Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

Le 29 septembre 2005

 

Région :

Québec

 

Dossier :

249160-31-0411

 

Dossier CSST :

126235217

 

Commissaire :

René Ouellet

 

Membres :

Claude Jacques, associations d’employeurs

 

Pierre Banville, associations de travailleurs

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Jean-François Bélanger

 

Partie requérante

 

 

 

Et

 

 

 

Quincaillerie Frigon

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 15 novembre 2004, monsieur Jean-François Bélanger (le travailleur), se prévalant des dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1](la loi), dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 4 novembre 2004 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST retient que le travailleur n’a pas droit au remboursement de ses frais d’ostéopathie au montant de 180 $.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[3]                Le travailleur demande au tribunal de déclarer qu’il avait droit à l’assistance médicale, laquelle doit inclure le remboursement de ses frais d’ostéopathie.

[4]                La présente affaire a été entendue à Québec, le 12 janvier 2005. Le travailleur était absent, mais était dûment représenté par monsieur André Bélanger. Quincaillerie Frigon (l’employeur) était absent et non représenté. La CSST n’est pas intervenue au dossier.

[5]                La preuve soumise à l'appréciation du tribunal consiste en l'ensemble des documents contenus au dossier préparé par la CSST tel que complété par les parties.

 

L'AVIS DES MEMBRES

[6]                Le membre patronal est d’opinion que les frais d’ostéopathie ne sont pas inclus dans l’assistance médicale déterminée par l’article 189 de la loi et le Règlement sur l’assistance médicale[2] (le Règlement). Il soumet que ce n’est pas parce que lesdits traitements ont été prodigués par un médecin que ceux-ci deviendraient remboursables. Il rejetterait la contestation du travailleur.

[7]                Le membre syndical est d’opinion que même si les traitements d’ostéopathie ne sont pas mentionnés dans le Règlement, il n’en reste pas moins qu’ils peuvent être couverts par les termes généraux du premier paragraphe de l’article 189 de la loi. Au surplus, la preuve a démontré que lesdits traitements avaient été prescrits et prodigués par un médecin. Aussi, suivant le témoignage de monsieur André Bélanger, lesdits traitements auraient été bénéfiques pour le travailleur. Il accueillerait la contestation du travailleur.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]                La question à décider dans la présente affaire est la suivante : le travailleur a-t-il droit au remboursement de frais d’ostéopathie au montant de 180 $ à la suite de sa lésion professionnelle reconnue du 11 février 2004?

[9]                Après avoir analysé tous les éléments de la preuve documentaire et testimoniale, avoir soupesé les arguments invoqués, avoir reçu l’avis des membres, avoir tenu compte du droit applicable et sur le tout avoir délibéré, le tribunal expose ci-après les faits, considérations et conclusions retenus.

[10]           La CSST reconnaît[3] que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle, le 11 février 2004, soit une entorse lombaire.

[11]           Le 12 février 2004, le travailleur consulte la Dre Christiane Beaulac, qui diagnostique une « entorse lombaire gauche » et prescrit un arrêt de travail de trois jours ainsi que des traitements en ostéopathie. Ni la nature ni la nécessité de ces traitements prescrits par le médecin qui a charge du travailleur n'ont été contestées par l'employeur (article 212) ou par la CSST (article 204), suivant la procédure d'évaluation médicale prévue à la loi.

[12]           Les traitements d'ostéopathie prescrits ont été fournis en trois séances par le Dr Paul Lépine, à qui la Dre Beaulac avait référé le travailleur. Il a chargé au travailleur une somme de 180 $ pour ces traitements. La facture pour traitements d'ostéopathie est signée :« Dr Paul Lépine md. DO[4] CMQ 84-169[5] ».

[13]           Par sa décision du 8 juillet 2004, la CSST a refusé de rembourser la somme réclamée pour le motif que les traitements d’ostéopathie ne sont pas remboursables en vertu de la loi.

[14]           Suivant le témoin et représentant André Bélanger, le père du travailleur, lesdits traitements ont été bénéfiques pour ce dernier. Dans les notes évolutives de la CSST, prises à la suite d'une conversation du 8 juillet 2004 avec le travailleur, il est indiqué que « (…) le travailleur n'est pas retourné voir le médecin Beaulac après le 12 février 2004. Ça va bien maintenant, ça s'est réglé avec les traitements d'ostéopathie. Le travailleur ne prévoit pas revoir le médecin ».

