Décision

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                       COUR D'APPEL

 

 

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

No: 500 - 09-000295-907

   (500-05-010645-891)

 

 

 

 

 

CORAM: LES HONORABLES  BISSON, J.C.Q.

                       DUBÉ

                       GENDREAU

                       MAILHOT

                       FISH, JJ.C.A.

 

 

 

 

                                            

 

JEAN CHAPUT,

 

          APPELANT (mis en cause)

 

c.

 

SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE MONTRÉAL,

 

          INTIMÉE (requérante)

 

et.

 

COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES,

 

          MISE EN CAUSE (intimée)

 

et

 

JACQUES-GUY BÉLIVEAU,

 

          MIS EN CAUSE (intimé)

 

 

 

 

et

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU   TRAVAIL,

 

          MISE EN CAUSE (mise en cause) 

                                            

 

 

 

                    OPINION DU JUGE EN CHEF

 

             La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] est entrée en vigueur le 19 août 1985.

 

             À l'occasion du présent pourvoi et de cinq autres plaidés en même temps que celui-ci, notre Cour, pour la première fois, doit se pencher sur diverses questions fondamentales.              

 

             L'article 476 de la Loi dispose:

        Sous réserve de l'article 478, la présente loi remplace la Loi sur les accidents du travail (L.R.Q., chapitre A-3).

 

             La réserve de l'article 478 a trait aux accidents du travail survenus avant l'entrée en vigueur de la Loi, soit avant le 19 août 1985.

 

             Aussi bien l'événement qui a donné lieu au présent litige que les événements qui ont conduit aux cinq autres instances dont les pourvois ont été entendus en même temps que le présent sont tous survenus après le 19 août 1985.

 

             Je signale immédiatement que c'est ce qui distingue la présente espèce de celles à la base de deux arrêts prononcés par notre Cour en 1991 et décidés sous la loi précédente:

 

        -Ann Antenucci et al

             c. Canada Steamship Lines Inc.

             et La Commission de la santé et de la sécurité du             travail et al

             1991 R.J.Q. 968

        Permission d'appeler refusée par la Cour suprême du Canada le 7 novembre 1991 (1991) 3 R.C.S. VI

 

 

        -Roger Lefebvre

             c. La Commission des Affaires sociales et al

             et Leco Industries Ltée

             1991 R.J.Q. 1864

 

             Les principales questions soulevées par le présent pourvoi peuvent être définies comme suit:

 

1.-La limite du pouvoir d'intervention des tribunaux judiciaires dans les décisions de la mise en cause (C.A.L.P.) et de ses commissaires;

 

2.-La notion d'erreur déraisonnable, particulièrement dans la détermination de ce que sont un accident du travail et une lésion professionnelle, par application des définitions données à l'article 2 de la Loi.

 

3.-La portée de la présomption édictée à l'article 28 de la Loi, cette disposition étant de droit nouveau.

 

             Une fois cernés les principes qui doivent s'appliquer relativement à ces trois questions, restera à voir quels doivent en être les résultats pour le cas sous étude.

 

LES FAITS ET LES PROCÉDURES

                              Les faits

             Le 6 février 1987, Jean Chaput était chauffeur d'autobus à l'emploi de la S.T.C.U.M. et se trouvait immobilisé pour quelques minutes, en bout de ligne de son circuit.

 

             Tirant son paquet de cigarettes de la poche de sa chemise, il accroche un crayon qui tombe sur le plancher.

 

             En se penchant, tout en restant assis, Jean Chaput ressent un "craquement" dans le bas du dos "ainsi qu'une douleur".

 

             Le jour même, il se rend consulter un médecin qui diagnostique une entorse lombaire et lui prescrit un repos.

 

             Jean Chaput aurait été absent de son travail du 6 au 24 février 1987.

 

                      La décision de la C.S.S.T.

             Dans l'exercice de sa compétence prévue aux articles 349 à 357 de la Loi, la C.S.S.T. est saisie d'une réclamation de l'appelant et le 5 mars 1987 madame Lucille Jérôme, du service de la réparation de la Direction Régionale Île-de-Montréal, prononce comme suit dans une lettre qu'elle écrit à l'appelant:

 

        LE FAIT DE RAMASSER SON CRAYON N'EST PAS UN FAIT ACCIDENTEL, LA RÉCLAMATION EST REFUSÉE.

 

             La décision du Bureau de révision paritaire

             S'autorisant de l'article 358 de la Loi, l'appelant porte l'affaire devant le Bureau de révision paritaire Île-de- Montréal et trois membres de ce bureau se penchent sur le cas.

 

             Il y a audition le 11 mai 1987 et décision le 29 mai suivant.

 

             Le Bureau de révision note que l'appelant a "... décrit comme suit les circonstances de l'accident:

 

        J'étais assis dans mon véhicule quand tout à coup j'ai sorti mon paquet de cigarettes et mon crayon est tombé par terre derrière les pédales (frein, accélération).  Je me suis penché pour le ramasser puis j'ai senti un craquement dans le bas du dos, ce n'est que par la suite que j'ai commencé à sentir un mal lancinant. "

 

 

             Puis, sur environ deux pages, le Bureau fait état de la preuve faite devant lui pour ensuite passer à sa décision qui couvre elle-même environ une page et demie.

 

             Le Bureau en vient à la conclusion que la présomption de l'article 28 de la Loi s'applique mais exprime l'"avis que le geste posé par le travailleur le 6 février 1987 n'est ni imprévu ni soudain."

 

             Pour en arriver à cette conclusion le Bureau de révision prend appui sur la définition de l'article 2 de la Loi qui, soit dit en passant, est, à toutes fins utiles, la même que celle de la loi de 1978 (L.Q. 1978, c.57, a.3).

 

             Le Bureau de révision poursuit en disant qu'il

 

        ... retient des documents déposés par l'employeur et non contestés par le travailleur, que le travailleur était, au moment de l'accident, atteint d'une maladie qui le prédisposait à ressentir des douleurs au dos lorsqu'il se penchait.

 

             La blessure subie étant attribuable à une condition préexistante, le Bureau de révision conclut donc que l'appelant

 

        ... n'a donc pas été victime d'un accident du travail au sens de l'article 2 de la L.A.T.M.P.

 

 

             La décision de la C.S.S.T. est donc confirmée.

 

                      La décision de la C.A.L.P.

             S'appuyant sur l'article 359 ainsi que sur les articles 397 et suivants de la Loi, l'appelant se pourvoit devant la C.A.L.P., qui, sous la présidence du commissaire Jacques-Guy Béliveau, tient une audition le 17 janvier 1989 et rend sa décision le 14 juin 1989, accueillant le pourvoi, infirmant la décision précédente du 29 mai 1987 et déclarant que le 6 février 1987 l'appelant a été victime d'une lésion professionnelle.

 

             Le commissaire Béliveau déclare que pour que s'applique la présomption de l'article 28:

 

        -Il doit y avoir une blessure;

 

        -la blessure doit être survenue sur les lieux du travail;

 

        -le travailleur devait être à son travail.

 

             Puisque Jean Chaput a dû faire un mouvement de torsion en se pliant pour ramasser son crayon, il a subi une blessure.

 

             Quant aux deux autres éléments de la définition de l'accident du travail prévue à l'article 2, le commissaire déclare qu'ils sont présents ici et il conclut que, lorsque le crayon est tombé de la poche de Jean Chaput et que ce dernier s'est penché, il s'est produit un événement imprévu et soudain.

 

                  Le jugement de la Cour supérieure

             L'intimée s'adresse à la Cour supérieure pour obtenir un bref d'évocation à l'encontre de la décision de la C.A.L.P.

 

             Le jugement entrepris est prononcé dans le district de Montréal le 7 février 1990 faisant droit à la requête de l'intimée et cassant et annulant la décision de la C.A.L.P. avec dépens contre cette dernière et contre l'appelant.

 

             On peut résumer comme suit le jugement de la Cour supérieure.

 

             Il est acquis au débat - et la S.T.C.U.M. ne le conteste pas - que le 6 février 1987 Jean Chaput a bien subi une entorse lombaire.

 

             Le juge se demande alors si cet événement correspond aux définitions données à l'article 2 de la Loi relativement aux deux notions suivantes:

        -"accident du travail"

        -"lésion professionnelle".

       

             Le juge décide que "la blessure subie par Chaput n'avait nullement le caractère d'imprévisibilité et de soudaineté requises par l'article 2 précité".

 

             Par ailleurs, la preuve médicale offerte par la S.T.C.U.M. conduit "sans contradiction aucune" à la conclusion que la présomption créée par l'article 28 de la Loi a été repoussée, ceci plus particulièrement à la lumière de l'examen médical que l'employeur a fait subir à Jean Chaput par son propre médecin le 2 mars 1987.

 

             Suivant le rapport du 2 mars 1987 du docteur Paul-Émile Renaud, chirurgien orthopédiste, l'appelant était atteint, le 6 février 1987, d'une maladie le prédisposant à une blessure ou à une lésion s'il se penchait.

 

             La décision de la C.A.L.P. est donc illégale et ultra vires parce que déraisonnable et constituant un déni de justice.

 

II L'APPEL

             Devant nous, toutes les parties mentionnées en titre ont produit des mémoires et ont plaidé à l'audience.

