Bédard et Pétroles Pétro-Canada |
2012 QCCLP 2377 |
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[1] Le 22 août 2011, monsieur Marquis Bédard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 15 août 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du 26 juillet 2011, car elle a été produite hors délai et que le travailleur n’a démontré aucun motif raisonnable permettant de le relever de son défaut.
[3] L’audience s’est tenue le 6 janvier 2012 à Gatineau en présence du travailleur qui n’est pas représenté. Monsieur Luc Bigras, directeur du bureau de Gatineau de Pétroles Pétro-Canada (l’employeur), agit à titre de porte-parole. Quant à la CSST, elle est représentée par procureure à l’audience.
[4] La cause est mise en délibéré le 3 février 2012, soit à l’expiration du délai accordé au travailleur et à l’employeur pour commenter la lettre de la procureure de la CSST du 11 janvier 2012 et les documents qui l’accompagnent.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que sa demande de révision a été faite dans le délai prévu par la loi et, subsidiairement, qu’il a fait valoir que sa demande de révision n’a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
[6] Le travailleur demande aussi à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’emploi de chauffeur d’autobus n’est pas un emploi convenable qu’il est capable d’exercer à compter du 31 mai 2011.
LES FAITS
[7] Le travailleur subit un accident du travail le 20 novembre 2009. Ce jour-là, il glisse d’un bulldozer alors qu’il s’active à remplir le réservoir. Il subit un traumatisme à la cheville droite; les diagnostics de fracture de l’astragale droite, d’entorse de la cheville droite avec arrachement osseux à l’astragale et de tendinite post-traumatique du tibial postérieur droit sont retenus.
[8] Cette lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, dont le déficit anatomo-physiologique est de 2 %, et les limitations fonctionnelles suivantes :
- Il doit porter régulièrement des orthèses plantaires;
- Il doit éviter les positions debout ou la marche de plus d’une heure;
- Il doit éviter régulièrement et de façon répétitive la marche sur les terrains glissants et accidentés, les échelles, escabeaux et escaliers.
[9] Avant même la date de consolidation de la lésion professionnelle, des rencontres ont lieu entre le travailleur, madame Anie Larose, agente d’indemnisation, et madame Isabelle Desgagné, conseillère en réadaptation, afin de discuter du processus de réadaptation.
[10] Le travailleur explique aux intervenantes être camionneur depuis 16 ans et avoir terminé son secondaire III. Il a réussi quelques cours du secondaire IV.
[11] Par la suite, il y a des discussions quant à l’avenir professionnel du travailleur et le 22 novembre 2010, la deuxième rencontre préconsolidation a lieu en compagnie de madame Anie Larose, alors devenue conseillère en réadaptation. Le travailleur mentionne ne pas être bilingue et manifeste son intérêt à obtenir son diplôme d’études secondaires.
[12] Madame Larose écrit dans sa note d’intervention ce qui suit :
Nous avisons le T que pour payer pour avoir son diplôme DES ou TENS, il doit avoir un but précis comme un pré-requis pour un emploi précis. T dit comprendre mais n’a aucune idée à ârt les deux suggestions qu’il nous a dit.
[sic]
[13] Madame Larose témoigne à l’audience. Elle confirme que la CSST ne débourse pas ces coûts de formation à moins que cela soit pour un emploi convenable déterminé.
[14] Le 27 janvier 2011, madame Larose informe monsieur Luc Bigras chez l’employeur que le travailleur ne peut exercer son emploi prélésionnel et qu’étant donné qu’aucun emploi convenable, qui respecte ses limitations fonctionnelles, n’est disponible chez l’employeur, des démarches seront entreprises afin de déterminer un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail.
[15] Le 1er février 2011, le travailleur rencontre madame Larose afin d’amorcer l’exploration professionnelle. Il réitère son désir d’obtenir un diplôme d’études secondaires.
[16] Le 15 février 2011, une autre rencontre a lieu afin de discuter de différents emplois qui susciteraient l’intérêt du travailleur. Parmi ceux-ci, il y a l’emploi de conducteur d’autobus et madame Larose écrit ce qui suit dans sa note d’intervention à ce sujet :
7— Conducteur d’autobus :
Nous mentionnons au T que c’est drôle car nous avons eu la même idée. Nous remettons au T une feuille que nous avions imprimé de la STO disant qu’il faisait du recrutement continu pour des chauffeur. T se dit intéressé par ce genre d’emploi. T nous dit qu’il demande un secondaire 5 ou équivalence. Nous disons au T que nous pourrions l’aider pour acquérir son équivalence et lui permettre de pouvoir appliquer sur cet emploi. Nous regardons l’autre critère (4 points d’inaptitudes). T dit avoir tous ses points. T dit que cet E offre des avantages sociaux intéressants. T dit qu’il va y penser.
