Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Charl-Pol Saguenay inc.

2012 QCCLP 7735

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay

4 décembre 2012

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

456000-02-1111

 

Dossier CSST :

133306167

 

Commissaire :

Jean Grégoire, juge administratif

 

Assesseur :

Yves Landry, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Charl-Pol Saguenay inc.

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 30 novembre 2011, Charl-Pol Saguenay inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 18 novembre 2011 à la suite d'une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 7 septembre 2011 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par monsieur Alain Gagnon (le travailleur) le 3 septembre 2008.

[3]           Une audience a eu lieu le 4 septembre 2012 à Saguenay en présence du procureur de l’employeur, de madame Gina Larouche ainsi que du docteur Michel Blanchet. Lors de cette audience, le tribunal a demandé au procureur de l’employeur de lui acheminer la littérature médicale invoquée par le docteur Blanchet lors de son témoignage. Le dossier fut mis en délibéré le 20 septembre 2012, date à laquelle le tribunal a reçu les documents demandés.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que 90 % des coûts engendrés par la lésion professionnelle subie par le travailleur le 3 septembre 2008, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités, et ce, en application de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

LES FAITS

[5]           De la preuve documentaire et testimoniale, le tribunal retient notamment ce qui suit.

[6]           Alors âgé de 40 ans, le travailleur occupait, en 2008, un emploi de soudeur-monteur chez l’employeur.

[7]           Le 3 septembre 2008, en dévissant un serre-joint sur une poutre de métal pesant environ 800 livres, celle-ci a glissé et a frappé le travailleur au niveau de son épaule droite. Lors de l’impact, le travailleur fut projeté au sol et resta coincé pendant quelques instants sous la poutre de métal.

[8]           À la suite de cet événement, le travailleur est conduit à l’urgence du CSSS de Chicoutimi où le docteur Guy Chamberland pose le diagnostic de contusions multiples. Selon des radiographies effectuées lors de l’arrivée à l’hôpital, la présence de phénomènes de spondylodiscarthrose multiétagée, mais touchant particulièrement les niveaux L2-L3 et L5-S1, est notamment décrite.

[9]           Le travailleur demeure ensuite hospitalisé du 4 au 17 septembre 2008, où il rencontre, le 8 septembre 2008, le docteur Louis-René Bélanger (chirurgien orthopédiste). Ce dernier retient également le diagnostic de contusions multiples et indique, dans ses notes de consultation, que le travailleur « a mal un peu partout ». Le docteur Bélanger demande qu’une scintigraphie osseuse soit réalisée afin de confirmer la présence d’une fracture de la vertèbre L1. Cet examen, réalisé le 10 septembre 2008 a révélé la présence d’un remaniement osseux anormal au corps vertébral de L1, compatible avec un écrasement vertébral récent.

[10]        Le 15 septembre 2008, une imagerie par résonance magnétique cervicale révèle la présence d’une hernie discale de taille modérée en C5-C6 qui comprime légèrement le versant antérieur de la moelle. On indique également que cette hernie discale pourrait comprimer légèrement la racine sortante du côté gauche.

[11]        Le 25 septembre 2008, la CSST reconnaît que le travailleur a subi, le 3 septembre 2008, un accident du travail qui lui a causé des contusions multiples et une hernie discale C5-C6 gauche.

[12]        À compter du 7 octobre 2008, le travailleur est pris en charge par le docteur André Ouellet qui pose notamment les diagnostics de hernie discale cervicale et de fracture de L1.

[13]        Le 3 décembre 2008, le docteur Bélanger revoit le travailleur et demande qu’une nouvelle radiographie de la colonne lombaire soit réalisée. Compte tenu que cet examen a confirmé la stabilisation d’une légère déformation cunéiforme du corps vertébral de L1 avec écrasement d’environ 15 à 20 %, le docteur Bélanger lui recommande la reprise de ses activités normales.

