F. F. Soucy inc. |
2012 QCCLP 4644 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Rimouski |
20 juillet 2012 |
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Région : |
Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord |
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Dossier CSST : |
134145408 |
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Commissaire : |
Manon Séguin, juge administratif |
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Assesseur : |
Marc Mony, médecin |
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Partie requérante |
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[1] Le 11 avril 2011, F. F. Soucy inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 31 mars 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 27 janvier 2011. Elle déclare que la CSST était justifiée d’imputer la totalité des coûts relatifs à la lésion professionnelle subie par monsieur Daniel Lévesque (le travailleur) le 16 janvier 2009. En conséquence, 100 % des coûts relatifs à cette réclamation demeurent imputés au dossier de l’employeur.
[3] L’employeur est représenté à l’audience tenue à Rivière-du-Loup le 10 janvier 2012. Le dossier a toutefois été mis en délibéré le 17 avril 2012 à la suite de l’obtention de précisions requises, soit plus particulièrement un complément d’opinion du docteur Édouard Beltrami, psychiatre.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
Le représentant de l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que ce dernier est en droit de bénéficier
d’un partage des coûts relatifs à la réclamation du travailleur à la suite de
sa lésion professionnelle survenue le 16 janvier 2009. Il estime que ce partage
doit être établi selon les termes prévus à l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu d’accorder un partage de coûts dans le présent dossier au motif que le travailleur était déjà handicapé avant la survenance de sa lésion professionnelle du 16 janvier 2009.
[6]
L’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[7] Pour bénéficier d’un partage de coûts en vertu de l’article 329, l’employeur doit d’abord prouver que le travailleur présentait un handicap lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle.
[8] La loi ne définit pas ce que constitue un handicap. Cependant, depuis l’affaire Municipalité de Petite-Rivière-St-François et CSST[2], le tribunal a développé un large consensus sur cette notion. Ainsi, il a été défini qu’un travailleur déjà handicapé « est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion ».
[9] Elle peut être congénitale ou acquise et peut exister à l’état latent, sans s’être manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.
[10]
Ainsi, en regard de cette définition, pour qu’un employeur puisse obtenir
un partage de coûts en vertu de l’article
[11] Il doit de plus démontrer que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences[3].
[12] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a aussi élaboré des critères pour établir la relation entre la déficience et la survenance de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion[4].
[13] Aucun de ces critères n’est déterminant à lui seul, mais pris dans leur ensemble, permettent de se prononcer sur le bien-fondé de la demande d’un employeur. Retenons les critères suivants :
- la nature et la gravité du fait accidentel;
- le diagnostic initial de la lésion professionnelle;
- l’évolution des diagnostics et de la condition du travailleur;
- la compatibilité entre le plan de traitement prescrit et le diagnostic de la lésion professionnelle;
- la durée de la période de consolidation compte tenu de la lésion professionnelle;
- la gravité des conséquences de la lésion professionnelle;
- les opinions médicales à ce sujet;
- l’âge du travailleur[5].
[14] Ces paramètres étant établis, qu’en est-il dans le présent dossier?
[15] Après analyse de la preuve au dossier, le tribunal retient notamment les faits suivants.
[16] Le travailleur, alors âgé de 49 ans, occupe un poste d’homme de maintenance chez l’employeur au moment où il est victime d’une lésion professionnelle le 16 janvier 2009. L’événement est ainsi décrit dans le formulaire «d’Avis de l’employeur et demande de remboursement» et ce, suite à l’enquête et à l’analyse réalisées :
Les travailleurs ont utilisé une barre de levage de 2 pcs x 3 pcs x 4 pcs avec un œil en équilibre et non amarré sur deux travers espacés de 2 pieds et 3 pcs auquel fut accroché un tire-fort pour soulever une chute de moins de 30 lbs. En déplaçant latéralement la chute pour la déposer sur la passerelle à côté du convoyeur, la barre a glissée des appuis et a frappé l’employé à la tête. [sic]
[17] Les ambulanciers sont appelés sur les lieux de l’accident, ils observent la présence d’une plaie frontale du côté gauche. Le travailleur est toujours conscient à leur arrivée mais sa condition se détériore et il doit être intubé.
[18] Il est amené à l’hôpital de Rivière-du-Loup où la docteure Lucie Maltais note un Glasgow de 3 sur 15 ainsi qu’une plaie linéaire d’environ 4 cm en frontal gauche avec un hématome. Le travailleur sera ultérieurement transféré à l’hôpital L’Enfant-Jésus à Québec où il sera évalué par le neurochirurgien, le docteur André Turmel. Il sera ainsi examiné tant en neurochirurgie qu’en orthopédie pour être libéré le lendemain avec les consignes d’usage. On lui prescrit alors un arrêt de travail de deux mois.
