Franche et Travaux publics et Services

2008 QCCLP 4860

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gatineau

20 août 2008

 

Région :

Outaouais

 

Dossier :

332862-07-0711

 

Dossier CSST :

129358222

 

Commissaire :

Suzanne Séguin, avocate

 

Membres :

Jean-Pierre Tessier, associations d’employeurs

 

Royal Sanscartier, associations syndicales

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Denise Franche

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Travaux Publics et Services

 

Partie intéressée

 

 

et

 

 

R.H.D.C.C. - Direction travail

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

            Partie intervenante

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 14 novembre 2007, madame Denise Franche (la travailleuse) dĂ©pose Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles une requĂŞte par laquelle elle conteste une dĂ©cision de la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail (la CSST) rendue le 2 octobre 2007 Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative.

[2]           Par cette dĂ©cision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 7 juin 2007 et dĂ©clare que la travailleuse n’a pas droit Ă  l’assistance mĂ©dicale demandĂ©e, Ă  savoir des traitements d’ostĂ©opathie dans une clinique privĂ©e.

[3]           L’audience s’est tenue le 3 juin 2008 Ă  Gatineau en prĂ©sence de la travailleuse.  Travaux Publics et Services (l’employeur) et R.H.D.C.C. - Direction travail, autre partie intĂ©ressĂ©e, ne sont pas reprĂ©sentĂ©es Ă  l’audience. Quant Ă  la CSST, elle a informĂ© la Commission des lĂ©sions professionnelles qu’elle n’y serait pas reprĂ©sentĂ©e.  La cause est mise en dĂ©libĂ©rĂ© Ă  la date de l’audience, soit le 3 juin 2008.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La travailleuse demande Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles de reconnaĂ®tre qu’elle a droit au remboursement des frais d’ostĂ©opathie du 11 juin 2007 Ă  la date de l’audience et pour les huit prochains mois ou jusqu’à ce que ces soins soient  nĂ©cessaires.

 

LES FAITS

[5]           Le 6 mars 2006, la travailleuse, traductrice chez l’employeur, subit un accident du travail qu’elle dĂ©crit de la façon suivante dans sa rĂ©clamation :

Au 70 CrĂ©mazie, les gestionnaires de l’immeuble ont placĂ©, tout le long des ascenseurs, un tapis d’environ six pieds de large. En arrivant au tapis de l’extĂ©rieur, j’ai trĂ©buchĂ© parce qu’une partie du rebord du tapis Ă©tait bombĂ©e ou soulevĂ©e au lieu d’être bien Ă  plat sur le plancher. Cette partie soulevĂ©e Ă©tait d’environ 7 pouces par 1 pouce et demi de haut. Depuis ma chute, je ressens des douleurs aux endroits suivants : cou, Ă©paule et bras gauches, crâne, milieu du crâne jusqu’au dos (partie supĂ©rieure du dos), genou gauche et hanche droite. Les plus fortes douleurs sont Ă  l’épaule gauche et au crâne. Celles au crâne s’intensifient avec le temps. Par pĂ©riodes, j’ai eu des Ă©tourdissements et une perte de l’ouĂŻe.

 

 

[6]           Le 10 mars 2006, le docteur Pierre Fortier, omnipraticien, diagnostique un trauma crânien et une contusion Ă  l’épaule gauche. Il recommande des traitements de physiothĂ©rapie.

[7]           La travailleuse verra ensuite le docteur Mark Aubry, omnipraticien, qui recommande, le 22 mars 2006, de cesser la physiothĂ©rapie et de consulter un ostĂ©opathe, un acupuncteur ou un chiropraticien.

[8]           La travailleuse est prise en charge par le docteur Alan Isaac Iny, omnipraticien, qui diagnostique le 25 juillet 2006 un traumatisme craniocĂ©rĂ©bral, une entorse cervicale et de l’anxiĂ©tĂ© post-traumatique. Il dirige la travailleuse vers un chiropraticien et vers un psychologue.

[9]           La travailleuse rencontre monsieur Jean-Pierre Jutras, physiothĂ©rapeute et ostĂ©opathe, qui suggère un plan de traitement. Il recommande des techniques myofasciales thoraciques et cervicales et de la mobilisation dorsale et dorsolombaire.

