[1.] Le 11 juin 1999, monsieur André Beaulieu, le travailleur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une contestation à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 3 mai 1999, à la suite d’une révision administrative.
[2.] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 1er octobre 1998 et conclut que l’impossibilité pour le travailleur d’entreprendre la formation prévue à son plan individualisé de réadaptation.
[3.] Le travailleur et la CSST sont présents et représentés à l’audience.
OBJET DE LA CONTESTATION
[4.] Le travailleur demande de conclure que la CSST ne pouvait modifier le plan de réadaptation élaboré en décembre 1997.
LES FAITS
[5.] Du témoignage du travailleur et de la preuve documentaire, la Commission des lésions professionnelles retient ce qui suit :
[6.] Le 2 mai 1986, le travailleur, un journalier à l’emploi de Construction Be-Con inc., l’employeur, se fracture la jambe en voulant soulever une tête de puisard.
[7.] Cette lésion est consolidée le 5 octobre 1988 avec atteinte permanente (9.20 %) et limitations fonctionnelles.
[8.] En mai 1989, la CSST détermine un premier emploi convenable, celui de livreur de colis légers. Cette décision a été contestée par le travailleur.
[9.] Le 24 septembre 1993, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) déclare prématurée la décision de la CSST portant sur la détermination de ce premier emploi convenable.
[10.] Le 8 juin 1995, la CSST détermine un emploi de commis à la comptabilité. Ce plan inclut un programme de formation qui doit prendre fin en décembre 1998.
[11.] Le 26 août 1997, le responsable de ce programme de formation informe la CSST que le travailleur aura sans doute de la difficulté à obtenir son diplôme vu sa déficience marquée à la main gauche. Cette déficience l’empêche de compléter plusieurs cours obligatoires.
[12.] Le 6 novembre 1997, le travailleur rencontre madame Claire Desjardins, agente en réadaptation à la CSST, pour discuter de l’orientation à prendre pour l’élaboration d’un nouveau plan de réadaptation. Elle retient ce qui suit de sa conversation avec le travailleur :
«Après mûre réflexion, le (T) me dit vouloir une formation (DEP) dans le domaine de la réparation de motoneige et de véhicules récréatifs. C’est le seul domaine qui l’intéresse et dans lequel il se sent à l’aise & compétent. Il ne veut pas de formation en entreprise mais une formation menant à un diplôme officiel du ministère de l’éducation.
(T) a rencontré les responsables de l’éducation aux adultes de la Com. Scol. de la Jeune Lorette & ses chances sont très bonnes quant à l’admissibilité car 2 groupes seront formés en août 98 & qu’il possède plus de crédits secondaires qu’exigés (préalables). Le (T) aura obtenu son sec V d’ici le début des cours. (...)»
[13.] En conséquence, le 2 décembre 1997, la CSST rend la décision suivante :
«Suite à la lettre du 26 août 1997 de monsieur Gilbert Parent, de l’école secondaire Roger Comptois, nous convenons de modifier votre plan de réadaptation professionnelle.
Avec votre collaboration, nous avons exploré d’autres possibilités d’emplois convenables et nous avons retenu celui de réparateur de véhicules récréatifs. Afin de vous rendre apte à occuper cet emploi, nous mettons en place la mesure suivante :
DEP en mécanique de véhicules légers
Programme #5154 d’une durée de 1 800
heures
Commission scolaire de la Jeune Lorette
Début : août 1998
D’ici le début de cette formation, vous devrez terminer votre recyclage scolaire et faire une demande d’admission en bonne et due forme à l’hiver 1998.»
[14.] Le 14 avril 1998, le travailleur informe la CSST que sa demande d’admission au programme de formation à la Commission scolaire est refusée parce qu’il n’y a plus de place disponible.
[15.] Le 11 août 1998, le responsable du programme de formation à la Commission scolaire confirme à l’agent de réadaptation de la CSST que le cours débutant à l’automne est complet. Il ajoute que l’admission du travailleur pour l’automne 1999 est incertaine.
[16.] Le 15 septembre 1998, le travailleur informe la CSST qu’il aurait un projet d’affaires à soumettre.
[17.] Selon les notes évolutives au dossier, lors d’une rencontre tenue le 22 septembre 1998, le travailleur souhaite présenter un plan d’affaires pour la mise sur pied d’un centre équestre.
[18.] Le 1er octobre 1998, l’agent de réadaptation écrit ce qui suit :
«Appel au (T) - donne r.vs. pour 98.10.01.
Visite du (T). Parlons de sa situation (CSST 13 ans)
Veut absolument son entreprise qui lui permettrait de travailler à son rythme. Bon argumentaire. Je lui fais voir les côtés moins positifs, ça ne l’ébranle pas. J’accepte qu’il me présente «plan d’affaire»(sic) d’ici 1 mois environ. Il est avisé que rien ne nous oblige à l’accepter.»