[14]        Toutefois, le 8 décembre 2008, le docteur Ouellet indique la présence d’une névralgie au membre supérieur gauche et demande qu’une nouvelle imagerie par résonance magnétique cervicale soit réalisée. Cet examen, effectué le 29 décembre 2008 a été interprété comme suit par le radiologiste Michel Bérubé :

Opinion :

 

1.-Hernie discale C5-C6 postéro-latérale gauche de taille modérée, déformant la face ventrale antérieure de la moelle et pouvant donner une radiculopathie C6 gauche. Une opinion en neurochirurgie est suggérée.

 

2.-Discrète hernie discale paramédiane gauche en C7-T1.

 

3.-Spondylo-discarthrose légère en C4-C5 et C5-C6.

 

4.-Sténoses probables des foramens de conjugaison des niveaux C3-C4 à C5-C6.  [sic

[15]        Le 19 janvier 2009, le docteur Ouellet demande que le travailleur soit évalué en neurochirurgie.

[16]        Le 6 mars 2009, une imagerie par résonance magnétique lombaire est effectuée et révèle ce qui suit :

Il existe des phénomènes de discopathie dégénérative multi-étagée touchant les niveaux L2-L3 à L5-S1.

 

Au niveau L2-L3, on note une légère diminution de la hauteur du disque s’accompagnant d’un bombement discal circonférentiel. Il n’y a pas de hernie discale focale identifiable. Les foramens de conjugaison sont libres. Légère arthrose facettaire.

 

Au niveau L3-L4, il existe une légère diminution de la hauteur du disque. Présence d’une hernie discale postéro-médiane de type déchirure radiaire qui est non compressive. Cette hernie s’accompagne par contre d’une composante postéro-latérale et foraminale gauche mais sans obstruction significative du foramen de conjugaison et sans signe franc de compression de la racine sortante à ce niveau. Légère arthrose facettaire bilatérale.

 

Au niveau L4-L5, la hauteur du disque est modérément réduite. Il y a eu laminectomie gauche pour discectomie.

 

Le récessus postéro-latéral est occupé par des densités tissulaires qui descendent dans le récessus derrière le corps vertébral L5 du côté gauche. Ces densités tissulaires montrent par contre un rehaussement post-gadolinium mais l’aspect est plutôt en faveur de fibrose cicatricielle que d’une récidive de hernie discale. Ce tissu entoure la racine L5 gauche mais celle-ci n’est pas déplacée ni comprimée. II n’y a pas de compression des racines sortantes non plus.

 

Au niveau L5-S1, diminution modéré de la hauteur du disque. Présence d’une hernie discale paramédiane droite qui déforme le versant antérieur du sac thécal, refoulant postérieurement la racine S1 droite. Il n’y a pas de compression sur les racines sortantes L5.  [sic]

 

[17]        Le 27 mars 2009, le neurochirurgien Leonardo Neto évalue le travailleur et souligne que son examen neurologique a mis en évidence un déficit moteur au niveau de la racine C6. Il émet l’opinion que la condition du travailleur ne nécessite pas une intervention chirurgicale, mais suggère la poursuite de traitements conservateurs.

[18]        Le 8 avril 2009, le travailleur rencontre le docteur François Lefebvre (chirurgien orthopédiste). Relativement aux antécédents du travailleur, le docteur Lefebvre indique que ce dernier a eu, en 2001, une discoïdectomie au niveau L4-L5 gauche et que cette chirurgie n’était pas reliée à une lésion professionnelle. Malgré cette intervention, le docteur Lefebvre note que le travailleur est demeuré avec une sensation d’engourdissement au membre inférieur gauche. Par la suite, le docteur Lefebvre souligne que le travailleur a eu, en 2007, quelques semaines d’arrêt de travail en raison d’une entorse dorsolombaire liée à un accident du travail. Au sujet de la condition actuelle du travailleur, le docteur Lefebvre écrit que celui-ci n’a plus de problèmes au niveau lombaire, mais qu’il demeure avec une cervicalgie diffuse avec irradiation douloureuse au bras gauche et présence de picotements à certains doigts. À la suite de son examen clinique, le docteur Lefebvre retient que les contusions multiples et la discrète fracture de L1 sont consolidées, mais que la hernie discale C5-C6 est en voie de résolution. Des traitements sous forme d’infiltrations cortisonées sont alors suggérées pour cette dernière condition.

