale ou physique de nature purement personnelle qui ont été aggravées par le travail ». Il conclut de la façon suivante :

Évidemment, en matière médicale, il est facile pour certaines pathologies d'avoir des certitudes parce que l'imagerie médicale nous permet parfois de trancher sur un handicap préexistant comme par exemple la présence d'un acromion de type III.

 

Cependant, en matière de pathologie ayant une origine, soit neurologique, soit vasculaire, il faut comprendre que l'imagerie médicale est de moindre utilité, les médecins les traitant en fonction surtout des constatations cliniques et en utilisant leur connaissance particulière en la matière.

 

Par conséquent, nous pensons que les présomptions de fait qui découlent du présent dossier qui sont liées au jeune âge du travailleur, à la courte exposition aux facteurs de risques avant que n'apparaissent les symptômes et la présence d'une musculature particulièrement développée, suite à la pratique de l'haltérophilie, le tout s'ajoutant aux opinions des experts consultés, dont deux se sont prononcés à la demande expresse de la CSST, soit le docteur Dupras et le docteur Laroche, devraient être suffisant pour faire droit à la demande de l'employeur au niveau de sa demande d'imputation. [sic]

 

 

[31]           Il fait parvenir également à la CSST une expertise complétée le 9 avril 2008 par le docteur Dupras à la demande de l'employeur.

[32]           Dans cette expertise, le docteur Dupras mentionne au départ qu'il a revu la littérature médicale des dix dernières années et qu'il a retenu quatre articles qui reflètent bien, selon lui, l'état des connaissances sur le syndrome du défilé thoracique. Ces articles qui ont été transmis à la Commission des lésions professionnelles par le représentant de l'employeur sont les suivants :

- R. A. COOKE, « Thoracic Outlet Syndrome - Aspects of Diagnosis in the Differential Diagnosis of Hand-Arm Vibration Syndrome », (2003) 53 Occupational Medicine 331

 

- Xavier DEMONDION, Pascal HERBINET, Serge VAN SINT JAN, Nathalie BOUTRY, Christophe CHANTELOT et Anne COTTEN, « Imaging Assessment of Thoracic Outlet Syndrome », (2006) 26 Radiographics 1735

 

- Harold C. URSCHEL et Maruf A. RAZZUK, « Neurovascular Compression in the Thoracic Outlet : Changing Management Over 50 Years », (1998) 228 Annals of Surgery 609

 

- Martine REMY-JARDIN, Jacques REMY, Pascal MASSON, François BONNEL, Philippe DEBATSELIER, Ludmilla VINCKIER et Alain DUHAMEL, « Helical CT Angiography of Thoracic Outlet Syndrome : Functional Anatomy », (2000) 174 American Journal of Roentgenology 1667.

 

 

[33]           Après avoir indiqué que le syndrome du défilé thoracique était une des pathologies les plus mal diagnostiquées des atteintes nerveuses des membres supérieurs et avoir donné des explications de nature anatomique sur ce syndrome, le docteur Dupras expose ce qui suit :

Pour développer cette condition, deux facteurs sont essentiels. Il doit y avoir un facteur prédisposant soit une anomalie congénitale (côte surnuméraire, bandes fibreuses), une variante anatomique des structures au niveau du défilé thoracique (insertion musculaire anormale) ou encore des séquelles d'un traumatisme local (cal osseux proéminent) qui prédispose au développement de cette condition. Une musculature bien développée des membres supérieurs constitue un morphotype à risque. Ceci n'est pas mentionnée spécifiquement dans la littérature comme facteur prédisposant mais il s'en suit qu'une musculature anormalement développée (par exemple avec l'haltérophilie) chez un patient porteur d'une anomalie d'insertion musculaire peut contribuer au développement de ce syndrome. Il doit également y avoir un facteur précipitant en l'occurrence des influences occupationnelles telles que des mouvements répétés en abduction et élévation. Ces mouvements entraînent des microtraumatismes répétés au niveau des structures du défilé thoracique, de l'inflammation chronique et éventuellement une réaction cicatricielle qui irrite et comprime les structures neurologiques et vasculaires, à l'origine d'un syndrome du défilé thoracique. (Référence 2, page 1744, paragraphe 2). L'exposition aux vibrations est également un facteur précipitant reconnu dans le développement du syndrome du défilé thoracique ainsi que pour le phénomène de Raynaud. (Référence 1, page 332, paragraphe 2).