[19.] Le 1er octobre 1998, la CSST rend la décision suivante :
«Vu l’impossibilité pour vous d’entreprendre la formation mécanique de petits moteurs à la Commission scolaire de la Jeune Lorette à cause du manque de place, nous vous informons que nous allons réentreprendre le processus de réadaptation.
Vous ou votre employeur pouvez demander la révision de cette décision dans les 30 jours suivant la réception de la présente lettre. N’hésitez pas à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires à ce sujet ou pour toute autre question.»
[20.] Le travailleur conteste cette décision qui est maintenue par la CSST à la suite de la révision administrative d’où la contestation dont la Commission des lésions professionnelles est saisie.
[21.] Cette contestation étonne l’agent de réadaptation car bien que le travailleur soit déçu de ne pouvoir entreprendre sa formation en mécanique de petits moteurs, il semblait s’être orienté vers d’autres projets.
[22.] Par ailleurs, l’agent de réadaptation l’avise qu’il faut trouver une autre solution car les chances d’être admis en mars 1999 sont minces.
[23.] Le 22 février 1999, le travailleur rencontre monsieur B. Savard, agent de réadaptation à la CSST, qui retient ce qui suit de la conversation avec le travailleur :
«Entrevue Le (T) s’est présenté à l’heure convenue sur la lettre. Dit vouloir une formation, que c’est son droit. Dit aller s’inscrire bientôt pour la prochaine formation mécanique véhicules légers à laquelle il n’avait pas été retenu l’an dernier. Pour lui, cette démarche n’est pas discutable. (...)
Je lui fournit ± 12 monographies professionnelles ainsi que deux liste d’emplois disponibles sur le marché.
Je lui demande d’en prendre connaissance, et de cibler les emplois pour lesquels il a de l’intérêt. Le (T) dit qu’il va le faire mais ne pense pas qu’il y trouvera des emplois qui l’intéressent. Dit vouloir «sa formation» et est prêt à défendre son point jusqu’à la C.L.P. (...)»
(sic)
[24.] En mars 1999, la CSST change de cap en ce sens qu’elle décide de suivre les intentions du travailleur et d’examiner à nouveau les possibilités d’entreprendre la formation pour lui permettre d’occuper l’emploi convenable de réparateur de véhicules récréatifs. Pour ce faire, la CSST entreprend des démarches auprès du centre François Charon afin d’évaluer les capacités de travail du travailleur. Le travailleur affirme qu’il n’a pu se présenter pour des raisons médicales.
[25.] Selon les notes évolutives au dossier, la possibilité d’entreprendre cette formation ailleurs (Matane, Thetford Mines) a été discutée, mais n’a pas eu de suite.
[26.] À l’audience, la CSST informe la Commission des lésions professionnelles que le 21 juillet 1999 un emploi convenable de caissier de station service a été déterminé. Cette décision est contestée par le travailleur.
AVIS DES MEMBRES
[27.] Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis que l’impossibilité d’obtenir une place pour compléter la mesure de réadaptation mise de l’avant en décembre 1997 justifie la modification du plan de réadaptation.
[28.] Le membre issu des associations syndicales est plutôt d’avis que la CSST aurait dû envisager de permettre au travailleur de suivre la formation prévue en décembre 1997 dans une autre ville et d’attendre la réaction du travailleur avant de reprendre tout le processus de réadaptation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
[29.] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST était justifiée de modifier le plan de réadaptation établi en décembre 1997.
[30.] Les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q. ch. A-3.001, pertinentes au litige sont les suivantes :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
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1985, c. 6, a. 145.
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
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1985, c. 6, a. 146.
147. En matière de réadaptation, le plan individualisé constitue la décision de la Commission sur les prestations de réadaptation auxquelles a droit le travailleur et chaque modification apportée à ce plan en vertu du deuxième alinéa de l'article 146 constitue une nouvelle décision de la Commission.
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1985, c. 6, a. 147.
167. Un programme de réadaptation professionnelle peut comprendre notamment:
1 un programme de recyclage;
2 des services d'évaluation des possibilités professionnelles;
3 un programme de formation professionnelle;
4 des services de support en recherche d'emploi;
5 le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l'embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;
6 l'adaptation d'un poste de travail;
7 le paiement de frais pour explorer un marché d'emplois ou pour déménager près d'un nouveau lieu de travail;
8 le paiement de subventions au travailleur.
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1985, c. 6, a. 167.
172. Le travailleur qui ne peut redevenir capable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle peut bénéficier d'un programme de formation professionnelle s'il lui est impossible d'accéder autrement à un emploi convenable.