 

             Sur les questions de fond énumérées au début de la présente opinion les mis en cause C.A.L.P. et Jacques-Guy Béliveau ont fait valoir des thèses similaires à celle de l'appelant et il en fut de même pour la mise en cause C.S.S.T., cette dernière se rangeant par ailleurs du côté de l'intimée dans l'application des principes au cas sous étude en soutenant, d'une part, le jugement de la Cour supérieure et, d'autre part, les décisions de son service de réparation et du Bureau de révision Île-de-Montréal.

       

III  ANALYSE

        A.-Le pouvoir d'intervention des tribunaux judiciaires dans les décisions de la C.A.L.P.

 

             À la base de la solution de cette question se pose la résolution du conflit entre deux thèses fondamentales:

 

   a)il est de l'essence même de la compétence de la C.A.L.P., entre autres, de définir ce qu'est un accident du travail et, à moins d'erreur manifestement déraisonnable, sa décision n'est pas susceptible de révision judiciaire; c'est ce qu'a soutenu l'appelant de même que les trois mis en cause, position d'ailleurs soutenue - dans quatre des cinq autres pourvois - par les salariés de même que par la C.A.L.P. et la C.S.S.T.;

 

   b)toute décision erronée de la C.A.L.P., quant à la détermi-nation de ce qu'est un accident du travail, lui fait perdre compétence et l'assujettit à la révision par les tribunaux judiciaires; c'est ce qu'a soutenu l'appelant Hardouin, dans un des dossiers connexes, de même que tous les  employeurs, dans le présent dossier de même que dans cinq autres pourvois, l'employeur n'ayant pas participé à l'audition devant nous dans l'affaire Hardouin.

 

             Pour résoudre ce conflit, il est essentiel de définir la nature de la C.A.L.P. et les buts poursuivis par le législateur lorsqu'il l'a créée en 1985.

 

        1.-La situation avant 1985

 

             Sous la Loi sur les accidents du travail[2], la C.S.S.T. possédait - après avoir succédé à la Commission des accidents du travail - le premier pouvoir décisionnel.

 

             En 1974[3], le législateur créait la Commission des affaires sociales.

 

             À l'origine - article 6 -, cette Commission possédait un mandat à quatre volets:

        -    l'aide et les allocations sociales

        -    la protection du malade mental

        -    les services de santé et services sociaux

        -    le régime des rentes.

 

             En 1977[4], la Commission des affaires sociales se voyait confier un nouveau volet, celui d'être l'arbitre ultime en matière d'accidents du travail.

 

             On ajoute donc un cinquième volet au mandat de la Commission des affaires sociales.

 

             La même année[5], le législateur adoptait la Loi sur l'assurance automobile et, par l'article 226, confiait à la Commission des affaires sociales un sixième volet, celui de l'assurance automobile.

 

             C'est ainsi que pendant sept ou huit ans jusqu'en 1985, la Commission des affaires sociales devenait une sorte d'organisme fourre-tout pourvu, en dernier ressort, de pouvoirs décisionnels considérables dans des domaines aussi variés que ceux que représentaient les six volets de son mandat global.

 

             On pourrait ajouter que, délestée en 1985[6] de son mandat relatif aux accidents du travail, la Commission des affaires sociales voyait substituer à ce mandat celui de l'indemnisation des sauveteurs et des victimes d'actes criminels.

 

             La Commission des affaires sociales possède toujours ces six volets de compétence.

 

        2.-  La législation de 1985

 

             En adoptant la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[7], le législateur, en 1985, a manifesté clairement son intention qu'un nouvel organisme, la C.A.L.P., se consacre désormais exclusivement aux questions relatives aux accidents du travail et aux maladies professionnelles.

 

             Sur le plan du contrôle judiciaire, un des éléments importants de la réforme législative de 1985 était de conférer au nouvel organisme une protection que le législateur n'avait jamais accordée à la Commission des affaires sociales.

 

             En effet la clause privative de l'article 13 de la Loi de 1974 fut, à de nombreuses reprises, jugée comme ne proté-geant pas les décisions de la Commission des affaires sociales de la révision judiciaire dans les cas prévus pour l'exercice de l'évocation.

 

             Désormais, la Loi de 1985 (art. 409) stipulait une clause privative complète.

 

             Voilà le premier élément.

 

             Deuxième élément: sous l'empire de la loi sur les accidents du travail, il n'était pas stipulé que la Commission des accidents du travail avait compétence exclusive pour déterminer si un accident était un accident du travail.

 

             Par opposition, relativement à la C.S.S.T., la Loi de 1985 contient l'article 349:

 

        La Commission a compétence exclusive pour décider d'une affaire ou d'une question visée dans la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.

 

             Cette compétence est évidemment sujette à l'appel à la C.A.L.P., prévu à l'article 359.

 

             Quant à l'article 397 de la Loi, le premier de la section II du chapitre XII, il est coiffé du titre JURIDICTION et il se lit comme suit, dans sa partie pertinente:

 

        La Commission d'appel connaît et dispose, exclusivement à tout autre tribunal, de

 

             1Etout appel interjeté en vertu de la présente loi;

 

             2Etout appel interjeté en vertu des articles 37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).

 

             Cette disposition législative nous indique également le champ couvert par la C.A.L.P.: les appels sous la Loi de même que les appels sous deux dispositions d'une autre loi.

 

             Saisie d'un appel provenant de la C.S.S.T., la C.A.L.P. possède les pouvoirs prévus à l'article 400 de la Loi:

 

 

             La Commission d'appel peut confirmer la décision,          l'ordre ou l'ordonnance porté devant elle; elle peut aussi l'infirmer et doit alors rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, selon elle, aurait dû être rendu en premier lieu.

 

             Par ailleurs les décisions que la C.A.L.P. prononce possèdent le degré de finalité prévu à l'article 405:

 

        Toute décision de la Commission d'appel doit être écrite, motivée, signée et notifiée aux parties et à la Commission.

 

        Cette décision est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

 

             On ne peut nier que la C.A.L.P. est un organisme ultra spécialisé et que, par la force des choses, ses commissaires - nommés par décrets du gouvernement, article 368 - possèdent ou viennent à posséder une expertise dans les domaines dont ils sont saisis.

 

        3.-Les conséquences de la législation de 1985

 

             En la matière, l'arrêt de base est celui prononcé par la Cour suprême du Canada le 22 décembre 1988:

 

        Syndicat national des employés de la Commission scolaire régionale de l'Outaouis (CSN)

   c.

             Union des employés de service, local 298 (FTQ)

             et Réal Bibeault et al[8].

 

             Le regretté juge Beetz, prononçant le jugement de la Cour, a tracé les règles que les tribunaux doivent suivre en matière de contrôle judiciaire.

 

             Traitant du principal problème posé par la recherche de la compétence du tribunal dont la décision est attaquée, monsieur le juge Beetz a proposé (page 1088) "une analyse pragmatique et fonctionnelle" portant sur trois volets:

 

        -L'intention du législateur dont "la déterminaiton ... est particulièrement souhaitable quand la Cour est appelée à intervenir dans les décisions des tribunaux administratifs ..." (page 1089).

 

        La clause privative est à ce sujet un indice clair.

 

        -Le caractère déterminant de la décision du tribunal administratif (page 1090).

 

        -La retenue que doivent manifester les tribunaux judiciaires: "... l'importance du contrôle judiciaire implique qu'on ne devrait pas y avoir recours sans nécessité, sinon ce recours extraordinaire perdrait tout son sens" (page 1090).

             Ces principes directeurs ont été repris de nouveau dans plusieurs arrêts subséquents de la Cour suprême du Canada: Caimaw c. Paccar of Canada Ltd. (1989) 2 R.C.S. 983; National Corn Growers Association c. Canada (Tribunal des importations) (1990) 2 R.C.S. 1324; Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740 (1990) 3 R.C.S. 644 et, à mon avis, celle-ci ne les a pas modifiés.  Le plus récent fut prononcé le 21 mars 1991 dans:

 

             Alliance de la Fonction publique du Canada

             c.

             Sa Majesté la Reine

             et Éconosult Inc.[9]

 

             Dans cet arrêt, monsieur le juge Sopinka, parlant pour lui-même et cinq de ses collègues, reprend (page 628 à 630) l'essence des propos de monsieur le juge Beetz dans Bibeault et entreprend l'étude de l'espèce soumise à la Cour en adoptant "... une approche pragmatique et fonctionnelle".

            

        4.-  Conclusion

             Adoptant l'approche suggérée par la Cour suprême du Canada, j'en viens à la conclusion qu'en présence de l'évolution législative décrite plus haut et du cadre de même que des dispositions de la Loi de 1985, le législateur n'a pas voulu limiter la compétence de la C.A.L.P. et qu'au contraire, il lui a laissé le soin d'interpréter la Loi plus particulièrement les notions d'"accident du travail" et de "lésion professionnelle" définies à l'article 2 de même que la mission d'appliquer ces notions aux cas qui lui sont soumis.

 

             Ceci étant, il va de soi que la C.A.L.P. sera assujettie au contrôle judiciaire si son interprétation des dispositions qu'elle étudie et si l'application qu'elle en fait sont manifestement déraisonnables puisqu'elle excédera alors sa compétence.

 

             Cette conclusion me paraît rejoindre l'objet que le législateur avait en édictant la loi de 1985 et qu'il a consignée, comme suit, au premier alinéa de l'article 1:

 

        La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraî-nent pour les bénéficiaires.

