LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE
DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC MONTRÉAL, le 23 février 1995
DISTRICT D'APPEL DEVANT LA COMMISSAIRE: Thérèse Giroux
DE MONTRÉAL
RÉGION: YAMASKA ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR: Pierre Chalut, médecin
DOSSIERS: 45027-62B-9209
55485-62B-9312
55486-62B-9312
DOSSIER CSST: 1016 26216 AUDIENCE TENUE LE: 13 décembre 1994
DOSSIERS BR: 6092 0784
6129 7265
6117 3987À: Montréal
Dossiers: 45027-62B-9209CONNOLLY & TWIZELL CONSTRUCTION INC.
55485-62B-93122655, Chemin Bates
55486-62B-9312Montréal (Québec) H3S 1B3
PARTIE APPELANTE
et
Dossier : 45027-62B-9209GROUPE DE CONSTRUCTION NATIONAL STATE INC.
2400, rue De la Province
Longueuil (Québec) J4G 1G1
et
MONSIEUR JEAN-MARIE BUISSON
747, Ruisseau nord
Saint-Mathieu-de-Béloeil (Québec) J3G 2C9
et
LES INDUSTRIES KINGSTON
9100, rue Elmslie
Lasalle (Québec) H8R 1V6
PARTIES INTÉRESSÉES
et
Dossiers: 55485-62B-9312MONSIEUR JEAN-MARIE BUISSON
55486-62B-9312747, Ruisseau nord
Saint-Mathieu-de-Béloeil (Québec) J3G 2C9
PARTIE INTÉRESSÉE
D É C I S I O N
Dans le dossier 45027-62B-9209, Connelly & Twizell Construction Inc. (l'employeur) en appelle auprès de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'une décision rendue par le bureau de révision de la région de Yamaska le 5 août 1992.
Par cette décision unanime, le bureau de révision infirme une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) et déclare que monsieur Jean-Marie Buisson (le travailleur) a subi une lésion professionnelle le 9 septembre 1991.
Dans le dossier 55485-62B-9312, l'employeur en appelle d'une décision rendue par le bureau de révision le 14 octobre 1993.
Par cette décision unanime, le bureau de révision modifie une décision rendue par la Commission et déclare que le travailleur conserve une atteinte permanente de 13,85% de sa lésion professionnelle, qu'il conserve des limitations fonctionnelles qui l'empêchent de reprendre son ancien travail et qu'il a droit à la réadaptation.
Dans le dossier 55496-62B-9312, l'employeur en appelle auprès de la Commission d'appel d'une décision rendue par le bureau de révision le 7 octobre 1993.
Par cette décision, le bureau de révision confirme une décision de la Commission et déclare que l'employeur doit se voir imputer 100% des coûts afférents à la lésion professionnelle du travailleur.
OBJET DES APPELS
L'employeur demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision rendue par le bureau de révision dans le dossier 45027-62B-9209 et de déclarer que le travailleur n'a pas subi de lésion professionnelle le 9 septembre 1991.
L'employeur demande à la Commission d'appel de déclarer caduques les deux autres décisions sous appel et, subsidiairement, de les infirmer et de déclarer que le travailleur conserve une atteinte permanente de 0,75% de sa lésion professionnelle, sans aucune limitation fonctionnelle, et d'imputer la totalité des coûts afférents à cette lésion à l'ensemble des employeurs au service desquels a pu être le travailleur.
Dossier 45027-62B-9209 LES FAITS
Le travailleur exerce le métier de plombier-tuyauteur depuis 1954. Le 10 septembre 1991, il soumet à la Commission une réclamation pour une maladie professionnelle, en précisant qu'il travaille avec un marteau à air comprimé de même qu'avec une boulonneuse à air comprimé. Des informations fournies par la suite à la Commission, des faits rapportés par le bureau de révision et du témoignage du travailleur devant la Commission d'appel, il ressort que le travail de tuyauteur consiste en fait, à 75%, à rassembler des tuyaux à l'aide de goujons vissés et serrés par deux clés. La pression requise pour effectuer ce travail est d'environ 150 lbs, compte tenu de la rouille incrustée dans les goujons par l'effet du temps, des intempéries et de l'humidité. Le travailleur manipule les clés avec ses deux mains. Le travail avec des instruments à air comprimé se limite au quart du temps de travail du travailleur.
