DÉCISION
[1] Le 11 mai 2000, madame Nathalie Camiré (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 1er mai 2000 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail dans le cadre d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 17 janvier 2000 et déclare que la travailleuse n’a pas été victime d’une maladie professionnelle ou d’une autre catégorie de lésion professionnelle le ou vers le 10 décembre 1999.
[3] La travailleuse est présente et représentée à l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles.
[4] Fibre de verre Niteram inc. (l’employeur) chez qui la travailleuse travaillait au moment de sa réclamation pour lésion professionnelle est représenté. Les Aliments Prince inc. et Pantalons Star Laurierville inc., employeurs chez qui la travailleuse a travaillé auparavant, ont produit une argumentation écrite par l’entremise de leurs représentants respectifs.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[5] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a subi une lésion professionnelle le ou vers le 10 décembre 1999.
LES FAITS
[6] La travailleuse est à l’emploi de l’employeur depuis le 11 novembre 1999 à titre de préposée au laminage.
[7] Selon un formulaire de Réclamation du travailleur, elle invoque avoir subi une lésion professionnelle le 10 décembre 1999.
[8] À la section réservée à la description de l’événement, elle écrit que le laminage lui donne des douleurs au poignet droit au point qu’elle a la paume et les doigts engourdis.
[9] Le témoignage de la travailleuse nous apprend que son travail de laminage s’effectue au moyen d’un rouleau qu’elle tient de la main droite pendant qu’elle tient un pinceau de la main gauche. Elle utilise ce pinceau de façon accessoire. Le gros du travail s’effectue avec le rouleau.
[10] Les pièces à laminer sont placées sur des roulettes et arrivent devant elle. Il s’agit de coques de bateau. Elles sont déjà enduites d’une résine qu’il lui faut étendre au moyen du rouleau. Dans ces termes, elle explique qu’il s’agit comme d’une sorte de tissu sur lequel elle doit étendre la résine. C’est dire que ça colle et qu’elle doit exercer une pression pour étendre la résine. Elle travaille de concert avec trois autres personnes.
[11] Elle mime les gestes effectués. Le tribunal est à même de constater qu’elle ne fléchit pas le poignet à l’exception des moments où elle doit étendre la résine sur les parois verticales de la coque. Elle ajoute devoir se dépêcher car ses partenaires travaillent là depuis un an et ont de l’expérience. Pendant tout son quart de travail, elle refait uniquement ce mouvement à l’aide du rouleau.
[12] Une semaine après avoir débuté ce travail, elle commence à ressentir des douleurs au poignet et la main droits, sous forme d’engourdissement. La travailleuse dit s’en être plaint à son contremaître, un dénommé Michel. Il lui répond que cela arrive fréquemment dans les premiers temps car les nouveaux ont tendance à mettre trop de pression sur le rouleau.
[13] Plus le temps passe et plus ses malaises empirent, au point qu’ils la réveillent la nuit. En terminant sa semaine de travail le vendredi 10 décembre 1999 à midi, la travailleuse dit avoir avisé son contremaître Michel qu’elle avait des douleurs et qu’elle allait consulter.
[14] Cette affirmation est contredite par le contenu d’un formulaire interne de déclaration d’accident du travail selon lequel la travailleuse n’a pas avisé le 10 décembre 1999 mais plutôt le 13 décembre 1999. Ce rapport n’est pas signé et pour cette raison, le procureur de la travailleuse s’est objecté à sa production. Le tribunal a permis sa production sous réserve d’en apprécier la valeur probante. Le tribunal constate que son contenu est contredit par le formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement dans lequel il est indiqué que le 10 décembre 1999, la travailleuse s’est plaint de douleurs au poignet.
[15] La preuve médicale démontre ce qui suit. Le rapport médical initial est daté du 13 décembre 1999 et complété par le docteur Picard qui pose un diagnostic de tendinite du poignet droit et prescrit un arrêt de travail.
[16] Ce diagnostic est ensuite reconduit par le docteur Picard lors des consultations suivantes des 21 décembre 1999 et 6 janvier 2000. Le docteur Picard consolide la lésion le 31 janvier 2000 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[17] La travailleuse donne ensuite des détails sur les emplois qu’elle a occupés avant qu’elle ne déclare la lésion du 10 décembre 1999. Ainsi, elle mentionne avoir travaillé d’avril 1990 à octobre 1992 chez Les Aliments Prince inc. Elle a fait erreur en parlant d’un travail d’une durée de quatre ans au docteur Turcotte qui va l’examiner à sa demande en avril 2000 et dont le rapport d’évaluation va être discuté plus loin. Son travail consiste à refaire toujours le même mouvement pour placer le bacon en paquet et pousser ce paquet de côté. Elle travaille 40 heures par semaine et une rotation des postes de travail se fait quatre fois par quart de travail. Au cours de cet emploi, elle a produit une réclamation à la CSST pour un problème aux épaules et aux poignets, laquelle a été acceptée.
