Papin et Ferme Francel enr., s.n.c.

2008 QCCLP 2370

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette

18 avril 2008

 

RĂ©gion :

Lanaudière

 

Dossier :

318223-63-0705

 

Dossier CSST :

115560831

 

Commissaire :

Me Jean-Pierre Arsenault

 

Membres :

Mme Francine Melanson, associations d’employeurs

 

M. Robert P. Morissette, associations syndicales

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

Bruno Papin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Ferme Francel enr. (Snc)

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Après examen et audition et après avoir reçu l'avis des membres, la Commission des lĂ©sions professionnelles rend la dĂ©cision suivante.

[2]                Le 23 mai 2007, monsieur Bruno Papin (le travailleur) dĂ©pose Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles une requĂŞte par laquelle il conteste une dĂ©cision rendue par la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail (la CSST) le 9 mai 2007, Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative.

[3]                Par cette dĂ©cision, la CSST confirme, pour un autre motif, celle initialement rendue le 26 fĂ©vrier 2007, et dĂ©clare que l’achat et l’installation d’un robot de traite ne peuvent ĂŞtre autorisĂ©s puisqu’il s’agit d’une tâche que le travailleur ne doit pas faire dans le cadre de son emploi convenable.

[4]                Le 10 mars 2008, la Commission des lĂ©sions professionnelles (le tribunal) tient une audience Ă  Joliette Ă  laquelle assistent le travailleur, son procureur et monsieur Marcel Papin, le reprĂ©sentant de Ferme Francel enr. (Snc) (l’employeur).

 

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[5]                Le travailleur demande au tribunal de modifier son plan individualisĂ© afin de lui permettre de faire l’acquisition et l’installation d’un robot de traite.

[6]                Selon lui, cette modification est rendue nĂ©cessaire au maintien de son emploi chez l’employeur.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[7]                ConformĂ©ment Ă  la loi, le soussignĂ© a requis et obtenu l’avis des membres qui ont siĂ©gĂ© avec lui sur les questions soumises au tribunal ainsi que les motifs de leur avis.

[8]                La membre issue des associations d’employeurs est d’avis que la requĂŞte du travailleur devrait ĂŞtre rejetĂ©e et que la dĂ©cision de la CSST rendue le 9 mai 2007, Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative, devrait ĂŞtre confirmĂ©e.

[9]                Selon elle, le plan individualisĂ© de rĂ©adaptation mis en Ĺ“uvre par la CSST, Ă  la suite de la lĂ©sion professionnelle du travailleur, n’a pas Ă  ĂŞtre modifiĂ©. Elle estime que la CSST a fait ce qu’elle avait Ă  faire Ă  l’époque de la dĂ©termination de ce plan. Le travailleur s’est vu dĂ©terminer l’emploi convenable de journalier de ferme qu’il exerce encore et qu’il peut continuer Ă  exercer. La seule raison qui justifie la modification demandĂ©e par le travailleur est reliĂ©e au fait que la personne, qui exerce l’une des activitĂ©s qu’il n’est pas en mesure d’exercer en raison des limitations fonctionnelles rĂ©sultant de sa lĂ©sion professionnelle, a dĂ©cidĂ© de quitter l’entreprise pour prendre sa retraite.

[10]           Le membre issu des associations syndicales est plutĂ´t d’avis d’accepter la requĂŞte du travailleur, d’infirmer la dĂ©cision rendue par la CSST le 9 mai 2007, Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative, et de modifier le plan individualisĂ© qui a conduit Ă  la dĂ©termination de l’emploi convenable de journalier de ferme afin de lui permettre d’exercer toutes les tâches qu’il exerçait avant la survenance de sa lĂ©sion professionnelle.

[11]           Il estime que la demande du travailleur n’est ni capricieuse, ni frivole. L’emploi convenable de journalier de ferme a Ă©tĂ© dĂ©terminĂ© dans un contexte oĂą les membres de la famille du travailleur pouvaient supplĂ©er aux tâches qu’il ne pouvait plus exercer en raison des limitations fonctionnelles rĂ©sultant de sa lĂ©sion. Ces personnes ne pouvant plus supplĂ©er Ă  la situation dĂ©coulant de sa lĂ©sion, la modification de son plan individualisĂ© de rĂ©adaptation, par l’achat et l’installation d’un robot de traite, lui permettrait de reprendre, Ă  toutes fins pratiques, l’emploi qu’il occupait au moment de sa lĂ©sion plutĂ´t que de continuer Ă  exercer l’emploi convenable dĂ©jĂ  dĂ©terminĂ©.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[12]           Le tribunal doit dĂ©terminer s’il doit faire droit Ă  la requĂŞte du travailleur et modifier le plan individualisĂ© que la CSST a mis en Ĺ“uvre pour lui permettre d’exercer l’emploi convenable de journalier de ferme.

[13]           Le 8 septembre 1998, le travailleur, alors âgĂ© de 20 ans et travailleur agricole au service de l’employeur, est victime d’une lĂ©sion professionnelle au cours de laquelle il est gravement blessĂ© Ă  la jambe droite.

[14]           Il devra ĂŞtre amputĂ© de cette jambe au niveau du tiers proximal du fĂ©mur.

[15]           Le travailleur conserve de sa lĂ©sion d’importantes sĂ©quelles : un dĂ©ficit anatomo-physiologique de 80 % pour une atteinte permanente Ă  l’intĂ©gritĂ© physique de 108 % et des limitations fonctionnelles qui l’ont empĂŞchĂ© de reprendre son mĂ©tier de travailleur agricole.

