Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Hafsi et Elopak Canada inc.

2013 QCCLP 4877

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

9 août 2013

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

453945-71-1111

 

Dossier CSST :

137690236

 

Commissaire :

Jean-François Martel, juge administratif

 

Membres :

Alain Crampé, associations d’employeurs

 

Christian Pitel, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Slimane Hafsi

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Elopak Canada inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 3 novembre 2011, monsieur Slimane Hafsi (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 1er novembre 2011, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 27 septembre 2011 et « déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle ».

[3]           Le travailleur est présent et représenté par procureure à l’audience tenue, les 21 juin 2012 et 18 juin 2013, à Montréal.  Elopak Canada inc. (l’employeur) y est également représenté par son directeur des ressources humaines accompagné d’un procureur.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le travailleur demande au tribunal de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle, le 15 août 2011, soit une entorse lombosacrée.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la contestation devrait être rejetée.

[6]           Le travailleur a failli à son fardeau de prouver qu’il a subi une « blessure » « sur les lieux du travail » et alors qu’il était « à son travail ».  La présomption légale de lésion professionnelle ne trouve donc pas application dans le présent cas.

[7]           L’apparition d’une douleur n’est pas synonyme de survenance d’un événement imprévu et soudain.  À ce dernier égard, le témoignage du travailleur est contredit par la preuve documentaire (pièces E-2 et E-3) ainsi que par le témoignage d’un collègue de travail (monsieur Sofiane Moussaoui).  Il n’y a donc pas eu accident du travail au sens de la loi.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           À l’époque pertinente, le travailleur occupe un emploi d’« opérateur de machine scelleuse » [sic] dans l’usine exploitée par l’employeur, sur le quart de nuit (de 19 h 00 à 07 h 00).  L’entreprise transforme du carton en contenants de jus et de lait.

[9]           Dans la nuit du 15 au 16 août 2011, le travailleur opère la machine S-82 affectée au scellage des cartons de format d’un litre.  La machine en question fait 24 mètres de long.

[10]        Le travailleur donne la version des faits suivante dans sa déclaration verbale du 1er septembre 2011[2] ainsi que dans celle consignée au formulaire de Réclamation du travailleur rempli le 10 septembre suivant :

J’ai opéré la machine et temps en temps je remplaçais quelqu’un pour apporter des boîtes et j’ai senti des douleurs à mon dos.

 

[11]        Témoignant à l’audience, le travailleur explique qu’un opérateur est responsable de la production de sa machine et qu’il lui revient donc de remplacer à pied levé quiconque doit s’absenter, en cours d’opération.  C’est ce qui s’est passé durant la nuit du 15 au 16 août 2011, vers 03 h 00, quand un « emballeur » nommé Karem Mahmoud a demandé à être remplacé pour aller à la toilette.  Le travailleur s’est donc mis à exécuter la tâche d’emballeur qui consiste à ramasser les emballages à leur sortie de la machine.

[12]        Toujours selon le témoignage du travailleur, il s’agit de recueillir des boîtes contenant chacune 500 cartons et pesant environ 17 à 19 kilogrammes pour les empiler à côté de la machine, jusqu’à une hauteur de deux mètres.  Chaque boîte est d’une hauteur approximative de huit à dix centimètres.

[13]        À l’audience, le travailleur mime les gestes qu’il a posés, soit : une flexion du tronc de 30 à 35 degrés (pour saisir à deux mains les boîtes sortant de la machine sur un convoyeur à la hauteur de ses hanches) suivie d’un rotation vers la gauche puis d’une flexion en charge de 60 à 90 degrés pour empiler la boîte sur une « palette » (l’amplitude de la flexion variant en fonction de la hauteur, à ce moment-là, de la pile sur laquelle la boîte est déposée).

[14]        Le travailleur déclare avoir ressenti une douleur (« comme un étirement ») à la région lombaire centrale, au moment où il s’apprêtait à déposer une boîte dans la deuxième rangée de la pile, en fin de flexion et après avoir complété son mouvement de rotation.  Aussitôt la douleur ressentie, le travailleur aurait « lâché la boîte » et demandé à l’opérateur de la machine voisine (S-81), monsieur Sofian Messaoui, de le remplacer au poste d’emballeur.

[15]        Il a par la suite complété son quart de travail à son poste d’opérateur, mais en prenant soin de ne pas fournir d’effort.

[16]        Le travailleur explique ne pas avoir immédiatement avisé son employeur de l’événement pour les raisons suivantes : 1) il n’y avait pas de superviseur sur le quart de nuit, 2) il ne pouvait accéder au registre des accidents en l’absence d’un superviseur, et 3) il croyait que la douleur allait s’estomper d’elle-même rapidement.

[17]        Le travailleur invoque aussi ce dernier motif pour justifier sa décision de ne pas avoir consulté médicalement dès le 16 août 2011.  De toute façon, il n’était pas prévu qu’il travaille au cours des nuits du 16 au 17 août et du 17 au 18 août.

[18]        C’est l’augmentation de la douleur qui a finalement incité le travailleur à consulter, le 18 août 2011.  À la clinique sans rendez-vous, il a été reçu par le docteur Luis Carlos Appletauer.

[19]        Le travailleur rapporte avoir déclaré au docteur Appletauer : « j’ai mal au dos ».  Le médecin lui a demandé « si c’était arrivé au travail ».  Le travailleur soutient avoir répondu par l’affirmative (« c’est arrivé au travail, le matin du 16, c’est-à-dire dans la nuit du 15 au 16 »), mais, déclare-t-il, il aurait ajouté croire que sa « douleur » était « reliée » à deux accidents antérieurs, ceux-là survenus en 2009 et en 2010.

[20]        À la suite de la consultation du 18 août 2011, le docteur Appletauer ne délivre au travailleur aucune « attestation comportant le diagnostic » de la lésion « sur le formulaire prescrit » par la CSST, comme le prévoit l’article 199 de la loi, qui eut pu attester soit de la survenance d’une blessure, le 16 août 2011, soit de la manifestation d’une récidive, rechute ou aggravation (RRA) reliée à une lésion professionnelle subie en 2009 ou 2010, et antérieurement reconnue.

[21]        Le médecin remet tout simplement au travailleur un billet médical comportant, pour toute inscription, ce qui suit : « Arrêt de travail du 18 août au 1er septembre 2011 ».