 

[…]

 

Étant donné que le diagnostic et l'identification de la cause précise est relativement difficile, le traitement du syndrome de défilé thoracique est également complexe. Les nouvelles modalités d'investigation permettent parfois d'isoler une cause précise et lorsque ceci est possible, le patient peut avoir une intervention chirurgicale ciblée correctrice pour élargir le défilé thoracique. Cependant, le traitement initial est toujours conservateur. Chez les patients dont le travail est une cause précipitante, on doit éviter les manœuvres répétitives avec les membres supérieurs élevés et en abduction. [sic]

__________

Les caractères gras et les soulignés sont du docteur Dupras.

 

 

[34]           Le docteur Dupras émet par la suite des commentaires à l'égard de certains paragraphes de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 9 janvier 2006. Il y a lieu de citer les commentaires suivants :

Paragraphe 7

 

La description du type de travail fait par le travailleur détaillé dans ce paragraphe concorde avec la notion de microtraumatisme à répétition qui est reconnu comme étant l'une des causes du syndrome du défilé traumatique.

 

[…]

 

Paragraphe 16 et 17

 

Je suis d'avis ici que le phénomène de Raynaud est une manifestation associée au syndrome du défilé thoracique aggravé à la fois par ce syndrome et l'exposition aux vibrations.

 

[…]

 

Paragraphe 30 à 33

 

Il s'agit de commentaires émis par Madame Josée Vallières qui témoigne pour l'employeur et possède une maîtrise en génie industriel avec spécialisation en ergonomie avec emphase particulière sur les troubles musculo-squelettiques des membres supérieurs. Elle mentionne qu'elle n'a relevé aucun cas de syndrome du défilé thoracique chez les mineurs autres que celui de Monsieur Bolduc et considère que ce syndrome n'est pas caractéristique de l'emploi de mineur. Je dois être en désaccord avec cette conclusion. Tout d'abord, il faut souligner le biais évident par le lien d'emploi de Madame Vallières. Il n'est pas à l'avantage de l'employeur de reconnaître l'existence de cette pathologie. J'évalue fréquemment des mineurs pour des maladies professionnelles et ai noté à maintes reprises des symptômes compatibles avec un syndrome du défilé thoracique chez ces travailleurs. […]

 

[…]

 

Paragraphe 35

 

La littérature déposée par l'employeur est tout à fait concordante avec la littérature annexée au présent rapport. On doit cependant mettre l'emphase sur le fait que la totalité des patients qui présentent un syndrome du défilé thoracique investigué convenablement par des méthodes modernes présentent un facteur prédisposant anatomique congénital ou acquis.

 

[…]

 

Paragraphe 37

 

Je vous réfère aux commentaires précédents. La littérature médicale récente permet de conclure clairement que le type de travail de Monsieur Bolduc, par microtraumatismes répétés, se combine à une anomalie anatomique existante pour entraîner une lésion professionnelle.

 

[…]

 

Paragraphe 43

 

Voir commentaire précédent des paragraphes 30 à 33.On doit accueillir avec réserve cette argumentation. Tel que mentionné précédemment, il existe un bias d'exclusion dans les régistres des employeurs concernant l'incidence de cette pathologie puisque ces derniers n'ont aucun intérêt à voir cette maladie proprement diagnostiquée et relevée. La littérature médicale est également absente concernant des études épidémiologiques sur l'incidence et la prévalence du syndrome du défilé thoracique dans la population des mineurs. Considérant également qu'avec le recul du temps et les nouvelles modalités diagnostiques pour ce syndrome et le fait que syndrome soit l'un des plus mal connus et mal diagnostiqués et sous-estimés, je crois qu'il est prématuré de conclure que le travail de mineur ne prédispose pas au développement de cette condition.

 

[…]

 

Paragraphe 48

 

Voir la section précédente sur le syndrome du défilé thoracique. On doit mentionner que Monsieur Bolduc a cessé de faire de l'haltérophilie quelques années avant sa consultation. Il est donc difficile d'attribuer la masse musculaire importante de Monsieur Bolduc à l'haltérophilie seule. Il est plus plausible de proposer que la masse musculaire de monsieur Bolduc a été maintenue et augmentée par son travail de mineur en particulier comme mineur de monterie. Ceci semble avoir été corroboré par l'évaluation du Dr Douville.