[19]        Le 23 avril 2009, le docteur Neto écrit que le travailleur présente encore une cervicalgie ainsi qu’une lombalgie et suggère un traitement par blocs facettaires pour la condition cervicale.

[20]        Le 31 juillet 2009, le travailleur bénéficie d’un traitement par blocs facettaires. Selon la note du physiatre Yves Bergeron, le travailleur présente une souffrance segmentaire multiétagée de C4-C5 à C6-C7 gauches.

[21]        Le 8 septembre 2009, le docteur Ouellet écrit qu’il persiste un syndrome douloureux lombaire ainsi qu’une brachialgie gauche. De nouvelles infiltrations cervicales sont alors suggérées. Le 29 octobre 2009, le docteur Claude Bouthillier, physiatre, écrit, dans sa note de consultation, que le travailleur présente une dysfonction cervicale haute pour laquelle il procède à des infiltrations intra-articulaires au niveau C1-C2 droit et gauche.

[22]        Le 24 novembre 2009, le travailleur est rencontré par le docteur Michel Blanchet (chirurgien orthopédiste) pour fins d’expertise médicale. Relativement à la condition actuelle du travailleur, le docteur Blanchet écrit que celui-ci présente une cervicalgie avec occasionnellement des engourdissements au membre supérieur gauche. Il ajoute que la condition cervicale est stable depuis deux à trois mois et que la condition lombaire est asymptomatique. À la suite de l’examen clinique du travailleur, il conclut que tant la fracture au niveau de la vertèbre L1 que la hernie discale cervicale sont consolidées sans nécessiter de soins ou de traitements additionnels.

[23]        Le 19 février 2010, le travailleur rencontre le docteur Jean-Pierre Lacoursière, agissant à titre de membre du Bureau d'évaluation médicale. Au sujet des symptômes actuels du travailleur, le docteur Lacoursière indique que celui-ci se plaint de douleurs cervicales qui irradient au niveau des deux membres supérieurs (gauche plus que droit). Le travailleur se plaint également de douleurs lombaires qui irradient jusqu’aux premier et deuxième orteils du pied gauche. À la suite de son examen clinique, le docteur Lacoursière confirme les diagnostics de fracture de l’omoplate gauche, de fracture de la vertèbre L1 et de hernie discale C5-C6 gauche. Il estime que ces lésions sont consolidées en date du 19 février 2010 sans nécessiter de soins additionnels. Un déficit anatomophysiologique de 9,5 % est cependant reconnu au travailleur de même que des limitations fonctionnelles de classe I pour la colonne cervicale.

[24]        Le 5 mars 2010, la CSST rend une décision conforme à l’avis rendu par le docteur Lacoursière du Bureau d'évaluation médicale.

[25]        Le 8 mars 2010, la CSST rend une autre décision par laquelle elle juge que le travailleur est capable, malgré ses limitations fonctionnelles, de refaire son emploi prélésionnel.

[26]        Le 9 mars 2010, le docteur Ouellet complète un rapport final pour la CSST et réfère à l’évaluation réalisée par le docteur Lacoursière du Bureau d'évaluation médicale.