[10]        Au printemps 2006, la travailleuse rencontre monsieur Pierre Larouche, ostĂ©opathe.

[11]        Le 20 juin 2006, la travailleuse communique avec son agente d’indemnisation qui Ă©crit dans sa note d’intervention que la travailleuse mentionne que la mĂ©decine conventionnelle ne l’aide pas et qu’elle se tourne vers la mĂ©decine alternative, soit l’acupuncture et l’ostĂ©opathie.

[12]        Le 22 juin 2006, le conseiller en rĂ©adaptation Ă©value le besoin de rĂ©adaptation d’ordre physique et Ă©crit dans sa note d’intervention ce qui suit :

Analyse et rĂ©sultats :

 

Étant donné que le médecin qui a charge recommande de tenter une approche ostéopathique pour éliminer tout risque de progression des symptômes incapacitants;

 

Étant donné la persistance de symptômes incapacitants sous forme de maux de tête, douleur créant de l’anxiété chez la travailleuse;

 

Étant donné les balises médico-administratives et le besoin de réadaptation encore présent chez la travailleuse;

 

Nous convenons d’inclure l’approche thérapeutique prônée par le médecin qui a charge à titre de mesure de réadaptation visant un prompt retour à un état fonctionnel favorable au retour en emploi;

 

Un suivi sera Ă©tabli avec le thĂ©rapeute consultĂ© par la travailleuse (P. Larouche, 613.241.0005 @ 65 $).

 

 

[13]        Le 11 aoĂ»t 2006, la travailleuse commence une psychothĂ©rapie avec madame Claire Maisonneuve.

[14]        Le 19 septembre 2006, la travailleuse rencontre le docteur Denis HallĂ©, neurologue, Ă  la demande de la CSST. La symptomatologie rĂ©siduelle consiste en une cĂ©phalĂ©e quotidienne, intermittente, qui s’aggrave en frĂ©quence et en intensitĂ© depuis le dĂ©but de l’arrĂŞt du travail; une sensation de visage gelĂ©; de la douleur cervicale qui est moindre; des difficultĂ©s de mĂ©moire; des Ă©tourdissements frĂ©quents; une perte de toute sensation Ă  diffĂ©rents endroits du crâne; de la fatigue; de l’insomnie et de la nausĂ©e dans un vĂ©hicule en mouvement, particulièrement en autobus.

[15]        Celui-ci considère que les diagnostics de la lĂ©sion professionnelle sont un traumatisme crânien bĂ©nin, une entorse cervicale, une psychopathologie secondaire vraisemblable et une contusion bĂ©nigne Ă  l’épaule gauche. Il estime que la lĂ©sion professionnelle, en ce qui concerne les diagnostics organiques, est consolidĂ©e le 19 septembre 2006 sans nĂ©cessitĂ© de soins ou de traitements. Ă€ ce sujet, il Ă©crit ce qui suit :

Je conclus qu’aucun autre soin ou traitement n’est indiqué ni pertinent pour ce qui est du traumatisme crânien, entorse cervicale et contusion à l’épaule gauche. Donc il n’est plus justifié organiquement de poursuivre les traitements d’acupuncture, ostéopathie et chiropraxie. Et ce malgré toute la sympathie que m’attire la victime.

 

 

[16]         Selon lui, la lĂ©sion professionnelle entraĂ®ne une atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique ou psychique, dont le dĂ©ficit anatomophysiologique est de 0 %, et n’entraĂ®ne pas de limitations fonctionnelles relativement Ă  l’aspect organique et neurologique.

[17]        Le 12 octobre 2006, la travailleuse rencontre monsieur George Pavlou, masso-kinĂ©sithĂ©rapeute et orthothĂ©rapeute qui, de concert avec monsieur Larouche, lui prodigue des traitements de massothĂ©rapie.