[sic]
[17] À l’audience, le travailleur réitère son intérêt pour occuper un emploi de conducteur d’autobus à la Société de transport de l’Outaouais (STO). Il précise qu’il n’a pas d’intérêt à travailler pour des compagnies qui exigent des déplacements sur de longues distances. Il ajoute ne pas pouvoir travailler pour les autobus Greyhound ou Voyageur, car il n’est pas bilingue et qu’en ce qui concerne les autobus scolaires, il ne s’agit que d’un emploi à temps partiel.
[18] Le 1er mars 2011, le travailleur informe madame Larose qu’il désire être conducteur d’autobus à la STO et demande de l’aide afin d’obtenir les équivalences pour un diplôme d’études secondaires étant donné qu’il avait déjà postulé pour cet emploi, mais qu’il avait été refusé, car il n’avait pas ce diplôme.
[19] La même journée, madame Larose discute avec sa chef d’équipe et écrit dans sa note d’intervention que l’emploi convenable de chauffeur d’autobus est déterminé et qu’une mesure de réadaptation est nécessaire, soit « une formation de préparation au TENS dans le but d’obtenir son équivalence de secondaire 5. »
[20] Madame Larose ajoute dans sa note ce qui suit :
**Si le T ne réussit pas la formation de préparation au TENS d’ici la fin juin 2011, nous allons déterminer qu’il est apte à être chauffeur d’autobus général. De plus, il a tous les pré-requis présentement pour effectuer ce travail.**
[21] Le 10 mars 2011, madame Larose rappelle le travailleur, elle écrit à ce sujet ce qui suit :
Nous avisons le travailleur que son dossier est rendu de la cheffe d’équipe que tout est autorisé par contre, nous avisons le travailleur que nous lui donnons un délai de 4 mois pour réussir le TENS et s’il ne réussit pas, nous avisons le T que nous déterminerions qu’il est apte à être chauffeur d’autobus mais pas à la STO soit autobus voyageur, Greyhound, etc puisqu’il est apte à occuper cet emploi dès maintenant car il a son la classe 1 sur son permis de conduire. T dit comprendre et est en accord.
[sic]
[22] À l’audience, madame Larose confirme avoir informé le travailleur, à deux reprises, que s’il ne réussissait pas ses tests d’équivalence, il serait tout de même apte à occuper un emploi de conducteur d’autobus.
[23] Interrogé par la procureure de la CSST, le travailleur dit se souvenir de cette conversation, mais ajoute qu’il n’avait pas le choix que d’accepter cette option.
[24] Madame Larose remplit le formulaire de Détermination de l’emploi convenable. Concernant les qualifications professionnelles du travailleur, elle écrit que :
- Considérant que le Travailleur participera à une formation de préparation aux examens du TENS dans le but d’obtenir son équivalence de secondaire 5;
- Considérant que le Travailleur obtiendra, à la fin de la formation son équivalence de secondaire 5;
- Considérant que le travailleur possède les autres pré-requis pour faire application sur le poste de chauffeur d’autobus à la STO;
- Considérant que le travailleur possède déjà sa classe 1 (permis de conduire) est un atout;
- Considérant que le travailleur possède 16 ans d’expérience dans la conduire de camion lourd.
Donc, le travailleur possède les qualités personnelles exigées et possédera le niveau de scolarité nécessaire pour exercer ses tâches de conducteur d’autobus.
[sic]
[25] Le 11 mars 2011, la CSST rend la décision concernant l’emploi convenable et les mesures de réadaptation. Cette lettre précise que :
Comme vous ne pouvez occuper votre emploi habituel, nous avons évalué avec vous si un autre emploi ailleurs sur le marché du travail pouvait convenir. Ainsi, nous avons retenu comme emploi convenable celui de conducteur d’autobus.
Pour que vous soyez capable d’exercer cet emploi, nous avons convenu de mettre en place la mesure de réadaptation suivante : Préparation aux examens du TENS (équivalence de secondaire 5).
[Soulignements ajoutés]
[26] Cette décision n’a pas été contestée; elle est donc devenue finale.
