Franche et Travaux publics et Services |
2008 QCCLP 4860 |
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[1] Le 14 novembre 2007, madame Denise Franche (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 2 octobre 2007 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 7 juin 2007 et déclare que la travailleuse n’a pas droit à l’assistance médicale demandée, à savoir des traitements d’ostéopathie dans une clinique privée.
[3] L’audience s’est tenue le 3 juin 2008 à Gatineau en présence de la travailleuse. Travaux Publics et Services (l’employeur) et R.H.D.C.C. - Direction travail, autre partie intéressée, ne sont pas représentées à l’audience. Quant à la CSST, elle a informé la Commission des lésions professionnelles qu’elle n’y serait pas représentée. La cause est mise en délibéré à la date de l’audience, soit le 3 juin 2008.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle a droit au remboursement des frais d’ostéopathie du 11 juin 2007 à la date de l’audience et pour les huit prochains mois ou jusqu’à ce que ces soins soient nécessaires.
LES FAITS
[5] Le 6 mars 2006, la travailleuse, traductrice chez l’employeur, subit un accident du travail qu’elle décrit de la façon suivante dans sa réclamation :
Au 70 Crémazie, les gestionnaires de l’immeuble ont placé, tout le long des ascenseurs, un tapis d’environ six pieds de large. En arrivant au tapis de l’extérieur, j’ai trébuché parce qu’une partie du rebord du tapis était bombée ou soulevée au lieu d’être bien à plat sur le plancher. Cette partie soulevée était d’environ 7 pouces par 1 pouce et demi de haut. Depuis ma chute, je ressens des douleurs aux endroits suivants : cou, épaule et bras gauches, crâne, milieu du crâne jusqu’au dos (partie supérieure du dos), genou gauche et hanche droite. Les plus fortes douleurs sont à l’épaule gauche et au crâne. Celles au crâne s’intensifient avec le temps. Par périodes, j’ai eu des étourdissements et une perte de l’ouïe.
[6] Le 10 mars 2006, le docteur Pierre Fortier, omnipraticien, diagnostique un trauma crânien et une contusion à l’épaule gauche. Il recommande des traitements de physiothérapie.
[7] La travailleuse verra ensuite le docteur Mark Aubry, omnipraticien, qui recommande, le 22 mars 2006, de cesser la physiothérapie et de consulter un ostéopathe, un acupuncteur ou un chiropraticien.
[8] La travailleuse est prise en charge par le docteur Alan Isaac Iny, omnipraticien, qui diagnostique le 25 juillet 2006 un traumatisme craniocérébral, une entorse cervicale et de l’anxiété post-traumatique. Il dirige la travailleuse vers un chiropraticien et vers un psychologue.
[9] La travailleuse rencontre monsieur Jean-Pierre Jutras, physiothérapeute et ostéopathe, qui suggère un plan de traitement. Il recommande des techniques myofasciales thoraciques et cervicales et de la mobilisation dorsale et dorsolombaire.
[10] Au printemps 2006, la travailleuse rencontre monsieur Pierre Larouche, ostéopathe.
[11] Le 20 juin 2006, la travailleuse communique avec son agente d’indemnisation qui écrit dans sa note d’intervention que la travailleuse mentionne que la médecine conventionnelle ne l’aide pas et qu’elle se tourne vers la médecine alternative, soit l’acupuncture et l’ostéopathie.
[12] Le 22 juin 2006, le conseiller en réadaptation évalue le besoin de réadaptation d’ordre physique et écrit dans sa note d’intervention ce qui suit :
Analyse et résultats :
Étant donné que le médecin qui a charge recommande de tenter une approche ostéopathique pour éliminer tout risque de progression des symptômes incapacitants;
Étant donné la persistance de symptômes incapacitants sous forme de maux de tête, douleur créant de l’anxiété chez la travailleuse;
Étant donné les balises médico-administratives et le besoin de réadaptation encore présent chez la travailleuse;
Nous convenons d’inclure l’approche thérapeutique prônée par le médecin qui a charge à titre de mesure de réadaptation visant un prompt retour à un état fonctionnel favorable au retour en emploi;
Un suivi sera établi avec le thérapeute consulté par la travailleuse (P. Larouche, 613.241.0005 @ 65 $).
[13] Le 11 août 2006, la travailleuse commence une psychothérapie avec madame Claire Maisonneuve.