[18]        Le 13 novembre 2006, la travailleuse voit le docteur Markus Besemann, physiatre, Ă  la demande du docteur Iny. Il diagnostique « une entorse cervicale avec sĂ©quelle surtout de tension musculaire et secondairement Ă  une nĂ©vralgie d’Arnold bilatĂ©ralement. Â» Voici ses recommandations :

On recommande fortement à la patiente de s’auto masser les régions affectées de même que d’effectuer des étirements sur une base régulière et de se concentrer à des techiques de relaxation telles la méditation ou le yoga par exemple. On n’a pas d’autre alternative à lui offrir à part une infiltration du nerf d’Arnold mais ceci est souvent infructueux dans le contexte de tension qui semble aggravée par l’anxiété. Aucun suivi n’a été cédulé en physiatrie.

 

[19]        Le 14 dĂ©cembre 2006, la travailleuse consulte monsieur Patrice Pelletier, neuropsychologue.

[20]        Le 5 fĂ©vrier 2007, le conseiller en rĂ©adaptation fait la liste des soins que reçoit la travailleuse, soit :

-         Chiropraxie, une fois par semaine;

-         Acupuncture, une fois par semaine;

-         OstĂ©opathie, une fois aux deux semaines;

-         MassothĂ©rapie, une fois par semaine (payĂ©e par l’assurance de la travailleuse);

-         PsychothĂ©rapie, une fois par semaine (payĂ©e en partie par l’assurance de la travailleuse);

-         Neurospsychologie : tests d’évaluation en cours.

 

 

[21]        Le 23 mars 2007, une nouvelle conseillère en rĂ©adaptation intervient au dossier et lors d’une conversation tĂ©lĂ©phonique avec la travailleuse lui mentionne « qu’un des objectifs visĂ©s en rĂ©paration est d’éviter le maintien indĂ©fini des thĂ©rapies, ce qui est perçu comme un terrain propice Ă  la chronicitĂ©. Â»

[22]        Le 17 mai 2007, la conseillère en rĂ©adaptation Ă©crit dans sa note d’intervention ce qui suit :

T. dit qu’elle veut continuer ostéo, qu’elle a mis sa confiance dans cette approche et ne voudrait pas que nous arrêtions ce traitement; je rassure que pour le moment je tente seulement d’avoir un rapport d’évolution qu’il n’est pas question d’arrêter le traitement - T semble rassurée.

 

 

[23]        Le 6 juin 2007, la conseillère en rĂ©adaptation Ă©crit dans ses notes cliniques qu’étant donnĂ© que les traitements d’ostĂ©opathie ne font pas partie du plan de traitement d’un centre de physiothĂ©rapie, ils ne seront plus payables.

[24]        Le 7 juin 2007, la CSST refuse d’autoriser les traitements d’ostĂ©opathie. Cette dĂ©cision sera maintenue Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative le 2 octobre 2007, d’oĂą la prĂ©sente contestation.

[25]        Le 26 juin 2007, le docteur Iny fait parvenir Ă  la CSST un plan de traitement. Il recommande, entre autres, un traitement aux deux semaines auprès de monsieur Pierre Larouche, ostĂ©opathe.

 

 

[26]        Le 9 juillet 2007, la travailleuse rencontre le docteur Louis CĂ´tĂ©, psychiatre, Ă  la demande de la CSST. Il pose le diagnostic multiaxial suivant :

Axe I :              DĂ©pression majeure d’intensitĂ© modĂ©rĂ©e secondaire Ă  l’évènement du 6 mars 2006, notamment secondairement Ă  la symptomatologie musculosquelettique douloureuse.

                        Trouble douloureux somatoforme.

Axe II :                         Absence d’indice de trouble de la personnalitĂ©.

Axe III :                        Syndrome musculosquelettique douloureux.

Axe IV :            Stresseur : les consĂ©quences de l’évènement du 6 mars 2006, principalement le syndrome musculosquelettique douloureux.

Axe V :                        Fonctionnement global Ă  l’échelle EGF au cours des 2 derniers mois : 50.

 

 

[27]        Il estime que la lĂ©sion professionnelle n’est pas consolidĂ©e et recommande, entre autres, pour complĂ©ter l’approche psychothĂ©rapique, des traitements en ostĂ©opathie qui semblent contribuer Ă  rĂ©duire le niveau d’anxiĂ©tĂ©.

