DÉCISION
[1] Le 19 avril 2000, monsieur Eugène Magloire-Maisonneuve (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 12 avril 2000.
[2] Par cette décision, la révision administrative maintient les décisions initialement rendues par la CSST et déclare que le travailleur n’a pas subi, le 25 septembre 1998, une récidive, rechute ou aggravation de l’accident du travail survenu le 7 février 1989.
[3] La révision administrative détermine aussi qu’elle ne peut autoriser le paiement d’un corset orthopédique.
[4] Le travailleur et l’employeur ne sont pas présents à l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles. Le travailleur a cependant fait parvenir son argumentation avant l’audience.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déterminer que le 25 septembre 1998, il a subi une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle survenue le 7 février 1989.
[6] Il demande aussi à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement du coût d’acquisition d’un corset.
LES FAITS
[7] Le 7 février 1989, le travailleur subit un accident du travail alors qu’il glisse sur le plancher et tombe par terre. La CSST reconnaît la présence d’une lésion professionnelle et procède au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[8] Le travailleur est traité pour une entorse lombo-sacrée.
[9] Le 21 février 1989, commentant une investigation radiologique de la colonne lombo-sacrée, le docteur Dubois écrit ce qui suit :
« Présence d’une anomalie transitionnelle ne pouvant être identifiée vu l’absence de colonne thoracique.
Légère rotoscoliose à convexité gauche.
La numérisation des corps vertébraux pouvant être interprétée en considérant la possibilité d’une sacralisation de L5.
En conséquence, présence d’une vertèbre limbique au niveau L4.
Léger pincement de l’espace L3-L4 et L1-L2 avec présence d’invagination intraspongieuse du mucus pulposus au niveau L1 et L3. »
[10] Le 28 avril 1989, une nouvelle radiographie démontre la présence d’une grosse hernie intraspongieuse en L5. On note aussi que l’espace intervertébral L4-L5 est diminué d’environ 10 à 15 %.
[11] Le 15 mai 1989, une tomodensitométrie permet de voir une ostéophytose L4-L5 sans signe de hernie discale. On note aussi une anomalie transitionnelle et lombarisation de S1.
[12] Le 28 novembre 1989, le docteur Avon signe le protocole radiologique d’une discographie L1-L2 et L2-L3 et conclut à une destruction presque complète du nucléus, associée à des fissures dans l’annulus fibrosus à l’espace L1-L2 ainsi qu’une hernie intraspongieuse au plateau vertébral inférieur de L1.
[13] Le 9 décembre 1992, le docteur Gilbert Thiffault, membre du Bureau d'évaluation médicale, note des douleurs à la palpation de L3 jusqu’à S1 ainsi que des masses musculaires lombaires. Il pose les diagnostics de hernie intraspongieuse en L1 et L3, sacralisation de L5 et de petite hernie discale L2-L3. Il précise que le travailleur a beaucoup de malformations congénitales qui constituent une condition personnelle. Il consolide cette lésion en date du 25 septembre 1992 et prescrit des anti-inflammatoires ainsi que le port d’un corset.
[14] Le 16 décembre 1992, la CSST émet la décision qui fait suite aux conclusions du membre du Bureau d'évaluation médicale.
[15] Le 10 février 1993, le docteur Gilles Maurais, médecin qui a charge du travailleur, rédige un rapport d'évaluation médicale. Il y précise que le travailleur présente des lombalgies sévères et que sa mobilisation est très limitée. Il émet des limitations fonctionnelles ainsi qu’un déficit anatomo-physiologique de 2 % relié à des séquelles fonctionnelles d’une entorse lombaire.
[16] Par la suite, et jusqu’en septembre 1998, le travailleur est vu de manière périodique par le docteur Maurais concernant une lombalgie et une instabilité lombaire.
[17] Le 26 janvier 1998, une résonance magnétique révèle les problèmes suivants :
-
discopathie
chronique L2-L3 et L3-L4 sans évidence de hernie discale franche associée;
-
discopathie
plus sévère avec hernie intra-spongieuse rétro-marginale dans le plateau
supérieur du corps vertébral L5;
-
discopathie
L5-S1 avec petite hernie discale supérieure médiane;
- vertèbre de transition lombo-sacrée avec présence d’un disque surnuméraire S1-S2 qui paraît intact.
[18] Le 25 septembre 1998, le docteur Maurais procède à une fusion antérieure L4-S1. C’est cette intervention chirurgicale que le travailleur veut faire reconnaître à titre de récidive, rechute ou aggravation de l’événement du 7 février 1989.