[19] Le 17 janvier 2009, le docteur Pascal Renaud diagnostique un traumatisme crânio-cérébral (TCC) sévère avec une fracture au niveau D11.
[20] Le 22 janvier 2009, la CSST accepte la réclamation du travailleur à la suite de l’accident du travail survenu le 16 janvier 2009. Elle retient alors un diagnostic de traumatisme crânio-cérébral sévère. Le 26 février 2009, elle reconsidère sa décision du 22 janvier et reconnaît que l’accident du travail du 16 janvier 2009 a causé un traumatisme crânio-cérébral sévère ainsi qu’une fracture de la vertèbre D-11.
[21] Ces deux décisions sont confirmées le 19 juin 2009 à la suite d’une révision administrative. L’employeur conteste cette dernière décision devant la Commission des lésions professionnelles, mais il se désiste le 21 septembre 2009.
[22] Lors du suivi médical subséquent, le travailleur est évalué à tour de rôle par la docteure Linda Landry ainsi que la docteure Emmanuelle Dudon, orthopédiste, lesquelles maintiendront un diagnostic de traumatisme crânio-cérébral sévère et de fracture D11.
[23] Le 20 avril 2009, le docteur Jean-François Fradet, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l’employeur. Sur le plan orthopédique, il retient une fracture de l’apophyse transverse de D-11 non déplacée qui peut avoir été provoquée par un traumatisme direct lors de la chute sur le sol. Il considère que cette lésion est consolidée en date de son examen, soit le 20 avril 2009, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles. Il estime que le travailleur peut faire son travail régulier, et ce, en regard de la fracture de l’apophyse transverse de D-11.
[24] Le même jour, le travailleur est examiné par le docteur Patrice Drouin, neurologue, à la demande du médecin de l’employeur. Son examen neurologique est normal à tout point de vue. La seule anomalie retrouvée est la cicatrice à la région frontale gauche mesurant 2 cm. Il conclut qu’il y a eu tout au plus une commotion cérébrale modérée si vraiment une amnésie s’est prolongée jusqu’au lendemain, de sorte qu’il pourrait s’agir d’une commotion modérée sous le code prévu au Barème des dommages corporels portant le numéro 211292. Il explique que la notion d’un traumatisme crânio-cérébral ne peut être écartée totalement puisqu’il y avait quand même une lacération frontale gauche. Toutefois, l’intensité ne peut être assimilée à un TCC sévère selon le Barème des dommages corporels.
[25] En fait, il se questionne longuement sur l’histoire de l’événement quant au délai d’apparition de la perte de conscience et sur l’intensité du traumatisme versus le Glasgow évalué. Il ajoute que l’altération de l’état de conscience qui est survenu dans les minutes qui ont suivi l’accident accompagnée de tremblements généralisés suggère qu’il peut s’agir d’une manifestation non organique de type de la conversion. Comme symptômes résiduels, il note des céphalées qui ont été traitées jusqu’à maintenant par des opiacés et il est d’avis que le travailleur pourra reprendra le travail d’ici 15 jours, quitte à faire un retour progressif sur une période de trois semaines.
[26] Le 30 juin 2009, le dossier du travailleur est transmis au Bureau d’évaluation médicale en ce qui a trait aux volets liés au diagnostic, à la date de consolidation ainsi qu’aux soins et aux traitements.
[27] Le 6 juillet 2009, le travailleur est évalué par le docteur Beltrami, psychiatre, à la demande de l’employeur. Les nombreux tests réalisés par ce dernier révèlent sous l’axe 1 un diagnostic principal d’amnésie dissociative résolue avec des troubles somatoformes suite à son accident. Au niveau de l’axe 2, il note des tendances aux troubles somatoformes et à la conversion de troubles psychologiques en troubles physiques. À l’axe 3 il ajoute que le choc physique a déclenché un trouble somatoforme. Il fait remarquer par ailleurs ce qui suit dans ses conclusions :
Amnésie dissociative compatible avec un trouble somatoforme qu’on ne peut pas confondre avec une véritable perte de conscience c qui a permis à monsieur de marcher, de tourner à angle, de marcher sur une plateforme relativement étroite et de descendre des escaliers. Donc, il a fait une amnésie de cet élément traumatique mais on ne peut pas dire qu’il a perdu conscience sur un plan neurologique, tout ce temps-là, comme l’a bien fait remarquer le neurologue. Ce que nous voyons actuellement est tout à fait en lien avec ce qui a été diagnostiqué auparavant et de toute façon il y a relativement peu ou pas de symptômes. Les symptômes de douleurs physiques sont assez localisés dans l’ensemble. On ne s’oriente pas vers une multi-symptomatologie.