[28]        Le 27 septembre 2007, le docteur Besemann revoit la travailleuse et suggère de persister avec l’ostĂ©opathie qui semble porter fruit quoique lentement.

[29]        Le 18 octobre 2007, la travailleuse rencontre le docteur François Racine, physiatre, Ă  la demande de la CSST. Il estime que la lĂ©sion professionnelle n’est pas consolidĂ©e et que la travailleuse doit pouvoir poursuivre les traitements en ostĂ©opathie qu’elle semble trouver particulièrement plus utiles que les autres approches thĂ©rapeutiques. Il recommande aussi des blocs au niveau des nerfs d’Arnold.

[30]        Le 1er novembre 2007, le docteur Iny Ă©crit dans l’information mĂ©dicale complĂ©mentaire que la travailleuse a fait des progrès avec les traitements en ostĂ©opathie, avec le yoga, la massothĂ©rapie et la psychothĂ©rapie et, le 5 novembre 2007, il suggère dans son plan de traitements, de l’ostĂ©opathie avec monsieur Larouche aux deux semaines.

[31]        Le 13 mars 2008, la travailleuse revoit le docteur Besemann et lui mentionne que, depuis la dernière visite, elle constate une amĂ©lioration globale de 60 % avec l’ostĂ©opathie.

[32]        Il Ă©crit que l’ostĂ©opathie semble porter fruit et suggère de continuer ce traitement tant que la situation s’amĂ©liore. Par contre, il estime que ce traitement devra cesser dès qu’un plateau sera atteint.

[33]        Le 1er mai 2008, monsieur Larouche fait parvenir Ă  la CSST un rapport de traitements d’ostĂ©opathie du 1er octobre 2007 au 30 avril 2008. Il Ă©crit que le progrès des derniers mois est très encourageant et recommande un traitement aux deux semaines pour les prochains six Ă  huit mois.

[34]        La travailleuse tĂ©moigne Ă  l’audience. Elle explique au tribunal qu’elle commence Ă  voir monsieur Larouche au printemps 2006, mais qu’auparavant elle avait rencontrĂ© un autre ostĂ©opathe qui ne l’avait pas aidĂ©e.

[35]        Elle mentionne avoir reçu des traitements de plusieurs natures, mais qu’à l’hiver 2007, après avoir pris connaissance d’une information voulant que les personnes souffrant de la nĂ©vralgie d’Arnold avaient tendance Ă  recevoir trop de traitements afin de soulager leur douleur, elle fait le choix de recevoir des traitements d’ostĂ©opathie et de massothĂ©rapie seulement Ă©tant donnĂ© que les traitements d’ostĂ©opathie sont payĂ©s par la CSST.

[36]        Elle explique que lorsqu’elle reçoit des traitements d’ostĂ©opathie, elle ressent une amĂ©lioration le surlendemain, mais qu’elle a surtout vu une amĂ©lioration Ă  long terme et que depuis juillet 2007, sa condition s’est grandement amĂ©liorĂ©e.

[37]        Avant elle ne pouvait ĂŞtre assise ou couchĂ©e longtemps, alors que maintenant elle le peut. Depuis le mois de fĂ©vrier 2008, elle est capable de travailler deux heures par jour Ă  domicile et croit pouvoir travailler sept heures et demie par jour Ă©ventuellement avec l’aide des traitements d’ostĂ©opathie.

[38]        Elle tĂ©moigne qu’elle a confiance dans les mĂ©thodes utilisĂ©es par monsieur Larouche et ajoute que le docteur Besemann lui a dit qu’il serait ridicule de changer d’ostĂ©opathe maintenant.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[39]        Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que la travailleuse a droit au remboursement des frais d’ostĂ©opathie puisque, selon eux, la preuve testimoniale et documentaire dĂ©montre que l’ostĂ©opathie est une mesure utile pour attĂ©nuer ou faire disparaĂ®tre les consĂ©quences de la lĂ©sion professionnelle et que les soins prodiguĂ©s par monsieur Larouche, ostĂ©opathe, s’inscrivent dans ce cadre.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[40]        La Commission des lĂ©sions professionnelles doit dĂ©cider si la travailleuse a droit au remboursement des frais d’ostĂ©opathie.