[15]           Qui plus est, le travailleur n'a pas manqué de travail en raison de sa lésion professionnelle, malgré l'arrêt de trois jours recommandé par la Dre Beaulac, et n'a jamais consulté par la suite, étant complètement rétabli, à la suite des soins en ostéopathie.

[16]           Le travailleur, s’étant pourvu en révision, a vu la CSST confirmer sa décision initiale de refus. La réviseure écrit :

« (…)

 

En l’espèce, même si, sur le plan médical, ces traitements d’ostéopathies ont été prescrits par le docteur Beaulac, médecin qui a charge du travailleur, il n’en demeure pas moins que ces traitements ne sont pas remboursables, puisqu’ils ne sont pas visés aux paragraphes 1o à 4o de l’article 189 de la loi. Ils ne sont pas non plus visés au Règlement sur l’assistance médicale adopté par la CSST, en vertu du 5o paragraphe de ce même article.

 

Le fait que les traitements reçus par le travailleur aient été exécutés par un docteur en ostéopathie qui a, en plus, la qualification de médecin, ne saurait être suffisant à en faire un “service” d’un professionnel de la santé. Le fait que le Dr Lépine facture le travailleur pour ces traitements plutôt que de transmettre à la Régie de l’assurance-maladie une facturation, tel que prévu à la loi, milite à cet effet.

 

(…) » [sic]

 

 

[17]           Le travailleur s’adresse au présent tribunal et allègue comme motif au soutien de sa requête que, conformément au paragraphe 1 de l’article 189 de la loi, les soins qu'il a reçus ont été des « services rendus par un professionnel de la santé » et que, en tant que tels, ils sont remboursables.

[18]           En vertu de l’article 188 de la loi, un travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.

[19]           Dans le cas sous étude, la preuve a démontré que les traitements d'ostéopathie avaient été prescrits par le médecin qui a charge du travailleur, en raison de l'entorse lombaire que la CSST a reconnu comme étant une lésion professionnelle.

[20]           La nature ou la nécessité de ces traitements n'ayant pas été contestée par l'employeur ni par la CSST, conformément à la procédure d'évaluation médicale prévue à la loi, la CSST et la Commission des lésions professionnelles sont liées, en vertu de l'article 224 de la loi, quant à la nature et la nécessité des traitements d'ostéopathie prescrits par la Dre Beaulac.

[21]           L'article 189 de la loi définit ainsi en quoi consiste l'assistance médicale visée à l'article 188 :

189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit:

 

1°   les services de professionnels de la santé;

 

2°   les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);

 

3°   les médicaments et autres produits pharmaceutiques;

 

4°   les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons, les services ambulanciers et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;

 

5°   les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.

__________

1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.

(notre soulignement)

 

 

[22]           Il s'ensuit qu'il faut, afin de décider si le travailleur a droit au remboursement du coût encouru pour les traitements d'ostéopathie administrés par le Dr Lépine, déterminer si ces traitements constituent, au sens de l'article 189 (1) de la loi, des « services de professionnels de la santé ».

[23]           Le tribunal doit donc, dans un premier temps, décider si le Dr Lépine est un « professionnel de la santé » au sens de la loi.

[24]            La loi définit ainsi, en son article 2, l’expression « professionnel de la santé » :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« professionnel de la santé » : un professionnel de la santé au sens de la Loi sur l'assurance maladie (chapitre A-29);

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[25]           Le professeur P.A. Côté fait ressortir, dans son ouvrage Interprétation des lois[6], les difficultés d'interprétation que peut susciter l'utilisation par le législateur de la technique du renvoi :

« Il y a renvoi lorsqu’une disposition d’un texte législatif oblige expressément le lecteur à se reporter à un autre texte.

 

La technique peut servir des fins très diverses : marquer la relation entre deux dispositions ou groupes de dispositions (« sous réserve de l’article 12 »); préciser le sens d’une expression (« salarié au sens du Code du travail »); indiquer le droit applicable (« la Loi sur l’expropriation s’applique aux expropriations prévues à la présente loi »); éviter de rédiger certaines dispositions (« la procédure d’élection est, en faisant les adaptations nécessaires, celle prévue aux articles x à y de telle loi »).