[16]           Ces limitations fonctionnelles sont les suivantes : Ă©viter de travailler dans une position accroupie; Ă©viter de soulever, porter, pousser, tirer de façon rĂ©pĂ©titive ou frĂ©quente, des charges dĂ©passant 15 kg; Ă©viter d’effectuer des mouvements rĂ©pĂ©titifs ou frĂ©quents avec effort de l’articulation de la hanche droite; Ă©viter de rester debout plusieurs heures; Ă©viter de monter frĂ©quemment plusieurs escaliers; et Ă©viter de travailler dans une position instable, tel que travailler dans les Ă©chelles et les Ă©chafaudages.

[17]           L’évaluation des capacitĂ©s de travail rĂ©alisĂ©e Ă  la demande de la CSST par monsieur Claude Bougie, ergothĂ©rapeute, le 7 mars 2000, dĂ©crit les tâches qu’il est encore capable d’exercer et le contexte professionnel dans lequel il doit Ĺ“uvrer :

 

4.   Caractéristiques de l’emploi de journalier de ferme

 

 

Tel que mentionné lors de l’évaluation du poste de travail réalisée le 6 mai 1999[1], l’emploi de journalier de ferme se divise en deux secteurs. Une partie de la tâche s’effectue au niveau de la grange et une autre au niveau des champs.

 

Au niveau de la grange, le journalier doit assumer les tâches reliées à la traite des animaux (120 vaches laitières). Il doit préparer les animaux en vue de la traite, appliquer les mesures d’hygiène requises, installer les trayeuse automatiques, pelleter le foin ou les débris entourant les animaux et les enclos, préparer la moulée et effectuer d’autres travaux généraux comme descendre le foin et ensiler. Le travail au niveau de la grange implique des déplacements avec des charges lourdes, des mouvements de flexion du tronc pour atteindre les charges ou pour installer les trayeuses, des positions accroupies. Ce travail implique également d’utiliser des échelles pour se rendre au niveau supérieur de la grange.

 

Au niveau du travail dans les champs, le travailleur opère la machinerie requise pour le travail de la terre et des récoltes. Le travail aux champs s’effectue sur divers sites. Ce travail implique des déplacements sur terrain accidenté. Cette partie de tâche permet une plus grande flexibilité de gestion de l’horaire.

 

Le travailleur complète des travaux d’entretien et réparation de l’équipement en utilisant des appareils de levage. Il travaille aussi au niveau d’un établi pour compléter certaines réparations ou directement sur la machinerie. De plus, le travailleur effectue des travaux de déneigement avec la machinerie de la ferme en période hivernale.

 

 

 

5.   COMMENTAIRES ET RECOMMANDATIONS

 

 

M. Papin a bien collaboré à cette brève évaluation fonctionnelle. Lors de nos rencontres, le travailleur arrivait directement de son travail où il avait accompli ses tâches régulières qui respectent ses capacités. Le travailleur nous fait part qu’il ne peut compléter les tâches reliées au secteur de la grange à cause des difficultés à se déplacer avec des charges lourdes et sa difficulté à travailler en position accroupie ou penchée. Nous avons effectivement pu objectiver ces difficulté en clinique. Il complète des tâches de pelletage, de préparation de moulée au niveau de la grange. Il travaille surtout au niveau des champs et de la réparation et entretien de la machinerie. Son travail implique notamment, des déplacements sur terrain accidenté ou glissant lorsqu’il travaille au champs et le travailleur réussit à compléter ces déplacements.

 

Nous retenons, suite à la présente évaluation, que le travailleur présente des limitations fonctionnelles objectivées. Il doit porter sa prothèse pour compléter la plupart de ses déplacements et travaux de la ferme. Il est limité dans la réalisation de certaines tâches à cause de son incapacité à travailler en position accroupie, sa difficulté à soulever et à se déplacer avec des charges lourdes. Sa condition rend également précaire l’utilisation d’échelle et d’échafaudage. Il ne peut travailler en position instable.

 

 

La rĂ©vision des capacitĂ©s du travailleur[2] dans la rĂ©alisation actuelle de ses activitĂ©s de travail et lors des mises en situation, nous permet donc de conclure que M. Papin prĂ©sente des limitations fonctionnelles qui se liraient comme suit :

 

-     éviter de soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente, des charges dépassant 15 kg;

-     éviter d’effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents avec effort de l’articulation de la hanche droite;

-     éviter de rester debout plusieurs heures;

-     éviter de monter fréquemment plusieurs escaliers;

-     éviter de travailler dans une position instable; (échelles, échafaudage)[3]

 

En ce qui concerne l’emploi de journalier de ferme, nous devons conclure que le travailleur ne peut complĂ©ter toutes les tâches reliĂ©es Ă  cet emploi car il ne peut complĂ©ter certains travaux au secteur de la grange. Il rĂ©ussit cependant Ă  travailler Ă  temps complet en effectuant les autres tâches dans les autres secteurs : aux champs, au dĂ©neigement et Ă  l’entretien et rĂ©paration.

 

[sic]

 

(Je souligne)

 

 

[18]           Par contre, le travailleur prĂ©tend que si l’ensemble des postes de travail sur lesquels il exerçait ses tâches de travailleur agricole, emploi qu’il occupait avant la survenance de sa lĂ©sion professionnelle, avait Ă©tĂ© adaptĂ©, il aurait sans doute pu continuer Ă  l’exercer.

[19]           La ferme familiale est une ferme laitière et de culture du maĂŻs. Le troupeau de vaches en compte 60.