[22]        Le travailleur n’explique pas pourquoi le docteur Appletauer aurait agi de la sorte, si tant il est vrai qu’il lui avait explicitement déclaré que « c’était arrivé au travail, le matin du 16 » et/ou que sa condition pouvait être reliée à des lésions professionnelles antérieures.  Cette absence d’explication laisse perplexe.

[23]        Le 19 août 2011, le travailleur communique avec un représentant de l’employeur (« Léonardo, le superviseur du département des scelleuses » [sic] et lui dit : « Je suis malade au dos ; j’ai un arrêt de travail du 18 au 1er septembre ».

[24]        Le tribunal note que, lors de ce premier contact avec un représentant de l’employeur pour justifier son absence, le travailleur ne fait aucune mention d’un accident du travail qui serait survenu, selon lui, à peine trois jours auparavant.

[25]        Le lundi suivant, soit le 22 août 2011, le travailleur reçoit un appel téléphonique du directeur des ressources humaines, monsieur Pat Penna.  Ce dernier exige plus d’informations, sur le diagnostic lésionnel, le pronostic, les circonstances entourant la survenance de la lésion, etc.

[26]        À l’audience, le travailleur ne déclare pas avoir fait mention d’un accident du travail, au cours de cette conversation.  Témoignant à son tour, monsieur Penna est catégorique : lors de cet entretien, le travailleur n’a aucunement parlé d’une lésion « reliée à un incident de travail ».

[27]        Le tribunal trouve étrange qu’au cours de ces deux contacts avec des représentants de l’employeur, alors qu’il avait l’occasion de justifier son absence du travail, le travailleur n’ait même pas jugé opportun de mentionner le fait qu’il s’était blessé au travail, dans les jours précédents.

[28]        Le travailleur se rend au bureau du docteur Appletauer le lendemain, 23 août 2011, pour obtenir les informations additionnelles réclamées par son employeur.  Se rendant à sa demande, le médecin lui remet alors un second billet que le travailleur soutient n’avoir lu qu’après avoir quitté les lieux ; il convient d’en citer ici le texte intégral :

Slimane HAFSI

 

23 AOÛT 2011

Vue [sic] le 18 août 2011

Douleur lombaire.

Pas d’accident du travail.

Pas de maladie professionnelle.

Condition personnelle.

Congé en vertu de la douleur loca(…)

 

[Nos soulignements]

 

 

[29]        Encore ici, le travailleur ne présente aucune explication au fait que le docteur Appletauer ait pris le soin de souligner qu’il n’avait pas été victime d’un accident du travail, qu’il n’était pas atteint d’une maladie professionnelle et que son état en était un résultant d’une condition personnelle, si tant il est vrai que le travailleur lui ait explicitement déclaré, lors de la consultation du 18 août 2011, qu’il s’était blessé au travail dans la nuit du 15 au 16 août.

[30]        En l’absence d’une explication rationnelle et convaincante, le tribunal ne peut supposer - comme le voudrait le travailleur - que le médecin qu’il a lui-même choisi de consulter a, de propos délibéré, faussement rapporté les déclarations de son patient et maquillé les faits de telle sorte que ce dernier soit privé de ses droits.

[31]        La version du travailleur est invraisemblable.

[32]        Insatisfait du contenu des billets médicaux qui lui avaient été remis, le travailleur retourne voir le docteur Appletauer, le 1er septembre 2011.  À la suggestion de son délégué syndical, il invoque alors que sa condition constitue une « rechute » d’accidents antérieurs, survenus en 2009 et/ou 2010[3].

[33]        S’en remettant aux allégations de son patient, le docteur Appletauer délivre alors une Attestation médicale initiale, sur le formulaire prescrit, au contenu suivant :

Sous la rubrique intitulée Diagnostic de la lésion professionnelle et renseignements complémentaires :

 

RECHUTE d’accident 091203 et 100203

Entorse lombosacrale

Réf physio

Rayons X simples col LS : normal

Demande IRM

 

Dans la case intitulée Date de l’événement :

 

09-12-03 [le 3 décembre 2009]

 

Dans la case intitulée Date de la visite :

 

11-09-01 [le 1er septembre 2011

 

Aucune inscription n’est faite sous la rubrique intitulée Consolidation[4]

 

[34]        Le travailleur n’explique pas pourquoi le docteur Appletauer aurait tout à coup décidé de rapporter fidèlement ses déclarations, le 1er septembre 2011, alors qu’auparavant, soit les 18 et 23 août, il se serait acharné à ne pas le faire.

[35]        Enfin détenteur d’une attestation médicale reflétant la réalité - selon lui - et sachant pertinemment que monsieur Penna attend des pièces justificatives pour autoriser le versement de sa paie d’absence, le travailleur se contente d’en déposer l’exemplaire pour l’employeur « dans une pochette » à l’entrée du bureau du directeur de la production (et non pas celui du directeur des ressources humaines), deux jours plus tard, soit le 3 septembre 2011.  Le moins que l’on puisse dire est qu’il ne s’est pas montré empressé de dissiper l’imbroglio entourant son absence du travail.

[36]        Entre-temps, le travailleur se présente au travail, le 2 septembre 2011.  Il déclare au superviseur de nuit, monsieur Francis Ricard, qu’il est sous assignation temporaire à des travaux légers.

[37]        Monsieur Ricard vérifie auprès de monsieur Penna s’il a bel et bien autorisé le retour au travail du travailleur en assignation temporaire.  Monsieur Penna confirme que tel n’est pas le cas.  En effet, aucune assignation temporaire n’a été délivrée, puisque, selon les informations alors disponibles à l’employeur, le travailleur n’avait pas subi de lésion professionnelle.

[38]        Le travailleur n’explique pas comment il a pu comprendre que monsieur Penna avait décidé de l’assigner temporairement à une tâche quelconque, autre que son travail régulier, alors que leur entretien téléphonique du 22 août n’avait porté que sur un seul sujet, à savoir que le travailleur justifie son absence en obtenant de son médecin traitant des attestations adéquates.  Il n’explique pas, non plus, comment son employeur aurait pu l’assigner temporairement, sans le consentement spécifique et écrit de son médecin traitant.