 

Utile au rédacteur et souvent même indispensable, par exemple pour établir la hiérarchie entre deux lois dont les dispositions peuvent être inconciliables, cette technique pose néanmoins des difficultés à l’interprète. Ces difficultés se présentent tout particulièrement dans le cas de renvoi externe, c’est-à-dire de renvoi d’un texte à un autre : c’est ce cas qui nous intéresse d’abord ici.

 

Première difficulté, celle d’identifier exactement le texte auquel on renvoie. Cela se présentera spécialement lorsqu’une loi entend incorporer ou rendre applicables des dispositions qui ont été conçues et rédigées dans un tout autre contexte. Les dispositions incorporées ou rendues applicables peuvent être partiellement inconciliables avec celles de la loi qui y renvoie. Elles ne sont peut-être pas applicables sans procéder à certaines adaptations. Si le législateur n’a pas prévu qu’il y avait lieu d’adapter les dispositions auxquelles il renvoie, les tribunaux pourront refuser de le faire et donc de les appliquer. Même si le législateur a prévu qu’il fallait procéder à des adaptations, l’ampleur même de ces adaptations peut faire problème. »

 

 

[26]           Le tribunal est d'avis que lorsqu'un article de loi renvoie au texte d'une autre loi, comme en l'occurrence, il est préférable que ce texte soit interprété de manière à être adapté au contexte de la loi qui fait le renvoi. Il y a donc lieu de favoriser une interprétation qui permet de donner plein effet à l'objectif de la loi, lequel est prévu à son article 1 :

1.  La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4. »

(Notre soulignement)

 

[27]           La Cour d’appel écrivait d'ailleurs dans l’arrêt Antenucci c. Canada Steampship Lines inc.[7] :

« Le caractère éminemment social de cette loi et le but remédiateur qu’elle vise rendent impératif qu’on lui applique, dans ses plus généreuses dimensions, le principe de l’article 41 de la Loi d’interprétation :

 

41.          [...] Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.

 

 

[...] Au départ c’est l’intention du législateur qu’il faut rechercher lorsqu’il s’agit de se demander pourquoi il a choisi tel mot plutôt que tel autre, quelle situation il a voulu couvrir et, partant, quelle portée il a entendu donner aux expressions dont il s’est servi. C’est dans le contexte spécifique d’une réalité factuelle qu’un texte de loi est présumé avoir été conçu et c’est dans le même esprit qu’il doit être appliqué. »

 

 

[28]           L'article 1 de la Loi sur l’assurance maladie[8] définit un « professionnel de la santé ou professionnel », en ces termes :

b) « professionnel de la santé » ou « professionnel » : tout médecin, dentiste, optométriste ou pharmacien légalement autorisé à fournir des services assurés;

__________

1970, c. 37, a. 1; 1970, c. 38, a. 1; 1971, c. 47, a. 1; 1973, c. 30, a. 1; 1973, c. 49, a. 45; 1974, c. 40, a. 1; 1977, c. 44, a. 1; 1979, c. 1, a. 1; 1985, c. 23, a. 24; 1986, c. 79, a. 1; 1989, c. 50, a. 1; 1991, c. 42, a. 556; 1992, c. 21, a. 100; 1994, c. 8, a. 1; 1994, c. 23, a. 23; 1996, c. 32, a. 88; 1999, c. 89, a. 1, a. 42; 2001, c. 60, a. 166.

(Caractères gras ajoutés)

 

 

[29]           Il y a donc lieu de décider si le Dr Lépine était, à l'époque pertinente, un médecin « légalement autorisé à fournir des services assurés » au sens de l'article 1  b) de la Loi sur l'assurance maladie.