[18] De 1992 à la date de son embauche chez Pantalons Star, elle a travaillé sur la ferme de son conjoint à l’élevage de veaux de lait. Elle travaille de 15 à 20 heures par semaine et son travail consiste à soigner les veaux. Elle n’a éprouvé aucun problème aux poignets pendant cette période.
[19] À compter du 22 février 1997 et jusqu’au 7 mars 1998, la travailleuse est embauchée chez Pantalons Star Laurierville ltée. Elle a trois tâches soit, couper les fils qui dépassent des vêtements, procéder à l’inspection et au pliage et faire l’emballage. Ces trois tâches se font en alternance. De temps en temps, il lui arrive d’avoir mal aux poignets mais sans plus. Elle dit avoir quitté son poste en mars 1998 parce que le travail qu’on lui proposait alors lui semblait trop difficile.
[20] Entre mars 1998 et la date de son embauche chez l’employeur actuel, le 11 novembre 1998 tel que le confirme le relevé d’emploi produit par l’employeur, la travailleuse travaille sur la ferme de son conjoint.
[21] Le 17 janvier 2000, la CSST refuse la réclamation de la travailleuse au motif qu’elle n’a pas démontré la survenance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
[22] Le 12 avril 2000, le docteur Denis Turcotte, orthopédiste, examine la travailleuse à sa demande en vue de contester le refus de la CSST.
[23] Dans son rapport d’évaluation, le docteur Turcotte mentionne avoir examiné la travailleuse à la demande du docteur Picard le 7 janvier 2000. Cependant, le dossier ne contient aucune attestation médicale au sujet de cette consultation. L’examen clinique auquel il procède est normal, ce qui n’a rien d’étonnant étant donné qu’il a lieu plusieurs mois après la consolidation de la lésion.
[24] Le docteur Turcotte décrit l’histoire occupationnelle de la travailleuse en se basant, semble-t-il, sur la description que la travailleuse lui en fait étant donné qu’il ne mentionne aucune autre source. Ainsi, le docteur Turcotte mentionne un premier travail pendant quatre ans chez Les Aliments Prince inc. dans l’industrie du bacon où la travailleuse a développé un douleur à l’épaule droite. Tel que dit précédemment, la travailleuse a plutôt travaillé deux ans à cet endroit.
[25] Le docteur Turcotte parle ensuite d’un travail de couturière chez Pantalons Star Laurierville ltée pendant deux ans. Puis, il mentionne que la travailleuse a travaillé à l’élevage de veaux de lait pendant un an.
[26] Le docteur Turcotte discute ensuite de la relation entre la lésion diagnostiquée chez la travailleuse et les emplois exercés. Il ressort de cette discussion qu’au cours de son travail chez l’actuel employeur, la travailleuse a développé une ténosynovite des fléchisseurs du poignet et des doigts de la main droite. Il ajoute que l’on ne peut attribuer cette pathologie à un accident du travail comme tel mais plutôt à une maladie professionnelle, étant donné que la travailleuse a fait un travail manuel pendant plusieurs années dont quatre ans dans l’industrie du porc et deux ans comme couturière.
[27] Monsieur Michel Bergeron est comptable pour le compte de l’employeur depuis janvier 2000. À ce titre, il est responsable des dossiers administratifs. Il ne peut témoigner sur le rapport interne d’accident dont il a été question dans le cas de la travailleuse puisque à l’époque, il n’était pas à l’emploi de l’employeur. Il connaît les opérations de l’entreprise. Il confirme que pour étendre la résine sur le tissu de fibre de verre, il faut exercer une plus grande force que s’il s’agissait d’en étendre sur une surface de bois.
[28] Les représentants de la travailleuse et de l’employeur ont développé leurs arguments respectifs. Ils s’accordent pour prétendre que la travailleuse n’a pu être la victime d’un accident du travail pendant la courte période où elle a travaillé chez l’employeur en titre. Cependant, elle a certainement développé une usure en raison de ses emplois antérieurs qui s’est manifestée le 10 décembre 1999 dans son dernier emploi.
[29] De leurs côtés, les employeurs précédents, description de tâche à l’appui, ont invoqué dans leurs argumentations écrites que la travailleuse ne pouvait avoir développé une lésion professionnelle en cours d’emploi à leur service.