[20]           C’est son père qui s’occupe des activitĂ©s reliĂ©es Ă  la traite des vaches depuis la survenance de la lĂ©sion professionnelle du travailleur. Le travailleur n’est pas en mesure de les rĂ©aliser parce qu’il ne peut se dĂ©placer avec des charges lourdes ni travailler en position accroupie ou penchĂ©e.

[21]           Ces activitĂ©s s’exercent deux fois par jour, soit l’avant-midi, de 6 h Ă  11 h, soit en fin de journĂ©e, de 18 h Ă  20 h 30. La traite du matin est plus longue parce qu’elle est jumelĂ©e au nettoyage de l’étable.

[22]           Dans les prochains mois, son père, qui est copropriĂ©taire de la ferme avec le travailleur et certains autres membres de la famille, prendra sa retraite.

[23]           Ă€ l’audience, le travailleur a dĂ©crit son cheminement professionnel. Il a commencĂ© Ă  travailler sur la ferme Ă  l’âge de 12 ans. Il dit avoir Ă©prouvĂ© des difficultĂ©s d’ordre scolaire de sorte qu’il n’a complĂ©tĂ© que la troisième annĂ©e du cours secondaire. Comme il apprĂ©ciait les travaux de la ferme, il a donc choisi d’y travailler. Ses parents ont reconnu cet intĂ©rĂŞt en lui offrant un mode d’acquisition de l’entreprise. Dans les jours suivant l’audience, il s’apprĂŞtait Ă  signer une entente par laquelle il devenait copropriĂ©taire de la ferme dans une proportion de 25 %.

[24]           MalgrĂ© la sĂ©vĂ©ritĂ© de l’atteinte permanente Ă  l’intĂ©gritĂ© physique et des limitations fonctionnelles qu’il conserve de sa lĂ©sion professionnelle, il ne se voyait pas travailler ailleurs que sur la ferme familiale. C’est la raison pour laquelle un emploi de journalier de ferme a Ă©tĂ© dĂ©terminĂ© Ă  titre d’emploi convenable.

[25]           La preuve dĂ©montre toutefois que ce sont davantage les efforts consacrĂ©s par le travailleur Ă  sa rĂ©insertion professionnelle qui ont permis de dĂ©finir l’emploi convenable qu’il occupe aujourd’hui que le processus de rĂ©adaptation mis en Ĺ“uvre Ă  la suite de l’exercice de son droit Ă  la rĂ©adaptation.

[26]           Comme il ne peut, en raison de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles qui rĂ©sultent de son accident du travail, assurer la traite des vaches, le dĂ©part Ă  la retraite de son père constitue pour lui une difficultĂ© importante. Il devra, s’il veut conserver sa participation dans l’entreprise familiale et assurer la poursuite de la vocation de la ferme, pallier l’absence de son père et l’incapacitĂ© attribuable Ă  sa lĂ©sion professionnelle.

[27]           La solution envisagĂ©e par le travailleur consiste Ă  obtenir la modification de son plan individualisĂ© de rĂ©adaptation afin de procĂ©der Ă  l’acquisition et Ă  l’installation d’un robot de traite, ce qui lui permettrait d’assurer la traite des vaches sans qu’il ait Ă  travailler en position accroupie.

[28]           Le robot de traite exerce de façon autonome toutes les activitĂ©s reliĂ©es Ă  la traite des vaches : il voit Ă  l’hygiène du pis de la vache, dĂ©tecte de façon immĂ©diate les maladies affectant la mamelle, met la trayeuse en marche et nourrit la bĂŞte.

[29]           Cet Ă©quipement permettrait au travailleur d’exercer un emploi convenable beaucoup plus près de celui qu’il exerçait au moment de la survenance de sa lĂ©sion professionnelle.

[30]           Lorsqu’il a acceptĂ© qu’on lui dĂ©termine l’emploi convenable de journalier de ferme, cet Ă©quipement n’était pas encore sur le marchĂ©.

[31]           Il estime que l’on a alors fait reposer sa perte de capacitĂ© de travail sur les membres de sa famille, entre autres, son père, qui a dĂ» supplĂ©er l’incapacitĂ© rĂ©sultant de sa lĂ©sion professionnelle.

[32]           Selon lui, compte tenu de la spĂ©cialitĂ© de l’entreprise familiale qui est une ferme laitière, on aurait dĂ» envisager, Ă  l’époque de la dĂ©termination de son emploi convenable, la retraite Ă©ventuelle de son père et qu’il constituait, compte tenu de l’intĂ©rĂŞt qu’il avait toujours manifestĂ© pour l’agriculture, la principale relève.

[33]           Selon les informations contenues au dossier du travailleur, il s’avère que la CSST a dĂ©jĂ  adaptĂ© le poste de travail d’un ouvrier agricole chez un autre employeur, en le dotant d’un robot de traite[4].

[34]           Dans la prĂ©sente affaire, le travailleur a subi, en raison de sa lĂ©sion professionnelle, une atteinte permanente Ă  l’intĂ©gritĂ© physique.

[35]           Il a donc droit Ă  la rĂ©adaptation que requiert son Ă©tat en vue de sa rĂ©insertion sociale et professionnelle :

145.  Le travailleur qui, en raison de la lĂ©sion professionnelle dont il a Ă©tĂ© victime, subit une atteinte permanente Ă  son intĂ©gritĂ© physique ou psychique a droit, dans la mesure prĂ©vue par le prĂ©sent chapitre, Ă  la rĂ©adaptation que requiert son Ă©tat en vue de sa rĂ©insertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

 

[36]           La CSST a reconnu ce droit et a mis en Ĺ“uvre, en collaboration avec lui et eu Ă©gard Ă  ses besoins, un plan individualisĂ© de rĂ©adaptation physique, sociale et professionnelle :

146.  Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit Ă  la rĂ©adaptation, la Commission prĂ©pare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisĂ© de rĂ©adaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de rĂ©adaptation physique, sociale et professionnelle.