[30]           La Loi sur l’assurance maladie définit en son article 1 quels sont les services assurés, comme suit 

a) « services assurés » : les services, médicaments, appareils ou autres équipements suppléant à une déficience physique, aides visuelles, aides auditives et aides à la communication visés dans l’article 3;

__________

1970, c. 37, a. 1; 1970, c. 38, a. 1; 1971, c. 47, a. 1; 1973, c. 30, a. 1; 1973, c. 49, a. 45; 1974, c. 40, a. 1; 1977, c. 44, a. 1; 1979, c. 1, a. 1; 1985, c. 23, a. 24; 1986, c. 79, a. 1; 1989, c. 50, a. 1; 1991, c. 42, a. 556; 1992, c. 21, a. 100; 1994, c. 8, a. 1; 1994, c. 23, a. 23; 1996, c. 32, a. 88; 1999, c. 89, a. 1, a. 42; 2001, c. 60, a. 166.

(Caractères gras ajoutés)

 

 

[31]           La définition de « services assurés » nous réfère aux services visés à l’article 3  de Loi sur l’assurance maladie, lequel prévoit quels sont les services de professionnels de la santé dont les coûts doivent être assumés par la Régie de l'assurance maladie du Québec (la Régie)[9] :

3.  Le coût des services suivants qui sont rendus par un professionnel de la santéest assumé par la Régie pour le compte de toute personne assurée, conformément aux dispositions de la présente loi et des règlements:

 

a) tous les services que rendent les médecins et qui sont requis au point de vue médical;

 

[…]

__________

1970, c. 37, a. 3; 1970, c. 38, a. 2; 1971, c. 47, a. 2; 1971, c. 48, a. 160, a. 161; 1973, c. 30, a. 2; 1973, c. 49, a. 45; 1973, c. 52, a. 31; 1974, c. 40, a. 2; 1975, c. 60, a. 1; 1977, c. 44, a. 2; 1979, c. 1, a. 2; 1979, c. 63, a. 273; 1981, c. 22, a. 1; 1985, c. 6, a. 488; 1986, c. 79, a. 2; 1989, c. 50, a. 2; 1991, c. 42, a. 558; 1992, c. 19, a. 1; 1992, c. 21, a. 101; 1985, c. 23, a. 1; 1992, c. 21, a. 101; 1992, c. 11, a. 77; 1994, c. 8, a. 2; 1994, c. 23, a. 23; 1996, c. 32, a. 89; 1999, c. 24, a. 14; 1999, c. 89, a. 2, a. 42; 2002, c. 69, a. 122; 2002, c. 33, a. 8.

(Caractères gras ajoutés)

 

 

[32]           Une première constatation s'impose. L'article 3 énumère les services qui, fournis par un professionnel de la santé, doivent être assumés par la Régie. Cette disposition prévoit donc, parmi les services que rendent les professionnels de la santé, lesquels sont assurés en vertu de la Loi sur l'assurance maladie. Il est logique d'en déduire qu'un professionnel de la santé au sens de cette loi, soit « tout médecin, dentiste, optométriste ou pharmacien légalement autorisé à fournir des services assurés », demeure un professionnel de la santé que les services assurés soient fournis ou non. La question est plutôt de déterminer si le médecin concerné est légalement autorisé à fournir de tels services. C'est ce qu'écrivait la Commission des lésions professionnelles dans Brousseau et Isolation Confort ltée[10] :

« [40] Le tribunal souligne aussi que la susdite définition de professionnel de la santé n’exige pas que des services assurés soient effectivement fournis, mais bien seulement que le professionnel concerné soit légalement autorisé à en fournir. À ce stade de l’analyse, c’est le statut du médecin traitant qui est en cause, pas celui des services qu’il prodigue. »

 

 

[33]           Ainsi, il découle des définitions précitées de la Loi sur l'assurance maladie, que la locution « tout médecin légalement autorisé à fournir des services assurés » signifie « tout médecin légalement autorisé à fournir tousles services que rendent les médecins et qui sont requis au point de vue médical ».

[34]           Notons que l'expression « et qui est requis au point de vue médical » se rattache aux services qu'un médecin doit être légalement autorisé à fournir pour être considéré un professionnel de la santé au sens de la loi. Il ne peut en être autrement, puisque c'est la définition de « professionnel de la santé » (dont les services font partie de l'assistance médicale au sens de l'article 189 (1) de la loi) qui est recherchée, et non pas la liste des « services assurés » qui donnent droit, à certaines conditions, au professionnel de la santé de recevoir des honoraires de la Régie, dans le cadre du régime d'assurance maladie du Québec.