[14] Le 19 septembre 2006, la travailleuse rencontre le docteur Denis Hallé, neurologue, à la demande de la CSST. La symptomatologie résiduelle consiste en une céphalée quotidienne, intermittente, qui s’aggrave en fréquence et en intensité depuis le début de l’arrêt du travail; une sensation de visage gelé; de la douleur cervicale qui est moindre; des difficultés de mémoire; des étourdissements fréquents; une perte de toute sensation à différents endroits du crâne; de la fatigue; de l’insomnie et de la nausée dans un véhicule en mouvement, particulièrement en autobus.
[15] Celui-ci considère que les diagnostics de la lésion professionnelle sont un traumatisme crânien bénin, une entorse cervicale, une psychopathologie secondaire vraisemblable et une contusion bénigne à l’épaule gauche. Il estime que la lésion professionnelle, en ce qui concerne les diagnostics organiques, est consolidée le 19 septembre 2006 sans nécessité de soins ou de traitements. À ce sujet, il écrit ce qui suit :
Je conclus qu’aucun autre soin ou traitement n’est indiqué ni pertinent pour ce qui est du traumatisme crânien, entorse cervicale et contusion à l’épaule gauche. Donc il n’est plus justifié organiquement de poursuivre les traitements d’acupuncture, ostéopathie et chiropraxie. Et ce malgré toute la sympathie que m’attire la victime.
[16] Selon lui, la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, dont le déficit anatomophysiologique est de 0 %, et n’entraîne pas de limitations fonctionnelles relativement à l’aspect organique et neurologique.
[17] Le 12 octobre 2006, la travailleuse rencontre monsieur George Pavlou, masso-kinésithérapeute et orthothérapeute qui, de concert avec monsieur Larouche, lui prodigue des traitements de massothérapie.
[18] Le 13 novembre 2006, la travailleuse voit le docteur Markus Besemann, physiatre, à la demande du docteur Iny. Il diagnostique « une entorse cervicale avec séquelle surtout de tension musculaire et secondairement à une névralgie d’Arnold bilatéralement. » Voici ses recommandations :
On recommande fortement à la patiente de s’auto masser les régions affectées de même que d’effectuer des étirements sur une base régulière et de se concentrer à des techiques de relaxation telles la méditation ou le yoga par exemple. On n’a pas d’autre alternative à lui offrir à part une infiltration du nerf d’Arnold mais ceci est souvent infructueux dans le contexte de tension qui semble aggravée par l’anxiété. Aucun suivi n’a été cédulé en physiatrie.
[19] Le 14 décembre 2006, la travailleuse consulte monsieur Patrice Pelletier, neuropsychologue.
[20] Le 5 février 2007, le conseiller en réadaptation fait la liste des soins que reçoit la travailleuse, soit :
- Chiropraxie, une fois par semaine;
- Acupuncture, une fois par semaine;
- Ostéopathie, une fois aux deux semaines;
- Massothérapie, une fois par semaine (payée par l’assurance de la travailleuse);
- Psychothérapie, une fois par semaine (payée en partie par l’assurance de la travailleuse);
- Neurospsychologie : tests d’évaluation en cours.
[21] Le 23 mars 2007, une nouvelle conseillère en réadaptation intervient au dossier et lors d’une conversation téléphonique avec la travailleuse lui mentionne « qu’un des objectifs visés en réparation est d’éviter le maintien indéfini des thérapies, ce qui est perçu comme un terrain propice à la chronicité. »
[22] Le 17 mai 2007, la conseillère en réadaptation écrit dans sa note d’intervention ce qui suit :
T. dit qu’elle veut continuer ostéo, qu’elle a mis sa confiance dans cette approche et ne voudrait pas que nous arrêtions ce traitement; je rassure que pour le moment je tente seulement d’avoir un rapport d’évolution qu’il n’est pas question d’arrêter le traitement - T semble rassurée.
[23] Le 6 juin 2007, la conseillère en réadaptation écrit dans ses notes cliniques qu’étant donné que les traitements d’ostéopathie ne font pas partie du plan de traitement d’un centre de physiothérapie, ils ne seront plus payables.
[24] Le 7 juin 2007, la CSST refuse d’autoriser les traitements d’ostéopathie. Cette décision sera maintenue à la suite d’une révision administrative le 2 octobre 2007, d’où la présente contestation.