 

[…]

 

 

 

Paragraphe 52

 

On doit nuancer ici le commentaire du commissaire Prégent. Avec les moyens disponibles au moment de l'évaluation médicale du Monsieur Bolduc en 2002, il était impossible de démontrer une hypertrophie du scalène moyen. Ce dernier muscle est inaccessible à l'examen physique. La manœuvre d'Adson, qui vise à mettre en évidence l'hypertrophie de ce muscle, est non fiable sur le plan clinique. Il est donc difficile à l'examen clinique seul de conclure à la présence d'un syndrome du scalène antérieur. La seule façon de démontrer une telle anomalie est de procéder à une tomographie axiale hélicoïdale ou une résonance magnétique nucléaire avec contraste intra-artériel concomitant avec mise en tension pendant l'examen des structures du défilé thoracique. Cet examen n'était pas disponible alors et n'est toujours pas disponible en région pour l'évaluation de ces patients. Il m'était donc impossible d'objectiver davantage cette hypothèse afin de guider la CLP. [sic]

 

 

[35]           Le docteur Dupras termine son expertise en retenant la conclusion suivante :

Considérant l'ensemble de ce qui précède, selon la définition d'une condition personnelle (handicap) préexistante soit la présence d'une anomalie par rapport à l'ensemble de la population normale comparable manifeste ou latente, Monsieur Bolduc présentait une condition personnelle qui prédisposait au développement d'un syndrome du défilé thoracique. Ceci s'appuie sur la littérature pertinente révisée et annexée au présent rapport.

 

 

[36]           Le 17 juin 2008, à la suite d'une révision administrative, la CSST confirme sa décision initiale du 11 décembre 2007 sur le refus de la demande de partage de coûts.

[37]           La réviseure retient que la Commission des lésions professionnelles a estimé que la preuve n'établissait pas qu'une condition personnelle était associée au syndrome du défilé thoracique et que le docteur Dupras n'avait pas identifié, dans son expertise, une condition personnelle présente chez monsieur Bolduc qui le prédisposait à une telle pathologie.

[38]           Le 27 juin 2008, l'employeur conteste cette décision à la Commission des lésions professionnelles, d'où l'objet du présent litige.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[39]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si l'employeur a droit, en vertu de l’article 329 de la loi, au partage du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Bolduc le 1er novembre 2002.

[40]           L’article 329 de la loi prévoit ce qui suit :

 

329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[41]           La jurisprudence a établi que la notion de « travailleur déjà handicapé » réfère au travailleur qui, au moment de la survenance de sa lésion professionnelle, est atteint d’une déficience physique ou psychique qui a joué un rôle dans la production de la lésion ou au niveau de ses conséquences.

[42]           Dans Municipalité Petite-Rivière-St-François et CSST[4], la Commission des lésions professionnelles expose à ce sujet ce qui suit :

[23]      La Commission des lésions professionnelles considère qu’un travailleur déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.

 

[24]      La première étape consiste donc à vérifier si le travailleur présente une déficience physique ou psychique. Sur ce point, il est utile de se référer à la Classification internationale des handicaps élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (Paris, CTNERHI-Inserm, 1988) parce que ce manuel a l’avantage de représenter un consensus de la communauté médicale internationale sur ce que constitue un handicap. Selon cet ouvrage, une déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise. Finalement, pour reprendre le courant de jurisprudence que la soussignée partage, la déficience peut ou non se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.

 

[…]

 

[26]      En plus de démontrer la présence d'une déficience, l'employeur a aussi le fardeau de démontrer que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion. […].

 

 

 

 

[43]           Pour avoir gain de cause, l'employeur doit démontrer au départ que le travailleur est atteint d'une déficience préexistante et par la suite, que cette déficience est intervenue dans la manifestation de la lésion professionnelle ou dans l'aggravation de ses conséquences.

[44]           Au soutien de la contestation de l'employeur, son représentant développe différents arguments qu'il résume comme suit à la fin de son argumentation :

L'article 329 n'exige pas qu'on identifie précisément l'handicap en cause mais permet l'imputation lorsqu'il y a présence d'un handicap.