[35]           Que signifie l'expression « et qui sont requis au point de vue médical », que l'on retrouve à l'article 3 a) de la Loi sur l'assurance maladie?

[36]           Lorsqu'il est question de déterminer quels sont les honoraires dus à un médecin par la Régie de l'assurance maladie, notamment en application des articles 47 et 49 de la Loi sur l'assurance maladie, les services fournis sont examinés afin de juger s'ils étaient « requis au point de vue médical » [11]. La Régie peut alors, après avoir reçu la recommandation d'un comité de révision, refuser de payer des honoraires professionnels (ou réclamer le remboursement d'honoraires déjà payés), au motif que les services rendus n'étaient pas requis au point de vue médical.

[37]           Les articles 47 et 49 de la Loi sur l'assurance maladie ont donné lieu à une abondante jurisprudence. Ils se lisent comme suit :

47.  Lorsque la Régie est d'avis que les services assurés ou une partie des services assurés dont le paiement est réclamé par un professionnel de la santé ou pour lesquels il a obtenu paiement, au cours des 36 mois précédents, n'étaient pas requis au point de vue médical, optométrique, dentaire ou pharmaceutique et que par conséquent ils ont été fournis plus fréquemment que nécessaire ou encore qu'ils ont été dispensés de façon abusive, elle soumet l'affaire au comité de révision approprié et elle doit alors en aviser le professionnel de la santé concerné.

 

Le comité de révision, avant de faire une recommandation, doit permettre au professionnel de la santé concerné de présenter ses observations.

__________

1970, c. 37, a. 34; 1970, c. 38, a. 13; 1973, c. 30, a. 9; 1973, c. 49, a. 45; 1974, c. 40, a. 12; 1979, c. 1, a. 34; 1997, c. 43, a. 62.

(Caractères gras ajoutés)

 

49.  Le comité de révision auquel une affaire a été soumise conformément à l'article 47 doit, après étude, faire une recommandation à la Régie à l'effet que cette dernière doit soit payer le montant réclamé en tout ou en partie, soit refuser de payer ce montant, soit exiger le remboursement de ce qui a été payé en trop, par compensation ou autrement. Le comité de révision peut, avant de faire sa recommandation, demander un avis à l'ordre professionnel concerné.

 

Le comité de révision peut fonder sa recommandation sur le fait qu'un écart appréciable dans la dispensation d'un service assuré est constaté en comparant, au cours d'une période donnée, le profil de pratique d'un professionnel et les profils de pratique des professionnels d'une même discipline ou exerçant les mêmes activités dans des conditions ou des régions socio-sanitaires semblables.

 

[…]

__________

1970, c. 37, a. 36; 1970, c. 38, a. 13; 1973, c. 30, a. 9; 1979, c. 1, a. 36; 1994, c. 40, a. 457.

 

 

[38]           L'on constate que la notion de services « requis au point de vue médical » prend ici toute son importance. La Commission des affaires sociales (C.A.S.) et le Tribunal administratif du Québec (T.A.Q.) ont eu à interpréter et à développer cette notion dans le cadre des décisions portant sur l'article 47.

[39]           Par exemple, dans l'affaire Services de santé et services sociaux-4[12], la C.A.S. a rejeté l'appel d'une décision de la Régie, laquelle entérinait la recommandation du comité de révision et réclamait au professionnel de la santé concerné la somme de 93 028 $, pour des services qui n'étaient pas toujours requis au point de vue médical et donc fournis plus souvent que nécessaire. De cette façon, la C.A.S. a maintenu la décision déclarant qu'il n'était pas toujours nécessaire d'effectuer un examen complet lorsqu'on dispensait des traitements physiatriques et des manipulations vertébrales[13], c'est-à-dire des manipulations qualifiées de type « ostéopathique » par le médecin concerné, ce qu'il faisait dans 85 % des cas. En effet, la preuve a démontré qu'un examen ordinaire suffisait dans bon nombre de cas.

[40]           Dans l'affaire Saine c. Commission des affaires sociales[14], la C.A.S. devait décider du bien-fondé de la décision de la Régie de réclamer le remboursement des sommes payées pour certaines injections de venin d'abeille, administrées à titre de traitement contre l'arthrite. La Régie considérait que ces traitements n'étaient pas toujours requis au point de vue médical et qu'en conséquence ils avaient été fournis plus souvent que nécessaire.