[27]        Le 17 août 2011, l’employeur dépose à la CSST une demande de partage de coût en vertu de l’article 329 de la loi. Dans sa demande, l’employeur fait notamment référence à la présence, chez le travailleur, de douleurs cervicales antérieurement à l’événement du 3 septembre 2008 et fournit une déclaration assermentée de ce dernier datée du 7 juillet 2011, déclaration dont il pertinent d’en reproduire les extraits suivants :

[…]

 

«Je soussigné Alain Gagnon, domicilié et résidant au […], La Baie, Québec, […], affirme solennellement ce qui suit:

 

1. J’ai été à l’emploi de Charl-Pol Saguenay jusqu’au 26 avril 2010.

 

2. Au cours de mon emploi chez Charl-Pol Saguenay inc., j’ai allégué un accident de travail qui serait survenu le 3 septembre 2008.

 

3. Au moment des événements, j’ai déclaré qu’une poutre que j’étais entrain de souder était tombée sur ma tête.

 

[…]

 

5. Cependant, lors de l’événement du 3 septembre 2008, cette poutre est plutôt tombée à la hauteur de mon épaule et non sur ma tête.

 

6. Par contre, dans le cadre d’un événement survenu dans ma vie personnelle à ma résidence le 2 septembre 2007, événement au cours duquel j’ai forcé en tentant de manœuvrer ma tente-roulotte, j’ai effectivement eu des douleurs cervicales. D’ailleurs, le rapport de mon médecin traitant en date du 9 octobre 2007 fait état notamment d’une entorse ayant une étendue au niveau cervical également.»

 

[…]  [sic]

[28]        Le 7 septembre 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît que le travailleur présentait un handicap préexistant, mais que celui-ci n’a pas eu d’effet sur la survenance ou sur les conséquences de la lésion professionnelle. L’employeur demande alors la révision de cette décision.

[29]        Le 5 octobre 2011, le travailleur consulte à nouveau le docteur Ouellet qui fait état d’une aggravation possible de sa condition cervicale en raison de l’utilisation d’un casque de protection respiratoire.

[30]        Le 22 octobre 2011, le docteur Ouellet émet l’opinion qu’il y a récidive de l’hernie discale cervicale et recommande au travailleur des traitements de chiropractie. Toutefois, dans une décision rendue le 12 décembre 2011, la CSST a refusé de reconnaître cette récidive, rechute ou aggravation au motif qu’il n’y avait pas de détérioration objective de la condition cervicale du travailleur.

[31]        Le 18 novembre 2011, à la suite d'une révision administrative, la CSST confirme sa décision du 7 septembre 2011. Dans sa décision, la CSST reconnaît que le travailleur présente un handicap préexistant prenant la forme suivante :

Par ailleurs, les éléments au dossier permettent de conclure qu’il y a présence de handicaps préexistants chez le travailleur. En effet, le résultat de l’IRM réalisée le 6 mars 2009 démontre la présence d’une discoïdectomie L4-L5 et une discopathie dégénérative de L2-L3 à L5-S1. Finalement, tel que mentionné dans l’avis du BEM, le travailleur a des antécédents d’entorse lombaire avec séquelles.  [sic]

 

[32]        La CSST maintient toutefois que ce handicap n’a pas eu d’impact sur la survenance ou sur les conséquences de la lésion professionnelle subie par le travailleur.

[33]        Le 30 novembre 2011, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste la décision rendue par la CSST le 18 novembre 2011, d’où le présent litige.

[34]        Par ailleurs, lors de l’audience, plusieurs documents ont été déposés en preuve (pièces E-1 à E-6) dont le dossier médical du travailleur provenant du CSSS de Chicoutimi ainsi que celui provenant de la clinique médicale familiale Barrette. Parmi ces documents, il est pertinent de faire état que le 2 juin 2001, le travailleur a subi une discoïdectomie au niveau L4-L5 gauche en raison de la présence d’une hernie discale et qu’il y a eu récidive de lombalgie le 16 juin 2002.

[35]        Il y a aussi lieu de mentionner la présence d’un formulaire d’assurance salaire qui confirme un arrêt de travail du 2 septembre au 26 octobre 2007, en raison de la présence d’une entorse cervicodorsolombaire et d’une tendinite à l’épaule gauche. Selon le formulaire complété par le médecin le 5 septembre 2007, cette invalidité est consécutive au déplacement d’une roulotte par le travailleur sur son terrain.

