Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

MONTRÉAL

MONTRÉAL, LE 3 OCTOBRE 2001              

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

148275-71-0010

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Lucie Landriault, avocate

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DES MEMBRES :

Marc-André Régnier,

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

Lorraine Gauthier,

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

089277735-1

AUDIENCE TENUE LE :

26 juin 2001

 

 

 

 

EN DÉLIBÉRÉ LE :

13 août 2001

 

 

 

 

 

 

À :

Montréal

 

 

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

FERNANDO ESCOBAR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

VILLE DE MONTRÉAL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET

DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTERVENANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]         Le 16 octobre 2000, monsieur Fernando Escobar (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 5 octobre 2000 à la suite d'une révision administrative.

[2]         Par cette décision, la CSST confirme une décision qu'elle a initialement rendue le 7 décembre 1999 et refuse d'autoriser les dépenses pour adapter le domicile du travailleur, soit les dépenses reliées à l'installation d'une cage extérieure et d'une plate-forme élévatrice verticale pour faciliter l'accès du travailleur à son logement situé au 3e étage de la coopérative qu'il habite.

[3]         À l'audience, le travailleur est présent et représenté.  La CSST est aussi représentée.

[4]         La Commission des lésions professionnelles a demandé au travailleur de produire avant le 7 juillet 2001 les règles régissant la coopérative d'habitation dont il est membre, et a permis à la CSST de déposer d’ici le 15 juillet ses remarques s’il y a lieu.  Le 13 août 2001, le travailleur produisait une réplique à la suite de la lettre de la CSST du 17 juillet 2001.  L’affaire a  donc été prise en délibéré le 13 août 2001.

L'OBJET DE LA CONTESTATION

[5]         Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision de la CSST du 5 octobre 2000 et de conclure qu'il a droit à l’adaptation de son domicile, soit à l’installation d’une plate-forme élévatrice dans un puits extérieur annexé au bâtiment, pour lui donner accès à son logement au 3e étage.  Selon lui, il s'agit, dans les circonstances, de la solution la plus raisonnable.

LES FAITS

[6]         Le travailleur est victime d'un accident du travail le 14 juillet 1985 lorsqu'il fait une chute et se tord le genou droit.  Il subit plusieurs récidives, rechutes ou aggravations impliquant plusieurs chirurgies au genou droit, dont une prothèse totale du genou.  Ces lésions professionnelles le laissent avec une atteinte permanente à l’intégrité physique de 31,05 %. Il conserve aussi des limitations fonctionnelles dont celles établies par le docteur Gilles Roger Tremblay  le 30 novembre 1998, et selon lesquelles il doit faire des activités sédentaires sans activer de pédales avec son membre inférieur droit.  Au moment de l’évaluation des limitations fonctionnelles, le travailleur est âgé de 53 ans.

[7]         À l’audience devant la Commission des lésions professionnelles, le travailleur affirme que depuis, il a fait une chute dans les escaliers de l'immeuble qu'il habite et s’est fracturé une vertèbre de la colonne lombaire.  Il se déplace maintenant avec une canne; depuis le mois de mars 2001, il doit, de plus, porter une orthèse au genou.

[8]         En avril 1999, le travailleur demande à la CSST l’adaptation de son domicile et l’adaptation de son véhicule automobile. 

[9]         La CSST adapte le véhicule automobile du travailleur.

[10]           La CSST adapte aussi la salle de bain et la cuisine de son domicile, par l’installation de barres d’appui, d’une toilette surélevée, de tiroirs surélevés, d’armoires de cuisine adaptées, etc.  Le lit et le divan sont aussi surélevés.  Ces changements représentent un coût de quelques milliers de dollars, environ 2,500 00$ selon le travailleur. 

[11]           La CSST étudie aussi la demande du travailleur visant à faciliter l’accès à son logement qui se situe au 3e étage d'un immeuble sans ascenseur.  Le travailleur doit en effet monter 35 marches pour accéder à son logement.