En même temps que sa réclamation, le travailleur soumet à la Commission une attestation médicale du Dr S. Van Duyse qui fait état d'un diagnostic de Dupuytren bilatéral. Le Dr Van Duyse réfère le travailleur en chirurgie et le 4 novembre suivant, le travailleur subit une intervention chirurgicale à la main gauche. Il en subira une à la main droite en février 1992.
Le 20 novembre 1991, le Dr Raymond Patry du Bureau médical de la Commission émet l'avis que même si le travailleur utilise des outils à air comprimé, le fait qu'il présente un Dupuytren bilatéral milite en faveur d'une condition personnelle non reliée à son travail.
Le 22 novembre 1991, la Commission rejette la réclamation du travailleur et ce dernier conteste cette décision devant le bureau de révision.
Le 5 août 1992, le bureau de révision infirme la décision de la Commission et reconnaît que la maladie de Dupuytren présentée par le travailleur constitue une lésion professionnelle causée par des microtraumatismes. Le bureau de révision conclut ainsi après avoir entendu le témoignage du Dr Van Duyse, qui s'est dit d'avis que le travail effectué par le travailleur, soit, la manutention des clés au creux des mains tout en appliquant une pression répétée, est responsable de la maladie de Dupuytren apparue chez le travailleur. Le Dr Van Duyse avait souligné que le travailleur ne présentait aucune des causes personnelles généralement associées à la maladie de Dupuytren et avait, suivant la décision du bureau de révision, soumis divers extraits d'étude médicale datant de 1941 à 1978 et concluant à la relation entre la maladie de Dupuytren et les travaux manuels lourds. Le bureau de révision n'a toutefois rapporté qu'une seule de ces études, celle de Dupuis-Leclaire[1] dont il a cité l'extrait suivant :
«[...]
"La maladie atteint de préférence les hommes autour de la cinquantaine, avec une incidence plus élevée chez les alcooliques, les tuberculeux, les épileptiques, les invalides chroniques et les ouvriers exposés à des microtraumatismes par pression répétée au creux de la main et des doigts. Au total, il semble y avoir une diathèse personnelle et des facteurs déclenchants."
[...]»
Le 29 septembre 1992, l'employeur porte la décision du bureau de révision en appel.
Le 14 octobre 1992, le travailleur est examiné par le Dr André Canakis, chirurgien-orthopédiste, pour le compte de l'employeur.
Le Dr Canakis rapporte que le travailleur a commencé à ressentir des élancements en travaillant au froid et à la pluie au cours de l'hiver de 1985. Le Dr Canakis émet l'opinion suivante sur la relation entre la maladie de Dupuytren présentée par le travailleur et son travail :
«Faisant suite à mon expertise du 14 octobre 1992, je vous envoie ci-dessous quelques commentaires qui pourraient vous être utiles. La maladie de Dupuytren est due à une fibroplasie proliférative du tissu palmaire sous-cutané qui forme des nodules et des brides dont le résultat est une contracture secondaire en flexion des doigts. Il s'agit d'une maladie personnelle avec un facteur héréditaire en cause au niveau racial. C'est ainsi que cette maladie est presque exclusivement limitée à l'homme de race blanche et caucasienne, et n'a été rapportée que très rarement chez les noirs et les orientaux. Cette maladie fibroplasique proliférative n'a aucune relation avec une profession quelconque ni avec un traumatisme.
Par ailleurs, cette maladie est indolore, ne cause pas d'élancement, des enflures, de l'intolérance au froid ou à la pluie. Les plaintes pour lesquelles ce patient a consultées ne sont pas les symptômes d'une maladie de Dupuytren et le diagnostic n'a été posé que fortuitement par le médecin. La relation donc avec l'occupation à titre de maladie professionnelle doit être contestée et raison de plus avec un traumatisme qui n'a jamais existé. En fait, il n'a jamais eu d'événement accidentel dans ce cas.»