 

 

        B.-  La notion d'erreur déraisonnable

 

             Dans le contexte du présent pourvoi et des cinq qui, sur les questions de base, lui sont connexes, cette notion d'erreur déraisonnable s'applique plus particulièrement dans la détermina-tion de ce que sont un accident du travail et une lésion profes-sionnelle.

 

             Encore sur cette question, un retour en arrière est utile pour circonscrire la notion d'erreur déraisonnable dans l'optique de la loi sous étude.

 

        1.-La situation antérieure à 1985

 

             En 1931, le législateur décida de soustraire complètement de la compétence des tribunaux judiciaires tout le domaine des accidents du travail en le confiant à un organisme administratif ou quasi-judiciaire d'abord la Commission des accidents du travail puis, en dernière analyse, en 1977, la Commission des affaires sociales et, depuis 1985, la C.A.L.P.

 

        2.-Le régime de 1985

 

             Une des innovations de cette législation fut l'introduction de la notion de lésion professionnelle.

 

             À ce stade, deux définitions de l'article 2 sont pertinentes:

 

 

 

       "accident du travail": un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

  

             ...

 

       "lésion professionnelle": une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

 

 

             L'article 31 - également une innovation de 1985 -

 

enchaîne:

 

 

 

        Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion:

 

             1Edes soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;

 

             2Ed'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.

 

             Autre innovation de la Loi de 1985 (art. 199 et suivants), c'est que les faits médicaux sont désormais laissés à l'entier arbitrage des médecins, sans intervention à cet égard, de la C.S.S.T..

 

             S'il survient un désaccord entre les différents médecins, on se réfère, sur le plan médical, à un arbitre dont la

décision devient le point final et lie à la fois la C.S.S.T. et la C.A.L.P..

 

             Pour décider des questions qui leur sont soumises aussi bien la C.S.S.T. que, par voie d'appel, la C.A.L.P., n'ont généralement pas à recourir à quelque notion externe que ce soit.

 

             La Loi contient toutes les définitions pertinentes.  Si, pour décider d'un appel, la C.A.L.P. doit préciser une notion non définie à la Loi - comme, par exemple, pour déterminer si un phénomène provoquant un recours à la Loi doit être considéré comme une blessure - elle le fera en appliquant des notions générales et n'aura pas besoin - distinction importante - d'interpréter des définitions données dans d'autres textes législatifs ou réglementaires.

 

             On peut tirer la conclusion que l'intention du législateur est que la C.A.L.P. dispose de façon définitive des questions qui lui sont soumises.

 

        3.-Les conditions d'application de la Loi

 

             Sous réserve de l'article 27 de la Loi, des deux définitions précitées de l'accident du travail et de la lésion professionnelle, on peut dire qu'il y aura indemnisation si:

 

        a)survient un événement imprévu et soudain;

 

        b)que cet événement est attribuable à toute cause;

 

        c)que cet événement survient à une personne;

 

        d)que ce soit par le fait ou à l'occasion du travail de cette personne; et

 

        e)que cet événement entraîne, pour la personne, une lésion professionnelle.

 

             Est pertinente à ce stade la présomption créée par l'article 28:

 

 

        Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

 

             Je soulignerai - et c'est là une autre nouveauté de la Loi de 1985 - que l'élément qui donne ouverture à la présomption n'est pas l'existence d'un accident du travail mais bien l'existen-ce d'une blessure survenue sur les lieux du travail.

            

             Relativement aux éléments que je viens de préciser, je soulignerai que la notion d'événement "soudain et imprévu" est apparue dans la législation en 1978[10].


 

         4.-  Les paramètres de l'erreur déraisonnable

 

             Depuis la décision de la Cour suprême du Canada, Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick[11], le plus haut tribunal du pays est revenu à quelques reprises sur la notion d'une interprétation manifestement déraisonnable.

 

             Dans l'arrêt Association Unie[12] - l'affaire Lester -madame la juge McLachlin parlant pour elle-même et quatre de ses collègues rappelle ce qui suit:

 

        Les cours de justice devraient faire preuve de circonspection et de retenue dans l'examen des décisions de tribunaux administratifs spécialisés comme la Commission en l'espèce.  Cette retenue s'étend à la fois à la constatation des faits et à l'interprétation de la loi.

 

 

 

 

 

        Ce n'est que lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal, ou que l'interprétation donnée aux dispositions législatives est manifestement déraisonnable que la cour de justice peut intervenir.

 

             Les quatre juges minoritaires furent en désaccord quant au résultat du pourvoi mais ils ne le furent pas quant à la notion qui nous intéresse, comme on le voit sous la plume de madame la juge Wilson (pages 650 et 651):

 

   J'ai donc exprimé l'avis dans cette affaire-là que les cours doivent accorder aux tribunaux administratifs toute latitude pour remplir le mandat que leur a confié le législateur.

 

   La question de savoir ce qui constitue la latitude nécessaire a été abordée par notre Cour dans l'arrêt S.C.F.P., précité, et elle se trouve reflétée dans le critère à appliquer.  Ce critère, comme le signale le juge Dickson (plus tard Juge en chef), se fonde sur l'idée du caractère manifestement déraisonnable.  La question qu'il convient de se poser, à la p. 237, est la suivante:

 

   La Commission a-t-elle interprété erronément les dispositions législatives de façon à entreprendre une enquête ou à répondre à une question dont elle n'était pas saisie?  Autrement dit, l'interprétation de la Commission est-elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire? [Je souligne].

 

         5.  L'application de ces principes à la Loi sous étude

             Pour les fins du pourvoi sous étude de même que des cinq qui lui sont connexes, ne se pose pas la notion de maladie professionnelle dont la définition est donnée à l'article 2 de la Loi et je ne parlerai pas de ce sujet.

 

             Nous en sommes donc à la lésion professionnelle et à l'accident du travail.

 

             Saisie d'un appel, la C.A.L.P. devra d'abord se demander s'il s'agit d'une blessure ou d'une maladie puisqu'à la base de l'accident du travail il doit y avoir une lésion professionnelle et que, comme nous l'avons vu plus haut, la définition de la lésion professionnelle parle d'«une blessure ou d'une maladie...».

 

             Voyons donc le processus qui sera suivi:

 

   a)Ou bien il n'est pas contesté qu'il s'agit d'une blessure ou d'une maladie ou bien cet élément doit faire l'objet d'une détermination.

 

   La C.A.L.P. devra alors, par application de notions générales et en s'appuyant sur la preuve, déterminer s'il s'agit d'une blessure ou d'une maladie.

 

   C'est à partir du diagnostic fait par le médecin ayant charge du travailleur qu'est établi le premier élément constitutif de la lésion professionnelle, soit la blessure ou la maladie dont est atteint le travailleur.  À moins d'une contestation suivant la procédure d'arbitrage médical, la C.S.S.T. est liée par ce diagnostic et l'employeur n'est plus en droit de le contester, ceci conformément aux articles 199, 212 et 224 L.A.T.M.P..;

 

   b)Dans l'élaboration de ce processus, ou bien il est clair qu'il s'agit d'une lésion professionnelle ou bien la chose doit faire l'objet d'une détermination;

 

   c)Dans ce dernier cas la C.A.L.P. aura recours à l'article 28 de la Loi:

       28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.;  

 

   d)Pour voir si la présomption s'applique il faut trouver la présence de trois éléments:

        (i)le travailleur doit avoir subi une blessure;

   (ii) la blessure doit arriver sur les lieux du travail;

   (iii) le travailleur doit être à son travail;

 

   e)Ces trois éléments doivent être établis par une preuve prépondérante et évidemment la présomption pourra être repoussée par une preuve contraire;

 

   f)Ou bien la présomption ne sera pas renversée ou bien elle sera repoussée par une preuve prépondérante contraire.

 

             Pour déterminer les conséquences de l'une ou l'autre des branches de cette alternative, un retour aux définitions pertinentes s'impose.

 

                          SECTION II

                            INTERPRÉTATION

   Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

       «accident du travail»: un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

             ...

 

       «lésion professionnelle»: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

 

             Dans la première branche de l'alternative de f) il y aura par le fait même existence d'une «lésion professionnelle».

 

             Dans ce cas, la preuve d'un événement imprévu et soudain ne sera pas nécessaire car de l'existence même de la «lésion professionnelle», il en découlera qu'on est en présence d'une blessure ou d'une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail; en effet c'est la définition même de la «lésion professionnelle».

 

             Dans le second cas - de même que dans le cas où la présomption n'a pas sa place - il incombera au salarié d'établir qu'il a bien été victime d'une lésion professionnelle en établissant que sa blessure est survenue par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ce qui impliquera la nécessaire preuve de l'«événement imprévu et soudain» de même que celle des autres éléments de la définition d'«accident du travail».

 

   g)Dernier élément du processus, l'événement imprévu et soudain.

 

             La détermination de la survenance d'un événement imprévu et soudain est essentiellement une question de faits dont la preuve peut être administrée par tous les moyens légaux y compris celui des présomptions.

 

             L'avocate de l'appelant Centre hospitalier des Laurentides - parlant sur ce sujet pour elle-même de même que pour quatre des cinq autres employeurs - Canadair Ltée n'étant pas représentée à l'audience - a fait état qu'au niveau de la C.A.L.P. il y avait des divergences d'interprétation quant à ce qu'était un événement imprévu et soudain.