L'AVIS DES MEMBRES
[30] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis de reconnaître que la travailleuse a subi une lésion professionnelle sous forme d’un accident du travail et ce, en raison des risques particuliers encourus dans un travail nouvellement exercé et qui sollicitent de façon constante les tendons de la main droite.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[31] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 10 décembre 1999.
[32] La lésion professionnelle est définie comme suit à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi):
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.
[33] Il ressort de cette définition que plusieurs avenues s’offrent au travailleur qui entend démontrer la survenance d’une lésion professionnelle.
[34] L’accident du travail et la maladie professionnelle sont également définis au même article comme étant :
«accident du travail» : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
« maladie professionnelle » :une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
[35] Avec respect pour les positions adoptées par les parties, la Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 10 décembre 1999, en raison d’un accident de travail survenu dans le cours de son travail chez l’employeur en titre.
[36] La travailleuse est nouvellement embauchée. Son travail implique de tenir un rouleau de la main droite, qu’elle promène à l’horizontale et à la verticale sur la surface qu’elle doit laminer.
[37] Elle ne bénéficie d’aucune période de rodage. Son témoignage non contredit révèle qu’elle doit suivre une certaine cadence puisqu’elle travaille de concert avec d’autres travailleurs plus expérimentés qu’elle et qui opèrent rapidement.
[38] Le mouvement du poignet droit qu’elle effectue pour étendre la résine sur la surface se reproduit de façon constante pendant le quart de travail. Même si ce geste implique peu de déviation du poignet, il implique à tout le moins une préhension avec force de la main et des doigts puisque même le témoin de l’employeur convient qu’il faut exercer une certaine pression pour étendre la résine sur la surface à laminer.
[39] La jurisprudence du tribunal, qu’il s’agisse de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles ou de la Commission des lésions professionnelles, établit qu’en certaines circonstances, il est possible de conclure à la démonstration d’un accident du travail en raison d’une série de microtraumatismes subis lors de l’exécution d’un nouveau travail.
[40] Ainsi par exemple, dans l’affaire Wal-Mart Canada inc. et Bouchard[2], la Commission des lésions professionnelles a décidé que la notion de microtraumatismes ne fait pas double emploi avec la notion de maladie professionnelle lorsqu'il s'agit d'analyser une maladie attribuable à des répétitions de mouvements sur des périodes de temps limitées. Dans cette affaire, le travailleur s'inflige une tendinite et une épicondylite après une période de surcharge de travail alors qu'il débute dans un emploi de préposé au placement de la marchandise. Le tribunal a conclu à la reconnaissance d’une lésion professionnelle.
[41] Cette décision s’appuie également sur une autre décision de la Commission des lésions professionnelles[3] allant dans le même sens. Dans cette affaire, il est mentionné que la notion de microtraumatismes fait double emploi avec celle de maladie professionnelle lorsqu'il s'agit d'analyser une maladie attribuable à des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées. Cependant, cela n’est pas le cas lorsque que les gestes répétés invoqués sont effectués sur des périodes de temps limitées.
[42] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles adhère à cette position. Elle estime que la travailleuse n’a pas été victime d’un traumatisme direct et unique mais plutôt d’une série de microtraumatismes qui se sont produits sur une courte période à un moment où elle n’avait aucun entraînement physique en regard des gestes posés. C’est l’accumulation de ces gestes qui a entraîné la lésion diagnostiquée.
[43] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut à la reconnaissance d’un accident du travail le 10 décembre 1999.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête produite le 11 mai 2000 par la travailleuse, madame Nathalie Camiré;
INFIRME la décision rendue le 1er mai 2000 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail dans le cadre d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le ou vers le 10 décembre 1999 en raison d’un accident du travail.
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Me Lise Collin |
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Commissaire |
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WARREN, OUELLET & ASSOCIÉS (Me Gilles Ouellet) 108, rue Notre-Dame Sud, C.P. 714 Thetford-Mines (Québec) G6G 5V1 |
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Représentant de la partie requérante |
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FIBRE DE VERRE NITERAM INC. (M. Jean-Guy Fréchette) 425, 9e avenue Richmond (Québec) J0B 2H0 |
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Représentant de la partie intéressée |
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DENIS, COMTOIS INC. (Me Sylvain Toupin) 3768, chemin de la Côte-des-Neiges Montréal (Québec) H3H 1V6 |
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Représentant de la partie intéressée |
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RESSOURCES P.M.E. INC. (M. Joël Ross) 1895, rue de Beauport Bellefeuille (Québec) J0R 1A0 |
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Représentant de la partie intéressée |
AVIS :
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