Le 29 janvier 1993, le travailleur est vu par le Dr Hany Daoud, orthopédiste, agissant comme membre du bureau d'évaluation médicale dans le cadre d'une contestation du diagnostic par l'employeur.
Le Dr Daoud confirme le diagnostic de maladie de Dupuytren en mentionnant, entre autres, la nature du travail de tuyauteur dans la motivation de son opinion.
Le 27 mai 1993, le travailleur est vu par le Dr Michel Dupuis, physiatre.
Le Dr Dupuis rappelle le travail qu'effectue le travailleur et souligne qu'il n'y a aucun antécédent familial de maladie de Dupuytren. Il souligne aussi que le travailleur n'a pas d'histoire d'alcoolisme, n'a jamais souffert de maladie débilitante et ne s'est jamais blessé au niveau des mains. Le Dr Dupuis s'exprime ainsi sur la relation entre la maladie de Dupuytren présentée par le travailleur et son travail :
«[...]
Disons d'abord que la maladie de Dupuytren est caractérisée par une sclérose rétractile et nodulaire des aponévroses palmaires superficielles et parfois des aponévroses digitales. Dans le cas de M. Buisson, c'est l'aponévrose palmaire qui est la principale atteinte. La sclérose entraîne un épaississement progressif et une rétraction avec formation de nodules généralement indolores mais parfois douloureux, entraînant une flexion progressive des doigts. (...)
La maladie de Dupuytren n'est pas une maladie prévue à l'annexe 1 de la LATMP. Il faut donc déterminer si elle est caractéristique du travail exécuté par M. Buisson depuis plusieurs années ou encore si le travail qu'il a effectué pendant ce temps comportait des risques spécifiques pour l'apparition d'une telle pathologie. D'emblée, il faut admettre qu'elle n'est pas caractéristique de ce travail, car il est connu depuis longtemps qu'elle peut apparaître chez des travailleurs sédentaires et qu'elle est par ailleurs liée à certains facteurs génétiques, puisqu'on l'observe souvent dans la même famille.
Il reste à voir si le travail effectué par M. Buisson comportait des risques spécifiques pour l'apparition d'une telle maladie.
J'éviterai d'abord de citer des opinions d'auteurs, que l'on retrouve en abondance dans les différents traités, suite au fait que lorsque Dupuytren a décrit lui-même cette maladie en 1832, il l'avait attribuée au travail manuel, car les cas qu'il avait observés avaient tous des occupations qui étaient de nature à causer des traumatismes répétés au niveau des mains. Cette théorie avait été acceptée par plusieurs auteurs, mais certains autres pensèrent que les traumatismes n'étaient pas en cause ou n'étaient pas la cause unique de la maladie, car on l'observait chez bien des gens qui ne faisaient pas de travail manuel. On en vint à considérer qu'il y avait probablement une prédisposition personnelle à la contracture de Dupuytren, mais que les traumatismes chroniques pouvaient également en déclencher l'apparition. Cette évolution de la pensée se reflète très bien dans la littérature, selon l'appréciation que chaque auteur d'un traité sur la pathologie de la main s'est faite de la littérature qu'il a étudiée. Ainsi, dans la documentation que j'ai pu accumuler au cours des années, on retrouve un grand nombre d'auteurs qui acceptent l'étiologie traumatique, et il en est d'autres qui pensent le contraire. Ces derniers s'appuient généralement sur une étude publiée par P.F. Early en 1962 (...), étude qui a démontré que l'incidence de la maladie de Dupuytren n'était pas plus élevée chez les travailleurs manuels que chez les autres.