[39]        Le 6 septembre 2011, monsieur Ricard demande au travailleur de faire l’inscription requise au registre d’accident.  Le travailleur refuse de ce faire, invoquant successivement les motifs suivants : 1) il ne sait pas ce qu’il doit y écrire, 2) on ne doit pas faire une inscription au registre en l’absence d’un chef d’équipe ou d’un superviseur, et 3) il est trop tard pour faire pareille inscription, car selon les « instructions » de la directrice en santé et sécurité au travail, il serait interdit d’inscrire un accident au registre plus de 48 heures après qu’il se soit produit.

[40]        À l’évidence, le deuxième motif invoqué ne tient pas, puisque c’est justement un superviseur, monsieur Ricard, qui lui demande expressément de faire l’inscription de son accident au registre.

[41]        Par ailleurs, le travailleur reconnaît comprendre ce qu’est le registre d’accident du travail et savoir qu’il est important de le remplir quand un tel accident se produit.  Cela étant, son assertion voulant qu’il ne sache pas quoi écrire quand on lui demande d’y inscrire sa déclaration est, pour le moins, étonnante.

[42]        Enfin, quant au soi-disant délai de 48 heures pour déclarer un accident, le travailleur admet ne pas s’être présenté à l’établissement de l’employeur, ni le 17 ni le 18 août, pour faire l’inscription requise au registre, alors que pourtant rien ne l’en empêchait.

[43]        Ainsi, aucun des prétextes invoqués, pris individuellement, n’est convainquant.  Le fait qu’ils soient allégués ensemble ne les rend pas davantage crédibles, bien au contraire.

[44]        Donnant suite au second billet médical émis par le docteur Appletauer, monsieur Penna lui demande des explications additionnelles par sa lettre du 9 septembre 2011.  Le médecin lui répond par écrit, le 12 septembre 2011, dans les termes suivants :

CAME with a "friend" to contest that he did have a "rechute".

I can attest that the patient did have a low back pain on or about 16 AUG.  Consulted on 18 AUG.  On 23 AUG, given note to be off work because of a personal - not work related - low back pain.

Present visit is related to revindication, not medical condition.

Dx., visit for counterclaims.

add to chart Letter of ELOPAK 9 SEP ’11, signed Pat Penna.

 

I agree with her That the patient tried very hard to obtain a paid time off woek trying to “resurrect” his 0912 04 accident.

Rx.,      fle letter of ELOPAK 9 SEP

      give file 18 AU 23 AU 1 SEP & 12 SEP to patient.

[sic]

 

[Nos soulignements]

 

 

 

 

[45]        À la lumière de ce qui précède, le tribunal retient que :

-        le travailleur n’a consulté un médecin que deux jours après la manifestation première de sa lésion (le 18 août 2011) ;

-        les billets médicaux (par opposition aux formulaires d’Attestation médicale ou de Rapport médical d'évolution prescrits par la CSST) émis à la suite de la consultation et transmis à l’employeur ne font pas mention d’un accident survenu au travail ; au contraire, ils font état d’une « douleur lombaire » que le médecin juge être une « condition personnelle », précisant même qu’il ne s’agit ni d’un accident du travail ni d’une maladie professionnelle ;

-        le travailleur n’a pas déclaré l’accident à son employeur à aucune des occasions qu’il a eues de le faire de façon contemporaine, soit en signant le registre des accidents, le 16 août 2011, ou lors de son entretien téléphonique avec « Léonardo », le 19 août 2011, ou encore lors de son entretien téléphonique avec monsieur Penna, le 22 août 2011 ;

-        l’employeur a appris pour la première fois que le travailleur aurait subi une lésion professionnelle sur réception, entre le 3 et le 6 septembre, d’un formulaire d’Attestation médicale initiale faisant désormais état non pas d’un accident survenu le 16 août 2011, mais bien d’une « rechute d’accident » survenu en 2009 ou en 2010 ;

-        en date du 6 septembre 2011, soit 21 jours après la manifestation de la lésion alléguée professionnelle, le travailleur refusait encore de faire l’inscription requise au registre d’accident tenu par l’employeur ;

-        le témoignage du travailleur s’avère peu fiable à plusieurs égards importants, en raison des nombreuses carences et incongruités qu’il comporte.

[46]        Après une revue exhaustive de la jurisprudence en semblable matière et une analyse approfondie des principes applicables, une formation de trois juges administratifs a rendu une décision[5] portant sur l’application de la présomption légale de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi :

28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 28.

 

 

[47]        Dans cette décision, la Commission des lésions professionnelles a d’abord rappelé qu’« il incombe au travailleur de faire la preuve prépondérante de l’existence des trois conditions d’application »[6] de l’article 28 de la loi précité.

[48]        Amenée à préciser les « éléments factuels » susceptibles d’être pris en considération par le tribunal en vue de déterminer si la preuve des susdites conditions d’application a été offerte ou non, la formation de trois juges administratifs s’exprime comme suit :

[111]    La jurisprudence regorge de décisions qui ont apprécié ces éléments factuels, par exemple le délai à diagnostiquer la blessure, le délai pour déclarer un événement, et l’existence, par exemple, de déclarations contradictoires43. Il s’agit essentiellement d’indices que le tribunal recherche pour décider si les trois conditions d’application de la présomption de l’article 28 de la loi sont démontrées. À titre illustratif, le tribunal aura à apprécier le plus souvent, les éléments suivants en vue d’établir qu’une blessure est arrivée sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail :

 

-     Le moment d’apparition des premiers symptômes associés à la lésion alléguée par le travailleur avec l’événement44.

 

-     L’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première visite médicale où l’existence de cette blessure est constatée par un médecin. On parle alors du délai à diagnostiquer la blessure.

 

-     L’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première déclaration à l’employeur. On parle alors du délai à déclarer les faits.

 

-     La poursuite des activités normales de travail malgré la blessure alléguée.

 

-     L’existence de douleurs ou de symptômes dont se plaint le travailleur avant la date alléguée de la blessure.

 

-     L’existence de diagnostics différents ou imprécis.

 

-     La crédibilité du travailleur (lorsque les versions de l’événement en cause ou les circonstances d’apparition de la blessure sont imprécises, incohérentes, voire contradictoires, ou lorsque le travailleur bonifie sa version à chaque occasion).