[41]           La C.A.S. a maintenu la décision de la Régie. Elle a conclu que le traitement de l'arthrite par le venin d'abeille ne correspondait pas aux normes de la pratique médicale reconnues dans le milieu et que les requérants n'avaient pas démontré que leur pratique médicale avait fait ses preuves quant au traitement de l'arthrite.

[42]           La Cour supérieure, dans ses motifs de rejet de la requête en évocation de la décision de la C.A.S., s'exprime ainsi quant à la nécessité pour la C.A.S, dans le cadre du processus prévu aux articles 41 et suivants de la Loi sur l'assurance maladie, d'examiner le caractère « requis au point de vue médical » des traitements administrés. Elle écrit :

« Il était nécessaire tant pour le Comité que pour la CAS de déterminer si le traitement de l’arthrite par le venin d’abeille constitue un traitement médical conforme aux données de la science médicale actuelle et une approche reconnue par la médecine pour ces pathologies.

 

L’obligation de faire cette détermination est commandée par l’article 3 de la Loi sur l’assurance-maladie qui vise à assurer les paiements par la Régie, pour le compte des bénéficiaires, des services rendus par les médecins qui doivent, toutefois être requis au point de vue médical.

 

La Loi autorise aussi la Régie à mettre en cause la nécessité des soins ou des services en fonction des normes d’exercice reconnu par la profession et à obtenir sur cette question l’avis d’un comité formé en majorité de pairs (art. 45) (p. 12 de la décision R-1).

 

La mise en cause par la Régie de la fréquence de l’acte susceptible d’être payé et la demande de l’avis du Comité à ce sujet a obligé le Comité d’examiner si les services rendus par le médecin sont requis au point de vue médical, ce qui implique deux déterminations. Premièrement, le Comité devait examiner si ces services étaient des actes reconnus par la science médicale et dans l’affirmative, il devait déterminer si ces services sont médicalement requis par rapport aux pathologies traitées par le médecin. »

(Notre soulignement)

 

 

[43]           Dans cette affaire, les requérants invoquaient notamment leur liberté thérapeutique en soutien à leurs prétentions. La Cour supérieure écrit :

« La liberté thérapeutique elle-même n'est aucunement restreinte par la loi sur l'assurance-maladie. Les docteurs Saine sont libres de choisir les moyens au niveau de la dispensation des soins.

 

Toutefois, la liberté thérapeutique n'inclut pas ou ne comprend pas le droit de recevoir paiement pour des actes ou des services qui ne rencontrent pas le critère prévu par le législateur à l'article 3 de la Loi sur l'assurance-maladie ou de nier ou enlever le devoir de contrôle imposé à la Régie par le législateur aux articles 22.2 et 47 de cette Loi, de ne payer ou de ne rembourser que ce qui est médicalement requis. »

 

[44]           La notion de « services assurés » dans la Loi sur l'assurance maladie vise donc à déterminer les services pour lesquels un professionnel de la santé a droit à des honoraires versés par la Régie, en vertu du régime institué par cette même Loi sur l'assurance maladie. C'est dans le cadre de cette détermination qu'il est nécessaire d'examiner la notion de service requis au point de vue médical. Il n'est pas nécessaire, par contre, dans le cadre de la détermination du statut de « professionnel de la santé », en vertu de la loi ou de la Loi sur l'assurance maladie, d'examiner le caractère médicalement requis de l'acte posé dans l'exercice de la pratique médicale. En effet, comment pourrait-on définir le statut de « professionnel de la santé » différemment selon chacun des différents services rendus par le médecin dans le cadre de sa pratique? Il n'est pas nécessaire non plus, pour décider de la demande de remboursement des frais encourus pour de l'assistance médicale qui consiste en des services d'un professionnel de la santé au sens de l'article 189 (1) de la loi, de déterminer si le service pour lequel le travailleur dépose une réclamation à titre d'assistance médicale était «requis au point de vue médical ».