Ce programme a pour but de permettre au travailleur d'acquérir les connaissances et l'habileté requises pour exercer un emploi convenable et il peut être réalisé, autant que possible au Québec, en établissement d'enseignement ou en industrie.
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1985, c. 6, a. 172; 1992, c. 68, a. 157.
[31.] Le représentant du travailleur prétend que la CSST ne pouvait modifier le plan de réadaptation élaboré en décembre 1997 car elle prive ainsi le travailleur d’une formation qui lui assurerait sa réinsertion sociale ce qui constitue l’exercice de son droit à la réadaptation.
[32.] La procureure de la CSST prétend que des circonstances nouvelles justifiaient une modification du plan de réadaptation. Toutefois, elle est d’avis que le débat est académique compte tenu des décisions portant sur la réadaptation du travailleur qui ont été rendues ultérieurement.
[33.] La Commission des lésions professionnelles est saisie d’une contestation d’une décision de la CSST qui a jugé nécessaire de modifier le plan de réadaptation élaboré en décembre 1997. Etait-elle justifiée de le faire?
[34.] Selon la conclusion retenue, les décisions rendues ultérieurement pourraient être remises en cause. En ce sens la Commission des lésions professionnelles ne croit pas que le débat soit essentiellement académique.
[35.] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit qu’un plan de réadaptation peut être modifié. Elle en détermine les motifs et les conditions. Ainsi, si des circonstances nouvelles surgissent la modification sera permise et devra être faite en collaboration avec le travailleur.
[36.] Ces modifications doivent souscrire à l’objectif premier d’un plan de réadaptation, à savoir favoriser le réinsertion du travailleur dans un milieu de travail.
[37.] Il est vrai que le travailleur peut bénéficier de différents services visant à faciliter sa réintégration au travail, notamment un programme de formation tel que le prévoyait le plan élaboré en décembre 1997, et ce, conformément à l’article 172 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[38.] Toutefois, cette disposition qui autorise la mise en place d’une telle mesure n’en fait pas un droit absolu.
[39.] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, il n’y a pas d’obligation de la part de la CSST de soutenir la mise en preuve d’un plan de réadaptation qui n’apparaît plus réalisable à court terme. Il est raisonnable de croire qu’il n’y a pas de solution unique et que différentes hypothèses peuvent être envisagées, d’où la possibilité de modifier un plan de réadaptation pour tenir compte de circonstances nouvelles.
[40.] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles croit que la preuve établit l’existence de circonstances nouvelles justifiant la CSST de modifier le plan élaboré en décembre 1997.
[41.] En effet, la formation requise pour permettre au travailleur d’être capable d’exercer l’emploi convenable de réparateur de véhicules récréatifs ne peut lui être offerte pour des raisons de contingentement. Attendre qu’une place soit éventuellement disponible n’apparaît pas être la meilleure façon d’atteindre l’objectif visé par la réadaptation prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. C’est d’ailleurs ce que le travailleur semblait à première vue avoir saisi ayant lui-même envisagé rapidement une autre solution.
[42.] Par ailleurs, la preuve révèle que la collaboration du travailleur a été recherchée. Rien n’indique que la CSST a voulu agir seul. On a même exploré comme première avenue, la possibilité d’inscrire le travailleur dans une école à l’extérieur de la région de Québec. Cette démarche n’a pas eu de suite. Le travailleur invoque à cet égard des raisons médicales. La Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur aurait à tout le moins démontré son intérêt en amorçant des démarches en ce sens.
[43.] Enfin, la preuve révèle que des informations ont été fournies au travailleur pour lui permettre d’analyser d’autres emplois susceptibles de rejoindre ses intérêts pour être ensuite envisagés comme emploi convenable au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Le travailleur n’y a pas donné suite jugeant que le seul emploi envisageable était celui pour lequel la formation n’était pas disponible.
[44.] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles croit, après analyse de l’ensemble de la preuve, que des circonstances nouvelles justifiaient la modification du plan de réadaptation élaboré en décembre 1997. Elle est également d’avis que la preuve établit que le travailleur a été invité à participer aux démarches entreprises en ce sens.
[45.] Dans ces circonstances, le fait que le travailleur n’a pas voulu envisager d’autres solutions n’empêche pas la CSST de modifier le plan de réadaptation.
[46.] PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Rejette la contestation de monsieur André Beaulieu;
Confirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 3 mai 1999 à la suite d’une révision administrative
Déclare que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de modifier le plan de réadaptation en octobre 1998 conformément à l’article 146 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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MARIE BEAUDOIN |
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Commissaire |
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(Me
Nelson Gagné) 1985, rue
St-Michel Sillery
(Québec) G1T 1J7 |
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Représentant de la partie requérante
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(Me Line Régnier) 730, boul. Charest Est Québec (Québec) G1K 7S6 |
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Représentante de la partie
intervenante
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