[27] Le 8 avril 2011, le travailleur s’inquiète au sujet d’une possibilité de deux échecs aux tests d’équivalence. Madame Larose l’informe qu’à ce moment, la CSST déterminera qu’il est apte à être conducteur d’autobus en général, mais pas à la STO.
[28] Le travailleur échoue à un examen de français ainsi qu’à l’examen de reprise. Il explique au tribunal que cet apprentissage aurait nécessité plus de temps.
[29] Le 30 mai 2011, une dernière rencontre a lieu entre le travailleur et madame Larose qui en rapporte ainsi la teneur dans sa note d’intervention :
Décision de capacité
Nous avisons le T que la mesure mit en place suite à la décision de l’emploi convenable de conducteur d’autobus avec mesure ne tient plus et que nous devons mettre un terme à cela puisqu’il a échoué son examen de reprise en français. Il ne peut refaire les examens avant un an. Nous mentionnons au T que cette mesure était en place afin qu’il soit employable au niveau de la STO puisque l’équivalence de secondaire 5 était le pré-requis à l’embauche. Nous disons au T qu’il est apte à être conducteur d’autobus sauf pas à la STO. Le T se dit déçu. Nous disons au T que nous comprenons sa déception mais qu’il peut toujours être conducteur d’autobus.
[sic]
[30] Madame Larose informe le travailleur de la possibilité de recourir à un service externe de soutien en recherche d’emploi.
[31] Le travailleur explique au tribunal qu’après cette rencontre, il est déçu et démoralisé. Il ne se sent pas confortable. Il ne demande pas d’aide à la recherche d’emploi, car il ne se sent pas à l’aise étant donné qu’il désire contester la décision à venir.
[32] Il témoigne qu’il pensait qu’il y aurait peut-être d’autres choix qui se seraient offerts à lui. Il aurait voulu que d’autres portes s’ouvrent, mais il n’en parle pas avec madame Larose, il croyait qu’on lui proposerait d’autres choses.
[33] Interrogée par le tribunal, madame Larose explique que la mesure de formation offerte au travailleur a été choisie parce qu’elle était de courte durée. Après l’échec aux tests d’équivalence, aucune autre mesure de réadaptation n’est proposée au travailleur puisque, selon elle, la mesure offerte avait pour seul but de rendre le travailleur plus employable, mais ce dernier était déjà capable d’exercer l’emploi convenable de conducteur d’autobus.
[34] Le 1er juin 2011, la CSST rend la décision selon laquelle elle retient l’emploi convenable de conducteur d’autobus que le travailleur est capable d’exercer à compter du 31 mai 2011.
[35] Le 21 juillet 2011, le travailleur signe un document désignant le Groupe Conseil en Défense d’Accidenté(e) à titre de représentant.
[36] Le 26 juillet 2011, monsieur Jocelyn Rolland, représentant du travailleur, demande la révision de cette décision. Il écrit dans sa demande que le travailleur « n’a reçu son avis de décision que vers le 29 ou 30 juin 2011. Probablement le conflit postal. »
[37] Lors de son témoignage, le travailleur réitère qu’il n’a reçu la décision de la CSST que vers le 28 ou 30 juin 2011. Il attribue ce retard au conflit postal.
[38] Il affirme avoir rencontré monsieur Rolland une première fois avant le 30 juin 2011 et une deuxième fois le 30 juin 2011. C’est à ce moment que ce dernier l’aurait informé qu’il était hors délai pour demander la révision de la décision du 1er juin 2011. C’est aussi lors de cette rencontre qu’il aurait signé un document mandatant monsieur Rolland afin de contester cette décision.
[39] Invité par le tribunal à faire les démarches auprès de monsieur Rolland pour obtenir ce document, il fait parvenir le document du 21 juillet 2011 déjà au dossier de la Commission des lésions professionnelles.
[40] Le 15 août 2011, la CSST conclut que cette demande de révision est irrecevable parce que produite hors délai et que le travailleur n’a fait valoir aucun motif raisonnable permettant de le relever de son défaut, d’où la présente contestation.
[41] Concernant le délai postal, la CSST fait témoigner monsieur Luc Bigras, directeur du bureau de Gatineau de Pétroles Pétro-Canada. Il affirme avoir reçu la décision du 1er juin 2011 et que pendant la grève des postes, il y a peut-être eu un retard de livraison de deux ou trois jours tout au plus.