[36]        Lors de l’audience, le tribunal a entendu le témoignage du docteur Blanchet. Ce dernier passe d’abord en revue les examens réalisés par les différents médecins évaluateurs qui ont rencontré le travailleur durant son suivi médical. Il souligne qu’après le mois d’avril 2009, les rapports médicaux ne démontrent plus la présence de signes cliniques reliés à une hernie discale cervicale, mais plutôt la présence d’une cervicalgie, dont la localisation varie d’un évaluateur à l’autre. À ce propos, il fait remarquer au tribunal que selon la note du docteur Bouthillier du 29 octobre 2009, le travailleur présentait des douleurs cervicales au niveau C1-C2, et ce, bilatéralement. Quant au docteur Bergeron, il retrouvait, au mois de juillet 2009, des douleurs cervicales de C4-C5 à C6-C7.

[37]        Le docteur Blanchet poursuit son témoignage en affirmant que la présence de douleurs cervicales après le mois d’avril 2009, est reliée à la condition personnelle de discopathie dégénérative cervicale du travailleur, condition démontrée lors de l’imagerie par résonance magnétique du 29 décembre 2008. Il souligne que cet examen a révélé la présence d’une arthrose légère aux niveaux C4-C5 et C5-C6 ainsi que des sténoses des foramens de conjugaison aux niveaux C3-C4 à C5-C6. Le docteur Blanchet déclare que selon la littérature médicale, il est hors norme biomédicale de retrouver une telle condition personnelle chez un homme âgé de 40 ans. Il souligne que la période de consolidation habituelle d’une hernie discale cervicale est de deux à trois mois, alors que celle retrouvée dans le présent dossier a été d’un an et demi.

[38]        En ce qui concerne la région lombaire, il souligne que le travailleur a eu, en 2001, une discoïdectomie au niveau L4-L5 ainsi que quelques entorses lombaires par la suite. Selon lui, ces antécédents au niveau lombaire, particulièrement la chirurgie subie en 2001, ont fragilisé la colonne lombaire du travailleur. Il ajoute que la présence d’une spondylodiscarthrose multiétagée n’est également pas habituelle chez un individu de 40 ans.

[39]        Le docteur Blanchet termine son témoignage principal en déclarant que n’eût été la condition personnelle d’arthrose cervicale, le travailleur aurait eu une récupération complète de sa lésion, c’est-à-dire sans séquelle permanente ni limitation fonctionnelle.

[40]        Appelé à fournir au tribunal la littérature médicale à laquelle il réfère lors de son témoignage, le docteur Blanchet a fait parvenir les articles suivants :  « Abnormal Magnetic-Resonance Scans of the Cervical Spine in Asymptomatic Subjects »[2] et « The Adult Spine »[3]. Dans une lettre datée du 18 septembre 2012, le docteur Blanchet commente de la façon suivante ces deux articles de littérature médicale :

Vous trouverez un premier article intitulé «Résonance magnétique anormale au niveau de la colonne cervicale chez les patients asymptomatiques». Je vous réfère à la première page, colonne de gauche et à la fin du premier paragraphe. On y fait état d’une étude de résonance magnétique faite chez 63 volontaires qui n’avaient aucune histoire de symptôme ou de pathologie cervicale. On indique, dans les cinq dernières lignes du premier paragraphe, que la dégénérescence discale est aussi notée et les disques étaient dégénérés ou pincés à un niveau ou plus chez 25 % des patients qui étaient âgée de moins de 40 ans et chez près de 60 % des patients qui étaient âgés de plus de 40 ans.

 

En ce qui regarde la hernie discale et la sténose foraminale. On y indique que, chez les patients âgés de moins de 40 ans, 10 % avaient une hernie du noyau gélatineux et 4 % avaient une sténose foraminale. Chez les gens âgés de plus de 40 ans, 5 % avaient une

hernie du noyau gélatineux et 20 % avait une sténose foraminale.