             Se référant à l'approche suivie dans deux arrêts de notre Cour[13][14] ces employeurs nous invitent à définir ce qu'est un événement imprévu et soudain.

 

             Dans ces deux affaires, il s'agissait d'un conflit d'interprétation législative, ce qui n'est pas notre cas.

 

             En l'espèce, je ne crois pas opportun de répondre à cette invitation car beaucoup d'éléments de faits entrent en jeu dans cette détermination comme, par exemple, les antécédents médicaux, les circonstances exactes de l'événement, etc, sans parler de l'existence ou non de la présomption de l'article 28.

 

             Voilà un domaine réservé à la C.S.S.T. et, en appel, à la C.A.L.P..  Saisis d'une demande de révision judiciaire, les tribunaux, quant à eux, éviteront d'entrer dans une étude minutieuse de ces faits.

 

             J'ajouterai toutefois que l'événement imprévu et soudain, d'une part, et la lésion professionnelle, d'autre part, ne peuvent être confondus pour en faire une seule et même notion.

 

             En effet, la lésion professionnelle n'est que le résultat de l'événement imprévu et soudain.  Si l'événement imprévu et soudain, attribuable à quelque cause que ce soit, survient à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et cause une blessure ou une maladie, on sera alors en présence d'une lésion professionnelle.

                    _____________________________

 

             Relativement à la présomption de l'article 28 je crois opportun de signaler que face aux circonstances qui se sont produites dans chacun des six dossiers dont notre Cour dispose par des arrêts de ce jour, il est acquis que la présomption de l'article 28 s'applique relativement au présent arrêt; dans les autres arrêts, la situation est comme suit:

 

        -Dans Jean-Louis Lamontagne, le salarié n'était pas encore au travail;

 

        -    Dans Jean Desrochers, le sujet est étudié dans l'opinion à l'appui de l'arrêt;

 

        -Quant à Diane Robichaud, il s'agit d'une maladie (fybrosite dorsale) plutôt que d'une blessure;

 

        -Dans Marcel Lavigne, la C.A.L.P. a jugé - et ce n'est pas contesté - que la présomption ne s'appliquait pas; l'employé suivait un cours de perfectionnement;

 

        -Enfin, dans Michel Hardouin, il s'agit d'un cas de l'article 31.

 

        6.L'interprétation large mais juste

 

             D'une part, il faut respecter le caractère hautement social de la Loi et son but réparateur, d'autre part il faut que dans son application les travailleurs obtiennent les prestations auxquelles ils ont droit mais pas davantage.

 

        C.-L'application au présent cas

 

             Je ferais une remarque préliminaire de nature générale: pour justifier une révision judiciaire, le caractère déraisonnable des conclusions attaquées doit apparaître d'autant plus clairement s'il ne s'agit que de l'interprétation de faits.

 

             Relativement au cas sous étude, il faut se demander si, étant acquis que la présomption de l'article 28 s'appliquait à ce qui est survenu à Jean Chaput le 6 février 1987, il fut manifestement déraisonnable pour la C.A.L.P. d'en venir à la conclusion qu'à la lumière des éléments de preuve, cette présomption n'avait pas été repoussée et qu'il avait ainsi droit au bénéfice de l'article 44 de la Loi:

 

        Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.

 

             La thèse du caractère déraisonnable que la Cour supérieure a attribuée à la décision de la C.A.L.P. est soutenue par la S.T.C.U.M. de même que par la C.S.S.T. alors qu'elle est contestée par l'appelant de même que par la C.A.L.P.

 

             Dans le présent dossier, l'élément au centre du débat est, pour reprendre la définition de l"accident du travail", la survenance d'un événement imprévu et soudain entraînant une lésion professionnelle.

 

             Même si d'aucuns peuvent considérer que la décision de la C.A.L.P. fut erronée et à la limite du raisonnable, j'estime que le fait de considérer la chute du crayon et le mouvement de l'appelant en se penchant pour le ramasser sur le plancher de l'autobus comme un événement imprévu et soudain entraînant une lésion professionnelle n'est pas manifestement déraisonnable.

 

             Par ailleurs, que l'appelant ait eu certaines prédispositions physiques pouvant favoriser l'entorse lombaire alors subie, n'est pas, en l'espèce, un élément qui puisse conduire à la négation de la survenance d'une lésion professionnelle par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail.

 

             À moins de circonstances particulières, il faut prendre la personne humaine comme elle est, avec son âge, avec ses faiblesses, avec ses vicissitudes.

            

             Autrement, il faudrait juger suivant une norme de la personne en parfaite santé et condition physique, ce qui ne correspondrait sûrement pas aux objectifs de la Loi.

 

             À mon avis et avec égards, l'erreur de la Cour supérieure qui l'a conduite à la révision de la décision de la C.A.L.P. fut de remettre en cause, sans qu'il y ait ici lieu de le faire, deux éléments importants:

 

        -la détermination des faits par la C.A.L.P.;

 

        -la preuve médicale au sujet de laquelle le juge s'est posé une interrogation inopportune.

 

             À ce sujet, je considère erroné l'extrait suivant du jugement entrepris:

 

        Aux yeux de Béliveau, la torsion serait responsable de l'entorse subie par Chaput.

 

        Cela nous ramène à l'argument du début: cette torsion, si vraiment elle a eu lieu, était volontaire et calculée et non imprévue et soudaine au sens de l'article 2 de la Loi.

 

        Chaput aurait pu fort bien quitter son siège et s'y prendre d'une autre façon pour ramasser son crayon, au lieu de choisir de se plier à partir de son siège et de risquer le genre de problème qu'il avait déjà connu à au moins deux reprises dans le passé (voir décision du Bureau de révision paritaire - exhibit R-3, page 4).

 

             J'accueillerais le pourvoi, casserais le jugement entrepris et rejetterais la requête en évocation, avec les dépens des deux Cours.

 

 

                                                                                                                                             ______________________________________

                         CLAUDE BISSON, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 


                      COUR D'APPEL

 

 

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

No: 500-09-000295-907

   (500-05-010645-891)

 

Le 2 juillet 1992

 

 

CORAM: LES HONORABLES  BISSON, J.C.Q.

                       DUBÉ

                       GENDREAU

                       MAILHOT

                       FISH, JJ.C.A.

 

 

 

 

                                            

 

JEAN CHAPUT,

 

          APPELANT (mis en cause)

 

c.

 

SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE  MONTRÉAL,

 

          INTIMÉE (requérante)

 

c.

 

COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES,

 

          MISE EN CAUSE (intimée)

 

c.

 

JACQUES-GUY BÉLIVEAU,

 

          MIS EN CAUSE (intimé)

 

c.

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU   TRAVAIL,

 

          MISE EN CAUSE (mise en cause) 

                                            

 

             LA COUR, statuant sur le pourvoi contre un jugement de la Cour supérieure du district de Montréal prononcé le 7 février 1990 par l'honorable juge René W. Dionne accueillant la requête en évocation présentée par l'intimée et cassant la décision prononcée par le mis en cause;

 

             Après audition, examen du dossier et délibéré;

 

             Pour les motifs exposés dans les opinions de monsieur le juge en chef Bisson et de messieurs les juges Dubé, Gendreau et Fish déposées avec le présent arrêt;

 

            ACCUEILLE l'appel avec dépens;

 

            CASSE le jugement entrepris;

 

            REJETTE avec dépens la requête en évocation;

 

 

             Madame la juge Mailhot, en désaccord, aurait, pour les motifs exposés dans l'opinion déposée avec le présent arrêt, rejeté le pourvoi avec dépens.

 

                                                                                                  

                                                CLAUDE BISSON, J.C.Q.        

 

 

 

                                                                                                  

                                                   ANDRÉ DUBÉ, J.C.A.           

 

 

 

                                                                                                  

                                         PAUL-ARTHUR GENDREAU, J.C.A. 

 

 

 

                                    ______________________________

                                    LOUISE MAILHOT, J.C.A.

 

 

 

                                    ______________________________

                                    MORRIS J. FISH, J.C.A.

 

 

 

 

Procureurs de l'appelant :    Me Richard Bertrand

                              Me Laurent Roy

                              Me Michel Derouet

                              (Trudel, Nadeau)

 

Procureur de l'intimée   :  Me Pierre G. Hébert (Guy & Gilbert)

 

Procureur de la C.A.L.P. :  Me Claire Délisle

                              (Levasseur, Délisle, Morel)

 

Procureurs de la C.S.S.T.:  Me Jean-Marie Robert

                              Me Louise Lacroix

                              (Chayer, Panneton)

 

Audition à Montréal      :  18 et 19 novembre 1991


                      COUR D'APPEL

 

 

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

No: 500-09-000295-907

   (500-05-010645-891)

 

 

 

 

CORAM: LES HONORABLES  BISSON, J.C.Q.

                       DUBÉ

                       GENDREAU

                       MAILHOT

                       FISH, JJ.C.A.

 

 

 

 

                                            

 

 

 

 

JEAN CHAPUT,

 

          APPELANT (mis en cause)

 

c.

 

SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE  MONTRÉAL,

 

          INTIMÉE (requérante)

 

et.

 

COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS      PROFESSIONNELLES,

 

          MISE EN CAUSE (intimée)

 

et.

 

JACQUES-GUY BÉLIVEAU,

 

          MIS EN CAUSE (intimé)

 

 

 

 

 

et.