 

-     L’existence d’une condition personnelle symptomatique le jour des faits allégués à l’origine de la blessure.

 

[…]

 

[113]    Le tribunal sera amené aussi à scruter le registre des accidents à la disposition des travailleurs, le rapport d’accident sur les formulaires de l’entreprise ou du syndicat, la réclamation du travailleur à la CSST, la version verbale rapportée au supérieur ou à d’autres employés, la version rapportée par le médecin désigné dans son rapport d’expertise médicale, la version inscrite aux notes du médecin traitant lors de la première visite médicale, les notes de triage des services d’urgence des hôpitaux, etc.

 

[114]    Dans ce contexte, la crédibilité de la version du travailleur pourra être scrutée et devra faire l’objet d’une analyse par le tribunal. L’appréciation de la crédibilité des témoignages a souvent été commentée par la jurisprudence du tribunal. L’affaire Houde et Cégep de St-Félicien46 a l’avantage de bien résumer les règles applicables de façon générale à l’appréciation des témoignages :

 

[41]        […] la crédibilité et la fiabilité des témoignages s’évaluent non seulement en fonction du comportement devant le tribunal, mais aussi en fonction de l’appréciation de l’ensemble des circonstances3.

 

[42]        Troisièmement, les facteurs d’appréciation sont les suivants :

 

1.     Les moyens de connaissance du témoin, son sens d’observation, ses raisons de se souvenir, son expérience, la fidélité de sa mémoire et son indépendance par rapport aux parties en cause4;

 

2.     Le témoignage démontré comme faux sur un point, n’amène pas nécessairement le rejet de celui-ci. Par contre, si le témoin se contredit et admet avoir donné une réponse erronée, il y a lieu de rejeter l’ensemble du témoignage sauf s’il y a corroboration de certains faits par une autre preuve5;

 

3.     La somme des contradictions amène des présomptions graves, précises et concordantes quant à la non-crédibilité d’un témoignage.

 

4.     Il existe une différence entre la fiabilité et la crédibilité d’un témoignage, la première servant à établir les faits tels qu’ils se sont produits alors que la crédibilité d’un témoin, bien que non mise en doute, reflète la perception de ce témoin. Ainsi, une personne peut croire avoir vu certains faits, alors que la vérité et la réalité de ces faits sont tout autre. On dira alors que le témoin est crédible, mais que sa version non-fiable [sic].

 

5.     La preuve positive sera préférée à une preuve négative tout comme la preuve testimoniale directe sera privilégiée aux présomptions de fait. Par contre, ces règles ne sont toutefois pas absolues;

 

6.     La corroboration des éléments d’un témoignage n’est pas la règle6. Par contre, lorsque les versions sont contradictoires, la corroboration pourra dans certaines circonstances permettre d’établir la probabilité d’un fait ;

 

7.     Les déclarations antérieures incompatibles d’un témoin avec son témoignage pourront affecter la fiabilité et la crédibilité de ce témoignage. Par contre, les circonstances ayant entouré les déclarations antérieures incompatibles devront être analysées afin de déterminer si elles ont force probantes sur la qualité du témoignage reçu lors de l’audience.

 

[43]        C’est donc sous ces critères que les témoignages reçus ainsi que la preuve documentaire apparaissant au dossier seront évalués.

__________________

3       Banque de Montréal c. Spooner, [1994] R.J.Q. 1388, (C.S.).

4       B.C. c. Dame S.S. [1988] 12 Q.A.C. 266.

5       DUCHARME, Léo, PRÉCIS DE LA PREUVE, 4ième Éd. Para. 509.

6       Banque Nationale du Canada c. Masttracchio, [1962] R.C.S. 53, page 63.

 

[115]    D’ailleurs, dans le cadre des décisions du tribunal qui ont analysé les critères d’appréciation des témoignages, on a souvent référé à une décision d’un tribunal d’arbitrage de grief, soit l’affaire Centre hospitalier Rouyn-Noranda et Syndicat canadien de la fonction publique, section local 31147, qui écrivait :

 

Critères d’appréciation des témoignages

 

                               La preuve faite devant le tribunal est contradictoire. D’un côté, les salariés Royer, Blanchette et Thibodeau reprochent à la plaignante plusieurs actes de brutalité, de rudesse, ou encore l’usage d’un langage grossier ou insultant. De l’autre côté, la plaignante nie avoir posé les actes reprochés, et les salariés Héroux, Gaudette et Champagne, soutiennent pour leur part ne jamais avoir été témoins de tels faits.

 

                               Dans une situation de ce genre, il appartient au tribunal de tenter de déceler où se trouve la vérité, et ce, en utilisant des critères d’appréciation qui sont d’application séculaire.

 

                               Et le premier critère utilisé est celui de la vraisemblance d’une version. En vertu de ce critère, un tribunal d’arbitrage, confronté à deux versions contradictoires, préférera celle qui lui semble la plus vraisemblable.

 

                               Un second critère est fondé sur l’intérêt d’un témoin à rendre témoignage. En vertu de ce critère, un tribunal d’arbitrage devra étudier attentivement, avant de le retenir, le témoignage de celui qui a un intérêt dans un litige, surtout lorsque ce témoignage est contraire à celui rendu par un autre témoin, qui lui n’a aucun intérêt.

 

                               Un troisième critère réside dans l’absence de contradictions sur des points essentiels, entre plusieurs témoins qui relatent le même événement. En fait, on peut concevoir que plusieurs personnes qui vivent un même événement le perçoivent et le racontent différemment, mais de trop nombreuses contradictions, ou encore des contradictions difficilement explicables, sont souvent des indices d’une version non crédible.

 

                               Un quatrième critère est la corroboration. Confronté à deux versions contradictoires, dont l’une est corroborée par un fait incontestable, et dont l’autre ne l’est pas, le tribunal doit préférer la première. La corroboration est une garantie d’authenticité.

 

                               Un cinquième critère, souvent retenu par les arbitres de griefs, veut que l’on préfère normalement le témoignage d’un témoin crédible, qui affirme l’existence d’un fait, au témoignage de celui qui en nie l’existence.