[41]        L’article 188 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prĂ©voit que la travailleuse a droit Ă  l’assistance mĂ©dicale que requiert son Ă©tat. Cet article se lit ainsi :

188.  Le travailleur victime d'une lĂ©sion professionnelle a droit Ă  l'assistance mĂ©dicale que requiert son Ă©tat en raison de cette lĂ©sion.

__________

1985, c. 6, a. 188.

 

 

[42]        L’article 189 de la loi prĂ©cise en quoi consiste l’assistance mĂ©dicale de la façon suivante :

189.  L'assistance mĂ©dicale consiste en ce qui suit :

 

1° les services de professionnels de la santĂ©;

 

2° les soins ou les traitements fournis par un Ă©tablissement visĂ© par la Loi sur les services de santĂ© et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santĂ© et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);

 

3° les mĂ©dicaments et autres produits pharmaceutiques;

 

4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires mĂ©dicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santĂ© et disponibles chez un fournisseur agréé par la RĂ©gie de l'assurance maladie du QuĂ©bec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas Ă©tabli au QuĂ©bec, reconnu par la Commission;

 

5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visĂ©s aux paragraphes 1° Ă  4° que la Commission dĂ©termine par règlement, lequel peut prĂ©voir les cas, conditions et limites monĂ©taires des paiements qui peuvent ĂŞtre effectuĂ©s ainsi que les autorisations prĂ©alables auxquelles ces paiements peuvent ĂŞtre assujettis.

__________

1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.

 

Le tribunal souligne.

 

 

[43]        Le Règlement sur l’assistance mĂ©dicale[2] (le règlement) spĂ©cifie les soins, les traitements, les aides techniques dont la CSST dĂ©fraie les coĂ»ts. Cet article Ă©nonce que :

2.  Les soins, les traitements, les aides techniques et les frais prévus au présent règlement font partie de l’assistance médicale à laquelle peut avoir droit un travailleur, lorsque le requiert son état en raison d’une lésion professionnelle.

 

­­­­­­­­­­­­­­­­­___________

D. 288-93, a. 2

 

 

[44]        L’article 4 de ce règlement prĂ©voit que :

13.   La Commission assume le coût des traitements de physiothérapie et d'ergothérapie fournis par un membre inscrit au tableau de l'Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec ou par un ergothérapeute inscrit au tableau de l'Ordre professionnel des ergothérapeutes du Québec.

 

 

Le coût des traitements de physiothérapie et d'ergothérapie fournis avant le 22 novembre 2007 est payé par la Commission selon les règles applicables au moment où ils ont été fournis. (D. 888-2007, a. 12)

 

___________

D. 288-93, a. 13; L.Q., 1994, c. 40, a. 457; D. 888-2007, a. 6.

 

 

[45]        La lecture du règlement fait voir que les traitements d’ostĂ©opathie n’y sont pas prĂ©vus et ne font donc pas partie de l’assistance mĂ©dicale.

[46]        La Commission des lĂ©sions professionnelles a, Ă  plusieurs reprises, refusĂ© le remboursement des frais d’ostĂ©opathie au motif que l’ostĂ©opathie ne fait pas partie de l’assistance mĂ©dicale[3].

[47]        Par contre, si les soins d’ostĂ©opathie sont prodiguĂ©s par un mĂ©decin dĂ»ment inscrit au Tableau du Collège des mĂ©decins du QuĂ©bec[4] ou par un physiothĂ©rapeute[5], la Commission des lĂ©sions professionnelles a acceptĂ©, en certaines occasions, le remboursement des frais d’ostĂ©opathie puisque ces traitements ont Ă©tĂ© offerts par un professionnel de la santĂ© conformĂ©ment au paragraphe 1 de l’article 189 de la loi.

 

[48]        En l’espèce, les frais d’ostĂ©opathie sont prodiguĂ©s par un ostĂ©opathe qui n’est ni mĂ©decin, ni physiothĂ©rapeute, force est donc de conclure que les soins reçus par la travailleuse ne s’inscrivent pas dans le cadre de l’assistance mĂ©dicale prĂ©vue aux articles 188 et suivants de la loi.