 

Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

__________

1985, c. 6, a. 146.

 

(Je souligne)

 

 

[37]           Ce plan individualisĂ© de rĂ©adaptation a conduit, entre autres, Ă  la dĂ©termination de l’emploi convenable de journalier de ferme. Le travailleur est effectivement capable d’exercer, compte tenu de diverses adaptations, certaines des tâches habituellement exercĂ©es par un journalier de ferme.

[38]           Le travailleur ne peut toutefois exercer les tâches reliĂ©es au secteur de la grange Ă  cause des difficultĂ©s qu’il a Ă  se dĂ©placer avec des charges lourdes et celle de travailler en position accroupie ou penchĂ©e.

[39]           Le dĂ©part Ă  la retraite de son père qui assurait une partie des tâches reliĂ©es au secteur de la grange, entre autres, la traite des vaches, l’oblige Ă  trouver une solution afin de pallier la perte de cette ressource et son incapacitĂ© Ă  rĂ©aliser une tâche qu’il exerçait avant la survenance de sa lĂ©sion professionnelle. Cette incapacitĂ© est tributaire des sĂ©quelles de sa lĂ©sion professionnelle.

[40]           Si l’équipement Ă  l’origine de la demande de modification de son plan individualisĂ© avait Ă©tĂ© connu au moment de la dĂ©termination de son plan individualisĂ©, il aurait insistĂ© pour qu’il fasse partie de ce plan parce qu’il lui aurait permis de rĂ©intĂ©grer son emploi ou Ă  tout le moins un emploi Ă©quivalent :

166.  La rĂ©adaptation professionnelle a pour but de faciliter la rĂ©intĂ©gration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi Ă©quivalent ou, si ce but ne peut ĂŞtre atteint, l'accès Ă  un emploi convenable.

__________

1985, c. 6, a. 166.

 

 

[41]           La loi prĂ©voit le contenu du programme de rĂ©adaptation professionnelle qui comprend, entre autres, « l’adaptation d’un poste de travail Â» :

167.  Un programme de rĂ©adaptation professionnelle peut comprendre notamment :

 

1° un programme de recyclage;

 

2° des services d'Ă©valuation des possibilitĂ©s professionnelles;

 

3° un programme de formation professionnelle;

 

4° des services de support en recherche d'emploi;

 

5° le paiement de subventions Ă  un employeur pour favoriser l'embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente Ă  son intĂ©gritĂ© physique ou psychique;

 

6° l'adaptation d'un poste de travail;

 

7° le paiement de frais pour explorer un marchĂ© d'emplois ou pour dĂ©mĂ©nager près d'un nouveau lieu de travail;

 

8° le paiement de subventions au travailleur.

__________

1985, c. 6, a. 167.

 

(Je souligne)

 

 

[42]           Rappelons que le travailleur comptait, au moment de la survenance de sa lĂ©sion professionnelle, une expĂ©rience unique de travail, qu’il Ă©prouvait des difficultĂ©s d’ordre scolaire qui l’ont empĂŞchĂ© de complĂ©ter ses Ă©tudes secondaires, qu’il avait un intĂ©rĂŞt marquĂ© pour l’agriculture et qu’il envisageait dĂ©jĂ  depuis son tout jeune âge d’en faire son avenir professionnel.

[43]           La CSST, aux termes de la dĂ©cision qu’elle rend Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative, justifie ainsi sa dĂ©cision de ne pas modifier le plan individualisĂ© du travailleur :

En 2007, la position de la CSST demeure la même. Le travailleur ne pouvait plus faire la traite des vaches et il aurait été dangereux de permettre qu’il le fasse, dans le cadre de son emploi convenable. Les parties ont convenu qu’il y avait suffisamment d’autres tâches pour garder le travailleur à la ferme familiale. D’ailleurs, le travailleur ne se voyait pas faire autre chose que du travail de ferme.

 

Si le travailleur avait fait le même travail pour une ferme voisine, le départ du propriétaire de cette autre ferme, pour la retraite, n’aurait pas amené la CSST à compenser cet apport à la ferme, en autorisant un robot de traite.

 

D’autre part, la tâche de la traite des vaches ne faisait plus partie des tâches du travailleur car elle était dangereuse pour lui et d’autre part, le départ pour une retraite est une décision qui ne concerne pas la CSST.

 

En fait, la CSST n’a pas à traiter le dossier du travailleur différemment de celui d’un autre travailleur du fait qu’il travaille dans une entreprise familiale où l’apport de tous et chacun contribue au bien-être collectif. Il est sûrement vrai que le travailleur a pu bénéficier d’une aide spéciale de sa famille et que le départ de son père puisse appauvrir le rendement de la ferme.

 

Toutefois, s’il avait s’agit [s’était agi] d’une entreprise non familiale, nous serions en face d’un poste vacant qu’il faudrait combler. L’entreprise en serait à évaluer si elle peut se permettre l’achat d’un robot de traite ou s’il vaudrait mieux embaucher une nouvelle personne.

 

(Je souligne)

 

 

 

[44]           En somme, la CSST refuse de modifier le plan individualisĂ© de rĂ©adaptation du travailleur parce que celui mis en Ĺ“uvre en premier lui permettait d’exercer l’emploi convenable de journalier de ferme, que le travailleur est encore capable d’exercer cet emploi et qu’il n’y a pas lieu de revoir ce plan malgrĂ© les circonstances qui viennent modifier le contexte de son exercice.