 

 

[116]    Suite à l’exercice d’appréciation du tribunal, celui-ci pourra conclure que les conditions d’application de l’article 28 de la loi ne sont pas satisfaites et que la présomption n’est pas applicable ou encore il décidera que la présomption trouve application en fonction de la prépondérance de la preuve. Voyons maintenant en détail chacune des trois conditions prévues à l’article 28 de la loi.

________________________

43     Reine LAFOND et Stéphanie LORRAIN, Lecorre en bref, vol. 6, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 55 à 57; Hydro-Québec et Labrie, 2011 QCCLP 194; Carroll et Station touristique Stoneham, 2011 QCCLP 2232.

44     Tremblay et C.H. affilié universitaire de Québec, AZ-50271234; Mélançon et Société de la Faune et des Parcs du Québec, AZ-50334179; Pointe-Nor inc. (Gravier) et Drolet, AZ-50313613; Nguyen et Foam Création inc., 2007 QCCLP 1800; Synnott et Construction Garnier ltée, 2008 QCCLP 2107; Raymond et Québec (Ville de), 2010 QCCLP 9099.

46     AZ-50347617.

47     Centre hospitalier Rouyn-Noranda et Syndicat canadien de la fonction publique, local 311 (Brigitte Cloutier), SA8607040, 26 juin 1986, M. Boisvert.

 

[Nos soulignements]

 

 

 

[49]        Appliquant ces principes à l’espèce sous étude, le tribunal en vient à la conclusion que le travailleur n’a pas satisfait à son fardeau de prouver l’existence des conditions d’application de l’article 28 de la loi et que, par conséquent, la présomption de lésion professionnelle ne trouve pas application dans le présent cas.

[50]        Ne bénéficiant pas de la présomption légale de lésion professionnelle, le travailleur devait faire la démonstration requise par l’article 2 de la loi pour voir sa réclamation acceptée :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

[51]        Pareille démonstration requiert, en premier lieu, la preuve de la survenance d’un événement imprévu et soudain, en l’occurrence le 16 août 2011 aux environs de 03 h 00.

[52]        Les déclarations du travailleur, à l’époque la plus contemporaine de la lésion alléguée (les 1er et 10 septembre 2011), font état de l’apparition - sans plus - de douleurs au dos.  De même, à l’audience, il relate l’apparition de douleurs : « comme un étirement ».

[53]        Certes, le travailleur allègue que ces douleurs sont apparues au moment où il accomplissait une tâche dans le cadre de son travail : il s’apprêtait à déposer sur une pile une boîte pesant entre 17 et 19 kilogrammes qu’il tenait entre ses mains.

[54]        Mais, comme l’a rappelé la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Bossé et Atelier Gérard Laberge inc.[7], « c’est l’événement qui doit pouvoir être qualifié d’imprévu et de soudain et non ses conséquences - ce n’est pas la douleur, la lésion ou la pathologie qui doit être imprévue et soudaine, mais bien l’événement qui la cause ».

[55]        L’apparition - fut-elle soudaine et imprévue - d’une douleur au travail ne constitue pas en soi l’« événement imprévu et soudain » dont parle la loi[8] ; elle ne signifie pas nécessairement, non plus, que le travailleur a subi une lésion professionnelle[9].

[56]        Ici, le travailleur ne rapporte pas de fausse manœuvre, de secousse ou d’arrêt brusque, d’élan prononcé, d’amplitude extrême, de position contraignante ou encore d’effort inhabituel ou soutenu.  Le mouvement mimé devant le tribunal est accompli de manière fluide, sans précipitation, sans accélération soudaine ni accrochage.

[57]        De plus, en outre des carences signalées précédemment dans le témoignage du travailleur, il convient de souligner que ce dernier est contredit dans sa description du soi-disant fait accidentel, et ce, sur un point important.

[58]        En effet, le travailleur témoigne qu’aussitôt la douleur apparue, il « a laissé tombé la boîte » qu’il tenait alors entre ses mains.

[59]        Or, entendu à la demande du travailleur, le témoin Sofiane Moussaoui affirme, au contraire, avoir vu le travailleur d’abord « déposer » la boîte sur la palette et s’être ensuite « tenu le dos ».  Le travailleur lui aurait alors dit : « J’ai mal au dos - remplace moi, le temps que l’autre "padlo" (emballeur) revienne ».

[60]        Ainsi, sur le fin détail de « l’événement », le témoignage du travailleur est contredit, plutôt que corroboré, par le seul témoin présent à ce moment-là.

[61]        Et puis, bien sûr, il y a les documents E-2 et E-3 émis par le premier médecin consulté les 18 et 23 août 2013 qui, pour les raisons explicitées précédemment,  laissent planer un sérieux doute sur la valeur probante de la version que donne maintenant le travailleur, par opposition à ses déclarations contemporaines à la lésion alléguée.

[62]        En somme, compte tenu de l’ensemble de la preuve, il est probable que le travailleur se soit plaint d’un malaise au dos, dans la nuit du 15 au 16 août 2011, mais cela sans qu’aucun événement imprévu et soudain ne se soit produit.  Le travailleur lui-même n’en a fait nulle mention.

[63]        Ainsi, le présent cas présente une certaine similarité avec l’affaire Centre Hospitalier des Laurentides et Commission d’appel en matière de lésions professionnelles[10] où la Cour d’appel déclarait ce qui suit :

J’estime, avec égards, qu’était totalement absente la preuve d’un événement imprévu et soudain

 

Certes, l’entorse lombaire était imprévue mais ce n’est que la conséquence médicale d’un geste ou d’une situation qui lui et elle ne furent pas imprévus et soudains.

 

Il fut manifestement déraisonnable pour la C.A.L.P. de conclure à un accident du travail.

 

[64]        De toute façon, pour permettre au tribunal de conclure à l’existence d’un accident du travail, il faut aussi que le travailleur démontre, par une preuve prépondérante, que l’« événement » survenu a « entraîné » la lésion alléguée professionnelle.  C’est ce qu’il est convenu d’appeler la preuve du lien de causalité.

[65]        Le travailleur n’a présenté aucune preuve d’ordre médical à ce sujet.

[66]        De fait, même le docteur Appletauer n’accrédite pas cette thèse, puisqu’il a pris la peine de spécifier dans la pièce E-3 qu’il n’y avait, dans le présent cas, « pas d’accident du travail ».