[49]        Or, l’article 184 du Chapitre IV de la loi traitant de la rĂ©adaptation prĂ©voit que :

184.  La Commission peut :

 

1° dĂ©velopper et soutenir les activitĂ©s des personnes et des organismes qui s'occupent de rĂ©adaptation et coopĂ©rer avec eux;

 

2° Ă©valuer l'efficacitĂ© des politiques, des programmes et des services de rĂ©adaptation disponibles;

 

3° effectuer ou faire effectuer des Ă©tudes et des recherches sur la rĂ©adaptation;

 

4° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour favoriser la rĂ©insertion professionnelle du conjoint d'un travailleur dĂ©cĂ©dĂ© en raison d'une lĂ©sion professionnelle;

 

5° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour attĂ©nuer ou faire disparaĂ®tre les consĂ©quences d'une lĂ©sion professionnelle.

 

Aux fins des paragraphes 1°, 2° et 3°, la Commission forme un comité multidisciplinaire.

__________

1985, c. 6, a. 184.

 

Le tribunal souligne.

 

 

[50]        En vertu de cet article, la CSST doit prendre toute mesure qu’elle estime utile pour attĂ©nuer ou faire disparaĂ®tre les consĂ©quences d’une lĂ©sion professionnelle[6].

[51]        La soussignĂ©e partage l’opinion Ă©mise par la Commission des lĂ©sions professionnelles dans l’affaire Ladora et HĂ´pital Rivière-des-Prairies[7] selon laquelle :

[77]      En réponse à la demande de remboursement de la travailleuse, la CSST n’a pas envisagé l’application des dispositions de l’article 184 de la Loi, particulièrement celles de son paragraphe 5º :

 

184. La Commission peut:

 

1°            (…)

 

(…)

 

5°            prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle ;

 

(…)

__________

1985, c. 6, a. 184.

 

[78]      Certes, il s’agit là d’un pouvoir discrétionnaire, mais il est tout de même « sujet à révision en vertu de l’article 358 et éventuellement en vertu de l’article 359 » de la Loi16.

 

[79]      De plus, l’exercice de ce pouvoir n’est pas discrétionnaire : « la CSST n’a pas l’obligation d’accorder ce que l’administré lui demande, puisqu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, mais elle a l’obligation de se demander si elle le fera »17.

 

[80]      Au vu du dossier constitué, force est de constater que la CSST ne s’est pas demandé si elle accorderait ou non à la travailleuse le remboursement des frais dits d’ostéopathie sur la base de l’article 184 (5) de la Loi.  Or, elle avait le devoir de rendre une décision en vertu de cet article18.

 

[81]      Dûment saisie du mérite du litige, la Commission des lésions professionnelles peut donc rendre maintenant à cet égard la décision qui, à son avis, aurait dû être rendue en premier lieu, le tout conformément au deuxième alinéa de l’article 377 de la Loi :

 

377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

______________

16         Ministère de l'Éducation et Goulet, 30349-03-9107, 17 janvier 1994, M. Beaudoin, (J6-08-08) (dĂ©cision sur requĂŞte en rĂ©vision) ; Morin et Lavage camion citerne Universel inc., 130941-61-0002, 30 janvier 2001, S. Di Pasquale, (00LP-128) ; Reeves et Purdel coop agro-alimentaire, 112907-01B-9903, 29 mars 2001, P. Simard.

17           Gerald et CAE Électronique ltée, [2004] C.L.P. 1565

18            Bissonnette et Équipement Moore ltée, [2005] C.L.P. 497 (décision sur une requête en révision)

 

 

[52]        Ă€ bon droit, dans la prĂ©sente affaire, la CSST a considĂ©rĂ©, dans un premier temps, que l’approche thĂ©rapeutique, dont les traitements d’ostĂ©opathie, constitue « une mesure de rĂ©adaptation visant un prompt retour Ă  un Ă©tat fonctionnel favorable au retour en emploi. Â»

[53]        Par la suite, la CSST a refusĂ© le remboursement des frais des traitements d’ostĂ©opathie au motif qu’ils ne font pas partie du plan de traitement d’un centre de physiothĂ©rapie.