Cette étude comportait plusieurs faiblesses méthodologiques et elle est devenue désuette (sic) après la publication d'autres études, notamment celle publiée par Bennett en 1982 (...) et celle publiée dans une des monographies du Groupe d'étude de la main par J.Y. de la Caffinière (...). Ces deux études montrent une incidence nettement plus élevée de la maladie de Dupuytren chez les travailleurs manuels. De la Caffinière en vint à la conclusion nette que le travail manuel peut exercer un rôle déclenchant dans la maladie de Dupuytren et cela confirme l'analyse que mes collègues et moi-même avions faite lors de la publication de "Pathologie médicale de l'appareil locomoteur", antérieure à cette étude: "Au total, il semble donc y avoir une diathèse personnelle et des facteurs déclenchants".
Je crois donc qu'il existe suffisamment de preuves dans la littérature, notamment la dernière étude publiée dans la monographie no 14 du Groupe d'étude de la main, pour déterminer qu'il existe un risque spécifique d'apparition d'une maladie de Dupuytren chez les travailleurs manuels qui sont exposés à des pressions répétées au niveau de la main.
Il ne fait aucun doute que M. Buisson a fait pendant plus de 25 ans des travaux qui exerçaient des pressions répétitives au niveau de ses mains, et ce type de travail comportait des risques spécifiques pour l'apparition d'une maladie de Dupuytren.
Je suis donc d'avis que la relation doit être acceptée.
[...]»
L'employeur a fait entendre à l'audience deux témoins, soit monsieur Réjean Thériault, coordonnateur en santé et sécurité chez l'employeur, et monsieur Daniel Bourdon, représentant en santé et sécurité du travail pour la compagnie Corporation Construction Nationale, ancien employeur du travailleur.
Monsieur Daniel Bourdon a dit que le travailleur a été au service de la compagnie Nationale du 31 mars au 23 juin 1990 comme tuyauteur. Sur le chantier où était affecté le travailleur, il y a eu jusqu'à 102 tuyauteurs et l'entreprise embauchait, à cette époque, 273 tuyauteurs. Monsieur Bourdon a dit qu'aucune autre réclamation pour maladie de Dupuytren n'a jamais été faite chez cette entreprise, soit avant, soit après celle du travailleur.
Monsieur Réjean Thériault a dit que le travailleur a été au service de l'employeur comme tuyauteur du 30 juillet au 5 octobre 1990 et du 13 mai au 11 juin 1991. En 1989, 1990 et 1991, cette entreprise avait 150 tuyauteurs permanents à son service et 400 tuyauteurs occasionnels. Le témoin a dit n'avoir jamais vu de réclamation similaire à celle du travailleur et n'en avoir retrouvé aucune en faisant une recherche dans les dossiers antérieurs.
L'employeur a aussi mis en preuve un extrait du vade - mecum clinique du médecin praticien[2] qui explique ainsi l'étiologie de la maladie de Dupuytren :
«[...]
Etiologie: inconnue; dans la moitié des cas, l'affection est familiale; association possible avec l'arthrose cervicale, l'algodystrophie sympathique (syndrome épaule-main), l'alcoolisme chronique, le diabète sucré.
[...]»
De même, l'employeur a produit la définition de la maladie de Dupuytren contenue dans le Nouveau Larousse Médical. On peut y lire ceci :
«[...]
La cause de cette affection est encore indéterminée, mais le diabète lui est fréquemment associé. Elle se voit surtout à l'approche de la soixantaine et prédomine dans le sexe masculin. Elle est bilatérale dans la moitié des cas. Elle n'est pas plus fréquente chez les travailleurs manuels que chez les autres. On a simplement noter une fréquence nette chez les travailleurs utilisant des outils à vibrations.
[...]»
Le travailleur a fait entendre le Dr Michel Dupuis. Essentiellement, le Dr Dupuis a repris l'opinion écrite qu'il avait soumise et a produit les articles de doctrine sur lesquels il avait fondé son opinion.