Par contre, il sera extrêmement important dans ses conditions que monsieur doit suivre son entraînement en ergothérapie et qu’il aille en psychothérapie pour régler cette amnésie d’origine psychique beaucoup plus que d’origine commotion cérébrale. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas eu des éléments cérébraux pour autant. Mais la partie importante a été un trouble d’amnésie dissociative comme on en trouve dans le stress post-traumatique.
[…]
[28] Le tribunal note également au dossier que le docteur Beltrami avait déjà évalué le travailleur le 5 juin 2006 à la suite d’un accident du travail survenu le 18 février 2004 et pour lequel il observait entre autres un trouble somatoforme, de sous type de conversion tout en précisant à l’axe 2 que monsieur présentait une personnalité narcissique.
[29] Le 6 août 2009, le travailleur est évalué par le docteur Pierre Bourgeau, neurologue, en sa qualité de membre du Bureau d’évaluation médicale. Il est d’avis qu’il y a lieu de retenir des diagnostics de traumatisme crânien avec commotion cérébrale légère et de fracture de l’apophyse transverse de D11 non déplacée. Il considère que l’état du travailleur est nettement stabilisé et ne demande aucun traitement particulier d’ordre physique ou organique, outre de la médication pour soulager les céphalées. Il émet comme date de consolidation le 20 avril 2009 pour la lésion orthopédique et le 6 août 2009 pour la lésion neurologique. Il attribue un déficit anatomophysiologique de 1 % en lien avec un traumatisme crânien avec commotion cérébrale légère sous le code 211283, aucun déficit au niveau orthopédique, ni de limitations fonctionnelles tant au point de vue neurologique qu’orthopédique.
[30] Le 14 octobre 2009, le docteur André Blouin produit une opinion médicale sur dossier. Après analyse, il est d’avis qu’un partage de coûts devrait s’appliquer en raison d’une manifestation physique d’une composante psychique. Il précise que le travailleur est un individu qui a une propension à développer des troubles somatoformes, ceci étant basé sur un défaut au niveau de sa personnalité. Il ajoute que c’est dans ce contexte qu’un handicap peut être existant puisque le travailleur a des traits de personnalité hystériformes ou histrioniques qui le rend vulnérable à développer des troubles somatoformes et de conversion, comme il est stipulé dans le rapport d’expertise du docteur Beltrami.
[31] Faisant suite à une analyse détaillée des rapports d’expertise et du mécanisme accidentel, il lui apparaît clair que le travailleur n’a pas été victime d’une commotion cérébrale significative le 16 janvier 2009. Il considère qu’initialement, on a faussement interprété la situation médicale du travailleur en diagnostiquant un TCC sévère alors qu’il était plutôt léger. Ceci étant dû à la persistance et à l’exagération de la symptomatologie du patient basée sur son déficit de la personnalité. Il ajoute que les traits de personnalité ont joué un rôle nettement défavorable dans la progression de l’évolution de la lésion professionnelle, cette condition personnelle ayant contribué à augmenter les coûts de réparation de façon excessive.
[32] Le 19 novembre 2009, la docteure Landry diagnostique des céphalées post-TCC avec une fracture dorsale résolue. Elle autorise le retour au travail à temps plein le 16 novembre 2009.
[33] Le 23 novembre 2009, une résonance magnétique des nerfs optiques est réalisée. On ne décèle aucune anomalie à ce niveau.
[34]
Le 26 novembre 2009 l’employeur dépose à la CSST une demande de partage des coûts en application de l’article
[35] Le 27 janvier 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle conclut qu’il n’a pas été démontré que le travailleur présentait déjà un handicap lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle. En conséquence, la décision d’imputer la totalité des coûts au dossier de l’employeur demeure inchangée. Cette décision est contestée par l’employeur le 3 février 2011 et maintenue à la suite d’une révision administrative le 31 mars 2011, d’où le présent litige.