[45]           En ce sens, la notion de services « qui sont requis au point de vue médical » ne doit pas devenir une exigence supplémentaire de l'article 189 (1) de la loi. Ainsi, une fois que le travailleur a démontré que les sommes qu'il réclame à titre d'assistance médicale, en raison d'une lésion professionnelle, ont été encourus pour recevoir des « services de professionnels de la santé » au sens de l'article 189 (1) de la loi, il n'a pas à démontrer au surplus que ces services étaient « requis au point de vue médical ». Ce serait ajouter à la loi et alourdir le fardeau de preuve que le législateur a voulu imposer au travailleur qui a subi une lésion professionnelle, que de lui imposer cette preuve.

[46]           Quels sont donc « tous les services que rendent les médecins et qui sont requis au point de vue médical », dans le cadre de la définition d'un professionnel de la santé, au sens de la Loi sur l'assurance maladie et donc de la loi?

[47]           L'article 31 de la Loi médicale[15] énonce comme suit, en quoi consiste l'exercice de la médecine :

31.  L'exercice de la médecine consiste à évaluer et à diagnostiquer toute déficience de la santé de l'être humain, à prévenir et à traiter les maladies dans le but de maintenir la santé ou de la rétablir.

 

Dans le cadre de l'exercice de la médecine, les activités réservées au médecin sont les suivantes:

 

 1° diagnostiquer les maladies ;

 

 2° prescrire les examens diagnostiques;

 

 3° utiliser les techniques diagnostiques invasives ou présentant des risques de préjudice;

 

 4° déterminer le traitement médical;

 

 5° prescrire les médicaments et les autres substances;

 

 6° prescrire les traitements;

 

 7° utiliser les techniques ou appliquer les traitements, invasifs ou présentant des risques de préjudice, incluant les interventions esthétiques;

 

 8° exercer une surveillance clinique de la condition des personnes malades dont l'état de santé présente des risques;

 

 9° effectuer le suivi de la grossesse et pratiquer les accouchements;

 

 10° décider de l'utilisation des mesures de contention.

__________

1973, c. 46, a. 29; 2002, c. 33, a. 17.

(Caractères gras ajoutés)

 

 

[48]           Notons d'abord que l'alinéa deux de l'article 31, puisqu'il ne fait que préciser les actes réservés aux médecins[16], ne vient en rien limiter l'énoncé de principe du premier alinéa. Par conséquent, pour être considéré un professionnel de la santé, un médecin doit être légalement autorisé à fournir les services que rendent les médecins et qui sont requis au point de vue médical, lesquels correspondent à l'exercice de la médecine. Celle-ci est définie à l'article 31 , alinéa 1, de la Loi médicale et « consiste à évaluer et à diagnostiquer toute déficience de la santé de l'être humain, à prévenir et à traiter les maladies dans le but de maintenir la santé ou de la rétablir ».

[49]           Comment un médecin est-il légalement autorisé à exercer la médecine? Les paragraphes c) et g) de l'article 1 , et l'article 2 de la Loi médicale prévoient que :

1. Dans la présente loi et dans les règlements adoptés sous son autorité, à moins que le contexte n'indique un sens différent, les termes suivants signifient:

[…]

 c) «médecin» ou «membre de l'Ordre»: quiconque est inscrit au tableau;

[…]

g) «tableau»: la liste des membres en règle de l'Ordre dressée conformément au Code des professions et à la présente loi.

__________

1973, c. 46, a. 1; 1974, c. 65, a. 67; 1992, c. 21, a. 188; 1994, c. 40, a. 369; 1994, c. 23, a. 23.

 

 

2.  L'ensemble des médecins habilités à exercer la profession médicale au Québec constitue un ordre professionnel désigné sous le nom de «Collège des médecins du Québec» ou de «Ordre professionnel des médecins du Québec» ou «Ordre des médecins du Québec».

__________

1973, c. 46, a. 2; 1977, c. 5, a. 229; 1994, c. 40, a. 370.[17]

 

 

[50]           Or, à l'époque où il a administré les traitements d'ostéopathie au travailleur, le Dr Lépine était, en l'absence de toute preuve à l'effet contraire, légalement autorisé à rendre ces services du fait de son inscription au Tableau du Collège des médecins du Québec et de son permis d'exercice de la médecine[18]. En d'autres termes, le Dr Lépine était légalement autorisé à exercer la médecine, au sens de l'article 31 alinéa 1 de la Loi médicale, ce qui inclut, mais pas exclusivement, les actes réservés aux médecins et énumérés à l'alinéa 2 de l'article 31 de la Loi médicale.