[67]        La preuve présentée par l’employeur sur le sujet est demeurée non contredite.  Dans son Rapport complémentaire du 30 mars 2012 déposé comme pièce E-1, le docteur Jean Rousseau écrit que « dans le cas de monsieur Slimane Hafsi, l’événement traumatique décrit est quant à nous incompatible avec un tableau d’entorse lombaire ».

[68]        En plaidoirie, la procureure du travailleur a, de surcroît, soutenu que le travailleur s’était blessé en exerçant une tâche (celle d’emballeur) autre que la sienne et qu’en devant « couvrir deux postes à la fois », il avait été confronté momentanément à des conditions de travail exceptionnellement exigeantes, lesquelles équivalaient à la notion élargie de l’« événement imprévu et soudain » dont parle la loi.

[69]        Dans l’affaire Précibois et Brisebois[11], la Commission des lésions professionnelles a statué que « pour reconnaître qu'une surcharge de travail, une modification de tâches ou des conditions de travail inhabituelles peuvent être assimilées à un événement imprévu et soudain, il doit y avoir un changement majeur et une situation qui sorte véritablement de l'ordinaire par rapport au travail habituel ».

[70]        Rien dans la preuve administrée ne démontre que tel fut le cas en l’espèce.

[71]        Au contraire, le travailleur lui-même déclare qu’il entrait dans ses attributions d’opérateur de machine d’aller remplacer quiconque devait s’absenter momentanément pendant la production.  Le remplacement ponctuel qu’il a fait durant la nuit du 15 au 16 août 2011 ne sortait donc pas véritablement de son ordinaire professionnel.  De plus, il va de soi que, pendant qu’il jouait le rôle de l’emballeur, le travailleur n’accomplissait pas en même temps ses fonctions d’opérateur.

[72]        Le travailleur n’a donc pas prouvé avoir été confronté, au cours de la nuit du 15 au 16 août 2011, à un contexte de travail à ce point particulier qu’il soit assimilable à l’événement imprévu et soudain dont parle la loi.

[73]        Pour tous ces motifs, le tribunal en vient à la conclusion que le travailleur n’a pas démontré avoir subi une lésion professionnelle résultant d’un accident du travail qui serait survenu le 16 août 2011.

[74]        Le travailleur a aussi évoqué l’hypothèse d’une récidive, rechute ou aggravation (RRA), soit d’une « reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence » de la lésion professionnelle initiale de 2009 « ou de ses symptômes ».

[75]        Comme la Commission des lésions professionnelles l’a rappelé dans l’affaire Beauchamp et Inspec-Sol inc.[12], pareille définition « implique nécessairement qu’il y ait modification de la condition de santé du travailleur par comparaison avec la situation prévalant au moment de la dernière consolidation de la lésion et que celle-ci en découle ».

[76]        Pour fins de commodité, on peut regrouper les concepts de « récidive », « rechute » et « aggravation » sous le vocable générique de « modification de l’état de santé » du travailleur. Les allégations de ce dernier, si sincères soient-elles[13], ne suffisent cependant pas, à elles seules, pour en faire la démonstration prépondérante[14] ; une preuve d’ordre médical est requise[15].

[77]        Aux termes de la jurisprudence élaborée par la Commission des lésions professionnelles, pour obtenir la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation, la partie requérante doit donc prouver chacun des deux éléments distincts suivants, à savoir :

-       Un changement dans son état de santé, soit que celui-ci au moment de sa récidive, rechute ou aggravation alléguée est différent de celui qui existait au moment de la dernière consolidation[16] d’une lésion antérieure[17], étant entendu que « la simple persistance du tableau clinique » originaire « n’est pas suffisante »[18] et que « la chronicité d’un état ne peut constituer une récidive, rechute ou aggravation »[19] ;

-       L’existence d’un lien de causalité[20] unissant la RRA à l’événement initial[21], à ses conséquences[22] ou à la lésion professionnelle qui en a résulté[23] et les conséquences de cette dernière[24], étant entendu qu’à cet égard ni la CSST ni le tribunal ne sont liés par l’opinion du médecin traitant[25].

[78]        La jurisprudence[26] a identifié certains paramètres permettant de conclure à l’existence ou non du lien de causalité requis, soit: 1- la gravité de la lésion initiale ; 2- la continuité de la symptomatologie ; 3- l'existence ou non d'un suivi médical ; 4- le retour au travail, avec ou sans limitations fonctionnelles ; 5- la présence ou l'absence d'une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ; 6- la présence ou l'absence d’une condition personnelle ; 7- la compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la récidive, rechute ou aggravation avec la nature de la lésion initiale ; 8- le délai entre la récidive, rechute ou aggravation et la lésion initiale ; 9- la similitude du site des deux lésions ; 10- la similitude des diagnostics.  Aucun de ces paramètres n'est à lui seul décisif, mais, pris ensemble, ils peuvent aider à décider du bien-fondé d'une réclamation.

[79]        Ces paramètres ne sont que des outils élaborés par la jurisprudence et mis à la disposition du décideur pour faciliter son analyse de la réclamation dont il est saisi.  Ils ne sont pas incorporés au texte législatif.  Par conséquent, il n’est pas impératif d’avoir recours à tous ni même à l’un quelconque d’entre eux[27].  L’essentiel est de déterminer si la lésion professionnelle initiale ou ses conséquences expliquent la récidive, rechute ou aggravation alléguée par un lien de cause à effet[28].

[80]        Autrement dit, la preuve offerte doit démontrer un rapport entre la lésion initiale et la récidive, rechute ou aggravation alléguée « de telle sorte que la première explique la seconde ». La condition prévalant lors de la récidive, rechute ou aggravation « doit découler plus probablement de la lésion première que de toute autre cause»[29].

[81]        Le travailleur n’a tout simplement pas fait la démonstration requise.  Il s’est contenté de référer au contenu de l’Attestation médicale initiale du 1er septembre 2011, laquelle a été émise par le docteur Appeltauer dans le contexte bien particulier que l’on connaît.

[82]        En effet, après avoir d’abord catégoriquement nié la survenance d’un accident du travail de même que la présence d’une maladie professionnelle, le docteur Appletauer finit par endosser le nouveau scenario mis de l’avant par le travailleur, soit celui de la « rechute », en 2011, d’une entorse lombaire (ou dorsolombaire) survenue en 2009.