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU   TRAVAIL,

 

          MISE EN CAUSE (mise en cause) 

                                            

 

                     OPINION DU JUGE DUBÉ

 

             Je suis entièrement d'accord avec l'opinion de monsieur le juge en chef et j'en arrive aux mêmes conclusions que lui à l'effet d'accueillir l'appel et de rejeter la requête en évocation.  Je ne crois pas nécessaire de revenir sur tous les points soulevés par ce pourvoi, car à mon avis, l'étude du juge Bisson est complète et très claire.

 

             Cependant, j'aimerais insister sur la notion d'erreur déraisonnable:  ces deux mots bien simples ne semblent pas avoir le même sens chez tous les gens de loi.  Dans le présent cas, par exemple, le juge de la Cour supérieure, dont le jugement fait l'objet du présent appel et un des cinq collègues du présent Banc sont d'opinion que la C.A.L.P. a rendu une décision manifestement déraisonnable et ils motivent leur décision avec de très bons arguments;  d'autre part, les quatre autres juges du Banc sont d'opinion contraire.

 

             Personnellement, le seul fait que des gens de loi expérimentés et très compétents puissent être en désaccord à savoir si une décision est raisonnable ou déraisonnable me semble être une preuve très convaincante que la décision en question ne peut pas être manifestement déraisonnable:  le dictionnaire Robert donne à l'adjectif déraisonnable la définition suivante:  «qui n'est pas raisonnable. V. Absurde, insensé, Conduite déraisonnable.»;  le petit Larousse en donne la définition suivante: «qui manque de raison:  projet déraisonnable»;  le même dictionnaire définit l'adverbe manifestement: «d'une manière manifeste; évidemment».

 

             Dans mon esprit «manifestement» s'assimile à la locution latine «prima facie» c'est donc dire que pour qu'on rejette un jugement parce qu'il est manifestement déraisonnable, ceci doit apparaître à une simple lecture sans même avoir à en discuter.  S'il faut passer une opinion au peigne fin pour décider si un jugement est déraisonnable ou non c'est qu'il n'est pas manifestement déraisonnable.

 

             Dans l'arrêt de la Cour suprême Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, (1984) 2 R.C.S. à la page 420 et suivantes, la Cour suprême décrit clairement la distinction qu'il faut faire entre la simple erreur de droit et l'erreur manifestement déraisonnable:

 

 

«La simple erreur de droit se distingue de celle qui résulte d'une interprétation manifestement déraisonnable d'une disposition qu'un tribunal administratif est chargé d'appliquer dans les cadres de sa compétence.  Cette sorte d'erreur équivaut à une fraude à la loi ou à un refus délibéré d'y obéir (...)  Une erreur de cette nature est assimilée à un acte arbitraire ou posé de mauvaise foi et contraire aux principes de la justice naturelle.  Une telle erreur est visée par l'al. 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale et justifie l'annulation de la décision qui en est entachée.»

 

             Dans la loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles de 1985, le législateur s'efforce encore davantage que dans l'ancienne loi à faire comprendre aux tribunaux ordinaires que l'interprétation et l'application de cette nouvelle loi est réservée exclusivement aux organismes spécialisés que cette loi créés précisément à cette fin c'est-à-dire de l'interpréter et de l'appliquer:  par exemple l'article 349 de la dite loi précise que:

 

 

«349.  La Commission a compétence exclusive pour décider d'une affaire ou d'une question visée dans la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.»

 

             L'article 409 impose une clause privative qui exclut pratiquement l'intervention des tribunaux ordinaires «sauf sur une question de compétence...»

 

             Dans U.E.S., Local 298 c. Bibeault (1988) 2 S.C.R., le juge Beetz précise les rares cas où il y a lieu d'intervenir à l'encontre d'un tribunal administratif:

 

 

«On peut je pense résumer en deux propositions les circonstances dans lesquelles un tribunal administratif excède sa compétence à cause d'une erreur:

 

  l.  Si la question de droit en cause relève de la compétence du tribunal, le tribunal n'excède sa compétence que s'il erre d'une façon manifestement déraisonnable.  Le tribunal qui est compétent pour trancher une question peut, ce faisant, commettre des erreurs sans donner ouverture à la révision judiciaire.

 

  2.  Si, par contre, la question en cause porte sur une disposition législative qui limite les pouvoirs du tribunal, une simple erreur fait perdre compétence et donne ouverture à la révision judiciaire.»

 

             Dans le présent cas, il ne semble pas y avoir de véritable contestation quant à la juridiction de la C.S.S.T. et de la C.A.L.P.:  ils sont véritablement dans le domaine des accidents du travail et des maladies professionnelles.

 

             En effet, il me paraît difficile de déclarer que l'article 28 de la loi sur les accidents du travail ne s'applique pas ici:

 

 

«Art. 28  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.»

 

             Donc, dans le pourvoi présentement à l'étude, c'est sur ce point uniquement qu'on pourrait discuter de la juridiction de la C.S.S.T. et de la C.A.L.P. et alors une simple erreur sur cette question permettrait aux tribunaux ordinaires d'intervenir.

 

             Mais les véritables problèmes soulevés dans le présent débat, ne sont que des problèmes où les organismes ci-haut mentionnés ont exclusivement juridiction et où ils ont le droit de se tromper sauf d'une façon manifestement déraisonnable:  en effet, il s'agit de déterminer si l'accident survenu à Chaput avait un caractère d'imprévisibilité et de soudaineté requises par l'article 2 de la loi des accidents du travail:  il s'agit donc d'un problème dans les cadres de la loi et donc d'un problème qu'ils sont les seuls habilités à trancher.

 

             Il se peut que la décision de la C.A.L.P. soit erronée mais je ne vois pas comment on pourrait dire qu'une telle décision, dans les circonstances de la cause, serait manifestement erronée et je dis ceci avec beaucoup de respect pour ceux qui pensent autrement.

 

             Je termine ces modestes notes en citant les paroles du juge Dickson dans l'affaire Syndicat canadien de la Fonction publique c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick (1979) 2 R.C.S. p. 235:

 

 

«L'article 101 (une clause privative) révèle clairement la volonté du législateur que les différends du travail dans le secteur public soient réglés promptement et en dernier ressort par la Commission.  Des clauses privatives de ce genre sont typiques dans les lois sur les relations de travail.  On veut protéger les décisions d'une commission des relations de travail, lorsqu'elles relèvent de sa compétence, pour des raisons simples et impérieuses.  La commission est un tribunal spécialisé chargé d'appliquer une loi régissant l'ensemble des relations de travail.  Aux fins de l'administration de ce régime, une commission n'est pas seulement appelée à constater des faits et à trancher des questions de droit, mais également à recourir à sa compréhension du corps jurisprudentiel qui s'est développé à partir du système de négociation collective, tel qu'il est envisagé au Canada, et à sa perception des relations de travail acquise par une longue expérience dans ce domaine. (Je souligne)

                                                                    

       

 

 

                                                                                                  

                                                   ANDRÉ DUBÉ, J.C.A.           

                                                                    


                      COUR D'APPEL

 

 

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

No: 500-09-000295-907

   (500-05-010645-891)

 

 

 

CORAM: LES HONORABLES  BISSON, J.C.Q.

                       DUBÉ

                       GENDREAU

                       MAILHOT

                       FISH, JJ.C.A.

 

 

                                            

 

JEAN CHAPUT

 

          APPELANT (mis en cause)

 

c.

 

SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE MONTRÉAL

 

          INTIMÉE (requérante)

 

-et-

 

COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

          MISE EN CAUSE (intimée)

 

-et-

 

JACQUES-GUY BÉLIVEAU

 

          MIS EN CAUSE (intimé)

 

-et-

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

 

          MISE EN CAUSE (mise en cause)

                                            

 

                   OPINION DU JUGE GENDREAU

 

                  Même si je partage entièrement l'opinion du Juge en chef sur la compétence de la Commission d'appel des lésions professionnelles, je crois utile d'ajouter quelques remarques sur la décision même de la C.A.L.P. à l'endroit de M. Jean Chaput.

 

                  La Loi prévoit deux révisions successives de la demande d'indemnisation du travailleur qui s'estime victime d'un accident du travail:  la première, par le comité de révision paritaire et la seconde, par la C.A.L.P.  Celle-ci, bien qu'instance d'appel (art. 359 et 377), statue «de novo».  Ici, la preuve soumise à la C.A.L.P. est la même que celle entendue par le comité de révision, relatée par M. le juge en chef.  Or, les deux instances, qualifiant les mêmes faits au regard des mêmes dispositions législatives, concluent contradictoirement.  Le comité de révision statue en ces termes:

Le Bureau de révision paritaire est d'avis que le geste posé par le travailleur le 6 février 1987 n'est ni imprévu ni soudain.  En effet, le travailleur était à ce moment en bout de ligne et il se préparait à s'allumer une cigarette.  Il ne subissait donc pas de pression qui le forçait à poser un geste rapide et jusqu'à un certain point irréfléchi.  Il n'a pas non plus tenté de rattraper le crayon au vol dans un réflexe.  Le travailleur n'a pas démontré non plus que lors de l'exécution du geste ayant causé la blessure, il se soit produit un événement (glissade, perte d'équilibre) ayant eu pour effet de contrecarrer ou de perturber le mouvement amorcé.