[25] Le 26 juin 2007, le docteur Iny fait parvenir à la CSST un plan de traitement. Il recommande, entre autres, un traitement aux deux semaines auprès de monsieur Pierre Larouche, ostéopathe.
[26] Le 9 juillet 2007, la travailleuse rencontre le docteur Louis Côté, psychiatre, à la demande de la CSST. Il pose le diagnostic multiaxial suivant :
Axe I : Dépression majeure d’intensité modérée secondaire à l’évènement du 6 mars 2006, notamment secondairement à la symptomatologie musculosquelettique douloureuse.
Trouble douloureux somatoforme.
Axe II : Absence d’indice de trouble de la personnalité.
Axe III : Syndrome musculosquelettique douloureux.
Axe IV : Stresseur : les conséquences de l’évènement du 6 mars 2006, principalement le syndrome musculosquelettique douloureux.
Axe V : Fonctionnement global à l’échelle EGF au cours des 2 derniers mois : 50.
[27] Il estime que la lésion professionnelle n’est pas consolidée et recommande, entre autres, pour compléter l’approche psychothérapique, des traitements en ostéopathie qui semblent contribuer à réduire le niveau d’anxiété.
[28] Le 27 septembre 2007, le docteur Besemann revoit la travailleuse et suggère de persister avec l’ostéopathie qui semble porter fruit quoique lentement.
[29] Le 18 octobre 2007, la travailleuse rencontre le docteur François Racine, physiatre, à la demande de la CSST. Il estime que la lésion professionnelle n’est pas consolidée et que la travailleuse doit pouvoir poursuivre les traitements en ostéopathie qu’elle semble trouver particulièrement plus utiles que les autres approches thérapeutiques. Il recommande aussi des blocs au niveau des nerfs d’Arnold.
[30] Le 1er novembre 2007, le docteur Iny écrit dans l’information médicale complémentaire que la travailleuse a fait des progrès avec les traitements en ostéopathie, avec le yoga, la massothérapie et la psychothérapie et, le 5 novembre 2007, il suggère dans son plan de traitements, de l’ostéopathie avec monsieur Larouche aux deux semaines.
[31] Le 13 mars 2008, la travailleuse revoit le docteur Besemann et lui mentionne que, depuis la dernière visite, elle constate une amélioration globale de 60 % avec l’ostéopathie.
[32] Il écrit que l’ostéopathie semble porter fruit et suggère de continuer ce traitement tant que la situation s’améliore. Par contre, il estime que ce traitement devra cesser dès qu’un plateau sera atteint.
[33] Le 1er mai 2008, monsieur Larouche fait parvenir à la CSST un rapport de traitements d’ostéopathie du 1er octobre 2007 au 30 avril 2008. Il écrit que le progrès des derniers mois est très encourageant et recommande un traitement aux deux semaines pour les prochains six à huit mois.
[34] La travailleuse témoigne à l’audience. Elle explique au tribunal qu’elle commence à voir monsieur Larouche au printemps 2006, mais qu’auparavant elle avait rencontré un autre ostéopathe qui ne l’avait pas aidée.
[35] Elle mentionne avoir reçu des traitements de plusieurs natures, mais qu’à l’hiver 2007, après avoir pris connaissance d’une information voulant que les personnes souffrant de la névralgie d’Arnold avaient tendance à recevoir trop de traitements afin de soulager leur douleur, elle fait le choix de recevoir des traitements d’ostéopathie et de massothérapie seulement étant donné que les traitements d’ostéopathie sont payés par la CSST.
[36] Elle explique que lorsqu’elle reçoit des traitements d’ostéopathie, elle ressent une amélioration le surlendemain, mais qu’elle a surtout vu une amélioration à long terme et que depuis juillet 2007, sa condition s’est grandement améliorée.
[37] Avant elle ne pouvait être assise ou couchée longtemps, alors que maintenant elle le peut. Depuis le mois de février 2008, elle est capable de travailler deux heures par jour à domicile et croit pouvoir travailler sept heures et demie par jour éventuellement avec l’aide des traitements d’ostéopathie.
[38] Elle témoigne qu’elle a confiance dans les méthodes utilisées par monsieur Larouche et ajoute que le docteur Besemann lui a dit qu’il serait ridicule de changer d’ostéopathe maintenant.