Dans l'étude de B. Bennett[3], 216 travailleurs affectés à l'ensachage dans une usine de PVC ont été comparés à 84 travailleurs non affectés à de telles tâches. Seize des 216 travailleurs présentaient, à des degrés divers, des signes de Dupuytren alors que 1 travailleur du groupe-témoin en présentait. L'auteur a discuté des résultats ainsi :
«[...] This supports the view that the prevalence of Dupuytren's contracture in our plant has been affected by the particular type of work, involving continual handling of 25-kg sacks. I believe the handling, grasping, and lifting of 25-kg sacks over a long period has produced low-grade micro-trauma of the palmar fascia, leading to an increased incidence of Dupuytren's contracture.
[...]»
L'étude de De La Caffinière[4] a porté sur 5 206 travailleurs manuels de l'industrie de la sidérurgie au Luxembourg. L'étude a révélé que 3,76% de ces travailleurs étaient porteurs d'une maladie de Dupuytren, un chiffre inférieur à d'autres études menées précédemment, mais les chercheurs ont divisé les travailleurs en trois catégories selon le degré croissant d'activités manuelles (activité manuelle modérée, activité manuelle soutenue et activité manuelle intense) et ont dit mettre en évidence une prévalence de la maladie de Dupuytren plus élevée chez les travailleurs de cette dernière catégorie. Les auteurs ont en réalité fait état des résultats croisés de ce facteur avec d'autres facteurs, tels l'âge et le nombre d'année de travail manuel. Ainsi, ils ont trouvé chez les travailleurs accomplissant des activités manuelles intenses, un pourcentage de sujets atteints de la maladie de Dupuytren plus important chez les 40 à 45 ans que chez les 55 à 60 ans, contrairement à ceux exerçant une activité manuelle modérée ou à la courbe générale de répartition de cette maladie. De même, ils ont trouvé une fréquence plus élevée de personnes atteintes avant 35 ans de service chez les travailleurs manuels intenses alors que chez les travailleurs manuels modérés, les sujets atteints se retrouvent principalement chez ceux ayant plus de 35 ans de service.
Les chercheurs ont résumé ainsi leurs constatations :
«[...] Notre chiffre global est même inférieur à celui de O.A. Mikkelsen qui a fait son enquête sur une population générale mais qui concluait au rôle du travail manuel grâce à une étude plus précise des corrélations. En ce qui concerne l'étude présente, c'est la séparation en catégories à activité manuelle croissante à l'intérieur d'une collection faite exclusivement de travailleurs manuels qui a permis d'affirmer ce rôle indiscutable. Malgré tout, il n'a pas été possible de tirer plus de renseignements sur le rôle des facteurs associés éventuels au risque de sortir du cadre de la certitude statistique. Cependant, il nous est bien apparu que le fait de posséder des antécédents familiaux d'hyperpression artérielle constituait un facteur favorisant traduisant en cela sans doute la notion bien connue de terrain génétique prédisposant.
Au plan pratique, il apparaît donc que si la maladie de Dupuytren ne saurait être considérée à tout coup comme maladie professionnelle indemnisable sous prétexte qu'elle survient chez un travailleur manuel, en tous cas, elle pourrait être considérée comme maladie à caractère professionnel si une enquête détaillée a révélé une activité manuelle professionnelle dure et soutenue.»
Le Dr Dupuis a rappelé le long laps de temps pendant lequel le travailleur a exercé son métier, qui est très dur au niveau des mains, et l'absence d'autres causes connues de la présence de cette maladie chez le travailleur. Le Dr Dupuis a toutefois admis ne pas avoir vérifié si le travailleur faisait de l'hypertension. Il a conclu son témoignage en disant que l'opinion du Dr Canakis ne reflète pas l'état actuel de la littérature.
Interrogé par l'assesseur de la Commission d'appel, le Dr Dupuis a dit que l'on parle ici de probabilité plus que de certitude. Il a reconnu que la maladie de Dupuytren n'est pas une maladie très rare et que des personnes qui ne font pas un travail manuel en sont affectées. Le Dr Dupuis a enfin admis que l'étude de De la Caffinière n'est pas parfaite mais il a dit que c'est l'outil le moins imparfait dont nous disposions. C'est l'étude qui est allée le plus loin parce qu'elle a fait une tentative de sélection et qu'elle a éliminé certains biais de sélection, tels l'âge et le type précis de métier.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission d'appel doit d'abord décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 5 août 1992.