[45]           L’article 146 de la loi ne prĂ©cise pas le sens qu’il faut donner Ă  l’expression « circonstances nouvelles Â». La loi ne prĂ©cise pas non plus qu’une fois le plan individualisĂ© dĂ©terminĂ© et mis en Ĺ“uvre, il devient impossible de le modifier par la suite.

[46]           Les sĂ©quelles de la lĂ©sion professionnelle subie par le travailleur sont permanentes : les effets de cette lĂ©sion sont donc dĂ©finitifs.

[47]           C’est sans doute pour cette raison que le lĂ©gislateur Ă©crit Ă  l’article 145 de la loi, lorsqu’il dĂ©finit le droit Ă  la rĂ©adaptation, que le travailleur qui subit une atteinte permanente Ă  l’intĂ©gritĂ© physique « a droit Ă  la rĂ©adaptation que requiert son Ă©tat en vue de sa rĂ©insertion sociale et professionnelle Â».

[48]           Le tribunal sait par expĂ©rience que la CSST a la possibilitĂ© de modifier le plan individualisĂ© de rĂ©adaptation et qu’elle procède rĂ©gulièrement Ă  sa modification pour tenir compte des besoins en rĂ©adaptation sociale des travailleurs victimes d’atteinte permanente Ă  l’intĂ©gritĂ© physique. Ainsi, elle dĂ©fraie le coĂ»t des services professionnels d’intervention psychosociale, assure la mise en Ĺ“uvre de moyens pour procurer Ă  ces personnes un domicile et un vĂ©hicule adaptĂ©s Ă  leur capacitĂ© rĂ©siduelle, paye les frais d’aide personnelle Ă  domicile, rembourse les frais de garde d’enfants et le coĂ»t des travaux d’entretien courant du domicile. (Je souligne)

[49]           Serait-ce diffĂ©rent en rĂ©adaptation professionnelle?

[50]           La jurisprudence du tribunal s’est dĂ©jĂ  prononcĂ©e sur la modification du plan individualisĂ© de rĂ©adaptation. Elle constate, entre autres, que l’article 146 de la loi n’édicte aucun dĂ©lai quant Ă  cette modification.

[51]           Le tribunal propose toutefois une rĂ©ponse Ă  cette interrogation[5] :

[48]      Comme l’ont soumis les représentants de l’employeur et de la CSST, la Commission des lésions professionnelles est également d’avis que l’article 146, alinéa 2 de la Loi ne peut être invoqué que lorsqu’un programme de réadaptation est en cours.  Cet article ne peut plus être invoqué une fois le programme complété et qu’un emploi convenable est retenu par une décision de la CSST qui détermine également la date de capacité à exercer cet emploi.

 

[49]      Cette interprétation de l’article 146 de la Loi avait déjà été retenue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles à l’effet qu’un travailleur ne peut remettre en question, par le biais de l’article 146 de la Loi, une décision déterminant un emploi convenable rendue par la CSST antérieurement et qui est devenue finale2.  Cette interprétation a été reprise par la Commission des lésions professionnelles, notamment dans l’affaire Cambior inc.-Géant Dormant et Fournier et CSST3.  Dans cette décision, la Commission des lésions professionnelles rappelait que la circonstance nouvelle prévue à l’article 146 de la Loi devait nécessairement se rapporter au plan individualisé de réadaptation lui-même et non pas être utilisée comme un instrument indirect d’une contestation d’un emploi convenable déterminé et non contesté.

___________________

2           Dubé et Services de béton universels ltée et CSST, C.A.L.P. 67006-60-9502, 1996-07-29, Me Joëlle L’Heureux.

3           C.L.P. 119236-08-9906, 2002-01-15, Me Alain Suicco.

 

(Je souligne)

 

 

[52]           C’est Ă©galement la position retenue dans l’affaire Abbes et Industries de plastique Transco ltĂ©e et Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail[6].

[53]           Avec Ă©gard, le soussignĂ© ne partage pas cette opinion et estime que le plan de rĂ©adaptation professionnelle peut ĂŞtre modifiĂ© malgrĂ© qu’il ne soit plus en cours et qu’une dĂ©cision le dĂ©terminant soit devenue finale et irrĂ©vocable. Le plan de rĂ©adaptation professionnelle peut ĂŞtre modifiĂ©, au mĂŞme titre que le plan de rĂ©adaptation sociale, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

[54]           La loi n’établit effectivement pas de pĂ©riode au cours de laquelle les circonstances nouvelles doivent nĂ©cessairement apparaĂ®tre.

[55]           C’est ce que reconnaissent d’autres dĂ©cisions du tribunal[7] :

[85]       La Commission des lésions professionnelles n’a pas trouvé, dans la jurisprudence, de décision qui appuierait les prétentions de la CSST. Au contraire, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles et de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles conclut qu’un travailleur peut demander la modification de son plan individualisé de réadaptation en présence d’une circonstance nouvelle, malgré qu’une décision sur sa capacité à exercer l’emploi convenable n’ait pas été contestée5. La Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette jurisprudence s’applique aussi à une décision non contestée concernant la capacité d’un travailleur à exercer son emploi prélésionnel, dans la mesure où un plan individualisé de réadaptation a été mis en œuvre, comme dans le cas de monsieur Grenier.