L’AVIS DES MEMBRES
[39] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que la travailleuse a droit au remboursement des frais d’ostéopathie puisque, selon eux, la preuve testimoniale et documentaire démontre que l’ostéopathie est une mesure utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences de la lésion professionnelle et que les soins prodigués par monsieur Larouche, ostéopathe, s’inscrivent dans ce cadre.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[40] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a droit au remboursement des frais d’ostéopathie.
[41] L’article 188 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit que la travailleuse a droit à l’assistance médicale que requiert son état. Cet article se lit ainsi :
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
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1985, c. 6, a. 188.
[42] L’article 189 de la loi précise en quoi consiste l’assistance médicale de la façon suivante :
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
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1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.
Le tribunal souligne.
[43] Le Règlement sur l’assistance médicale[2] (le règlement) spécifie les soins, les traitements, les aides techniques dont la CSST défraie les coûts. Cet article énonce que :
2. Les soins, les traitements, les aides techniques et les frais prévus au présent règlement font partie de l’assistance médicale à laquelle peut avoir droit un travailleur, lorsque le requiert son état en raison d’une lésion professionnelle.
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D. 288-93, a. 2
[44] L’article 4 de ce règlement prévoit que :
13. La Commission assume le coût des traitements de physiothérapie et d'ergothérapie fournis par un membre inscrit au tableau de l'Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec ou par un ergothérapeute inscrit au tableau de l'Ordre professionnel des ergothérapeutes du Québec.
Le coût des traitements de physiothérapie et d'ergothérapie fournis avant le 22 novembre 2007 est payé par la Commission selon les règles applicables au moment où ils ont été fournis. (D. 888-2007, a. 12)
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D. 288-93, a. 13; L.Q., 1994, c. 40, a. 457; D. 888-2007, a. 6.
[45] La lecture du règlement fait voir que les traitements d’ostéopathie n’y sont pas prévus et ne font donc pas partie de l’assistance médicale.
[46] La Commission des lésions professionnelles a, à plusieurs reprises, refusé le remboursement des frais d’ostéopathie au motif que l’ostéopathie ne fait pas partie de l’assistance médicale[3].
[47] Par contre, si les soins d’ostéopathie sont prodigués par un médecin dûment inscrit au Tableau du Collège des médecins du Québec[4] ou par un physiothérapeute[5], la Commission des lésions professionnelles a accepté, en certaines occasions, le remboursement des frais d’ostéopathie puisque ces traitements ont été offerts par un professionnel de la santé conformément au paragraphe 1 de l’article 189 de la loi.
[48] En l’espèce, les frais d’ostéopathie sont prodigués par un ostéopathe qui n’est ni médecin, ni physiothérapeute, force est donc de conclure que les soins reçus par la travailleuse ne s’inscrivent pas dans le cadre de l’assistance médicale prévue aux articles 188 et suivants de la loi.
[49] Or, l’article 184 du Chapitre IV de la loi traitant de la réadaptation prévoit que :
184. La Commission peut :
1° développer et soutenir les activités des personnes et des organismes qui s'occupent de réadaptation et coopérer avec eux;
2° évaluer l'efficacité des politiques, des programmes et des services de réadaptation disponibles;
3° effectuer ou faire effectuer des études et des recherches sur la réadaptation;
4° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour favoriser la réinsertion professionnelle du conjoint d'un travailleur décédé en raison d'une lésion professionnelle;
5° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle.
Aux fins des paragraphes 1°, 2° et 3°, la Commission forme un comité multidisciplinaire.
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1985, c. 6, a. 184.
Le tribunal souligne.
[50] En vertu de cet article, la CSST doit prendre toute mesure qu’elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d’une lésion professionnelle[6].
[51] La soussignée partage l’opinion émise par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Ladora et Hôpital Rivière-des-Prairies[7] selon laquelle :
[77] En réponse à la demande de remboursement de la travailleuse, la CSST n’a pas envisagé l’application des dispositions de l’article 184 de la Loi, particulièrement celles de son paragraphe 5º :
184. La Commission peut:
1° (…)
(…)
5° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle ;
(…)
__________
1985, c. 6, a. 184.
[78] Certes, il s’agit là d’un pouvoir discrétionnaire, mais il est tout de même « sujet à révision en vertu de l’article 358 et éventuellement en vertu de l’article 359 » de la Loi16.
[79] De plus, l’exercice de ce pouvoir n’est pas discrétionnaire : « la CSST n’a pas l’obligation d’accorder ce que l’administré lui demande, puisqu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, mais elle a l’obligation de se demander si elle le fera »17.