[12]           La CSST mandate le Service d'ergothérapie Beaulieu, Boyer et associés pour évaluer l'accessibilité du domicile du travailleur en fonction de ses limitations fonctionnelles.  Selon l’ergothérapeute, le travailleur est capable de monter les escaliers sans alterner les jambes.  Or, sa tolérance dans les escaliers est réduite.  Elle se questionne sur la capacité du travailleur de demeurer sur une longue période au 3e étage d'un édifice ne comportant pas d'ascenseur. Il serait préférable qu'il demeure dans un appartement au rez-de-chaussée ou dans un édifice muni d'un ascenseur.

[13]           La CSST mandate la Société Logique inc. pour évaluer les solutions pour faciliter l'accessibilité au travailleur à l'une des entrées de l'immeuble, et en évaluer les coûts.

[14]           Entre temps, le travailleur, qui est retourné au travail dans des travaux légers, vit une période difficile, présente beaucoup de colère et d’agressivité notamment envers la CSST qu’il considère responsable de ses difficultés. Le 6 septembre 1999, son médecin recommande un arrêt de travail pour un diagnostic de dépression. La CSST reconnaît qu’il a présenté, le 6 septembre 1999, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle sous la forme d’un trouble de l’adaptation avec perturbation à la fois des émotions et des conduites, et sous la forme d’une dépression majeure (ce dernier diagnostic ne sera reconnu par la CSST que le 5 octobre 2000 dans le cadre d’une révision administrative).  En janvier 2000, le travailleur est hospitalisé pour une tentative de suicide par la prise massive de médicaments.

[15]           Dans son rapport d’octobre 1999, la Société Logique inc. écarte la possibilité d'installer un équipement mécanique dans l'escalier de l'entrée principale ou l'escalier de secours de l'immeuble puisque ces escaliers ne sont pas suffisamment larges.  La seule solution techniquement possible consiste en l'installation d'une plate-forme élévatrice intérieure dans un puits annexé au bâtiment et donnant accès directement au logement du travailleur.  Le type exact de plate-forme devrait faire l'objet d'une étude plus approfondie advenant le cas que cette alternative soit retenue.  Le coût global est évalué à environ 47 000,00$.

[16]           Le 6 décembre 1999, la CSST, après une rencontre avec le travailleur, décide de ne pas privilégier la solution de l’adaptation du domicile en raison des coûts très élevés impliqués, du fait que le travailleur prévoit déménager dans trois ans, et en raison des politiques de la CSST selon lesquelles elle recherche la solution la plus économique.

[17]           Le 7 décembre 1999, la CSST rend une décision écrite dans laquelle elle refuse de payer les frais concernant l'accessibilité au domicile du travailleur.  Elle précise qu'il ressort de l'évaluation par une architecte spécialisée en accessibilité de la firme Société Logique inc., qu'une démarche d'accessibilité à son logement serait trop coûteuse.  La CSST ajoute que s'il advenait que le travailleur déménage dans un autre logement, la CSST ne paierait pas le surplus de loyer, le cas échéant.

[18]           Le 21 décembre 1999, le travailleur fait faire une soumission pour l’installation d’une plate-forme élévatrice verticale par Les élévateurs Savaria inc.  Selon cette soumission, les coûts de la plate-forme s’élèvent à 8 000,00$, ce qui exclut les aménagements nécessaires pour recevoir la plate-forme.

[19]           Le 14 juillet 2000, la CSST rend une décision dans laquelle elle conclut que le travailleur est inemployable en raison des conséquences physiques et psychologiques de sa lésion professionnelle.  Il continue donc à bénéficier de l’indemnité de remplacement du revenu.