 

[86]       Dans l’affaire BĂ©land6, le commissaire Brazeau se saisissait d’une demande de modification du plan de rĂ©adaptation en vertu de l’alinĂ©a 2 de l’article 146 de la loi, bien que le travailleur se soit dĂ©sistĂ© de sa demande de rĂ©vision de la dĂ©cision sur sa capacitĂ© Ă  exercer l’emploi convenable, et bien qu’il n’y ait pas de lĂ©sion sous forme de rechute. Le commissaire soulignait que la seule question dont le tribunal Ă©tait saisi consistait Ă  dĂ©terminer s’il existait une circonstance nouvelle au sens de l’article 146 de la loi, donnant ouverture Ă  modifier le plan individualisĂ© de rĂ©adaptation dont le travailleur a bĂ©nĂ©ficiĂ© et Ă  recouvrer ainsi son droit au versement d’une indemnitĂ© de remplacement du revenu Ă  ĂŞtre Ă©ventuellement rĂ©duite en fonction d’un nouvel emploi convenable. Le tribunal concluait que l’abolition du poste du travailleur ne constituait pas une circonstance nouvelle, s’appuyant sur l’affaire Villeneuve et Ressources Aurore inc.7, dĂ©cision de principe en la matière qui circonscrit ce qui est considĂ©rĂ© comme une circonstance nouvelle :

 

« Une circonstance nouvelle au sens de l’article 146 doit se rapporter directement au plan individualisĂ© de rĂ©adaptation : soit que le travailleur ne puisse accomplir le travail ou que l’emploi ne rĂ©pond plus au critère Ă©noncĂ© Ă  la dĂ©finition d’emploi convenable. Â»

 

 

[87]       Dans l’affaire Carrière8, la Commission des lĂ©sions professionnelles concluait que la demande de rĂ©vision du 1er mars 2002 d’un travailleur Ă  l’encontre d’une dĂ©cision du 16 mai 2001 dĂ©terminant qu’il Ă©tait capable d’exercer un emploi convenable, demande hors dĂ©lai donc, constituait plutĂ´t une demande de modification du plan individualisĂ© de rĂ©adaptation selon l’alinĂ©a 2 de l’article 146. Le tribunal s’exprimait ainsi :

 

« (…)

 

[31]       Le soussigné considère qu’il n’y a pas lieu, notamment dans le présent dossier, de recourir à la recherche d’un motif raisonnable permettant de relever le travailleur de son défaut d’avoir contesté dans le délai la détermination de l’emploi convenable, considérant que tel n’est pas le motif invoqué et considérant que l’article 146 de la loi prévoit une telle circonstance.

 

[32]       Le soussigné estime que l’article 146 de la loi est suffisamment explicite en ce qui concerne les conditions de modification d’un plan individualisé de réadaptation pour tenir compte de circonstances nouvelles, sans que soit nécessairement et obligatoirement remis en cause la détermination même de l’emploi convenable.  Par ailleurs, cet article ne prévoit aucun délai dans la formulation d’une telle modification, des circonstances nouvelles pouvant survenir à tout moment.

 

[33]       Aussi, la Commission des lésions professionnelles juge donc recevable la demande du travailleur logée le 1er mars 2002.

 

[34]       Par ailleurs, quant à l’application de l’article 146, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles est à l’effet que les circonstances nouvelles prévues au deuxième alinéa de l’article 146 doivent se rapporter directement au plan individualisé de réadaptation3.  Une circonstance nouvelle pourrait être, par exemple, lorsque la preuve démontre qu’un travailleur ne peut pas accomplir le travail ou encore lorsqu’un emploi convenable ne répond plus aux critères énoncés à la définition de l’emploi convenable.

 

[35]       Cependant, la cessation des activités de l’employeur ne constitue pas une circonstance nouvelle au sens de l’article 146 de la loi4. (…)

 

 

____________

 

3           Villeneuve et Ressources Aunore inc. [1992] C.A.L.P. 06; ChassĂ© et Jules Fournier inc., 29829-03-9106, 8 octobre 1993, R. Jolicoeur; Foisy et Clarke Transport Canada inc., 44094-62-9208, 14 mars 1994, A. Suicco, (J6-12-02); Rocca et J.A. Hubert ltĂ©e, 35236-08-9112, 26 fĂ©vrier 1996, B. Lemay; Brodeur et Coopers & Lybrand inc. Syndic, 106594-61-9811, 25 fĂ©vrier 1999, M. Cuddihy; Bolduc et Restaurant Trois cent trente-trois inc., 109871-72-9902, 5 juin 2001, J.-D. Kushner.

4           Villeneuve et Ressources Aunore inc., [1992] C.A.L.P. 06 ; Lelièvre et Multifoof inc., 49644-63-9302, 27 juillet 1997, M. Cuddihy ; Boucher et Produits forestiers Canadien Pacific (Avenor), 058051-04-9404, 26 octobre 1995, P. Brazeau (J7-10-06)

 

 

[88]       Dans l’affaire Gagnon et BG Automatique (BG Checo Senc) 9, le commissaire BĂ©rubĂ© soulignait, parlant des articles 145 et 146, et plus spĂ©cifiquement de l’alinĂ©a 2 de l’article 146 de la loi :

 

« Aucun de ces articles prĂ©citĂ©s ne prĂ©voit de pĂ©riodes spĂ©cifiques pendant lesquelles une modification peut ĂŞtre apportĂ©e Ă  un plan individualisĂ© de rĂ©adaptation. Â»

 

 

[89]       Il est vrai que le travailleur aurait pu contester la décision du 5 décembre 2003, mais le fait qu’il ne l’ait pas contesté n’exclut pas l’application de l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi.