[42] Il ajoute que, de mémoire, il aurait reçu cette décision dans un délai raisonnable, mais que la date de réception n’est pas estampillée sur le courrier; il ne peut donc dire à quelle date exactement il a reçu cette lettre.
L’AVIS DES MEMBRES
[43] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la demande de révision du travailleur est recevable, car logée dans le délai de 30 jours de la notification de la décision, mais il rejetterait sa requête puisque, selon lui, le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable de conducteur d’autobus.
[44] Quant au membre issu des associations syndicales, il est aussi d’avis que la demande de révision du travailleur est recevable, car logée dans le délai de 30 jours de la notification de la décision, mais il accueillerait sa requête puisque, selon lui, la CSST ne pouvait remettre en question la nécessité de détenir un diplôme d’études secondaires pour exercer l’emploi convenable de conducteur d’autobus; le travailleur n’est donc pas capable d’exercer cet emploi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[45] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’emploi de chauffeur d’autobus est un emploi convenable que le travailleur est capable d’exercer à compter du 31 mai 2011.
[46] Mais avant de ce faire, le tribunal doit déterminer si le travailleur a produit sa demande de révision dans le délai prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) ou sinon, s’il peut être relevé de son défaut.
[47] Les articles pertinents de la loi sont les suivants :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1.
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
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1997, c. 27, a. 15.
[48] Au sens de l’article 358 de la loi, le délai de 30 jours ne commence à courir qu’au moment de la notification de la décision.
[49] Commentant le terme « notification » de l’article 359 de la loi dans l’affaire A.F.G. Industries ltée et Bhérer[2], la Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi :
[51] La loi ne définit pas le terme « notification ». Ceci étant, il y a lieu de s’en remettre au sens commun de ce terme9. Les dictionnaires d’usage courant en donnent la définition suivante :
NOTIFICATION n.f. Action de notifier ; avis
NOTIFIER v.t. [5]. Faire connaître à qqn dans les formes légales ou en usage ; faire part de, avertir de. Notifier à l’accusé l’arrêt de la cour.
(Le Petit Larousse 2003, page 701)
NOTIFICATION n.f. - 1468; «connaissance» 1314; du rad. lat. de notifier ¿ DR. Action de notifier; acte par lequel on notifie. a annonce, avis, exploit, signification. Donner, recevoir notification d’un arrêt. - DR. ADMIN. Information communiquée en la forme administrative à une personne pour porter à sa connaissance une décision qui la concerne. - PROCÉD. CIV. Acte instrumentaire par lequel on porte à la connaissance d’une personne une décision la concernant. Notification a été faite du jugement aux parties intéressées.
NOTIFIER v. tr <7> - 1314 «faire connaître»; lat. notificare connaître* (encadré) 1¿ cour. Faire connaître expressément. a annoncer, communiquer, informer, signifier. On lui notifia son renvoi. «Des messages de trois mots notifiant des rendez-vous» (Bloy). 2¿ (1463) DR. Porter à la connaissance d’une personne intéressée et dans les formes légales (un acte juridique). a intimer, signifier; notification.
(Le Nouveau Petit Robert 2002, page 1745)
[52] Suivant les définitions précitées, la notification est la communication de la décision. Il faut donc non seulement que la décision soit transmise, mais aussi que la partie en prenne connaissance10. Évidemment, habituellement, les deux actes sont rapprochés.
__________
9 Ayotte et Bureau de révision paritaire et Barette Chapais ltée, C. S. 200-05-003075-939, 24 novembre 1993, j. Pierre Côté
10 id., page 3
[50] Quoique la jurisprudence reconnaît qu’en l’absence de preuve contraire, les délais postaux sont de trois jours ouvrables[3] ou de cinq jours civils[4], et que l’employeur aurait reçu la décision du 1er juin 2011 quelques jours plus tard, la Commission des lésions professionnelles estime que, dans la présente affaire, le travailleur a démontré, par une preuve prépondérante, qu’il est notifié de la décision du 1er juin 2011 qu’entre le 28 et le 30 juin 2011.
[51] Il est vrai que lors du témoignage du travailleur, il y a eu une certaine ambiguïté quant à la date de sa rencontre avec monsieur Rolland, son représentant, mais le travailleur est toujours demeuré ferme dans son affirmation voulant qu’il n’ait reçu la décision de la CSST qu’entre le 28 et le 30 juin 2011 et la soussignée estime qu’il a rendu un témoignage crédible à cet égard. Cette version est aussi cohérente avec la preuve documentaire alors que son représentant écrit dans la demande de révision que le travailleur a reçu la décision que vers le 29 ou 30 juin 2011, probablement à cause du conflit postal.