(m.a., p. 97)

 

 

 

                  Le commissaire Béliveau a, pour sa part, estimé cette décision erronée et l'a renversée.  Après avoir écarté la prétention patronale d'une condition déficiente préexistante, il s'est exprimé ainsi:

La Commission d'appel considère que lorsque le crayon est tombé de la poche du travailleur et que ce dernier s'est penché pour le ramasser, il s'est produit un événement imprévu et soudain.

(m.a., p. 115)

 

 

 

                  Ce jugement m'inspire deux observations:  l'une relative à la stabilité des décisions de la C.A.L.P. et l'autre sur le mérite même de l'affaire.

 

                  D'abord, le commissaire connaissait les décisions Marius Fay c. Boutique des Tissus et Jean-Louis Hétu c. La Forge C.S.W. prononcées deux ans plus tôt par ses collègues et celle de la Commission des affaires sociales en 1985, Sauveteurs et Victimes d'actes criminels, puisqu'il les résume ainsi:

Dans le premier dossier, la Commission d'appel a conclu qu'il n'y avait pas eu d'accident de travail étant donné que le travailleur s'était «penché» pour exécuter les gestes usuels de l'emploi qu'il exerçait depuis quelques années et qu'il n'y avait pas eu de faux mouvement.

 

Dans la deuxième affaire précitée, la Commission d'appel avait reconnu que le faux mouvement pouvait constituer un événement soudain et imprévu;  cependant, l'existence d'un tel mouvement devait être démontré de façon prépondérante, ce qui n'avait pas été fait.

(m.a., p. 108)

 

(...)

 

Enfin, la Commission des Affaires sociales a jugé que «..., le fait de se pencher pour mettre, attacher ou lacer ses bottines de travail ne peut pas être qualifié d'événement imprévu et sondain».  La Commission ajoutant que «...l'entorse lombaire résultant d'un tel événement revêt un caractère imprévisible;  mais cependant, ..., c'est l'événement lui-même qui doit être imprévu et soudain.»

(m.a., p. 109)

 

 

 

                  Or, non seulement, s'en écarte-t-il, mais encore sa propre  décision dans la présente affaire est incompatible avec le résumé qu'il donne de ces précédents.  Il ne fournit pourtant aucune justification ou explication à cet écart, ne serait-ce que par l'existence d'un conflit jurisprudentiel à la C.A.L.P. ou sa préférence pour une autre thèse.  Le législateur, tout en garantissant la plus entière indépendance à chaque décideur, a cependant voulu assurer une certaine stabilité jurisprudentielle, gage d'un fonctionnement harmonieux du régime d'indemnisation.  L'obligation faite à la C.A.L.P. de constituer, maintenir et rendre accessible à tous une banque centrale de jurisprudence et de publier périodiquement un recueil de ses décisions (art. 390 et 391) ne s'explique pas autrement.

 

                  Voilà pour la première observation, maintenant la seconde.  En assumant que la présomption de l'article 28 de la Loi trouve application en l'espèce, il fallait que l'employeur démontre que son salarié n'avait pas été victime d'une lésion professionnelle parce que sa blessure ne résultait pas d'un accident du travail.  C'est dans ce contexte que le commissaire devait donc appliquer la définition d'accident du travail.

 

                  Or, qualifiant la preuve au dossier, le commissaire Béliveau infère la survenance d'un accident:  «lorsque, écrit-il, le crayon est tombé et que ce dernier s'est penché pour le ramasser, il s'est produit un événement imprévu et soudain».  Il assume donc qu'un accident du travail devait s'être produit parce qu'il y eut entorse lombaire même si, selon toute apparence, le geste du réclamant était libre et posé sans contrainte (il ne soulevait, par exemple, aucun objet ou ne maniait aucun outil) et rencontrait toutes les caractéristiques de la normalité puisqu'il ne résultait pas d'une maladresse, n'avait pas été provoqué par un mouvement trop vif, irréfléchi ou de la nature du réflexe, ou n'avait pas été dérangé, déréglé ou perturbé par la présence ou sous l'action d'un agent ou d'un élément extérieur, animé ou inanimé.

 

                  Ce faisant, le commissaire me semble donner à la présomption de l'article 28 une importance qui pourrait affecter la portée voire l'utilité de la définition de la Loi d'accident du travail.  Car, en affirmant qu'il a fallu qu'en l'espèce un accident du travail se produise, il réduit la possibilité de renverser cette présomption par la preuve que cette lésion ne résulte pas de l'arrivée d'un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail.

 

                  Cela dit, la décision peut aussi être examinée sous un autre angle.  Le commissaire a étudié la définition de blessure et spécialement celle proposée par la commissaire Godin dans l'affaire Denis Lévesque c. S.T.C.U.M. et il a conclu, comme elle, que l'entorse lombaire suppose toujours et nécessairement un mouvement brutal ou torsion;  de cette prémisse, il tire ensuite la conclusion que la blessure de l'appelant découle inévitablement de ce que je qualifierai d'une maladresse:  il utilise les mots «mouvement imprévu et soudain» (m.a., p. 115).

 

                  Ainsi qu'on le constate, l'on peut discuter le jugement du commissaire et agissant en appel, je n'aurais pas conclu comme lui.  Je ne peux toutefois qualifier cette décision de manifestement déraisonnable surtout dans le cadre de l'application d'une présomption comme celle de l'article 28 de la Loi.

 

                JE CONCLURAIS DONC COMME MONSIEUR LE JUGE EN CHEF LE PROPOSE.

 

 

 

                               ______________________________________

                                 PAUL-ARTHUR GENDREAU, J.C.A.


                      COUR D'APPEL

 

 

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

No: 500-09-000295-907

   (500-05-010645-891)

 

 

 

 

CORAM: LES HONORABLES  BISSON, J.C.Q.

                       DUBÉ

                       GENDREAU

                       MAILHOT

                       FISH, JJ.C.A.

 

 

 

 

                                            

 

JEAN CHAPUT,

 

          APPELANT (mis en cause)

 

c.

 

SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE  DE MONTRÉAL,

 

          INTIMÉE - (requérante)

 

-et-

 

COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS      PROFESSIONNELLES,

 

          MISE EN CAUSE (intimée)

 

-et-

 

JACQUES-GUY BÉLIVEAU,

 

          MIS EN CAUSE (intimé)


 

-et-

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU   TRAVAIL,

 

          MISE EN CAUSE (mise en cause) 

                                             

 

 

                  OPINION DE LA JUGE MAILHOT

 

        J'ai pris connaissance de l'opinion du juge en chef et je suis d'accord avec son exposé et son analyse des principes applicables.  Avec égards cependant, je ne puis me rallier à l'application de ces principes au présent cas.

 

        Pour ma part, je ne vois pas dans les faits propres à ce qui est survenu à Jean Chaput un événement / soudain et imprévu / qui entraîne / une lésion professionnelle : (a sudden and unforeseen event... which happens to a person... and resulting in an employment injury).  Et de conclure à l'existence d'un tel événement constitue, selon moi, une erreur manifestement déraisonnable.

 

        À mon avis, il s'est produit deux événements dans le présent cas:

 

        1ole crayon qui est tombé;

        2o)le fait que Jean Chaput choisisse de le ramasser et de se pencher pour ce faire;

 

        Le premier, soudain, peut à la limite être qualifié d'imprévu (bien que l'on puisse prévoir que si l'on place dans une poche de chemise un crayon et un paquet de cigarettes, l'un ou l'autre objet puisse tomber à terre en sortant l'autre de la poche).  Et il comporte un élément d'extériorité.

 

        Mais ce premier événement n'a pas entraîné une lésion professionnelle quelconque.  Il manque donc ce lien essentiel (... qui entraîne ...).

 

        Le deuxième, n'est ni soudain ni imprévu, même si c'est celui qui aurait entraîné la lésion (je mets de côté pour les fins du raisonnement, l'élément possible de prédisposition à la lésion qui a été discuté par le Bureau de révision et la Cour supérieure).  Il manque donc le premier élément, l'événement soudain et imprévu.

        L'on peut arguer que c'est à cause du premier événement que le geste a été posé.  Oui, mais c'est un geste volontaire et prévu (Il faut se pencher pour ramasser un objet à terre si l'on ne désire pas que l'objet reste là).   Si Jean Chaput avait choisi de ne pas ramasser le crayon ou plutôt de se lever de son siège pour ce faire, on peut croire qu'il n'y aurait eu alors ni lésion ni événement.  Ainsi, le deuxième événement était sous l'entier contrôle de Jean Chaput et ne dépendait pas d'un événement imprévu et soudain.  Il n'y a pas de lien essentiel ou irrésistible entre les deux événements.  Et il n'y avait aucune urgence.  L'élément déclencheur est la décision libre de l'employé de ramasser le crayon.

 

        Je le redis, il s'agissait d'un geste normal, ordinaire, voulu, prévu, comme des milliers d'autres que toute personne pose dans la vie quotidienne, motivés de diverses façons, et qui ne constituait pas un événement extérieur qui "survient à une personne".  La décision de la CALP - soit dit avec égards - revient à dire que tout mouvement physique ordinaire qui dépend uniquement de la volonté humaine et qui n'est pas provoqué nécessairement par quelque chose d'extérieur, est un événement soudain et imprévu.  Cela constitue, selon moi, une erreur de droit qui est une erreur manifestement déraisonnable.