[20]           Le 5 octobre 2000, la CSST confirme la décision du 7 décembre 1999, à la suite d'une révision administrative.  Elle précise que la seule modification possible pour permettre au travailleur d'avoir accès à son logement est l'installation d'une plate-forme élévatrice verticale dans un puits extérieur annexé au bâtiment existant.  Or, d'après l'estimation des coûts, un tel projet s'avère trop coûteux et elle refuse de l'autoriser.  L'évaluation produite par le travailleur au coût de 8 000,00$ par la firme Savaria concerne la plate-forme uniquement.  Il faut y ajouter les frais reliés à la construction de la cage extérieure et l'aménagement de la structure en béton.  La facture peut facilement atteindre 30 000$.  La CSST conclut que l'installation d'une plate-forme élévatrice n'est pas la solution la plus appropriée et la plus économique.  Rien ne garantit qu'une plate-forme du type proposé comblera à long terme tous les problèmes de mobilité du travailleur.  Il faut aussi ajouter aux coûts d'installation, les coûts d'entretien et de bris éventuels.  La solution la plus appropriée, la plus sécuritaire et la plus économique est qu'il demeure dans un rez-de-chaussée.  La solution est donc qu'il change de domicile.  Si le choix personnel de monsieur Escobar est de demeurer à tout prix à cet endroit, il doit en assumer les conséquences.

[21]           À l’audience, le travailleur affirme que Les élévateurs Savaria inc. est une compagnie sérieuse, dont il a pu voir certaines constructions.  Les élévateurs Savaria inc. l’ont référé à monsieur Fernand Long de la compagnie Sicode inc. pour le puits extérieur.  Monsieur Long lui a fourni  une soumission datée du 23 décembre 1999 pour les travaux de construction d’un puits au coût de 11 387,47$.  Le travailleur soutient que la CSST n’a pas, pour sa part, obtenu de plan ou d’estimation détaillée des coûts.

[22]           Le travailleur a aussi fait faire, par les consultants Carpien, des plans pour la construction de la structure au coût de 800,00$, et obtenu de la Ville de Montréal un permis de construction le 27 avril 2000.  Ce permis a été réactivé, selon le travailleur, et est actuellement valable jusqu'à la fin juin 2001.

[23]           Selon le travailleur, l’installation d’une plate-forme élévatrice dans un puits extérieur peut se faire au coût total de 21 287,00 $ (8 000,00$ pour la plate-forme, 11 387,47$ pour le puits extérieur, 800,00$ pour les plans d’architecte, et 900,00 $ pour les plans et permis de la Ville de Montréal).  Il soumet que cette somme est raisonnable en comparaison avec les 47 000,00$ estimés par la CSST qui comprenaient d'ailleurs 10 000,00$ pour la remise en état des lieux après le déménagement du travailleur. Quoiqu’il en soit, il faut, selon le travailleur, déduire une somme de 10 000,00$ du 47 000,00$ puisque le conseil d’administration de la Coopérative d’habitation Andina qu’il habite s’engage, advenant son départ, à conserver et entretenir la construction, et à offrir le logement en priorité à une personne ayant une mobilité réduite.

[24]           À l’audience, le travailleur précise de plus, qu’il est arrivé au Canada du Chili au milieu des années 1970.  Il habite depuis quinze ans dans cette coopérative d'habitation qu'il a créée avec un groupe d'amis compatriotes.  Les autres logements sont encore habités par des compatriotes originaires d'Amérique du Sud.  Ils y forment une petite communauté.  Il a été président de cette coopérative et puis, directeur des finances, poste qu'il détient toujours.

[25]           Le travailleur déclare qu'il aime son logement qui lui offre par ailleurs plusieurs avantages.  Le loyer subventionné est peu élevé (il paie 525,00$ par mois pour un logement qui en vaut 655,00$); le stationnement clôturé est compris dans le coût de son loyer.  À son décès, son épouse pourra demeurer dans l'immeuble, près de ses filles, à un loyer fixé en fonction de ses revenus (un loyer oscillant autour de 344,00$ par mois).  Le fonctionnement de la coopérative se compare à celui d’un condominium, les membres de la coopérative décidant entre autres du budget.

[26]           Il ressort du contre-interrogatoire du travailleur par la CSST, que le travailleur n'a pas envisagé de déménager dans un autre logement, ni fait de démarches en ce sens.  Avant son arrêt de travail en septembre 1999, il dit avoir fait des démarches mais n’a pu trouver un logement près de son travail, et ne pouvait trouver un logement comme le sien dont il aurait été en mesure de défrayer le loyer.