[80] Au vu du dossier constitué, force est de constater que la CSST ne s’est pas demandé si elle accorderait ou non à la travailleuse le remboursement des frais dits d’ostéopathie sur la base de l’article 184 (5) de la Loi. Or, elle avait le devoir de rendre une décision en vertu de cet article18.
[81] Dûment saisie du mérite du litige, la Commission des lésions professionnelles peut donc rendre maintenant à cet égard la décision qui, à son avis, aurait dû être rendue en premier lieu, le tout conformément au deuxième alinéa de l’article 377 de la Loi :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
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1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
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16 Ministère de l'Éducation et Goulet, 30349-03-9107, 17 janvier 1994, M. Beaudoin, (J6-08-08) (décision sur requête en révision) ; Morin et Lavage camion citerne Universel inc., 130941-61-0002, 30 janvier 2001, S. Di Pasquale, (00LP-128) ; Reeves et Purdel coop agro-alimentaire, 112907-01B-9903, 29 mars 2001, P. Simard.
17 Gerald et CAE Électronique ltée, [2004] C.L.P. 1565
18 Bissonnette et Équipement Moore ltée, [2005] C.L.P. 497 (décision sur une requête en révision)
[52] À bon droit, dans la présente affaire, la CSST a considéré, dans un premier temps, que l’approche thérapeutique, dont les traitements d’ostéopathie, constitue « une mesure de réadaptation visant un prompt retour à un état fonctionnel favorable au retour en emploi. »
[53] Par la suite, la CSST a refusé le remboursement des frais des traitements d’ostéopathie au motif qu’ils ne font pas partie du plan de traitement d’un centre de physiothérapie.
[54] Or, l’article 184 de la loi ne pose pas cette exigence et la CSST se devait d’analyser la demande de la travailleuse sous l’angle de cet article, c’est-à-dire est-ce que les traitements d’ostéopathie constituent une mesure utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d’une lésion professionnelle.
[55] Dans l’affaire précitée Ladora et Hôpital Rivière-des-Prairies[8], la Commission des lésions professionnelles s’exprimait ainsi concernant les traitements d’ostéopathie :
[82] La preuve non contredite déjà rapportée établit que les traitements dits d’ostéopathie prodigués à la travailleuse lui procurent un soulagement appréciable et apprécié bien que temporaire. Ces moments de répit sont nul doute précieux pour une personne continuellement souffrante depuis des décennies comme conséquence directe de la lésion professionnelle dont elle a été victime.
[83] À l’évidence, ces traitements contribuent à maintenir chez la travailleuse un minimum de capacité et de bien-être19, ce qui justifie de les considérer comme constituant une mesure utile pour atténuer les conséquences de ses lésions professionnelles, selon les termes de l’article 184 (5) précité.
[84] Ainsi que l’a rappelé la commissaire Pauline Perron, dans l’affaire Guylaine Laurin et Mont Sutton inc.20, « la préoccupation d’une saine gestion des fonds publics est certes louable », mais elle ne doit pas empêcher le tribunal d’« aider la travailleuse à surmonter les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle ».
[85] Il s’agit aussi d’une thérapie de support21 visant à préserver les derniers acquis physiques et sociaux de la travailleuse, sans lesquels la travailleuse se verra confinée à l’isolement22, en dehors des rares activités de sa communauté qu’elle partage encore.
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19 Voir : Marinello et Ministère des Transports du Québec, 143688-63-0007, 9 mai 2001, J.-M. Charrette ; Goyetche et Emballage Support Allan inc., 232116-64-0404, 3 mars 2005, R. Daniel, (04LP-318).
20 283109-71-0602, 23 novembre 2006, (retenu pour publication au C.L.P.)
21 Voir : Dicaire et Métallurgie Noranda inc. (Division CCR), 152843-63-0012, 13 juillet 2001, M. Gauthier
22 Voir : Rousseau et Les services de déneigement Mole inc., 112514-04B-9903, 1er mai 2000, G. Marquis
[56] Dans la présente affaire, la Commission des lésions professionnelles estime que la travailleuse a droit au remboursement des frais d’ostéopathie.