 

Lors de l’événement du 3 septembre 2008, monsieur Gagnon était âgé de 40 ans. La résonance magnétique démontrait donc déjà des signes de sténose foraminale et des signes de hernie discale ainsi que de discarthrose légère en C4-C5 et C5-C6. On peut donc ici affirmer que l’état de monsieur Gagnon en date du 3 septembre 2008 était hors norme biomédicale en ce qui concerne la colonne cervicale.

 

En ce qui concerne la colonne lombaire, je vous réfère à un tableau prélevé du volume «The Adult Spine». On indique que la prévalence de dégénérescence discale à la radiographie est de moins de 10 % chez les patients qui sont âgés de moins de 44 ans et que cette incidence augmente progressivement chez les patients âgés de plus de 44 ans. À nouveau, je pense qu’on peut affirmer ici que l’état de la colonne lombaire de monsieur Gagnon, décrit sur la résonance magnétique de mars 2009, faisait état de la spondylodiscarthrose multiétagée, ce qui m’apparaît hors norme médicale chez un patient âgé de 40 ans puisque cette arthrose multiétagée m’apparaît comme relativement sévère puisqu’elle est présente sur tous les segments de la colonne lombaire sauf L1-L2.  [sic]

 

LES MOTIFS

[41]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit au partage de coût qu’il réclame en vertu de l’article 329 de la loi.

[42]        Cet article 329 de la loi se lit ainsi :

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

[43]        Dans l’affaire Municipalité Petite-Rivière-St-François et CSST[4], l’on a défini comme suit la notion de handicap :

[23] La Commission des lésions professionnelles considère qu’un travailleur déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.

 

[24] La première étape consiste donc à vérifier si le travailleur présente une déficience physique ou psychique. Sur ce point, il est utile de se référer à la Classification internationale des handicaps élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (Paris, CTNERHI-Inserm, 1988) parce que ce manuel a l’avantage de représenter un consensus de la communauté médicale internationale sur ce que constitue un handicap. Selon cet ouvrage, une déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme bio-médicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise. Finalement, pour reprendre le courant de jurisprudence que la soussignée partage, la déficience peut ou non se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.

 

(…)

 

[26] En plus de démontrer la présence d’une déficience, l’employeur a aussi le fardeau de démontrer que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.  [sic]

 

 

[44]        En fonction de cette dernière décision, l’employeur qui désire obtenir un partage de coût en vertu de l’article 329 de la loi doit d’abord démontrer l’existence d’une déficience et par la suite, que celle-ci a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.

[45]        Par ailleurs, afin d’analyser si la déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion, certains critères doivent être pris en considération dont notamment la nature ou la gravité du fait accidentel à l’origine de la lésion professionnelle.

[46]        De plus, lorsque l’on doit analyser si la déficience a eu des effets sur les conséquences de la lésion professionnelle, l’on doit notamment tenir compte de l’évolution de la condition du travailleur, de la durée de la période de consolidation, de l’existence de séquelles permanentes et/ou de limitations fonctionnelles partiellement en lien avec la présence d’une déficience et de la référence du travailleur en réadaptation.

[47]        En l’espèce, le tribunal constate que la CSST a reconnu que le travailleur présentait, au moment de sa lésion professionnelle du 3 septembre 2008, une déficience au niveau lombaire prenant la forme d’une discopathie dégénérative de L2-L3 à L5-S1, d’une discoïdectomie L4-L5 ainsi que des antécédents d’entorse lombaire avec séquelles. Cet aspect de la décision de la CSST n’est d’ailleurs pas remis en cause par l’employeur dans le présent dossier.

[48]        L’employeur allègue toutefois qu’il y a également lieu de reconnaître la présence d’une déficience au niveau cervical prenant la forme d’une spondylodiscarthrose multiétagée avec sténoses des foramens de conjugaison aux niveaux C3-C4 à C5-C6.