[27]           Le travailleur déclare qu'il n’a pas non plus tenté de changer de logement avec un autre membre de la coopérative qui habite au rez-de-chaussée, ce qui pourrait lui éviter de monter autant de marches. Il va, selon lui, à l’encontre des principes coopératifs de tenter d’évincer quelqu’un de son logement.  De plus, il soutient qu'il aurait des problèmes au rez-de-chaussée de la coopérative puisqu’il y a tout de même six marches à monter pour avoir accès au logement du rez-de-chaussée, comme cela risque d'être le cas pour tout autre immeuble.

[28]           Interrogé par la Commission des lésions professionnelles, le travailleur précise que la coopérative comporte 12 logements sur trois étages.  Il y habite un 5 ½ pièces au 3e étage.  L'une de ses filles habite un 5 ½ pièces en face du sien avec son mari et ses enfants.  L’autre de ses filles habite un 4 ½ au rez-de-chaussée.  Le fait d'être entouré de sa famille et de ses compatriotes est très significatif pour lui, et lui a permis de passer à travers ses difficultés, notamment sa dépression en janvier 2000.

[29]           Le travailleur affirme ne pas pouvoir changer de logement avec sa fille qui habite un 4 ½ au rez-de-chaussée, puisque celle-ci ne pourrait bénéficier d'un 5 ½ pièces auquel elle n'a pas droit selon les règles d’attribution des logements de la coopérative, étant donné qu’elle n’a pas d’enfants.  Le travailleur n’a cependant pas soumis à l’assemblée générale son désir de changer de logement et n’a pas demandé de dérogation pour pouvoir changer de logement avec sa fille.

[30]           Par ailleurs, aucun de ces logements de l'immeuble ne s’est libéré depuis 1998.

[31]           Le travailleur avait, d’autre part, déclaré à la CSST en avril 1999 qu’il n’était pas intéressé à déménager dans un 1er étage parce qu’il y aurait des gens qui lui « marcheraient sur la tête ».  Il a aussi laissé entendre le 6 décembre 1999, qu’il déménagerait de son logement dans trois ans.  Le travailleur explique à l’audience qu’il était, en décembre 1999, au plus creux de sa dépression.

[32]           Le travailleur qui a un bail d’un an se terminant le 30 juin 2002, affirme qu’il pourrait avoir un bail de 2, 4 ou 5 ans.  Selon la résolution du conseil d’administration du 18 octobre 1999, la coopérative est disposée à lui octroyer un bail de trois ans.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[33]           Le travailleur soutient qu’il a droit à la réparation de sa lésion professionnelle et des conséquences qu’elle a entraînées (article 1 de la Loi).  Il a droit à la réadaptation sociale qui a pour but d’aider les travailleurs à surmonter, dans la mesure du possible, les conséquences personnelles et sociales d’une lésion professionnelle (article 151).  L’adaptation du domicile peut être faite si elle constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d’entrer et de sortir de façon autonome de son domicile.  Ce n’est que lorsque le domicile ne peut être adapté que le déménagement sera envisagé (article 154).  

[34]           Le travailleur soutient que la CSST refuse d’adapter le domicile en se fondant uniquement sur la question du coût des travaux.  Elle a traité un dossier et non les conséquences d’une lésion professionnelle pour un individu.  Elle n’a pas tenu compte de la situation du travailleur et de ses problèmes de dépression qui sont liés à l’ensemble du dossier.

[35]           D’autre part, la CSST n’a pas démontré que le déménagement serait la solution la plus appropriée, et n’a pas fait la preuve que cette solution existe, ni fait la preuve du nombre de logements à Montréal qui peuvent recevoir une rampe d’accès.  Le déménagement occasionnerait aussi des frais importants, soit plus de 4 000,00$ pour le déménagement comme tel, 2 500,00$ pour l'adaptation de la salle de toilette et la cuisine, et un autre montant pour un appareil mécanique dans l'escalier ou une rampe d'accès.