[52] Par ailleurs, l’affirmation générale de monsieur Bigras, directeur du bureau de Gatineau, voulant qu’il ait reçu cette décision dans un délai raisonnable n’offre pas de preuve probante afin de démontrer que le travailleur aurait aussi reçu cette décision dans le même délai.
[53] Par conséquent, le tribunal estime que le travailleur a démontré, par une preuve prépondérante, que la notification de la décision du 1er juin 2011 a eu lieu entre le 28 et le 30 juin 2011; sa demande de révision du 26 juillet 2011 est donc faite dans le délai de 30 jours prévu à l’article 358 de la loi et est recevable.
[54] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si le travailleur est apte à occuper l’emploi convenable de chauffeur d’autobus à compter du 31 mai 2011.
[55] La détermination de l’emploi convenable s’inscrit dans le cadre de la réadaptation professionnelle dont il est question aux articles 166 et suivants de la loi. Les articles pertinents se lisent ainsi :
166. La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.
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1985, c. 6, a. 166.
167. Un programme de réadaptation professionnelle peut comprendre notamment :
1° un programme de recyclage;
2° des services d'évaluation des possibilités professionnelles;
3° un programme de formation professionnelle;
4° des services de support en recherche d'emploi;
5° le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l'embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;
6° l'adaptation d'un poste de travail;
7° le paiement de frais pour explorer un marché d'emplois ou pour déménager près d'un nouveau lieu de travail;
8° le paiement de subventions au travailleur.
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1985, c. 6, a. 167.
172. Le travailleur qui ne peut redevenir capable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle peut bénéficier d'un programme de formation professionnelle s'il lui est impossible d'accéder autrement à un emploi convenable.
Ce programme a pour but de permettre au travailleur d'acquérir les connaissances et l'habileté requises pour exercer un emploi convenable et il peut être réalisé, autant que possible au Québec, en établissement d'enseignement ou en industrie.
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1985, c. 6, a. 172; 1992, c. 68, a. 157.
[56] La détermination de l’emploi convenable fait partie du plan individualisé de réadaptation prévu à l’article 146 de la loi :
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en œuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
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1985, c. 6, a. 146.
[Soulignement ajouté]
[57] La notion d’emploi convenable est définie à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les
conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[58] Cette définition comporte les critères à considérer afin de qualifier un emploi d’emploi convenable. La Commission des lésions professionnelles décrit ainsi ces critères dans l’affaire Duguay et Constructions du Cap-Rouge inc.[5] :
[51] Il est ainsi généralement établi que pour être qualifié de « convenable » au sens de la loi, un emploi doit respecter les conditions suivantes
être approprié, soit respecter dans la mesure du possible les intérêts et les aptitudes du travailleur;
permettre au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle, soit plus particulièrement respecter ses limitations fonctionnelles, qu’elles soient d’origine professionnelle ou personnelle;
permettre au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles, dans la mesure du possible, soit tenir compte de sa scolarité et de son expérience de travail;
présenter une possibilité raisonnable d’embauche, ce qui ne signifie pas que l’emploi doit être disponible. Cette possibilité doit par ailleurs s’apprécier en regard du travailleur et non de façon abstraite.
[…]
ne pas comporter de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité du travailleur compte tenu de sa lésion, soit, notamment, ne pas comporter de risque réel d’aggravation de l’état du travailleur ni de risque d’accident en raison des limitations fonctionnelles.
[Soulignements dans le texte original]
[59] Dans les circonstances particulières de la présente affaire, la Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur n’a pas la capacité d’exercer l’emploi convenable de chauffeur d’autobus.
[60] En effet, le 11 mars 2011, la CSST rend une décision selon laquelle elle retient l’emploi convenable de conducteur d’autobus. Cette décision est finale, car elle n’a pas fait l’objet d’une demande de révision.
[61] L’emploi de conducteur d’autobus est donc un emploi convenable, mais la CSST statue dans la même décision que le travailleur n’est pas capable d’exercer cet emploi, puisqu’elle décide que, pour que le travailleur soit capable de l’exercer, une mesure de réadaptation [préparation aux examens du secondaire 5] est nécessaire.
[62] En vertu du principe de la stabilité des décisions[6], la Commission des lésions professionnelles estime que ni le travailleur ni la CSST ne peuvent remettre en question une décision qui n’a pas été contestée et qui est devenue finale; elle lie les parties et le présent tribunal.