[49]        Or, après analyse et considération de la preuve documentaire et testimoniale, le tribunal estime que cette prétention de l’employeur est bien fondée, puisque conforme à la preuve.

[50]        En effet, le tribunal retient que selon l’imagerie par résonance magnétique cervicale du 29 décembre 2008, outre la présence d’une hernie discale au niveau C5-C6 qui représente la lésion professionnelle en elle-même, cet examen révèle la présence d’une spondylodiscarthrose touchant les niveaux C4-C5 et C5-C6 ainsi que des sténoses « probables » des foramens de conjugaison des niveaux C3-C4 à C5-C6. Même si la radiologiste n’est pas totalement certaine de la présence de sténoses au niveau des foramens de conjugaison, le tribunal estime que l’utilisation du terme « probables » ainsi que l’évolution des symptômes cervicaux du travailleur orientent davantage vers la présence d’une telle condition que le contraire. Finalement, il est pertinent de mentionner que cet examen met en lumière la présence de pincements discaux légers aux niveaux C4-C5 et C5-C6.

[51]        Or, selon le témoignage non contredit du docteur Blanchet, la présence d’une spondylodiscarthrose touchant deux niveaux ainsi que des sténoses des foramens de conjugaison impliquant trois niveaux représentent une condition hors norme biomédicale chez un individu alors âgé de 40 ans.

[52]        Cette opinion du docteur Blanchet est d’ailleurs conforme à la littérature médicale[5] déposée au dossier du tribunal à l’effet que chez les individus âgés de moins de 40 ans, seul 4 % d’entre eux avait de la sténose foraminale. De plus, chez les individus de plus de 40 ans, une telle condition se retrouvait uniquement dans 20 % des cas. De ces éléments, l’on doit donc en conclure que la présence de sténoses au niveau des  foramens de conjugaison impliquant trois niveaux représente, chez un individu âgé de 40 ans, une condition relativement peu fréquente et pouvant certainement être qualifiée de déficience.

[53]        De plus, le tribunal estime qu’en tenant compte de la présence d’une spondylodiscarthrose multiétagée, ainsi que la présence de pincements discaux aux niveaux C4-C5 et C5-C6, force est de conclure que la condition cervicale du travailleur dévie par rapport à la norme biomédicale et peut être qualifiée de déficience chez un individu âgé de 40 ans.

[54]        La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si les déficiences ci-haut décrites ont eu un impact sur la survenance ou sur les conséquences de la lésion professionnelle.

[55]        En l’espèce, à l’instar du procureur de l’employeur, le tribunal constate que l’événement du 3 septembre 2008 n’est pas banal puisque le travailleur a été heurté par une poutre de métal pesant environ 800 livres. Face à la gravité évidente de cet événement, il y a lieu de conclure que les déficiences présentes, tant au niveau cervical que lombaire, n’ont pas eu d’impact quelconque sur la survenance des lésions professionnelles reconnues au travailleur. Il reste donc à déterminer si les déficiences ont eu un impact sur les conséquences de la lésion professionnelle.

[56]        Relativement aux déficiences retrouvées à la région lombaire, le tribunal estime que la preuve prépondérante ne démontre pas que celles-ci ont eu un impact sur les conséquences de la lésion professionnelle subie à ce niveau, soit une fracture de la vertèbre L1.

[57]        En effet, bien que l’ensemble des lésions du travailleur ait été consolidé par le membre du Bureau d'évaluation médicale en date du 19 février 2010, la preuve médicale prépondérante est à l’effet que la condition lombaire est rentrée dans l’ordre relativement rapidement. À ce propos, le tribunal constate que dès le 8 avril 2009, le docteur Lefebvre soulignait que le travailleur avait retrouvé son état prélésionnel au niveau lombaire. Le docteur Blanchet indiquait la même chose dans son rapport du 24 novembre 2009, où il écrit que « la région lombaire est asymptomatique ».