[19] Le 11 mai 1999, le docteur Roch Banville rencontre le travailleur. À l’expertise qu’il rédige, le docteur Banville note que la chirurgie a amélioré grandement la douleur lombaire du travailleur. Il note que depuis l’événement d’origine, le travailleur a toujours présenté la même symptomatologie. Il conclut que l’événement accidentel du 7 février 1989, dont a été victime le travailleur, est responsable de la fusion chirurgicale L4-S1 pratiquée le 25 septembre 1998.
[20] Concernant le litige relié au paiement du corset, le dossier démontre que le 22 mars 1999, le travailleur fait une demande afin que lui soit remboursé le coût d’achat d’un corset orthopédique. Le 26 mars 1999, la CSST refuse de rembourser le travailleur parce que le port de cette orthèse n’est pas relié à la lésion professionnelle.
L'ARGUMENTATION DES PARTIES
[21] À l’argumentation écrite qu’il fait parvenir, le représentant du travailleur précise que les diagnostics reliés à l’événement d’origine consistent en une hernie L1 et L3, une sacralisation de L5 et une petite hernie discale L2-L3. Or, lorsque le docteur Maurais procède à la fusion L4-S1, il corrige la région L5. De ce fait, il estime qu’il y a relation entre l’intervention chirurgicale du 25 septembre 1998 et l’événement accidentel initial.
[22] Subsidiairement, il soumet qu’avant l’accident de 1989, le travailleur était asymptomatique de cette condition. Il note aussi une identité du siège de lésion, un suivi médical régulier et l’absence d’un autre traumatisme de nature personnelle.
L'AVIS DES MEMBRES
[23] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que l’intervention chirurgicale du 25 septembre 1998 constitue une récidive, rechute ou aggravation de l’événement d’origine parce qu’elle implique la région L5 alors qu’un des diagnostics retenus par le Bureau d'évaluation médicale, en regard avec la lésion initiale, consistait en une sacralisation de L5. Il estime aussi que la CSST doit rembourser le travailleur des frais reliés à l’acquisition d’un corset orthopédique parce que cette aide technique fait partie des traitements prévus par le docteur Thiffault du Bureau d'évaluation médicale à son avis du 9 décembre 1992.
[24] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que le travailleur n’a pas démontré qu’il existe une relation médicale entre l’événement d’origine et l’intervention chirurgicale du 25 septembre 1998; la sacralisation de L5 constitue une condition personnelle qui n’a pas été créée par l’événement du 7 février 1989, d’autant plus qu’à la suite du rapport d'évaluation médicale du docteur Maurais en date du 10 février 1993, la CSST a attribué une atteinte permanente de 2 % reliée à une entorse lombaire. L’intervention chirurgicale du 25 septembre 1998, effectuée afin de corriger cette condition personnelle n’est donc pas en relation avec la lésion professionnelle. En ce qui a trait au corset orthopédique, il estime que cette orthèse est prescrite afin de traiter la condition personnelle du travailleur et que la CSST était fondée de ne pas en rembourser le coût d’acquisition.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[25] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi, le 25 septembre 1998, une récidive, rechute ou aggravation de l’événement du 7 février 1989. La Commission des lésions professionnelles devra aussi déterminer si le travailleur a droit au remboursement des frais reliés à l’acquisition d’un corset orthopédique.
[26] Les articles 212 , 221 et 224.1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) mentionnent ce qui suit :
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
________
1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.
Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.
________
1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
[…]
________
1992, c. 11, a. 27.
[27] De la preuve incluse au dossier, la Commission des lésions professionnelles constate que le 7 février 1989, le travailleur subit un accident du travail.
[28] Les différentes radiologies prises à l’époque démontrent une sacralisation de L5.
[29] À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles constate que la sacralisation L5 est une condition qui était déjà présente lors de l’accident du 7 février 1989 : la radiographie du 21 février 1989, prise quelques jours après l’accident du travail permet de confirmer cette conclusion. La sacralisation de L5 n’a donc pas été créée par l’événement accidentel et, à ce titre, constitue une condition personnelle préexistante. De plus, la preuve nous convainc que cette condition était asymptomatique avant l’accident du travail.
[30] Parmi les diagnostics retenus par le docteur Thiffault du Bureau d'évaluation médicale à son avis du 9 décembre 1992, on note celui de sacralisation de L5. Le docteur Thiffault précise que le travailleur a beaucoup de malformations congénitales qui sont une condition personnelle. Lorsqu’il traite des soins ou traitements, il déclare que des anti-inflammatoires et le port d’un corset vont aider le travailleur. Il précise aussi que le travailleur présente des douleurs lombaires.