 

[90]       En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi, peut trouver application, malgré la décision de la CSST du 5 décembre 2003 qui détermine que le travailleur est capable d’exercer son emploi, et malgré que le travailleur n’ait pas contesté cette décision. D’autre part, l’article 51 de la loi ne s’applique pas au présent cas puisqu’il s’applique à l’abandon d’un emploi convenable et non à l’abandon de l’emploi prélésionnel.

 

[91]       Puisqu’il y a ouverture à l’application de l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi, les parties seront convoquées à nouveau pour être entendues sur les circonstances nouvelles alléguées par le travailleur au soutien de sa demande de modification de son plan individualisé de réadaptation.

________________

 

5           Béland et Barrette-Chapais ltée, C.L.P. 211061-03B-0306, 27 octobre 2004, PBrazeau; Carrière et Béton de la 344 inc., C.L.P. 185806-64-0206, 22 août 2002, D. Robert; Gagnon et BG Automatique (BG GHECO SENC), C.L.P. 84223-09-9612, 16 juillet 1999, C. Bérubé.

6                     Id.

7                     [1992] C.A.L.P. 6 .

8                     Précitée, note 5.

9           Précitée, note 5.

 

 

 

[56]           En l’espèce, la seule question Ă  laquelle le tribunal doit rĂ©pondre est celle Ă  savoir si des « circonstances nouvelles Â» justifient la modification du plan individualisĂ© de rĂ©adaptation professionnelle du travailleur.

[57]           Le dĂ©part Ă  la retraite d’un employĂ© de l’entreprise familiale, en l’occurrence le père du travailleur, ne change Ă©videmment pas les conditions d’exercice de l’emploi convenable exercĂ© par le travailleur. Par contre, cette circonstance, que l’on doit qualifier de nouvelle, risque de compromettre l’existence de l’emploi convenable du travailleur.

[58]           L’entreprise devra engager une nouvelle ressource Ă  un salaire supĂ©rieur Ă  celui versĂ© au travailleur qui bĂ©nĂ©ficie d’un programme d’intĂ©ressement. Cette dĂ©pense additionnelle risque d’affecter la rentabilitĂ© de l’entreprise. C’est d’ailleurs ce que reconnaĂ®t la CSST dans la dĂ©cision rendue le 9 mai 2007, Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative.

[59]           Actuellement, aucune autre ressource que les membres de la famille ne travaille Ă  la ferme.

[60]           La preuve dĂ©montre en outre qu’aucune autre ressource parmi les membres de la famille, mis Ă  part le père et le travailleur, bien entendu si le poste de traite Ă©tait adaptĂ©, ne peut assurer la traite des vaches.

[61]           C’était le contexte qui prĂ©valait lors de l’évĂ©nement au cours duquel le travailleur a subi une lĂ©sion professionnelle.

[62]           C’est aussi dans ce contexte que la CSST a dĂ©terminĂ© que l’emploi de journalier de ferme constituait un emploi convenable pour le travailleur. Ce contexte faisait Ă©galement en sorte que les autres membres de la famille, dont le père en particulier, pouvaient supplĂ©er Ă  la nouvelle condition physique du travailleur et exercer les tâches qu’il n’était plus en mesure d’exercer en raison des limitations fonctionnelles attribuables Ă  sa lĂ©sion professionnelle.

[63]           L’invention de robots de traite constitue Ă©galement, de l’avis du tribunal, au mĂŞme titre que le dĂ©part Ă  la retraite d’une ressource essentielle aux opĂ©rations agricoles de l’entreprise, une circonstance nouvelle.

[64]           Ces circonstances nouvelles justifient-elles une modification du plan individualisĂ© de rĂ©adaptation professionnelle du travailleur?

[65]           Le tribunal estime devoir rĂ©pondre positivement Ă  cette question.

[66]           La rĂ©adaptation professionnelle vise en premier la rĂ©intĂ©gration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi Ă©quivalent ou, si ce but ne peut ĂŞtre atteint, Ă  lui permettre l’accès Ă  un emploi convenable.

[67]           Si le robot de traite avait Ă©tĂ© sur le marchĂ© lorsque la CSST a mis en Ĺ“uvre le plan de rĂ©adaptation professionnelle du travailleur, elle aurait pu envisager de subventionner l’entreprise familiale afin que le travailleur puisse ĂŞtre en mesure d’effectuer la plupart des tâches qu’il effectuait avant la survenance de sa lĂ©sion professionnelle, y compris la traite des vaches :

176.  La Commission peut rembourser les frais d'adaptation d'un poste de travail si cette adaptation permet au travailleur qui a subi une atteinte permanente Ă  son intĂ©gritĂ© physique en raison de sa lĂ©sion professionnelle d'exercer son emploi, un emploi Ă©quivalent ou un emploi convenable.

 

Ces frais comprennent le coût d'achat et d'installation des matériaux et équipements nécessaires à l'adaptation du poste de travail et ils ne peuvent être remboursés qu'à la personne qui les a engagés après avoir obtenu l'autorisation préalable de la Commission à cette fin.

__________

1985, c. 6, a. 176.

 

(Je souligne)

 

 

[68]           La gravitĂ© de la lĂ©sion du travailleur ne doit pas le confiner Ă  un emploi convenable.