[36]           Pour sa part, la CSST soutient que la solution d’adaptation du logement du travailleur n’est pas appropriée en raison des coûts élevés qu’elle demanderait.  Il y a d’autres alternatives moins coûteuses.  La CSST doit adapter le logement dans la mesure du possible, il s’agit d’une obligation de moyens et non d’une obligation de résultats.

[37]           La CSST n’a pas donné suite à la soumission obtenue par le travailleur puisqu’il ne s’agit pas, selon elle, du même genre de travaux, la firme Logique étant, pour leur part, des spécialistes en la matière.

[38]           De plus, le travailleur n’a pas collaboré à son plan de réadaptation, contrairement à ses obligations (article 146).  Il n’a jamais voulu déménager et s’est entêté à rester là, à ne pas chercher de logement.

L'AVIS DES MEMBRES

[39]           Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que l’installation d’une plate-forme élévatrice avec puits extérieur constitue une solution démesurée eu égard aux coûts, en comparaison avec la solution alternative du déménagement.  De plus, le travailleur n’a fait aucune démarche permettant d’arriver à la conclusion que le déménagement à l’intérieur de la coopérative était impossible.  La résolution du 18 octobre 1999 du conseil d'administration de la coopérative démontre que celle-ci avait le pouvoir de modifier ses règles afin de s’adapter à des situations particulières comme celle du travailleur, à savoir son handicap.

[40]           La membre issue des associations syndicales est d’avis que le travailleur a démontré par une preuve prépondérante qu’il a droit à la mesure de réadaptation sociale que prévoit les articles 151 et 153 de la Loi, soit l’adaptation de son domicile. Il n’y a pas de preuve que cette mesure soit inappropriée.  Il n’y a pas lieu d'obliger le travailleur à déménager sauf si un logement de la coopérative se libérait.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[41]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit à l’adaptation de son domicile, soit à la construction d’une plate-forme élévatrice et d’un puits extérieur pour lui permettre d’accéder à son domicile au 3e étage.

[42]           Les articles de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la Loi) pertinents à la solution du litige stipulent ce qui suit :

Chapitre IV

RÉADAPTATION

 

SECTION I

DROIT À LA RÉADAPTATION

 

145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

________

1985, c. 6, a. 145.

 

 

146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en œuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.

 

  Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

________

1985, c. 6, a. 146.

 

 

147. En matière de réadaptation, le plan individualisé constitue la décision de la Commission sur les prestations de réadaptation auxquelles a droit le travailleur et chaque modification apportée à ce plan en vertu du deuxième alinéa de l'article 146 constitue une nouvelle décision de la Commission.

________

1985, c. 6, a. 147.

 

 

(…)

 

 

3.- Réadaptation professionnelle

 

151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.

________

1985, c. 6, a. 151.

 

 

152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :

 

1          des services professionnels d'intervention psychosociale;

2.        la mise en œuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;

3.         le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;

4.         le remboursement de frais de garde d'enfants;

5.         le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.

________

1985, c. 6, a. 152.

 

 

153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si :

 

1.         le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;

2.         cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et

3.         le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.

 

Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.

________

1985, c. 6, a. 153.

 

 

154. Lorsque le domicile d'un travailleur visé dans l'article 153 ne peut être adapté à sa capacité résiduelle, ce travailleur peut être remboursé des frais qu'il engage, jusqu'à concurrence de 3 000 $ (révisé), pour déménager dans un nouveau domicile adapté à sa capacité résiduelle ou qui peut l'être.

 

À cette fin, le travailleur doit fournir à la Commission au moins deux estimations détaillées dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige.

________

1985, c. 6, a. 154.

 

 

(…)

 

SECTION III

FONCTIONS DE LA COMMISSION

 

181. Le coût de la réadaptation est assumé par la Commission.

 

Dans la mise en œuvre d'un plan individualisé de réadaptation, la Commission assume le coût de la solution appropriée la plus économique parmi celles qui permettent d'atteindre l'objectif recherché.

________

1985, c. 6, a. 181.

 

 

 

[43]           La Commission des lésions professionnelles constate que la plupart des conditions d’application de l’article 153 de la Loi sont rencontrées d’emblée. 