[31] Le 16 décembre 1992, la CSST émet sa décision entérinant les conclusions du Bureau d'évaluation médicale. La CSST y reprend les diagnostics établis par le docteur Thiffault ainsi que la conclusion relative au port du corset. Cette décision n’a pas été contestée et est donc finale.
[32] En vertu de l’article 224.1 de loi, la CSST est liée aux diagnostics retenus par le docteur Thiffault. Par ailleurs, la décision de la CSST, émise le 16 décembre 1992, permet d’établir que le diagnostic de sacralisation L5 est relié à la lésion professionnelle.
[33] Enfin, aucune preuve ne permet de conclure que la sacralisation aurait été rendue symptomatique en raison d’un autre événement traumatique quelconque survenu entre le 7 février 1989, date de l’accident, et le 25 septembre 1998, date de la fusion L4-S1. Puisque ce diagnostic constitue un problème personnel, et en l’absence d’un nouvel événement traumatique, il y a donc lieu de conclure que cette condition a été rendue symptomatique lors de l’accident du 7 février 1989.
[34] La Commission des lésions professionnelles est donc liée à ce diagnostic de sacralisation de l’espace intervertébral L5 et, c’est sur la base de cette conclusion que la présente décision doit être rendue.
[35] Les notes du docteur Thiffault et du docteur Maurais démontrent qu’en 1992, le travailleur présentait d’importantes douleurs lombaires. C’est d’ailleurs en vue de soulager ces douleurs que le travailleur est périodiquement vu par le docteur Maurais entre 1992 et 1998.
[36] Le 25 septembre 1998, le docteur Maurais pratique une intervention chirurgicale visant une fusion L4-S1. La Commission des lésions professionnelles constate que cette fusion englobe la région L5 et a pour but de corriger les problèmes créés par la sacralisation. Puisque la sacralisation, et donc sa symptomatologie, a été acceptée par la CSST à sa décision du 16 décembre 1992, il faut conclure que les traitements, soins, tests et interventions chirurgicales auxquels on procède pour améliorer, voir guérir, cette symptomatologie, doivent être reconnus comme étant en relation avec la lésion professionnelle.
[37] L’opération du 25 septembre 1998 est donc en relation avec l’événement du 7 février 1989.
[38] Par ailleurs, à son rapport du 11 mai 1999, le docteur Banville précise que cette intervention a grandement amélioré la douleur ressentie par le travailleur, confirmant ainsi que l’opération chirurgicale est en relation avec la sacralisation de L5.
[39] C’est en raison de l’aggravation de cette condition personnelle et en tenant compte de la continuité de la symptomatologie constatée lors des suivis médicaux qui ont eu cours entre la date de consolidation et l’intervention chirurgicale du 25 septembre 1998, qu’il y a lieu de conclure qu’à cette date le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation de l’événement accidentel du 7 février 1989.
[40] Sa réclamation doit être accueillie et la décision de la révision administrative doit être infirmée.
[41] En ce qui a trait au paiement du prix d’achat du corset, l’article 189 de la loi est libellé de la manière suivante :
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
[…]
5 les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
________
1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23.
[42] Le Règlement sur l’assistance médicale[2] prévoit ce qui suit;
18. La Commission assume le coût de location, d’achat et de renouvellement d’une aide technique prévue à l’annexe II, aux conditions et selon les montants prévus à la présente section et à cette annexe, lorsque cette aide technique sert au traitement de la lésion professionnelle ou qu’elle est nécessaire pour compenser des limitations fonctionnelles temporaires découlant de cette lésion.
[43] La section 3 de l’annexe II de ce règlement prévoit le coût d’achat des corsets.
[44] La loi prévoit donc que la CSST assume le coût d’achat et de renouvellement des corsets lorsqu’ils servent au traitement d’une lésion professionnelle. Or, dans le cas en litige, la Commission des lésions professionnelles constate que c’est le docteur Thiffault du Bureau d'évaluation médicale qui prescrit le port d’un corset. Cette conclusion quant aux traitements est reprise par la CSST à la décision qui fait suite au Bureau d'évaluation médicale. La CSST est liée à cette conclusion. Le coût d’acquisition du corset doit être remboursé au travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Eugène Magloire-Maisonneuve;
INFIRME la décision rendue par la révision administrative de la CSST le 12 avril 2000;
DÉCLARE que le 25 septembre 1998, le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation de l’événement du 7 février 1989;
DÉCLARE que le port du corset est relié à l’événement du 7 février 1989 et que le travailleur a droit au remboursement du coût d’acquisition de ce corset.
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Robert Langlois |
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Commissaire |
F.A.T.A. - MTL
Me Denis Mailloux
6839-A, rue Drolet
Montréal (Québec)
H2S 2T1
Représentant de la partie
requérante
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