Côté et Fonds Courrier & Messagerie |
2010 QCCLP 1841 |
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[1] Le 17 novembre 2009, monsieur Pierre Côté (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 28 octobre 2009 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 19 juin 2009 à l’effet de refuser au travailleur le paiement de roues d’appoint stabilisatrices destinées à être montées sur son vélo.
[3] À l’audience tenue à Québec le 4 mars 2010, le travailleur était présent. Fonds Courrier & Messagerie (l’employeur) était représenté par madame Caroline Neault.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de reconnaître que celui-ci a droit au paiement du coût d’acquisition de roues d’appoint stabilisatrices destinées à être montées sur son vélo. Le travailleur soutient que ce mécanisme, prescrit par son médecin, est nécessaire pour la poursuite de ses activités habituelles en raison des séquelles laissées par la lésion professionnelle subie le 23 novembre 1989 au niveau de son genou gauche.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que le travailleur a droit au remboursement du coût d’acquisition de roues d’appoint stabilisatrices destinées à être montées sur son vélo.
[6]
Les membres sont d’avis que le travailleur a droit au remboursement
qu’il réclame à titre de mesure de réadaptation sociale en vertu des articles
151
et
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] Le tribunal doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement du coût d’acquisition de roues d’appoint stabilisatrices destinées à être montées sur son vélo.
[8]
Le tribunal est d’avis que le travailleur a droit au remboursement des
roues d’appoint stabilisatrices mentionnées plus haut et ce, dans le cadre du
droit à la réadaptation sociale prévu aux articles
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
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1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
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1985, c. 6, a. 152.
[9] Dans ce contexte, le tribunal adhère entièrement à l’opinion émise par le juge administratif Guylaine Tardif dans l’affaire Marcel Fleury et Boulangerie Gadoua ltée[2] dans laquelle elle déclarait que les demandes similaires de remboursement pour un lit électrique et un matelas orthopédique devaient être tranchées dans le cadre du droit à la réadaptation prévu par la loi. Le tribunal partage entièrement les propos suivant de la juge Tardif et se lisant comme suit :
« […]
[40] L’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité
physique ou psychique du travailleur victime d’une lésion professionnelle ouvre
le droit à la réadaptation. L’étendue de ce droit est fonction de ce qui est
requis en vue de la réinsertion sociale et professionnelle du travailleur (voir
l’article
[41] La CSST doit établir un plan individualisé de
réadaptation qui peut être modifié pour tenir compte de circonstances
nouvelles. C’est ce que prévoit l’article
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
__________
1985, c. 6, a. 146.
[42] La fourniture d’un lit électrique et d’un matelas
orthopédique ne répond pas à un besoin de réadaptation professionnelle ni même
à un besoin de réadaptation physique, puisqu’il n’a pas pour effet d’éliminer
ou d’atténuer l’incapacité physique du travailleur et de lui permettre de
développer sa capacité résiduelle afin de pallier les limitations
fonctionnelles qui résultent de la lésion professionnelle (Voir l’article
[43] De l’avis de la commissaire soussignée, la
fourniture d’un lit électrique et d’un matelas orthopédique peut cependant
s’inscrire dans le cadre du droit à la réadaptation sociale, dont le but est,
aux termes de l’article
[44] L’article 152 indique ce que peut comprendre un programme de réadaptation sociale :
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
__________
1985, c. 6, a. 152.
[45] Selon la jurisprudence bien établie en la matière4, l’emploi des termes « peut comprendre notamment » est l’indice d’une énumération non limitative des mesures de réadaptation autorisées par la loi.
[46] En fait, tel que le prévoient les articles
[47] Il s’avère donc qu’en matière de demande de remboursement relative à une aide technique, les dispositions contenues au chapitre de l’assistance médicale et les dispositions contenues au chapitre de la réadaptation ne s’opposent pas; elles sont en fait plutôt complémentaires.