[44]           Le travailleur a présenté une atteinte permanente grave à son intégrité physique.   L’adaptation de son domicile est nécessaire pour lui permettre d’entrer et de sortir de son logement de façon autonome.  Enfin, il s’engage à demeurer dans son logement durant au moins trois ans, et le conseil d’administration de la coopérative d’habitation accepte de lui consentir un bail de trois ans.

[45]           La seule question qui demeure dans le cas présent, est de savoir si l’adaptation du domicile du travailleur par l'installation d’une plate forme élévatrice et d’un puits extérieur constitue la solution appropriée pour lui permettre d'accéder à son domicile de façon autonome.

[46]           Après analyse, la Commission des lésions professionnelles répond par l'affirmative.

[47]           La Commission des lésions professionnelles ne peut faire abstraction du fait que ce travailleur qui présente une atteinte à son intégrité physique de 31,50 %, a aussi présenté, en relation avec les conséquences de sa lésion professionnelle au genou, une dépression majeure et un trouble d’adaptation avec perturbation des émotions et des conduites.  Cet état l’a conduit à une tentative de suicide.  C’est à la suite de cette aggravation que la CSST a reconnu que le travailleur était dorénavant inemployable.

[48]           Le soutien de ses compatriotes à proximité, et la présence immédiate de sa famille ont revêtu une grande importance pour lui lors de cet épisode difficile.

[49]           Selon la Commission des lésions professionnelles, le fait de continuer à demeurer dans la coopérative où il habite depuis 15 ans, de maintenir cette stabilité, de conserver la sécurité de cet entourage, constituent certes des éléments qui permettent de minimiser les conséquences de sa lésion professionnelle.  Le travailleur pourra continuer à investir ses énergies dans cette coopérative qu'il a fondée et dont il est toujours membre du conseil d'administration.

[50]           La Commission des lésions professionnelles considère que ces éléments sont non négligeables, et se réfère par analogie à une situation où la Commission des lésions professionnelles a tenu compte, dans la mise en œuvre de moyens pour procurer au travailleur un véhicule adapté à sa situation, d’une mesure qui permettait au travailleur d’éviter de perpétuer un cycle d’introspection, et de renonciation[1]:

Ainsi donc, l'acquisition d'un quadriporteur permettrait au travailleur de maximiser sa capacité à se déplacer à l'extérieur de son domicile tout en lui permettant de pouvoir se lever, marcher et par la suite se réasseoir afin de prolonger ses déplacements.  Un tel équipement favorise la réinsertion sociale du travailleur tout en préservant et augmentant sa mobilité.  Plutôt que de contraindre le travailleur à demeurer à son domicile, à s'isoler de la communauté, et donc à perpétuer un cycle d'introspection, d'isolement et de renonciation, on permet au travailleur une réinsertion sociale dans son milieu qui de toute évidence ne peut qu'avoir des effets bénéfiques sur le travailleur, lui permettre de retrouver une nouvelle motivation à un mieux-être.

 

 

 

[51]           En plus du soutien de cette communauté que constitue la coopérative, son logement actuel lui procure un sentiment de sécurité dans l'immédiat et dans l'avenir.  Il bénéficie de nombreux avantages financiers immédiats sous forme, entre autres, d’un loyer subventionné. Advenant que son épouse lui survive, elle pourra continuer à habiter le logement à un loyer établi en fonction de ses revenus.

[52]           Quant aux coûts de l’installation d’une plate-forme élévatrice et d’un puits extérieur, la Commission des lésions professionnelles retient que ces travaux peuvent être exécutés pour une somme bien inférieure à celle que la CSST avait elle-même obtenue lors d'une estimation non détaillée par la Société Logique.  En effet, le travailleur a produit la preuve que ces travaux peuvent être exécutés pour la somme de 21 087,46 $ plutôt que 47 000,00$.