 

        L'erreur manifestement déraisonnable peut découler d'une appréciation erronée des faits ou d'une erreur de droit si cette appréciation ou cette erreur sont manifestement déraisonnables et sont déterminantes.

 

        Ici, il y a, à mon avis, erreur manifestement déraisonnable en concluant à un accident du travail dans les circonstances de l'espèce alors que ni l'un et ni l'autre événement ne répond aux éléments de la définition d'accident du travail qui, je le répète, est:

 

accident du travail:  un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

        L'erreur manifeste de la CALP - ceci dit avec égards - se voit dans l'extrait suivant de sa décision:

 

À la lumière de ces définitions, il ressort qu'une entorse lombaire nécessite la présence d'un agent extérieur.  Ainsi s'est exprimée la Commission d'appel dans l'affaire DENIS LÉVESQUE et SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE MONTRÉAL (02923-60-8704, 1988-10-17, Me Ginette Godin).

 

        "De ces définitions, il ressort que la survenance d'une entorse nécessite obligatoirement la présence d'un agent extérieur, soit un mouvement brutal de distorsion, occasionnant une élongation ou arrachement des ligaments sans déplacement des surfaces articulaires ni fracture".

 

Les faits de la présente instance sont similaires à ceux de l'affaire précitée où on a reconnu que le travailleur avait été victime d'une blessure, le diagnostic d'entorse lombaire n'ayant fait l'objet d'aucune contestation et la preuve ayant démontré que le travailleur avait dû faire un mouvement de torsion pour se soustraire de son siège.

 

En l'espèce, le travailleur a été victime d'une blessure le 6 février 1987 puisqu'il est en preuve qu'il a dû faire un mouvement de torsion en se pliant pour ramasser son crayon. (m.a. 113-114)

 

                             (Soulignements que j'ajoute)

 

        Ainsi, l'on voit que le commissaire cite un texte où l'on mentionne "nécessite obligatoirement la présence d'un agent extérieur, soit un mouvement brutal de distorsion".  Pourtant, le commissaire ne conclut pas ici à "mouvement brutal de distorsion" mais à un "mouvement de torsion", ce qui est évidemment différent, et constitue une erreur manifeste.  Elle est aussi déraisonnable parce qu'elle porte sur un élément essentiel de la définition et que cette erreur a entraîné une décision d'indemnisation, alors qu'il n'y a pas eu accident du travail.

 

        En conclusion, je considère que l'erreur est déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire (S.C.F.P. c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick [1979] 2 R.C.S. 227, 237) et ainsi le juge de première instance a eu raison d'accueillir la demande en évocation.

 

        Je rejetterais donc l'appel avec dépens.

 

 

                                                                                                  

                                   LOUISE MAILHOT, J.C.A.


                   COURT OF APPEAL

 

 

PROVINCE OF QUÉBEC

MONTRÉAL REGISTRY

 

No: 500-09-000295-907

   (500-05-010645-891)

 

 

 

CORAM: THE HONOURABLE  BISSON, C.J.Q.

                       DUBÉ

                       GENDREAU

                       MAILHOT

                       FISH, JJ.A.

 

 

                                            

 

JEAN CHAPUT,

 

          APPELLANT (mis en cause)

 

v.

 

SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE MONTRÉAL,

 

          RESPONDENT (petitioner)

 

and

 

COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES,

 

          MISE EN CAUSE (respondent)

 

and

 

JACQUES-GUY BÉLIVEAU,

 

          MIS EN CAUSE (respondent)

 

and

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL,

 

          MISE EN CAUSE (mise en cause) 

                                            

 

 

                     OPINION OF FISH, J.A.

 

                               I

 

I am in full agreement with the opinion of the Chief Justice and would dispose of the appeal as he suggests.

 

The Act Respecting Industrial Accidents and Occupational Diseases is an expression in statutory form of public policy and therefore of political choice.

 

Section 1 of the Act proclaims:

 

1.  The object of this Act is to provide compensation for employment injuries and the consequences they entail for beneficiaries.

    The process of compensation for employment injuries includes provision of the necessary care for the consolidation of an injury, the physical, social and vocational rehabilitation of a worker who has suffered an injury, the payment of income replacement indemnities, compensation for bodily injury and, as the case may be, death benefits.

    This Act, within the limits laid down in Chapter VII, also entitles a worker who has suffered an employment injury to return to work.

 

By the terms of the Act, the National Assembly has thus exercised its sole prerogative to design and implement the scheme it has found most suitable for dealing with work-related illnesses and accidents.  It has delineated the field and established the rules of the game.

 

This involves two fundamental decisions, the first as to scope, the second as to process.

 

The decision as to scope is reflected in the Act's definitions of «industrial accident», «occupational desease» and «employment injury»:

 

«industrial accident» means a sudden an unforeseen event, attributable to any cause, which happens to a person, arising out of or in the course of his work and resulting in a employment injury to him;

 

«occupational disease» means a disease contracted out of or in the course of work and characteristic of that work or directly related to the risks peculiar to that work;

 

«employment injury» means an injury or a disease arising out of or in the course of an industrial accident, or an occupational disease, including a recurrence, relapse or aggravation.

 

To some extent, the definitions of «industrial accident» and «employment injury» are interdependent and circular.  An employment injury is an injury «arising out of or in the course of an industrial accident», which in turn is an «event resulting in an employment injury».

 

Be this as it may, the legislature, expressing its will as to process, has ordained that the Act is to be interpreted and applied within a quasi-judicial framework with its own rules of procedure.  The intended autonomy of the system is underscored by its distinctive, self-contained, two-tiered system of successive review and appeal:  sec. 358 provides for review by a review office established under the Act Respecting Occupational Health and Safety, and s. 359 provides for subsequent appeal to the Board of Appeal ("CALP").

 

I fully agree with the Chief Justice that the common law courts must therefore be especially careful not to intrude on the legislator's decision as to the scope and the operation of the scheme.

 

                              II

 

Disputes arising under the Act fall to be decided exclusively by the tribunals created for that purpose (sec. 349).  These tribunals are immunized against judicial scrutiny by a complete privative clause (sec. 350) and the courts may thus intervene only in the exceptional instances mentioned by the Chief Justice:  where a tribunal exceeds its jurisdiction, or where it reaches a manifestly unreasonable conclusion.

 

This case turns on CALP's understanding and application of the term "industrial accident" as defined by the Act and, more particularly, on its reference point fixed by the Assembly, "a sudden and unforeseen event, attributable to any cause, which happens to a person...".

 

In assessing the reasonableness of CALP's conclusion in this regard, it is helpful to remember that the word "accident", etymologically and juridically, has never signified a narrow or technical concept.

 

The Oxford Dictionary of English Etymology (1983), in fact, simply defines accident as "something that happens" (p. 17).

 

A more comprehensive meaning, or array of meanings, is given in Black's Law Dictionary (6th ed., 1990), at p. 15:

 

Accident.  The word "accident" is derived from the Latin verb "accidere" signifying "fall upon, befall, happen, chance."  In an etymological sense anything that happens may be said to be an accident and in this sense, the word has been defined as befalling a change; a happening;  an incident;  an occurrence or event.  In its most commonly acccepted meaning, or in its ordinary or popular sense, the word may be defined as meaning:  a fortuitous circumstance, event, or happening;  an event happening without any human agency, or if happening wholly or partly through human agency, an event which under the circumstances is unusual and unexpected by the person to whom it happens;  an unusual, fortuitous, unexpected, unforeseen or unlooked for event, happening or occurrence;  an unusual or unexpected result attending the operation or performance of an unusual or necessary act or event;  chance or contingency; fortune; mishap;  some sudden and unexpected event taking place without expectation, upon the instant, rather than something which continues, progresses or develops;  something happening by chance;  something unforeseen, unexpected, unusual, extraordinary or phenomenal, taking place not according to the usual course of things or events, out of the range of ordinary calculations;  that which exists or occurs abnormally, or an uncommon occurrence.  The word may be employed as denoting a calamity, casualty, catastrophe, disaster, an undesirable or unfortunate happening;  any unexpected personal injury resulting from any unlooked for mishap or occurrence; any unpleasant or unfortunate occurrence, that causes injury, loss, suffering or death;  some untoward occurrence aside from the usual course of events. An event that takes place without one's foresight or expectation;  an undesigned, sudden, and unexpected event...

 

Its synonyms are chance, contingency, mishap, mischance, misfortune, disaster, calamity, catastrophe.

             [My emphasis.]

 

 

 

 

In Workmen's Compensation Board v. Theed, [1940] S.C.R. 553, the court was called upon to interpret sec. 7 of the New Brunswick Workmen's Compensation Act, 1933, c. 36:

 

When personal injury or death is caused to a workman by accident, arising out of and in the course of his employment in any industry within the scope of this Part, compensation shall be paid to such workman or his dependents, as the case may be, as hereinafter provided, unless such accident was, in the opinion of the Board, intentionally caused by such workman, or was wholly or principally due to intoxication or serious and wilful misconduct on the part of the workman, or to a fortuitous event unconnected with the industry in which the workman was employed.

 

 

 

A unanimous court concluded that the physiological injury suffered by the respondent, Miss Theed, in the ordinary performance of her duties at work, constituted an accidental injury within the meaning of the statute.