[36] Le docteur André Blouin est venu témoigner à l’audience. Lors de son témoignage il est déposé de nombreux documents dont entre autres les résultats et les explications des tests psychologiques réalisés en 2009 par le docteur Beltrami, de la littérature médicale reliée aux différents troubles de personnalité et un article publié par le Biol Psychiatry en 2007.[6]
[37] Il précise qu’il connaît bien le travailleur puisqu’à titre de médecin de l’entreprise F.F. Soucy inc. depuis 1989, il a eu à le rencontrer à plusieurs occasions. Il explique que la symptomatologie observée en 2009 est très similaire à celle notée à la suite de l’événement de 2004. Il est d’avis que la composante psychologique du travailleur a eu une influence notable sur l’événement de 2009 et a joué un rôle important sur son invalidité. Il revient sur les tests psychologiques déjà effectués pour conclure que le travailleur a des traits de personnalité narcissique ainsi qu’un trouble somatoforme de conversion qui est confirmé par les expertises médicales des docteurs Drouin et Beltrami. Des signes de somatisation apparaissent dès les premiers moments de la survenance de l’événement accidentel de 2009, comme par exemple la perte de conscience décalé dans le temps et l’évolution inhabituel du Glasgow noté, lesquels sont d’ailleurs relatés par le docteur Drouin.
[38] Le docteur Blouin décrit les 3 grands groupes de personnalité pathologiques, soit le groupe A qui correspond aux personnalités «psychotiques», le groupe B qui inclut par exemple les personnalités «histrioniques et narcissiques» et le groupe C correspondant aux personnalités «névrotiques». Il revient sur la publication déposée laquelle fait état de la prévalence des troubles de la personnalité dans la population américaine. Il confirme qu’il s’agit d’une étude qui a été conduite sur 5 692 personnes et dont le but était d’estimer la prévalence des différents troubles de la personnalité au sein de la population américaine.
[39] Il rappelle que la prévalence est définie ici à partir du nombre de cas présentant un trouble de la personnalité dans une population donnée. Il spécifie plus particulièrement que l’étude révèle que les troubles de personnalité du groupe B (personnalité narcissique et histrionique) se retrouvent dans la population étudiée, à un taux de 1.5 % tandis que les troubles de personnalité du groupe C (qui regroupent les personnes de type dépendant) se retrouvent à un taux estimé de 6 %.
[40] Il y a donc lieu de conclure selon lui et ce, vu les pourcentages évalués, que le taux de prévalence de cette étude démontre l’existence d’une déviation par rapport à la norme biomédicale. Au plan statistique, le fait de présenter un tel trouble de la personnalité constitue une nette déviation par rapport à la norme. D’ailleurs, il ajoute que seulement 10 à 15 % de la population générale présente l’un de ces troubles de la personnalité, toutes catégories confondues.
[41] Il transpose ces données au cas en l’espèce pour démontrer qu’une personne qui présente une telle base psychologique réagit en fonction de celle-ci. Un choc simple peut être transposé comme dans le présent dossier en une lésion neurologique qui à prime abord apparaît très importante. Le docteur Drouin identifie d’ailleurs plus amplement ces éléments de discordance.
[42] Les faits étant ainsi établis, il y a lieu d’examiner si l’employeur a droit à un partage de coûts dans le présent dossier. Il est invoqué une déficience d’ordre psychologique basée sur le fait que le travailleur présente des traits de personnalité narcissique et un trouble somatoforme de type de conversion confirmés par les expertises médicales déposées au dossier.
[43] La soussignée tient à préciser dès à présent, comme le soulignait d’ailleurs la juge Lessard dans la décision Olymel Anjou[7] qu’il est important de distinguer un simple trait de personnalité d’un trouble de personnalité. Toutefois, chaque cas est un cas d’espèce et l’on peut convenir comme il l’a été décidé dans quelques décisions rendues récemment que certains traits de personnalité peuvent être reconnus comme un handicap, au sens de l’article 329 de la loi[8], dépendamment de la preuve soumise. Comme exprimé dans cette décision, il est difficile d’établir un principe uniforme lorsqu’on fait référence aux traits de personnalité étant donné que chaque personne a des traits particuliers qui la distingue[9].
[44]
En fait, les traits de personnalité d’une personne n’engendrent pas
automatiquement une déficience psychologique ou une altération d’une fonction
psychologique, tout dépendra de la preuve présentée. Ainsi, il y a lieu
d’évaluer la preuve soumise à l’égard des principes déjà élaborés par la
jurisprudence aux fins de l’analyse de la notion de handicap au sens de
l’article
[45] La preuve doit nécessairement démontrer une altération objectivée ne pouvant reposer que sur un simple trait de personnalité sans connotation pathologique. La Commission des lésions professionnelles considère que la preuve médicale est prépondérante en l’espèce pour conclure de la sorte. Au surplus, la structure de personnalité du travailleur est telle et qu’elle déborde de la normalité.