[54]        Or, l’article 184 de la loi ne pose pas cette exigence et la CSST se devait d’analyser la demande de la travailleuse sous l’angle de cet article, c’est-Ă -dire est-ce que les traitements d’ostĂ©opathie constituent une mesure utile pour attĂ©nuer ou faire disparaĂ®tre les consĂ©quences d’une lĂ©sion professionnelle.

 

[55]        Dans l’affaire prĂ©citĂ©e Ladora et HĂ´pital Rivière-des-Prairies[8], la Commission des lĂ©sions professionnelles s’exprimait ainsi concernant les traitements d’ostĂ©opathie :

[82]      La preuve non contredite déjà rapportée établit que les traitements dits d’ostéopathie prodigués à la travailleuse lui procurent un soulagement appréciable et apprécié bien que temporaire.  Ces moments de répit sont nul doute précieux pour une personne continuellement souffrante depuis des décennies comme conséquence directe de la lésion professionnelle dont elle a été victime.

 

[83]      À l’évidence, ces traitements contribuent à maintenir chez la travailleuse un minimum de capacité et de bien-être19, ce qui justifie de les considérer comme constituant une mesure utile pour atténuer les conséquences de ses lésions professionnelles, selon les termes de l’article 184 (5) précité.

 

[84]      Ainsi que l’a rappelé la commissaire Pauline Perron, dans l’affaire Guylaine Laurin et Mont Sutton inc.20, « la préoccupation d’une saine gestion des fonds publics est certes louable », mais elle ne doit pas empêcher le tribunal d’« aider la travailleuse à surmonter les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle ».

 

[85]      Il s’agit aussi d’une thérapie de support21 visant à préserver les derniers acquis physiques et sociaux de la travailleuse, sans lesquels la travailleuse se verra confinée à l’isolement22, en dehors des rares activités de sa communauté qu’elle partage encore.

_____________

19           Voir : Marinello et Ministère des Transports du QuĂ©bec, 143688-63-0007, 9 mai 2001, J.-M. Charrette ; Goyetche et Emballage Support Allan inc., 232116-64-0404, 3 mars 2005, R. Daniel, (04LP-318).

                20           283109-71-0602, 23 novembre 2006, (retenu pour publication au C.L.P.)

                21           Voir : Dicaire et MĂ©tallurgie Noranda inc. (Division CCR), 152843-63-0012, 13 juillet 2001, M. Gauthier

                22           Voir : Rousseau et Les services de dĂ©neigement Mole inc., 112514-04B-9903, 1er mai 2000, G. Marquis

 

 

[56]        Dans la prĂ©sente affaire, la Commission des lĂ©sions professionnelles estime que la travailleuse a droit au remboursement des frais d’ostĂ©opathie.

[57]        D’entrĂ©e de jeu, le tribunal souligne que la loi demande une interprĂ©tation large et libĂ©rale et que l’objet de la loi vise la rĂ©paration des consĂ©quences qu’entraĂ®nent les lĂ©sions professionnelles, tel qu’édictĂ© Ă  l’article 1 de la loi qui se lit comme suit :

1.  La prĂ©sente loi a pour objet la rĂ©paration des lĂ©sions professionnelles et des consĂ©quences qu'elles entraĂ®nent pour les bĂ©nĂ©ficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[58]        En l’espèce, la CSST a d’abord autorisĂ© les traitements d’ostĂ©opathie auprès de monsieur Larouche du printemps 2006 Ă  juin 2007. La travailleuse dĂ©veloppe alors un lien de confiance avec son thĂ©rapeute et abandonne les autres soins qu’elle reçoit afin de se concentrer sur ses traitements d’ostĂ©opathie et de massothĂ©rapie.

[59]        Il appert de la preuve documentaire et du tĂ©moignage de la travailleuse que ces soins ont permis d’attĂ©nuer la symptomatologie de la travailleuse qui, au mois de septembre 2006, est une cĂ©phalĂ©e quotidienne, intermittente, qui s’aggrave en frĂ©quence et en intensitĂ© depuis le dĂ©but de l’arrĂŞt du travail; une sensation de visage gelĂ©; de la douleur cervicale qui est moindre; des difficultĂ©s de mĂ©moire; des Ă©tourdissements frĂ©quents; une perte de toute sensation Ă  diffĂ©rents endroits du crâne; de la fatigue; de l’insomnie et de la nausĂ©e dans un vĂ©hicule en mouvement, particulièrement en autobus.