Le bureau de révision a retenu que le travailleur a été victime d'une lésion professionnelle par microtraumatismes et le travailleur demande à la Commission d'appel de confirmer la décision sur cette même base. Il soumet que l'employeur n'a soumis aucune preuve qui vienne contredire celle présentée par lui devant le bureau de révision et qu'il n'a, de ce fait, pas rencontré le fardeau de preuve qui était le sien.
La Commission d'appel rappelle à cet égard qu'elle possède une compétence de novo. Elle doit faire son propre examen de l'ensemble de la preuve, sans que la décision favorable au travailleur qui a été rendue par le bureau de révision ne modifie le fardeau de preuve, qui incombe à celui qui veut se prévaloir d'un droit. En l'espèce, le travailleur prétend avoir été victime d'une lésion professionnelle. C'est à lui qu'il incombe de le démontrer par une preuve prépondérante.
Le travailleur soumet donc qu'il a été victime d'une lésion professionnelle par microtraumatisme, tel que l'a retenu le bureau de révision. Il invoque, en ce faisant, l'article 2 de la Loi, qui définit ainsi la notion de lésion professionnelle :
«lésion professionnelle»: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
L'accident du travail est ainsi défini par le même article :
«accident du travail» un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
Bien qu'une succession d'événements puissent être assimilés à un accident du travail et que la notion de microtraumatismes, qui lui est associée, puisse encore demeurer pertinente pour apprécier la survenance d'une lésion professionnelle, dans un cas comme le présent cas où les microtraumatismes consisteraient en une succession de petits traumatismes physiques inhérents au travail habituel d'un travailleur, la Commission d'appel estime que la notion de microtraumatismes fait double emploi avec celle de maladie professionnelle prévue à l'article 2 de la Loi et faisant l'objet d'une présomption à l'article 30. Dans un tel contexte, la soussignée fait siens les propos tenus par la Commission d'appel dans l'affaire Sévigny et Steinberg Inc.[5] citée par le procureur des employeurs. Dans cette affaire, la Commissaire Harvey s'exprimait ainsi :
«[...]
La travailleuse soumet, jurisprudence à l'appui, que la succession de microtraumatismes, tels que ceux auxquels elle a été soumise, peut équivaloir à un accident du travail. Avec respect, la soussignée ne partage pas cette interprétation.
La notion de microtraumatisme causant des lésions musculo-squelettiques a été utilisée abondamment par la Commission des affaires sociales avant l'entrée en vigueur du Règlement sur les maladies professionnelles(...).
La Commission palliait ainsi la difficulté d'indemniser des lésions causées par des mouvements répétitifs en considérant que chaque microtraumatisme responsable de la lésion constituait un événement imprévu et soudain. C'est donc sous l'angle de l'accident du travail que les réclamations étaient accueillies.
À partir du 28 novembre 1981, les lésions musculo-squelettiques causées par des répétitions de mouvements ont été étudiées sous l'angle de la maladie professionnelle.
Par ailleurs, l'article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et la section IV de l'Annexe I de cette loi prévoient aussi une présomption à l'effet que certaines maladies causées par des répétitions de mouvements constituent des maladies professionnelles. De plus, l'article 30 laisse la possibilité de faire la preuve d'une maladie professionnelle causée par des microtraumatismes.
La Commission d'appel considère, en conséquence, que les lésions causées par des microtraumatismes étant indemnisables à titre de maladies professionnelles, il est inapproprié de continuer à utiliser la notion d'accident du travail par microtraumatismes.
[...]»
Dans l'espèce, la Commission d'appel estime donc que c'est sous l'angle de la maladie professionnelle plutôt que sous celui des microtraumatismes que la réclamation du travailleur doit être étudiée.