[48] Tel qu’on l’a vu précédemment en effet, l’article
[49] En somme, selon que le besoin est temporaire ou permanent et la période pendant laquelle ce besoin apparaît, la demande de remboursement de frais associée à l’usage d’un lit électrique ou d’un matelas orthopédique devrait être réglée selon l’un ou l’autre des chapitres de la loi.
[50] La commissaire soussignée partage donc l’opinion
exprimée par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Bissonnette5
qui a rejeté une requête en révision présentée en vertu de l’article
[51] Le commissaire siégeant en révision s’est exprimé comme suit :
« […]
[25] Le tribunal est d’avis que contrairement à l’article 189 qui fait partie du chapitre de l’assistance médicale et qui réfère à des soins, traitements ou aides techniques, en relation avec des séquelles temporaires, les articles 151 et suivants font partie du chapitre sur la réadaptation, qui concerne des personnes dont la lésion professionnelle est à l’origine de séquelles permanentes. Ainsi dans le présent dossier, les paragraphes [19] et [26] de la décision rendue le 2 décembre 2004, indiquent sans contestation que le travailleur conserve une atteinte permanente importante et qu’il est dans une condition très précaire, qu’il est très souffrant, qu’il doit rester aliter et qu’il ne lui reste au surplus que peu de temps à vivre, le tout étant relié à la lésion professionnelle. (Sic)
[…] »
[52] Le commissaire conclut en conséquence que le
fait de considérer une demande de remboursement de frais à la lumière des
dispositions faisant partie du chapitre de la réadaptation ne constitue pas un
contournement illégitime des exigences de l’article
[53] Pour les motifs déjà énoncés, la commissaire soussignée est d’avis qu’il y a lieu d’écarter l’argument retenu dans certaines affaires suivant lequel une disposition spécifique doit avoir priorité sur une disposition de portée plus générale6.
[54] Tel que déjà indiqué, lorsque la demande est considérée selon le caractère temporaire ou permanent du besoin qui la sous-tend et l’objectif visé, il n’y a pas d’opposition entre le chapitre portant sur l’assistance médicale et le chapitre portant sur la réadaptation. Les dispositions en question sont complémentaires.
[55] Il ne s’agit donc pas de contourner les limites d’une disposition spécifique en appliquant une disposition de portée plus générale. Il s’agit d’appliquer les dispositions de la loi au besoin exprimé, selon sa nature réelle, et l’objectif poursuivi.
[56] Conformément à l’article
[57] Le travailleur doit-il prouver que la fourniture d’un lit électrique et d’un matelas orthopédique rencontre les trois buts énumérés au paragraphe précédent ?
[58] Observons que parmi les mesures de réadaptation sociale nommément prévues à la loi, il en existe qui ne permettent pas à un travailleur de redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles et qui, au contraire, confirment son manque d’autonomie à cet égard. Il en est ainsi par exemple du paiement de frais d’aide personnelle à domicile et du remboursement du coût des travaux d’entretien courant du domicile.
[59] En fait, dans la réalité, il arrive fréquemment qu’aucune mesure ne puisse rendre le travailleur à nouveau autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles, mais qu’une mesure puisse l’aider à surmonter les conséquences d’une lésion professionnelle et lui permettre de s’adapter à la nouvelle situation qui en découle. C’est dire que ce travailleur souffre des conséquences de la lésion professionnelle davantage que celui qui peut retrouver son autonomie avec l’aide de certaines mesures de réadaptation.
[60] De l’avis de la commissaire soussignée, s’il fallait exiger la preuve de l’existence concomitante des trois objectifs énumérés à l’article 152 pour conclure que le travailleur acquiert le droit à la réadaptation sociale, le travailleur le plus touché par les conséquences de la lésion professionnelle bénéficierait de moins de droits que celui qui est moins pénalisé. Ce n’est clairement pas ce que le législateur a voulu.
[61] Le terme « et » de cette énumération doit donc être compris comme disjonctif et signifiant « ou »7.