[51]           Au surplus, bien que cette considération ne change rien au statut de professionnel de la santé du Dr Lépine au moment où il a dispensé les traitements d'ostéopathie au travailleur, il a lieu de retenir que ceux-ci étaient requis au point de vue médical, vu l'absence de contestation de la nécessité de ces traitements prescrits par le médecin qui a charge du travailleur. D'ailleurs, la preuve veut que les traitements prodigués par le Dr Lépine aient été bénéfiques pour le travailleur et lui aient permis de continuer à exercer son emploi. De plus, le tribunal considère, devant ces faits, que la relation requise au sens de l'article 188 de la loi entre la lésion professionnelle et les soins fournis est établie.

[52]           Le tribunal décide donc que les soins rendus dans la présente affaire l’ont été par un professionnel de la santé au sens du paragraphe 1 de l’article 189 de la loi et que le travailleur a droit au remboursement des frais de 180 $ encourus pour les recevoir.

[53]           Il n'y a pas lieu de référer à l'article 189 (5) de la loi, lequel vise « les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4°» de l'article 189 ou au Règlementpour décider de la présente requête.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la contestation de monsieur Jean-François Bélanger;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en révision administrative le 4 novembre 2004;

Et

DÉCLARE que monsieur Jean-François Bélanger avait droit au remboursement de la somme de 180 $ à titre d’assistance médicale.

 

 

__________________________________

 

 

RENÉ OUELLET

 

Commissaire

 

 

 

 

M. André Bélanger

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001.

[2]          (1993) 125 G.O. II, 1331 et amendements.

[3]           Il n'y a pas eu de décision écrite, mais elle apparaît aux notes évolutives comme suit: « réclamation acceptable, art 28 sur diagnostic d'entorse lombaire » en date du 8 juillet 2004. Le travailleur a exigé une décision de refus sur les frais d'ostéopathie qui a été rendue le même jour.

[4]          Docteur en ostéopathie.

[5]          Ce numéro correspond au numéro de permis d'exercice de la médecine, inscrit au Tableau du Collège des médecins du Québec et attribué en vertu des articles 40 et suivants du Code des professions, L.R.Q., c. C- 26, ainsi que 33 et suivants de la Loi médicale, L.R.Q., c. M-9.

[6]          Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 3e édition, Montréal, Les Éditions Thémis, 1999, pp. 94-95.

[7]          [1991] R.J.Q. 968 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée, 91-11-20, (22509).

[8]           L.R.Q., c. A-29.

[9]          Instituée par la Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec, L.R.Q., c. R-5.

[10]         [2004] C.L.P. 509 ; révision accueillie sur un autre point, [2004] C.L.P. 1513 .

[11]        Selon la procédure prévue aux articles 41 et suivants de la Loi sur l'assurance maladie, précitée, note 7.

[12]         [1995] C.A.S. 388 .

[13]        Les traitements physiatriques et les manipulations vertébrales étaient des services prévus à l'entente des omnipraticiens (entente conclue en vertu de l'article 19 de la Loi sur l'assurance maladie,précitée, note 7) à laquelle le médecin concerné était assujetti.

[14]         [1994] R.J.Q. 2361 (C.S.).

[15]        Précitée, note 5.

[16]         Voir également l'article 43 de la Loi médicale, précitée, note 5, qui prévoit que sous réserve de certains droits accordés dans les lois et certaines exceptions identifiées à l'alinéa 2, « nul ne peut exercer l'une des activités décrites au deuxième alinéa de l'article 31, s'il n'est médecin ».

[17]         Voir également les articles 40 et suivants du Code des professions, précité, note 5, qui prévoient les conditions d'obtention du permis d'exercice d'une profession, ainsi que les articles 33 et suivants de la Loi médicale, précitée, note 5, qui prévoient de manière spécifique les conditions d’obtention d'un permis d'exercice de la médecine.

[18]        COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC, Annuaire médical 2004-2005 et Annuaire médical 2003-2004.

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