 

After a careful review of an unbroken line of authority in the House of Lords interpreting the English Workmen's Compensation Act of 1897, Crocket J. stated (at pp. 565-66):

 

 

Where it is found that such an injury as Miss Theed sustained arose out of and in the course of her employment, as the    Compensation Board has itself specifically found, and that injury is a physiological injury, as was incontrovertibly demonstrated by the operation which it necessitated, the injury itself constitutes an accident in the sense of a mishap or untoward event not expected or designed, s. 7 of the New Brunswick Act makes the payment of compensation compulsory, unless the Board is of the opinion that such accident was wholly or principally due to intoxication or serious and wilful misconduct on the part of the applicant or to a fortuitous event unconnected with the industry in which he or she was employed, of which there is of course no suggestion in the present case.  Whether such an injury or mishap results from a particular strain, as of a single muscle or group of muscles, or from the culmination of a general straining of the muscular and ligamentous attachments of the particular joint affected, makes no difference, when the injury is identified, as it has been in this case, as a definite physiological one arising out of and in the course of the applicant's employment.  The mishap of course necessarily implies a particular occurrence at some particular time, but, as Lord Birkenhead put it in the Kynoch case, what that particular time was is immaterial so long as it reasonably appears that it was in the course of employment.

             [My emphasis.]

 

 

Writing for himself and Taschereau J., Kerwin J. (at pp. 570-71) found the decision of the House of Lords in Tenton v. Thorley & Co., [1903] A.C. 443, especially helpful:

 

The outstanding pronouncement as to the meaning of the word "accident" in the English Act of 1897 is the speech of Lord Macnaghten in Fenton v. Thorley & Co., where he states that it is "an unlooked for mishap or untoward event which is not expected or designed."  That decision was subsequent to the decision in the Scotch case of Stewart v. Wilson & Clyde Coal Co., where Lord M'Laren stated:

 

             It seems to me that the question is, whether the word "accident" presupposes some external and visible or palpable cause (e.g.,the break-down of machinery) from which injury results to a workman, or whether there may be an accident when there is no derangement of the machinery or plant, or of the organization of labour, and when the injury is entirely personal to the sufferer.  To limit the application of the statute to the first class of cases would be to exclude a very large number of occurrences which are usually known as accidents...

 

             I think it is impossible so to limit the scope of the statute, and if a workman in the reasonable performance of his duties sustains a physiological injury as the result of the work he is engaged in, I consider that 2this is accidental injury in the sense of the statute.

 

 

             Lord Kinnear put the matter thus:

 

 

             It (the injury) was not part of the design or scheme of operation in which the man was engaged;  it was not intentional;  and it was unforeseen.  It arose from some causes which are not definitely ascertained, except that the appellant was lifting hutches which were too heavy for him. If such an occurrence as this cannot be described in ordinary language as an accident, I do not know how otherwise to describe it.

 

 

 

Both judges were quoted with approval by Lord Macnaghten in Fenton's case.

 

Now in neither of these cases was there any question of disease but Clover, Clayton & Co. Ltd. v. Hughes decided under the Act of 1906, was a disease case.  Lord Loreburn there refers to the fact that all the Lords who took part in the decision in Fenton v. Thorley agreed in substance with Lord Macnaghten's definition of "accident" and Lord Macnaghten himself points out:

 

 

 

             There (in Fenton's case) the Court of Appeal had held that if a man meets with a mishap in doing the very thing he means to do, the occurrence cannot be called an accident.  There must be, it was said, an accident and an injury:  You are not to confuse the injury with the accident.  Your Lordships' judgment, however, swept away these niceties of subtle disquisition and the endless perplexities of causation.  It was held that "injury by accident" meant nothing more than "accidental injury" or "accident" as the word is popularly used.

 

             [My emphasis throughout; citations omitted]

 

 

I do not, of course, in referring to Theed, intend to suggest that the meaning of "industrial accident" in our present Act is

 

identical to the older English and New Brunswick statutes on workmen's compensation.

 

I am aware that the first Workmen's Compensation Act of Quebec, 1909, 9 Edw. VII, ch. 66, was largely inspired by the French "loi du 9 avril 1898", and that an official circular issued by the French authorities in 1899 defined an accident as "a bodily injury arising from the sudden action of an external cause":  see T.P. Foran, The Workman's Compensation Act of Quebec, Wilson & Lafleur, Montreal, 1910, p. 2.  Indeed, Foran wrote that, under the Quebec statute, "an accident may be said to consist of a bodily injury unintentionally brought about by the unintended and fortuitous action of an external cause" (ibid., p. 3).

 

Even in 1900, however, Dean F.P. Walton  of the Faculty of Law at McGill University considered that the English act of 1897 and the French law of 1898 provided a "closely similar solution" to what was fundamentally the same problem:  see F.P. Walton, The New Laws of Employers' Liability in England and France, Théoret, Montreal, 1900, p. 1.  Indeed, according to Dean Walton, the French law was in at least two respects more favorable to the workman (ibid., p. 35).

 

 

 

Moreover, though the French official circular defined an accident as an injury arising from an "external cause", our own current statute contemplates injuries from "any cause".

 

In any event, my sole purpose in referring here to Theed and the English authorities is to provide what I consider to be a useful jurisprudential backdrop against which to measure the reasonableness of CALP's decision in this case.

 

Our Act, despite its different wording, is in many respects a more modern and more progressive expression of the objectives espoused by the older statutes.  From a social and historical perspective, I would therefore find surprising any conclusion that workers in England enjoyed in 1897 broder protection against industrial accidents than do workers today in Quebec, nearly a full century later.

 

                              III

 

 

In this case, as the Chief Justice suggests, «d'aucuns peuvent considérer que la décision de la CALP fut erronée et à la limite du raisonnable.»

 

My colleague Gendreau J.A. has concluded that the CALP decision is unacceptable in two respects:  first because it declines to follow the Commission's own previous decisions and second because it fails to explain why.  I agree with these observations.

 

In my respectful view, however, the CALP decision may be understood in either of two ways, neither of them resulting in absurdity.

 

The first is that Commissioner Beliveau considered the inadvertent dropping and immediate retrieval by Chaput of his pencil as a single, continuous «sudden and unforeseen event» that happened to Chaput and caused his injury.

 

If this is what the decision stands for, I believe it can be considered wrong for the insightful reason explained by Justice Gendreau:

...le commissaire Béliveau assume...donc qu'un accident de travail devait s'être produit parce qu'il y eut entorse lombaire même si, selon toute apparence, le geste du réclamant était libre et posé sans contrainte (il ne soulevait, par exemple, aucun objet ou ne maniait aucun outil) et rencontrait toutes les caractéristiques de la normalité puisqu'il ne résultait pas d'une maladresse, n'avait pas été provoqué par un mouvement trop vif, irréfléchi ou de la nature du réflexe, ou n'avait pas été dérangé, déréglé ou perturbé par la présence ou sous l'action d'un agent ou d'un élément extérieur, animé ou inanimé.

By this standard, I agree that the Commissioner's decision was wrong;  with respect, however, I do not consider that it is «absurde, inconcevable, grossièrement ou manifestement déraisonnable»:  per Baudouin J.A., in Syndicat Canadien de la Fonction Publique, Section locale 2051, c. Morin et al., C.A.Q. 200-09-000571-874, December 8, 1989, J.E. 90-175.

 

                              IV

 

Alternatively, Commissioner Beliveau's decision may be seen to rest on the presumption created by section 28 of the Act:

 

28.  An injury that happens at the workplace while the worker is at work is presumed to be an employment injury.

 

Because of the interdependence of the definitions given by the Act to «industrial accident» and «employment injury», this presumption may be restated as follows:

 

An injury that happens at the workplace while the worker is at work is presumed to be... an injury... arising out of or in the course of... an industrial accident, i.e., a sudden and unforeseen event, attributable to any cause, etc...

 

 

Section 28, to put it otherwise, creates a presumption that an injury that happens to a worker at the workplace arose out of or in the course of a sudden and unforeseen event.

 

Commissioner Beliveau found in this case that the employer had failed to rebut the section 28 presumption.  This conclusion, once again, may well be wrong, but I do not find it manifestly unreasonable

 

In the result, at the end of the day, section 28 remained operative, still standing as an undisplaced presumption that the injury to appellant had resulted from an industrial accident within the meaning of the Act.

 

                               V

 

For these reasons, on either interpretation of Commissioner Beliveau's decision, I agree with the Chief Justice that the appeal should be allowed and the CALP decision restored.

 

                              

 

 

 

                                 _______________________________           MORRIS J. FISH, J. A.                                                                  



    [1]  L.Q. 1985, c.6 et L.R.Q., c.A-3.001

    [2]  L.R., c.A-3

    [3]  L.Q. 1974, c.39

    [4]  L.Q. 1977, c.42, a.16

    [5]  L.Q. 1977, c.68

    [6]  L.Q. 1985, c.6

    [7]  Voir la référence 1

    [8]  1988, 2 R.C.S. 1048

    [9]  1991, 1 R.C.S. 614

    [10]  L.Q. 1978, c.57, a.3 modifiant l'article 2 de la Loi sur       les accidents du travail

    [11]  [1979] 2 R.C.S. 227.

    [12]  [1990] 3 R.C.S. 644, à la page 669.

    [13]Produits Petro Canada Inc. c. Émile Moalli & al

   1987, R.J.Q. 261

    [14]Domtar Inc. c. C.A.L.P. & al 1991 R.J.Q. 2438 -

   Permission d'appeler accordée par la Cour suprême du Canada le 26 mars 1992

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