[62] Ceci étant, dans la mesure où le travailleur
démontre que la mesure qu’il revendique est susceptible de l’aider à surmonter
les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle ou, de
lui permettre de s’adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion, ou
de redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles, il
satisfait aux conditions prévues à l’article
[…] » (nos soulignements)
______________
4 Bissonnette
et Équipement Moore ltée,
5 Précitée, note 1.
6 Gold Smith et Westburn
Québec inc.,
7 Julien et Construction Nationair inc., précitée, note 1
[10] Le tribunal est d’avis dans le présent dossier que le travailleur a démontré que la mesure qu’il revendique à l’égard des roues d’appoint stabilisatrices destinées à son vélo est susceptible de l’aider à surmonter les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle ou de lui permettre de s’adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion, ou redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles.
[11] La preuve factuelle et médicale présentée à l’audience permet de confirmer le bien-fondé de la réclamation du travailleur visant le remboursement des roues d’appoint stabilisatrices réclamé.
[12] Le travailleur a expliqué qu’il a subi une lésion au genou, le 23 novembre 1989, entraînant une lésion méniscale interne et externe au genou gauche, laquelle condition a nécessité une arthroscopie avec résection méniscale interne et externe en décembre 1989. La lésion fut consolidée le 3 décembre 1990 et a entraîné une atteinte permanente de 18,40 % au genou gauche. Le travailleur doit d’ailleurs porter une orthèse de support à l’occasion d’efforts physiques continus, tel que recommandé par son médecin.
[13] Toutefois, avec le temps, le travailleur a expliqué qu’il présentait de plus en plus de difficulté à faire du vélo et ce, plus particulièrement durant l’année 2008. Le travailleur explique que lorsqu’il arrêtait son vélo, il était incapable de mettre le pied gauche au sol sans tomber puisque son genou était incapable de supporter son poids à l’occasion de cette manœuvre.
[14] Au printemps de l’année 2009, le travailleur rencontrait son médecin, le docteur Yves Bédard, pour lui expliquer les difficultés rencontrées dans l’accomplissement de cette activité habituelle pour lui, soit celle de faire du vélo. Le médecin, de concert avec le travailleur, convenait de la nécessité d’obtenir des roues d’appoint stabilisatrices pour les monter sur son vélo afin de l’aider à poursuivre cette activité habituelle.
[15] Le docteur Yves Bédard émettait, dans ce contexte, une prescription médicale datée du 8 avril 2009 se lisant comme suit :
« En raison du problème médical concernant son genou gauche M. Côté a de la difficulté à faire du vélo. Il semblerait que des roues d’appoint lui permettrait [sic] une meilleure stabilité et sécurité pour faire cet exercice. »
[16] Le tribunal est d’avis que l’opinion du médecin du travailleur confirme le caractère approprié des roues d’appoint stabilisatrices et que cette prescription est en lien avec les séquelles laissées par la lésion professionnelle subie par le travailleur au niveau de son genou gauche, le 23 novembre 1989.
[17] Le travailleur a transmis à la CSST une soumission datée du 27 avril 2009 pour obtenir le remboursement de roues d’appoint stabilisatrices de type Dynastab et un levier de frein à barrure avant ainsi qu’un levier de frein à barrure arrière au coût de 577 $, incluant les taxes. Le tribunal est d’avis que le travailleur est bien fondé d’obtenir le remboursement des équipements mentionnés à cette soumission auprès de la CSST. Toutefois, le travailleur devra obtenir une nouvelle soumission afin d’obtenir le prix réel d’acquisition en date de la présente décision pour tenir compte des fluctuations des prix depuis la première soumission émise le 27 avril 2009.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation de monsieur Pierre Côté déposée le 17 novembre 2009;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 28 octobre 2009 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Pierre Côté a droit au remboursement du coût d’achat de roues d’appoint stabilisatrices et des freins appropriés, sur présentation d’une soumission mise à jour par monsieur Pierre Côté auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit payer ce coût d’acquisition sur présentation des pièces justificatives par monsieur Pierre Côté.
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JEAN-LUC RIVARD |
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