[46] Ainsi, il y lieu de reconnaître chez le travailleur la présence d’une déficience psychique préexistante à la lésion professionnelle, à savoir des traits de personnalité narcissique et un trouble somatoforme de type de conversion. La soussignée est d’avis que la preuve a démontré de façon prépondérante une altération objectivée que l’on peut qualifier de pathologique eu égard au processus de somatisation qui en est découlé.
[47] L’opinion du docteur Blouin s’appuie donc sur des éléments qui sont documentés et qui démontrent, en l’espèce, que la personnalité du travailleur a généré un comportement disproportionné eu égard à l’événement du 16 janvier 2009 en raison justement de la persistance et de l’exagération de la symptomatologie de ce dernier basées sur son déficit de la personnalité.
[48]
De plus, le docteur Drouin qui a évalué le travailleur le 20 avril 2009 ainsi
que le docteur Beltrami qui lui l’a évalué à deux occasions et ce, tant en 2006
qu’en 2009, concluent à une manifestation de trouble somatoforme de type de conversion.
On note aussi en 2006 des traits de personnalité narcissique. Ainsi, la preuve
révèle que la déficience psychique alléguée existait avant la survenance de la
lésion professionnelle du mois de janvier 2009, le docteur Beltrami en arrivant
à cette conclusion dès 2006, condition essentielle à l’application de l’article
[49] Également, tant dans son avis du 14 octobre 2009 que lors de son témoignage, le docteur Blouin fait la démonstration que le travailleur présente une structure de personnalité qui peut être qualifiée de pathologique et qui a nécessairement eu des effets sur les conséquences de la lésion professionnelle.
[50] Le tribunal estime qu’il a également été démontré que la déficience a joué un rôle déterminant sur la survenance de la lésion et sur ses conséquences. En effet, n’eut été de la personnalité du travailleur, l’évolution du dossier aurait été tout autre. L’exagération sur le plan psychique et les traits du travailleur ont prolongé de façon significative la consolidation du travailleur. Le docteur Beltrami précise dans son avis complémentaire que le trouble somatoforme a nécessairement augmenté les douleurs.
[51] Quant à la période de consolidation, il est souligné au présent dossier qu’elle a été d’une durée de 28,9 semaines. Or, si on s’en remet aux semaines normalement retenues pour une commotion cérébrale, et ce, comme le prévoit la table 1 des conséquences moyennes des lésions professionnelles les plus fréquentes en termes de durée de consolidation, l’employeur devrait se voir accorder un partage de 25 % à son dossier financier et de 75 % à l’ensemble des employeurs.
[52] Le tribunal précise que la table à laquelle il fait référence peut être utilisée à titre indicatif et qu’il n’est pas lié par son contenu, mais constitue tout de même un outil précieux lors de l’évaluation du pourcentage à accorder relativement à une demande de partage d’imputation. Ainsi, il y a lieu d’en tenir compte puisqu’il s’avère un indicateur pertinent relativement aux facteurs à apprécier dans le cadre du présent litige.
[53] Ainsi, en tenant compte de l’événement décrit, des conséquences disproportionnées vu l’état psychique du travailleur quant à la consolidation de la lésion et de l’impact même sur la survenance de la lésion puisqu’initialement on a faussement interprété la situation médicale du travailleur en diagnostiquant un TCC sévère alors qu’il est finalement qualifié de léger, conclusion qui découle de l’exagération de la symptomatologie du patient basée sur son déficit de la personnalité, le tribunal est d’avis que l’employeur a droit à un partage de coûts. Ainsi, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il serait équitable d’imputer un pourcentage de coûts dans une proportion de 25 % au dossier de l’employeur et de 75 % à l’ensemble des employeurs.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de F. F. Soucy inc., l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 31 mars 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur a droit à un partage de coûts dans une proportion de 25 % à son dossier financier et de 75 % aux employeurs de toutes les unités à la suite de la lésion professionnelle subie par monsieur Daniel Lévesque, le travailleur, le 16 janvier 2009.
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Manon Séguin |
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Me Jean-François Dufour |
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ASSPP QC INC. |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
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[3] Aliments Flamingo et CSST,
[4] Hôpital
général de Montréal,
[5] Corporation Steris Canada, 365603-31-0812, 7 octobre 2009, M.-G. Grégoire.
[6] M. F. LENZENWEGER et al., « DSM-IV Personality Disorders in the National Comorbidity Survey Replication », (2007); 62(6) 553-564.
[7] 416393-71-1007, 7 octobre 2011, C. Lessard.
[8] Caisse populaire Desjardins de Brossard,
[9] Précitée note 7.