 

Dans le présent dossier, aucun des médecins n'a effectivement mis le doigt spécifiquement sur l'handicap concerné mais tous ont conclu qu'il y avait nécessairement d'un tel handicap au sens de l'article 329.

 

La présence de ce handicap est unanime chez les médecins experts consultés et n'est confrontée à aucune preuve médicale contraire émanant de qui que ce soit.

 

La littérature médicale qui est déposée appuie ces prétentions et nous pensons, par conséquent, qu'il y a lieu d'appliquer la jurisprudence qui est fréquemment appliquée pour la reconnaissance d'une lésion professionnelle à la demande de partage de coûts présentée par le présent employeur.

 

L'article 329 doit recevoir une interprétation libre, libérale et généreuse afin de s'assurer que les fins qui y sont poursuivies soient raisonnablement atteintes.

 

Or, dans le présent dossier, nous avons démontré hors de tout doute qu'il y avait présence d'un handicap même si la communauté scientifique, compte tenu de ses connaissances et compte tenu de ses moyens d'investigation, a été dans l'impossibilité de déterminer quel était ce handicap précis.

 

Il y a une preuve par présomption de fait ou, à tout le moins, une preuve circonstancielle établissant la présence de cet handicap.

 

L'existence du handicap et la présence de cet handicap a été également démontrée par ces mêmes experts comme ayant joué un rôle dans la survenance de ces deux pathologies qui sont intimement liées dans la présente affaire.

 

Il s'agit évidemment d'un cas d'espèce auquel il ne faut pas oublier d'y ajouter encore une fois, nous le répétons, les faits particuliers c'est-à-dire le jeune âge du travailleur, la courte période exposition et l'importance des pathologies qui l'ont amené à être en réadaptation professionnelle, et ce, après une très courte exposition à des facteurs de risque.

 

Le travail a été un facteur précipitant mais la rapidité avec laquelle se sont manifestées ces pathologies et leur intensité démontre qu'il y avait chez M. Bolduc un handicap, soit un facteur prédisposant comme l'a expliqué le docteur Dupras dans sa dernière expertise, le tout étant confirmé par les autorités médicales qu'il a déposées et corroboré par l'ensemble de la communauté scientifique constitué par les experts qui se sont prononcés sur le cas de M. Bolduc.

 

 

[45]           Il soumet de plus que la décision de la Commission des lésions professionnelles du 9 janvier 2006 ne peut avoir aucune incidence sur la demande de partage de coûts présentée par l'employeur puisque la question à trancher était différente, à savoir la survenance d'une lésion professionnelle, alors qu'il s'agit dans la présente affaire de déterminer si monsieur Bolduc était porteur d'un handicap au sens de l'article 329 de la loi.

[46]           S'il est vrai que le tribunal n'est pas lié par la décision du 9 janvier 2006 en ce qui concerne la question du handicap préexistant, il ne peut pour autant faire abstraction de cette décision dans la mesure où c'est par celle-ci que le syndrome du défilé thoracique a été reconnu comme maladie professionnelle.

[47]           Ainsi, le tribunal voit mal comment il pourrait conclure à une déficience préexistante chez monsieur Bolduc du fait que celui-ci présente une condition athlétique reliée à la pratique de l'haltérophilie alors que cet argument soumis par l'employeur pour faire échec à la reconnaissance de la lésion professionnelle a été rejeté par le juge administratif dans la décision du 9 janvier 2006.

[48]           Ce n'est toutefois pas l'argument avancé par le représentant de l'employeur au soutien de la demande de partage de coûts et ce n'est pas non plus la thèse soutenue par le docteur Dupras puisque, dans son expertise du 9 avril 2008, ce médecin relie en grande partie la masse musculaire de monsieur Bolduc à son travail de mineur et en particulier, à celui de mineur de monterie.

[49]           L'argument soumis par l'employeur consiste plutôt à dire que même si une déficience préexistante n'a pas été identifiée précisément chez monsieur Bolduc, on doit nécessairement conclure à sa présence parce que tous les médecins qui sont intervenus au dossier sont d'avis que la manifestation d'un syndrome du défilé thoracique ne se produit qu'en présence d'une condition préexistante. L'argument vaudrait également pour le phénomène de Raynaud.

[50]           Après considération de la preuve au dossier, le tribunal ne peut pas retenir cette prétention pour les raisons suivantes.