[83]        Or, selon les réponses finalement obtenues du travailleur en contre-interrogatoire, cette entorse de 2009 fut si banale qu’elle n’a entraîné aucune absence du travail et qu’elle n’a même pas justifié le dépôt d’une réclamation en vertu de la loi[30].

[84]        Ainsi, bien qu’un formulaire d’Attestation médicale initiale ait été émis le 6 décembre 2009 et un autre de Rapport médical d'évolution ait été rempli le 3 février 2010, aucune lésion professionnelle n’a été reconnue en rapport avec un événement qui se serait produit le 4 décembre 2009.

[85]        En l’absence de la preuve d’une lésion professionnelle initiale subie antérieurement, il ne peut y avoir reconnaissance d’une RRA[31].

[86]        De toute façon, même s’il fallait prendre pour acquis qu’une lésion professionnelle a bel et bien été reconnue en rapport avec un événement survenu en décembre 2009, le travailleur n’a pas présenté la preuve exigée par la jurisprudence pour démontrer que sa condition, en août 2011, était reliée à celle de 2009.

[87]        L’hypothèse d’une RRA doit donc, elle aussi, être écartée.

[88]        Enfin, le travailleur n’allègue pas - et encore moins ne prouve - être atteint d’une maladie professionnelle.

[89]        Toute la preuve administrée étant prise en compte, force est de conclure que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle.

[90]        Lors de la deuxième journée d’enquête et audition, la procureure du travailleur s’est objectée à l’admissibilité en preuve des pièces E-7, E-15 et E-16 proposées par l’employeur, au motif de leur non-pertinence à l’objet de la contestation dont le tribunal est saisi.  Alternativement, elle a fait valoir que, si la pièce E-16 était reçue en preuve, alors le tribunal devrait aussi recevoir la pièce T-2.  Le procureur de l’employeur s’est pour sa part objecté à l’admissibilité en preuve de la pièce T-2, alléguant que celle-ci n’est pas pertinente au litige.

[91]        Après avoir entendu les représentations des deux procureurs, le tribunal a avisé les parties qu’il permettait le dépôt desdites pièces sous réserve de disposer des objections soulevées, dans la présente décision, après avoir entendu toute la preuve.

[92]        Il appert de la présente décision qu’aucune desdites pièces E-7, E-15, E-16 et T-2 ne s’est avérée utile à la solution du litige.  Il n’y a donc pas lieu de statuer sur leur recevabilité en preuve.

[93]        La contestation n’est pas fondée.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Slimane Hafsi, le travailleur ;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 1er novembre 2011, à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle.

 

 

__________________________________

 

Jean-François Martel

 

 

 

 

Me Kim Bergeron

T.U.A.C. (LOCAL 501)

Procureure du travailleur

 

 

Me Claude J. Denis

DEVEAU, BOURGEOIS & ASS.

Procureur de l’employeur

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Reproduite dans un formulaire de Réclamation du travailleur (par téléphone), aux pages 9 et 10 du dossier constitué.

[3]           Il s’avère que l’événement de 2009 dont il est question fait référence à un épisode de douleur lombaire [des diagnostics d’« entorse lombaire » et d’« entorse dorso-lombaire » ont été posés] qui n’a entraîné aucun arrêt de travail et à la suite duquel aucune réclamation n’aurait été déposée en vertu de la loi.  Pour ce qui est de l’événement de 2010, il se serait possiblement agi d’une « lacération au doigt ».

[4]           La lésion sera déclarée consolidée en date du lendemain, 2 septembre 2011, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles, par le docteur Pierre Paquette, dans le formulaire de Rapport final qu’il remplit lors d’une visite du travailleur en date du 3 septembre 2011.  Le diagnostic consigné est celui d’« entorse lombaire » ; un « retour au travail le 2 sept » est prescrit.

[5]           Boies et C.S.S.S. Québec-Nord et CSST, 2011 QCCLP 2775.

[6]           Idem, au paragraphe 92.

[7]           C.L.P. 333544-62A-0711, 24 février 2009, M. Auclair, (08LP-276).  Voir au même effet : Charron et Centre de santé et des services sociaux de Rimouski-Neigette, 2013 QCCLP 48 ; Harvey et Citoyennete & Immigration Canada et RHDCC, 2012 QCCLP 2829 ; Service de Pneus Jobidon, Prince Craft, Fix Auto Ste-Anne et Côté, 2011 QCCLP 7093 ; Germain Larivière 1970 ltée et Desnoyers, 2008 QCCLP 3419 ; Les Industries April inc. et Palumbo, C.L.P. 214805-71-0308, 12 octobre 2006, G. Morin, (06LP-139) ; Centre de protection et de réadaptation de la Côte-Nord et Lefrançois, [2004] C.L.P. 536 ; Ville de Thetford-Mines c. CALP, [1994] C.A.L.P. 414 (C.S.) ; Hydro-Québec c. CALP, [1992] C.A.L.P. 1106 (C.S.), appel accueilli sur un autre motif, [1992] C.A.L.P. 1241, (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 4 mars 1993 (23263); Chaput c. S.T.C.U.M., [1992] C.A.L.P. 1253 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 4 mars 1993, (23265).

[8]           Le Clan Panneton (1993) inc. et Green, 2013 QCCLP 3865.

[9]           Roy et Services ménagers Roy ltée, C.L.P. 259044-61-0504, 29 juillet 2005, L. Nadeau.  Voir aussi : C.H. Université de Montréal et Tremblay, 2013 QCCLP 2842.

[10]         [1992] C.A.L.P. 1114, requête pour autorisation de pourvoi à la Cour Suprême rejetée, 4 mars 1993 (23270).

[11]         C.L.P. 218871-08-0310, 8 juin 2006, Monique Lamarre, (06LP-51).  Voir aussi : Harvey et S.S.Q. Société d’Assurance-vie inc., 203 QCCLP 3260 ; Paquin et I.B.M. Canada Ltée, 2013 QCCLP 1226 ; Dumoulin et Société canadienne des postes, 2011 QCCLP 6485 ; Campeau et Centre de réadaptation Lisette Dupras, C.L.P. 212895-72-0307, 28 février 2005, D. Lévesque, (04LP-293).