Comme l'a indiqué le Dr Dupuis, la maladie de Dupuytren n'est pas prévue à l'Annexe I de la Loi. La présomption de l'article 29 ne trouve donc pas application. C'est, le cas échéant, l'article 30 de la Loi qui serait applicable :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
Ce sont ici les risques particuliers du travail qui sont invoqués par le travailleur. La preuve faite ne tend pas à démontrer que la maladie de Dupuytren serait caractéristique du travail de tuyauteur et même le médecin expert du travailleur, le Dr Dupuis, reconnaît que tel n'est pas le cas.
Deux médecins, les Drs Van Duyse et Dupuis affirment que la relation entre la maladie présentée par le travailleur et son travail est probable. L'arbitre médical, le Dr Fournier, semble aussi retenir comme pertinent le facteur travail. À l'inverse, le Dr Canakis et le Dr Patry, du Bureau médical de la Commission, nient cette relation.
La Commission d'appel note que l'opinion du Dr Fournier est peu étayée et que celle du Dr Van Duyse se fonde elle-même sur celle du Dr Dupuis, telle que formulée dans l'ouvrage bien connu que celui-ci a publié sur l'appareil locomoteur. Le Dr Dupuis, quant à lui, estime que le travail de tuyauteur a pu être un facteur déclenchant de la maladie, qui serait venu s'ajouter à une prédisposition personnelle du travailleur.
Le Dr Dupuis opte en faveur de la relation en se fondant essentiellement sur deux études et, plus particulièrement, sur une étude publiée en 1986 par De La Caffinière. Le Dr Dupuis a dit avoir consulté une très importante littérature mais ne l'a pas mise en preuve et il ne nie pas, par ailleurs, que la question de l'association entre le travail manuel et la maladie de Dupuytren est encore controversée.
La Commission d'appel a pris connaissance de l'étude de De la Caffinière et ne trouve pas celle-ci aussi concluante que l'affirme le Dr Dupuis. Dans son introduction même, tout d'abord, l'auteur de l'étude rappelle la controverse qui entoure la question et souligne que peu de pays acceptent cette maladie comme maladie professionnelle :
«Le débat sur le rôle des facteurs professionnels responsables de la maladie de Dupuytren reste toujours ouvert, comme en témoigne le peu de pays qui l'acceptent comme maladie processionnelle [...] nombreuses sont les enquêtes entreprises à cet égard et dont il faut bien avouer que les résultats sont assez contradictoires.»
En second lieu, la Commission note que le métier de tuyauteur, que le Dr Dupuis a qualifié d'activité manuelle intense, n'est pas classé dans cette catégorie par les auteurs de l'étude. On peu y lire en effet que ce métier est plutôt classé dans la catégorie intermédiaire, activité manuelle soutenue.
Enfin, la conclusion de l'étude n'est pas elle-même très catégorique, puisque l'auteur y dit que la maladie de Dupuytren «pourrait être considérée comme maladie à caractère professionnel si une enquête détaillée a révélé une activité manuelle professionnelle dure et soutenue».
Aucune telle enquête n'a été soumise en l'espèce et aucune étude n'a révélé une incidence particulière de maladie de Dupuytren chez les tuyauteurs. Deux témoins sont venus dire, par contre, que sur quelques centaines de tuyauteurs au sein de deux entreprises, aucun autre cas de maladie de Dupuytren n'a été signalé.
La Commission d'appel comprend que le travail effectué par le travailleur pendant de nombreuses années a exigé une force importante au niveau des mains. Elle retient par ailleurs, cependant, que la maladie de Dupuytren est une maladie relativement répandue et dont l'étiologie n'est pas connue. Tel qu'il appert de la définition du Nouveau Larousse Médical, et tel que l'a reconnu le Dr Dupuis, c'est une maladie que l'on retrouve également chez des personnes qui n'effectuent pas de travail manuel. De plus, c'est une maladie qui frappe plus particulièrement les hommes blancs dans la cinquantaine, ce qui est précisément le cas du travailleur.