Le syndrome du défilé thoracique

[51]           Le tribunal retient en premier lieu que les opinions médicales auxquelles réfère le représentant de l'employeur comportent des faiblesses, voire des contradictions, ce qui nécessairement a pour effet d'atténuer leur valeur probante en regard de l'argument invoqué.

 

[52]           Ainsi, les docteurs La Flèche et Bossé mentionnent dans leurs expertises que le syndrome du défilé thoracique constitue une condition personnelle mais les explications qu'ils donnent à ce niveau sont peu éclairantes, comme le constate notamment la Commission des lésions professionnelles dans la décision du 9 janvier 2006 à propos de l'opinion du docteur La Flèche. En ce qui concerne l'opinion du docteur Bossé, elle porte surtout sur la relation qui est faite par la littérature médicale entre la manifestation du syndrome de défilé thoracique et l'exercice d'un travail comportant l'utilisation d'instruments vibratoires lourds à tel point que c'est en partie sur cette opinion que la Commission des lésions professionnelles en est venue à la conclusion qu'il s'agit d'une lésion professionnelle.

[53]           Quant au docteur Dupras, dans sa première expertise de juin 2003, il relie le syndrome du défilé thoracique à la condition athlétique de monsieur Bolduc qu'il associe à la pratique de l'haltérophilie mais dans celle d'avril 2008, il estime plus plausible que l'augmentation de sa masse musculaire ait été maintenue et augmentée par son travail de mineur et en particulier, par celui de mineur de monterie et il parle plutôt de la combinaison d'une anomalie préexistante qu'il n'identifie pas et des microtraumatismes que comporte son travail de mineur.

[54]           Ce médecin se contredit par ailleurs lorsqu'il répond à la CSST dans sa première expertise qu'il n'existe aucune relation entre le syndrome du défilé thoracique et le phénomène de Raynaud alors qu'il affirme le contraire dans celle d'avril 2008.

[55]           Le tribunal note aussi des contradictions quant à la fréquence de la manifestation d'un syndrome du défilé thoracique chez les mineurs. Si celle-ci est rare selon le témoignage de l'ingénieure ergonome rapporté dans la décision du 9 janvier 2006 et l'opinion du docteur Laroche, elle serait fréquente, selon le docteur Dupras (expertise d'avril 2008). Il laisse même entendre dans ses commentaires de la décision du 9 janvier 2006 qu'il est prématuré de conclure que le travail de mineur ne prédispose au développement d'un syndrome du défilé thoracique.

[56]           Quoi qu'il en soit, il demeure que le docteur Laroche et le docteur Dupras affirment qu'une anomalie préexistante doit être présente pour qu'un syndrome du défilé thoracique se manifeste dans l'exercice d'un travail comme celui de monsieur Bolduc. Le docteur Dupras écrit de manière expresse dans son expertise d'avril 2008 qu'il doit nécessairement y avoir une combinaison de deux facteurs soit un facteur prédisposant et un facteur précipitant.

[57]           La littérature médicale à laquelle réfère ce médecin, qui a été transmise à la Commission des lésions professionnelles par le représentant de l'employeur, ne semble pas supporter cette opinion voulant qu'il doive toujours y avoir une condition personnelle préexistante ou un facteur prédisposant pour que se manifeste un syndrome de défilé thoracique.

[58]           Ainsi, dans l'article « Thoracic Outlet Syndrome - Aspects of Diagnosis in the Differential Diagnosis of Hand-Arm Vibration Syndrome » [5], on peut lire ce qui suit dans l'introduction :

Potential causes of TOS are a cervical rib, abnormal ligamentous tissue and hypertrophy of the scalenus anterior muscle, as well as postural effects that interfere with the normal relationship between the first rib and those structures overlying it. (p.331)

 

 

[59]           À la section des facteurs de risque, les auteurs écrivent :

In many cases, an anatomical abnormality will be present and be the underlying reason for the development of symptoms of TOS. There may be occupational influences to provoke or exacerbate symptoms, such as working repeatedly with the arms at or above shoulder height. (p. 332)

 

 

 

[60]           Dans l'article « Imaging Assessment of Thoracic Outlet Syndrome », les auteurs écrivent ce qui suit sur les causes du syndrome :

Anatomic abnormalities or acquired disease of the skeletal and soft-tissue structures forming or bordering on the three compartments may cause mechanical compression or direct irritation of the neurovascular structures. The abnormalities can be divided into two groups: bone abnormalities and soft-tissue abnormalities. (p. 1742)

 

 

 

[61]           Les principales causes du syndrome du défilé thoracique sont répertoriées dans un tableau contenu à la même page[6].