[12]         [2009] C.L.P. 93.

[13]         Loiselle et Brasserie La Seigneurie, C.A.L.P. 89782-05-9707, 23 février 1998, B. Lemay.

[14]         Belleau-Chabot et Commission scolaire Chomedey de Laval, [1995] C.A.L.P. 1341.

[15]         Sorel c. CLP, C.S. Montréal, 500-05-074874-023, 13 février 2003, j. Frappier ; Dubé et Entreprises du Jalaumé enr., C.L.P. 380599-01A-0906, 21 septembre 2009, G. Tardif, (09LP-112); Aspamill inc. et Cloutier, C.L.P. 321354-63-0706, 8 décembre 2009, J.-P. Arsenault.

[16]         Beauchamp et Inspec-Sol inc., précitée à la note 12.  Voir aussi : Côté et Alkinco inc., 2011 QCCLP 5185 ; Savard et Centre des services partagés Québec, 2011 QCCLP 3109 ; Loignon et Industries Canatal inc. (Usine), 2011 QCCLP 63.

[17]         Dugas et Éti Canada inc., C.L.P. 295326-01C-0607, 30 décembre 2009, L. Desbois.

[18]         Bélanger et Commission scolaire des Rives-Du-Saguenay, C.L.P. 325045-02-0708, 10 mars 2008, G. Morin.  Voir aussi : Castonguay et Pretium Canada Co., 2008 QCCLP 5482 ; St-Pierre et Gestion Deniso Lebel inc., C.L.P. 210684-01A-0306, 11 juin 2004, L. Langlois ; Pratte et Viasystems Canada inc., C.L.P. 246524-62B-0410, 5 décembre 2005, N. Blanchard.

[19]         Fontaine et Knirps Canada inc. (fermé), C.L.P. 263575-61-0506, 10 janvier 2007, S. Di Pasquale, (07LP-195) ; Rancourt et Pointe-Nor inc., C.L.P. 301952-08-0610, 3 juin 2009, P. Prégent.

[20]         Lanthier et Au Printemps Gourmet, C.L.P. 307560-64-0612, 26 octobre 2007, J. David.

[21]         Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P. 19 ; D... D... et Compagnie A, C.L.P. 400383-31-1001, 28 octobre 2010, M. Beaudoin.

[22]         Succession de René Massé et Commission hydroélectrique de Québec, C.L.P. 228580-71-0403, 10 juin 2005, L. Crochetière, (05LP-58).

[23]         Rivest et Star Appetizing Products inc., C.L.P. 175073-61-0112, 7 juillet 2003, J.-F. Martel, révision rejetée, 7 avril 2004, L. Nadeau, (04LP-24) ; Otis et Maax Laval (Division Cuisine Expert), C.L.P. 269240-61-0508, 30 octobre 2006, L. Nadeau, (06LP-181) ; Lanthier et Au Printemps Gourmet, C.L.P. 307560-64-0612, 26 octobre 2007, J. David ; Mondor et Hyundai de Châteauguay, C.L.P. 320355-62C-0706, 20 mars 2008, R. Hudon ; Millette et Teinturiers Élite inc., C.L.P. 341126-04B-0802, 6 juin 2008, M. Watkins ; Guérard et Service de police de la Ville de Montréal, C.L.P 329286-61-0710, 21 juillet 2008, G. Morin, (08LP-98) ; E... L... et Compagnie A, C.L.P. 321039-64-0706, 10 novembre 2008, M. Montplaisir, (08LP-191) ; Chiasson et ThyssenKrupp Materials CA ltd., C.L.P. 418803-63-1008, 25 novembre 2010, P. Bouvier.

[24]         Cadoret et Quincaillerie R. Durand, C.L.P. 250935-03B-0412, 27 avril 2006, C. Lavigne, (06LP-19), révision rejetée, 29 novembre 2006, G. Tardif, (06LP-223) ; Foster et Bar routier chez Zac, C.L.P. 276783-03B-0511, 26 mai 2006, R. Savard, (06LP-54).

[25]         Périard et Raymond Chabot & associés, C.L.P. 115872-07-9904, 14 novembre 2001, D. Martin (décision accueillant la requête en révision) ; Bissonnette et Gérald Robitaille & associés, C.L.P. 168535-03B-0109, 2 octobre 2002, P. Simard (décision sur requête en révision) ; Comeau et Rest. Nouvelle Chine dorée inc., C.L.P. 168930-61-0109, 18 octobre 2002, L. Nadeau, (02LP-115) (décision accueillant la requête en révision), requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Laval, 540-05-006970-028, 27 mai 2003, j. Piché ; Lafontaine et C.H.-C.H.S.L.D. de Papineau, C.L.P. 170168-07-0110, 27 août 2003, N. Lacroix, (03LP-139) (décision accueillant la requête en révision) ; Lagarde c. CLP, [2004] C.L.P. 1846 (C.S.) ; CSST c. Bélair, C.A. Montréal, 500-09-014207-047, 28 mai 2004, jj. Mailhot, Baudouin, Pelletier, (04LP-49).

[26]         Boisvert et Halco inc., précitée à la note 21, maintes fois citée avec approbation dans les décisions ultérieures, lesquelles ont d’ailleurs ajouté les deux derniers paramètres de l’énumération.

[27]         Dubois et C.H.S.L.D. Biermans-Triest, C.L.P. 234432-62-0405, 19 mars 2007, B. Roy (décision sur requête en révision); Doré et Rollerball, C.L.P. 355595-71-0807, 15 septembre 2010, Monique Lamarre (décision sur requête en révision).

[28]         Lanthier et Au Printemps Gourmet, précitée à la note 23.

[29]         Rivest et Star Appetizing Products inc., précitée à la note 23.

[30]         Cette information est d’ailleurs conforme à ce qui est mentionné à la dernière phrase de la note évolutive consignée au dossier le 9 septembre 2011 à 14 :19 :23 heures.

[31]         Hôpital Maisonneuve-Rosemont et Tremblay, 2012 QCCLP 1551 ; Guérin et CSST, C.L.P. 142419-62C-0005, 27 novembre 2000, M. Sauvé ; Latoures et Saima maçonnerie inc., C.A.L.P. 82334-64-9608, 17 octobre 1997, M. Duranceau.

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