[69]           Si l’avancement technologique permet de lui offrir un emploi qui se rapproche davantage de l’emploi qu’il occupait lors de la survenance de sa lĂ©sion, la CSST devrait tout mettre en Ĺ“uvre « pour attĂ©nuer ou faire disparaĂ®tre les consĂ©quences d’une lĂ©sion professionnelle Â» :

184.  La Commission peut :

 

1° dĂ©velopper et soutenir les activitĂ©s des personnes et des organismes qui s'occupent de rĂ©adaptation et coopĂ©rer avec eux;

 

2° Ă©valuer l'efficacitĂ© des politiques, des programmes et des services de rĂ©adaptation disponibles;

 

3° effectuer ou faire effectuer des Ă©tudes et des recherches sur la rĂ©adaptation;

 

4° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour favoriser la rĂ©insertion professionnelle du conjoint d'un travailleur dĂ©cĂ©dĂ© en raison d'une lĂ©sion professionnelle;

 

5° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour attĂ©nuer ou faire disparaĂ®tre les consĂ©quences d'une lĂ©sion professionnelle.

 

Aux fins des paragraphes 1°, 2° et 3°, la Commission forme un comité multidisciplinaire.

__________

1985, c. 6, a. 184.

 

(Je souligne)

 

 

[70]           L’impossibilitĂ© pour le travailleur de faire la traite des vaches est une consĂ©quence de la lĂ©sion professionnelle qu’il a subie.

[71]           La loi a pour objet la rĂ©paration des lĂ©sions professionnelles et des consĂ©quences qu’elles entraĂ®nent pour les travailleurs qui en sont victimes :

1.  La prĂ©sente loi a pour objet la rĂ©paration des lĂ©sions professionnelles et des consĂ©quences qu'elles entraĂ®nent pour les bĂ©nĂ©ficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[72]           L’acquisition et l’installation d’un robot de traite permettraient de faire disparaĂ®tre l’une des consĂ©quences de sa lĂ©sion professionnelle.

[73]           Le tribunal rappelle que les dĂ©cisions rendues en vertu de la loi, doivent l’être suivant l’équitĂ©, d’après le mĂ©rite rĂ©el et la justice du cas :

351.  La Commission rend ses dĂ©cisions suivant l'Ă©quitĂ©, d'après le mĂ©rite rĂ©el et la justice du cas.

 

Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.

__________

1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.

 

 

 

[74]           En l’espèce, la preuve dĂ©montre que le travailleur a grandement contribuĂ© Ă  sa rĂ©insertion professionnelle. Il en a Ă©tĂ© le principal, voire l’unique artisan. C’est lui qui a créé son emploi convenable. C’est Ă©galement lui qui a procĂ©dĂ© Ă  l’adaptation de la machinerie agricole qui lui permet d’exercer cet emploi.

[75]           Dans un tel contexte, le tribunal estime raisonnable de reconnaĂ®tre les efforts qu’il a consentis pour rĂ©intĂ©grer le marchĂ© du travail et de traiter sa demande « suivant l’équitĂ©, d’après le mĂ©rite rĂ©el et la justice du cas Â».

[76]           Dans les circonstances de la prĂ©sente affaire, compte tenu de l’importance des consĂ©quences de la lĂ©sion professionnelle du travailleur sur ses activitĂ©s professionnelles, compte tenu de son jeune âge, compte tenu de son expĂ©rience unique de travail et qu’il est impensable d’envisager, dans la situation particulière dans laquelle il se trouve - il est copropriĂ©taire de la ferme sur laquelle il travaille -, un changement d’activitĂ©s professionnelles, compte tenu du temps qui lui reste encore Ă  demeurer actif sur le marchĂ© du travail, compte tenu de l’importance d’assurer au travailleur le maximum d’autonomie dans l’accomplissement de son activitĂ© professionnelle, le tribunal estime, « suivant l’équitĂ©, d’après le mĂ©rite rĂ©el et la justice du cas Â», devoir modifier son plan de rĂ©adaptation professionnelle afin de procĂ©der Ă  l’acquisition et Ă  l’installation d’un robot de traite Ă  la ferme sur laquelle il travaille.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée au tribunal par monsieur Bruno Papin, le travailleur, le 23 mai 2007;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 9 mai 2007, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a droit à l’acquisition et à l’installation d’un robot de traite dans le bâtiment de ferme sur laquelle il exerce son activité professionnelle.

 

 

__________________________________

 

JEAN-PIERRE ARSENAULT

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Michel Cyr, avocat

Michel Cyr, avocat

Représentant de la partie requérante

 



[1]           Pages 93 et suivantes du dossier soumis à l’attention du tribunal.

[2]           Il n’appartient toutefois pas à l’ergonome de la CSST de réviser les capacités du travailleur. Seul le médecin qui a charge est habilité, suivant la loi, à émettre son opinion sur cette question. À moins d’avoir été soumise au Bureau d’évaluation médicale, l’opinion du médecin traitant lie la CSST, à cet égard.

[3]           L’ergothérapeute de la CSST oublie de mentionner l’une des limitations fonctionnelles émises par le médecin du travailleur, à savoir celle d’éviter de travailler dans une position accroupie. Il s’agit sans doute d’une erreur d’écriture puisqu’il en tient compte dans son évaluation de la capacité résiduelle du travailleur.

[4]           Suzanne DEUTSCH, « Triompher de l'adversitĂ© Â», (septembre 2007) Le CoopĂ©rateur agricole, p. 28-34.

[5]           Vallée et Services Matrec inc., C.L.P. 189418-62-0208, 7 janvier 2003, L. Vallières.

[6]           C.L.P. 317165-62-0705, 18 février 2008, R. Beaudoin.

[7]          Grenier et Domfer Poudres Métalliques ltée et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 236414-71-0406, 7 mars 2005, L. Landriault; révision accueillie, 28 juillet 2005, M. Denis, décision en révision cassée, Grenier c. Commission des lésions professionnelles, C. S. 500-17-027304-05, 18 avril 2007, j. Crépeau, J.C.S.

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