[58]        Par conséquent, en tenant compte que la preuve ne révèle pas l’existence d’un suivi médical constant ou prolongé pour la région lombaire et que la durée habituelle de consolidation d’une fracture vertébrale est de 15 semaines[6], force est de conclure que malgré la présence de déficiences au niveau lombaire, ces dernières n’ont pas eu d’impact sur les conséquences de la lésion professionnelle. D’ailleurs, le tribunal constate qu’aucune limitation fonctionnelle pour la région lombaire n’a été reconnue au travailleur par le membre du Bureau d’évaluation médicale et que l’attribution d’un déficit anatomophysiologique de 2 % est uniquement en lien avec la présence de la fracture vertébrale subie lors de l’événement du 3 septembre 2008.

[59]        La Commission des lésions professionnelles conclut donc que malgré la présence de déficiences au niveau lombaire, dont un antécédent de discoïdectomie, ces dernières n’ont pas eu d’impact sur les conséquences de la lésion professionnelle.

[60]        Par contre, le tribunal estime que la preuve prépondérante démontre que les déficiences présentes au niveau cervical ont eu un impact sur les conséquences de la lésion professionnelle reconnues à ce niveau par la CSST.

[61]        En effet, le tribunal retient que selon le docteur Blanchet, une hernie discale se consolide habituellement à l’intérieur d’une période de deux à trois mois. Or, dans le présent dossier, la période de consolidation retrouvée a été d’un an et demi.

[62]        À l’instar du docteur Blanchet, il y a lieu de considérer que cette importante prolongation de la période consolidation découle de la présence des conditions personnelles de spondylodiscarthrose multiétagée, de sténoses des foramens de conjugaison et des pincements discaux retrouvés au niveau cervical.

[63]        De plus, la preuve démontre que ces déficiences présentes au niveau cervical ont influencé la nature et la durée des traitements administrés au travailleur. En effet ce dernier a dû recevoir des blocs facettaires à plusieurs niveaux de la colonne cervicale, soit au niveau C1-C2 ainsi qu’aux niveaux C4-C5 à C6-C7.

[64]        Finalement, le tribunal retient que selon le témoignage du docteur Blanchet, les déficiences préexistantes ont contribué à augmenter la gravité des séquelles permanentes reconnues au travailleur et ont aussi eu un impact sur l’attribution de limitations fonctionnelles au niveau cervical.

[65]        C’est ainsi qu’en considérant l’ensemble de ces éléments, le tribunal estime tout à fait justifié d’accorder à l’employeur un partage de coût de l’ordre de 10 % à son dossier financier  et de 90 % à l’ensemble des employeurs.

[66]        La requête de l’employeur est donc accueillie.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Charl-Pol Saguenay inc., l’employeur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 18 novembre 2011 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que 10 % des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par monsieur Alain Gagnon, le travailleur, le 3 septembre 2008, doit être imputé au dossier financier de l’employeur et que 90 % des coûts de cette lésion doit être imputé à l’ensemble des employeurs.

 

 

 

 

Jean Grégoire

 

 

Me Sébastien Gobeil

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN, AVOCATS

Représentant de la partie requérante

 

 



[1]          L.R.Q., c.A-3.001.

[2]          Scott D. BODEN et al.,« Abnormal Magnetic-Resonance Scans of the Cervical Spine in Asymptomatic Subjects : A Prospective Investigation », (1990) 72 Journal of Bone and Joint Surgery, American Volume, pp. 1178-1184.

[3]          John W. FRYMOYER, The Adult Spine : Principles and Practice, 2e éd., Philadelphie, Lippincott-Raven, 1997, p. 127.

 

[4]           [1999] C.L.P. 779 .

[5]           Précitée, note 2.

[6]           Selon la table des conséquences moyennes des lésions professionnelles les plus fréquentes en termes de durée de consolidation, politique administrative habituellement utilisée par la CSST et dont le tribunal a une connaissance d’office vu sa spécialisation.

 

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