[60]        En effet, la travailleuse est maintenant capable de travailler deux heures par jour alors qu’elle a bon espoir de pouvoir reprendre le travail Ă  temps plein Ă©ventuellement.

[61]        Par ailleurs, le docteur Iny, mĂ©decin ayant pris charge de la travailleuse, recommande les traitements d’ostĂ©opathie tout comme le docteur Racine, physiatre dĂ©signĂ© par la CSST et le docteur Louis CĂ´tĂ©, psychiatre aussi dĂ©signĂ© par la CSST.

[62]        Au surplus, le docteur Besemann, physiatre, estime que l’ostĂ©opathie semble porter fruit et suggère de continuer ce traitement tant que la situation s’amĂ©liore tout en spĂ©cifiant que ce traitement devra cesser dès qu’un plateau sera atteint.

[63]        Dans son rapport du 1er mai 2008, monsieur Larouche, ostĂ©opathe, Ă©crit que le progrès des derniers mois est très encourageant et recommande un traitement aux deux semaines pour les prochains six Ă  huit mois.

[64]        Donc, le tribunal estime que les traitements d’ostĂ©opathie sont une mesure utile pour attĂ©nuer les consĂ©quences d’une lĂ©sion professionnelle puisque ces traitements ont permis de diminuer les symptĂ´mes ressentis par la travailleuse, que la travailleuse est maintenant capable de travailler deux heures par jour; que ces traitements sont recommandĂ©s par les docteurs Iny, Racine, CĂ´tĂ© et Besemann, ce dernier estimant que ces traitements doivent cesser lorsqu’un plateau sera atteint.

[65]        Par consĂ©quent, la Commission des lĂ©sions professionnelles, rendant la dĂ©cision qui aurait dĂ» ĂŞtre rendue, considère que la travailleuse a droit au remboursement des traitements d’ostĂ©opathie Ă  partir du 11 juin 2007, et ce, jusqu'Ă  l'atteinte d'un plateau thĂ©rapeutique.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requĂŞte de madame Denise Franche, la travailleuse;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 2 octobre 2007 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement des frais d’ostéopathie à partir du 11 juin 2007, et ce, jusqu'à l'atteinte d'un plateau thérapeutique.

 

 

__________________________________

 

Me Suzanne Séguin

 

Commissaire

 

 

Me Michèle Gagnon-Grégoire

Panneton Lessard

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

 

[2]           (1993) 125 G.O. II, 1331

[3]           Voir notamment : BĂ©langer et C.R.H. SantĂ© Portneuf, C.L.P. 114272-32-9904, 24 aoĂ»t 1999, G. Tardif, rĂ©vision rejetĂ©e, 27 juin 2000, N. Tremblay; Gingras et Centre de SantĂ© de Portneuf, C.L.P. 119786-32-9907, 10 janvier 2001, M.-A. Jobidon; ThĂ©oret et Viasystems Canada inc., C.L.P. 154233-64-0101, 9 aoĂ»t 2001, G. Perreault; Brochu et HĂ´pital St-Luc Centre hospitalier de l'UniversitĂ© de MontrĂ©al, C.L.P. 123153-72-9909, 16 aoĂ»t 2002, M.-H. CĂ´tĂ©.

[4]          Bélanger et Quincaillerie Frigon, [2005] C.L.P. 711

[5]           Voir notamment : LavallĂ©e et Commission scolaire Marguerite Bourgeois, C.L.P. 286566-71-0604, 8 dĂ©cembre 2006, Anne Vaillancourt

 

[6]           Ladora et Hôpital Rivière-des-Prairies, C.L.P. 262039-64-0505, 13 mars 2007, J.-F. Martel; Masse et Centre hospitalier régional de Lanaudière, Service de santé 5C, C.L.P. 315726-63-0704, 23 avril 2008, J.-P. Arsenault.

[7]           Précitée, note 6

[8]           Précitée, note 6

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