[53]           La Commission des lésions professionnelles considère que, malgré que cette solution soit coûteuse, elle est raisonnable lorsque l’on tient compte de l’ensemble des circonstances.  En plus de la fragilité du travailleur au plan psychologique, de la stabilité que la coopérative lui procure de même que le soutien de ses proches à proximité, des avantages financiers, cette solution risque de favoriser la permanence dans le logement bien au-delà d’une période de trois ans.  Selon son témoignage à l'audience, le travailleur n'a pas l'intention de déménager dans trois ans mais songe plutôt au fait que son épouse pourra continuer d'y habiter même après son décès.

[54]           D'autre part, la CSST n'a pas prouvé, selon l'article 181 de la Loi, qu'il y avait une autre solution appropriée qui serait moins coûteuse qui permettrait d'atteindre l'objectif recherché.  En effet, le déménagement du travailleur dans un autre immeuble ne s'avère pas la solution

appropriée dans les circonstances, compte tenu de l'importance des conséquences de sa lésion professionnelle au niveaux physique et psychologique et de la stabilité et la sécurité que lui offre la coopérative.  De plus, le déménagement et l'adaptation d’un nouveau domicile occasionnerait aussi des coûts importants.

[55]           Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles se surprend que la CSST n'ait pas exploré la possibilité pour le travailleur de déménager au rez-de-chaussée de la coopérative, ce qui aurait possiblement pu constituer une alternative intéressante, plus économique que l'installation d'une plate-forme élévatrice et d'un puits extérieur.  Or, il semble que la CSST, après son refus d'assumer les frais de la plate-forme et du puits extérieur, ait immédiatement conclu que la solution était le déménagement dans un autre immeuble, sans explorer davantage les possibilités qui s'offraient dans les circonstances.  Pourtant, en matière de réadaptation, la CSST se doit de prendre le temps d'évaluer une solution qui convient au travailleur compte tenu de ses particularités, et, le cas échéant, faire une démarche plus poussée avant d'écarter trop rapidement certaines solutions[2].

[56]           Ceci étant dit, dans l'état actuel du dossier, la Commission des lésions professionnelles constate que la preuve n’a pas été faite que l'alternative de déménager au rez-de-chaussée de la coopérative soit appropriée dans la mesure où, même si le travailleur pouvait avoir un logement au rez-de-chaussée, il aurait tout de même à monter un escalier.  Or, les escaliers de l’immeuble ne sont pas suffisamment larges pour accueillir un appareil mécanique, et la preuve ne permet pas de conclure que l'immeuble puisse accueillir une rampe d'accès.  La preuve ne permet donc pas de conclure que le déménagement au rez-de-chaussée de la coopérative soit une solution adéquate.

[57]           En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’adaptation du logement du travailleur par l’installation d’une plate-forme élévatrice et d’un puits extérieur constitue dans les circonstances la solution appropriée pour lui permettre d’entrer et de sortir de son domicile de façon autonome.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

 

ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Fernando Escobar;

INFIRME la décision rendue le 5 octobre 2000 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Fernando Escobar a droit à l’adaptation de son domicile, soit à l'installation d’une plate-forme élévatrice et d’un puits extérieur pour avoir accès à son domicile au 3e étage de l'immeuble qu'il habite.

 

 

 

Me Lucie Landriault

 

Commissaire

 

 

 

 

 

S.C.F.P.

(Me Daniel Pelletier)

 

Représentant de la partie requérante

 

 

 

PANNETON, LESARD (MTL-3)

(Me François Bilodeau)

 

Représentant de la partie intéressée

 

 

 

 

 

JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR LE TRAVAILLEUR

 

Julien et Const. Nationair inc., C.L.P. 120819-32-9907, 7 août 2000, G. Tardif



[1]           Sylvain Ouellet et Samson, Bélair & ass. (Syndic), C.L.P. 104198-02-9808, 5 février 1999, P. Simard, citée dans Gamelin et St-Germain, C.L.P. 131757-62B-0002, 4 décembre 2000, N. Blanchard

[2]           St-Amant et Domtar inc., C.A.L.P. 12788-05-8904, 17 juin 1992, É. Harvey; Fortin et Wilfrid Noël, C.A.L.P. 22354-02-9010, 13 mars 1993, M. Renaud

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