[63] Or, le travailleur a échoué à ces examens; force est de conclure qu’il n’est pas capable d’exercer l’emploi de chauffeur d’autobus.
[64] Madame Larose, conseillère en réadaptation, écrit dans ses notes évolutives que le travailleur est informé que s’il ne réussit pas ses examens d’équivalence, la CSST statuera sur sa capacité à exercer l’emploi de conducteur d’autobus ailleurs qu’à la STO, mais ce n’est pas ce que la décision du 11 mars 2011 dit.
[65] À l’audience, elle affirme que la mesure de réadaptation n’avait que pour seul but de rendre le travailleur plus employable alors qu’un peu plus tôt dans son témoignage, elle déclare que la CSST ne débourse des coûts de formation que s’ils sont nécessaires pour un emploi convenable déterminé.
[66] La CSST prétend que l’obtention d’une équivalence d’études secondaires n’est nécessaire que pour exercer l’emploi de chauffeur d’autobus à la STO, mais cette précision n’apparaît pas dans la décision du 11 mars 2011 qui est devenue finale.
[67] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles estime que la détermination de l’emploi convenable de chauffeur d’autobus ainsi que la nécessité d’obtenir une équivalence d’études secondaires pour l’exercer ne peuvent être remise en question à ce stade-ci.
[68] N’eût été de cette conclusion, la soussignée estime, par ailleurs, que le plan individualisé de réadaptation peut être modifié selon le deuxième alinéa de l’article 146 de la loi pour tenir compte de circonstances nouvelles, mais cela doit se faire avec la collaboration du travailleur.
[69] Or, dans la présente affaire, la conseillère en réadaptation n’a rencontré le travailleur qu’à une reprise après son échec aux examens d’équivalence, c’est bien peu alors que le travailleur a mis tous ses espoirs dans l’obtention de son diplôme d’études secondaires pour pouvoir occuper l’emploi de conducteur d’autobus qu’il convoitait.
[70] Aucune autre mesure de réadaptation, à part l’aide à la recherche d’emploi, n’est offerte au travailleur, alors que travailleur explique au tribunal ne pas avoir d’intérêt pour des compagnies qui exigent des déplacements sur de longues distances, ne pas être suffisamment bilingue pour travailler pour les autobus Greyhound ou Voyageur et, qu’en ce qui concerne les emplois de conducteurs d’autobus scolaires, il ne s’agit que d’emploi à temps partiel.
[71] Le tribunal conclut que le plan individualisé de réadaptation ne respecte pas l’article 146 de la loi en ce que sa modification n’a pas été faite avec la collaboration du travailleur.
[72] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur n’est pas capable d’exercer l’emploi convenable de conducteur d’autobus et que la modification du plan de réadaptation ne respecte pas les exigences de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Marquis Bédard, le travailleur;
DÉCLARE recevable la demande de révision de la décision du 1er juin 2011 logée par le travailleur le 26 juillet 2011;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas la capacité d’exercer l’emploi convenable de conducteur d’autobus;
DÉCLARE que la modification du plan de réadaptation ne respecte pas les exigences de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
RETOURNE le dossier à la CSST afin qu’elle prépare et mette en œuvre, avec la collaboration du travailleur, un nouveau plan individualisé de réadaptation.
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Suzanne Séguin |
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Me Julie Perrier |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] [2002] C.L.P. 777 .
[3] CSST et Glazer & Glazer, [1998] C.L.P. 537 ; Rousseau et Société Asbestos ltée, C.L.P. 151066-03B-0011, 26 septembre 2001, C. Lavigne; Shink et Transforce, C.L.P. 216120-04-0309, 28 janvier 2005, J.-F. Clément; Trudel et Service de transport adapté de la Capitale inc., [2008] C.L.P. 388 ; David et Industries Savard inc. (F) et CSST, C.L.P. 350201-31-0806, 15 septembre 2008, G. Tardif; Cube Restaurant et Gonzalez, C.L.P. 3154790-62C-0704, 25 septembre 2008, L. Nadeau; Lyo-San inc. et Marion, 336880-64-0801, 5 novembre 2008.
[4] St-Laurent et Home Dépôt, [2008] C.L.P. 1416 .
[5] [2001] C.L.P. 24 , page 34
[6] Laval et Marché Royal Reid, C.L.P. 129212-64-9912, 24 octobre 2000, D. Martin.
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