La soussignée a pris connaissance de la jurisprudence soumise par l'employeur sur des cas de maladies de Dupuytren entendus tant par la Commission des affaires sociales que par la Commission d'appel. Elle a aussi passé en revue l'ensemble des décisions de la Commission d'appel sur la question. Elle retient de cette analyse que la relation entre le travail et la maladie de Dupuytren a, sauf de très rares exceptions, été jugée non démontrée. Dans l'affaire Sauveteurs et Victimes d'actes criminels[6], la Commission des affaires sociales a été on ne peut plus claire :
«[...]
L'appelant cite une décision de la présente Commission. Il s'agit d'un cas où la Commission avait accepté une relation causale avec le travail. La Commission constate que cette décision est isolée et que la jurisprudence de la Commission est, par ailleurs, unanime et abondante sur la non-relation de cette pathologie avec le travail à titre de facteur déclenchant ou aggravant(...).
[...]»
L'affaire Champagne et Canadien Pacifique[7] est, par ailleurs, une des nombreuses décisions rendues par la Commission d'appel sur la question et qui, toutes[8] sauf une[9] ont refusé de reconnaître le caractère professionnel de la maladie de Dupuytren.
Il est certain que dans le domaine des maladies professionnelles, la relation est rarement établie avec certitude et, comme l'a indiqué la Cour suprême dans l'affaire Snell et Farrell[10], le juge ne doit pas exiger un tel degré de preuve. Une prétention de maladie professionnelle doit toutefois s'appuyer sur une consensus minimal dans la littérature médicale et, dans l'espèce, la Commission d'appel estime que les autorités sur lesquelles se fonde le Dr Dupuis sont insuffisantes pour conclure à un tel consensus. Elles sont aussi insuffisantes pour faire évoluer une jurisprudence jusqu'ici unanime.
La Commission d'appel retient donc plutôt l'opinion du Dr Canakis et conclut que le travailleur n'a pas fait la preuve qu'il a été victime d'une maladie professionnelle.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE, dans le dossier 45027-62B-9209, l'appel de l'employeur, Connolly & Twizell Construction Inc.
INFIRME la décision rendue par le bureau de révision de la région de Yamaska le 5 août 1992;
DÉCLARE que le travailleur, monsieur Jean-Marie Buisson, n'a pas subi de lésion professionnelle le 9 septembre 1991; et
DÉCLARE sans objet les appels logés dans les dossiers 55485-62B-9312 et 55486-62B-9312.
Thérèse Giroux
Commissaire
MONSIEUR RÉJEAN THÉRIAULT
Connolly & Twizell Construction Inc.
2655, Chemin Bates
Montréal (Québec)
H3S 1B3
(représentant de la partie appelante)
Me MICHEL LALONDE
Leblanc, Vanier & Associés
7905, Louis-H. Lafontaine
Bureau 300
Ville d'Anjou (Québec)
H1K 4E4
(représentant des employeurs)
Me DANIEL BOURDON
Corporation Construction Nationale Ltée
2400, rue De la Province
Longueuil (Québec)
J4G 1G1
(représentant de cet employeur)
Me RICHARD BAILLARGEON
Trudeau, Provencal & Associés
7390, rue St-Denis
Montréal (Québec)
H2R 2E4
(représentant du travailleur)
[3] Dupuytren's contracture in manual workers, British Journal of Industrial Medecine, 1982; 39:98-100
[4] Travail manuel et maladie de Dupuytren, Monographies du groupe d'étude de la main, vol. 14 - La maladie de Dupuytren, 3E éd., 1986
[8] Dallaire et Air Canada (CALP 12490-61-8903, 1991-06-03, P. Capriolo, commissaire); Fortier et Général Motors du Canada Ltée (CALP 15045-64-8910, 1992-03-11, É. Harvey, commissaire); Poirier et Paul Dubé et Fils Ltée (CALP 32512-64-9110, 1992-10-16, C. Demers, commissaire); Fecteau et Coopérative fédérée du Québec (CALP 04776-03-8709, 1989-11-14, G. Godin, commissaire)
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.