[62]           Dans le groupe des anomalies des tissus mous, on identifie comme étant l'une des causes du syndrome du défilé thoracique des modifications post-traumatiques des tissus fibreux reliées à un travail répétitif impliquant des microtraumatismes.

[63]           Les auteurs apportent les explications suivantes sur cette cause :

Acquired Soft-Tissue Abnormalities. - […]

The second group consists of patients suffering from work-related repetitive micro-trauma (activities requiring repeated elevation of the upper limb or heavy lifting). It has been  hypothesized that such trauma may induce fibrosis and spasm of the scalene muscles, leading to elevation of the first rib and consequently to its impingement on the neurovascular structures. Repeated microtrauma may also induce local perineural inflammation of the soft tissues(12). However, the exact mechanism whereby trauma precipitates TOS is still unclear. (p. 1744)

_______________________

12.      Stoney RJ, Cheng SWK. Neurogenic thoracic outlet syndrome. In : Rutherford RB, ed. Vascular surgery. 4th ed. Philadelphia, Pa : Saunders, 1995; 976-991.

 

 

[64]           Ce qu'il faut retenir de ces articles, c'est que la manifestation d'un syndrome du défilé thoracique ne présuppose pas nécessairement une condition personnelle préexistante ou un facteur prédisposant, comme l'indique le docteur Dupras dans son expertise, et qu'elle est peut-être causée par la seule altération des tissus mous due à une activité de travail qui implique une sollicitation répétée des structures avoisinantes du défilé thoracique.

[65]           L'opinion des docteurs Laroche et Dupras n'apparaît donc pas supportée par la littérature médicale.

[66]           Dans ce contexte, le tribunal ne peut faire droit à l'argument du représentant de l'employeur voulant qu'on doive présumer de la présence d'une déficience préexistante chez monsieur Bolduc parce qu'un syndrome du défilé thoracique ne peut se produire qu'en présence d'un facteur prédisposant ou d'une condition personnelle préexistante.

[67]           Cette affirmation n'étant pas supportée par la preuve prépondérante retenue par le tribunal, on n'est donc pas en présence d'éléments suffisamment graves, précis et concordants permettant de conclure, par présomption de fait, que monsieur Bolduc était atteint d'une déficience préexistante avant la survenance de sa lésion professionnelle.

[68]           Le tribunal ne peut retenir davantage l'argument du représentant de l'employeur voulant qu'il soit impossible de déterminer quelle était la déficience précise chez monsieur Bolduc, compte tenu des connaissances scientifiques et des moyens d'investigation.

[69]           Selon la littérature médicale, l'investigation en imagerie médicale peut être d'une certaine utilité pour identifier une anomalie préexistante. Il convient de citer l'extrait suivant de l'article « Imaging Assessment of Thoracic Outlet Syndrome » :

The diagnosis of TOS is clinically based. Imaging may be helpful in informing the clinician as to the anatomic structures undergoing compression, the location of that compression, and the anatomic structures responsible for it (whether normal or abnormal). Indeed, all the features may influence the treatment. Radiographs may demonstrate predisposing bone abnormalities (elongated C7 transverse process, cervical rib). To the best of our knowledge, the respective advantages of the complementary imaging techniques have not been assessed in comparative studies. In the case of neurogenic or neurovascular symptoms, MR imaging in association with postural maneuvers has proved useful especially in demonstrating brachial plexus compression and the existence of fibrous bands. […] (p. 1749)

 

 

[70]           Le tribunal comprend des commentaires du docteur Dupras que les examens d’imagerie qui auraient permis de démontrer une hypertrophie du scalène antérieur ne sont pas disponibles en région, mais dans le contexte où, dans son expertise d'avril 2008, ce médecin semble faire référence à l'existence d'un autre facteur prédisposant que la masse musculaire de monsieur Bolduc pour expliquer la manifestation du syndrome[7], d'autres examens auraient pu vraisemblablement être effectués pour tenter d'identifier cette autre condition préexistante par les moyens disponibles.