[57] D’entrée de jeu, le tribunal souligne que la loi demande une interprétation large et libérale et que l’objet de la loi vise la réparation des conséquences qu’entraînent les lésions professionnelles, tel qu’édicté à l’article 1 de la loi qui se lit comme suit :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
[58] En l’espèce, la CSST a d’abord autorisé les traitements d’ostéopathie auprès de monsieur Larouche du printemps 2006 à juin 2007. La travailleuse développe alors un lien de confiance avec son thérapeute et abandonne les autres soins qu’elle reçoit afin de se concentrer sur ses traitements d’ostéopathie et de massothérapie.
[59] Il appert de la preuve documentaire et du témoignage de la travailleuse que ces soins ont permis d’atténuer la symptomatologie de la travailleuse qui, au mois de septembre 2006, est une céphalée quotidienne, intermittente, qui s’aggrave en fréquence et en intensité depuis le début de l’arrêt du travail; une sensation de visage gelé; de la douleur cervicale qui est moindre; des difficultés de mémoire; des étourdissements fréquents; une perte de toute sensation à différents endroits du crâne; de la fatigue; de l’insomnie et de la nausée dans un véhicule en mouvement, particulièrement en autobus.
[60] En effet, la travailleuse est maintenant capable de travailler deux heures par jour alors qu’elle a bon espoir de pouvoir reprendre le travail à temps plein éventuellement.
[61] Par ailleurs, le docteur Iny, médecin ayant pris charge de la travailleuse, recommande les traitements d’ostéopathie tout comme le docteur Racine, physiatre désigné par la CSST et le docteur Louis Côté, psychiatre aussi désigné par la CSST.
[62] Au surplus, le docteur Besemann, physiatre, estime que l’ostéopathie semble porter fruit et suggère de continuer ce traitement tant que la situation s’améliore tout en spécifiant que ce traitement devra cesser dès qu’un plateau sera atteint.
[63] Dans son rapport du 1er mai 2008, monsieur Larouche, ostéopathe, écrit que le progrès des derniers mois est très encourageant et recommande un traitement aux deux semaines pour les prochains six à huit mois.
[64] Donc, le tribunal estime que les traitements d’ostéopathie sont une mesure utile pour atténuer les conséquences d’une lésion professionnelle puisque ces traitements ont permis de diminuer les symptômes ressentis par la travailleuse, que la travailleuse est maintenant capable de travailler deux heures par jour; que ces traitements sont recommandés par les docteurs Iny, Racine, Côté et Besemann, ce dernier estimant que ces traitements doivent cesser lorsqu’un plateau sera atteint.
[65] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles, rendant la décision qui aurait dû être rendue, considère que la travailleuse a droit au remboursement des traitements d’ostéopathie à partir du 11 juin 2007, et ce, jusqu'à l'atteinte d'un plateau thérapeutique.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Denise Franche, la travailleuse;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 2 octobre 2007 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement des frais d’ostéopathie à partir du 11 juin 2007, et ce, jusqu'à l'atteinte d'un plateau thérapeutique.
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Me Suzanne Séguin |
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Commissaire |
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Me Michèle Gagnon-Grégoire |
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Panneton Lessard |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] (1993) 125 G.O. II, 1331
[3] Voir notamment : Bélanger et C.R.H. Santé Portneuf, C.L.P. 114272-32-9904, 24 août 1999, G. Tardif, révision rejetée, 27 juin 2000, N. Tremblay; Gingras et Centre de Santé de Portneuf, C.L.P. 119786-32-9907, 10 janvier 2001, M.-A. Jobidon; Théoret et Viasystems Canada inc., C.L.P. 154233-64-0101, 9 août 2001, G. Perreault; Brochu et Hôpital St-Luc Centre hospitalier de l'Université de Montréal, C.L.P. 123153-72-9909, 16 août 2002, M.-H. Côté.
[4] Bélanger et Quincaillerie Frigon, [2005] C.L.P. 711
[5] Voir notamment : Lavallée et Commission scolaire Marguerite Bourgeois, C.L.P. 286566-71-0604, 8 décembre 2006, Anne Vaillancourt
[6] Ladora et Hôpital Rivière-des-Prairies, C.L.P. 262039-64-0505, 13 mars 2007, J.-F. Martel; Masse et Centre hospitalier régional de Lanaudière, Service de santé 5C, C.L.P. 315726-63-0704, 23 avril 2008, J.-P. Arsenault.
[7] Précitée, note 6
[8] Précitée, note 6
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