[71]           Or, l'employeur n'a déposé aucune preuve radiologique ou autre visant à démontrer la présence d'une telle anomalie et il a plutôt misé sur sa prétention voulant que celle-ci soit établie du seul fait qu'un facteur prédisposant doit être nécessaire dans tous les cas pour qu'un syndrome du défilé thoracique se manifeste.

[72]           Le tribunal retient donc de la preuve prépondérante que l'employeur n'a pas établi que monsieur Bolduc était porteur d'une déficience préexistante avant qu'il subisse un syndrome du défilé thoracique.

Le phénomène de Raynaud [8]

[73]           Le tribunal estime qu'il n'y a pas de preuve au dossier de la présence d'une déficience préexistante chez monsieur Bolduc concernant cette pathologie.

[74]           Dans son expertise du 17 février 2003, le docteur Dupras émet l'hypothèse qu'il est possible, compte tenu du jeune âge de monsieur Bolduc, que celui-ci présente une prédisposition à ce type de pathologie qui aurait été aggravée par le travail, prédisposition qu'il identifie comme étant un phénomène vasospastique. Ce médecin estime alors qu'il n'y a pas de relation entre cette maladie et le syndrome du défilé thoracique.

[75]           La seule allégation de ce médecin concernant une prédisposition de monsieur Bolduc ne fait pas preuve de la présence d'une déficience préexistante au sens de l'article 329 de la loi.

[76]           Cela dit, il n'est plus question d'un phénomène vasospastique prédisposant dans son expertise du 9 avril 2008. Le docteur Dupras change complètement d'opinion et il retient cette fois que le phénomène de Raynaud est une manifestation associée au syndrome du défilé thoracique et à l'exposition aux vibrations.

[77]           Dans ce contexte, compte tenu que le syndrome du défilé thoracique a été reconnu comme lésion professionnelle et que la preuve prépondérante n'a établi aucune déficience préexistante à l'origine de la manifestation de ce syndrome, on doit retenir la même conclusion à l'égard du phénomène de Raynaud.

[78]           La jurisprudence que le représentant de l'employeur a transmise au soutien de son argumentation n'a pas d'incidence directe en l'espèce parce qu'elle concerne des règles générales en matière d'interprétation et de preuve et de leur application à différents cas. Aucune des décisions ne porte sur une demande de partage de coûts pour un syndrome du défilé thoracique ou un phénomène de Raynaud.

[79]           En l'absence d'une preuve établissant que monsieur Bolduc était un travailleur déjà handicapé lors de la survenance de sa lésion professionnelle du 1er novembre 2002 (phénomène de Raynaud et syndrome du défilé thoracique), la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que l'employeur n'a pas droit au partage de coûts réclamé et que 84,95 % des coûts de la lésion professionnelle, tel qu'établi par la CSST en vertu de l'article 28 de la loi, doit lui être imputé.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de la compagnie Iamgold - Québec (Mine Géant Dormant);

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 juin 2008 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que 84,95 % des coûts de la lésion professionnelle subie par monsieur David Bolduc le 1er novembre 2002 doit être imputé à la compagnie Iamgold - Québec (Mine Géant Dormant).

 

__________________________________

 

Claude-André Ducharme

 

Me Alain Lortie

CLICHE, LORTIE, ASS.

Représentant de la partie requérante

 

 



[1]           C.L.P. 222912-08-0312, P. Prégent.

[2]           L.R.Q. c. A-3.001.

[3]           Précitée, note 1.

[4]           1999 C.L.P. 779 .

[5]           Les références des articles sont indiquées au paragraphe 32.

[6]           Il convient de mentionner que la page 1742 ne faisait pas partie de la copie de l'article que le représentant de l'employeur a transmise à la Commission des lésions professionnelles au soutien de son argumentation et que c'est par l'intermédiaire de l'assesseur au dossier que le tribunal a pu l'obtenir.

[7]           Rappelons que dans son expertise d'avril 2008, le docteur Dupras associe le maintien et l'augmentation de la masse musculaire de monsieur Bolduc à son travail.

[8]           Bien que la décision de la CSST rendue le 17 juin 2008 à la suite d'une révision administrative ne porte pas sur l'application de l'article 329 de la loi en regard de cette pathologie, la Commission des lésions professionnelles a compétence pour se prononcer sur la question en vertu de l'article 377 de la loi.

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